Discours 1982 - Discours aux chefs des églises chrétiennes, Edimbourg 1er juin


Le 1er juin, le Pape a reçu à l'archevêché d'Edimbourg les représentants des communautés religieuses non catholiques d'Écosse à qui il a adressé le discours suivant (1) :

(1) Texte anglais dans l’Osservatore Romano du 3 juin. Traduction, titre et sous-titres de la DC.


« Frères, que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit. » (Ga 6,18)

1. C'est pour moi une joie de vous rencontrer ce matin et je suis profondément touché de la courtoisie qui vous a poussés à venir à une heure aussi matinale. Hier, peu après mon arrivée en Écosse, j'ai eu le bonheur d'être salué par le Modérateur de l'Assemblée générale de l'Église d'Écosse, le Révérend Professeur John McIntyre. À ce propos, je ne puis manquer de rappeler la première rencontre historique de 1961 entre le Modérateur d'alors, le Dr Archibald Craig, et mon propre prédécesseur Jean XXIII, ou encore la courtoisie du Dr Peter Brodie, au cours de l'année où il avait la charge de Modérateur, lorsqu'il assista, en 1978, à ma propre intronisation et à celle de Jean-Paul Ier. J'ai également conscience de l'importance du lieu où nous nous sommes si heureusement rencontrés hier soir — l'enceinte de l'Assembly Hall lui-même, siège de la Cour suprême de l'Église d'Écosse, qui est aussi l'endroit où, en 1910, s'est tenue cette assemblée mémorable de la Conférence missionnaire mondiale, généralement considérée comme le point de départ du mouvement oecuménique moderne.

2. C’est dans le même esprit de prière et d’effort oecuménique que j’ai eu aussi le grand plaisir, samedi dernier, de rencontrer les représentants de l’Église d’Écosse et de l’Église épiscopale écossaise, ainsi que d'autres dirigeants des Églises britanniques. Vous serez d’accord avec moi, j’en suis sûr, pour dire que de telles rencontres ont une importance propre ; le fait même qu’elles aient lieu est un témoignage devant le monde que, malgré une histoire de tristes divisions entre les disciples du Christ, nous tous qui adorons le seul vrai Dieu désirons collaborer aujourd’hui au nom de Dieu et travailler ensemble à la promotion des valeurs humaines dont il est l’auteur véritable.

3. J’ai été tout particulièrement heureux d’entendre mentionner les dialogues féconds que l’Église catholique a engagés avec l’Église d’Écosse, l’Église épiscopale écossaise et d’autres Églises, et aussi sa collaboration dans bien des domaines avec le Concile des Églises écossaises. Je voudrais particulièrement relever les « Commissions mixtes » avec l’Église d’Écosse sur la doctrine et le mariage et le « Groupe mixte d’étude » avec l’Église épiscopale écossaise, qui sont ici représentés ce matin. Permettez-moi de vous exprimer, au nom du Christ, mon estime pour votre labeur patient et assidu. Ici encore, nous avons un exemple de ce témoignage commun, qui est tout à la fois l’expression du degré d’unité limité mais réel, dont nous jouissons déjà par la grâce de Dieu, et de notre désir sincère de suivre la voie par laquelle Dieu nous conduit jusqu’à ce que nous atteignions cette unité parfaite que lui seul peut nous donner. En suivant cette voie, nous avons à surmonter encore bien des obstacles dus à nos inimitiés passées et à résoudre des questions doctrinales importantes ; mais déjà l’amour mutuel, nos volontés d’unité peuvent être un signe d’espoir pour un monde divisé, surtout en ces jours où la paix est gravement menacée.

Je me réjouis de cette rencontre. Malgré sa brièveté, elle nous offre l’occasion de nous accueillir en frères et surtout de prier ensemble pour « que Celui qui a commencé en nous cette oeuvre excellente en poursuive l’accomplissement » (cf. Ph 1,6).

Je suis heureux aussi de saluer le représentant de la communauté juive en Écosse qui, par sa présence ici, est le symbole des liens spirituels qui unissent profondément nos deux communautés (cf. Nostra aetate, NAE 4).

J’accueille de même manière le représentant des communautés islamiques en ce pays et je suis heureux de rappeler les valeurs religieuses que nous partageons, en tant que croyants dans le Dieu unique, tout-puissant et miséricordieux (cf. Nostra aetate, NAE 3).

Qu’il nous montre son visage et nous donne la paix !



Discours à la conférence épiscopale d’Ecosse, 1er juin

Le 1er juin, le Pape a terminé la journée par une rencontre avec la Conférence épiscopale d'Écosse, à l'archevêché d'Edimbourg. Voici le discours qu'il a adressé aux évêques (1) :

(1) Texte anglais dans l'Osservatore Romano du 2 juin. Traduction et titre de la DC.


MES CHERS FRÈRES DANS L’ÉPISCOPAT,

Nous sommes réunis ce soir au nom de JésusChrist, « pasteur et gardien » (1P 2,25) de nos âmes, « pasteur suprême du troupeau » (1P 5,14).

1. Nous sommes ici pour réfléchir sur notre ministère épis- copal et l’offrir au Père par le Christ Notre Seigneur, au nom de qui nous l’exerçons. Il y a assurément bien des facteurs qui affectent notre ministère et demandent notre réponse comme chefs du Peuple de Dieu. Et nous avons tant de ces facteurs devant les yeux à l’heure actuelle, alors que la préoccupation de la paix et de la réconciliation tient une place primordiale dans nos pensées. En une occasion comme celle-ci, nous percevons les nombreuses obligations qui nous incombent, précisément parce que nous avons été chargés du ministère de la réconciliation (2Co 5,18), précisément parce que nous sommes appelés à prêcher l’Évangile de la paix.


