Discours 1982 - Lettre pour le VIIIe centenaire de sa naissance [23])


Jean-Paul II à Rimini et Saint-Marin


Discours du Pape aux jeunes du « Meeting pour l’amitié entre les peuples », 29 août


Le dimanche 29 août, Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale à Rimini, la grande plage de l'Adriatique, et dans la petite République de Saint-Marin. Rimini et Saint-Marin sont sièges de deux diocèses, qui depuis 1977 ont le même évêque, Mgr Giovanni Locatelli. En pleine saison, la population locale est largement noyée dans le grand flot des touristes de toute l'Europe, et c'est entouré d'une immense foule internationale que le Pape a célébré la messe, le soir, au bord de la mer. Le matin, il avait célébré une autre messe au stade de Serravalle, à Saint-Marin (1). L'un des sommets de cette journée a été la visite du Pape au 3e « Meeting de l'amitié entre les peuples », organisé depuis trois ans sous l'inspiration du mouvement catholique de jeunes « Communion et Libération », dans les locaux de la Foire de Rimini, attirant des dizaines de milliers de jeunes Italiens ou touristes étrangers et constituant une manifestation importante d'une forme de renouveau du « monde catholique » italien. Nous reproduisons ici le discours adressé par JeanPaul II à cette assemblée de jeunes, sur le thème choisi pour le meeting de cette année :

« Les ressources de l'homme ».


[19] Texte italien dans l'Osservatore Romano des 30-31 août. Traduction et titres de la DC.

(1) À Saint-Marin, le Pape a célébré la messe après avoir été reçu officiellement par les autorités de la petite République. « Je me plais, a- t-il dit dans son homélie, à percevoir et à respirer ici cette atmosphère antique et robuste, pure et noble, qui est le propre des institutions confirmées par l’histoire, qui ont su défier les siècles, fidèles à elles- mêmes tout en restant au rythme des temps nouveaux. »
La réalité historique, a-t-il poursuivi, permet d’affirmer que « le culte rendu à saint Marin depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne et la libre communauté établie sur le mont Titan se relient à la figure éminente d’un excellent disciple du Christ qui, parvenu à la lumière de la vérité et à la vie de la grâce, a donné jusque dans la vie publique un témoignage évangélique de « laïc » cohérent avec sa foi et intrépide dans la défense de la dignité humaine ».


TRÈS CHERS FRÈRES ET SOEURS,

1. Je suis très heureux de me trouver ici, au milieu de vous, pour conclure ce 3e « Meeting pour l'amitié entre les peuples ». Le seul fait de prononcer ces mots réjouit le coeur : « Rencontre ! » « Rencontre d'amitié ! » « Amitié entre les peuples ! » Des mots qui revêtent une signification particulière en ces heures, souvent dramatiques, de l'histoire du monde. Je vous salue donc avec la joie des psaumes, qui est la joie même de Dieu : « Oh ! quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères ! » (Ps 132)

Nous vivons aujourd'hui une heure privilégiée, qu'il importe de comprendre à fond. Les motifs sont si nombreux !

2. Avant tout, nous sommes en train de vivre une rencontre.

Chacun d'entre vous, en ces jours, a pu faire cette expérience. Chacun a fait des rencontres, non seulement avec les centaines, les milliers d'autres personnes qui ont rempli les salles de conférences, mais aussi avec différentes personnalités qui ont apporté la contribution de leur réflexion et de leur esprit créateur.

Mais cette rencontre a été rendue possible et presque nécessaire par une autre rencontre. Elle est née en effet de l'amitié d'un groupe de chrétiens de cette ville. Comme on me l'a appris, tout cela est né de la passion de communication, de créativité, de dialogue, que la foi chrétienne, intégralement vécue, porte toujours avec elle.

Oui, la foi vécue comme un écho prolongé des premières rencontres que rapporte l'Évangile, la foi vécue comme certitude et demande de la présence du Christ au coeur de chaque situation et occasion de la vie, rend capable de créer de nouvelles formes de vie pour l'homme, rend désireux de communiquer et de connaître, de rencontrer et de mettre en valeur.

