Discours 1982 - Lundi, 4 octobre 1982


AUX PÈLERINS DE LA BIENHEUREUSE JEANNE JUGAN

Lundi, 4 octobre 1982


À l'audience du 4 octobre, les Petites Soeurs, les personnes âgées vivant dans leurs maisons et les amis de la congrégation venus à Rome pour la béatification étaient accompagnés par le cardinal Gouyon, des évêques de divers pays où travaillent les 4400 Petites Soeurs des Pauvres, et par la supérieure générale, Marie-Antoinette de la Trinité. Aux premiers rangs, de nombreux anciens portaient les costumes traditionnels de leurs pays. Répondant à la Mère générale qui lui avait présenté ce groupe, Jean-Paul II a prononcé l'allocution suivante (1) :

(1) Texte francais dans l'Osservatore Romano des 3-4 octobre.


Chers pèlerins de la bienheureuse Jeanne Jugan et amis des Petites Soeurs des Pauvres,

1. Permettez-moi d’abord de remercier la Révérende Mère générale Marie-Antoinette de la Trinité, pour l’à-propos et la brièveté de ses paroles, et de la féliciter de toute la peine qu’elle s’est donnée, avec ses Soeurs, pour préparer cet événement du 3 octobre, qui marquera l’histoire de la Congrégation. Mais c’est vous tous que je salue et que je remercie d’avoir si bien entouré le Pape dans la fonction liturgique qui lui est réservée de procéder à la béatification ou à la canonisation des Saints. A tous aussi je veux dire la parole de Jésus à ses Apôtres: “Que votre joie soit parfaite!”. Et l’ajoute: demeurez dans l’admiration et l’action de grâce, à cause de la bienheureuse Jeanne, à cause de sa vie si humble et si féconde, véritablement devenue un des nombreux signes de la présence de Dieu dans l’histoire, et très précisément de son action dans les âmes qui se livrent totalement à son action mystérieuse!

2. En cette rencontre tout à fait familiale, je tiens à remercier au nom de l’Eglise toutes les Petites Soeurs des Pauvres, présentes ici ou demeurées dans les Fondations, et même toutes celles qui depuis bientôt 150 ans ont suivi si fidèlement les traces de la Fondatrice. Au nom de l’Eglise j’encourage les 4400 Petites Soeurs d’aujourd’hui à vivre aussi humbles, aussi pauvres, aussi ferventes que leur bienheureuse Mère dans la pratique de leur quatrième voeu, celui de “l’hospitalité” accordée aux personnes âgées et de condition modeste. Je souhaite profondément que le style de vie de vos communautés et que le rayonnement personnel de chacune des Petites Soeurs soient tels que bien des jeunes s’interrogent sur la plénitude de bonheur habitant vos coeurs de femmes consacrées au Seigneur et consumant leur existence quotidienne au service du troisième et quatrième âge. Priez et sacrifiez-vous, chères Soeurs, pour une nouvelle et abondante floraison de vocations dans toute l’Eglise!

3. Et maintenant, je suis très heureux de saluer les bons anciens, venus de nombreux pays et représentant dignement tous les hôtes des Maisons tenues par les Petites Soeurs. Chers anciens, Dieu vous a accordé, comme à beaucoup d’autres, de parvenir jusqu’à soixante-dix, quatre-vingts ans et plus! Malgré certaines limites de santé et d’autres misères possibles, cette longue vie est une grâce! Je crois que le Seigneur veut ainsi vous permettre de parfaire le livre de votre existence, déjà riche de très belles pages, en tout cas d’en assurer au mieux la conclusion. Avec les ressources de votre tempérament et avec l’aide de Dieu, restez souriants, bienveillants, disponibles. Cette é tape de votre vie doit être un temps d’ascension morale et spirituelle, un accomplissement serein et merveilleux de toute votre existence. C’est précisément lorsqu’il en est ainsi que les chrétiens de votre âge ont quelque chose d’original et d’irremplaçable à apporter à leur entourage. Je dirais volontiers que vos lieux de retraite, appelés si joliment “Ma Maison”, peuvent être, en miniature, des modèles de société où règnent la tolérance, l’amitié, l’entraide, la fraternité, la paix, la joie. Toutes ces vertus pratiquées par tous et par chacun témoignent que la grandeur de la personne humaine ne saurait se limiter à des valeurs matérielles trop uniquement recherchées aujourd’hui.

