Discours 1982 - Discours à l’Assemblée plénière de la Conférence des évêques d'Espagne - 31 octobre


Discours aux moniales à Avila - 1er novembre


Le 1er novembre, le Pape a quitté la nonciature à 7 h 45 pour se rendre à Avila. Il s'est d'abord rendu au monastère de l'Incarnation où l'attendaient 1500 religieuses cloîtrées provenant de différentes régions du pays. Après avoir visité les lieux les plus significatifs du monastère, en particulier le parloir où sainte Thérèse et saint Jean de la Croix ont connu le moment culminant de leur mysticisme, Jean-Paul II a adressé aux religieuses le discours suivant (1) :

(1) Texte espagnol dans l'Osservatore Romano des 1er-2 novembre. Traduction, titre, sous-titres et notes de la DC.


CHÈRES SOEURS, RELIGIEUSES CLOÎTRÉES D'ESPAGNE,

1. En marchant sur les traces de sainte Thérèse de Jésus, c'est avec une grande satisfaction et une grande joie que je viens à Avila. Dans cette cité se trouvent tant de sanctuaires thérésiens, comme le monastère de San José, le premier des « petits colombiers » fondés par elle ; ce monastère de l'Incarnation, où sainte Thérèse revêtit l'habit du Carmel, fit sa profession religieuse, eut sa « conversion » décisive et vécut son expérience de consécration totale au Christ. On peut bien dire que c'est ici le sanctuaire de la vie contemplative, lieu de grandes expériences mystiques et centre rayonnant de fondations monastiques.

Voilà pourquoi c'est une joie pour moi de me trouver en ce lieu avec vous, religieuses cloîtrées d'Espagne, qui représentez les diverses familles contemplatives qui enrichissent l'Église : bénédictines, cisterciennes, dominicaines, clarisses, capucines, conceptionnistes, sans oublier les carmélites.

L'événement d'aujourd'hui montre comment les divers chemins et charismes de l'Esprit se complètent dans l'Église. C'est une expérience unique pour les monastères et les couvents cloîtrés qui ont ouvert leurs portes pour venir en pèlerinage à Avila. Pour honorer, avec le Pape, sainte Thérèse, cette femme exceptionnelle, docteur de l'Église, et pourtant « toute enveloppée d'humilité, de pénitence et de simplicité », comme l'a dit mon prédécesseur Paul VI (Homélie du 27 septembre 7970) (2).

Je rends grâces à Dieu pour un tel modèle d'union ecclésiale, et je lui rends grâces aussi pour m'avoir permis de réaliser cette visite prolongée dans ce qui est, à mes yeux, le grand monastère d'Espagne, et que vous formez.

(2) DC, 1970, n° 1572, p. 908.


Le sens profond de la vie contemplative

2. La vie contemplative a occupé et continuera d'occuper une place d'honneur dans l'Église. Consacrée à la prière et au silence, à l'adoration et à la pénitence dans le cloître, « votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3). Cette vie consacrée est le développement du don reçu au baptême et trouve en lui son fondement. En effet, par ce sacrement, Dieu qui nous a choisis en Christ « avant la constitution du monde pour que nous soyons saints et immaculés devant lui dans la charité » (Ep 1,4), nous a délivrés du péché et nous a incorporés au Christ et à son Église, pour que nous « vivions une vie nouvelle » (Rm 6,41).

Cette vie nouvelle a fructifié en vous dans la marche radicale à la suite de Jésus-Christ, par le moyen de la virginité, de l'obéissance et de la pauvreté, fondements de la vie contemplative. C'est lui qui est le centre de votre vie, la raison de votre existence : « Bien de tous les biens, mon Jésus », comme le résumait sainte Thérèse (VIE 21,5).

L'expérience du cloître rend encore plus absolue cette marche, au point d'identifier la vie religieuse avec le Christ : « Notre vie est le Christ » (Cinquième Demeure, 2, 4), disait sainte Thérèse, faisant siennes les exhortations de saint Paul (cf. Col 3,3). Cette identification de la personne de la religieuse avec le Christ constitue le centre de la vie consacrée et le sceau qui l'identifie comme contemplative.