La rencontre avec le Christ qui se renouvelle de manière permanente dans la mémoire sacramentelle de sa mort et de sa résurrection, habilite et pousse à la rencontre avec les frères et avec tous les hommes. Assurément, les paroles de saint Paul aux Thessaloniciens peuvent être reprises ici, en guise de conclusion et d'enseignement pour tout ce que vous avez entrepris ces jours-ci : « Éprouvez toute chose, retenez ce qui est bon.» (1Th 5,21)

Je vois avec plaisir que cette initiative est l'expression de la vitalité du laïcat catholique en Italie : un tel laïcat « conscient et actif, est une richesse inestimable pour toute Église locale », comme je l'ai dit aux évêques de Ligurie le 8 janvier dernier (AAS 74, 1982 p. 396). Un laïcat conscient de la communion qui le lie au Christ et à l'Église, et actif, c'est-à-dire désireux d'exprimer, dans la liberté des initiatives, la beauté et l'humanité de ce qu'il a rencontré. Telle est la belle réalité de cette rencontre.

Les ressources de l'homme

3. Cette année vous avez concentré votre attention sur un thème particulièrement stimulant : « Les ressources de l'homme. » Voulez-vous que nous y réfléchissions ensemble ?

En général, on appelle ressource de l'homme tout ce qui vient à son aide dans l'effort pour se maintenir en vie et pour dominer la terre. Les choses, toutefois, ne deviennent véritablement ressources de l'homme que quand l'homme les rencontre à travers le travail. C'est à travers le travail que l'homme domine la nature et met à son service toutes choses. C'est à travers le travail que l'homme prend soin de la terre, utilise ses richesses pour sa propre vie et, en même temps améliore et défend la terre. Je constate avec plaisir que votre thème se réfère avant tout à la grande et actuelle préoccupation de l'Église pour le travail humain, qui a trouvé son expression aussi dans ma récente encyclique Laborem exercens. L'homme, en effet, ne communique avec la réalité extérieure qu'à travers son intériorité. Ce sont les ressources intérieures de son esprit et de son coeur qui lui permettent de s'élever au-dessus des choses et de les dominer. L'homme vaut non pas dans la mesure où il « a », mais dans la mesure où il « est ». Pour cela, il est nécessaire de méditer avec une profondeur particulière sur cette ressource décisive de l'homme qu'est le travail pour comprendre l'importance désintéressée, pure, non utilitaire qui se trouve au fond du travail humain et lui confère sa signification.

4. Mais cela se relie — et ici nous faisons un pas en avant — avec une autre ressource fondamentale de l'homme : la famille.

L'homme travaille pour se maintenir lui-même, ainsi que sa propre famille. Si travailler c'est prendre soin de l'être, en collaborant à l'oeuvre créatrice de Dieu, ce principe général devient évident et existentiellement concret pour la plupart des hommes dans le fait que, en travaillant, l'homme prend soin des êtres qui lui sont chers.

S'il est certain que l'homme se caractérise comme tous les animaux par l'instinct d'autoconservation, il n'en demeure pas moins qu'il est injuste de mettre à la base du travail une intention uniquement utilitaire et égoïste. L'instinct d'autoconservation, lui aussi, existe dans l'homme sous une forme spécifiquement humaine, personnaliste, en tant que volonté d'exister comme personne, en tant que volonté de sauver la valeur de la personne en soi-même et dans les autres, en commençant par les êtres qui lui sont les plus chers. Ce fait définit la limite de toute interprétation utilitaire et économiste du travail humain.

