Discours 1985 - Samedi, 12 janvier 1985


AUX MEMBRES DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE

Mardi, 15 janvier 1985




Chers Frères dans l’épiscopat, chers amis,

1. Ma joie est grande ce matin de vous accueillir a Rome a l’occasion de la troisième réunion annuelle du Conseil international du Conseil Pontifical pour la Culture.

Je vous remercie sincèrement de votre présence active et d’avoir accepté de consacrer votre temps et vos énergies a cette collaboration étroite avec le Siège apostolique. Je salue avec une particulière affection le Cardinal Gabriel-Marie Garrone, Président de votre Comité de Présidence, ainsi que le Cardinal Eugenio de Arauj o Sales. Je me tourne également avec reconnaissance vers la direction exécutive du Conseil Pontifical pour la Culture représentée par son Président, Mgr Paul Poupard et son Secrétaire le P. Hervé Carrier, qui, avec leurs collaborateurs et collaboratrices zélés, s’attachent a accomplir une oeuvre abondante et de qualité.

2. Le Conseil pontifical pour la culture revêt a mes yeux une signification symbolique et pleine d’espérance. En effet, je vois en vous des témoins qualifiés de la culture catholique a travers le monde, chargés de réfléchir également sur les évolutions et les attentes des différentes cultures dans les régions, comme dans les secteurs d’activité qui sont les vôtres. De par la mission que je vous ai confiée, vous êtes appelés a aider, avec compétence, le Siège apostolique a mieux connaître les aspirations profondes et diverses des cultures d’aujourd’hui et a mieux discerner comment l’Eglise universelle peut y répondre. Car, a travers le monde, les orientations, les mentalités, les manières de penser et de concevoir le sens de la vie, se modifient, s’influencent mutuellement, s’affrontent sans doute plus vigoureusement que jamais. Cela marque tous ceux qui s’adonnent loyalement a la promotion de l’homme. Il est bon que votre travail d’étude, de consultation et d’animation - entrepris en liaison avec les autres Dicastères romains, avec les Universités, les Instituts religieux, les Organisations internationales catholiques et plusieurs grandes instances internationales attachées a la promotion des cultures - vous favorisiez une prise de conscience claire des enjeux que présente l’activité culturelle au sens large de ce terme.

3. Au-delà de cet accueil respectueux et désintéressé des réalités culturelles pour une meilleure connaissance, le chrétien ne peut pas faire abstraction de la question de l’évangélisation. Le Conseil pontifical pour la culture participe a la mission du Siège de Pierre pour l’évangélisation des cultures et vous êtes associés a la responsabilité des Eglises particulières dans les taches apostoliques que requiert la rencontre de l’Evangile avec les cultures de notre époque. A cette fin, un immense travail est demandé a tous les chrétiens et le défi doit mobiliser leurs énergies au coeur de chaque peuple et de chaque communauté humaine.

A vous qui avez accepté de seconder le Saint-Siège dans sa mission universelle auprès des cultures de notre temps, je confie la tache particulière d’étudier et d’approfondir ce que signifie pour l’Eglise l’évangélisation des cultures aujourd’hui. Certes, la préoccupation d’évangéliser les cultures n’est pas nouvelle pour l’Eglise, mais elle présente des problèmes qui ont un caractère de nouveauté dans un monde marqué par le pluralisme, par le choc des idéologies et par de profondes mutations de mentalités. Vous devez aider l’Eglise a répondre a ces questions fondamentales pour les cultures actuelles: comment le message de l’Eglise est-il accessible aux cultures nouvelles, aux formes actuelles de l’intelligence et de la sensibilité? Comment l’Eglise du Christ peut-elle se faire entendre par l’esprit moderne, si fier de ses réalisations et en même temps si inquiet pour l’avenir de la famille humaine? Qui est Jésus Christ pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui?

Oui, l’Eglise tout entière doit se poser ces questions, dans l’esprit de ce que disait mon prédécesseur Paul VI a la suite du Synode sur l’évangélisation: “Il importe d’évangéliser... la culture et les cultures de l’homme dans le sens riche et large que ces termes ont dans Gaudium et Spes, partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu”. Il ajoutait encore: “Le règne que l’Evangile annonce est vécu par des hommes profondément liés a une culture, et la construction du Royaume ne peut pas ne pas emprunter des éléments de la culture et des cultures humaines” (PAULI VI Evangelii nuntiandi EN 20)

Il est donc une tache complexe mais essentielle: aider les chrétiens a discerner dans les traits de leur culture ce qui peut contribuer a la juste expression du message évangélique et a la construction du Règne de Dieu, et a déceler ce qui lui est contraire. Et par la, l’annonce de l’Evangile aux contemporains qui n’y adhèrent pas aura plus de chances d’être réalisée dans un dialogue authentique.