Dans le silence, dans le cadre de la vie humble et confiante, la vigilante attente de l'Époux se transforme en une pure et vraie amitié : « Je puis m'entretenir avec lui comme un ami, bien que ce soit le Seigneur. » (VIE 37,5)

Et ce commerce assidu, de jour et de nuit, c'est l'oraison, occupation primordiale de la religieuse et chemin indispensable pour son identification avec le Seigneur : « Ils commencent à être serviteurs de l'amour, ceux qui, à travers ce chemin d'oraison, suivent celui qui nous a tant aimés. » (VIE 11,1)


Un ferment de rénovation

3. L'Église sait bien que votre vie silencieuse et séparée, dans la solitude extérieure du cloître, est un ferment de rénovation et de présence de l'Esprit du Christ dans le monde. Pour cette raison, le Concile a dit que les religieuses contemplatives « occupent une place éminente dans le corps mystique du Christ. Elles offrent en effet à Dieu un très haut sacrifice de louange, elles enrichissent le Peuple de Dieu de fruits très abondants de sainteté, elles l'entraînent par leur exemple et le font croître avec une mystérieuse fécondité apostolique. Elles sont ainsi l'honneur de l'Église et une source de grâces célestes. » (Perfectae caritatis, PC 7 Perfectae caritatis, )

Cette fécondité apostolique de votre vie découle de la grâce du Christ, qui assume et complète votre oblation totale dans le cloître. Le Seigneur qui vous a choisies, en vous identifiant avec son mystère pascal, vous unit à lui-même dans l'oeuvre sanctificatrice du monde. Comme des sarments greffés sur le Christ, vous pouvez donner beaucoup de fruit (cf Jn 15,5), à partir de l'admirable et mystérieuse communion des saints.

Telle doit être la perspective de foi et de joie ecclésiale, dans chacune de vos journées et chacune de vos actions : dans votre oraison et vos veilles, votre louange dans l'office divin, votre vie dans la cellule ou dans le travail, vos mortifications prescrites par les règles ou volontaires, votre maladie ou vos souffrances, en vous unissant au sacrifice tout entier du Christ. Par lui, avec lui et en lui, vous serez une offrande de louange et de sanctification du monde.

« Pour que vous n'ayez aucun doute à ce sujet — comme je l'ai dit à vos soeurs au Carmel de Lisieux —, l'Église, au nom même du Christ, a pris un jour possession de toutes vos puissances de vivre et d'aimer. C'était votre profession monastique. Renouvelez-la souvent ! Et, à l'exemple des saints, consacrez-vous, immolez-vous toujours davantage sans même chercher à savoir comment Dieu utilise votre collaboration. » (Allocution aux religieuses cloîtrées, Lisieux, 2 juillet 1980.) (3)

Votre vie de c1ôture, vécue en pleine fidélité, ne vous éloigne pas de l'Église, et ne vous empêche pas de vous livrer à un apostolat efficace. Rappelez-vous la fille de Thérèse de Jésus, Thérèse de Lisieux, si proche dans son cloître des missions et des missionnaires du monde. Comme elle, dans le coeur de l'Église, soyez l'amour.

(3) DC, 1980, n° 1788, p. 614.


Fécondité pour la vie de l'Église

4. Votre fécondité virginale doit se transformer en vie au sein de l'Église universelle et de vos Églises particulières. Vos monastères sont des communautés d'oraison au milieu des communautés chrétiennes auxquelles ils apportent soutien, encouragement et espérance. Ce sont des lieux sacrés, et ils pourront aussi être des centres d'accueil chrétien pour les personnes, surtout les jeunes, qui sont souvent à la recherche d'une vie simple et transparente en contraste avec celle que leur offre la société de consommation .

Le monde a besoin, plus qu'on ne le croit parfois, de votre présence et de votre témoignage. Pour cela il est nécessaire de montrer avec efficacité les valeurs authentiques et absolues de l'Évangile à un monde qui exalte fréquemment les valeurs relatives de la vie. Et qui court le risque de perdre le sens du divin, étouffé par l'excessive valorisation du matériel, du transitoire, de ce qui ignore la joie de l'Esprit.

