Discours 1982 - Vendredi, 1 octobre 1982


AU NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE PRÈS LE SAINT- SIÈGE

Samedi, 2 octobre 1982




Monsieur l’Ambassadeur,

C’est toujours une joie renouvelée d’accueillir les Ambassadeurs qui viennent présenter leurs Lettres de créance pour accomplir cette délicate et importante mission auprès du Saint-Siège. Soyez vous-même, Excellence, le bienvenu en ce lieu et en ce jour où vous inaugurez vos fonctions d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, accrédité par Monsieur le Président de la République de Turquie, le Général Kenan Evren.

Tout d’abord, laissez-moi vous remercier des sentiments et des voeux que vous venez d’exprimer au nom de votre Gouvernement et de votre pays, aussi bien envers le Saint-Siège qu’à l’égard de ma personne et de la mission qui m’incombe depuis quatre années bientôt. J’ai également éprouvé beaucoup de satisfaction en vous entendant rappeler certains idéaux qui vous tiennent à coeur, tels que le respect fondamental des droits de l’homme, parmi lesquels la liberté de religion, et la coopération au développement de la justice et de la paix, là où elles sont compromises. Ce sont là des bases absolument irremplaçables pour une humanité qui se veut habitable et veut véritablement avancer sur les chemins de la civilisation, j’oserais même dire, qui veut survivre.

L’Eglise, pour sa part, se sent solidaire du sort de l’humanité en général, et de chaque peuple en particulier. Elle estime conforme à sa mission spirituelle de se soucier de toutes les causes humaines, et spécialement des droits des personnes et des populations qui se trouvent lésés. Ce faisant, comme vous l’avez souligné, l’Eglise et le Saint-Siège travaillent pour le fondement d’une véritable paix: celle-ci suppose la recherche de la justice, laquelle ne va pas sans l’amour, et elle requiert d’abord l’abandon de toute violence, spécialement sous les différentes formes de terrorisme, qui ne sauraient jamais se justifier. Combien de personnes innocentes en ont été ou en sont victimes, aujourd’hui encore, à travers le monde, et notamment certaines qui portent de hautes responsabilités! Vos prédécesseurs en ont eux-mêmes souffert.

Plus généralement, la solidarité associe l’Eglise à toute l’action civilisatrice et éducative de l’homme. On peut dire, tout en tenant compte des limites humaines des responsables et des membres de la grande famille des chrétiens, que leur présence au monde veut être une présence libre, active, et toujours stimulante, afin que la société se construise de manière digne de l’homme, c’est-à-dire sur ces quatre colonnes que, dans l’encyclique “Pacem in Terris”, le Pape Jean XXIII, particulièrement attaché à votre pays en raison des dix années passées en Turquie comme Représentant pontifical, avait si bien mises en relief.

Si l’on regardait le bilan des relations diplomatiques entre le Siège Apostolique et votre nation, il serait certainement jugé positif. Les deux voyages pontificaux en votre pays, entre autres, l’ont bien illustré. Après le Pape Paul VI, j’ai moi-même conservé le meilleur souvenir de l’accueil courtois qui me fut réservé par le peuple turc et ses dirigeants en novembre 1979. J’avais tenu à l’exprimer très cordialement avant de quitter Ankara. Cette visite, essentiellement religieuse, m’avait procuré des contacts bénéfiques avec les communautés catholiques et avec les autres communautés chrétiennes, en particulier le Patriarcat oecuménique orthodoxe et le Patriarcat arménien. Et j’avais éprouvé une joie très grande à me retrouver sur une terre où l’histoire des tout premiers siècles chrétiens s’est profondément inscrite. Qu’il suffise d’évoquer quelques noms anciens: Antioche, Ephèse, Smyrne, Constantinople, Nicée. La brièveté de mon séjour n’avait pas permis que je visite tous ces lieux, ni les petites communautés paroissiales et les instituts religieux, qui, aujourd’hui même, participent de leur mieux aux besoins scolaires ou sanitaires de votre pays. Permettez-moi d’exprimer, à la suite de mes prédécesseurs, le voeu ardent que ces communautés de religieux et de religieuses puissent - conformément à l’Evangile dont ils sont les disciples - librement continuer de servir ou plus exactement de contribuer à servir les populations turques, dans un esprit d’ouverture aux réalités et aux besoins du pays, et dans le respect absolu des personnes et des consciences.

