Discours 1982 - Jeudi, 23 septembre 1982


À UN GROUPE D'ÉVÊQUES DE LA RÉGION SUD-OUEST DE LA FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 24 septembre 1982




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. En vous accueillant, Evêques de la région que vous désignez comme Sud-Ouest de la France, j’accueille tous vos diocèses, à vrai dire bien divers, qui avoisinent la côte Atlantique, en passant par la grande métropole de Bordeaux. Et au delà de vos personnes, je pense à tous les prêtres qui forment vos presbytérium, aux frères, aux religieuses, aux laïcs qui ont à coeur de construire l’Eglise avec vous. Ce sont bien leurs fatigues et surtout leurs espérances que vous portez ici à Rome: vous désirez que leur foi soit affermie, dans le sillage de celle de l’Apôtre Pierre, que leur zèle évangélisateur soit stimulé par l’exemple et l’intercession de l’Apôtre Paul, et que, grâce à cette visite “ad Limina Apostolorum” de leurs Pasteurs, ils se sentent encore davantage en communion avec l’Eglise des premiers siècles, avec toute l’Eglise d’aujourd’hui, l’Eglise universelle dont vous portez précisément avec moi la sollicitude. A cela contribuent ces contacts, ces échanges, cette prière que vous avez avec moi et avec les responsables des Dicastères romains.

2. J’ai parlé d’espérance, car c’est bien la grâce qu’il faut implorer sur vos chers diocésains. L’espérance n’est pas un optimisme naïf; d’ailleurs l’analyse lucide des situations religieuses continue à manifester, à vos yeux, une progression de l’incroyance ou du moins de l’athéisme pratique, dans les milieux ouvriers des grandes villes comme dans les milieux universitaires, sans compter certaines zones rurales depuis longtemps peu christianisées. En même temps, l’avenir pourrait paraître encore plus compromis si l’accès des enfants à la catéchèse diminue, si la relève sacerdotale se fait rare. Même ceux qui gardent, comme vous dites, une certaine “mémoire” chrétienne auront du mal à la transmettre dans le climat actuel, et on ne saurait se résoudre à les voir demeurer en marge de la minorité vivante qui a fait son aggiornamento et se tourne avec vigueur vers l’avenir. Par ailleurs, vous savez déceler aussi des signes encourageants. Mais, de toute façon, espérer, c’est autre chose que de supputer, au plan sociologique, les chances humaines, ou même de rassembler nos moyens humains. C’est croire que même dans une situation difficile, un regain de vitalité ecclésiale est toujours possible, précisément à cause de la force que contient le message chrétien en lui-même, à cause de la grâce qui accompagne son accueil sincère, son expression dans la prière et sa mise en pratique dans la vie. Le problème pastoral est de faire que le véritable message de l’Evangile soit d’abord entendu dans les conditions concrètes où vivent nos contemporains.

Pour assurer cela, il faut sans doute imaginer et mettre en oeuvre un style de présence, des moyens et des méthodes d’apostolat qui touchent ces nouveaux ensembles humains avec les mentalités de leurs milieux de vie, et qui tiennent compte par ailleurs des mass media omniprésentes, qui permettent également d’exprimer ce qui a été découvert par la foi dans des communautés vivantes de croyants, à taille humaine. Il faut sans doute aussi des forces apostoliques nouvelles, dont vous voyez certaines se lever, personnes et groupes pleins de disponibilité et d’ardeur. Je vous encourage à chercher et à promouvoir une telle pastorale, avec le discernement qui revient à l’Evêque. Ne faut-il pas aussi renouveler et rendre pleinement efficaces les moyens classiques de ministère et d’apostolat dont disposent les Evêques, les prêtres et diacres, et les laïcs? Tel sera aujourd’hui le thème de mon entretien avec vous.

3. Chers Frères dans l’épiscopat, vous prenez très à coeur votre triple charge apostolique: celle d’enseigner “qui l’emporte sur les autres si importantes soient-elles”, suivant l’expression du Concile (Christus Dominus CD 12), c’est-à-dire d’annoncer vous-mêmes le mystère du salut et de veiller à la qualité de sa présentation; celle de présider la prière du peuple de Dieu et de veiller à ce que les sacrements lui soient proposés et donnés comme il se doit; celle d’être le père et le pasteur de tous, en veillant à la conduite et à l’unité des clercs et des laïcs. Et je sais quel zèle vous déployez, quel temps, quelles soirées vous consacrez pour les rencontrer sur le terrain, personnellement ou en petits groupes, dans les paroisses ou les mouvements. Dans les activités de votre ministère, je relèverai seulement deux réalisations pastorales, que j’ai notées avec satisfaction, auxquelles vous avez su redonner une place déterminante, avec un nouveau visage.