Il s'agit de l'ouvrir au message de l'Évangile que résume votre vie et qui trouve un écho dans ces paroles de Thérèse de Jésus : « Adieu donc, biens du monde, même si on perd tout, Dieu seul suffit. « (Poésies, 30.)

5. En contemplant aujourd'hui tant de religieuses cloîtrées, je ne puis manquer de penser à la grande tradition monastique espagnole, à son influence sur la culture, sur les coutumes, dans la vie espagnole. Ne serait-ce pas là que résident la force morale, la continuelle référence des Espagnols à l'Esprit ?

Le Pape vous appelle aujourd'hui à continuer de cultiver votre vie consacrée à travers un renouveau liturgique, biblique et spirituel, en suivant les directives du Concile. Tout cela exige une formation permanente qui enrichisse votre vie spirituelle, en lui donnant un solide fondement doctrinal, théologique et culturel. Ainsi, vous pourrez apporter la réponse évangélique qu'attendent tant de jeunes filles de notre temps qui, aujourd'hui encore, s'approchent de vos monastères, attirées par une vie de don généreux au Seigneur.

À ce sujet, je voudrais lancer un appel aux communautés chrétiennes et à leurs pasteurs, en leur rappelant le rôle irremplaçable que joue la vie contemplative dans l'Église. Tous, nous devons apprécier et estimer profondément le don des âmes contemplatives dans l'oraison, la louange et le sacrifice.

Elles sont très nécessaires à l'Église. Elles sont des prophètes, des maîtresses vivantes pour tous : elles sont les avant-postes de l'Église en marche vers le Royaume. Leur attitude devant les réalités de ce monde qu'elles contemplent selon la Sagesse de l'Esprit nous éclaire sur les biens définitifs et nous fait toucher la gratuité de l'amour sauveur de Dieu. J'exhorte donc tous les fidèles à s'efforcer de susciter parmi les jeunes des vocations pour la vie monastique, dans l'assurance que ces vocations enrichiront la vie tout entière de l'Église.


Gardez votre fidélité

6. Nous devons conclure cette rencontre, malgré tout le plaisir que le Pape éprouve à se trouver auprès de ces filles si fidèles de l'Église. J'achèverai par une parole d'encouragement : Gardez votre fidélité ! Fidélité au Christ, à votre vocation de contemplatives, au charisme de votre fondation.

Filles du Carmel, soyez des images vivantes de votre mère Thérèse, de sa spiritualité et de son humanisme. Soyez vraiment, comme elle l'a été et a voulu s'appeler — et comme je désire qu'on l'appelle — Thérèse de Jésus.

Vous toutes, religieuses contemplatives : que l'on puisse voir, à travers vous aussi, vos fondateurs et fondatrices.

Vivez dans la joie et la fierté votre vocation ecclésiale, priez les unes pour les autres et aidezvous mutuellement, priez pour les vocations religieuses, pour les prêtres et les vocations sacerdotales. Et priez aussi pour la fécondité du ministère du Successeur de Pierre qui vous parle. Je sais que vous le faites, et vous en remercie vivement.

Je présente au Seigneur vos personnes et vos intentions. Et je vous recommande à la Très Sainte Vierge, modèle des âmes contemplatives, pour qu'elle fasse de vous, à partir de la croix et de la gloire de son Fils, un don joyeux à l'Église.

Portez mon cordial salut à vos soeurs qui n'ont pu venir à Avila. Toutes, je vous bénis avec affection au nom du Christ.





Discours à l'université de Salamanque - 1er novembre


Au début de l'après-midi du ler novembre, le Pape s'est d'abord rendu à Alba de Tormes où sont conservées les dépouilles mortelles de sainte Thérèse de Jésus, puis il a rejoint l'université de Salamanque où il est arrivé vers 19 h 30. Cette université, I'une des plus anciennes et des plus prestigieuses d'Espagne, a été fondée en 1219 par Alphonse IX et elle était à l'origine une université royale et pontificale. Voici le discours que le Pape a adressé aux professeurs et aux étudiants ([32]). Après cette rencontre, le Saint-Père est rentré directement à Madrid.