Nous ne pouvons pas ne pas évangéliser: tant de régions, tant de milieux culturels restent encore insensibles a la bonne nouvelle de Jésus Christ. Je pense aux cultures de vastes espaces du monde encore en marge de la foi chrétienne. Mais je pense aussi a de larges secteurs culturels dans les pays de tradition chrétienne qui, aujourd’hui, semblent indifférents - sinon réfractaires - a l’Evangile. Je parle, certes, des apparences, car il ne faut pas préjuger du mystère des croyances personnelles et de l’action secrète de la grâce. L’Eglise respecte toutes les cultures et n’impose a aucune sa foi en Jésus Christ, mais elle invite toutes les personnes de benne volonté a promouvoir une véritable civilisation de l’amour, fondée sur les valeurs évangéliques de la fraternité, de la justice et de la dignité pour tous.

4. Tout ceci demande une nouvelle approche des cultures, des comportements, pour dialoguer en profondeur avec les milieux culturels et pour rendre féconde leur rencontre avec le message du Christ. Cette oeuvre demande aussi de la part des chrétiens responsables une foi éclairée par la réflexion sans cesse confrontée aux sources du message de l’Eglise, et un discernement spirituel sans cesse poursuivi dans la prière.

Le Conseil Pontifical pour la Culture, pour sa part, est donc appelé a approfondir les questions importantes que suscitent pour la mission évangélisatrice de l’Eglise les défis de notre temps. Par l’étude, par les rencontres, les groupes de réflexion, les consultations, l’échange d’informations et d’expériences, par la collaboration des correspondants qui ont accepté, nombreux, de travailler avec vous en diverses parties du monde, je vous engage vivement a éclairer ces dimensions nouvelles a la lumière de la réflexion théologique, de l’expérience et de l’apport des sciences humaines.

Soyez surs que j’appuierai volontiers les travaux et les initiatives qui vous permettront de sensibiliser a ces problèmes les diverses instances de l’Eglise. Et, en gage du soutien que je désire apporter a votre tache bien utile a l’Eglise, je vous accorde, ainsi qu’a tous vos collaborateurs et collaboratrices, et a vos familles, ma particulière Bénédiction Apostolique.



                           Mars 1985

AUX MEMBRES DE L’«HOSPITALITÉ NOTRE-DAME DE LOURDES»

Lundi, 18 mars 1985


Chers frères et Soeurs de l’“Hospitalité Notre-Dame de Lourdes”.

1. Vous fêtez le centenaire de votre Confrérie en venant à Rome auprès du tombeau de Pierre. Votre démarche est un signe de communion ecclésiale que je suis heureux de souligner en vous accueillant aujourd’hui, avec votre président, Monseigneur Henri Donze, Evêque de Tarbes et Lourdes, que je remercie de ses paroles.

Lorsqu’a été entendu à la grotte de Massabielle l’appel de la Vierge à la prière et à la pénitence, lorsque les signes de la miséricorde ont été reconnus, les malades sont venus prier, offrir leurs souffrances, demander le soulagement, implorer les dons de l’espérance et de la paix du coeur. Ces hommes et ces femmes, jeunes ou âgés, sont vite apparus comme les privilégiés de l’amour sauveur du Christ et les bien-aimés de sa Mère infiniment compatissante.

La présence des malades a suscité autour des sanctuaires et dans les pèlerinages un mouvement intense de fraternité et d’entraide pour les accompagner. Beaucoup de ceux qui les ont servis se sont attachés à cette tâche et l’ont poursuivie d’année en année. Et ils ont pris en charge beaucoup d’aspects de l’animation des pèlerinages, tant sur le plan spirituel que sur le plan pratique. Ainsi naissait votre confrérie à Lourdes, bientôt associée aux innombrables confréries liées aux pèlerinages organisés régulièrement à partir des pays d’Europe et d’autres parties du monde.