Saint Paul songeait sans doute à cela lorsqu’il invitait les chrétiens à renouveler “l’homme intérieur”, à mesure que “l’homme extérieur” diminue (2Co 4,16). Autrement dit, la première jeunesse peut être remplacée par une autre jeunesse, en attendant d’être comme immergée dans l’éternelle jeunesse de Dieu. Cela me fait penser aussi à la belle prière de Joseph Folliet, ce sociologue-journaliste et grand serviteur des pauvres, devenu prêtre au soir de sa vie: “Seigneur, qui avez fixé les saisons de l’année et celles de la vie, faites que je sois un homme de toutes saisons. Je ne vous demande pas de bonheur, je vous demande seulement que mon arrière-saison soit belle, afin qu’elle porte témoignage à votre beauté!” (JOSEPH FOLLIET, Le soleil du soir). Et vous, chers anciens, qui priez beaucoup avec votre chapelet, pensez à la Vierge Marie, vivant - selon la tradition - la fin de son existence terrestre auprès de l’Apôtre Jean. Demandez-lui de vous aider à vivre cette ultime étape dans la prière, dans la sérénité, dans l’attention aux autres, en beauté!

4. Enfin, je tiens à adresser un salut spécial et des encouragements chaleureux à tous les amis et bienfaiteurs des Petites Soeurs des Pauvres. Tous ensemble, vous continuez de faire, par vos dons et vos services, ce que Jeanne Jugan - l’infatigable quêteuse - avait commencé de mettre en oeuvre. Je sais également que la Congrégation a constitué une “Association des Amis de Jeanne Jugan”, d’ailleurs rénovée il y a quelques années et encouragée par le Pape Paul VI. Je suis très heureux de suivre son exemple et d’apporter mon soutien et ma Bénédiction au développement de ce réseau de charité évangélique.

Parmi les amis des Petites Soeurs, et de leurs hôtes, je m’en voudrais d’oublier leurs chers aumôniers; ils sont nombreux ici. Je salue également les prêtres de Cancale et de Rennes, lieux où la nouvelle bienheureuse est née et a fondé son OEuvre. Je bénis leur ministère sacerdotal.

5. Mes obligations ne me permettent pas de vous parler plus longuement. Merci de tout coeur à tous et à chacun pour cette merveilleuse rencontre familiale, réconfortante pour vous mais également pour le Pape. Je vous souhaite de repartir de Rome, le coeur débordant de joie. A cause de Jeanne Jugan bien sûr! A cause de l’Eglise dont vous êtes et serez davantage des membres plus conscients et agissants! Et à cause de Jésus-Christ, le divin Fondateur de cette Eglise, à laquelle Il a promis son assistance jusqu’à la fin des temps! En son nom, je vous bénis et je bénis tous ceux que vous représentez.


Le Pape a ensuite déclaré, successivement en italien, en anglais et en espagnol:

« Que la bienheureuse Jeanne Jugan donne à toutes ses filles le courage et la joie de suivre toujours davantage son magnifique exemple ; qu'elle obtienne aux chers anciens la paix et la joie de la foi au soir de leur vie, et qu'elle soutienne les amis et bienfaiteurs de l'Association qui porte son nom dans leur générosité envers les pauvres ! »



Constitution ap. pour la reconnaissance juridique de l’Institut pour les études sur le mariage et la famille - 7 oct.


Le 7 octobre, par une Constitution apostolique, Jean-Paul II a attribué une forme juridique à l'Institut pontifical pour les études sur la famille et le mariage, qui fonctionne déjà auprès de l'Université du Latran. Cet Institut, dont le but est d'assurer, dans le domaine familial et conjugal, une formation scientifique aux laïcs, aux prêtres et aux religieux, est habilité à conférer des grades académiques ([25]) :


[25] Texte latin dans l'Osservatore Romano du 8 octobre 1982. Traduction, titre et sous-titres de la DC.
La Constitution commence par les mots : « Magnum matrimonii sacramentum. »



1. L'Église a constamment entouré d'une particulière affection le grand sacrement du mariage (cf. Ep Ep 5,32), « sachant que le mariage et la famille constituent l'un des biens les plus précieux de l'humanité » (Familiaris consortio, FC 1).