A ces souhaits, je tiens à en ajouter d’autres, non moins fervents, à l’égard de votre nation. Puisse-t-elle, au point où elle en est de sa longue et riche histoire, et en cette position d’exceptionnelle charnière entre deux grands continents, toujours progresser sur les chemins de la concorde et de la sérénité intérieures, de la paix avec ses voisins, de la prospérité économique de tous ses citoyens!

Je vous serais particulièrement reconnaissant l’exprimer ma vive gratitude à Son Excellence le Général Kenan Evren pour ses souhaits, et de lui transmettre ceux que je forme pour sa personne et pour les très hautes responsabilités qu’il exerce au service de tout son pays. Et que le Tout-Puissant, veillant sur votre nation, inspire Monsieur le Président et tous ceux qui partagent le souci du bien commun! Qu’Il donne sagesse, courage et fraternité à tous vos compatriotes, et qu’Il vous accorde à vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, le bonheur d’accomplir au mieux votre très belle mission!




Discours au Congrès mondial des médecins catholiques - 3 octobre


Le 3 octobre, le Pape s'est rendu à l'auditorium du Palazzo Pio, sur la Via della Conciliazione, où il a rencontré les quelque 2 500 membres du XVe Congrès international des médecins catholiques provenant de 71 pays. Voici le discours qu'il leur a adressé (1) :

(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano des 4-5 octobre. Traduction, titre, sous-titres et notes de la DC.

Le médecin au service de la vie


1. C'est pour moi un motif de vive joie de saluer aujourd'hui de si nombreux et si illustres représentants de cette forme sublime de service de l'homme qu'est la médecine, réunis pour cette importante assise qui est en même temps le XVe Congrès de la Fédération internationale des associations des médecins catholiques (FIAMC) et le XVIe Congrès national de l'Association des médecins catholiques italiens (AMCI).

Ma joie est accrue par l'extraordinaire variété et, en même temps, par la profonde unité qui caractérisent votre assemblée. Vous provenez, en effet, de toutes les parties du monde et vous travaillez dans les conditions et les situations politiques et sociales les plus diverses, mais vous êtes, en même temps, liés entre vous par la foi chrétienne commune qui soutient et anime votre service de la vie et de l'homme.

À tous ma salutation cordiale et mes remerciements, avec une pensée spéciale pour ceux qui ont organisé ce congrès avec dévouement et enthousiasme.

Je dois un remerciement particulier à Mgr Fiorenzo Angelini qui est depuis tant d'années l'animateur zélé et infatigable de l'Association des médecins catholiques italiens et qui, en cette circonstance, a assuré une somme considérable de travail pour la préparation du Congrès, dont il s'est occupé avec intelligence et en détail, en surmontant des difficultés variées et complexes, et en recevant justement votre appréciation, votre adhésion et votre participation.

Aucun lieu, mieux et davantage que Rome, n'aurait pu proposer et consolider une vision universelle de ce service de la vie dont tout ce qui est dit dans le Code de déontologie médicale tire sa raison. Rome, qui est appelée la « Ville éternelle » parce qu'elle semble vivre depuis toujours, s'ouvre sur cet horizon universel qui fait d'elle une référence de civilisation obligée et exaltante.


Le droit à la vie

2. Le thème de votre Congrès réunit et synthétise le problème des droits de l'homme dont je me sens si proche. En tout temps, le droit de l'homme à la vie a été reconnu comme un droit premier et fondamental et comme la racine et la source de tous les autres droits.

La vie est donc l'une des valeurs les plus grandes car elle descend directement de Dieu, origine de toute vie (Gn 2, 7, Ez 37,8-10). En tant que vivant créé à l'image du Créateur (Gn 1,26), l'homme est immortel de par sa nature (Gn 2,7 Sg 2,23).