2. Lorsque je considère ce que représente l’Hospitalité de Lourdes, je suis frappé par le sens évangélique de ce qu’elle accomplit. On croirait découvrir une longue suite de réponses à la parole de la Mère de Jésus: “Faites ce qu’il vous dira”. Servir les malades, c’est faire ce que le Seigneur attend de nous. Et quand on a fait, au cours d’un pèlerinage, l’expérience de l’imitation du Seigneur sous les traits du Bon Samaritain où il se dépeint lui-même dans l’Evangile, on sent bien qu’il ne peut s’agir d’une expérience isolée d’un jour. Les hospitaliers reviennent d’année en année. Plus encore, au long des années, ils prolongent leur action dans les communautés de leur vie quotidienne. A la suite du Seigneur, à Lourdes comme partout ailleurs, l’hospitalier sait bien que le secours fraternel apporté à ceux qui endurent tant de souffrances diverses comporte en même temps une aide d’ordre matériel, un témoignage d’ordre spirituel, une expérience de communauté ecclésiale.

3. Je ne développerai pas tous ces aspects aujourd’hui, je voulais simplement souligner la richesse de votre engagement. Lorsque les membres de l’Hospitalité prononcent leur acte de consécration, ils prient la Vierge Immaculée, dans la docilité à l’Esprit Saint et dans la ferveur de la foi; ils lui demandent la grâce de travailler avec elle “au réconfort de ceux qui souffrent, à la réconciliation des hommes, à l’unité de l’Eglise et à la paix du monde”. Par cette prière, vous vous tracez un admirable programme. Avec vous, je voudrais rendre grâce pour tout ce qui a été réalisé dans cet esprit au cours d’un siècle de la vie de votre confrérie, rayonnant en tant de lieux; et je voudrais avec vous prier la Mère du Seigneur pour qu’elle vous aide à poursuivre toujours plus intensément votre action et, en particulier, pour qu’elle aide beaucoup de jeunes à entendre l’appel évangélique de la charité dans toutes ses dimensions. Ce témoignage doit contribuer à donner un nouveau visage de l’Eglise et vous faire ouvrir vous-même aux divers soucis pastoraux de l’Eglise.

4. Votre présence à Rome souligne le caractère ecclésial de votre service d’hospitaliers. Puissiez-vous contribuer à cet aspect majeur de la mission de l’Eglise: accueillir et visiter les plus pauvres, les plus souffrants d’entre nous, les accompagner avec la discrétion qu’appellent la souffrance de l’autre et le mystère de son cheminement intérieur; vous les aidez ainsi à recevoir la grâce salvifique du Rédempteur pour que, réconfortés par l’aide de leurs frères, ils soient illuminés dans la foi par la force de l’espérance et de l’amour. Cette expérience intense vous conduit à participer toujours davantage aux multiples efforts pastoraux de l’Eglise en d’autres domaines également.

Pour conclure, je reprendrai une prière de votre cérémonial d’engagement: “Que Dieu, Notre Père, vous aide à découvrir à son service et à celui de vos frères, comme Marie et Bernadette, jusqu’où va le don de sa grâce”. Et du fond du coeur je prie Dieu de vous bénir, ainsi que l’ensemble des membres de l’Hospitalité de Lourdes et tous ceux que vous servez au nom du Seigneur.

5.

6. …





AUX PARTICIPANTS À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU SECRÉTARIAT POUR LES NON-CROYANTS

Vendredi, 22 mars 1985



Chers Frères dans l’épiscopat,

Chers amis,



1. Ma joie est grande de vous accueillir ce matin pour l’Assemblée plénière du Secrétariat pour les non-croyants, institué par mon prédécesseur Paul VI, voici vingt ans, comme un fruit et une exigence tout ensemble du Concile Vatican II. Il nous est bon de rendre grâce à Dieu du chemin parcouru malgré les difficultés, et de lui demander lumière et force afin de continuer la route.

Vous avez parcouru la première étape sous la direction prudente et audacieuse tout à la fois du cher et vénéré Cardinal Franz König. Maintenant, c’est avec Monseigneur Paul Poupard que vous poursuivez ce travail. Je le remercie, ainsi que tous les collaborateurs permanents du Secrétariat. Avec eux, je vous remercie tous, membres et consulteurs, venus parfois de loin, pour ce que vous accomplissez au service du Saint-Siège et de toute l’Eglise. Paul VI disait: “Il s’agit d’un travail complexe et difficile, mais en même temps urgent et nécessaire” (Cfr. Pauli VI Allocutio ad Secretarium pro non-Credentibus habita, die 18 mar. 1971 : Insegnamenti di Paolo VI, IX (1971) 191).

