Discours 1982 - Mardi, 15 juin 1982

AUX DÉLÉGUÉS DES TRAVAILLEURS

Mardi, 15 juin 1982




Chers amis,

Votre groupe est, dans cette enceinte, un signe d’espérance. Votre présence contribue à faire de cette institution un instrument remarquable entre tous, exprimant la volonté et la possibilité d’une collaboration commune et d’une réconciliation de tous les hommes, dans la dignité et la recherche de la justice pour tous.

L’histoire du mouvement ouvrier témoigne d’une façon émouvante des efforts tenaces de vos aînés qui ne se sont pas résignés à une “misère immérité”, comme osait l’écrire Léon XIII, mais qui ont voulu, par solidarité et fraternité avec leurs compagnons de travail, permettre aux plus défavorisés d’accéder à une digne subsistance, pour eux et pour leurs familles, et qui ont, sur ce point, fait progresser la conscience morale de l’humanité. Et vous savez que cette volonté de justice correspond aux enseignements des grandes encycliques sociales et, pour reprendre l’expression d’Albert Thomas, au “grand mouvement issu, au sein de l’Eglise catholique, de l’encyclique “Rerum Novarum”.

Ce matin, j’ai parlé d’élargir sans cesse la solidarité à l’ensemble de ceux qui participent à la réalité du travail humain, donc aux autres travailleurs, aux autres groupes sociaux, aux autres pays. Devant vous, je me permets de solliciter un souci prioritaire pour les plus pauvres, les plus démunis. En beaucoup de vos pays, des progrès remarquables ont été réalisés, il faut l’avouer et s’en féliciter, pour relever la condition des travailleurs en de nombreux secteurs. Mais il y a tous ceux qui constituent ce que l’on appelle le “quart monde” de la pauvreté et de la marginalisation, dans la périphérie des villes ou à la campagne. Luttez pour une politique qui rende effectif votre désir de promouvoir le développement matériel et le progrès spirituel de tous les travailleurs et de leurs familles, et donc des plus déshérités.

Le leit-motiv qui revient à bon droit ici est celui de la justice sociale. Pour les croyants que je représente, cette solidarité s’enracine dans l’amour. Nous invitons nos frères et tous les hommes de bonne volonté à travailler à la réconciliation des hommes, en excluant l’indifférence aux pauvres, la discrimination envers les faibles et la haine de ce qui est différent. Puisse cet esprit, inséparable de la justice, inspirer le nouvel ordre social que nous souhaitons tous!

Pour bien des raisons, d’abord à cause de l’exemple de Jésus, artisan de Nazareth, à cause peut-être aussi de mon expérience passée, j’aime rendre visite aux travailleurs, dans leur pays. Je l’ai fait en Italie, à Terni, à Livorno, a Saint-Denis, en France, au Brésil, au Portugal, etc. Aujourd’hui, je suis très heureux de vous saluer comme représentants des travailleurs et des organisations de travailleurs de tant de pays! Que Dieu bénisse vos personnes, vos familles et tous vos amis!



AUX DÉLÉGUÉS DES EMPLOYEURS

Mardi, 15 juin 1982




Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de pouvoir m’adresser à vous personnellement. Votre participation aux travaux de cette Organisation montre qu’il est possible de parler de réconciliation et de collaboration entre les groupes sociaux, à la recherche solidaire d’une plus grande justice.

Là encore, le chemin parcouru est un gage d’espérance. Votre présence dans cette enceinte n’allait pas de soi pour tous quand l’OIT fut fondée. Mais les premiers employeurs qui vinrent aux sessions de la Conférence Internationale du Travail acceptèrent librement de définir les mécanismes juridiques d’une collaboration permanente et de plus en plus poussée avec toutes les forces sociales. Vous êtes les héritiers de ces pionniers. Et aujourd’hui, la plupart des organisations patronales veulent bien voir dans la participation organique de toutes les composantes de la vie économique et sociale un gage de progrès et de paix pour l’ensemble de la société.

Vos responsabilités d’employeurs, aujourd’hui, restent capitales et sans doute de plus en plus complexes. Je pense aux difficultés économiques que la concurrence et la crise font courir à vos entreprises, ce qui requiert de vous un surcroît d’imagination, de rigueur de gestion et de courage.

Vous avez eu le privilège d’accéder à la liberté d’entreprendre et de décider, qui est si importante pour la dignité de l’homme; vos organisations professionnelles peuvent être un espace de liberté dans la société industrielle moderne o elles sont comme des “corps intermédiaires” qui contribuent à protéger les individus contre la domination envahissante de l’Etat et de la bureaucratie économique. La société se doit de bien reconnaître le service des entrepreneurs.

Mais ces avantages entraînent pour vous de grandes responsabilités. Votre fonction sociale doit de plus en plus s’articuler sur d’autres droits, tout en tenant compte des dépendances réciproques de ce que j’appelais dans mon encyclique l’“employeur indirect”. On attend de vous que vous fassiez le maximum pour créer ou maintenir des emplois, dans des conditions de travail et de participation qui correspondent aux justes requêtes des travailleurs d’aujourd’hui, selon aussi les possibilités de chaque pays. Car le critère, comme je le disais ce matin, est que le travail serve l’homme, et que toute l’économie demeure au service de l’homme, et non l’inverse.