L'Évêque, signe vivant de Jésus-Christ

2. Mais au coeur même de l’identité de l’évêque, il y a le fait qu’il est appelé à être le signe vivant de Jésus-Christ. « Dans les évêques, dit le Concile Vatican II, Notre Seigneur Jésus-Christ, grand prêtre suprême, se trouve présent au milieu des croyants. » (Lumen gentium, LG 21)

3. Cette vérité fondamentale nous donne une lumière profonde sur nous-mêmes et sur le besoin que nous avons de la sainteté dans notre propre vie. L’efficacité surnaturelle de notre ministère est liée de tant de manières au degré de sainteté de notre vie, à ce degré où nous sommes rendus conformes au Christ par la charité et la grâce. Pour cette raison, nous devons regarder l’invitation de saint Paul comme s’adressant surtout à nous-mêmes. « Revêtez l’homme nouveau, créé à la ressemblance de Dieu dans la véritable droiture de conduite et dans la sainteté.» (Ep 4,24)

Comme Jésus, nous sommes appelés à prêcher la conversion, à répéter les paroles qu’il nous a proclamées tout au début de son ministère public : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. ». (Mc 1,14) Mais ici encore notre efficacité dépend de notre ouverture à la grâce : nous-mêmes nous devons faire l’expérience de la conversion que nous proclamons. Notre sanctification devient donc pour nous, comme je l’ai dit à un autre groupe d’évêques, en une autre occasion, la priorité essentielle dans notre vie et dans notre ministère (AAS 71 [1979] p. 1220).

4. Cela ne fait aucun doute : notre fidélité à l’amour de Jésus et à notre amitié pour lui est essentielle à toutes nos entreprises apostoliques. Cette fidélité à l’amour et à notre amitié pour le Christ, dont nous devons proclamer le royaume, doit s'alimenter à notre propre vie de prière. Seule l'union au Christ nous donne la possibilité d'être des ministres efficaces de l'Évangile. Rappelons-nous les paroles de Jésus : « Celui qui demeure en moi, et moi en lui, portera beaucoup de fruits. » (Jn 15,5)

5. En tant qu'évêques, nous sommes appelés à méditer sur la sainteté du Christ. Il est sûr que nos fidèles nous demandent encore davantage : ils veulent — et ils en ressentent le besoin — le témoignage d'une anticipation prophétique de la sainteté à laquelle nous les invitons. Ils nous demandent d'être leurs maîtres en sainteté, de leur tracer clairement le sentier à la suite du Christ.

Et c'est ainsi que nous devons être, comme le dit saint Pierre, « des exemples pour le troupeau » (1P 5,3), afin d'apprendre aux hommes à dire oui à Dieu, oui aux autres, oui aux idéaux les plus élevés de la vie chrétienne.


L'intimité avec le Christ

6. Certes, c'est là un grand défi, mais la grâce de Dieu est grande elle aussi. Dans l'adoration de l'Eucharistie vous trouverez la lumière et la force, la joie du coeur, l'inspiration et les meilleurs moyens de sainteté. Et, comme le grand- prêtre qui conduit vos fidèles rassemblés autour du sacrifice eucharistique, vous trouverez là l'accomplissement de votre ministère épiscopal.

En vous approchant vous-mêmes du sacrement de pénitence, vous trouverez un contact renouvelé avec le Christ, dont vous êtes les représentants pleins de miséricorde, et qui vous appelle personnellement à une conversion et à une sainteté de vie toujours nouvelles. Vous trouverez le moyen de donner à vos prêtres et à vos fidèles l'assurance de l'extrême importance de ce sacrement dans la vie de l'Église aujourd'hui. Par votre façon de vivre tout entière — une vie d'union avec Dieu à travers la prière et la pénitence — vous serez des prédicateurs encore plus zélés du mystère du salut et de la vie éternelle : ex abundantia enim cordis os eius loquitur (Lc 6,45).

7. En réalité, c'est toute votre vie, c'est tout l'apostolat en Écosse qui devront apparaître à la lumière du compagnonnage avec le Christ. Ne vous a-t-il pas choisis pour prêcher ses « insondables richesses » (Ep 3,8), inviter à la paix et donner votre vie, comme lui, pour le troupeau ?

Chers frères évêques, ce soir, en cette réunion collégiale, nous avons une merveilleuse occasion pour nous consacrer à nouveau, ensemble, à notre ministère épiscopal au service du Christ et de son Église. Et dans la vision que nous avons de ce ministère, nous devons toujours nous souvenir que Jésus-Christ a la première place dans notre vie. C'est le Christ qui a désigné les Douze : « pour être avec lui et être envoyés. » (Mc 3,14).

8. Telle est notre vocation à nous aussi, pour toujours : être avec le Christ et être envoyés par lui — ensemble — pour proclamer la Bonne Nouvelle du royaume de Dieu. Par votre sainteté et la sainteté des Églises locales que vous présidez et que vous servez, puisse cette Bonne Nouvelle continuer de se répandre à travers l'Écosse, à la gloire de la très Sainte Trinité : Père, Fils et Saint-Esprit.

Que Marie, Reine de la paix et Mère de l'Église, intercède pour vous et pour tous ceux qui, par votre parole, croiront au nom de son Fils, Jésus-Christ.



Discours d’adieu


Après sa rencontre avec les jeunes au Ninian Park, à Cardiff, le Pape s'est rendu à l'aéroport où le cardinal Hume l'a remercié de cette visite historique. Voici le discours que Jean-Paul II a prononcé avant de s'envoler pour Rome où il est arrivé à 22 h 50 (1) :

(1) Texte anglais dans l'Osservatore Romano du 4 juin. Traduction et titre de la DC.



Voici que s'achève ma visite pastorale aux divers pays de Grande-Bretagne. Je suis venu ici comme un héraut de la paix, pour proclamer un Évangile de paix, un message de réconciliation et d'amour. Je suis venu aussi comme un serviteur — le serviteur de Jésus-Christ, mon Sauveur ; et le serviteur également du peuple chrétien. Pendant tout mon voyage à travers l'Angleterre, l'Écosse et enfin le pays de Galles, pour accomplir ma tâche et confirmer mes frères, j'ai cherché à rappeler aux catholiques tout ce que le Christ a fait pour nous sauver. Lui le Rédempteur, notre Seigneur ressuscité. J'ai eu en outre la possibilité de rencontrer nos frères des autres communautés chrétiennes et de prier avec eux. Pour ces merveilleuses occasions, pour l'amitié et l'accueil fraternel que j'ai partout reçus, je bénis Dieu et vous remercie tous.