En effet, « la santé de la personne et de la société tant humaine que chrétienne est étroitement liée à la prospérité de la communauté conjugale et familiale » (Gaudium et spes, GS 47).

On peut trouver la preuve de cette particulière sollicitude pastorale dans le fait que le Concile Vatican II a très longuement traité de ce sujet.

Quant aux Souverains Pontifes et aux évêques du monde entier, ils n'ont jamais cessé de proposer avec insistance aux fidèles l'image la plus parfaite du mariage et de la famille, répondant ainsi en même temps aux questions de notre époque, ainsi que cela s'est produit lorsque notre prédécesseur Paul VI a promulgué l'encyclique Humanae vitae.

Parmi les multiples signes de ce vif intérêt qui se sont manifestés ces derniers temps, figurent en premier lieu le Synode des évêques réuni à Rome du 26 septembre au 25 octobre 1980, ainsi que la création du Conseil pontifical pour la famille.

2. Parmi les principales tâches confiées à la mission de l'Église dans le domaine du mariage et de la famille, figure « celle de proclamer à tous le dessein de Dieu sur le mariage et la famille, en assurant leur pleine vitalité et leur promotion humaine et chrétienne » (Familiaris consortio, FC 3).

C'est la raison pour laquelle l'Église, surtout après Vatican II, s'est préoccupée de favoriser la recherche théologique sur le mariage et la famille, en fondant des instituts qui ont pour but la formation pastorale de ceux qui sont engagés dans ce champ d'activité pastorale. Il a semblé toutefois nécessaire de créer un institut supérieur d'études, destiné à promouvoir, pour le bien de l'Église universelle, la recherche théologique et pastorale sur le mariage et la famille.

3. Après mûre réflexion, nous décidons et décrétons donc que soit attribuée une forme juridique à l'Institut pontifical pour les études sur la famille et le mariage déjà créé et fonctionnant auprès de l'Université pontificale du Latran, afin que la vérité du mariage et de la famille soit de plus en plus clairement exposée par des méthodes scientifiques et que des laïcs, des religieux et des prêtres puissent y acquérir une formation scientifique, soit sur le plan de la philosophie et de la théologie, soit sur celui des sciences humaines, de manière que leur ministère pastoral et ecclésial s'accomplisse de façon plus adaptée et plus efficace pour le bien du peuple de Dieu.

Les grades conférés par l'Institut

Cet Institut, de par son droit propre, est de ce fait habilité à conférer les grades académiques qui suivent:

— Le doctorat en théologie avec spécialisation dans les sciences théologiques touchant au mariage et à la famille ;

— La licence en théologie du mariage et de la famille ;

— Le diplôme en science du mariage et de la famille.

4. L'Institut atteindra les objectifs qui lui sont fixés :

a) En instituant un cours en vue du doctorat en théologie avec spécialisation dans les sciences théologiques du mariage et de la famille, pour ceux qui ont déjà une licence en théologie ;

b) En instituant un cours en vue de la licence en théologie du mariage et de la famille, pour ceux qui ont obtenu le baccalauréat en théologie ;

c) En instituant un cours en vue d'un diplôme en théologie du mariage et de la famille pour ceux qui, dans leur propre pays, remplissent les conditions donnant accès aux études universitaires ;

d) En organisant des séminaires d'études auxquels seront invités des hommes d'une doctrine éprouvée, pour des questions graves et urgentes concernant le mariage et la famille, sur l'avis des autorités académiques de l'Institut ou sur la demande des dicastères de la Curie romaine ou des Conférences épiscopales.

5. Les autorités académiques de l'Institut lui-même sont : le grand chancelier et le recteur de l'Académie pontificale de l'Université du Latran, le président et le Conseil de l'Institut. Le Souverain Pontife nomme le président qui fait partie d'office du Sénat académique de l'Université pontificale du Latran.

6. On veillera à ce que tous les points décidés par cette Constitution apostolique soient suivis d'effet en temps opportun, par le moyen de statuts propres qui devront être approuvés par l'autorité légitime du Saint-Siège, après audition du Sénat académique de l'Université pontificale du Latran.

7. L'Institut entretiendra des liens particuliers avec le Conseil pontifical pour la famille, selon ce qui est écrit, au n° 5 f, dans le motu proprio Familia a Deo Instituta (1).

