Discours 1985 - Luxembourg, Mercredi, 15 mai 1985

CÉRÉMONIE DE DÉPART

Aéroport de Findel (Luxembourg) Jeudi 16 mai 1985


Mesdames, Messieurs, Chers amis luxembourgeois,


Nous venons de passer ensemble deux journées dont je garderai un merveilleux souvenir. J’ai pu découvrir, même en peu de temps, la terre du Luxembourg, avec ses hauts lieux historiques et aussi les lieux de la vie économique et du service de la communauté internationale. Mais je suis surtout heureux d’avoir pu prendre contact avec vous, amis Luxembourgeois, et avec ceux qui, venus d’autres nations, vivent parmi vous. Vos vivantes traditions et votre activité créatrice rendent votre pays vraiment attachant. En vous quittant ce soir, je sais que je n’oublierai pas le peuple chaleureux du Grand-Duché.

Vous avez réservé à l’Evêque de Rome un accueil auquel j’ai été très sensible, et je vous en remercie. Je voudrais exprimer spécialement ma gratitude à Leurs Altesses Royales le Grand-Duc Jean et la Grande-Duchesse pour les égards délicats qu’ils m’ont prodigués ainsi que le Gouvernement du Luxembourg. A Monseigneur Jean Hengen et à tous ses collaborateurs, je redis aussi combien j’ai apprécié le soin qu’ils ont mis à préparer ma visite tant sur le plan pastoral que dans son déroulement pratique. Et je voudrais remercier de tout coeur l’ensemble des personnes qui ont contribué à l’organisation et à l’animation de ces journées, en assurant de nombreuses tâches, souvent très discrètement.

Grâce au thème de ce pèlerinage auprès de l’Eglise luxembourgeoise, nous avons médité tout ce que nous apporte le Notre Père. En commun, nous avons célébré la fête de l’Ascension du Christ. J’espère que notre rencontre aura été un moment de vraie rencontre de Dieu. J’espère que nos rassemblements seront un jalon sur la route de l’Eglise en votre diocèse, et une invitation à toujours mieux accueillir dans votre vie d’hommes le Règne de Dieu. En vous quittant, je vous laisse la consigne que l’Apôtre Paul donnait aux Corinthiens: “Veillez, soyez fermes dans la foi, soyez forts, faites tout avec amour. Dans cet esprit, je vous encourage à donner une nouvelle jeunesse, une nouvelle générosité à votre communauté chrétienne.

<message en luxembourgeois>

Que Dieu bénisse et protège le Luxembourg et tous ses habitants. J’ai le plaisir de vous annoncer une bonne nouvelle qui, je pense, vous réjouira tous: en conclusion de ma visite pastorale au Luxembourg, à la date d’aujourd’hui, je donne à Mgr Jean Hengen, Evêque de Luxembourg, le titre personnel d’Archevêque. En honorant ainsi votre Evêque, je veux honorer le Diocèse qui travaille en collaboration avec lui.



MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PRISONNIERS EN BELGIQUE



A mes Frères et Soeurs prisonniers en Belgique

Je vous salue de tout coeur. Durant ma visite pastorale en Belgique, je n’aurai pas l’occasion de vous rencontrer, d’autant plus que vous êtes dispersés, hommes et femmes, en un certain nombre de lieux d’incarcération à travers le pays. Mais je tiens à vous assurer que vous êtes présents à ma pensée, et à vous adresser ce message: il vous exprimera ce que j’aurai aimé dire de vive voix à chacun d’entre vous, en lui serrant la main, dans un entretien personnel, comme j’ai pu le faire en plusieurs circonstances dans mon diocèse de Rome.

Vous le savez, ma mission n’est pas d’exercer la justice humaine, en me substituant aux instances légales d’un pays. Mais j’ai appris, et je m’en réjouis vivement qu’à l’occasion de ma visite pastorale en Belgique, un grand nombre d’entre vous vont bénéficier d’une remise de peine, modeste signe d’espérance. J’en remercie les autorités responsables. Ma mission est évangélique, comme celle des aumôniers qui sont à votre service. Je tiens à les remercier cordialement et publiquement. Ils vous proposent leur soutien respectueux et discret, éclairé et patient.