Votre mission a en effet une finalité pastorale. Vous ne vous contentez pas d’effectuer des études théoriques sur l’incroyance - qui ont aussi leur importance -, vous rencontrez des hommes, croyants et non-croyants. Malgré tout ce qui les sépare, vous voulez jeter entre eux, plus que de fragiles passerelles, des ponts solides pour construire cette civilisation de l’amour que le monde appelle de tous ses voeux. Par delà les frontières politiques, les clivages idéologiques, les affrontements stratégiques, les différences culturelles, vous les appelez à se découvrir frères, ensemble responsables de l’avenir de l’homme, épris de justice et de fraternité, de solidarité et d’amour.

2. Les réponses à votre enquête, des Conférences épiscopales et des Universités catholiques, de croyants et de non-croyants aussi, que nous pouvons lire dans votre revue Athéisme et Dialogue en témoignent: en vingt ans, l’athéisme idéologique ne s’est guère renouvelé, il a même plutôt reflué, mais l’incroyance pratique s’est développée, l’indifférence religieuse a progressé, avec une certaine insensibilité pour les questions fondamentales, qui n’exclut pas une vive sensibilité au problème du mal, ressenti, sous toutes ses formes, comme un scandale.

Vous offrez au Pape, au Saint-Siège, aux Conférences épiscopales, une aide de première importance pour donner une réponse aux problèmes vastes et complexes que pose à l’Eglise le dialogue avec les non-croyants. Certains sont prisonniers de systèmes idéologiques, et l’athéisme au pouvoir les empêche de professer librement leur foi. Il s’agit, pour l’Eglise, d’oeuvrer avec persévérance pour que jamais l’opinion publique n’en prenne son parti, ne les oublie ni les abandonne. D’autres ont cru que la science allait résoudre tous les problèmes et apporter le bonheur à l’humanité. Il nous faut les aider, à bien se convaincre que science sans conscience n’est que ruine de l’âme, selon l’adage bien connu, et que tout ce qui est scientifiquement possible n’est pas moralement acceptable. L’expérience tragique de notre temps le montre suffisamment. D’autres encore sont comme englués dans un monde matérialiste, sans horizon transcendant. Inlassablement, nous devons leur rappeler que “l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Mt 4,4). Parfois même, ils semblent dépourvus de toute inquiétude métaphysique, de toute interrogation existentielle. Il s’agit de chercher à éveiller en eux l’attention au mystère de la vie et de la mort. D’autres enfin semblent soupçonneux devant toute religion instituée, et sceptiques. Comme Pilate, ils se demandent: Qu’est-ce que la vérité? L’Eglise a la mission de leur montrer le Christ, né de la Vierge Marie, mort pour nos péchés et ressuscité pour nous appeler avec lui à une vie d’amour, par delà la mort, dans le sein du Père et la tendresse de l’Esprit: voici l’Homme!

Oui, beaucoup semblent s’être éloignés de Dieu et de l’Eglise, sans rupture dramatique apparente, comme engloutis dans un océan de sécularisation. Mais la poursuite du bonheur s’est faite plus aléatoire, le désenchantement est apparu, avec son lourd cortège d’ennui et de violence, de cynisme et de désespoir.



3. Ce phénomène si profondément contre-nature a déjà engendré son contraire. Trop d’aspirations profondes de l’homme ont été refoulées et trop de besoins religieux restent insatisfaits. L’actuelle situation du monde impose, comme une nécessité, pour survivre, de retrouver des racines, un horizon, un sens. L’homme ne peut indéfiniment vivre dans le vide spirituel, l’incertitude morale, le doute métaphysique, l’ignorance religieuse. “L’homme passe infiniment l’homme” (Pascal). Il ne se réduit pas au socio-politique: les recherches tâtonnantes du sacré en témoignent à leur manière, dans leurs aberrations mêmes et leurs fourvoiements, comme dans leur foisonnement syncrétiste. Ces signes de résurgence du religieux, d’émergence de “religions” de remplacement, ou de “religions” séculières, comme on l’a dit, témoignent à leur manière qu’une société d’incroyants ne peut se passer de croire. Chacun voudrait croire en quelque chose, même si le contour de cette croyance demeure quelque peu flou et incertain. Ne voit-on pas étrangement resurgir aujourd’hui, avec l’antique panthéisme, le vieux paganisme, la gnose et des croyances ésotériques? Les hommes ont délaissé les sources d’eau vive, disait déjà le prophète, et se sont tournés vers des citernes vides (Cfr. Ier Jr 2,13). Mais la plupart, peut-être, des hommes que nous appelons non-croyants sont souvent en quête obscure et douloureuse de lumière et de joie. Qui les aidera à découvrir, comme le prophète Elie, le Dieu d’amour, non dans le fracas du tonnerre et les hurlements du vent, mais dans la brise légère sensible au coeur qui écoute, épris d’amour et de tendresse, de beauté et de bonté, de justice et de solidarité”? (Cfr. 1R 1R 19,11-13)