Le travail, par lequel l'homme domine la nature, est l'oeuvre de la communauté tout entière, à travers toutes ses générations. Chacune de ces générations a la mission de prendre soin de la terre pour la transmettre aux générations futures, toujours plus adaptée à être la maison de l'homme. Qu'il me soit permis de rappeler, dans ce contexte, ne serait-ce qu'en passant, que lorsque se brise le lien de la solidarité qui doit unir les hommes entre eux et avec les générations futures, ce souci de la terre s'affaiblit. Et alors, la catastrophe écologique, qui menace aujourd'hui l'humanité, a une profonde racine éthique dans l'oubli de la vraie nature du travail humain, et surtout de sa dimension subjective de sa valeur pour la communauté familiale et sociale. C'est la tâche de l'Église d'attirer l'attention des hommes sur cette vérité.

L'homme et la culture

5. Mais il faut descendre encore plus en profondeur. Les ressources dont nous avons parlé, quelque sacrées et primordiales qu'elles soient, touchent encore assez superficiellement l'homme. Il faut être principalement attentif aux ressources que l'homme porte en lui-même : dans sa nature humaine, dans la dignité de l'image et de la ressemblance divines (cf. Gn 1,27) que l'homme porte imprimée dans l'essence de sa personnalité. Les paroles connues du grand saint Augustin, dont nous avons célébré hier la fête, remontent incessamment à notre esprit : Fecisti nos ad te : « Seigneur, tu nous as fait pour toi, et notre coeur est inquiet jusqu'à ce qu'il repose en toi. » (Conf. 1, 1.)

Oui, frères et soeurs, nous sommes faits pour le Seigneur, qui a imprimé en nous la trace immortelle de sa puissance et de son amour. Les grandes ressources de l'homme naissent de là, se trouvent là, et c'est en Dieu seul qu'elles trouvent leur garantie. L'homme est grand par son intelligence, grâce à laquelle il se connaît lui-même, connaît les autres, le monde et Dieu ; l'homme est grand par sa volonté, par laquelle il se donne dans l'amour, jusqu'à atteindre les sommets de l'héroïsme. C'est sur de telles ressources que trouve son fondement l'aspiration irrésistible de l'homme ; celle qui tend à la vérité — et c'est la vie de l'intelligence — et celle qui tend à la liberté — et c'est la respiration de la volonté. Ici l'homme acquiert sa grande, incomparable stature, que nul ne peut fouler aux pieds, que nul ne peut tourner en dérision, que nul ne peut lui enlever : celle de l'« être », auquel j'ai déjà fait allusion.

Cette valeur, propre à l'homme, par laquelle tout homme est vraiment homme, repose sur le fondement de la culture : c'est surtout dans la culture que se manifestent les ressources essentielles de l'homme. Comme je l'ai dit au siège de l'UNESCO, à Paris, « l'homme vit d'une vie vraiment humaine grâce à la culture... La culture est ce par quoi l'homme en tant qu'homme devient davantage homme, « est » davantage, accède davantage à l'« être ». La culture se situe toujours en relation essentielle et nécessaire à ce qu'est l'homme, tandis que sa relation à ce qu'il a, à son « avoir », est non seulement secondaire, mais entièrement relative. Dans le domaine culturel, l'homme est toujours le fait premier : l'homme est le fait primordial et fondamental de la culture. Et cela, l'homme l'est toujours dans sa totalité : dans l'ensemble intégral de sa subjectivité spirituelle et matérielle. Si la distinction entre culture spirituelle et culture matérielle est juste en fonction du caractère et du contenu des produits dans lesquels la culture se manifeste, il faut constater en même temps que, d'une part, les oeuvres de la culture matérielle font apparaître toujours une « spiritualisation » de la matière, une soumission de l'élément matériel aux forces spirituelles de l'homme, c'est-à-dire à son intelligence et à sa volonté et que, d'autre part, les oeuvres de la culture spirituelle manifestent, d'une manière spécifique, une « matérialisation » de l'esprit, une incarnation de ce qui est spirituel » (Insegnamenti 111, 1, 1980, PP 1639 et s.).

La culture devient ainsi le fondement de la capacité de l'homme à découvrir et à mettre en valeur toutes les ressources, celles qui sont données à son être spirituel et celles qui sont données à son être matériel. À condition qu'il sache les découvrir ! À condition qu'il ne les détruise pas !