Chers frères et soeurs, beaucoup parmi vous sont croyants. Il se trouve aussi des hommes et des femmes - je le dis en tout respect - qui ont pris des distances vis-à-vis de la foi ou vis-à-vis de l’Eglise. Dieu seul peut apprécier la situation de chacun. Il est toujours le “Dieu infiniment riche en miséricorde”. C’est le thème d’une Lettre encyclique que j’ai tenu à publier le 30 novembre 1980.

Qui que vous soyez, chers amis, je me permets d’ouvrir avec vous l’Evangile de Jésus-Christ à la page bouleversante du Jugement dernier (Cfr. Mt 25,31-46) et de m’arrêter à cette seule phrase: “J’étais prisonnier, et vous êtes venus me voir...”. Cette identification, incroyable au premier abord, de Jésus avec les prisonniers, mais aussi avec les malades, les étrangers, les affamés, les mal vêtus, enfin avec les plus petits de ceux qu’il appelle ses “frères”, est une révélation divine. Déjà, le récit biblique de la création présente la personne humaine comme le couronnement de l’oeuvre du Créateur, en ce sens qu’elle est spécialement marquée à la ressemblance de Dieu. Nous savons bien que tout être humain - homme et femme - peut s’égarer ou se laisser égarer loin des droits chemins de sa propre conscience, et - pour les croyants - hors des voies précises tracées par Dieu dans les dix commandements donnés à Moïse, et par son Fils Jésus dans l’Evangile. La dignité de la personne humaine s’en trouve blessée, ravagée même, et de graves dommages sont alors causés injustement au prochain, qu’il faut réparer. Mais cette dignité n’est jamais totalement détruite. Elle peut toujours retrouver sa vigueur, son éclat. Incommensurable mystère de la personne humaine! Victoire toujours possible de l’esprit sur la matière, sur les pulsions instinctives, sur le mal! L’histoire conserve le souvenir d’une multitude de “convertis” sur le plan simplement humain, ou sur le plan humain et religieux. De même, l’histoire nous assure que partout et toujours des hommes et des femmes ont su aider leurs frères et leurs soeurs à reprendre la route de la vie et du vrai bonheur. “J’étais en prison... et vous êtes venus me visiter”.

Comme si je vous voyais tout près de moi, je sens le besoin de reprendre les paroles mêmes de mon vénéré prédécesseur Paul VI, visitant le 9 avril 1964 les prisonniers de Rome: “Je vous aime, non par sentimentalisme romantique ou compassion humanitaire, mais je vous aime vraiment parce que je découvre toujours en vous l’image de Dieu, la ressemblance avec le Christ, l’homme idéal que vous êtes encore et que vous pouvez être”. Frères et soeurs, que vous soyez croyants ou seulement aux frontières de la foi, pensez davantage à Jésus le Nazaréen! A Jésus, arrêté au jardin des Oliviers, conduit de tribunal en tribunal, jugé et condamné, flagellé et ridiculisé, finalement crucifié entre deux brigands, dont l’un osait confesser: “Lui, il n’a rien fait de mal” (Lc 23,41), Jésus a tout pris de notre condition humaine, excepté le péché; ou plutôt, c’est comme si Dieu l’avait fait “péché” pour nous (Cfr. 2Co 5,21), le laissant porter la peine du pécheur. Jésus est en quelque sorte descendu dans les profondeurs de la souffrance humaine pour l’éclairer, lui donner une signification, un poids de rédemption. Tout peut concourir au bien de ceux que Dieu aime, même la souffrance, même le péché regretté. Dans un autre document publié le 11 février 1984, j’ai voulu aider le peuple chrétien à réfléchir sur le très grand mystère de la souffrance et à accueillir la seule lumière décisive qui nous ait été donnée sur ce plan: le Christ en personne, le Christ innocent, le Christ crucifié, le Christ vainqueur de la souffrance et de la mort, le Christ proposant à ses frères de revivre en eux et avec eux le mystère de sa Passion et de sa Résurrection.