[32] Texte espagnol dans l'Osservatore Romano du 3 novembre. Traduction, titre, sous-titres et notes de la DC.

La théologie, la foi et l’Église


CHERS FRÈRES,

1. Comme lors de mon voyage en Allemagne, j’ai voulu, au cours de cette visite en Espagne, avoir une rencontre personnelle avec vous, les professeurs de théologie dans les Facultés et les séminaires. Je me sens cordialement uni à vous par le souvenir du temps où j’ai enseigné la théologie et la philosophie à l’université, en Pologne, et surtout par la conviction de la grande importance du rôle de la théologie dans la vie de la communauté ecclésiale. À cause de cela, déjà dans ma première encyclique Redemptor hominis, j’ai écrit : « La théologie a toujours eu et continue d’avoir une grande importance pour que l’Église, Peuple de Dieu, puisse, de façon créative et féconde, participer à la mission prophétique du Christ. » (RH 19)

Pour vous rencontrer, j’ai choisi cette célèbre et belle ville de Salamanque qui, avec son ancienne université, fut le centre et le symbole du siècle d’or de la théologie en Espagne, et qui, depuis ce lieu, a fait rayonner sa lumière sur le Concile de Trente, contribuant puissamment au renouveau de toute la théologie catholique.


La leçon des maîtres d'hier

Le peu de temps dont je dispose ne me permet pas d’évoquer toutes les éminentes personnalités de cette époque. Pourtant je ne peux moins faire que de citer les noms de l’exégète et poète Frère Luis de Leon, du « Doctor Navarrus » Martin de Azpilcueta, du maître des maîtres Francisco de Vitoria, des théologiens tridentins Domingo de Soto et Bartolomé de Carranza, de Juan de Maldonado à Paris, de Francisco de Toledo et Francisco Suarez à Rome, de Gregorio de Valencia en Allemagne. Et comment oublier les « docteurs de l’Église », Jean de la Croix et Thérèse de Jésus ?

À cette époque si difficile pour le monde chrétien, ces grands théologiens se distinguèrent par leur fidélité et leur créativité. Fidélité à l'Église du Christ, et engagement radical pour son unité sous la primauté du Pontife romain. Créativité dans la méthode et dans la problématique.

En même temps que le retour aux sources — la Sainte Écriture et la Sainte Tradition —, ils effectuèrent l'ouverture à la nouvelle culture qui naissait en Europe et aux problèmes humains (religieux, éthiques et politiques) que faisait surgir la découverte de mondes nouveaux à l'Ouest et à l'Est. La dignité inviolable de tout homme, la perspective universelle du droit international (jus gentium) et le caractère normatif de la dimension éthique pour les nouvelles structures socio-économiques entrèrent pleinement dans le champ de la théologie et reçurent d'elle la lumière de la Révélation chrétienne.

À cause de cela, dans les temps nouveaux et difficiles que nous vivons, les théologiens de cette époque continuent d'être pour vous des maîtres, dans la recherche d'un renouveau aussi créatif que fidèle, qui réponde aux orientations de Vatican II, aux exigences de la culture moderne et aux problèmes les plus profonds de l'humanité actuelle.


Foi et théologie

2. La fonction essentielle et spécifique de la démarche théologique n'a pas changé et ne peut changer. Déjà, au XIe siècle, saint Anselme de Cantorbéry la définissait en une formule admirable par son exactitude et sa densité : Fides quaerens intellectum, la foi qui cherche à comprendre. La foi n'est donc pas seulement le présupposé indispensable et la disposition fondamentale de la théologie : leur connexion est beaucoup plus intime et profonde.