Je vois opportunément souligné dans les différentes articulations du Congrès, dans les échanges, dans les communications, dans les points du débat, le concept de globalité de la vie. J'en suis heureux car je considère qu'une telle manière de poser le problème est d'une importance fondamentale.

Si, en effet, le service de la vie définit la finalité de la médecine, les limites de ce service ne peuvent être tracées que par le véritable et intégral concept de vie. En d'autres mots, le service auquel vous êtes appelés doit comprendre et, en même temps, dépasser la corporéité, précisément parce que celle-ci n'épuise pas la vie.

Tandis qu'elle rappelle la fragilité de la condition humaine, vulnérable comme une pousse d'herbe (Is 40,6 Ps 90,6), fuyante comme une ombre (Jb 4,2 8, 9), négligeable comme une goutte d'eau (Si 19,10), la Bible souligne la grandeur sans mesure de la vie qu'elle identifie avec le bien, tandis qu'elle attribue au péché non seulement la tache de la faute, mais même les souffrances des maladies et de la mort physique. Par le péché, l'homme a perdu l'immortalité pour lui et ses descendants (Rm 5,12 1Co 15,21).

Cette vaste vision du concept de vie est confirmée par la manière dont est présentée la rédemption opérée par le Christ. Elle est vue comme une récupération de la vie, une nouvelle entrée dans la vie, comme un don de vie en abondance (Jn 10,10). Dans le Christ, la « grâce » est vie, et retrouver la vie signifie se replacer dans le dessein créateur de Dieu qui est par définition « le Dieu vivant » (Dt 5,23 Mt 26,63).

C'est donc à juste titre que vous, illustres médecins qui êtes ici réunis pour étudier les nombreux problèmes qui touchent à la santé, vous avez mis l'accent sur la défense de la vie puisque, dans cette valeur suprême, se retrouvent les raisons ultimes qui justifient votre engagement dans les différents domaines de vos spécialisations respectives. La tâche de sauvegarder la vie, de veiller à ce qu'elle évolue et se développe dans tout le champ de l'existence, dans le respect du dessein tracé par le Créateur, vous incombe.

La connaissance accrue des phénomènes qui président à la vie a beaucoup élargi les limites de la médecine dont le service se déploie dans les domaines de la prévention, du soin, de la rééducation avec l'effort inépuisable de prédisposer, défendre, corriger et recouvrer les conditions de vie, en accompagnant l'être humain depuis les tout premiers stades de l'existence jusqu'au déclin inévitable.

En outre, aujourd'hui plus que jamais, la médecine se place au centre de la vie communautaire, comme facteur déterminant dans les messages éducatifs, dans la valorisation de tout l'homme, dans l'organisation des formes de vie associative, dans le recouvrement des valeurs en péril ou perdues, dans la présentation à l'homme d'une raison d'espérer toujours nouvelle.


L'Église et la médecine

3. Depuis l'origine, l'Église a toujours regardé la médecine comme un soutien important de sa propre mission rédemptrice à l'égard de l'homme. Des très anciens hospices pour étrangers aux premiers complexes hospitaliers et jusqu'à nos jours, le ministère du témoignage chrétien est allé de concert avec ce qui est sa sollicitude à l'égard des malades. Et comment ne pas souligner le fait que la présence même de l'Église dans les territoires de mission se caractérise par une attention empressée à l'égard de la santé ? Cela se fait, non pas en raison d'une fonction de suppléance par rapport à l'institution publique, mais parce que le service de l'âme humaine ne peut se réaliser pleinement qu'en se mettant au service de son unité psychophysique. L'Église sait bien que le mal physique emprisonne l'âme, de même que le mal de l'esprit asservit le corps.

D'autre part, il est significatif que des saints canonisés par l'Église — comme Jean de Dieu et Camille de Lellis, pour ne pas parler de beaucoup d'autres — aient apporté des innovations décisives dans le domaine d'une assistance toujours plus vigilante et active aux malades. Du reste, une étude attentive des normes ascétiques chrétiennes permettrait de reconnaître des contributions importantes à l'éducation de l'homme dans le soin total de sa santé physique et psychique. Et l'un de vos collègues, Alexis Carrel, n'a-t-il pas soutenu, par exemple, que la prière réconcilie l'homme avec Dieu avec des effets vérifiables sur toute la santé de l'homme ? (A. Carrel, la Prière, Paris, 1935).