8. L'lnstitut est confié à la protection particulière de Notre-Dame de Fatima.

9. Cette Constitution qui, exceptionnellement, est promulguée dans le quotidien l'Osservatore Romano entrera en vigueur à partir du 14 octobre 1982.

Nous voulons enfin que cette Constitution soit rendue ferme, valide et efficace, et qu'elle soit observée avec soin par toutes les personnes concernées, nonobstant toutes choses contraires.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 7 octobre 1982, en la fête de Notre-Dame du Rosaire, quatrième année de notre pontificat.

IOANNES PAULUS PP. II


(1) DC 1981, n° 1809, p. 518.




À LA «CONFÉDÉRATION INTERNATIONALE DES SOCIÉTÉS D’AUTEURS ET COMPOSITEURS»

Vendredi, 8 octobre 1982


Mesdames, Messieurs,

1. Réunis en congrès à Rome, vous avez eu la délicatesse de demander à me rencontrer. Je vous en remercie bien vivement, car vous m’offrez ainsi l’occasion de témoigner de l’intérêt que l’Eglise porte à votre labeur quotidien et à vos efforts de coordination dans le cadre de vos associations nationales comme au niveau international.

Ecrivains, artistes, compositeurs, éditeurs, vous avez en effet reçu un don précieux dont mon prédécesseur, le Pape Paul VI, a souligné la richesse singulière lors de l’audience qu’il vous a accordée voilà vingt ans.

En effet, votre mission vous place au service de la culture humaine. Et les moyens modernes de communication sociale vous offrent un instrument permettant de partager avec un nombre toujours plus grand de personnes vos intuitions et vos recherches dans les domaines de l’art et de la pensée. Il s’établit ainsi entre les créateurs que vous êtes et un public immense une possibilité de communion dans la recherche des multiples valeurs qui permettent à l’homme de se dépasser, lorsqu’il se refuse à se renfermer dans les limites de sa dimension économique.

2. Dans le même temps, ces possibilités nouvelles de diffusion de la culture vous confèrent des responsabilités accrues dans les domaines éthiques, spirituels et politiques. Répandre la culture ne saurait en effet se confondre avec un quelconque conditionnement des intelligences et des sensibilités. Bien au contraire votre tâche consiste à inviter chacun à entrer dans une libre rencontre des esprits et des coeurs. Il importe donc que votre désir de faire participer votre public à vos idées et à vos découvertes à travers vos oeuvres s’allie à un très grand respect de la liberté de tous. D’ailleurs votre consécration au service de l’esprit n’est-elle pas en elle-même un appel à susciter chez votre lecteur, votre spectateur ou votre auditeur un pas sur le chemin de la liberté et de l’épanouissement de toutes les valeurs que l’homme porte en lui? Car la liberté authentique n’est pas délétère; au contraire, elle conduit l’homme à devenir meilleur et plus fraternel.

3. Certes, la culture ne saurait demeurer l’apanage de quelques individus, ou d’une élite; elle caractérise des peuples entiers les uns par rapport aux autres. Mais en établissant ainsi une communion entre tous les fils d’une même nation, elle les invite à faire leurs les idéaux communs. Précisément ces moyens modernes de communication renforcent plus que jamais le caractère populaire de la culture en permettant aujourd’hui l’accès d’un nombre toujours croissant de personnes aux valeurs qu’elle véhicule et qui sont le ciment d’une société vraiment humaine.

4. C’est pourquoi l’action de votre association, par les échanges fructueux qu’elle vous permet d’établir entre vous, par la découverte de la dimension mondiale des phénomènes culturels, par la volonté qu’elle suppose de devoir respecter des points de vue différents, contribue sûrement à donner à votre labeur personnel, et à celui de ceux que vous représentez, un caractère fraternel. Par là il vous est possible de mieux apprécier la nature et les limites de l’influence qui est la vôtre dans le sens que j’ai tenté d’indiquer voici un instant et de mesurer ce qui peut être suggéré pour favoriser une préoccupation plus grande de la sauvegarde des valeurs humaines et spirituelles de toute culture.

En terminant, permettez-moi de vous adresser mes vifs encouragements. Je sais combien votre tâche de créateurs est exaltante, combien parfois aussi elle peut s’avérer décevante. Il s’agit d’efforts laborieux, je le sais, et je suis en mesure de les comprendre et de les apprécier. Puissent-ils contribuer à apporter à nos contemporains ce supplément d’âme dont ils ont tant besoin! Sur vous-mêmes, sur vos familles, sur ceux que vous représentez, j’implore de tout coeur les bénédictions de Dieu.



AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION DU NORD DE LA FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 9 octobre 1982


Chers Frères dans l’épiscopat,

1. J’ai pris connaissance des notes rédigées sur vos différents diocèses; je vous ai écoutés chacun dans un entretien personnel et je viens d’entendre le rapport général de votre Président: je rends grâce à Dieu pour le zèle pastoral que vous déployez dans cette vaste région du Nord de la France. Et je prie le Seigneur de vous éclairer et de vous fortifier dans ce ministère de “guides spirituels”. J’ai su qu’un bon nombre d’entre vous se réunissent régulièrement, non seulement pour mettre au point une pastorale adaptée, mais pour s’entraider à regarder Jésus-Christ, à travers la révision de vie et la prière, pour mieux servir son Eglise. Car il s’agit moins de notre oeuvre que de préparer les voies à l’Esprit Saint.

Avec vous, je fais miennes les diverses préoccupations pastorales que vous portez: celle de la foi de vos populations, foi qui existe en général, mais qu’il faut sans cesse réveiller, fortifier, ouvrir aux implications pratiques de la prière, de la charité, de la justice; le souci également de leurs conditions de vie humaine qui influent sur leur vie spirituelle, lorsque par exemple l’emploi est menacé, la famille est ébranlée, les mass media sont envahissantes. Vous avez la charge également de nombreuses communautés d’immigrés, plus ou moins intégrés à la vie du pays: ils apportent d’ailleurs, avec leur travail, leurs valeurs culturelles et religieuses, mais leur situation requiert une approche particulière et une pastorale adaptée. J’ai noté, entre autres, votre souci de formation des enfants et des jeunes par la catéchèse, et aussi par les mouvements: comme je le disais à vos Confrères de l’Ile-de-France, vous êtes les premiers responsables de la qualité de cette catéchèse, de la valeur des instruments, de la compétence et de la formation des catéchètes. Je mentionne encore les écoles catholiques, si nombreuses dans le Nord, sans oublier l’Université de Lille; à bon droit vous les soutenez; elles tiennent justement à conserver leur caractère spécifique et les moyens de poursuivre un style d’éducation pleinement humaine en référence explicite aux grandes lumières de la foi, à offrir cette possibilité aux parents qui font librement ce choix pour leurs enfants. Je ne doute pas que ce soit aussi très exigeant pour le recrutement des maîtres et la qualité de l’équipe pédagogique.

Aujourd’hui, je considère surtout quatre autres points. Je les ai déjà abordés en d’autres allocutions, mais ils me semblent ressortir spécialement de vos rapports: la mission et l’avenir des prêtres, l’apostolat des laïcs dans les mouvements, l’accueil de ceux qui demandent les sacrements sans grande foi et l’éthique familiale.

2. Les prêtres! Finalement, ils sont encore nombreux dans la plupart de vos diocèses, comparativement à beaucoup de régions du monde; ils sont tout dévoués à leur ministère et très désirés par les populations. Mais ils sont souvent, dites-vous, désemparés, à la pensée que la moyenne d’âge devient très élevée, qu’il y a si peu d’ordinations, malgré un certain progrès des rentrées au Séminaire, alors qu’il y aurait tant à faire et que les résultats sont maigres dans un monde de malcroyance. Il faut donc aider vos prêtres à surmonter cette inquiétude qui paralyse. Et qu’il soit bien entendu, une fois de plus, qu’on ne peut renoncer au sacerdoce tel que le Christ l’a institué, ni aux exigences expérimentées avec fruit par l’Eglise dans la ligne de l’Evangile; il ne serait pas juste non plus de penser que l’apostolat et les ministères institués des laïcs vont compenser ou remplacer le ministère ordonné des prêtres et des diacres. Ce serait une fausse espérance préparant de nouvelles déceptions. Mais il reste qu’on doit fortifier le prêtre dans la conscience de son identité et de sa mission irremplaçable, appeler encore plus vigoureusement au sacerdoce et mieux articuler certaines tâches avec celles des laïcs.