Frères et soeurs, pensez à l'énorme responsabilité que vous avez entre les mains ! Ne la gâchez pas, ne la négligez pas ! Vous avez besoin de toutes vos forces pour le faire. Mais, surtout, vous avez besoin de Celui qui est la force de Dieu et de l'homme : « Le Christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » (1Co 1,24)

La plus grande « ressource » de l'homme est le Christ

6. Nous voici donc au point focal, indispensable, de la question. La plus grande « ressource » de l'homme est le Christ, Fils de Dieu et Fils de l'homme. C'est en lui que l'on découvre les traits de l'homme nouveau, réalisé dans toute la plénitude de l'homme en soi. C'est dans le Christ, crucifié et ressuscité, que se dévoilent à l'homme la possibilité et la manière d'assumer dans une profonde unité sa nature tout entière. C'est ici que se trouve, je dirai, le principe unificateur de votre Meeting consacré aux ressources de l'homme ; il y a comme un fil conducteur entre tous les divers moments de votre programme de travail : le Christ ressuscité, source inépuisable de vie pour l'homme. Le Christ, ressource de l'homme : c'est ainsi que vous avez voulu annoncer la célébration du sacrifice eucharistique.

De l'homme, il a voulu assumer la nature, et cela non pas de manière abstraite, puisqu'« il s'est dépouillé lui-même, prenant la condition d'esclave. Il s'est humilié, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,7-8). L'humanité du Christ, à travers le mystère de la croix et de la résurrection, est devenue le lieu où l'homme, vaincu mais non anéanti par le péché, a retrouvé sa propre humanité.

Forte de cette expérience, unique et qui ne peut se répéter, de son fondateur, l'Église a pu se définir par la bouche de Paul VI « experte en humanité ». Et c'est à ce titre, fondé sur l'autorité du Maître et consolidé par deux mille ans de vie, que l'Église se présente aujourd'hui sur la scène de l'Histoire, désireuse de proposer encore une fois à l'homme le noyau central de son propre message : le Christ, prémisse et racine de l'homme nouveau.

Du reste, précisément ici à Rimini, vous avez eu le témoignage vivant de personnes qui se sont données pleinement au Christ, dans l'exercice de leur profession, et dont l'exemple continue à rayonner toujours davantage : l'ingénieur Alberto Marvelli, dont la cause de béatification est engagée, et le docteur Igino Righetti, collaborateur du futur Paul VI de vénérée mémoire et, avec lui, fondateur et premier président du Mouvement des intellectuels catholiques italiens. Deux laïcs, deux apôtres, deux hommes qui savaient comment puiser dans la ressource qu'est le Christ, Ils ont puisé pour eux-mêmes — dans le labeur intérieur dans la prière, dans la vie sacramentelle — et ils ont laissé pour les autres un modèle et un appel.

7. Parler du Christ comme ressource de l'homme, c'est témoigner que, aujourd'hui encore, les termes essentiels de la civilisation sont en fait, de manière consciente ou inconsciente, référés à l'événement du Christ, devenu annonce quotidienne confessée par l'Église.

L'homme d'aujourd'hui est fortement engagé à reformuler le rapport avec le monde qui l'entoure : avec la science et avec la technique. Il veut découvrir des ressources toujours nouvelles pour sa vie et pour la vie entre les peuples ; il tend à réaliser un processus que tous voudraient pacifique et à exalter l'art comme expression de la libre créativité. Et pourtant, la liberté est aujourd'hui gravement menacée, la science et la technique risquent d'engendrer un déséquilibre lourd de conséquences négatives dans les rapports entre les hommes, entre l'homme et la nature, entre les nations. De cette contradiction, qui semble fatale parce que structurellement liée au mystère du mal, il est nécessaire que le regard se tourne « vers l'artisan de notre salut » pour engendrer une civilisation qui naisse de la vérité et de l'amour. La civilisation de l'amour ! Pour ne pas agoniser, pour ne pas s'épuiser dans l'égoïsme effréné, dans l'insensibilité aveugle à la douleur des autres. Frères et soeurs, construisez infatigablement cette civilisation !