En considérant cela, les Pères du Concile Vatican II, dans leur appel aux hommes de pensée et de science, affirmaient avec une fierté émue : « Votre chemin est le nôtre. Vos sentiers ne sont jamais étrangers à ceux qui sont proprement les nôtres. Nous sommes les amis de votre vocation de chercheurs, les alliés de vos travaux, les animateurs de vos conquêtes et, s'il le faut, les consolateurs de vos découragements et de vos échecs. Pour vous donc aussi, nous avons un message : continuez à chercher, sans jamais renoncer, sans jamais désespérer de la vérité. » (Concile Vatican II, Message aux hommes de la pensée et de la science, 7 décembre 1965) (2).

Moi-même, dans la récente encyclique Laborem exercens, j'ai rendu hommage à l'importance de votre rôle, en insistant sur le droit premier de tout homme à tout ce qui est nécessaire pour le soin de sa santé et donc à une assistance sanitaire adéquate (Jean-Paul II, Laborem exercens, LE 19). Je suis heureux de reprendre ici ce sujet pour répéter le devoir qui incombe à la science médicale de s'affiner pour améliorer les conditions et le milieu où s'exerce cette activité humaine fondamentale qu'est le travail. Si nous voulons que le travail devienne toujours plus personnalisant, il faut que soient d'abord garanties ses conditions d'hygiène.


(2) DC, 1966, n° 1462, col. 54.


Le médecin et le malade

4. Votre tâche, illustres messieurs, ne peut se limiter à l'exercice convenable de votre profession mais il doit être soutenu par cette attitude intérieure que l'on appelle à juste titre « l'esprit de service ». Le patient auquel vous consacrez vos soins et vos études n'est pas en effet un individu anonyme sur lequel vous appliqueriez ce qui est le fruit de vos connaissances. Il est une personne responsable qui doit être appelée à collaborer à l'amélioration de sa propre santé et à l'obtention de sa guérison. Il doit être mis dans la condition de pouvoir choisir personnellement et de ne pas devoir subir les décisions et les choix des autres

C'est là que se situe l'appel à « humaniser » le travail du médecin et les lieux où celui-ci s'exerce. Cette humanisation signifie la proclamation de la dignité de la personne humaine, dans la considération de sa corporéité, de son esprit, de sa culture. C'est votre tâche de chercher à découvrir toujours plus profondément les mécanismes biologiques qui règlent la vie, de manière à intervenir sur eux, en vertu du pouvoir sur les choses que le Seigneur a voulu donner à l'homme. Mais, en faisant cela, c'est en outre votre tâche de vous maintenir constamment dans la perspective de la personne humaine et des exigences qui découlent de sa dignité. Concrètement, chacun de vous ne peut se limiter à être le médecin d'un organe ou d'un appareil, mais il doit se charger de toute la personne et, en plus, des relations interpersonnelles qui contribuent à son bien-être.

À ce sujet, la présence de scientifiques, de cliniciens, de médecins et de personnels hospitaliers provenant de toutes les parties du monde me conduit à rappeler un problème grave et urgent : celui de veiller à la sauvegarde, à la défense et à la promotion de la vie humaine à travers le prisme de la culture. Comme image de Dieu, l'homme est le reflet des visages infinis que le Créateur prend dans ses créatures : visages tracés par le milieu, par les conditions sociales, par la tradition, en un mot, par la culture. Il est essentiel que, dans les différents contextes culturels, l'éclat de ce reflet ne soit pas voilé et que les traits de cette image ne soient pas enlaidis. C'est la tâche de tout citoyen, mais particulièrement de ceux qui, comme vous, ont des responsabilités sociales directes et qui doivent s'employer pour que soient reconnues et regardées efficacement les formes éventuelles d'intervention sur l'homme qui se révèlent en opposition avec sa dignité de créature de Dieu.