Il s’agit, d’une part, des visites pastorales à vos diverses communautés, mieux préparées et plus approfondies, qui vous permettent, à vous, de bien connaître les réalités de leur vie, leurs problèmes et leurs efforts apostoliques; et à ces communautés, de se situer par rapport à leur Evêque en personne, à celui qui leur est envoyé comme les Apôtres pour les intégrer, avec leur spécificité, dans le Corps unique du Christ.

D’autre part, vous insistez sur les diverses célébrations qui unissent le peuple de Dieu dans la prière, parfois même au plan diocésain: c’est bien en effet le propre de l’Evêque d’être le grand rassembleur des fidèles autour de Jésus-Christ pour les inviter à marcher sur des chemins convergents. Que ce soit à Cracovie ou à Rome, j’ai toujours compris ainsi mon rôle d’Evêque.

4. Regardons maintenant ensemble le ministère de vos prêtres. Ils sont d’autant plus méritants qu’ils sont moins nombreux, plus âgés et obligés de faire face à de multiples tâches qui les dispersent et les fatiguent. Une restructuration des tâches est en cours, dites-vous, et je l’encourage; car pour un certain nombre d’entre elles, des religieuses, d’autres personnes consacrées, des laïcs, hommes et femmes, peuvent y apporter leur concours, sinon même les prendre en charge, en union étroite avec leurs curés ou leurs aumôniers. Mais précisément, puissent les prêtres savoir ainsi se libérer pour se consacrer à fond aux ministères qui leur sont propres ou leur incombent à un titre particulier, comme dispensateurs des mystères de Dieu et guides des âmes (IOANNIS PAULI PP. II Epistula ad universos Ecclesiae Sacerdotes adveniente Feria V in Cena Domini anno MCMLXXIX, die 8 apr. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II (1979) 841 ss.): liturgie, prédication, responsabilité de l’orientation et de la qualité de la catéchèse des enfants et des adultes, formation à la prière et à l’action apostolique. Il s’agit d’assurer tout cela, régulièrement et en profondeur, dans les diverses communautés ou secteurs confiés spirituellement aux prêtres, à commencer par la paroisse, dont vous me dites qu’elle connaît heureusement un renouveau comme lieu d’accueil et d’évangélisation. Lorsqu’il en est ainsi, le terrain du Royaume de Dieu est préparé et ensemencé, et les fruits viendront sûrement, tôt ou tard, même si les vents de toute sorte y amènent entre temps des grains d’ivraie. En tout cas, par de tels ministères la sève chrétienne de ceux qui sont en lien, même imparfait, avec l’Eglise, est nourrie, entretenue ou ranimée; et ces chrétiens sont en même temps préparés à rencontrer de façon missionnaire le monde qui ne connaît plus son message et en attend précisément un authentique témoignage. Ces deux pastorales ne s’excluent pas; elles se complètent. Je joins donc mes vifs encouragements aux vôtres pour tous les prêtres qui s’acquittent d’un tel ministère, souvent sans jouir des résultats; cela exige d’eux, non seulement une foi et un amour sans cesse ravivés aux sources, grâce à la prière et à la lecture personnelles, mais un véritable travail de préparation et d’application. Je me limiterai à quelques exemples significatifs.

5. Avec vous, je souhaite que la liturgie soit toujours digne, même avec des communautés restreintes et pauvres en moyens; qu’elle soit ouverte à la participation active et avisée des différents membres de l’assemblée, chacun selon son rang et sa vocation; qu’elle utilise judicieusement les diverses possibilités d’expression autorisées, sans se livrer à une créativité fantaisiste, improvisée ou mal étudiée, que les normes ne permettent pas, précisément parce qu’elle en dénaturerait le sens; que la liturgie initie vraiment au mystère de Dieu par son atmosphère de recueillement, la qualité des lectures et des chants. Je sais bien - et c’est un grave souci pour tous les curés - que beaucoup de chrétiens, adultes et jeunes, manquent de conviction - ou de courage - sur le sens même de la messe et la nécessité d’y participer le dimanche pour être cohérent avec sa foi. Mais du moins faisons que nos messes laissent transparaître le “mystère de la foi” et en aient l’attrait.