C'est la consigne que je vous laisse aujourd'hui. Travaillez pour cela, priez pour cela, souffrez pour cela.

C'est avec ce souhait que je vous bénis tous, au nom du Seigneur.

Un dialogue spontané entre le Pape et les jeunes

Après le discours, le dialogue suivant s'est engagé entre le Pape et les jeunes :

— Depuis le début de votre pontificat, vous avez défini les jeunes comme « l'espérance de l'Église ». Qu'est-ce que cela veut dire pour notre vie ?

— La vie des jeunes, c'est de découvrir les ressources de l'homme : c'est le propre de la jeunesse et cela se réalise dans les jeunes années de la vie. L'espérance du futur est liée à cette découverte. Si les jeunes de notre époque ont bien découvert les ressources de l'homme — car on peut aussi les découvrir dans le mal — s'ils les ont découvertes dans la vérité, s'ils les ont découvertes dans l'amour, alors nous pouvons être pleins de confiance, pleins d'espérance dans l'avenir.

— Vivant quotidiennement nos problèmes, dans la famille, au travail, à l'école, nous constatons des problèmes dramatiques, Mais aussi les problèmes économiques, sociaux, des hommes de notre temps impliquent une profonde insécurité existentielle. Qu'est-ce que cela signifie pour les chrétiens ?

— C'est une constatation certainement profonde et très juste : la constatation du caractère dramatique de l'existence humaine. Et nous devons et nous pouvons réfléchir sur ce phénomène, un phénomène multilatéral. Les raisons sont diverses, je pourrais dire que l'essence même du drame humain est diverse. Mais en réfléchissant sur les diverses modalités de ce caractère dramatique de l'existence humaine, on arrive à une constatation centrale : le drame fondamental de l'homme est de ne pas comprendre le sens de son existence, de ne pas avoir le sens de son existence, de vivre sans sens. Ici, nous touchons de nouveau le thème des ressources. Ne pas découvrir le sens de la vie humaine veut dire ne pas savoir quelles sont les ressources de l'homme.

Toutes les ressources, les ressources offertes à l'homme par la nature externe, offertes à l'homme par la nature humaine, sa personnalité, et finalement les ressources surnaturelles offertes à l'homme dans le Christ. Voilà comment nous pouvons aider les autres. Bien souvent, nous nous trouvons démunis, nous ne trouvons pas la façon d'aider les autres dans les divers drames de la vie humaine. Mais je pense que dans ce drame qui me paraît central, fondamental, peut-être pouvons-nous faire plus ; nous pouvons chercher à donner aux autres le sens de la vie, nous pouvons chercher à faire découvrir aux autres les ressources de l'homme, et ainsi donner le sens de la vie. Je pense aussi que cela constitue votre apostolat : aider les autres dans la découverte du sens de l'existence humaine.

— Sainteté, depuis le début de votre pontificat, vous avez infatigablement poussé les peuples et les nations vers la paix. Quels sont aujourd'hui les éléments fondamentaux pour cette construction ?

— Je dois faire d'abord une observation méthodologique. On m'a dit : « Tu dois venir à Rimini, et nous t'écouterons. » La réalité est un peu différente : tu dois venir à Rimini et nous, oui, nous t'écouterons, mais nous te ferons aussi passer un examen.

De la paix, j'ai parlé très souvent. Naturellement les paroles ne sont pas les choses les plus importantes, mais les paroles aussi sont importantes. Je répéterai ce qui était peut-être l'essentiel de mon discours aux Nations Unies où, suivant la tradition de l'enseignement de l'Église, spécialement des derniers Papes, du Pape Jean, du Pape Paul, j'ai cherché à convaincre la grande Assemblée : si nous voulons gagner la paix, nous devons respecter pleinement les divers droits de l'homme. Ils présentent beaucoup d'aspects : ils sont, au sens strict du mot, les droits de la personne ; mais, ensuite, ces droits s'élargissent et deviennent les droits de la famille, deviennent les droits des peuples. Selon une juste théorie, en observant tous ces droits, on exclut la guerre, on crée la paix. Donc, il existe un programme. D'autre part, nous savons que malgré l'existence du programme il y a encore des guerres, et il y a des menaces.