La foi est la racine vitale et permanente de la théologie, qui naît précisément du questionnement et de la recherche intrinsèques à la foi elle-même, c'est-à-dire de son impulsion à se comprendre elle-même, aussi bien dans son option radicalement libre d'adhésion personnelle au Christ que dans son assentiment au contenu de la Révélation chrétienne. Faire de la théologie est donc une tâche exclusivement propre au croyant en tant que croyant, une tâche vitalement suscitée et à tout moment soutenue par la foi et, par conséquent, interrogation et recherche illimitée.

La théologie se maintient toujours à l'intérieur de la démarche intellectuelle qui va du « croire » au « comprendre » ; elle est réflexion scientifique en tant qu'elle est conduite de façon critique, c'est-à-dire consciente de ses présupposés et des exigences auxquelles elle doit satisfaire pour être universellement valable ; de façon méthodique, c'est-à-dire conformément aux normes imposées par son objet et par sa fin ; de façon systématique, c'est-a-dire orientée vers une compréhension cohérente des vérités révélées dans leur relation avec le centre de la foi, le Christ, et dans leur signification pour le salut de l'homme.

Le théologien ne peut se borner à conserver le trésor doctrinal hérité du passé, mais il doit chercher une compréhension et une expression de la foi qui rendent possible son accueil dans la façon de penser et de parler de notre temps. Le critère qui doit guider la réflexion théologique est la recherche d'une compréhension renouvelée du message chrétien, à travers la dialectique du renouveau dans la continuité, et viceversa ( 1).


La théologie impose la question de l'homme

3. L'état de la culture actuelle, dominée par les méthodes et par la forme de pensée propres aux sciences naturelles, et fortement influencée par les courants philosophiques qui proclament la validité exclusive du principe de la vérification empirique, tend à passer sous silence la dimension transcendante de l'homme, et ainsi, logiquement, à omettre ou nier la question de Dieu et de la révélation chrétienne.

Face à cette situation, la théologie est appelée à concentrer sa réflexion sur ce qui constitue ses thèmes radicaux et décisifs : le mystère de Dieu, du Dieu trinitaire, qui en Jésus- Christ s'est révélé comme Dieu-Amour ; le mystère du Christ, le Fils de Dieu fait homme, qui par sa vie et son message, par sa mort et sa résurrection, a illuminé définitivement les aspects les plus profonds de l'existence humaine ; le mystère de l'homme qui, dans la tension indépassable entre sa finitude et son aspiration illimitée, porte au-dedans de lui- même la question irrépressible sur le sens ultime de sa vie. C'est la théologie elle-même qui impose la question de l'homme, pour pouvoir le comprendre comme destinataire de la grâce et de la révélation du Christ.

Si la théologie a toujours eu besoin de l'aide de la philosophie, aujourd'hui cette philosophie devra être anthropologique, c'est-à-dire qu'elle devra chercher dans les structures essentielles de l'existence humaine les dimensions transcendantes que constituent la capacité radicale de l'homme d'être interpellé par le message chrétien, pour le comprendre comme salvifique, c'est-a-dire comme réponse de plénitude gratuite aux questions fondamentales de la vie humaine. Tel fut le processus de réflexion théologique suivi par le Concile Vatican II dans la Constitution Gaudium et spes : la corrélation entre les problèmes profonds et décisifs de l'homme et la lumière nouvelle que fait briller sur eux la personne et le message de JésusChrist (cf. GS 9-21).

On voit ainsi que la théologie de notre temps a besoin de l'aide non seulement de la philosophie mais aussi des sciences, et surtout des sciences humaines, comme base indispensable pour répondre à la question : « Qui est l'homme ? » C'est pourquoi, dans les facultés de théologie ne peuvent manquer les cours et « séminaires » interdisciplinaires.


Théologie, science ecclésiale

4. La foi chrétienne est ecclésiale, c'est-à-dire qu'elle naît et demeure liée à la communauté de ceux qui croient au Christ, que nous appelons Église. Comme réflexion née de cette foi, « la théologie est science ecclésiale parce qu'elle se développe dans l'Église et qu'elle agit sur l'Église. C'est pour cela qu'elle n'est jamais l'affaire privée d'un spécialiste isolé dans une tour d'ivoire. Elle est un service d'Église et elle doit donc se sentir insérée de manière dynamique dans la mission de l'Église, en particulier dans sa mission prophétique (2) ».