6. Je souhaite également avec vous que les prêtres accordent beaucoup de soin à la prédication, au cours ou en dehors de la messe. Pour tant de chrétiens adultes, qui sont pratiquants réguliers ou saisonniers, ce sera souvent la seule occasion d’un enseignement religieux, avec la lecture de revues ou bulletins chrétiens. Et les courtes homélies qui accompagnent aussi les autres sacrements de baptême, de mariage, de confirmation, ou les funérailles, seront le seul lien avec l’Eglise pour de nombreux non pratiquants. Dès lors, demandons-nous: sous la forme concise et avec le langage qui conviennent, est-ce vraiment le coeur du mystère chrétien qui leur est révélé, qu’il s’agisse des dogmes, des exigences éthiques ou des sacrements? Est-ce que cette prédication permet de connaître l’ensemble du comportement chrétien, ou seulement quelques aspects qui reviennent, toujours les mêmes, au gré personnel du prêtre? Il y a d’ailleurs beaucoup de réalités humaines où la doctrine chrétienne et le salut de l’homme sont impliqués; le décret “Christus Dominus” (Cfr. Christus Dominus CD 12 § 3) en évoquait un certain nombre, comme sujets de notre enseignement d’Evêques; et vous notez que des chrétiens répugnent à accepter un rapport entre l’évangélisation et la promotion des droits de l’homme ou l’éthique sociale. Oui, tous ces éléments peuvent et doivent faire l’objet de l’enseignement de l’Eglise, dans une perspective qui, à la façon des épîtres de saint Paul, les relient toujours, comme des conséquences, au mystère chrétien, lequel doit demeurer central, surtout dans la prédication. Bref, cherchez, avec vos prêtres, comment donner à cette prédication et aux autres modes d’enseignement leur place capitale et leur qualité.

7. La catéchèse permet une découverte ou un approfondissement systématique de la foi dans des conditions autres que l’homélie.

Puissions-nous convaincre les jeunes parents, et déjà les futurs qui contractent un mariage chrétien, de la nécessité d’une catéchèse de leurs enfants qui commence dès le jeune âge! Et puissions-nous faire accompagner le mieux possible les jeunes du secondaire par une catéchèse ou des groupes de réflexion chrétienne! Cette catéchèse est si importante et si complexe dans la conjoncture actuelle que j’y reviendrai plus longuement avec vos confrères. Disons du moins ici que les prêtres, loin d’être déchargés de leur mission à cet endroit par la contribution des laïcs, gardent un rôle primordial pour susciter les catéchètes, les former et veiller à la qualité de leur service.

8. Je félicite les prêtres qui consacrent aussi un grand soin et du temps à la préparation des sacrements du baptême, du mariage, de la confirmation, tout en se faisant de façon opportune aider par d’autres membres de la communauté et par les familles.

Mais je voudrais encore signaler un aspect qui doit trouver sa place à travers tout le ministère sacerdotal: c’est d’apprendre aux fidèles à prier, à prier souvent et bien, en groupe et personnellement, selon le rythme des moments et des événements, mais aussi de façon gratuite, dans l’intimité. Plus de gens qu’on ne le croit seraient capables de faire oraison! Mais personne ne leur a appris... Or, sans cette intériorité, les baptisés s’essoufflent, leur action devient cymbale sonore, et même leur pratique religieuse, si elle existe, se dessèche.

Par ailleurs - sans revenir sur l’importance du sacrement de pénitence dont j’ai entretenu les Evêques de l’Est et qui fera partie du thème du prochain synode - combien d’âmes ont besoin d’échanges, de conseils, pour la solution de leurs problèmes de conscience, ou la progression de leur vie spirituelle. C’est là encore, par excellence, le rôle du prêtre.

Enfin, dans l’action chrétienne entreprise par les laïcs et réfléchie en équipe, le prêtre a aussi sa place hors pair pour aider ces chrétiens à bien relier leur action au dessein du Christ, à lui donner une dimension apostolique.