2. Aux autorités civiles des pays et des cités que j'ai visités, je voudrais exprimer ma profonde gratitude. L'assistance, le soutien et la coopération que vous avez apportés aux catholiques de vos régions, et la manière dont vous avez aménagé des lieux appropriés pour ma visite pastorale ont rappelé au monde la grande bénédiction de compréhension mutuelle et de respect qui font partie de l'héritage britannique. Je voudrais aussi remercier la police et tous ceux qui ont eu la responsabilité de l'ordre public et du bon déroulement des événements ces derniers jours.

3. Et maintenant au moment où je m'apprête à retourner à Rome, je formule une fois de plus mes meilleurs voeux à l'intention de tous les habitants de Grande-Bretagne, et en particulier à Sa Majesté la reine, tout spécialement en ce jour anniversaire de son couronnement. En vous quittant, je prie pour que Dieu bénisse tous les habitants de ces pays. À la population du pays de Galles, au milieu de laquelle j'ai passé cette journée mémorable, je dis : Bentith Duw Arnoch ! (Que la bénédiction de Dieu soit sur vous !).

À tous les peuples d'Angleterre, d'Écosse et du pays de Galles, je dis : Que Dieu vous bénisse ! Puisse-t-il faire de vous des instruments de paix, puisse la paix du Christ rè- gner dans vos coeurs et dans vos foyers.




La contribution des États-Unis à la cause de la paix mondiale

Discours au président Reagan, 7 juin 1982


Le Saint-Père a reçu dans la matinée du lundi 7 juin, M. Ronald Reagan, président des États-Unis d'Amérique qui était accompagné de sa femme, Nancy, et d'une délégation de plusieurs personnalités. Au cours de l'audience, le Pape a prononcé le discours suivant (1) :

(1) Texte anglais dans l'Osservatore Romano des 7-8 juin 1982. Traduction, sous-titres et notes de la DC.


MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

1. Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui au Vatican. Bien que nous ayons déjà eu de nombreux contacts, c'est la première fois que nous nous rencontrons personnellement.

En vous, Président des États-Unis d'Amérique, je salue le peuple tout entier de votre grand pays. Je conserve le vif souvenir de l'accueil chaleureux que m'ont réservé des millions de vos concitoyens, il y a moins de trois ans. À cette occasion, une fois de plus, j'ai pu être le témoin privilégié de la vitalité de votre nation. J'ai pu voir de nouveau comment les valeurs morales et spirituelles transmises par vos Pères fondateurs trouvent leur expression dynamique dans la vie de l'Amérique moderne.

Les Américains sont à juste titre fiers de leur droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. Ils sont fiers du progrès civil et social de la société américaine, de même que des victoires extraordinaires de la science et de la technologie. En vous parlant aujourd'hui, je formule l'espoir que la structure tout entière de la vie américaine repose toujours plus fermement sur le solide fondement des valeurs morales et spirituelles. Sans la promotion et la défense de ces valeurs, toute avancée humaine est entravée, et la dignité même de la personne humaine est mise en péril.

Au service de la paix

2. Tout au long de leur histoire, et surtout aux époques difficiles, les Américains se sont sans cesse montrés à la hauteur des défis qui leur étaient portés. Ils ont donné de nombreuses preuves de leur désintéressement, de leur générosité et de leur souci des autres — souci des pauvres, des nécessiteux, des opprimés ; ils ont fait preuve de confiance dans le grand idéal qui consiste à être un peuple uni, investi d'une mission de service. À ce moment présent de l'histoire du monde, les États-Unis sont surtout appelés à remplir leur mission au service de la paix mondiale. La situation même du monde actuel demande une politique clairvoyante qui favorise les conditions indispensables à l'instauration de la justice et de la liberté, de la vérité et de l'amour, fondements d'une paix durable.

3. Monsieur le président, pour moi aussi la plus grande préoccupation est la paix du monde — la paix en notre temps. Dans de nombreuses parties du monde existent des foyers de grave tension. Cette grave tension se manifeste surtout dans la crise de l'Atlantique Sud, dans la guerre entre l'Iran et l'Irak et, maintenant, dans la grave crise provoquée par les nouveaux événements du Liban. Cette grave crise du Liban mérite également l'attention du monde en raison du danger de généralisation qu'elle représente pour tout le Moyen-Orient, avec les immenses conséquences que cela implique pour la paix du monde

Il y a heureusement de nombreux facteurs dans la société qui, aujourd'hui, contribuent positivement à la paix. Ces facteurs positifs comprennent une prise de conscience croissante de l'indépendance de tous les peuples, une solidarité de plus en plus étroite avec ceux qui sont dans le besoin et une plus grande conviction de l'absurdité de la guerre comme moyen de résoudre les désaccords entre les nations. Durant ma récente visite en Grande-Bretagne, j'ai particulièrement mis l'accent sur le fait que « l'ampleur et l'horreur de la guerre moderne — qu'elle soit nucléaire ou non — la rendent complètement inacceptable comme moyen de régler des différends entre nations » (2). Et, à ceux qui professent la foi chrétienne j'ai proposé cette motivation : « Quand vous êtes au contact du Prince de la paix, vous comprenez à quel point la haine et la guerre sont totalement opposées à son message. » (Discours auxjeunes, Cardiff, 2 juin 1982 )

4. Le devoir de la paix revient tout particulièrement aux dirigeants du monde. C'est aux représentants des gouvernements et des peuples qu'il incombe de travailler à libérer l'humanité, non seulement des guerres et des conflits, mais aussi de la peur engendrée par l'utilisation d'armes toujours plus perfectionnées et meurtrières. La paix n'est pas seulement l'absence de guerre ; elle entraîne aussi une confiance réciproque entre les nations — une confiance qui se manifeste et se prouve par des négociations constructives visant à mettre fin à la course aux armements et à dégager d'immenses ressources qui peuvent être utilisées pour soulager la misère et nourrir des millions d'êtres humains qui ont faim.

(2) Cf. DC, 1982, n° 1832, p. 591.