Pour cela, une action individuelle ne suffit pas. Elle demande un travail d'ensemble, intelligent, programmé, constant et généreux, et cela non seulement dans le cadre de chaque pays, mais aussi à l'échelle internationale. Une coordination au plan mondial pourrait en effet permettre une meilleure annonce et une défense plus efficace de votre foi, de votre culture, de votre engagement chrétien dans la recherche scientifique et dans la profession.



La dénutrition et le sous- développement

5. Il y a un message que je sens présent dans votre Congrès et qui doit toujours se faire plus explicite à travers votre action individuelle et associative. C'est l'appel à la communauté sociale et à ses responsables pour que les ressources immenses employées dans les technologies de mort se transforment en soutien et en développement des technologies de vie.

Par un mystère qui plonge ses racines dans la complexité et la fragilité du coeur humain, l'option pour le bien et l'option pour le mal utilisent souvent des instruments identiques. Des technologies capables d'être employées pour le bien sont pareillement capables de faire un mal immense, et le choix de leur application et de leur utilisation dépend de l'homme seul.

Il y a en outre de nombreux projets dans le domaine de la recherche qui attendent depuis longtemps un plus grand soutien pour qu'ils progressent, et qui sont mis de côté, faute de fonds. Des laboratoires dont on attend un mot d'espoir pour combattre des maladies particulièrement répandues à notre époque, semblent végéter, certainement pas à cause du manque d'hommes préparés, mais parce que les financements se trouvent détournés sur des voies de destruction, de guerre et de mort.

Le problème concernant quelques autres phénomènes très graves de notre époque se pose de la même manière. Laissez-moi souligner en particulier le problème de la dénutrition et du sous-développement. Dans la géographie de la vie, jaillissent aujourd'hui de vastes surfaces et des populations entières qui souffrent de l'indigence et de la faim. Tandis que des populations riches sont affectées par des maladies métaboliques en raison de la suralimentaion, la faim moissonne encore ses victimes, spécialement parmi les plus faibles, les enfants et les vieillards.

Il n'est pas admissible de garder le silence et de rester sans rien faire devant ce drame, spécialement lorsqu'on en voit la possible solution dans une utilisation plus sensée des ressources disponibles. Que votre voix s'unisse à celle de toutes les personnes de bonne volonté pour demander aux responsables politiques un engagement plus résolu à mettre au premier plan la résolution rapide et concrète de ce terrible et dramatique problème.



La pastorale de la santé

6. Votre Congrès est un Congrès de médecins catholiques. Ce qualificatif de « catholiques » vous engage à témoigner par la parole et l'exemple de la foi en une vie qui transcende la vie sur terre et qui se place dans un dessein supérieur et divin.

Cela revêt une importance capitale dans l'exercice de votre profession. L'expérience enseigne, en effet, que l'homme, qui a besoin d'assistance aussi bien préventive que thérapeutique, montre des exigences qui vont au-delà de la pathologie organique en acte. Il attend du médecin non seulement des soins adéquats — soins qui, du reste, avant ou après, finiront fatalement par se révéler insuffisants — mais le soutien humain d'un frère qui sache partager avec lui une vision de la vie, dans laquelle même le mystère de la souffrance et de la mort trouve un sens. Et où cette vision peut- elle être atteinte, sinon dans la foi, comme une réponse pacifiante aux interrogations suprêmes de l'existence ?

De ce point de vue, votre présence auprès du malade se rattache à celle de tous ceux — prêtres, religieux, laïcs — qui sont engagés dans la pastorale des malades. Beaucoup d'aspects de cette pastorale se retrouvent avec les problèmes et les tâches du service de la vie accompli par la médecine. Il y a une nécessaire interaction entre l'exercice de la profession médicale et l'action pastorale car l'unique objet des deux, c'est l'homme, pris dans sa dignité de fils de Dieu, de frère qui a besoin, tout comme nous, d'aide et de réconfort. Les domaines de cette possible et nécessaire interaction sont divers. Parmi eux, je tiens à attirer votre attention sur le domaine de la famille, souvent éprouvée, aujourd'hui surtout, par des malaises profonds et appelée à se mesurer avec le difficile problème d'une paternité responsable, vécue dans le respect des lois divines qui régissent la transmission de la vie et, en même temps, de celles qui favorisent un authentique amour conjugal.