Mes amis, je vous invite, quand vous le pourrez, à vous recueillir quelques instants en prière, à rejoindre en esprit le Christ Sauveur. Cette attitude n’a rien d’insolite, d’artificiel. Le Christ, dont les chrétiens confessent qu’il est à jamais vivant, qu’il est Dieu, a pour ainsi dire une dimension universelle qui lui permet d’être présent à toute personne humaine, spécialement à ceux qui souffrent, qui sont désemparés. Très simplement, sans paroles, remettez-Lui votre épreuve. Elle est trop lourde pour vous seuls. Avec Lui, si du moins vous lui ouvrez votre coeur, votre lieu de réclusion pourra être générateur d’une nouvelle vision de l’existence, d’une transformation bénéfique de votre tempérament, et, pour certains, d’une découverte du vrai visage de Dieu. Frères et soeurs très chers, la pire des prisons serait le coeur fermé et endurci, et le pire des maux, de désespoir. Je vous souhaite l’espérance. Je la demande et la demanderai encore pour vous tous au Seigneur: l’espérance de reprendre une place normale dans la société, de retrouver la vie en famille, et, déjà maintenant, de vivre dignement en vous efforçant de mettre entre vous, qui êtes tous dans l’épreuve, un peu plus de justice, d’esprit fraternel, de soutien amical. En un mot, je vous souhaite de réaliser le plan du Seigneur qui vous a appelés à l’existence. Car Lui ne désespère jamais de ses créatures.

Mes amis, je vous porte dans mon coeur et ma prière. Dites également à vos familles, à vos conjoints, à vos enfants, mes salutations cordiales et l’assurance de ma prière. Le Christ ressuscité vous invite tous à une vie nouvelle, et, par mon ministère, il vous bénit.

Bruxelles, le 16 mai 1985.


IOANNES PAULUS PP. II



AU PEUPLE DE BELGIQUE

Bruxelles - Jeudi 16 mai 1985



1. Ma joie est grande, et mon émotion est profonde, de pouvoir accomplir maintenant, en Belgique, la visite pastorale que j’aspirais à faire et qui était sollicitée depuis longtemps par d’aimables invitations. J’avais déjà été, à plusieurs reprises, l’hôte de ce cher pays. Mais c’est la première fois que j’y reviens depuis que la Providence m’a confié la sollicitude de toutes les Eglises. C’est d’ailleurs, dans ces temps modernes, la première visite d’un Pape en cette région, très attachée au Siège Apostolique. Je vous remercie tous de votre accueil chaleureux.


2. Je me tourne d’abord vers Leurs Majestés, le Roi des Belges et la Reine. Sire, Madame, vous avez tenu à être présents dès cette première rencontre. Je salue en vous les Souverains qui honorent la Belgique dans la lignée d’une famille royale qui fait corps avec son histoire depuis la fondation du Royaume, et qui se sont attiré l’estime déférente et unanime, non seulement des Belges mais des peuples étrangers. Je sais par ailleurs l’intérêt actif que, par conviction, vous portez à la cause spirituelle de vos compatriotes, comme à l’essor de tout ce qui enrichit leur humanité. Je vous exprime ma gratitude pour l’accueil bienveillant et chaleureux que me réserve la Belgique.

A vos côtés, je salue les Autorités gouvernementales, provinciales et communales qui me reçoivent avec sympathie, et toutes les personnalités religieuses et civiles qui sont venues ici à ma rencontre. Et, à travers vous, je salue toute la nation belge que vous représentez. Au cours de son histoire mouvementée, ce peuple a montré sa volonté de vivre libre, avec sa foi religieuse bien enracinée, avec ses cultures. Tout le monde connaît le caractère raffiné et émouvant de ses oeuvres d’art, mais aussi son esprit d’entreprise et sa vitalité économique, sa recherche d’un équilibre politique qui tienne compte des convictions diverses et des traditions linguistiques et culturelles différentes, les liens qu’il a créés avec de grands pays d’Afrique où il a laissé une profonde empreinte, et, j’ajouterai, le rayonnement spirituel de ses nombreux missionnaires à travers le monde. Aujourd’hui, ce pays a pris une place remarquée dans le concert des nations et plus spécialement dans l’Europe de l’ouest, notamment du fait que les Institutions européennes ont établi ici une partie importante de leurs organismes communautaires. Les relations diplomatiques que la Belgique a nouées avec le Saint-Siège sont particulièrement significatives; presque ininterrompues, elles remontent à 1832.