Quel défi lancent à l’Eglise et à tous les chrétiens ces femmes et ces hommes en quête de foi, d’espérance et d’amour! Ils ont besoin de rencontrer des chrétiens qui, en respectant leur conscience, témoignent de façon convaincante, par leur vie même, que la foi n’est pas nocive à la vie, qu’elle ne lui est ni étrangère ni indifférente, mais au contraire vitale, pour s’accomplir, déjà dans le temps, et plus encore par delà la mort, avec le Christ. Bien loin de détourner les hommes de leurs lancinantes préoccupations quotidiennes, la foi animée par l’espérance eschatologique les aide au contraire à les porter.



4. C’est dire le caractère irremplaçable du dialogue, tel que l’a proposé Paul VI dans l’encyclique “Ecclesiam Suam” et tel que l’a voulu le Concile. La foi est l’adhésion à la Vérité, c’est la conviction que la Révélation est la Vérité, et en même temps la capacité de dialogue avec ceux qui ne partagent pas cette conviction. Il faut toujours méditer la conclusion de la constitution “Gaudium et Spes” pour qui le “dialogue conduit par le seul amour de la vérité et aussi avec la prudence requise, n’exclut personne, ni ceux qui honorent de hautes valeurs humaines sans en reconnaître encore l’Auteur, ni ceux qui s’opposent à l’Eglise et la persécutent de différentes façons”. Ce dialogue de la foi est dialogue avec Dieu qui s’est révélé en Jésus Christ et dialogue avec les hommes, créés, rachetés, appelés à vivre la plénitude de leur vocation d’hommes dans l’Esprit. Il s’exerce dans un double respect, le respect de la vérité incarnée dans le Verbe fait chair, et le respect de tout homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il entraîne une double responsabilité, envers la Vérité que tout homme a le devoir de chercher sincèrement, et de suivre loyalement lorsqu’il l’a trouvée, et envers les hommes eux-mêmes devant qui nous avons le devoir de témoigner de la Vérité.

Ce chemin exigeant, et exaltant tout à la fois, que le Concile nous a montré, il nous faut aujourd’hui le poursuivre avec confiance et dans l’espérance. C’est le chemin du “dialogue sincère et patient” (Ad Gentes AGD 11), d’une foi, nous dit encore le Concile, “vivante et adulte, c’est-à-dire formée à reconnaître lucidement les difficultés et capable de les surmonter” (Gaudium et Spes GS 21 § 5).



5. Pour les chrétiens qui travaillent à ce dialogue, la prière est une exigence vitale. Nous ne sommes jamais seuls. Un Autre est toujours présent au coeur de nos dialogues, aussi bien en nous que chez celui avec qui nous sommes en conversation, cet Autre qui nous est plus intime à nous-mêmes que nous-même (Cfr. S. Augustini). Ne l’oublions pas: notre discours sur Dieu doit se fonder sur notre rapport personnel avec Dieu, et notre dialogue avec l’autre doit être un témoignage de vie et d’amour. Sachons, chers amis, avec la grâce de Dieu, partager notre expérience de Dieu pour l’éveiller chez les autres!

L’annonce de la Bonne Nouvelle du Christ s’insère dans la déjà longue histoire du salut, comme l’aboutissement des attentes les plus profondes, des exigences les plus secrètes de l’âme des peuples telles que les manifestent les meilleures expressions de leur génie culturel. Dans les pays d’ancienne chrétienté, le christianisme n’est pas à la mesure des sondages et des statistiques: il est souvent enfoui dans les consciences, il faut le réveiller. Dans les pays d’athéisme déclaré, il survit malgré les oppressions, et suscite de nouvelles générations de croyants, de témoins et parfois de martyrs. Dans les pays d’antiques religions, grâce au zèle des nombreux missionnaires et de ceux qui poursuivent leur oeuvre, il éveille l’attention par son mystère de vie, d’espérance et d’amour.