La question du développement

5. Toute recherche efficace de paix exige de la clairvoyance ; la clairvoyance est une qualité dont tous les artisans de paix ont besoin. Votre grande nation est appelée à faire preuve de cette clairvoyance de même que toutes les nations du monde. Cette qualité permet aux responsables de s'engager dans les programmes concrets qui sont fondamentaux pour la paix mondiale —programmes de justice et de développement, efforts pour défendre et protéger la vie humaine, initiatives visant à favoriser les droits de l'homme. Au contraire, tout ce qui blesse, affaiblit ou déshonore la dignité humaine, sous quelque aspect que ce soit, met en danger la cause de la personne humaine, et en même temps, la paix du monde.

6. Les rapports entre nations sont grandement affectés par le problème du développement, qui conserve toute son importance à l'heure actuelle. Le succès dans la résolution des questions relatives au dialogue Nord-Sud continuera à être la pierre de touche de relations pacifiques entre les diverses communautés politiques et à influencer la paix mondiale dans les années à venir. Le progrès économique et social, lié à la collaboration financière entre les peuples, demeure un objectif valable pour les efforts renouvelés des hommes d'État du monde.

7. Un concept veritablement universel du bien commun de la famille humaine est un instrument incomparable pour construire l'édifice de la paix mondiale. Je suis convaincu qu'une Amérique unie et consciente peut immensément contribuer à la cause de la paix mondiale grâce aux efforts de ses dirigeants et à l'engagement de tous ses citoyens. Attachée aux idéaux élevés de ses traditions, l'Amérique est merveilleusement placée pour aider l'humanité tout entière à jouir de ce qu'elle-même s'efforce de posséder. Avec la foi en Dieu, la croyance en la solidarité entre tous les hommes, puisse l'Amérique aller de l'avant, à ce moment crucial de son histoire, pour consolider sa juste place au service de la paix mondiale.

C'est en ce sens, Monsieur le Président, que je répète aujourd'hui les paroles que j'ai prononcées en quittant les États-Unis en 1979 : « Ma prière finale est la suivante : que Dieu bénisse l'Amerique afin qu'elle puisse devenir de plus en plus — être vraiment et rester longtemps — une nation placée sous la protection de Dieu, indivisible. Avec la liberté et la justice pour tous. » (7 octobre 1979.)




À LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES ORGANISATIONS DE TRAVAILLEURS DE LA MÉTALLURGIE

Mardi, 8 juin 1982




Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

1. Autant que je le pouvais, j’ai essayé de répondre à votre désir de me rencontrer, à l’occasion de la réunion de votre Fédération internationale à Rome.

J’ai en effet été touché de votre démarche et j’apprécie les buts que vous poursuivez au service des Organisations de Travailleurs de la Métallurgie en 70 pays.

Je me suis déjà longuement exprimé sur les associations de travailleurs dans l’encyclique “Laborem Exercens” (IOANNIS PAULI PP. II LE 20), et je prépare en ce moment ma visite à l’Organisation internationale du Travail à Genève.

2. Oui, l’Eglise continue à penser que de telles associations sont un élément indispensable de la vie sociale. Quant à vos syndicats, qui couvrent, au sens large, les secteurs de la métallurgie, ils ont leur physionomie originale; leur structure me semble bien souligner la solidarité qui lie les travailleurs de ces secteurs, avec leurs problèmes particuliers, et donc favoriser la recherche d’une action adaptée à ces milieux, plus facilement peut-être que certains syndicats qui sont davantage préoccupés, semble-t-il, d’une action générale mais qui sont quelquefois tentés en fait par certaines idéologies. Comme je l’écrivais dans l’encyclique: “Les intérêts vitaux des travailleurs sont, jusqu’à un certain point, communs à tous; en même temps, cependant, chaque genre de travail, chaque profession a une spécificité propre, qui devrait se refléter d’une manière particulière dans ces organisations” (IOANNIS PAULI PP. II Laborem Exercens LE 20).

3. Vous luttez pour la justice sociale. Vous intervenez, à juste titre, dans les domaines où les droits des travailleurs sont en cause. Vous avez aussi en vue un rôle éducatif auprès des ouvriers et de leurs familles. Dans la difficile conjoncture actuelle, vous apportez également votre contribution à la recherche de solutions aux graves problèmes de l’emploi, du chômage. Vous élargissez même votre souci humanitaire à la garantie des droits de l’homme. C’est avec sympathie que l’Eglise considère les responsabilités que vous prenez.

4. Je forme des voeux pour que les travaux de votre Fédération aident les nombreux syndicats affiliés à bien jouer leur rôle pour défendre les justes droits des travailleurs dans le cadre du bien commun de toute la société, en tenant compte de la situation économique des pays. Il est toujours à souhaiter que ces syndicats gardent leur but spécifique qui n’est pas directement politique. J’ai eu l’occasion de souligner qu’ils devraient conserver leur liberté vis-à-vis des partis politiques. Je suis sensible aussi à l’intérêt que vous portez à d’autres syndicats qui sont dans l’épreuve.

En vous remerciant de votre visite, je recommande a Dieu vos responsabilités au service de tous les travailleurs de la Métallurgie. Je lui recommande aussi les intentions personnelles et familiales que vous portez. Et je Le prie de vous combler de ses bénédictions.




Message à la IIe session extraordinaire des Nations Unies, lu le 11 juin


Le 11 juin, le cardinal Casaroli a lu devant l'assemblée plénière de l'ONU le message ci-après que le Pape a envoyé à la seconde session extraordinaire qui a commencé le 7 juin et qui est consacrée au désarmement (1) :

(1) Texte français dans l'Osservatore Romano du 13 juin. Titre, sous-titres et notes de la DC.


MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
MESDAMES ET MESSIEURS LES REPRÉSENTANTS DES ÉTATS-MEMBRES,

1. En juin 1978, lorsque se réunit la première session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le désarmement, mon prédécesseur le Pape Paul VI lui envoya un message personnel dans lequel il exprimait ses espoirs dans les résultats qu'était en droit d'attendre l'humanité d'un tel effort de bonne volonté et de sagesse politique de la part de la communauté internationale (2).

Quatre ans plus tard, vous voilà à nouveau réunis pour vous demander si ces attentes ont été — au moins partiellement — réalisées.