La participation organique que vous avez assumée ici, aux côtés des délégués gouvernementaux et des travailleurs, vous met sur la bonne voie. J’apprécie le mérite de vos efforts, et le mérite de beaucoup d’autres employeurs que vous représentez ici, étant donné le défi qui leur est lancé. Je demande à Dieu de vous inspirer et je le prie de bénir vos personnes, vos familles et tous ceux qui vous sont chers.



AUX REPRÉSENTANTS DES GOUVERNEMENTS

Mardi, 15 juin 1982



Mesdames, Messieurs,

Votre groupe a un rôle délicat au sein de l’Organisation Internationale du Travail, puisque vous représentez les gouvernements, lesquels ont une responsabilité décisive dans l’application des mesures adoptées ici. Je suis heureux de vous rencontrer, et de saluer à travers vous chacune de vos nations.

En somme, c’est, au sens noble du mot, la “politique” du travail que vous cherchez à faire progresser: comment garantir aux hommes un emploi et des conditions de travail qui leur permettent de vivre décemment, de développer leurs capacités, en même temps que le bien-être et la prospérité de leur pays; et, par ce biais, contribuer à résoudre les problèmes aigus du chômage, de la pauvreté, de la faim.

Vos gouvernements s’y emploient, bien sur, en chacun de vos pays, par un ensemble de mesures et de lois adaptées à la situation, et tributaires aussi des systèmes politiques ou économiques en vigueur. C’est d’ailleurs malaisé, car les problèmes économiques, sociaux et culturels sont difficiles à bien connaître et à maîtriser.

Mais il est de plus en plus une dimension internationale à tous ces problèmes, comme je le soulignais ce matin, et il vous faut inventer ensemble, avec les employeurs et les travailleurs de tous les pays, les mécanismes juridiques qui dépassent vos préoccupations personnelles ou nationales et qui permettront à tous les peuples d’avancer sur la voie d’une solidarité effective et d’une plus grande justice. Et je souhaite qu’on trouve les moyens de faire respecter avec autorité ce nouvel ordre social international. Ce serait d’ailleurs logique, car quel est le gouvernement qui n’ose placer sous le signe de la justice une partie essentielle de son programme? Pour ma part, je vous réitère tous mes encouragements.

Je sais que parmi vous sont présents également des représentants des Organismes spécialisés des Nations Unies, qui travaillent ici de façon permanente pour faire progresser dans le monde entier les conditions de sécurité, de liberté, de paix, de santé. Je les encourage pareillement.

Que Dieu vous éclaire et vous fortifie tous dans ce service! Je lui-récommande de grand coeur vos personnes, vos familles et vos patries. Et j’essaierai maintenant de vous saluer personnellement.




AUX MEMBRES DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL (BIT)

Mardi, 15 juin 1982

Après les discours au Palais des Nations, le Pape s'est rendu dans un édifice voisin pour une rencontre avec les fonctionnaires du Bureau International du Travail, à qui il a adressé le discours suivant (1) :

(l) Texte distribué par la Salle de presse.

Mesdames, Messieurs,

1. C’est très volontiers que j'ai acueilli le projet de cette rencontre particulière avec vous, car elle me donne la possibilité d’établir un dialogue plus personnel sur le sens et la valeur de votre travail au service de la grande cause de la justice sociale.

Je voudrais tout d’abord vous dire combien j’apprécie votre profession de fonctionnaires internationaux oeuvrant pour cette prestigieuse institution qu’est le Bureau International du Travail. A travers vos personnes, j’adresse mes salutations et je rends hommage à tous les spécialistes de l’activité en faveur de la justice sociale internationale. L’exercice de votre profession requiert une synthèse harmonieuse de qualités humaines, de préparation spécifique, de compétence professionnelle, d’expérience, de collaboration constructive et désintéressée, le tout orienté vers un idéal de justice et de paix. Si toute fonction reçoit son sens et sa valeur du but vers lequel elle est tournée, la vôtre est sans aucun doute fort noble. Je souhaite que l’austérité inhérente à ce travail de bureau, assez complexe et dont parfois vous ne connaissez que des aspects partiels, n’émousse jamais en vous cet idéal de justice sociale qui a présidé à la fondation de l’Organisation Internationale du Travail et qui a été celui de générations de personnes passionnées d’équité, de paix, de dévouement à l’homme. Comment ne pas évoquer ici la figure d’Albert Thomas, le premier Directeur général du BIT, dont on commémore cette année le cinquantième anniversaire de la mort?

2. En tant que fonctionnaires internationaux, la justice que vous avez à promouvoir est un bien commun international, qui n’est pas la somme des biens particuliers, mais un ensemble de conditions essentielles pour le développement de tout homme et pour la vie ordonnée et pacifique des peuples. Quels que soient les problèmes de vos pays d’origine, il vous est demandé de cultiver l’esprit d’ouverture, de synthèse universelle, de vous élever à un niveau supérieur qui cherche la justice pour tous et toute la justice. Il vous faut tenir compte de la réalité complexe et du bien réel des personnes et des groupes envisagés, au-delà des intérêts de tel ou tel groupe, au-delà des seuls objectifs économiques et politiques, au-delà aussi des conceptions unilatérales ou fragmentaires de l’idéologie ou de certaines sciences. Voilà pourquoi, entre autres, il est bon que vous formiez un corps permanent de fonctionnaires internationaux qui aient un sens aigu de ce bien commun international et qui le communiquent à ceux dont les vues se limitent à un horizon moins large. Vous ouvrez des perspectives. Dans l’étude des questions, vous faites ressortir des aspects qui risquent de passer inaperçus ou d’être minimisés. Avec sagesse, vous vous appliquez à harmoniser des intérêts divergents et à débloquer des oppositions paralysantes. N’est-ce pas là une tâche d’une importance primordiale?