Ainsi, on fortifiera le prêtre en mettant de nouveau en relief le sens du sacrement de l’Ordre, à savoir la relation spécifique par laquelle le ministre ordonné est uni au Christ-Prêtre et peut agir “publiquement pour les hommes au nom du Christ”, c’est-à-dire “au nom du Christ Tête en personne”(Presbyterorum Ordinis PO 2). Oui, avec vous, je voudrais souvent redire aux prêtres tout ce que je leur confiais à Notre-Dame de Paris et dans mes Lettres: Ayez foi en votre sacerdoce! Vous êtes envoyés par Dieu pour une mission apostolique, que vous partagez avec l’évêque, en participant à celle du Christ Prêtre, médiateur et sanctificateur! Ainsi vous êtes les annonciateurs autorisés du Message évangélique, garants, en communion avec votre évêque, de la fidélité à la foi de l’Eglise, et en ce sens guides des autres éducateurs de la foi! Vous êtes témoins et dispensateurs de la vie divine! Vous rendez précisément les laïcs conscients de leur sacerdoce de baptisés et leur permettez de l’exercer pleinement, vous êtes éveilleurs d’apôtres! Vous êtes chargés de faire autour du Christ l’unité du peuple de Dieu, souvent dispersé et cloisonné, d’harmoniser les charismes pour le bien de l’ensemble! C’est dire qu’il nous appartient, à nous évêques, en demeurant très proches de nos prêtres, de les rendre toujours plus pénétrés de la grandeur de cette mission sacrée, de cette paternité spirituelle, et, en définitive, très heureux d’être prêtres et serviteurs du peuple de Dieu, tout en leur assurant les conditions d’une vie équilibrée et fraternelle, au besoin communautaire.

Ce sont d’abord de tels prêtres qui susciteront des vocations sacerdotales et religieuses, par leur propre vie, par leurs convictions, par le mystère qu’ils portent en eux et qu’ils rayonnent. Et je vous encourage vivement dans les efforts variés que vous faites pour appeler plus hardiment à ce ministère, au sein des familles et parmi les jeunes, et, tout autant, pour soutenir ces vocations sur leur chemin spécifique.

Dès lors, les prêtres se consacrant à l’essentiel de leur sacerdoce – comme je le développais devant les évêques du Sud-Ouest – et bénéficiant de la collaboration des diacres permanents qui doivent mieux trouver leur place, il est sûrement possible de prévoir une meilleure articulation des tâches avec les laïcs et une certaine complémentarité en beaucoup de service des communautés chrétiennes.

En définitive, soyons réalistes, en intendants avisés qui savent évaluer les ressources à venir, mais qui ne renoncent pas pour autant à l’espérance d’une forte relève et qui en prennent les moyens.

3. Les laïcs. Je viens de les nommer, et je n’ai pas l’intention d’exposer toutes les formes possibles d’apostolat qui vous sont très familières et dont j’ai déjà entretenu vos confrères du Centre.

Ce qui importe d’abord, comme je le disais aux mouvements représentés à la Nonciature à Paris lors de mon voyage, c’est de les rendre eux aussi, hommes et femmes, très conscients de leur mission irremplaçable de laïcs chrétiens, pour incarner la présence et le témoignage du Christ dans les tâches familiales, sociales, professionnelles, civiques, afin de faire de ce monde et de ses structures un monde de justice, de paix et d’amour plus digne des fils de Dieu. Ils ont aussi à annoncer directement l’Evangile, à apporter au service des communautés chrétiennes leurs multiples charismes et à exercer leurs responsabilités de baptisés, de confirmés, et cela si possible de façon stable, voire dans un engagement permanent, à la façon d’un ministère reçu par délégation ou institution.

Vous avez souligné l’importance des regroupements pour soutenir la vie chrétienne et l’apostolat, et mieux encore des mouvements, équipés pour éduquer des laïcs chrétiens, jeunes et adultes, à leurs responsabilités. Je partage tout à fait cette conviction en ce qui concerne la nécessité des mouvements, surtout pour les jeunes, car c’est spécialement là qu’ils font une expérience d’Eglise et s’entraînent ensemble à vivre en chrétiens dans un monde peu croyant. Dans la société française, que vous estimez encore très marquée par la diversité des milieux de vie, vous avez misé surtout sur les mouvements d’action catholique spécialisés, adaptés à la mentalité de ces milieux et procédant par une réflexion chrétienne et une action à partir des réalités de la vie.