En souhaitant cependant que chez tous ceux qui travaillent dans le domaine de la santé grandisse toujours davantage la sincère disponibilité à la confrontation, au dialogue et à la collaboration constructive, j'indique à tous comme modèle suprême le Christ qui a été le médecin de l'âme et souvent du corps de ceux qu'il a rencontrés sur les routes de son pèlerinage terrestre. Surtout le Christ qui a accepté de boire jusqu'au fond le calice de la souffrance. En prenant la condition humaine et en expérimentant la souffrance jusqu'à la mort, et la mort sur une croix alors qu'il était sans péché, le Christ s'est fait en même temps l'image de la maladie et de la guérison, de la défaite et du salut pour que tous ceux qui, sur terre et en tout temps, doivent se mesurer avec la souffrance, espèrent en lui.

Ayez donc présent à l'esprit, spécialistes de la médecine, le Christ dans le mystère de sa passion et de sa résurrection. Qu'il vous éclaire constamment sur la dignité de votre profession et vous suggère en toute circonstance ces attitudes et ces démarches qu'une cohérence linéaire de la foi montre et exige. Les hommes d'aujourd'hui ne demandent pas seulement l'affirmation de principes, mais la contribution de signes, de témoignages crédibles.

Que la Vierge, Mère de la Sagesse, qui est invoquée partout comme le salut des malades, guide votre chemin et vous permette de donner à votre service de la vie ces prérogatives de bonté, de compréhension, de disponibilité et de dévouement qui ont eu en elle la réalisation la plus haute.

C'est avec ces sentiments que je vous accorde de tout coeur, à vous et à ceux que vous représentez, la bénédiction apostolique propitiatoire de toute faveur céleste désirée.



AU MOUVEMENT INTERNATIONAL «LA VIE MONTANTE»

Lundi, 4 octobre 1982




Chers Frères et Soeurs de “La Vie Montante”,

1. Frère, je le suis pour vous de bien des façons, par le fait en particulier que je suis presque arrivé moi aussi à l’âge des “aînés”, des “anciens”. Le Seigneur m’a conféré également, avec mon ministère, une paternité spirituelle, et à ce titre je vous dis: soyez les bienvenus dans la maison du Pape!

J’ai grande joie à vous accueillir, car vous êtes un véritable mouvement d’Eglise, un mouvement de laïcs, travaillant en collaboration avec des prêtres et des religieuses, en communion très fidèle avec le Pape et les évêques.

Je suis heureux aussi de constater votre jeunesse d’esprit. J’aime rencontrer des jeunes, vous le savez; et je retrouve en votre mouvement un dynamisme apparenté à celui de la jeunesse, avec en plus la profondeur, la sagesse, la solidité de l’expérience. Le thème de votre Congrès ne dit-il pas: “Lève-toi et marche!”? Vous ne voulez pas être des assistés, objets seulement de l’aide des gens dits “actifs”; depuis plus de vingt ans, vous menez vous-mêmes votre action, par les laïcs et pour les laïcs; vos animateurs, et souvent vos conseillers spirituels sortent de vos rangs. “Comment un homme âgé peut-il renaître?”, demandait Nicodème à Jésus. Vous avez voulu relever le défi, donner au troisième âge toutes ses possibilités de vitalité et de rayonnement, et cela aux plans spécifiques de la spiritualité, de l’apostolat, de l’amitié.