Tout cela demande aux prêtres d’aujourd’hui une grande disponibilité de coeur et des possibilités concrètes d’accueil, alors que tant d’activités les sollicitent et qu’ils doivent aussi trouver un équilibre de vie au plan physique, intellectuel, amical et spirituel. Mais quelle joie aussi d’être “don de Dieu pour la communauté”! Il faut que vous les aidiez à envisager cet essentiel, ce spécifique de leur ministère. C’est bien cela aussi qu’attend le peuple de Dieu, et même ceux qui sont pour l’instant en marge de l’Eglise.

Ce que j’ai dit des prêtres vaut en partie aussi pour les diacres permanents, dont on n’a pas suffisamment exploré les possibilités.

Je souhaite enfin que les prêtres se soutiennent encore davantage entre eux. Je suis heureux de savoir qu’ils éprouvent un nouveau besoin de resserrer leur cohésion, au plan des échanges, de la prière, de la fraternité sacramentelle qui trouve une si belle expression le Jeudi saint. Et j’espère que l’institution des Conseils presbytéraux les aideront sur ce chemin.

9. J’ai souvent fait allusion aux laïcs. Qui ne se réjouirait de les voir plus conscients, non seulement de leur rôle de témoins de l’Evangile dans leurs responsabilités familiales, professionnelles, culturelles et civiques, au milieu du monde, mais aussi de leur capacité d’assumer et d’animer les différents services que requiert une communauté chrétienne et qui relèvent de leur compétence de baptisés, de confirmés. J’avais déjà longuement évoqué ces possibilités avec vos confrères du Centre de la France, et tout récemment avec les Evêques belges.

Le concours de ces laïcs est parfois occasionnel; il peut aussi être institué de façon permanente, ou du moins durer un certain temps au point d’être comme un ministère, avec ou sans le nom, confié par une délégation de l’autorité ecclésiastique. Comme les prêtres et les religieuses, ces laïcs doivent garder le sens du service, et l’esprit de gratuité dans ce service, même si la communauté se doit d’assurer la subsistance de ceux qui y consacrent tout leur temps.

J’approuve surtout votre souci de leur procurer une formation à la hauteur de leurs responsabilités, spécialement pour les services catéchétiques et liturgiques. Avec la formation des candidats aux ministères ordonnés - qui fera l’objet d’un autre entretien -, c’est sans doute l’un des domaines où vos Eglises doivent le plus investir pour préparer l’avenir, et imaginer les moyens de le faire, en trouvant d’abord le personnel d’encadrement. Cela peut se faire dans des centres diocésains ou régionaux, mais qui ne les coupent pas de leur travail de base. Les Conseils pastoraux peuvent être sûrement un moyen privilégié d’insuffler une prise de conscience commune des besoins et des engagements.

Que tous ces ouvriers apostoliques, agissant en liaison étroite avec l’Eglise et pour l’Eglise, se sentent encouragés par le Pape, comme ils le sont par vous-mêmes!

Les quelques problèmes que j’ai abordés sont loin d’épuiser les vôtres; mais cet entretien prend place dans l’ensemble de ceux que j’ai eus ou aurai avec vos confrères des autres régions de France. Qu’il vous manifeste du moins combien je veux demeurer proche de vous, et de tout ce que comporte votre ministère; proche de vos prêtres - traduisez mon affection particulière pour ceux qui sont malades ou âgés -; proche de tous vos diocésains. Pour chacun d’eux vous serez porteurs de ma cordiale Bénédiction Apostolique. Que par l’intercession de Marie, Mère de l’Eglise, l’Esprit Saint vous assiste tous de sa lumière et de sa force, et vous permette de poursuivre le chemin dans l’espérance!



Discours aux évêques du Mozambique en visite « ad limina » - 24 septembre


Le Pape a reçu, le 24 septembre, les neuf évêques du Mozambique venus à Rome à l'occasion de leur visite ad limina, avec à leur tête Mgr Jaime Pedro Gonçalves, président de la Conférence épicopale. Dans son allocution, Jean-Paul II, après s'être réjoui de voir au Mozambique une Église vivante et ouverte, a souligné les obstacles auxquels elle se heurte dans son travail d'évangélisation (notamment la grande pénurie de prêtres et les difficultés des rapports avec un gouvernement de type marxiste), et a particulièrement engagé les évêques à promouvoir la formation des laïcs chrétiens, à soutenir l'institution familiale et à évangéliser la culture africaine (1) .