Peu de progrès dans le désarmement

La réponse à cette question semble n'être ni très rassurante ni très encourageante. Une comparaison de la situation d'il y a quatre ans avec celle d'aujourd'hui en matière de désarmement fait apparaître bien peu d'améliorations. Certains pensent même qu'il y a eu détérioration tout au moins en ce sens que les espérances nées à cette époque pourraient maintenant se présenter comme de simples illusions. Cette constatation pourrait facilement conduire au découragement et pousser les responsables du sort du monde à rechercher ailleurs la solution des problèmes — particuliers ou généraux — qui continuent de perturber la vie des peuples.

Beaucoup perçoivent ainsi la réalité actuelle. Les chiffres provenant des sources diverses indiquent une sérieuse augmentation des dépenses militaires qui se traduit par une production plus forte des différents types d'armement, à laquelle, selon des instituts spécialisés, correspond une nouvelle poussée du commerce des armes. Les moyens d'information ont concentré dernièrement une grande part de leur attention sur la recherche et l'usage à grande échelle des armes chimiques. Par ailleurs, de nouvelles armes nucléaires ont vu le jour.

Devant une assemblée aussi compétente que la vôtre, il n'est pas nécessaire d'exposer les chiffres que votre organisation elle-même a publiés à ce sujet. Qu'il me suffise, à titre indicatif, de citer l'étude selon laquelle le total des dépenses militaires de la planète correspond à une moyenne de cent dix dollars par personne et par an, ce qui, pour beaucoup d'habitants de cette même planète, représente le revenu dont ils disposent pour vivre durant la même période.

Face à cet état de choses, c'est bien volontiers que j'exprime ma satisfaction de ce que les Nations Unies se soient proposées à nouveau d'affronter le problème du désarmement et je suis reconnaissant de la possibilité qui m'est courtoisement offerte de vous adresser la parole à cette occasion.

Bien qu'il ne soit pas membre de votre organisation, le Saint-Siège a auprès d'elle, depuis un certain temps, sa propre mission permanente d'observation qui lui permet d'en suivre, jour après jour, les activités. Personne n'ignore combien mes prédécesseurs appréciaient vos travaux. J'ai moi- même eu l'occasion, notamment lors de ma visite au siège de l'ONU, de faire miennes leurs paroles d'estime à l'egard de votre organisation. Comme eux, j'en comprends les difficultés et, tout en exprimant le voeu que ses efforts soient récompensés par des résultats plus importants et meilleurs, je reconnais son rôle precieux et irremplaçable pour assurer au monde un avenir plus serein et plus pacifique.

C'est la voix de quelqu'un qui n'a pas d'intérêts, ni de pouvoirs politiques et encore moins de force militaire, que celle que votre courtoisie me consent de faire à nouveau résonner dans cette aula. Ici, où convergent pratiquement celles de toutes les nations, grandes et petites, ma parole porte en elle l'écho de la conscience morale de l'humanité à l'état pur, si vous me passez l'expression. Elle n'est pas accompagnée de préoccupations ou d'intérêts d'une autre nature, qui pourraient en voiler le témoignage et le rendre moins crédible.

Une conscience illuminée et guidée par la foi chrétienne, sans doute, mais qui n'en est pas pour autant moins profondément humaine, bien au contraire. C'est donc une conscience commune à tous les hommes de bonne et sincère volonté.

Ma voix se fait l'écho des angoisses, des aspirations, des espoirs et des craintes de milliards d'hommes et de femmes qui, de toutes les latitudes, regardent vers votre assemblée en se demandant s'il en surgira, comme ils l'espèrent, quelque lumière rassurante, ou bien une nouvelle et préoccupante déception. Sans en avoir reçu de tous le mandat, je crois pouvoir me faire l'interprète fidèle auprès de vous de ces sentiments qui sont les leurs.

Je ne veux ni ne puis entrer dans les aspects politiques et techniques du problème du désarmement tel qu'il se présente aujourd'hui, mais je me permettrai d'attirer votre attention sur quelques principes éthiques qui sont à la base de toute discussion et de toute décision souhaitable en ce domaine.


Le monde désire la paix

2. Mon point de départ s'enracine dans une constatation unanimement admise non seulement par vos peuples, mais aussi par les gouvernements que vous présidez ou représentez : le monde désire la paix, le monde a besoin de la paix.

De nos jours, refuser la paix ne signifie pas seulement provoquer les souffrances et les pertes que comporte — aujourd'hui plus que par le passé — une guerre, même limitée. Cela pourrait entraîner également la totale destruction de régions entières avec la menace possible ou probable de catastrophes aux proportions plus vastes encore, voire même universelles.

Les responsables de la vie des peuples semblent surtout engagés dans une recherche fébrile des voies politiques et des solutions techniques qui permettent de « contenir » les effets d'éventuels conflits. Tout en devant reconnaître les limites de leurs efforts dans ce sens, ils persistent dans ces voies tant est répandue la conviction qu'à long terme les guerres sont inévitables, et tant aussi, et surtout, le spectre d'une possible confrontation mulitaire entre les grands camps qui divisent le monde aujourd'hui continue à hanter le destin de l'humanité.

Certes, aucune puissance, aucun homme d'État n'admettra qu'il veuille projeter une guerre ou en prendre l'initiative. Cependant, la méfiance mutuelle fait croire ou craindre que d'autres nourrissent des desseins ou une volonté de ce genre, de sorte que chacun semble n'envisager d'autre solution possible, sinon nécessaire, que celle de préparer une force de défense suffisante pour répondre à une éventuelle attaque.


Le monde désire le désarmement

3. Beaucoup estiment même qu'une telle préparation constitue un chemin pour sauvegarder la paix, ou au moins pour empêcher le plus possible, et de la manière la plus efficace, le déclenchement des conflits, surtout des grands conflits qui en viendraient à comporter l'holocauste suprême de l'humanité et la destruction de la civilisation que l'homme a conquise laborieusement au cours des siècles.

Cela est encore, comme on le voit, la « philosophie de la paix énoncée dans le vieux principe romain : « Si vis pacem, para bellum ».