2. Vous êtes un mouvement de spiritualité. La “montée” que vous envisagez est celle qui introduit plus profondément dans le Royaume de Dieu, et cela dès aujourd’hui, en attendant l’au-delà. Vous voulez monter dans l’amour de Dieu et l’amour des autres. Sans doute êtes-vous providentiellement plus disponibles pour ce retour à la vie spirituelle ou son approfondissement: la retraite vous donne plus de temps; votre vie désencombrée vous permet plus facilement de faire un tri entre l’accessoire et l’essentiel; d’autres mouvements chrétiens vous ont éventuellement préparés à cette démarche; la séparation des enfants et le départ d’amis vous font réfléchir; parfois l’expérience d’une foi de jeunesse resurgit après l’oubli ou les difficultés de la vie active (vous comprenez alors combien il était important de faire cette expérience dès l’enfance!). Bref, vous êtes plus libres, plus lucides, plus sereins. Et Dieu, qui avait toujours été là, dans le secret, se fait peut-être mieux entendre.

Comment ne pas apprécier la façon dont vous vivez ce partage de la foi à travers votre journal, vos publications, vos pèlerinages, et d’abord dans vos réunions d’équipes, comme en témoigne le “Guide de l’animateur”? Vous vous initiez à un regard de foi sur les événements de votre vie, parce que vous êtes nourris en même temps de la Parole de Dieu, et je sais l’effort intelligent que vous poursuivez pour mieux comprendre les textes de l’ancien et du nouveau Testament, du Concile, des Pères. Vous vous entraînez à la prière communautaire et personnelle, votre vie intérieure se développe, et cela donne une autre dimension à toute votre vie. Vous vous fortifiez non seulement dans l’amour de Dieu, mais dans l’amour de l’Eglise, de l’Eglise de ce temps qui peut déconcerter parfois les habitudes de votre enfance, vos goûts et vos exigences légitimes. Votre mouvement vous fait marcher avec l’Eglise, en évitant les faux pas.

3. “La Vie Montante” se veut apostolique. Vos réunions s’épanouissent en engagements, qui sont laissés à l’initiative de chacun: services d’Eglise dans la pastorale paroissiale, la liturgie, la catéchèse, les oeuvres caritatives; ou autres services humains les plus variés. Votre mouvement ne se confond pas, bien sûr, avec de telles activités, mais il peut faire prendre conscience à chacun de sa vocation, de sa mission de baptisé, de confirmé appelé à témoigner et à agir, selon ses charismes et selon les besoins qu’il côtoie; et surtout il permet de réfléchir sur cette action pour la vivre dans la foi. On a dit que la Vie Montante était une pépinière d’apôtres du troisième et du quatrième âge, et je m’en réjouis.

4. Une caractéristique dominante dans cet apostolat, c’est l’amitié. Déjà, entre vous, dans les équipes, dans le mouvement, vous construisez un réseau d’amitié, d’autant plus impressionnant que vous accueillez en même temps des jeunes aînés - la retraite commence très tôt - et des personnes d’âge avancé, des femmes et des hommes, des gens de tous milieux sociaux et culturels. Quelle grâce dans un monde où le cloisonnement est si fort, où la solitude est si dure à supporter, aggravée par les autres épreuves de la vieillesse! Vous vous efforcez de vivre à la fois le pluralisme et la communion. Et je sais que votre charité inventive sait alors trouver de multiples occasions d’apporter aux autres personnes âgées de votre entourage, quartier ou village, dans les clubs, même dans les hôpitaux et les prisons, et aussi aux générations plus jeunes, attention, écoute, soutien, réconfort, entraide.

5. Je ne voudrais pas, chers amis, tracer un tableau trop idyllique. Je pense bien que vous avez personnellement vos misères, que vos équipes et votre mouvement connaissent des moments plus hésitants, des lenteurs, des tensions. L’âge mûr ne confère pas automatiquement toutes les qualités, lorsqu’on ne s’est pas suffisamment exercé à la vertu auparavant; les défauts d’égoïsme, d’envie, d’agressivité peuvent même être accentués à cause d’une moindre souplesse. C’est dire que vous devez, que nous devons tous progresser dans l’humilité, la demande de conversion, l’effort personnel, pour croître dans la foi, dans l’amour des autres, dans l’oubli de soi et l’acceptation sereine des limites de toute sorte qui augmentent avec l’âge. Pour vous, comme pour tous les chrétiens, la vie “montante” est resserrée et difficile (Cfr. Mt 7,14). Mais le message de Jésus est une Bonne Nouvelle: son joug est doux et sa grâce ne manque pas. Et je voudrais souligner en terminant à quel point votre engagement dans la Vie Montante est une chance pour la société, pour l’Eglise, pour vous-mêmes.