(1) Texte portugais dans l'Osservatore Romano du 24 septembre. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE Épiscopale du Mozambique,
vénérés frères Évêques,

1. C'est pour moi une grande joie de recevoir le Collège épiscopal du Mozambique, cette nation vouée à un si bel avenir. La visite ad limina apostolorum cherche non seulement à insuffler un nouvel élan dans la foi et dans le courage des apôtres qui ont donné ici le témoignage de leur sang et ont ici même leur tombeau et à resserrer les liens d'unité avec le siège du Successeur de Pierre, mais entend aussi permettre un échange entre les Églises particulières et l'Église universelle. En ce sens, la rencontre d'aujourd'hui revêt une signification spéciale : pour moi, par le contact avec les colonnes de l'Église du Mozambique et, pour vous, par l'expérience de l'unité catholique, ici, au centre de la catholicité.

Je vous salue donc avec une particulière affection. Je désire vous ouvrir mon coeur comme à des frères très chers, en vous adressant une parole de soutien pour l'immense travail que vous réalisez dans vos diocèses, une parole d'encouragement qui vous affermisse dans les difficultés de votre chemin, une parole d'orientation pour les problèmes que vous affrontez.

J'ai lu avec attention le rapport que vous avez eu soin de m'envoyer à cette occasion sur la situation de l'Église dans votre pays. Je vous remercie des informations que vous y avez rassemblées, de même que des nobles sentiments dont vous avez tenu à l'accompagner : de communion avec le Successeur de Pierre, de disposition à servir l'Église, en confirmant les frères dans la foi, de partage des grandes inquiétudes face à la vie et à la mission de l'Église dans votre pays. Je vous remercie tout particulièrement de l'expression d'unité ecclésiale.

De mon côté, je désire aussi partager avec vous les mêmes sentiments, en vous assurant que, dans le coeur du Pape, non seulement retentissent vos aspirations et vos espoirs, vos problèmes et vos inquiétudes, mais aussi, et pardessus tout, que vos personnes occupent une place de tout premier plan, comme des frères très chers, entièrement engagés dans la même cause du royaume de Dieu, corespon- sables de la grande cause de l'Évangile.


Une Église vivante et ouverte

2. Je me réjouis vivement de voir au Mozambique une Église vivante, ouverte et attentive aux grands défis de notre époque. L'Église catholique en général et le Saint- Siège en particulier regardent vers l'Afrique avec un grand espoir. L'activité missionnaire et l'intense travail de l'Église récemment implantée dans ce continent — après tant de vicissitudes dans le passé — constituent une véritable épopée, caractéristique du catholicisme du XXe siècle. Comme nous nous sentons émus et reconnaissants au Seigneur et aux hommes engagés dans cette épopée, en lisant l'histoire de l'Église en Afrique au cours de ce siècle !

Il est beau et réconfortant de sentir votre enthousiasme pour la cause du Christ et votre engagement concret à travailler à la construction du royaume de Dieu.

Vous avez des raisons propres de vous réjouir aussi du chemin que vous avez parcouru ces dernières années : un chemin d'évangélisation, un chemin de participation communautaire, un chemin de maturation et d'organisation des cadres de l'Église. Il me plaît particulièrement de souligner la communion ecclésiale à laquelle fait allusion votre rapport. Dans un monde aussi divisé, où prédominent généralement les tensions et les radicalismes, la mission de l'Église comme élan de communion et de participation de tous à la cause commune devient plus importante. L'Église est placée dans le monde comme signe d'unité et d'espérance. Il lui revient donc d'être fidèle à l'inspiration de son divin Fondateur, de rechercher cette unité qui jaillit de l'Évangile et de la vivre intérieurement sur le plan de la famille, de la paroisse, du diocèse, de la conférence épiscopale et de l'Église universelle ; et ainsi de devenir un levain de compréhension et d'amour pour la société humaine tout entière.

Deux dimensions caractérisent au premier chef l'Église : son caractère missionnaire, en tant qu'elle est envoyée pour annoncer à tous les peuples le message de l'Évangile du salut et son dynamisme de communion : que tous soient un (Jn 17,21). Il ne suffit pas d'attirer les hommes au christianisme, il faut encore les conduire à l'unité de vie, dans l'engagement ecclésial.