Chers amis, soyez des hommes de dialogue, et pour cela, soyez de ces hommes de foi et de prière dont le philosophe Henri Bergson disait déjà: “Leur existence est un appel” (HENRI BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, Bibl. de Philosophie contemporaine, 1932).

Avec mon affectueuse Bénédiction Apostolique.


À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE DU LIBAN

Vendredi, 29 mars 1985



Monsieur le Président, Messieurs les Députés,

J’éprouve une satisfaction particulière à pouvoir vous rencontrer, vous Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale du Liban, ainsi que le groupe des distingués Députés qui vous accompagne.

A travers vous, ce matin, j’ai le sentiment de parler, une fois encore, à tous les Libanais que vous représentez en tant qu’investis de la charge parlementaire.

Je pense que notre rencontre revêt une grande signification en même temps qu’elle peut fournir matière à réflexion. Vous savez bien avec quelle attention et quelle sollicitude le Saint-Siège suit les événements - hélas trop souvent douloureux - de votre pays, tout en cherchant à encourager le moindre signe qui, refusant la logique des oppositions et des antagonismes, pourrait faire entrevoir une espérance de paix.

Digne d’être souligné me paraît le fait que votre groupe est dirigé par le Président de l’Assemblée Nationale et composé de représentants de presque toutes les forces politiques et familles spirituelles du Liban.

Le caractère pluraliste de cette délégation est pour moi, en effet, un motif d’espérance. Vous avez voulu venir tous ensemble exposer au Pape les attentes de la majorité du peuple libanais. Du plus profond du coeur, alors que j’accueille votre démarche, je désire formuler le voeu que, comme vous vous exprimez ici de manière unie et solidaire, de même toutes les communautés ethniques et religieuses auxquelles vous appartenez et que vous représentez partagent vos sentiments et soient résolument disposées à s’entendre et à collaborer.

Comme vous, Messieurs, je suis bien conscient qu’après tant d’années de guerre, il n’est pas facile de dégager le chemin menant à l’entente et au respect mutuel.

Il n’est pas facile non plus de réprimer tant de douloureux souvenirs toujours susceptibles malheureusement d’engendrer et d’alimenter des attitudes intransigeantes.

Il n’est pas facile encore d’accepter l’autre tant que subsiste la crainte du présent comme du futur quant à sa propre vie comme à celle de sa communauté. Je suis également conscient qu’il n’est guère facile d’éviter la tentation du découragement.

Tout cela est difficile, certes, mais pas impossible! Rien n’est irréparable si - comme je l’écrivais dans la Lettre du 1er mai 1984 à tous les Libanais - chaque citoyen conserve une confiance fondamentale en l’homme et un amour sincère envers la patrie. Tous les Libanais, je le sais, sont attachés à l’histoire de leur pays et savent surtout se tourner avec foi vers l’Unique Créateur, Dieu de l’Amour et de la Paix.

En tant que représentants des diverses communautés et régions libanaises et appartenant à l’Assemblée Nationale, vous êtes, Messieurs, en quelque sorte le symbole même de l’unité de votre pays: garants de ses institutions, qui ont pour tâche de promouvoir la justice comme la concorde en faveur de tous. Il s’agit là d’une grande responsabilité, spécialement quand les événements et la violence étouffent les sentiments qui devraient inspirer la vie sociale et risquent de saper les fondements mêmes des institutions de la nation. Mais là encore, je le répète, la tâche n’est pas irréalisable tant que subsiste en vous et en ceux que vous représentez le désir commun de reconstruire une patrie libre d’ingérences extérieures, unie autour des légitimes autorités et dans laquelle les droits, les traditions et les particularités de chaque communauté soient réciproquement reconnus et respectés.

Le respect de ces droits, qui doit constituer l’originalité de l’identité libanaise, tient grandement à coeur au Saint-Siège. Il a souvent rappelé, comme vous le savez, à tous les Libanais les exigences d’une fraternité authentique, tout en invitant chacun à savoir faire prévaloir les valeurs qui unissent et permettent de vivre ensemble de manière pacifique et profitable, en consentant aux renoncements nécessaires.

Les extrémismes, les revendications exagérées, l’usage de la force, l’insensibilité face à la souffrance, aux besoins et aux droits d’autrui ne pourraient qu’engendrer de nouvelles violences qui conduiraient inévitablement à l’oppression physique ou psychologique de concitoyens qui, en dépit des circonstances, demeurent toujours des frères.