Ce sont toutes ces réalités positives que j’ai présentes à l’esprit au moment où, dans un geste symbolique, je baise cette terre. Je n’oublie pas pour autant les difficultés d’ordre temporel ou spirituel que connaissent les citoyens de ce pays, leurs problèmes quotidiens, leurs efforts laborieux, leurs épreuves et leurs limites. Je viens rencontrer ce peuple, lui dire mon estime et mon affection; et je viens recevoir de lui le témoignage de son humanité et de sa foi.

4. Dieser Besuch sieht notwendigerweise auch Großveranstaltungen zu gemeinsamen Gebet vor, ween möglich in Form einer Eucharistiefeier, auch im Herzen eurer großen Städte. Denjenigen, die sich über den eindrucksvollen und öffentlichen Charakter solcher Veranstaltungen wundern, möchte ich einfach sagen, daß es zur Pflicht des Hirten gehört, die ihm anvertraute Gemeinschaft zu versammeln wie die Herde, von der Jesus im Evangelium spricht. Es ist ganz normal, den Gläubigen gelegentlich die Möglichkeit zu geben, den Glauben öffentlich zu bekennen, den sie im Herzen tragen, und ihre Einheit zu stärken, da sie ja gewöhnlich verstreut leben. Wir tun dies mit dem größten Respekt denen gegenüber, die unseren Glauben nicht voll teilen. Mehr noch, wir möchten dabei Brücken der Freundschaft zu ihnen hin bauen, vor allem zu den anderen Christen, und bei unserem Herrn Jesus Christus, die Liebe erbitten, die wir allen unseren Mitmenschen entgegenbringen wollen.

Ich werde aber auch Begegnung haben mit besonderen Gruppen der verschiedenen Bereiche des Volkes Gottes: Studenten und Professoren, Künstler und Arbeiter, christliche Laienverbände, Erwachsene und Jugendliche, wie auch mit Amtsträgern aus Regierung, Diplomatie und europäischen Institutionen. Ich bekunde mein aufrichtiges Bedauern gegenüber allen anderen, die mich ebenso zu einer Begegnung mit ihnen eingeladen haben und die eine solche in gleicher Weise verdienen würden. Man muß sich jedoch beschränken, wie es ein bereits dichtes Programm von fünf Tagen erfordert.

5. Je viens de parler de mes frères catholiques, mais ma pensée et mon coeur, je le répète, vont vers tous les habitants de ce pays. A tous je souhaite la paix. A tous ceux qui agissent selon la droiture de leur conscience, en se dévouant à leur famille, à leur prochain, à leur pays, au tiers-monde, en remplissant les charges que requiert le bien commun, à tous ceux qui cherchent à construire un monde plus humain, dans la justice, la vérité et la paix, à tous ceux qui sont dans l’épreuve, j’exprime mon respect, mon estime et mes encouragements. J’espère aussi apporter ma pierre à l’oeuvre qui vous tient à coeur, pour le bien de votre pays et du monde.

Que le Seigneur bénisse mon pèlerinage sur cette terre!

Qu’il vous comble tous de sa paix et de sa joie!



SALUT DU PAPE JEAN-PAUL II À LA POPULATION DE LA CAPITALE BELGE

Bruxelles - Jeudi 16 mai 1985



Chers Frères et Soeurs de l’Eglise de Bruxelles, chers habitants de la ville, qui vous êtes rassemblés ce soir pour une première rencontre

avec le successeur de l’Apôtre Pierre, je vous salue avec joie.

1. Je suis heureux de partager ce début de soirée avec vous, en ce cadre unique de la Grand-Place de Bruxelles. Ces magnifiques façades sont le témoin d’un glorieux passé. Elles sont aussi le gage d’un avenir.