La grande pénurie de prêtres

3. À côté des grandes joies devant les réalisations effectuées, vous présentez également bien des appréhensions. Vous mettez en relief le manque d'une liberté religieuse appropriée pour l'apostolat, les dangers qui entourent les agents de la pastorale, les angoisses face à la violence et aux restrictions de divers ordres qui touchent les personnes liées à l'Église. Cette situation ne peut laisser insensible notre coeur de Pasteur. Vient ensuite le problème des vocations. Vous ressentez le manque de personnes aptes au travail de l'évangélisation, la pénurie de prêtres, de religieux et de laïcs insérés dans les cadres pastoraux de l'Église.

Le sacerdoce — comme j'ai eu l'occasion de l'exprimer dans la prière du Jeudi saint de cette année — est un don de Dieu à l'Église. Il doit donc être regardé comme don. La première attitude devant ce don est de le demander avec insistance. C'est ce que le Christ lui-même a recommandé à ses disciples : « Demandez au Seigneur de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa mission, car la moisson est grande et les ouvriers peu nombreux » (cf. Lc Lc 10,2).

Comme j'ai pu le constater dans votre rapport, vous vous employez avec zèle à promouvoir les vocations sacerdotales et religieuses. Je connais les difficultés qui, malheureusement, empêchent leur éclosion et leur développement ultérieur. C'est ainsi que votre infatigable travail dans ce domaine se heurte à des obstacles quasi insurmontables qui ne permettent pas de le mener à bon terme. Les jeunes sont systématiquement détournés de toute aspiration au service de Dieu. Vous souffrez alors de voir le clergé autochtone insuffisant pour l'immense champ du Seigneur, sans pouvoir répondre à l'aspiration des fidèles qui demandent avec insistance un prêtre.

Je voudrais vous dire en ce moment que le Pape sent avec vous les amertumes de cette situation. Et il prie avec vous et pour vous.

Dans la grande pénurie de prêtres qui angoisse votre Église, je ne puis manquer de faire une référence particulière aux laïcs. Vous en avez déjà en grand nombre, intégrés au travail de l'Église, partout où leur présence devient utile ou nécessaire. Je me réjouis avec vous de votre admirable initiative, qui consiste à engager et à former, dans la mesure du possible, des laïcs toujours plus nombreux pour l'action évangélisatrice, en leur confiant des responsabilités et en les encourageant à vivre leur foi dans un authentique témoignage chrétien et dans une fructueuse collaboration, au milieu de toutes les adversités.


Le rôle capital de la famille

4. Un autre problème qui vous angoisse est celui de la famille. En recueillant les riches travaux du Synode des évêques sur la famille, j'ai eu l'occasion d'exprimer dans l'Exhortation apostolique Familiaris consortio la préoccupation de l'Église dans cet important domaine. La pastorale familiale, aujourd'hui surtout, n'est pas facile. Mais il est nécessaire de la réaliser : il s'agit d'une oeuvre de grande envergure.

Comme tant de secteurs, celui-ci revient particulièrement aux laïcs. Ici aussi nous devons demander au Seigneur de la moisson d'envoyer de bons laïcs : des hommes et des femmes pour cet apostolat. Plus encore, il faut également mettre à l'oeuvre des organismes vigoureux, animés par des foyers éclairés et dévoués à la pastorale familiale, qui puissent aller au secours des familles : promouvoir leur spiritualité, préparer les jeunes au mariage, soutenir les foyers en crise, assurer aux époux et aux parents une formation plus adaptée, former l'opinion publique aux valeurs du mariage et de la famille.

Dans l'Exhortation apostolique Familiaris consortio, j'ai affirmé que « l'avenir de l'humanité passe par la famille ». Ici, une fois de plus, je signale l'importance de cette institution. C'est dans la famille que se forment les hommes de l'avenir, c'est en elle qu'éclosent les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse et laïque. Il vaut la peine de lui consacrer tout le soin nécessaire, comme à l'une des réalités les plus chères à l'Église et les plus vitales pour l'avenir. La pastorale familiale, comme cela apparaît bien dans votre rapport, constitue un défi. L'Église accepte ce défi.