3. Dans votre profession, vous êtes constamment confrontés à des conceptions, à des systèmes, à des regroupements qui ont des aspects complémentaires certes, mais aussi parfois opposés. Cette situation vous met dans la nécessité d’appliquer la méthode de la concertation et de la collaboration entre plusieurs, qui répond d’ailleurs à la complexité de notre société. La recherche d’une plateforme d’entente et d’un dénominateur commun ne devrait toutefois pas procéder d’une sorte d’agnosticisme neutre, mais plutôt de la volonté de rejoindre une vérité objective supérieure, au-dessus des idéologies réductrices qui servent des blocs égoïstes. Le combat pour la justice sociale est digne de ce nom lorsqu’il est un combat pour la vérité de l’homme, inspiré par l’amour pour l’homme sans discriminations.

4. Le christianisme s’insère dans ce contexte avec son apport historique et sa contribution originale. Albert Thomas l’avait bien compris puisque, tout en appartenant à un mouvement social différent, il fit appel, dès le début, aux forces d’inspiration chrétienne pour réaliser son grand dessein de justice internationale.

L’Eglise et les chrétiens considèrent qu’il est de leur devoir d’apporter, en toute loyauté et dans un esprit de collaboration fraternelle, leur vision des choses et leur ardeur à la construction d’un ordre économique international fondé sur la justice et animé par l’amour. Selon leur conception, ils mettent l’homme à la première place, comme je le disais ce matin: oui, l’homme considéré comme sujet, centre et fin de toute l’activité économique. Dans leur témoignage et dans leur engagement, ils cherchent, à l’exemple de leur Maître, à privilégier les pauvres et les pays en voie de développement. C’est pourquoi je souhaite que la collaboration entre l’OIT et l’Eglise, qui a déjà sa tradition, s’intensifie toujours davantage et porte les meilleurs fruits pour le bien de la société internationale.

5. A tous ceux qui ont bien voulu m’accueillir ici et m’écouter, j’exprime ma vive gratitude et mes souhaits cordiaux: d’abord pour la sérénité de leur travail et l’efficacité de leurs efforts au Bureau International du Travail; pour que se poursuive aussi l’esprit de coordination, et j’ose dire de fraternité, entre tous ceux qui travaillent dans cette Maison; et pour tous ceux qui vous sont chers. Je pense ici à vos familles, à vos chers enfants que je suis heureux de saluer maintenant. A ces jeunes, je souhaite de grandir dans la joie et l’esprit de service, avec l’enrichissement et l’ouverture que peut procurer la fréquentation de ces milieux internationaux de Genève, et je dirais, dans l’amitié de Dieu qui n’est jamais loin de chacun d’entre nous.

Que Dieu vous comble tous de ses bénédictions!



AUX REPRÉSENTANTS DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES CATHOLIQUES (OIC)

Mardi, 15 juin 1982



Chers Frères et Soeurs,

1. Je suis heureux de saluer à Genève, comme je l’ai fait ailleurs, à New York et à Paris par exemple, les représentants des Organisations internationales catholiques et les membres du Centre de Coordination. Je remercie spécialement le Président de la Conférence des OIC pour son adresse d’accueil et pour les convictions qui l’animent.

Les Organisations Internationales dans la mouvance de l’ONU - est-il besoin de le redire à Genève et devant vous qui en êtes bien convaincus? - poursuivent, au niveau de la communauté des nations, un travail très important de confrontation et de collaboration pour aboutir à des conventions, à des recommandations, à des actions très utiles au sort des peuples, en matière de droits de l’homme, de justice sociale, d’hygiène, etc.

Même s’il s’agit d’instruments imparfaits et pas toujours assez efficaces, aux résultats non exempts de critiques, l’Eglise a beaucoup d’estime, vous le savez, pour les buts humanitaires de chacune de ces Institutions, et elle y voit un chemin obligé de l’humanité à la recherche de son unité. Ma visite de ce matin à l’Organisation Internationale du Travail en témoigne suffisamment, mais je n’oublie pas non plus le siège genevois de l’ONU, et les diverses Institutions spécialisées dont j’ai rencontré tout à l’heure les directeurs.

2. L’Eglise fait donc confiance aux hommes qui en sont responsables, selon leur propre conscience, et elle ne ménage pas ses encouragements pour le progrès éthique que cela peut représenter. Elle souhaite évidemment que les chrétiens, que ses fils catholiques, comprennent l’enjeu d’une telle oeuvre et y apportent leur collaboration personnellement, avec toute la compétence voulue et le sens chrétien des réalités de ce monde.

C’est pourquoi j’ai eu plaisir à saluer tout à l’heure les membres du groupe catholique des Organisations internationales car je pense que ce regroupement les soutient dans leur foi et leur amitié, tout en les aidant à mieux assumer personnellement, en laïcs chrétiens, leur responsabilité dans le service international qui est le leur.

Mais il est certain qu’une présence organique de l’Eglise revêt ici une importance primordiale.