Bruxelles est devenue un carrefour de rencontres et de dialogue au coeur de votre pays et de l’Europe. La richesse de vos propres cultures, tout l’apport de vos frères et soeurs venus d’ailleurs, si différents et si proches dans les luttes quotidiennes, la présence des étudiants étrangers, l’interpellation de tant de réfugiés qui rêvent de la Belgique comme terre d’accueil, l’implantation d’institutions et d’organismes internationaux, l’activité de plusieurs organismes des Communautés européennes, sont autant d’éléments qui font de cette ville une cité ouverte sur le monde.

De ce balcon de l’Hôtel de Ville, je salue tous les Bruxellois, d’origine et d’adoption, venus des diverses paroisses de la ville, du centre ou de la périphérie, et de plus loin encore. Je salue aussi tous les Belges qui nous écoutent ou nous voient au coeur de cette capitale de leur pays: elle symbolise la riche histoire de leur nation qui a voulu vivre son destin dans la liberté, dans la fidélité à ses traditions et dans la recherche du bien commun de l’ensemble des régions qui forment la Belgique.

2. Mais je ne peux oublier les questions nouvelles que pose l’évolution de votre grande cité. Et tout d’abord, comment répondre au besoin et au droit d’identité personnelle, culturelle et religieuse de chacun, au sein de la pluralité bruxelloise? Comment gérer les nombreux problèmes sociaux qui en découlent: problèmes familiaux et éducatifs, ceux de l’habitat et de l’environnement, et celui de la convivialité quotidienne? Je ne doute pas que vous n’arriviez ensemble à résoudre ces problèmes. Votre ville n’a-t-elle pas toujours été attentive à reconnaître les situations particulières et à accueillir les personnes en difficulté? Celles-ci viennent de partout. Elles sont dispersées dans l’anonymat de la ville, mais elles espèrent y trouver un accueil discret e compréhensif.

3. Bien d’autres aspects caractérisent votre cité. Le centre de la ville est surtout devenu, durant la journée, le rendez-vous des employés et le siège de multiples services. Les institutions les plus diverses y sont établies, que ce soient les administrations qui drainent un nombre impressionnant de “naveteurs” venant des environs; que ce soient les centres commerciaux, l’hôtellerie ou le tourisme; ou encore les institutions culturelles et artistiques, de loisirs et de sport, sans oublier tout le réseau de l’enseignement et le secteur hospitalier. Cette simple évocation témoigne de la richesse et de la diversité des fonctions qui s’exercent dans votre ville et dans toute l’agglomération bruxelloise.

Chers frères et soeurs dans la foi, chers habitants de Bruxelles, voici que le soir tombe déjà sur la ville. Que les ténèbres de la nuit n’obscurcissent pas vos coeurs! Veillez ou reposez-vous dans la paix de Dieu, afin que sa lumière soit plus belle, plus forte demain dans vos coeurs, qu’elle illumine toutes vos maisons et qu’elle éclaire vos pas sur le chemin du vrai bonheur, sur le chemin du salut plénier que Dieu nous prépare.

C’est pourquoi, avant de nous quitter, je vous invite à redire tous ensemble avec moi la prière que Jésus nous a laissée en héritage, et qui doit être la prière quotidienne de tout chrétien, de toute famille chrétienne. Nous prions avec Marie, qui a veillé avec les Apôtres en attendant la venue de l’Esprit Saint.



SALUT DU PAPE JEAN-PAUL II AUX HABITANTS DE NAMUR EN WALLONIE

Samedi 18 mai 1985


Chers habitants de Namur,


Venant de Beauraing, le coeur marial de votre beau diocèse, me voici dans une autre cité de Marie, puisque Notre-Dame du Rempart est la patronne populaire de votre ville.