Évangéliser la culture africaine

5. Votre rapport faisait également référence à la culture et, plus spécifiquement, à l'âme africaine. Je puis vous assurer que, dans mes voyages dans votre continent, j'ai eu l'occasion d'apprécier les valeurs qui vous sont propres. Je me suis même efforcé, au retour de mon plus récent voyage, en avril de cette année, de souligner à quel point la culture africaine favorise une véritable évangélisation et constitue une résistance providentielle aux attaques de l'athéisme et des idéologies étrangères.

Je voudrais réaffirmer ici la volonté de l'Église de s'incarner dans les diverses civilisations et cultures. Votre position dans l'Église, comme Africains parmi les Africains, concrétise cette préoccupation de faire en sorte que l'Église en Afrique soit connaturelle à son peuple. Il vous revient donc, dans les perspectives du Concile Vatican II, d'essayer de traduire l'Évangile dans votre culture, de manière à le rendre compréhensible et, plus encore, vital pour votre peuple, sans, bien entendu, porter tort à la nécessaire unité ecclésiale et à l'authenticité évangélique, qui s'établissent et s'affermissent dans la diversité des peuples et des cultures.

Il incombe à votre jugement pastoral, secondé par une étude sérieuse et en constante référence à l'Église universelle, de discerner, parmi les différentes expressions culturelles de votre peuple, celles qui sont les plus aptes à exprimer les valeurs évangéliques. Il y a plus encore. Non seulement il vous incombe d'assumer les expressions culturelles appropriées, mais aussi d'évangéliser la culture africaine elle-même, de manière que, aux peuples, on puisse parler d'une vraie culture africaine, à l'exemple de celle qui a caractérisé les premiers temps du christianisme, à l'époque de saint Cyprien et de saint Augustin. Un tel travail, à n'en pas douter, est immense et difficile. Il exige la présence d'hommes dotés d'une foi ferme et d'une profonde culture, qui soient à la fois sensibles à l'Évangile et à leur propre peuple. Mais c'est aussi un travail important et, je dirais même, une condition pour la survivance du catholicisme dans votre pays, au milieu des obstacles auxquels il s'est heurté tant de fois au cours des siècles. Dans la mesure où les populations d'Afrique ne sentiront pas le christianisme comme étant leur propre sang et leur propre âme, elles ne seront pas disposées à le défendre au risque de leur vie.

Vous n'avez donc pas été placés à la tête de l'Église, en Afrique, pour lui apporter une culture, mais pour imprégner la culture africaine elle-même de valeurs évangéliques. Pour ce faire, intégrés comme vous l'êtes à votre milieu naturel, sentant les aspirations et la vie du troupeau qui vous a été confié et, en même temps, profondément imprégnés de la foi chrétienne, vous saurez vous-mêmes trouver le mode d'intégration de ces deux pôles vitaux : la foi et la culture. Dans cette importante incarnation culturelle, il revient au Saint-Siège de donner une orientation pour que l'unité de l'Église universelle se maintienne ferme, par la préservation des éléments essentiels de la foi catholique.

À côté des grandes valeurs de la religion populaire, votre société subit aujourd'hui le choc profond de l'athéisme. Des idéologies de différentes provenances pénètrent dans votre pays, avec une influence négative, particulièrement sur les jeunes. C'est principalement dans ce climat que vous serez des maîtres dans la foi, en valorisant les valeurs autochtones, pour y implanter une profonde vie évangélique.


Les relations avec la nouvelle société

6. Il vous revient, chers frères, d'assurer la noble et épineuse tâche de pionniers dans les relations avec la nouvelle société qui se crée depuis l'indépendance de votre pays. Nous savons que tout commencement est difficile. Les problèmes de la faim, de la violence fratricide, de l'instabilité sociale et politique se font profondément sentir. Presque tout reste à faire. Parfois se font jour des incertitudes et des doutes quant à l'avenir. C'est le propre de ce qui est nouveau de ne pas encore disposer de structures solides. De dures épreuves mettent au défi la capacité de créativité et le courage des pionniers, parfois hésitants devant le meilleur chemin à prendre.

Dans ces circonstances, quelle est votre mission d'évêques ? Quelle est la mission de l'Église ?