La tâche du théologien revêt encore le caractère de mission ecclésiale comme participation à la mission évangélisa- trice de l'Église et comme service éminent rendu à la communauté ecclésiale. Ici se fonde la grave responsabilité du théologien : il doit toujours avoir présent à l'esprit que le Peuple de Dieu et avant tout les prêtres et futurs prêtres, qui ont à éduquer la foi de ce peuple, ont droit à ce qu'on leur explique sans ambiguïtés ni réductions les vérités fondamentales de la foi chrétienne. « Il nous faut donc proclamer notre foi au Christ devant l'Histoire et devant le monde avec une conviction profonde, sentie, vécue, comme Pierre la proclama : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Telle est la Bonne Nouvelle, en un certain sens unique : l'Église vit par elle et pour elle, comme elle reçoit d'elle tout ce qu'elle a à offrir aux hommes (3).» « Nous devons servir les hommes et les femmes de notre temps. Nous devons les servir dans leur soif de vérités totales, soif de vérités ultimes et définitives, soif de la Parole de Dieu, soif de l'unité entre les chrétiens (4). »


Théologie et magistère

5. La relation essentielle de la théologie avec la foi, fondée et centrée dans le Christ, éclaire parfaitement le lien de la théologie avec l'Église et avec son magistère. On ne peut croire au Christ sans croire en l'Église « Corps du Christ »; on ne peut croire en l'Église dans la foi catholique sans croire en son magistère indispensable. La fidélité au Christ implique donc la fidélité à l'Église ; et la fidélité à l'Église comporte à son tour la fidélité au magistère. Il faut, par conséquent, se rendre compte qu'avec la même liberté radicale de la foi dans laquelle le théologien adhère au Christ, il adhère aussi à l'Église et à son magistère.

Ainsi, le magistère ecclésial n'est pas une instance étrangère à la théologie, mais il lui est intrinsèque et essentiel. Si le théologien est avant tout et radicalement un croyant, et si sa foi chrétienne est foi en l'Église du Christ et en son magistère, son travail théologique ne pourra que demeurer fidèlement lié à sa foi ecclésiale, dont l'interprète authentique et faisant autorité est le magistère.

Soyez donc fidèles à votre foi, sans tomber dans la périlleuse illusion de séparer le Christ de son Église, ni l'Église de son magistère. « L'amour de l'Église concrète, qui implique aussi la fidélité au témoignage de la foi et au magistère ecclésiastique ne détourne pas le théologien de son travail et n'enlève rien à la consistance indispensable de celui-ci. Le magistère et la théologie ont l'un et l'autre une tâche différente. Pour cette raison, on ne peut reduire l'un à l'autre (5). »

Cependant, ce ne sont pas deux tâches opposées, mais bien complémentaires. « Dans leur service de la vérité, le magistère et les théologiens ont des liens communs : ils sont liés à la Parole de Dieu, au « sens de la foi » (sensus fidei)., aux documents de la Tradition dans lesquels est proposée la foi commune du peuple ; ils sont liés enfin à la préoccupation pastorale et missionnaire que les uns et les autres doivent avoir devant les yeux (6). » Le magistère et la théologie doivent donc entretenir un dialogue, qui se révélera fécond pour les deux et pour le service de la communauté ecclésiale.


La recherche et l'enseignement

6. Très chers professeurs, sachez que le Pape, qui a été lui aussi un homme d'étude et d'université, comprend les difficultés et les exigences considérables de votre travail. Il s'agit d'une tâche silencieuse, pleine d'abnégation, qui vous demande d'être entièrement consacrés à la recherche et à l'enseignement. Car l'enseignement sans la recherche risque de tomber dans la routine et la répétition.