Le Saint-Siège est présent, officiellement, par son Observateur permanent, et j’ai pu remercier, avec lui les collaborateurs de cette Mission permanente, qui, malgré leur petit nombre, accomplissent un précieux travail.

Mais, à un autre niveau, l’Eglise est présente par vous, représentants de OIC dont le témoignage et l’action, de style associatif, sont particulièrement importants auprès des Organisations internationales, où l’on vous reconnaît d’ailleurs le statut consultatif d’Organisations non gouvernementales. Plusieurs de ces OIC ont ici leur secrétariat général, d’autres au moins un représentant qualifié à Genève ou dans la région, chargé de suivre les activités des Nations Unies au nom de leur Organisation, et d’y prendre la parole.

3. Je ne puis nommer ces OIC, ni même évoquer la ligne d’action de chacune, car c’est très varié et complémentaire. Mais je voudrais vous apporter mes encouragements et mes souhaits, en vous assurant que, sans les OIC, il manquerait quelque chose à la vitalité féconde de l’Eglise et à sa mission apostolique et prophétique dans la société internationale contemporaine.

D’un mot je précise votre originalité. Que signifie la catholicité des OIC? Cela signifie qu’elles trouvent tout d’abord leur dynamisme vital dans les sources de l’Evangile vécu dans la communauté ecclésiale. En même temps, le qualificatif “catholique” met vos organisations en relation organique avec l’Eglise et son magistère. A ce titre, vous avez un lien particulier avec le Saint-Siège en tant qu’instrument de la mission de l’Evêque de Rome à l’égard de l’Eglise universelle.

Mais vous y occupez une place spécifique qui demande un engagement original. C’est ce que je définirais comme la phase de la médiation entre l’Evangile et la société contemporaine, entre l’Eglise universelle et la communauté des nations. Les OIC constituent, en raison même de leur existence et de leur présence, un élément de cette médiation, et pour ainsi dire une des charnières entre l’Eglise catholique et la société internationale, là où l’Eglise en tant que telle ne peut intervenir parce qu’il s’agit de domaines techniques et où vous, vous devez intervenir.

4. Cela, vous pouvez le réaliser parce que vos associations internationales de laïcs chrétiens vous permettent de réunir une somme considérable de réflexions chrétiennes, d’expériences et de forces, grâce à des apports venus de toutes les communautés ecclésiales, dans votre domaine spécialisé, et de les utiliser d’une façon responsable et libre auprès des organismes intergouvernementaux.

Je ne m’étends pas sur les multiples initiatives et interventions ponctuelles que vous pouvez évidemment avoir en face de projets précis. Mais je me permets d’ajouter qu’au-delà de cet engagement chrétien concret, ou plutôt pour le permettre, vos OIC pourraient être le lieu d’une réflexion approfondie, indispensable à une action d’envergure internationale, touchant par exemple une conception philosophique et juridique de la société internationale, une théorie et un mouvement éducatif au service de la paix, une éthique appliquée au nouvel ordre économique international et au dialogue Nord-Sud, une anthropologie chrétienne soutenant les droits de l’homme, la sauvegarde et le fonctionnement de la famille et des corps intermédiaires, l’intégration de la loi de charité dans la sphère des relations internationales, l’éducation de la conscience et de l’opinion internationale en divers domaines cruciaux, toutes choses qui demandent a la fois une adhésion très fidèle aux principes chrétiens et une expérience approfondie des domaines concrets d’application. Voilà un champ immense et exaltant ouvert à votre apostolat spécifique, à votre courage chrétien. Vous en feriez bénéficier les instances internationales, les autres OIC, avec leur Conférence, et le Saint-Siège lui-même.

5. Les OIC trouvent une information, un stimulant et un moyen de collaboration dans le Centre d’Information des Organisations Internationales Catholiques dont je tiens à remercier spécialement le responsable et tout le personnel. Je ne puis m’empêcher d’évoquer ici l’oeuvre du très regretté Père Henri de Riedmatten, longtemps Conseiller de cette équipe, puis Observateur permanent. Et je suis sur aussi que le témoignage de ce Centre a son importance auprès des autres Organisations non gouvernementales et même des grandes Organisations internationales à Genève.

6. Enfin, nous sommes les hôtes d’une paroisse sympathique, qui porte le nom de l’admirable saint et artisan de paix de la Suisse, saint Nicolas de Flüe. Je sais tout ce que font les responsables de cette paroisse pour donner la part qui convient à l’accueil, au culte, à l’éducation de la foi. Je sais que beaucoup de personnes de milieux internationaux s’y sentent à l’aise pour y trouver le soutien spirituel et amical qu’elles cherchent.

Je n’aurai pas le temps cette fois-ci de visiter d’autres paroisses de Suisse. Mais l’occasion se trouvera sûrement. Du moins, d’ici, puis-je rendre hommage à tous les pionniers du mouvement international catholique qui a connu en Suisse des initiatitives florissantes en plusieurs domaines.

Que le Seigneur éclaire vos esprits et dilate vos coeurs d’une charité sans frontières! Qu’il vous assiste dans votre travail, et le rende fructueux! Qu’il aide vos OIC à remplir le rôle ecclésial qu’on attend d’elles! Je vous bénis affectueusement, avec vos familles et ceux qui vous sont chers.