Je suis convaincu qu’aucun Libanais digne de ce nom ne veut cela. Les Libanais d’aujourd’hui devront répondre aux générations à venir, devant l’histoire, de leur volonté effective d’entente comme de l’authenticité de leur amour envers leur patrie.

Monsieur le Président, Messieurs les Députés,

C’est à vous que je confie ces réflexions inspirées par l’amour profond que je nourris envers votre pays et par les souffrances de vos concitoyens. Je suis persuadé que, conscients comme vous l’êtes de votre responsabilité de Libanais et d’hommes politiques, vous n’épargnerez aucun effort pour promouvoir, avec l’appui de tous ceux qui détiennent quelque pouvoir de décision, le bien du Liban.

Je vous prie de porter à vos collègues de l’Assemblée Nationale, aux responsables religieux et politiques de vos communautés et à tous vos concitoyens l’invitation du Pape à ne jamais perdre l’espérance, pour être toujours mieux à même d’édifier patiemment un dialogue constructif, fondement de la confiance mutuelle et de la paix civile. Assurez-les tous que dans ce chemin ardu le Pape est avec eux.

Dans ces sentiments, j’invoque sur le Liban et sur chaque Libanais la Bénédiction du Dieu Tout-Puissant.



                                        Mai 1985

AU NOUVEL AMBASSADEUR DE FRANCE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Jeudi, 9 mai 1985



Monsieur l’Ambassadeur,


Vous venez de m’adresser des paroles auxquelles je suis particulièrement sensible, car elles traduisent avec délicatesse les dispositions du grand pays que représente Votre Excellence à l’égard du Saint-Siège et de l’Evêque de Rome. J’apprécie la hauteur de vues avec laquelle vous mettez d’emblée votre grande compétence au service de votre mission. Il m’est agréable de vous en exprimer ma vive gratitude en vous accueillant dans cette maison. Je vous souhaite la satisfaction d’accomplir ici une tâche utile, dans le cadre des excellentes relations que la France entretient avec le centre de l’Eglise.

Vous avez opportunément rappelé la tradition chrétienne qui a débuté dans votre pays dès les premières générations de ceux qui ont établi l’Eglise en Europe. Des villes aux villages, des grandes demeures aux simples maisons, des sites prestigieux aux simples croisés des chemins, les monuments ou les modestes emblèmes des croyants marquent la physionomie de vos régions. Ils sont les oeuvres autant des puissants et des maîtres que des artisans anonymes et des pauvres. Ils sont l’expression d’une composante essentielle de votre culture, parce qu’ils sont les signes de la vitalité des diocèses, des paroisses, des ordres religieux, des universités ou des familles, où la foi modèle l’art de vivre, stimule la pensée, façonne l’âme de tout un peuple.

Dans ce peuple, vous avez évoqué les grandes figures dont l’Eglise a salué les mérites exemplaires de sainteté. Certaines surgirent en des périodes âpres de l’histoire pour réconcilier et rebâtir. D’autres furent ces témoins lumineux en qui s’épanouissent les vertus de tous. Les saints de France font partie de ces hommes et de ces femmes en qui se reconnaît une nation; souvent fondateurs, ils entraînent à leur suite beaucoup de leurs frères pour accomplir les mêmes oeuvres qu’eux avec la même générosité. Et dans toutes les régions du monde, vos compatriotes sont allés porter le message évangélique, partager leur réflexion sur la foi, fonder la vie religieuse, tout en contribuant largement à promouvoir l’éducation et la santé des populations.

Les chrétiens de France aujourd’hui, bénéficiaires d’un héritage très riche, sont confrontés aux défis d’une nouvelle époque où les changements s’accélèrent; ils connaissent la difficulté de faire vivre l’Eglise dans un monde divisé et inquiet qui trop souvent rend l’homme incertain sur sa propre vocation, ébranlé par les soupçons qu’on porte sur Dieu, hésitant sur les solutions éthiques de ses problèmes humains. Les chrétiens ont à approfondir leur identité, dans l’esprit de tolérance cher à la France et l’esprit de fraternité inséparable de l’Evangile. Mais le dynamisme de l’espérance ne leur fait pas défaut; et je ne doute pas que la fidélité renouvelée à leurs origines, leur esprit d’initiative et leur audace apostolique ne leur permettent, au-delà d’une période difficile, d’aller de l’avant d’un pas assuré. Le Saint-Siège soutient l’action des évêques dans ce sens.