— Saint-Père, notre préoccupation fondamentale a été et demeure de témoigner du fait chrétien. Une initiative comme celle du Meeting, pourquoi et de quelle façon contribue-t-elle à ce témoignage ?

— Je suis convaincu qu'elle contribue à donner un témoignage chrétien. Je dirais même qu'elle contribue à montrer une dimension de l'Église, précisement cette dimension sur laquelle nous avons médité et que nous avons laissée pour l'avenir dans l'enseignement de Vatican II. Avant, on pensait à l'Église de façon plutôt statique, comme à quelque chose de définitivement constitué. Cela était et demeure vrai. L'Église est une institution divine. Vatican II, cependant nous a montré l'Église surtout comme une mission qui vient de la Sainte Trinité et qui devient part de chaque baptisé, de chaque chrétien et même en un certain sens de tout homme de bonne volonté. Cette grande mission du vrai, du bien, de la vérité et de l'amour est devenue constitutive de notre vision de l'Église. Je pense que vous, qui constituez un mouvement, et qui avec ce Meeting donnez une expression à votre mouvement (2), aux finalités de ce mouvement, vous cherchez à exprimer par ce Meeting le caractère propre, la mission propre de l'Église. La mission de l'Église est toujours une mission historique, bien que transcendante, bien que divine. Elle est historique, historique de notre temps. Avec votre Meeting, vous cherchez à montrer le chemin de l'Église, des jeunes dans l'Église de notre temps. Vous cherchez à exprimer ce que veut dire le mystère du Salut, l'oeuvre du Salut. Vous voulez, par diverses méthodes, et en particulier par ce Meeting, incarner cette oeuvre du salut, la rendre présente parmi les hommes. Voilà, en bref, comme ça, pour ne pas multiplier les paroles.





(2) « Communion et Libération » est un mouvement de jeunes créé par un prêtre du diocèse de Milan, don Giussani, dans le but de susciter un renouveau catholique en Italie, en portant les exigences de l'Évangile, telles que Vatican II les a fait apparaître, dans tous les domaines de la vie personnelle, familiale, sociale, culturelle, économique, politique. L'une des idées caractéristiques de ce mouvement, qui peut compter sur la participation active d'environ 80 000 jeunes de quinze à trente ans, est que la foi, vécue en commun, doit nécessairement engendrer une culture, et que par conséquent les catholiques doivent s'exprimer en groupe, comme tels, dans tous les domaines, constituant une réalité socioculturelle dotée de ses propres moyens d'expression et apportant sa contribution originale dans la vie nationale, en dialogue avec les autres courants d'inspirations diverses. Le « Meeting pour l'amitié entre les peuples » est organisé par le « Mouvement populaire », la maison d'édition « Jaca Books » et l'hebdomadaire Il Sabato, qui sont des structures créées et animées par « Communion et Libération ».



(1) Rappelant les dernières paroles attribuées à saint Marin, « Fils, je vous laisse libres », Jean-Paul II a déclaré : « Ces paroles, trame idéale de la vie saint-marinaise, dans le contexte de ma visite pastorale d'aujourd'hui et plus encore dans le cadre liturgique de cette célébration eucharistique, évoquent et annoncent le message transcendant de « liberté chrétienne » propre à votre saint, témoigné en tant de circonstances par vos aïeux et valide pour tous les âges jusqu'à la fin des siècles. »


Septembre 1982




LE 87e KATHOLIKENTAG ALLEMAND - Message du Pape lu le 1er sept.