AU COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE

Mardi, 15 juin 1982




Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

1. Je vous remercie vivement des paroles que vous venez de prononcer concernant l’action du Saint-Siège et mes propres efforts. Et j’ai été très attentif à tout ce que vous avez dit de mon pays natal, du Salvador, du Moyen-Orient, du Liban, de la paix en général, car ce sont des situations qui tiennent particulièrement à coeur aux catholiques que je représente et elles demeurent très présentes à ma prière.

2. C’est pour moi une grande joie de saluer, au siège même du Comité international de la Croix-Rouge, les représentants qualifiés d’une Organisation envers laquelle l’humanité est si redevable! En effet, depuis sa fondation par Henri Dunant voici un peu plus d’un siècle, cette institution qui a germé dans le coeur de quelques citoyens suisses généreux a rencontré dans le monde entier un écho dont il convient de se féliciter.

Et à travers vos personnes, il plaît au Pape de rendre, à son tour, un vibrant hommage à tous les hommes et femmes de bonne volonté qui, dans le cadre de la Croix-Rouge, n’ont eu d’autre ambition que de servir, par humanité, leurs frères et soeurs qui souffraient à cause de l’inhumanité d’autres hommes, de conflits absurdes, ou de catastrophes naturelles.

Qui ne souscrirait par ailleurs aux principes fondamentaux de la Croix-Rouge, adoptés lors de sa vingtième Conférence, en particulier à l’engagement de “protéger la vie” et de “faire respecter la personne humaine” sans aucune discrimination, de favoriser “la compréhension mutuelle, l’amitié, la coopération et une paix durable entre tous les peuples”.

3. Sans doute l’esprit même qui animait le fondateur de la Croix-Rouge et ses premiers collaborateurs m’interdit de souligner trop longuement les nombreux bienfaits qui sont dus à l’initiative du Comité international de la Croix-Rouge, et ma pensée se porte aussi évidemment vers l’oeuvre admirable des Sociétés nationales de la Croix-Rouge, ainsi que vers leur fédération ou ligue internationale. La Croix-Rouge a apporté cette aide, au milieu de tant de guerres et de calamités, aux victimes civiles et militaires de conflits armés, aux blessés ou malades de tous les camps, comme aux réfugiés, aux prisonniers, aux familles dispersées, et ces jours ci specialement au Liban. Cet esprit, c’est celui de l’abnégation, lequel sait trouver sa récompense dans la conscience du service rendu, dans le dévouement qui parfois n’hésite pas devant le sacrifice suprême, et se manifeste fréquemment dans l’exécution de tâches obscures mais combien nécessaires.

En accomplissant ses missions de secours, de soins et de réconfort, en donnant l’impulsion nécessaire et en soutenant les initiatives locales, en restant fidèle au propos de neutralité qui a caractérisé l’intuition première des fondateurs, en proposant avec respect mais ténacité son intervention au coeur même des conflits, la Croix-Rouge s’est acquis une autorité morale dans le monde entier. Ainsi l’efficacité de votre action ne se limite-t-elle pas à la multiplicité des services rendus pour soulager toutes les souffrances physiques et morales rencontrées, mais la compréhension que les belligérants et les autorités publiques doivent normalement témoigner à votre mission - dans le respect des conventions - entraîne pour vous des devoirs moraux qui approfondissent encore le domaine où s’exerce votre responsabilité auprès des Etats et des organisations internationales. Oui, vous contribuez à développer le droit international humanitaire, dont vous cherchez toujours à étendre le champ d’application.

4. A ce propos, dans le cadre des droits de l’homme, je me permets d’insister encore sur la torture et les autres traitements inhumains. Les gouvernements adhérant aux quatre Conventions de Genève se sont d’ailleurs engagés à interdire de tels traitements et à autoriser les délégués de la Croix-Rouge à visiter les internés et à s’entretenir sans témoins avec les détenus. Je souhaite que, sur ce point aussi, vos missions soient acceptées dans tous les pays, pour éloigner cette plaie vive de l’humanité. Ainsi, avec vos moyens spécifiques, vous contribuez à instaurer le respect des droits fondamentaux de l’homme et de sa dignité, unissant d’ailleurs sans distinction tous ceux qui, croyant ou non, sont épris de cet idéal.

5. Dans ce service de l’homme, les chrétiens rejoignent facilement les buts et la pratique de la Croix-Rouge. Ils trouvent dans leur foi un stimulant et des motivations supplémentaires pour voir dans l’homme blessé, avili ou dans la détresse, un prochain à aimer et à secourir, quelle que soit son identité; bien plus, il y voient la figure même du Christ qui s’est identifié au prisonnier, au malade, à l’étranger, à l’homme dépouillé de tout. Combien de pages de l’Evangile prennent ici un relief saisissant, à commencer par la parabole du bon Samaritain! Et pour ce qui est de la torture, le chrétien est confronté dès son enfance avec le récit de la passion du Christ. Le souvenir de Jésus mis à nu, frappé, tourné en dérision jusque dans ses souffrances de l’agonie, devrait toujours lui faire refuser de voir un traitement analogue appliqué à l’un de ses frères en humanité. Spontanément, le disciple du Christ rejette tout recours à de tels moyens, que rien ne saurait justifier et où la dignité de l’homme est avilie chez celui qui est frappé comme d’ailleurs chez son bourreau.