Monsieur l’Ambassadeur, vous allez découvrir ici les traits multiples de ce centre de l’Eglise qui, tout en confirmant avec son autorité propre la foi reçue et transmise depuis deux mille ans, est un lieu d’écoute, un lieu de rencontres, un lieu de communion aussi. En suivant l’activité du Saint-Siège, ses orientations vous apparaîtront jour après jour. En me présentant les desseins essentiels qui inspirent et déterminent l’action de votre pays, vous avez exprimé le sentiment qu’ils présentent des convergences avec la mission de l’Eglise. J’espère que vous pourrez confirmer cette observation à propos de plusieurs des préoccupations constantes de mon ministère.

L’étendue des relations que le Saint-Siège entretient dans le monde témoigne de l’intérêt qu’il porte aux grands problèmes mondiaux. La paix entre les hommes est un souci majeur, les menaces et les conflits suscitent son attention et provoquent les démarches que sa situation particulière lui permet. Partout où cela est souhaité, il participe aux rencontres et soutient la volonté de paix de ceux qui s’associent à cette fin. Au-delà des initiatives bilatérales ou multilatérales, et quelles que soient les limites imposées à leur action, les Organisations internationales sont considérées comme un moyen indispensable de faire face aux difficultés actuelles de la paix et aussi de chercher à atténuer la grande inégalité dans les moyens de vivre entre les pays du Nord et du Sud de la planète, à la suite des vicissitudes de l’histoire et en raison des conditions naturelles où ils sont placés. Le Saint-Siège entretient en particulier des relations suivies avec les instances européennes où la France joue un rôle actif; il désire favoriser lui aussi leur développement et leur efficacité.

L’Eglise a la mission de servir l’homme dans son intégralité, comme Votre Excellence l’a souligné. En effet, tant par la parole que par l’activité de ses diverses communautés, elle cherche à aider l’homme à cultiver et à harmoniser tout ce qui fait sa grandeur. Il doit connaître où le conduit sa route. Il s’épanouit par la conscience de la dimension spirituelle qu’il est en droit de développer librement. Quand il traverse les épreuves de la division, quand il découvre sa part de responsabilité dans les ruptures dont il souffre, il faut qu’il sache que la réconciliation est possible. Quand il est fragile et démuni, quand il se sent étranger ou différent, il faut qu’il rencontre le respect et le soutien d’un accueil fraternel. Quand il s’interroge sur les choix essentiels de la transmission de la vie et de la famille, il faut qu’il soit aidé à pratiquer un discernement éthique éclairé. Quand il désire partager et transmettre à ses enfants les valeurs qui fondent sa vie, il faut que la société reconnaisse sa responsabilité éducative tout en accordant à l’ensemble des jeunes les meilleurs moyens de formation et de culture. Quand le chômage l’atteint, ou lorsque le sens et les conditions de son travail le préoccupent, il faut qu’il une aide effective. Quand l’homme cherche la vérité, il faut que son interrogation soit écoutée et qu’il puisse entendre la parole de l’espérance.

Evoquant ainsi certains aspects des préoccupations et des tâches qui incombent aux chrétiens, je suis assuré, Monsieur l’Ambassadeur, que beaucoup de vos compatriotes y reconnaissent ce à quoi ils aspirent. Et ils savent que le bien commun de tous - qui est la mission de l’Etat - invite à créer les conditions qui permettent de satisfaire ces aspirations dans un climat de liberté, de vérité, de respect des consciences. Que Dieu aide chacun à accomplir les devoirs qui lui reviennent pour le bien de l’homme!

Votre présence ravive tous les souvenirs précieux que je garde de votre pays, particulièrement ceux de ma visite pastorale à Paris et à Lisieux ainsi que de mon pèlerinage à Lourdes. Aussi suis-je heureux de redire devant vous la considération que j’ai pour la France et d’adresser des voeux chaleureux à tous ceux qui forment votre nation. Je prie Dieu de bénir cette nation et de l’inspirer sur les chemins de sa vocation.

Vous m’avez fait part du message dont vous a chargé à mon intention Son Excellence Monsieur le Président de la République française. Je vous serai très obligé de lui exprimer mes sentiments de gratitude et mes souhaits pour l’accomplissement de sa haute charge.

Monsieur l’Ambassadeur, soyez assuré que le Saint-Siège s’emploiera à faciliter votre mission et qu’il est tout disposé à poursuivre avec vous et avec vos collaborateurs les relations cordiales qui le lient à votre pays.



Discours 1985 - Samedi, 12 janvier 1985