Renouveler l’homme, l’Église et le monde

Le 87e Katholikentag (rassemblement bisannuel des catholiques allemands) s'est tenu à Düsseldorf du 1er au 5 septembre 1982, sur le thème : « Convertissez-vous et croyez — Renouvelez le monde. » Il a rassemblé environ 100 000 personnes, dont une forte proportion de jeunes, qui ont animé les vingt halls d'exposition et les multiples forums. Ce Katholikentag était largement ouvert sur le monde entier et de nombreuses Églises-soeurs d'Europe et du tiers monde étaient représentées. À la cérémonie d'ouverture, où une place d'honneur avait été donnée au primat de Pologne, Mgr Glemp, les participants ont entendu le message suivant de Jean-Paul II, dont le texte avait été enregistré (1).

(l) Texte allemand dans l'Osservatore Romano du 3 septembre. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

VÉNÉRÉS FRÈRES ÉVÊQUES,
CHERS FRÈRES ET SOEURS !

Que la grâce et la paix de Dieu, notre Père, et de Jésus- Christ Notre-Seigneur soient avec vous ! À l'occasion de la cérémonie d'ouverture du 87e Katholikentag allemand à Düsseldorf, uni à vous dans un commun témoignage de foi, je vous salue, cher frère, Joseph cardinal Hoeffner, en tant que pasteur suprême du diocèse qui accueille cette manifestation et en tant que président de la Conférence épisco- pale allemande. Je salue aussi vos frères dans l'épiscopat, ainsi que tous les frères et soeurs qui se trouvent rassemblés dans cette communauté de foi, dans la prière et la célébration, dans le dialogue et la rencontre.

En cette heure, j'évoque avec reconnaissance ma visite chez vous il y a deux ans, l'expérience de foi et de vivante communion que j'en ai rapportée, ainsi que la cordialité avec laquelle vous m'avez accueilli au milieu de vous. De la même façon que je vous ai alors encouragés, à Fulda, à donner un nouveau départ au christianisme dans votre pays, je voudrais le faire encore une fois aujourd'hui. Avec la devise du Katholikentag, je vous lance cet appel: « Convertissez-vous et croyez — Renouvelez le monde ! » Prenez un nouveau départ, confiants dans la promesse et la fidélité de Dieu.

Retrouvez la joie de la foi

« Convertissez-vous ! » Tel est l'appel des prophètes à la pénitence dans l'Ancien Testament, de Jean-Baptiste au Jourdain, telle est la première exigence du Christ au début de la proclamation de sa Bonne Nouvelle. Seul celui qui réfléchit de nouveau à l'appel de Dieu et répond à sa parole directrice peut reconnaître les erreurs, les déformations humaines dans son comportement avec autrui, le péché et la faute, et peut se convertir et se remettre en route. La conversion signifie une orientation personnelle vers Dieu, sur la route que le Christ nous a montrée et qu'il est lui- même ; elle signifie l'acceptation, dans la foi, de sa parole qui indique la route.

« Convertissez-vous et croyez ! » Une foi où se réalise la conversion et où est vécue la joie avec le Christ est capable de renouveler l'homme, l'Église et le monde en profondeur, c'est-à-dire de l'intérieur, grâce à la puissance de l'Esprit. Notre engagement de chrétiens au service du monde, de la justice et de la paix, de la solidarité fraternelle entre les hommes jaillit de notre proclamation vivante du Christ et de notre participation responsable à sa mission pour le salut de l'homme.

Retrouvez, chers frères et soeurs, la joie de la foi, car « la joie du Seigneur, voilà notre force » (Ne 8,10). Renouvelez votre foi au Christ et en sa bonne nouvelle !

C'est en lui que le oui d'amour de Dieu à ce monde et à l'homme est devenu visible et accessible parmi nous ; c'est en lui que cet amour continue de nous être offert. Portez la lumière de l'Évangile à l'homme de notre temps ! Cette lumière indique des issues aux impasses où l'humanité se trouve engagée.

Aux jeunes qui sont parmi vous et qui donnent si profondément le ton au Katholikentag avec leur élan vers plus de justice, de liberté et de paix, vers plus d'humanité et d'amour, je lance tout particulièrement un appe l: Choisissez de mener une vie dans l'esprit du Christ et répandez sa bonne nouvelle elle-même, en engageant vos meilleures forces pour le Christ et le service de vos frères les hommes. Notre foi doit se manifester dans le témoignage concret et les gestes d'amour.