6. L’Eglise catholique, pour sa part, se rencontre elle-même volontiers avec vos organisations. Durant les deux dernières guerres mondiales, par exemple, un travail concerté a été réalisé entre les initiatives de la Croix-Rouge et celles des organisations charitables catholiques. Cette collaboration s’est poursuivie pour assister les populations affamées par la guerre ou victimes des catastrophes naturelles, entre les diverses oeuvres soutenues par l’Eglise et le Comité international de la Croix-Rouge et les Sociétés de la Croix-Rouge. Les rapports sont déjà importants sur le terrain, et je me réjouis de ce que le Saint-Siège et le Comité international de la Croix-Rouge soient en train d’étudier des formes de collaboration plus amples dans les activités en faveur de la paix.

7. Enfin, pour parvenir aux buts qu’elle s’est assignés, la Croix-Rouge doit être assurée du respect des Conventions internationales et des Protocoles additionnels par les divers Etats, et les autorités auxquelles il appartient d’en faire appliquer les sages dispositions. Avec vous, j’adresse un pressant appel afin que soient sincèrement et scrupuleusement observées les lois humanitaires contenues dans ces Conventions et même qu’elles soient au besoin complétées par des instruments internationaux contre les traitements inhumains et la torture en particulier. Elles pourraient fournir de sérieuses garanties pour la sauvegarde physique et psychologique des victimes, et le respect qui leur est dû. Tout homme, partout, devrait pouvoir compter sur de telles garanties. Et c’est le devoir de chaque Etat, soucieux du bien des citoyens, d’y souscrire sans réserve, et d’avoir à coeur de les faire passer en actes.

8. Heureux d’avoir pu vous exprimer mon estime et mes encouragements à poursuivre l’oeuvre entreprise, je prie Dieu, le Dieu “riche en miséricorde”, de bénir tous ceux qui, dans les services de la Croix-Rouge, à l’instar de la charité chrétienne, savent manifester aux personnes en détresse, et entraîner à leur endroit, un respect et un dévouement efficace qui humanisent notre monde tourmenté et déchiré. Et je le prie d’inspirer de tels sentiments à un nombre croissante de nos contemporains. Puisse l’humanité écouter davantage l’appel qui a si fortement ému Henri Dunant: “Nous sommes tous frères”!




AU CENTRE DE L'ORGANISATION EUROPÉENNE POUR LA RECHERCHE NUCLÉAIRE (CERN)

Mardi, 15 juin 1982




Monsieur le Directeur général, Mesdames, Messieurs, et chers amis,

1. Je me sens honoré de vous rendre visite aujourd’hui. Et je vous exprime toute ma gratitude pour votre invitation et pour votre accueil en ce Centre de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Oui, je suis très heureux de vous rencontrer, vous et vos familles.

Les choses prodigieuses que vous venez de me montrer et de m’expliquer me font comprendre mieux encore la fonction essentielle du CERN, depuis bientôt trente ans: celle de mettre à la disposition des savants - ils sont, je crois, plus de deux mille, provenant de cent quarante universités ou laboratoires nationaux - des installations de recherche en physique des particules qui ne sauraient être obtenues au moyen des seules ressources nationales de chaque pays. Le CERN est ainsi le principal centre européen de recherche fondamentale sur la composition de la matière, et prend place parmi les plus grands centres du monde en ce domaine.

2. Ce qui vous caractérise avant tout, c’est que vous êtes des chercheurs. Ce qui vous réunit, chercheurs et techniciens, c’est votre compétence au service d’une cause totalement désintéressée: la recherche pure, dans le seul but de faire avancer la connaissance scientifique. Vous le faites grâce aux instruments de très haute performance qui sont à votre entière disposition, notamment les accélérateurs de particules et les anneaux de stockage à intersections; mais ce qui vous guide, c’est la passion de la découverte.

3. Ce noble idéal de la recherche scientifique, vous le poursuiviez en commun.Aujourd’hui, en un domaine qui demande tant d’instruments, tant de compétences et une telle somme de données informatiques, il ne saurait sans doute en être autrement. On n’imagine plus de chercheurs isolés. Mais je crois pouvoir souligner la large participation, l’attitude de collaboration, l’esprit d’ouverture qui marquent spécialement l’atmosphère de travail du CERN et l’honore grandement. Même le site de votre laboratoire est situé symboliquement à cheval sur les territoires français et helvétique. Vous venez des douze Etats membres qui soutiennent généreusement cette prestigieuse entreprise, mais vous acceptez aussi d’autres savants venus de l’Ouest ou de l’Est, appartenant à des pays engagés dans des politiques très différentes. Indépendamment des intérêts politiques ou des ambitions personnelles, vous travaillez les uns et les autres en équipe, attelés à la même recherche, et c’est ce qui vous permet d’établir des communications à un niveau vraiment mondial. Oui, ici, se réalise vraiment un des beaux aspects de la science qui est d’unir les hommes.

4. Mais je m’arrête un peu à ce qui fait la spécificité de votre recherche: elle est d’explorer toujours plus profondément la structure intime de la matière, et donc ce qu’on peut appeler “l’infiniment petit”, à la frontière de ce qui est mesurable dans le microcosme, atomes, électrons, noyau, protons, neutrons, quarks... En somme, ce sont les secrets de la matière, de sa composition et de son énergie fondamentale, que vous cherchez à déchiffrer. C’est pourquoi tous les milieux scientifiques, mais aussi tout le monde culturel qui aime réfléchir sur de tels problèmes, et, on peut dire, tous les hommes, sont intéressés ou au moins concernés, car c’est une partie de leur propre mystère qui se dévoile.