J’apprécie le souci de formation doctrinale, spirituelle et missionnaire que vous mettez en oeuvre pour les membres de ces mouvements, comme pour ceux qui sont appelés à exercer un service d’Eglise, et cela à travers les week-ends, retraites, sessions, et même instituts de formation. Une telle formation les aidera encore davantage à faire le discernement des esprits (Cfr 1Jn 4,1) et à éviter de tomber dans les pièges idéologiques ou d’être perturbés par des courants politisés. Vous vous souvenez de ce que je leur disais à Paris: ces mouvements doivent veiller à fortifier la foi et l’appartenance ecclésiale, car le dialogue apostolique part de la foi et suppose une identité chrétienne ferme. D’autre part, ils doivent s’estimer complémentaires, capables de concertation, de collaboration, au sein de conseils pastoraux et à bien d’autres niveaux.

Je sais que les mouvements qui pratiquent cela ont besoin d’être fortement encouragés, car la tendance serait plutôt aujourd’hui au défaut de stabilité dans les engagements, ou aux engagements moins exigeants, et il ne s’agit pas de renoncer à ce qui a fait ses preuves pour courir après ce qui n’existe pas encore ou s’ébauche à peine. Cela n’empêche pas d’être souples, et accueillants à de nouvelles formes de regroupements, voire à de nouveaux mouvements, qui peuvent naître dans l’Eglise, surtout chez les jeunes, et où ceux-ci cherchent spontanément une expression communautaire de leur souci d’approfondir leur foi, de leur prière, de leur amitié vécue, de leur volonté d’entraide, de leur témoignage missionnaire. Les échanges d’expériences entre pays peuvent être très bénéfiques à cet égard. Comme vous le dites, il faut reconnaître ce que l’Esprit Saint peut susciter en fonction des besoins actuels, avec évidemment la sympathie et surtout le discernement qui conviennent.

4. Au-delà des mouvements, et par eux, c’est tout le peuple de Dieu qui est l’objet de votre sollicitude: “les pratiquants”, dont vous reconnaissez la foi souvent “simple et profonde”, ceux qui malheureusement ne participent pas aux assemblées chrétiennes, ceux qui se disent indifférents, voire incroyants, et qui pourtant continuent a venir demander le baptême de leurs enfants ou le sacrement de mariage. Faut-il alors craindre de dévaloriser les sacrements et l’identité chrétienne et catholique, d’encourager un christianisme sociologique, sans vigueur spirituelle et devenu plutôt un contre-témoignage? Ces cas multiples éprouvent notamment vos prêtres qui se sont pourtant efforcés de consacrer beaucoup de soins à préparer ces temps forts de vie sacramentelle.

Il convient d’abord de louer ces prêtres et de les encourager dans l’effort pastoral qui les pousse à accueillir ces personnes avec charité, ouverture et compréhension. En effet, une préparation souvent longue et toujours patiente est absolument nécessaire pour amener fiancés et parents à prendre conscience du fait que leur demande ne doit pas être fondée sur de simples conventions mondaines ou sur des traditions familiales, si respectables soient-elles. On doit les convaincre qu’il s’agit là d’un engagement libre, sérieux, personnel en vue de l’avenir, pour que soient assurées la fidélité des époux et, plus tard, la formation chrétienne de l’enfant.

Ce sont évidemment des situations que vous avez souvent pesées vous-mêmes en fonction d’une profonde théologie du sacrement, et selon les instructions du Saint-Siège ou de votre Conférence épiscopale. Et je n’ai pas ici à trancher. Mais la question se fait plus insidieuse et plus complexe aujourd’hui. Vous constatez vous-mêmes, avec beaucoup de lucidité et de franchise que, dans certaines régions, en particulier dans les centres urbains, l’état de déchristianisation est tel que semblent manquer même le minimum de foi et les autres dispositions nécessaires pour assurer la validité du sacrement de mariage. Et il existe effectivement des cas où le pasteur d’âmes ne peut admettre la célébration à l’église (IOANNIS PAULI PP. II Familiaris Consortio FC 69). Mais généralement le prêtre ne peut-il pas considérer en lui-même, et faire observer à ceux et celles qu’il reçoit, qu’ils sont plutôt mal-croyants que foncièrement incroyants, puisque cette démarche initiale, si contraire à leurs habitudes, ce recours à l’Eglise, cache un certain acte de foi dont ils n’ont pas eux-mêmes une conscience claire? En pareil cas, l’effort pastoral, si délicat soit-il, doit avant tout s’inspirer de la miséricorde de Dieu, qui seul connaît l’intime des coeurs, et dont l’Evangile déclare, en appliquant au Christ la parole du prophète Isaïe: “Il n’écrasera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit” (Mt 12,20 cfr. Is 42,3). Ainsi, par une sage pédagogie, le prêtre, comme les laïcs qui collaborent avec lui à cette préparation, en faisant toujours prévaloir la miséricorde sur le jugement, s’efforceront de conduire les mal-croyants à mieux comprendre à la fois leurs responsabilités personnelles et les exigences de l’Eglise, de manière à prendre des décisions aussi graves en toute liberté et vérité et à s’acheminer, il faut l’espérer, vers un approfondissement de la foi.