Je partage pleinement la sollicitude pastorale que vous avez exprimée dans le communiqué de votre Conférence épiscopale, publié en mai de cette année sur la souffrance de votre pays : « Nous avons été profondément émus par la nouvelle de la famine qui a frappé tant de nos frères, surtout dans certains districts de Nampula. Nous sommes édifiés par les efforts de Caritas et des organisations internationales et par le dévouement de nombreuses personnes qui n'ont pas ménagé leurs forces et leurs fatigues pour soulager cette souffrance. Nous lançons un appel à tous pour que l'on continue à secourir nos frères qui ont faim. De même, nous ne pouvons rester insensibles devant les souffrances que des situations de violence et de guerre provoquent dans diverses provinces. Animé par la fraternité évangélique, que chacun fasse tout son possible pour triompher de ces souffrances et créer un climat de réconciliation et de paix. »

Votre apport consistera donc à construire l'âme de votre société. Il ne vous revient pas de présenter des solutions techniques, tâche propre aux laïcs spécialisés dans ce secteur. Votre devoir spécifique est de vous engager en faveur de la civilisation de l'amour. On attend de vous que vous travailliez corps et âme pour empêcher le déchaînement de la violence, de la haine, de l'oppression. Vous êtes appelés à promouvoir l'union des forces, à concilier les positions extrêmes et même apparemment irréductibles et à apporter l'amour là où règne la haine. Dans l'encyclique Dives in mi- sericordia j'ai voulu aborder ce point. De même que notre Dieu est le Dieu de la miséricorde, il veut que, nous aussi, nous nous engagions pour la réconciliation entre les hommes, pour le pardon, pour la solidarité. Une société sera heureuse si l'amour et la concorde y règnent. Vous avez le devoir d'y contribuer au milieu de votre peuple.

Je voudrais, pour cette raison, me réjouir avec vous du travail que vous réalisez dans la reconstruction nationale, surtout dans le domaine de la santé, de l'éducation et du développement de l'homme. Le dialogue que vous vous efforcez de maintenir, avec patience, avec les autorités de la nation et avec tous ses membres, bien au-dessus des factions qui divisent et agitent la vie de votre pays, mérite lui aussi d'être particulièrement relevé.

Voici une autre contribution qu'il vous incombe d'apporter : celle de l'espérance, une espérance fondée sur la foi en Dieu et sur la foi dans le destin de l'homme ; une espérance fondée sur le travail humain et sur l'amour de la cause commune. Quand, pour quelque motif que ce soit, s'élèvera le désespoir, vous apporterez l'espoir.

C'est ainsi que vous serez des artisans de paix. Vous saurez inculquer la confiance aux hommes et montrerez ce véritable amour de la patrie qui consiste à respecter et à valoriser les personnes, à les aimer et à les promouvoir à l'intérieur du territoire national et à reconnaître les caractéristiques et l'indépendance des peuples voisins.

7. Très chers frères, il me serait impossible d'épuiser, dans cette brève rencontre fraternelle, les vastes problèmes qu'embrasse votre travail pastoral. En vous ouvrant mon coeur, je veux, par-dessus tout, vous manifester mon estime pour l'oeuvre que vous réalisez ainsi que pour vos personnes. Le Pape est avec vous et vous accompagne dans une fraternelle sollicitude.

Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur Celui qui est la raison de votre vie et de votre travail : Jésus- Christ. C'est lui qui vous anime en ce moment et qui vous accompagne dans toutes les situations, aussi bien dans la prospérité que dans l'adversité. Ayez toujours présente devant les yeux sa parole d'encouragement, surtout lorsque le poids de la responsabilité semble faire chanceler le pas : « Courage, j'ai vaincu le monde. » (Jn 16,33)

Oui, même quand s'élèvent des tempêtes et que la barque de l'Église semble en péril, souvenez-vous que Jésus est avec vous. Il ne vous abandonnera jamais. Pourquoi donc avoir peur, comme autrefois les disciples au milieu de la tempête de la mer de Galilée ? Voici la raison de notre espérance, voici la certitude de notre victoire : notre foi dans le Christ, Sauveur du monde.

Que le Seigneur vous comble de tous les biens, qu'il vous aide à cheminer heureux, en orientant avec assurance le peuple qui vous est confié. Et en gage d'abondantes grâces divines, je vous accorde ma bénédiction, que j'étends à votre Conférence épiscopale et à chacune de vos communautés diocésaines.




Discours 1982 - Jeudi, 23 septembre 1982