5. Je dis “une partie”. Car devant l’immensité et la complexité des choses encore à découvrir en ce domaine, vous êtes, en véritables scientifiques, remplis d’humilité. Existent-ils des composants élémentaires et indivisibles de la matière? Quelles sont les forces qui agissent entre eux? C’est comme si ces questions reculaient au fur et à mesure que vous avancez.

Et surtout, surgissent d’autres questions plus fondamentales encore pour la connaissance, mais qui sont aux frontières des “sciences exactes”, des sciences de la nature, ou plutôt déjà au-delà, dans le domaine philosophique. Et même votre science permet de mieux les poser aux philosophes et aux croyants: quelle est l’origine du cosmos? Et pourquoi trouvons-nous l’ordre dans la nature?

S’il fut un temps où certains savants étaient tentés de s’enfermer dans une attitude imbue de “scientisme” - qui était plus un choix philosophique qu’une attitude scientifique, voulant ignorer d’autres formes de connaissance -, ce temps semble révolu. La plupart des savants admettent que les sciences naturelles, avec leur méthode basée sur les expériences et sur la reproduction des résultats, ne couvrent qu’une partie de la réalité, ou plutôt l’atteignent sous un certain aspect. La philosophie, l’art, la religion, et surtout la religion qui a conscience de se rattacher à une révélation transcendante, perçoivent d’autres aspects de la réalité de l’univers et surtout de l’homme. Pascal parlait déjà, en un autre sens il est vrai, de trois ordres de grandeur chez l’homme, les grandeurs de puissance, les grandeurs d’intelligence, et les grandeurs de l’amour, chacune d’elles dépassant infiniment l’autre, et appelant du reste cet Autre qu’est le Créateur, Père de tous les hommes, comme leur source et leur terme, car “l’homme passe infiniment l’homme”.

6. D’ailleurs, de cet homme, vous aussi, vous mettez en lumière la grandeur et le mystère. La grandeur de son pouvoir d’investigation, de sa raison, de sa capacité d’atteindre une plus grande vérité, sa puissance de volonté dans la poursuite généreuse d’un long chemin désintéressé. Son mystère aussi, et peut-être la nouveauté abyssale de la recherche pure sur la nature de la matière est-elle finalement moins importante que la nouveauté émouvante de l’attitude de l’homme qui se sent tout petit devant ces découvertes. Oui, quel changement dans la représentation scientifique du monde, telle que nous l’avions héritée de nos pères, telle qu’eux-mêmes l’avaient reçue des générations qui les avaient précédés dans la grande communauté des hommes! Mais, en même temps aussi, permettez au croyant que je suis de le dire en toute simplicité, quelle continuité dans le dessein de Dieu créateur, qui a fait l’homme “à son image et à sa ressemblance”, en lui confiant la mission de “dominer” tout ce monde qu’il avait créé par amour, et dont l’auteur du premier livre de la Bible, la Genèse, ne cesse de répéter avec émerveillement: “Dieu vit que cela était bon, Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici que cela était très bon” (Gn 1,4).

7. Vous-mêmes, physiciens, vous devez ici déployer vos énergies et votre compétence avec les seules méthodes scientifiques des sciences de la nature. Mais comme hommes, vous ne pouvez pas ne pas vous poser ces autres questions fondamentales, existentielles, dont je parlais, auxquelles répondent la sagesse philosophique et la foi. Je vous souhaite d’être sur ce terrain aussi des hommes de recherche, puisque vous savez qu’il ne saurait y avoir d’opposition entre ces domaines, mais bien plutôt une harmonie, d’être des hommes ouverts à la plénitude de la vérité. Je sais d’ailleurs que personnellement, un certain nombre d’entre vous sont croyants et partagent par exemple les convictions de la foi chrétienne, sans aucune gêne pour la rigueur de leur travail scientifique, ni pour le respect réciproque que vous vous devez entre vous. Bien plus, la structure fondamentale de la matière ne révèle-t-elle pas à tous un ordre logique qui semble beaucoup plus proche d’une interprétation philosophique transcendante des phénomènes naturels que d’une conception purement matérialiste?

Aux chrétiens je dis, comme je l’affirmais aux étudiants et professeurs de l’Institut catholique de Paris: Puissiez-vous “unifier existentiellement, dans votre travail intellectuel, deux ordres de réalités qu’on a trop souvent tendance à opposer, comme si elles étaient antithétiques, la recherche de la vérité et la certitude de connaître déjà la source de la vérité” (IOANNIS PAULI PP. II Allocutio ad Institutum Catholicum in urbe «Paris» habita, 4, die 1 iun. 1980 : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 1581).

8. L’Eglise maintient bien la distinction spécifique des connaissances scientifiques et religieuses et de leurs méthodes. Elle est sûre aussi de leur complémentarité et de leur harmonie profonde autour d’un même Dieu créateur et Rédempteur de l’homme. Elle tient à lever tout malentendu à ce sujet. Elle respecte, dans son ordre, la science de la nature, qui, pour elle, n’est pas une menace mais plutôt la manifestation approfondie du Dieu créateur. Elle se réjouit de son progrès, et donc, Mesdames et Messieurs, elle encourage votre recherche faite dans l’esprit que nous avons dit.