Traduite en termes modernes, cette « philosophie » a pris le nom de « dissuasion », et elle a revêtu les formes de la recherche d'un « équilibre des forces » qui, parfois, a été appelé, non sans raison, « équilibre de la terreur ».

Comme l'a relevé mon prédécesseur Paul VI : « La logique immanente à la recherche des équilibres de forces pousse chacun des adversaires à tenter de s'assurer une certaine marge de supériorité, de peur de se trouver en situation de désavantage. » (Message à l'Assemblée générale de l'ONU 24 mai 1978 : Insegnamenti di Paolo VI, XVI, 1978, p. 452.) (3)

Ainsi, pratiquement, la tentation est facile — et le danger toujours présent — de voir la recherche d'un équilibre se transformer en recherche d'une supériorité de nature à relancer de manière encore plus dangereuse la course aux armements.

Voilà, en réalité, la tendance qui semble continuer à prévaloir aujourd'hui, et peut-être même de façon encore plus accentuée qu'auparavant. Et vous vous êtes proposé, comme but spécifique de cette Assemblée, de rechercher comment il serait possible de renverser cette tendance.

Ce but peut paraître encore, pour ainsi dire « minimaliste », mais il est d'une importance fondamentale, car seul un semblable revirement peut faire espérer que l'humanité s'engagera sur la voie qui mène au but si désiré de tous, même si beaucoup le considèrent toujours comme une utopie : un désarmement total, mutuel et entouré de telles garanties d'un contrôle effectif qu'elles donnent à tous la confiance et la sécurité nécessaires.

Ainsi, cette session exraordinaire reflète encore une autre constatation. De même que la paix, le monde désire le désarmement. Le monde a besoin du désarmement.

D'ailleurs, tout le travail accompli au sein du Comité de désarmement, dans différentes commissions ou sous-commissions et au sein des gouvernements, de même que l'attention prêtée par le public attestent du poids qu'on donne de nos jours à la difficile question du désarmement.

La convocation même de cette réunion porte en soi un jugement : les nations du monde sont déjà surarmées et par trop engagées dans des politiques qui renforcent cette tendance. Implicitement un tel jugement inclut la conviction que cette tendance est erronée et que les nations du monde engagées sur oette voie ont besoin de repenser leur position.

Mais la situation est complexe et de nombreuses valeurs — dont certaines de plus haut niveau — entrent en jeu. Des points de vue divergents peuvent être exprimés. Il faut donc affronter les problèmes avec réalisme et honnêteté.

C'est pourquoi, d'abord je prie Dieu afin qu'Il vous accorde la force de l'esprit et la bonne volonté requises pour acomplir votre tâche et faire avancer autant que faire se peut la cause de la paix, but ultime de tous vos efforts durant cette session extraordinaire. Ainsi donc ma parole est une parole d'encouragement et d'espérance. Encouragement à ne pas laisser vos énergies s'affaiblir par la complexité des questions ou par les échecs du passé et du présent. Parole d'espérance parce que nous savons que seuls les hommes d'espérance sont à même d'avancer patiemment et tenace- ment vers les buts dignes des meilleurs efforts et vers le bien de tous.

4. Peut-être que de nos jours, aucune question ne touche autant d'aspects de la condition humaine que celle des armements et du désarmement. Elle comporte des aspects scientifiques et techniques, des aspects sociaux et économiques. Elle inclut aussi de graves problèmes de nature politique qui touchent les relations entre États et entre peuples. Nos systèmes mondiaux d'armements influencent en outre dans une grande mesure les développements culturels. Couronnant le tout, interviennent les questions spirituelles qui regardent l'identité même de l'homme et ses choix pour le futur et pour les générations à venir.

En vous offrant mes réflexions, j'ai présentes à l'esprit toutes ces dimensions techniques, scientifiques, sociales, économiques, politiques et surtout éthiques, culturelles et spirituelles.

(3)DC, 1978, n° 1745, p. 602.


L'enseignement de l'Église

5. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le début de l'âge atomique, le Saint-Siège et l'Église catholique ont eu une attitude très claire. L'Église a continuellement cherché à contribuer à la paix et à construire un monde qui n'ait pas à recourir à la guerre pour régler les différends. Elle a encouragé à maintenir un climat international de confiance mutuelle et de coopération. Elle a appuyé les structures susceptibles d'assurer la paix. Elle a rappelé les effets désastreux de la guerre. À mesure qu'augmentaient les moyens de destruction meurtrière, elle a relevé les dangers ainsi encourus et, au-delà des dangers immédiats, elle a indiqué les valeurs à cultiver pour développer la coopération, la confiance mutuelle, la fraternité et la paix.

Déjà, en 1946, mon prédécesseur le Pape Pie XII se référa à la « puissance des nouveaux instruments de destruction » qui ramenaient le problème du désarmement au centre des discussions internationales avec des aspects complètement nouveaux. (Message au Collège des cardinaux, 24 décembre 1946.) (4).

Les Papes successifs et le Concile Vatican II poursuivirent la réflexion en l'adaptant au contexte des nouveaux armements et du contrôle des armements. Si les hommes se penchaient sur cette tâche avec bonne volonté et s'ils avaient dans leur coeur et dans leurs plans la paix comme objectif, les mesures adéquates pourraient être trouvées, les structures appropriées élaborées pour assurer la légitime sécurité de chaque peuple dans le respect mutuel et la paix, alors les arsenaux de la peur et de la menace de mort deviendraient superflus.

L'enseignement de l'Église catholique est donc clair et cohérent. Il déplore la course aux armements, il demande tout au moins une progressive réduction mutuelle et vérifiable ainsi que de plus grandes précautions contre les possibles erreurs dans l'usage des armes nucléaires. En même temps, l'Église réclame pour chaque nation le respect de l'indépendance, de la liberté et de la légitime sécurité.

Je désire vous assurer de la préoccupation constante de l'Église catholique et des efforts qu'elle ne cessera pas de déployer tant que les armements ne seront pas entièrement maîtrisés, la sécurité de toutes les nations garantie, et tant que les coeurs de tous les hommes ne seront pas gagnés aux choix éthiques qui garantiront une paix durable.

(4)DC, 1947, n° 981, col. 5-6.