6. La société contemporaine - à commencer par la famille qui en est la cellule de base - comporte et comportera de plus en plus de retraités, de personnes âgées. Comment va-t-elle intégrer cette tranche d’âge de plus en plus large, faire leur place aux aînés, en leur apportant le respect et l’entraide nécessaire, mais aussi bénéficier des valeurs que représente l’âge mûr dans un monde instable qui court après la nouveauté en perdant parfois le sens et le goût de la vie? On prend de plus en plus conscience de votre importance, et même les grandes instances s’en émeuvent et s’y intéressent; c’est dans ce cadre que, le 22 juillet dernier, j’envoyais un message à l’Assemblée mondiale “sur les problèmes du viellissement de la population” réunie à Vienne. Et Dieu merci, de multiples institutions, comme celle des Soeurs de Jeanne Jugan, répondent merveilleusement aux besoins de sécurité et d’affection des vieillards. Mais comme il est important que des gens de votre âge présentent une vision pleinement humaine et chrétienne de la vie, manifestent la sagesse de leur expérience, fassent le lien entre les diverses générations, témoignent de l’affection fidèle, du don gratuit de soi, de la sérénité, de la joie discrète et rayonnante, de la force dans l’épreuve, de l’intériorité, de l’espérance dans l’au-delà de la vie, de ce qu’on pourrait appeler les “charismes du soir de la vie”!

L’Eglise, plus encore, est directement bénéficiaire de votre vigueur spirituelle, non seulement par les services que vous rendez en son sein, non seulement par le témoignage que vous donnez aux jeunes et aux moins jeunes, mais par la réserve de foi et de prière que vous représentez dans le Corps mystique du Christ. Il faut bien sûr tout faire pour que les jeunes générations prennent leur place dans l’Eglise et accèdent à la plénitude de la foi; sans elles, l’Eglise s’étiole, mais elle ne meurt pas tant que des gens de la Vie Montante entretiennent la flamme.

Enfin, pour chacun de vous, il importe de bien réussir cette étape de votre vie, aussi importante que les autres, plus importante même puisqu’elle en est le couronnement, l’achèvement. Votre mouvement vous aide à en accepter la trame avec sérénité, à surmonter ensemble et même à offrir spirituellement les épreuves de toute sorte que je ne fais qu’évoquer - maladie, solitude, séparation, que vous soyez encore en foyer, ou veufs ou célibataires -; mais aussi et surtout la Vie Montante vous invite à en exploiter toutes les ressources, qui sont grandes, à progresser dans le don de soi qui est toujours un dépouillement et qui prépare au don suprême que Dieu nous demande lors du passage dans sa Lumière et sa Vie, à travers une passion que nous essaierons d’unir à la sienne. A 75 ans, mon prédécesseur Jean XXIII osait écrire: “La vieillesse - qui est aussi un grand don du Seigneur - doit être pour moi un motif de silencieuse joie intérieure et d’abandon quotidien au Seigneur lui-même”. Que Dieu vous donne de vivre à plein, en vous soutenant les uns les autres, toutes les années qu’il vous accordera sur cette terre! Et que le mouvement de la Vie Montante, parti de France comme l’initiative de la bienheureuse Jeanne Jugan un siècle plus tôt, et qui a déjà entraîné tant de membres actifs dans son sillage, poursuive sa route, dans tous les pays représentés ici, et au delà! Que Notre-Dame, que vous aimez tant invoquer à Lourdes, soutienne votre prière et votre attachement à Jésus et à l’Eglise!

De tout coeur, à chacun de vous, à vos amis qui n’ont pu venir, je donne mon affectueuse Bénédiction Apostolique.




Discours 1982 - Vendredi, 1 octobre 1982