Développez un nouveau style de vie

À un moment où la génération d'aujourd'hui cherche avec impétuosité des valeurs et des modèles authentiques qui puissent donner un sens à sa vie, nous devons, nous chrétiens, forts de notre foi et de notre espérance, lui indiquer la route d'une manière qui soit convaincante et compréhensible. À un moment où, par peur de l'avenir ou à cause d'un égoïsme à courte vue, une atmosphère d'hostilité à la vie se répand, communiquez à l'homme le courage de vivre et protégez la dignité de l'homme dans toutes les phases de son existence ! À un moment où l'on prend de plus en plus conscience des limites de la croissance et de l'énorme inégalité entre le Nord et le Sud, développez vous-mêmes un nouveau style de vie et une communauté de participation fraternelle. À un moment où la situation mondiale, en raison d'idéologies totalitaires et d'une course effrayante aux armements, revêt des formes toujours plus menaçantes, vous devez vous efforcer de trouver, à la place qui est la vôtre, des moyens politiquement responsables pour résoudre pacifiquement les conflits. Intervenez pour que se réalisent les conditions de la paix : la vérité, la justice et la liberté !

Prenez conscience de ce que signifie pour vous aussi, en tant que chrétiens, le devoir de vous engager sur des routes concrètes ! Quand, malgré le progrès et le bien-être, des individus ou des groupes entiers dans votre pays doivent vivre dans des situations marginales, prouvez vis-à-vis de votre prochain que l'amour chrétien est concret et ne connaît pas de frontières ! Ne laissez pas les chômeurs dans la détresse, ne rejetez pas les étrangers, ne négligez pas les handicapés et les malades, découvrez les diverses formes de solitude et de pauvreté que connaît votre société, elle aussi.

Alors que tant de nos frères et de nos soeurs croyants souffrent pour leur foi dans le monde entier et sont persécutés pour la justice, ne les oubliez pas dans la prière et engagez-vous pour leurs droits !

Mettez à profit votre liberté et votre possibilité d'agir comme une chance pour eux et comme une aide pour les autres !

Nous nous rappelons, pleins de reconnaissance, les nombreuses initiatives par lesquelles la population de votre pays, et en premier lieu l'Église, a apporté généreusement son aide ces dernières années, par la parole et les actes, aux miséreux, aux opprimés et aux persécutés du monde entier. D'une manière toute personnelle, je vous remercie en cette heure pour votre solidarité humaine avec ma patrie polonaise.

Chers frères et soeurs ! Les Katholikentag ont représenté, dans votre histoire, d'importants jalons sur le plan ecclésial et sociopolitique.

À ce Katholikentag aussi s'attachent de grands espoirs et de grandes attentes. Efforcez-vous d'y correspondre, au moment où, dans le sens de votre devise, vous tentez de trouver un nouveau commencement. Que chacun commence par soi-même. Mettez-vous, de manière toute personnelle, en face de l'appel de Jésus à la conversion et à la foi ! Entrez pleins de courage dans les exigences de notre temps ! Alors ces journées feront jaillir de nouveaux élans pour le renouveau de l'Église et de la société. Unis à vos frères et à vos soeurs dans la foi des autres pays, unis aux chrétiens des autres Églises et communautés chrétiennes, témoignez de votre foi commune en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pleins de confiance, avancez-vous sur la route de l'unité, afin que, avec l'assistance de l'Esprit de Dieu, se prépare une nouvelle Pentecôte.

« Convertissez-vous et croyez, renouvelez le monde! » Pour que la grâce de Dieu vous en rende capables et pour que le Katholikentag vous donne dans ce but une riche moisson de courage et d'aide, j'accompagne de ma propre prière votre commune célébration de foi et je vous bénis du fond du coeur au nom du Père, du Fils et de l'Esprit Saint.




Discours 1982 - Lettre pour le VIIIe centenaire de sa naissance [23])