Les mouvements pour la paix

6. J'en viens maintenant au débat qui vous occupe, au sujet duquel il faut reconnaître en premier lieu qu'aucune composante des affaires internationales ne peut être considérée isolément et séparément des multiples intérêts des nations. Cependant, un compte est de reconnaître l'interdépendance des questions, un autre est de les exploiter pour en tirer avantage sur un autre plan. Les armements, les armes nucléaires et le désarmement sont trop importants en eux-mêmes et pour le monde pour qu'ils deviennent simplement partie d'une stratégie qui en exploiterait l'importance intrinsèque en faveur d'une politique ou d'autres intérêts.

7. Il est donc important de dûment considérer, avec la prudence et l'objectivité qu'elles méritent, chacune des propositions sérieuses visant à contribuer au désarmement réel et à créer un meilleur climat. Même de petits pas ont une valeur qui va au-delà de leur aspect matériel et technique. Quel que soit le domaine envisagé, nous avons besoin aujourd'hui de perspectives nouvelles et de disponibilité d'écoute respectueuse et d'accueil attentif aux suggestions honnêtes de tous ceux qui s'occupent avec responsabilité d'affaires aussi controversées.

À ce propos, surgit ce que j'appellerais le phénomène de la rhétorique. Un domaine aussi tendu et gros d'autant d'inévitables dangers ne peut laisser place à aucune espèce de discours forcés ou de positions provocatrices. La complaisance dans la rhétorique, dans le vocabulaire enflammé et passionné, dans les menaces voilées et les contremenaces et dans les manoeuvres déloyales ne peut qu'exacerber l'acuité d'un problème qui requiert un examen sobre et attentif. D'autre part, les gouvernements et leurs responsables ne peuvent conduire les affaires des États indépendamment des voeux de leurs peuples. L'histoire des civilisations nous offre des exemples effrayants de ce qui se passe quand cette expérience est tentée. Or, les craintes et les préoccupations de nombreux groupes dans différentes parties du monde révèlent que les gens sont de plus en plus effrayés à la pensée de ce qui arriverait si des irresponsables déclenchaient une guerre nucléaire.

Ainsi, un peu partout, des mouvements pour la paix se sont développés. En plusieurs pays, ces mouvements, devenus extrêmement populaires, sont soutenus par une partie croissante de citoyens de couches sociales différentes, de tous âges et de formations diverses, spécialement de jeunes. Les fondements idéologiques de ces mouvements sont multiples. Leurs projets, leurs propositions, leurs politiques varient grandement et peuvent maintes fois prêter le flanc à des instrumentalisations partisanes. Mais au-delà de ces divergences de formes, il y a un désir de paix, profond et sincère.

Aussi ne puis-je que m'associer à votre projet d'appel à l'opinion pour que naisse une véritable conscience universelle des risques terribles de la guerre, conscience qui entraînera à son tour un esprit de paix généralisé.


La négociation

8. Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l'équilibre, non certes comme une fin en soi mais comme une étape sur la voie d'un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable.

Toutefois, pour assurer la paix, il est indispensable de ne pas se contenter d'un minimum toujours grevé d'un réel danger d'explosion.

Que faire alors ? En l'absence d'une autorité supranationale telle qu'elle fut déjà souhaitée par le Pape Jean XXIII dans son Encyclique Pacem in terris et que l'on avait espéré trouver dans l'Organisation des Nations Unies, l'unique solution réaliste devant la menace de guerre reste encore la négociation. Ici, j'aime à vous rappeler une parole de saint Augustin que j'ai déjà citée autrefois : « Tuez la guerre par les paroles des tractations, mais ne tuez pas les hommes par l'épée. » Aujourd'hui encore, je réaffirme devant vous ma confiance dans la force des négociations loyales pour parvenir à des solutions justes et équitables. Ces négociations exigent patience et constance et doivent notamment viser à une réduction des armements équilibrée, simultanée et internationalement contrôlée.

Plus précisément encore, l'évolution en cours semble porter à une interdépendance croissante des types d'armements. Comment dans ces conditions envisager une réduction équilibrée, si les négociations ne couvrent pas l'ensemble des armes ? À cet égard, la poursuite de l'étude du « programme global de désarmement », que votre Organisation a déjà entreprise, pourrait faciliter la nécessaire coordination des différents forums et apporter aux résultats plus de vérité, d'équité et d'efficacité.


Les ventes d'armes

9. En fait, les armes nucléaires ne sont pas les seuls moyens de guerre et de destruction. La production et la vente d'armes conventionnelles à travers le monde sont un phénomène réellement alarmant et, semble-t-il, en plein essor. Des négociations sur le désarmement ne sauraient être complètes si elles ignoraient le fait que 80 % des dépenses en armement sont consacrés aux armes conventionnelles. Par ailleurs leur trafic semble se développer à un rythme croissant et s'orienter de préférence vers les pays en voie de développement. Chaque pas franchi et toute démarche entreprise pour limiter cette production et ce trafic et les soumettre à un contrôle toujours plus effectif est une significative contribution à la cause de la paix.

De récents événements ont confirmé la puissance destructive des armes conventionnelles et les regrettables conditions auxquelles se condamnent les États tentés d'y recourir pour régler leurs différends.


Le développement des technologies

10. Mais la considération des aspects quantitatifs des armements tant nucléaires que conventionnels n'est pas suffisante. Une attention tout à fait spéciale doit être portée à leur perfectionnement, poursuivi grâce à des technologies nouvelles des plus avancées, car c'est bien là une des dimensions essentielles de la course aux armements. L'ignorer conduirait à se leurrer et à n'offrir aux hommes désireux de paix qu'un trompe-l'oeil.

La recherche et la technologie doivent toujours être mises au service de l'homme. De nos jours, on en use et en abuse trop fréquemment à d'autres fins. M'adressant, le 2 juin

1980, aux hommes de science et de culture de l'Assemblée de l'Unesco, j'avais amplement développé ce thème. Aujourd'hui encore qu'il me soit permis de suggérer au moins qu'un pourcentage non indifférent des fonds affectés à la technologie et à la science des armements soit réservé au développement de mécanismes et de dispositifs garantissant la vie et le bien-être des hommes.