Sachez être créatifs chaque jour, et pour cela il faut que vous soyez à l'avant-garde des questions actuelles par une lecture assidue des publications de la plus haute qualité et par le dur effort de la réflexion personnelle. Faites de la théologie avec la rigueur de la pensée et avec la disposition d'un coeur passionné pour le Christ, pour son Église, et pour le bien de l'humanité. Soyez tenaces et persévérants dans la maturation continuelle de vos idées et dans la précision de votre langage. Je voudrais que vous reteniez ces paroles : votre mission dans l'Église est aussi ardue qu'elle est importante. Il vaut la peine d'y consacrer sa vie entière ; cela vaut la peine pour le Christ, pour l'Église, pour la formation solide des prêtres — et aussi des religieux et des laïcs — qui devront éduquer avec fidélité et compétence la conscience des fidèles sur le chemin assuré du salut.

Votre peine n'a pas été vaine. Le nombre et le niveau des facultés de théologie d'Espagne, et la qualité de leurs publications, garantissent à la théologie espagnole une très bonne place dans la théologie catholique actuelle. Je voudrais aussi souligner l'importance spéciale des centres théologiques pour les laïcs : ils sont une promesse pour l'avenir de l'Église.

Ma dernière parole de salut sera pour vous, très chers étudiants. L'Église a confiance en vous, et elle a besoin de vous. Apprenez à penser en profondeur. Levez les yeux sur les besoins du monde d'aujourd'hui, et surtout sur le besoin de lui porter le salut, dans la Personne et dans le message du Christ, à la compréhension duquel est consacrée votre formation théologique.

7. À la Mère commune, Siège de la Sagesse, je recommande vos personnes et vos travaux. Qu'elle vous montre toujours le chemin vers Jésus, elle qui a connu son Fils si profondément, et qui l'a suivi si fidèlement.

Pour que vous viviez ce que vous apprenez et enseignez. Pour que dans l'enseignement et dans les publications il n'y ait rien qui ne corresponde à la foi de l'Église et aux orientations du magistère. Pour que vous ressentiez la joie et la responsabilité de donner l'authentique doctrine du Christ à ceux qui devront la communiquer aux autres. Pour que vous soyez de vrais serviteurs de Celui qui est lumière, vérité, salut. En son nom je vous encourage et je vous bénis affectueusement, avec tous les professeurs de théologie d’Espagne et leurs élèves.

(1) Cf. Discours aux évêques de Belgique, 10 septembre 1982. DC 1982, n° 1838, p. 909.
(2) Discours à l'Université grégorienne, 15 décembre 1979. DC 1980, n° 1779, p. 146.
(3) Discours à la Conférence de Puebla, 28 janvier 1979, I, n° 3. DC 1979, n° 1758, p. 165.
(4) Discours à l'Université grégorienne.
(5) Discours aux théologiens allemands, 18 novembre 1980. DC 1980, n° 1798, p. 1162.
(6) Discours à la Commission théologique internationale, 26 octobre 1979. DC 1979, n° 1774, p. 952-953.



La rencontre avec les autorités espagnoles - 2 novembre


Le 2 novembre, le Pape s'était d'abord rendu au cimetière madrilène « La Almudena » où il a célébré une messe pour les défunts, puis au palais royal pour une rencontre privée avec le roi et la reine. Il est ensuite revenu à Madrid pour la rencontre officielle avec les autorités espagnoles à qui il a adressé le discours suivant (1) :

(1) Texte original espagnol dans l'Osservatore Romano du 3 novembre. Traduction et titre de la DC.


MAJESTÉS, MESSIEURS,

1. Je me réjouis de cette rencontre avec Vos Majestés, les autorités du gouvernement et les représentants du Parlement, de même qu'avec les autres membres distingués des secteurs les plus éminents de la société espagnole.

Je vous remercie avant tout de l'accueil déelicat, en parfaite harmonie avec le profond sentiment d'hospitalité du peuple espagnol, et des paroles pleines de déférence de Votre Majesté, qui se fait l'interprète si autorisé des sentiments des Espagnols.