5. Enfin vous êtes préoccupés de voir nombre de jeunes, d’époux et d’épouses prendre leurs distances avec l’Eglise pour des raisons d’éthique sexuelle.

Les exigences morales font évidemment partie de l’agir chrétien, comme des conséquences cohérentes avec la foi, avec l’Evangile. C’est vrai sur le plan de la charité, de la justice sociale, où vous ne craignez pas, à bon droit, de le rappeler aux chrétiens. L’éthique de la vie familiale garde aussi une importance fondamentale, bien que certains veuillent la reléguer dans le domaine des affaires privées, de l’espace de “liberté” qui appartient à chacun. Nous n’avons pas à craindre d’en rappeler les exigences; de souligner les situations anormales, pécheresses; et les chrétiens devraient pouvoir le comprendre. Toutefois, même avec eux, plus encore que les normes, il faut exposer la beauté, l’aspect salutaire à tous points de vue, de l’idéal chrétien: n’est-il pas capable d’entraîner des époux bien formés à une délicatesse de sentiments et à un rayonnement enviables, comme je le constatais récemment avec les Equipes Notre-Dame?

Mais dans la mesure où la foi est en question, où le sens du péché s’est estompé, où l’autorité de l’Eglise n’est pas acceptée avec confiance, plus généralement lorsqu’on veut parler au grand public formé de chrétiens et de non-chrétiens, surtout à travers les medias, il est vrai qu’on ne peut se contenter de rappeler les injonctions de la morale: elles seraient repoussées au nom d’un certain libéralisme ou elles risqueraient simplement de ne pas convaincre. Il faut, avec le langage clair qui convient, montrer sans cesse le sens de cette éthique, cohérent avec une saine théologie du corps; il faut promouvoir en fait le véritable amour humain et le respect de la vie. C’est l’amour authentique qui dicte ses comportements, qui se donne des exigences. Il importe que cet amour reprenne sa place dans les familles, dans la société. La famille doit garder, révéler, communiquer l’amour. Une société ne peut se construire sans ces valeurs, et elle a tôt fait de devenir décadente lorsqu’elle les abandonne. Il ne faudrait donc pas “baisser les bras” devant la vague qui conteste aujourd’hui la morale familiale et réclame une liberté absolue sans les responsabilités de l’amour et de la vie humaine. Il faut au contraire toujours élever le débat, en espérant que nous y serons rejoints par beaucoup d’hommes et de femmes de bonne volonté qui en comprennent l’enjeu, au moins pour la santé de la société, la dignité et le bonheur durable des personnes. Il faut souhaiter que les pasteurs, les laïcs chrétiens, les associations fassent tout leur possible pour éduquer les personnes et l’opinion publique, pour accompagner, avec toutes les initiatives opportunes, ceux qui essaient de s’informer, de progresser. Et tout d’abord, au niveau des convictions, pourrions-nous dire que l’exhortation “Familiaris Consortio”, où j’ai recueilli le fruit du Synode, a été suffisamment étudiée et mise en oeuvre?

J’arrête ici cette révision de vie qui rejoint sûrement vos préoccupations et nous engage tous. Puissent tous vos diocésains prendre leurs responsabilités: prêtres, religieuses, laïcs, époux, parents, jeunes! Puissent-ils être convaincus de la force du message chrétien lorsqu’il est mis en pratique (Cfr Mt 7,24-25). C’est un chemin d’espérance. Et de tout coeur, je les bénis avec vous.






Discours 1982 - Lundi, 4 octobre 1982