Les liens entre les peuples

11. Dans son discours à l'Organisation des Nations Unies, le 4 octobre 1965, le Pape Paul VI énonça une profonde vérité lorsqu'il déclara : « La paix ne se construit pas seulement au moyen de la politique et de l'équilibre des forces et des intérêts. Elle se construit avec l'esprit, les idées, les oeuvres de la paix. » Les produits de l'esprit, les idées, les produits de la culture et les forces créatives des peuples sont destinés à être partagés. Les stratégies de paix qui en restent au nuveau technique et scientifique, qui déterminent des équilibres et vérifient des contrôles n'assureront une vraie paix que lorsque se seront forgés et renforcés des liens entre les peuples. Établissez des liens qui unissent les peuples ensemble. Donnez-vous les moyens qui amènent les peuples au partage de leurs cultures et de leurs valeurs. Abandonnez tous les intérêts mesquins qui livrent une nation à la merci d'une autre au plan économique, social ou politique.

Dans ce même esprit, les travaux d'experts qualifiés relevant le rapport entre désarmement et développement méritent d'être étudiés et suivis d'actions. Il n'est pas nouveau d'envisager le transfert de ressources financières consacrées au développement des armes, vers le développement des peuples, mais l'idée ne perd pas pour autant de son actualité et le Saint-Siège l'a faite sienne depuis longtemps. Toute résolution de l'Assemblée genérale en ce sens recevrait partout l'approbation et l'appui des hommes et des femmes de bonne volonté.

L'établissement de liens entre les peuples signifie la redécouverte et la réaffirmation de toutes les valeurs qui renforcent la paix et qui unissent les peuples dans l'harmonie, il signifie également le renouveau du meilleur du coeur de l'homme, qui est à la recherche du bien des autres dans la fraternité et l'amour.


Les armements et la crise éthique

12. Je voudrais ajouter une dernière considération : la production et la possession d'armements sont la conséquence d'une crise éthique qui ronge la société dans toutes ses dimensions, politique, sociale et économique. La paix, je l'ai répété plusieurs fois, est le résultat du respect des principes éthiques. Le vrai désarmement celui qui garantira la paix entre les peuples, n'adviendra qu'avec la résolution de cette crise éthique. De sorte que si les efforts de réduction des armements, puis de désarmement total, ne sont pas accompagnés parallèlement d'un redressement éthique, ils sont voués d'avance à l'echec.

Essayer de remettre notre monde à l'endroit, en éliminer la confusion des esprits engendrée par la pure recherche des intérêts et des privilèges ou par la défense de prétentions idéologiques, telle est la tâche absolument prioritaire si l'on veut parvenir à progesser dans la lutte pour le désarmement. Sinon, on en restera aux faux-semblants.

Car la vraie cause de notre insécurité se trouve dans une crise profonde de l'humanité. Il vaut la peine, grâce à la sensibilisation des consciences, à l'absurdité de la guerre, de créer les conditions matérielles et spirituelles qui diminueront les inégalités criantes et qui redonneront à tous un minimum d'espace pour la liberté de l'esprit.

La cohabitation des nantis et des démunis ne peut plus être supportée dans un monde où la communication est aussi rapide que généralisée, sans que naisse le ressentiment et qu'il tourne à la violence. Par ailleurs, l'esprit a aussi ses droits primordiaux et inaliénables, c'est à juste titre qu'il les réclame dans les pays où l'espace lui manque pour vivre sereinement selon ses propres convictions. J'invite tous les combattants pour la paix à s'engager dans cette lutte pour l'élimination des vraies causes de l'insécurité des hommes, dont la terrible course aux armements est l'un des effets.

La paix est possible

13. Renverser la tendance actuelle de la course aux armements comprend donc une lutte parallèle sur deux fronts : d'une part, une lutte immédiate et urgente des gouvernements pour réduire progressivement et équitablement les armements, d'autre part, une lutte plus patiente, mais non moins nécessaire, au niveau de la conscience des peuples pour s'en prendre à la cause éthique de l'insécurité génératrice de violence, à savoir les inégalités matérielles et spirituelles de notre monde.

Sans préjugés d'aucune sorte, unissons toutes nos forces rationnelles et spirituelles d'hommes d'État de citoyens, de responsables religieux pour tuer la violence et la haine et rechercher les chemins de la paix.

La paix est le but suprême de l'activité des Nations Unies. Elle doit être celui de tous les hommes de bonne volonté. Malheureusement, de nos jours encore, de tristes réalités assombrissent l'horizon de la vie internationale et causent tant de souffrances, de destructions et de préoccupations qui pourraient faire perdre à l'humanité tout espoir d'être en mesure de maîtriser son propre avenir dans la concorde et la collaboration des peuples. Malgré la douleur qui envahit mon âme, je me sens autorisé, voire obligé, de réaffirmer solennellement devant vous comme devant le monde ce que mes prédécesseurs et moi-même avons répété plusieurs fois au nom de la conscience, au nom de la morale, au nom de l'humanité et au nom de Dieu.

La paix n'est pas une utopie, ni un idéal inaccessible, ni un rêve irréalisable.

La guerre n'est pas une calamité inévitable.

La paix est possible.

Et parce qu'elle est possible, la paix est un devoir. Un devoir très grave. Une responsabilité suprême.

La paix est difficile, certes, et elle exige beaucoup de bonne volonté, beaucoup de sagesse, de ténacité. Mais l'homme peut et doit faire prévaloir la force et la raison sur les raisons de la force.

Ma dernière parole est donc encore une parole d'encouragement et d'exhortation. Et comme la paix, confiée à la responsabilité des hommes, reste quand même un don de Dieu, elle se traduit aussi en prière à celui qui a dans ses mains les destinées des peuples.

Je vous remercie de l'activité que vous déployez pour faire progresser la cause du désarmement : désarmement des engins de mort et désarmement des esprits.

Que Dieu bénisse vos efforts.

Et que cette Assemblée puisse rester dans l'histoire comme un signe de réconfort et d'espérance.

Du Vatican, le 7 juin 1982,

IOANNES PAULUS PP. II




Discours 1982 - Discours aux chefs des églises chrétiennes, Edimbourg 1er juin