Et bien que mon voyage en Espagne ait un caractère éminemment religieux, je désire, par cette visite de courtoisie, exprimer mon salut et mon respect aux représentants légitimes du peuple espagnol, qui les a choisis comme mandataires pour diriger le destin de la nation. Un respect que j’ai voulu mettre en dehors de la moindre ombre de doute — au cas où elle aurait pu s’insinuer en l’un ou l’autre — déjà avant ma venue, et que je renouvelle aujourd’hui dans votre contexte politique actuel.

2. Dans la même ligne que celle de mes précédents voyages apostoliques, je viens en Espagne comme messager de la foi, pour remplir la mission du Christ et enseigner sa doctrine à toutes les nations. Un message qui est nouveau pour chaque personne ou chaque génération, et qui est toujours la Bonne Nouvelle, parce qu’il parle de foi, d’amour entre les hommes, de respect de leur dignité et des valeurs fondamentales de paix, de concorde, de liberté et de vie commune. Toutes choses qui contribuent à la promotion de l’homme et qui occupent tant de place dans mes propres tâches.

Bonne Nouvelle également pour les peuples, particulièrement quand ils sont engagés à construire sur des bases renouvelées leur présent et leur avenir. Car l’Église, en respectant bien volontiers les cadres qui ne sont pas de son domaine propre, indique une direction morale qui n’est pas contradictoire ou divergeante, mais qui coïncide avec les exigences de la dignité de la personne humaine et les droits et les libertés qui lui sont inhérentes et qui constituent la plate-forme d’une société saine.

Il est par ailleurs logique que, fidèle à son devoir et respectant de plus l’autonomie de l’ordre temporel (cf. Gaudium et spes, GS 36), l’Église demande la même considération pour sa mission, quand il s’agit de la sphère des questions qui concernent Dieu et touchent la conscience de ses enfants, dans les diverses manifestations de leur vie personnelle et sociale, privée et publique.

3. Je suis conscient de venir dans une nation de grande tradition catholique, dont de nombreux fils ont intensément contribué à l’humanisation et à l’évangélisation d’autres peuples. Ce sont des pages historiques qui parlent bien haut de votre passé.

Aujourd’hui vous êtes engagés dans une nouvelle structuration de votre société qui respecte, comme il convient, l’unité et les particularités des divers peuples composant la nation. Sans prétendre porter des jugements concrets sur des aspects qui ne sont pas de mon ressort, je demande à Dieu que vous trouviez les solutions à adopter pour que soient préservés l’harmonie sociale, la solidarité, le respect mutuel et le bien de tous.

Cet équilibre de l’Espagne aura des répercussions positives sur la région géographique dont vous faites partie, et dans laquelle vous désirez légitimement vous intégrer plus pleinement. Une Espagne prospère et en paix, qui s’engage à promouvoir des relations fraternelles entre ses habitants, et qui n’oublie pas son essence humaine, spirituelle et morale, pourra apporter une précieuse contribution à un avenir de justice et de paix, en Europe et dans le concert des nations, surtout de celles avec lesquelles vous êtes particulièrement unis par des liens historiques.

4. Pour atteindre ces objectifs, je sais que vous vous efforcez de créer une vie sociale dans la liberté, la participation et le respect des droits de l’homme, au milieu de la pluralité des options légitimes et du respect qu’elles se doivent réciproquement, que la société espagnole ressent.

Je souhaite que vous préserviez la liberté solidaire et responsable, ce don précieux de la personne humaine, fruit de sa dignité. Et que votre système de liberté se fonde à chaque instant sur le respect des valeurs morales et la personne elle-même. Elle pourra ainsi se réaliser vraiment sur le plan individuel et collectif.

5. Je ne puis conclure ces paroles sans renouveler mes remerciements à S. M. le Roi et au gouvernement pour m’avoir invité à venir dans ce si noble pays, et pour toutes les facilités qu’ils m’accordent pour que ce voyage se déroule le mieux possible. Je désire les assurer de ma profonde considération pour tout cela.

Que Dieu bénisse la famille royale, toutes les autorités et le cher peuple espagnol pour qu’il jouisse toujours d’un climat de paix, de prospérité, de justice et de concorde.





Discours 1982 - Discours à l’Assemblée plénière de la Conférence des évêques d'Espagne - 31 octobre