Elle admet par ailleurs que la culture scientifique d’aujourd’hui requiert des chrétiens une maturation de leur foi, une ouverture au langage et aux questions des savants, un sens des ordres du savoir et des approches différentes de la vérité. Bref, elle désire que le dialogue entre la science et la foi, même s’il a connu historiquement des tensions, entre dans une phase toujours plus positive et s’intensifie à tous les niveaux.

L’amour de la vérité, recherchée avec humilité, est l’une des grandes valeurs capables de réunir les hommes d’aujourd’hui à travers les diverses cultures. La culture scientifique ne s’oppose ni à la culture humaniste ni à la culture mystique. Toute culture authentique est ouverture vers l’essentiel, et il n’est pas de vérité qui ne puisse devenir universelle. Aussi ai-je voulu créer, tout récemment, à Rome, un “Conseil pontifical pour la culture”, bien conscient de cette réalité fondamentale qui unit tous les hommes, et j’ai voulu explicitement que ce Conseil soit ouvert à tous les chercheurs et aux centres de recherches. Et c’est vous dire aussi combien je me réjouis de l’ouverture du CERN à tous ceux qui veulent participer à ses recherches, même si ces chercheurs ne sont pas partie intégrante de sa structure propre. La vraie recherche, comme la culture, réunit des communautés d’hommes, par-delà les frontières et les clivages de toutes sortes.

9. Je l’ai dit au début: vous vous livrez à la recherche pure. Ici même les techniciens sont au service de la science. Et je me suis placé sur le seul terrain d’investigation culturelle.

Cependant, vous me permettrez en terminant, d’évoquer les applications possibles de vos recherches, même si elles débordent votre travail, vos responsabilités et le but de ce Centre. Ce l’histoire nous montre que la découverte de nouveaux phénomènes conduit, avec le temps, à des applications prodigieuses, souvent complètement inattendues. Et déjà sans doute, vos pays, les Gouvernements et les techniciens de vos pays, suivent vos recherches avec d’autant plus d’intérêts qu’ils en escomptent, à plus ou moins long terme, une intense utilisation. Et quelle utilisation ne peut-on prévoir à partie de la structure de l’atome et de sa désintégration possible?

Les hommes pourront en tirer le meilleur et le pire. Le meilleur pour le service de l’homme et son développement, dans des applications qui pourront concerner sa santé, ses ressources alimentaires, ses sources d’énergie, la protection de la nature; et le pire, qui serait la destruction de l’équilibre écologique, une radioactivité périlleuse, et par-dessus tout, les engins de destruction qui sont déjà terriblement dangereux par leur puissance et leur nombre.

Je le disait à l’UNESCO, le 2 juin 1980, je le répétais devant les savants de l’Université des Nations Unies à Hiroshima, le 25 février 1981: nous sommes affrontés à un grand défi moral qui consiste à harmoniser les valeurs de la technologie issue de la science avec les valeurs de la conscience. “Il faut mobiliser les consciences!”. La cause de l’homme sera servie si la science s’allie à la conscience. Autrement dit, il faudra veiller avec le plus grand soin à la façon dont l’homme utilisera ces découvertes, et à l’intention qui présidera à ses choix.

L’Eglise a suffisamment parlé du danger des armes atomiques et j’ai pris moi-même assez d’initiatives en ce sens, pour que je m’abstienne d’y insister ici. Mais, même pour l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, comme je le rappelais aux membres de l’Académie pontificale des Sciences le 14 novembre 1980, l’Eglise souhaite, avec tant d’hommes de bonne volonté, que toutes les conséquences soient exactement étudiées - concernant par exemple l’impact radioactif, la génétique, la pollution de l’environnement, le stockage des déchets -, que les garanties soient prises avec rigueur, et que l’information soit à la hauteur de ces problèmes. Le Saint-Siège a lui-même un Représentant permanent auprès de l’Agence internationale de l’Energie Atomique à Vienne, pour manifester son intérêt envers l’utilisation pacifique et sûre de l’énergie nucléaire.

Pour vous, ce n’est pas votre responsabilité directe. Cependant, vous voyez mieux que d’autres les enjeux, et par conséquent il vous incombe, de façon particulière, de promouvoir l’information en ces domaines, surtout auprès des divers responsables de l’application technique, et d’insister pour que les résultats de la science, si merveilleux en soi, ne se retournent jamais contre l’homme au niveau de la technologie, et ne soient employés que pour le bien de l’humanité, par des gens inspirés par le plus grand amour de l’homme.

10. En conclusion, je vous confie mon voeu. Je souhaite que l’homme de science, au niveau de sa culture, conserve le sens de la transcendance de l’homme sur le monde, et aussi de Dieu sur l’homme, et qu’au niveau de son action, il joigne au sens universel de la culture qui le caractérise, le sens universel de l’amour fraternel dont le Christ a particulièrement donné le goût au monde. Je répète à ce propos mon appel de l’UNESCO: “Oui, l’avenir de l’homme dépend de la culture! Oui, la paix du monde dépend de la primauté de l’Esprit! Oui, l’avenir pacifique de l’humanité dépend de l’amour!” (IOANNIS PAULI PP. II Allocutio ad «UNESCO» habita, 23, die 2 iun. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 1655).





Discours 1982 - Mardi, 15 juin 1982