Je suis heureux de me trouver devant votre cathédrale, l’église de vos évêques successifs. Je salue ici avec une particulière cordialité Monseigneur Joseph-Robert Mathen, votre évêque, avec Monseigneur Jean-Baptiste Musty, son auxiliaire, qui manifestent pour votre diocèse une grande sollicitude pastorale. J’évoque volontiers la mémoire des anciens évêques que certains d’entre vous ont connus. Monseigneur Heylen: il présida longtemps les Congrès Eucharistiques internationaux, faisant écho ainsi à Sainte Julienne du Mont-Cornillon, qui séjourna chez vous au 13emè siècle et qui contribua à susciter dans l’Eglise la célébration de la fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Quant à Monseigneur Charue, j’ai siégé à ses côtés au Concile Vatican II; il fut un Père conciliaire éminent par sa doctrine, et je sais aussi tout ce qu’il a accompli pour fortifier la foi de ses diocésains et les vocations.

Ce diocèse a connu et connaît encore, je l’espère, une forte vitalité chrétienne; de grands éducateurs chrétiens l’ont marqué, et notamment les religieux que l’Eglise a élevés à l’honneur des autels: la sainte Julie Billiart et le bienheureux Mutien-Marie, qui ont voué leur vie à l’éducation de la jeunesse.

La tradition de votre ville dans le domaine de l’enseignement est ancienne et n’a cessé de s’étendre. Relayant le rôle irremplaçable de la famille dans l’éducation morale et spirituelle, vos écoles offrent à une nombreuse jeunesse une grande diversité de formation, jusqu’au niveau universitaire dans les prestigieuses Facultés dirigées par les Pères Jésuites. Votre ville se doit d’être accueillante à tous ces jeunes de la région, que je suis heureux de retrouver dans quelques instants. Tous les éducateurs, spécialement les éducateurs chrétiens, ont beaucoup à faire pour aider les jeunes à affermir leur personnalité humaine et leur espérance chrétienne. C’est un aspect important du ministère du prêtre.

La situation de Namur en fait encore une cité de rencontre sur d’autres plans. Votre ville devient le siège des instances politiques de la région wallonne, dont je suis heureux de saluer les autorités responsables, en même temps que les autorités provinciales et communales. Dans les nombreuses administrations installées chez vous, vous avez certainement à coeur de maintenir en honneur le sens de l’accueil et de la relation humaine, permettant à chaque administré d’être considéré comme une personne, avec ses soucis et ses espoirs, dans un monde déjà trop marqué par l’anonymat. Je pense aussi aux efforts que doivent fournir vos centres sociaux d’entraide et vos organismes de solidarité pour pallier les difficultés et parfois les drames de nombreuses personnes ou familles, surtout en cette époque de crise et de chômage.

Namur est par ailleurs une ville où séjournent volontiers les personnes du troisième âge, en raison de son environnement pittoresque, qui fait d’ailleurs la joie des touristes. C’est encore souligner l’importance de la vertu d’accueil. Enfin, nombreux sont chez vous les établissements de commerce et de service où peuvent fleurir le sourire et l’écoute qui rendent la vie plus agréable.

Mais je n’oublie pas que la région de Namur demeure en grande partie rurale: mes voeux cordiaux vont aussi à ceux qui se consacrent aux travaux des champs et à l’artisanat dans les petites villes et les villages.

A la ville de Namur, lieu de rencontre et de dialogue, centre de services publics et privés, je souhaite de briller par son sens de la relation humaine, par son respect d’autrui.

C’est la grâce de cet amour fraternel, en paroles et en actes, que j’implore pour vous et pour tous ceux que vous rencontrerez, en vous remerciant moi-même de l’accueil que vous me réservez. Mon souhait est celui de l’Apôtre Pierre (Cfr. 1P 1,2 1P 5,14).

Que le Seigneur vous donne sa paix!



RENCONTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AVEC LES JEUNES DE LA WALLONIE ET DE BRUXELLES

Namur - Samedi 18 mai 1985


1. “Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la Parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le Mauvais” (1Jn 2,14).

Ces mots de l’Apôtre Jean, je les ai repris au terme de la Lettre que j’ai adressé le 31 mars à tous les jeunes du monde. J’ai voulu, comme l’Apôtre Pierre, les rendre prêts à justifier l’espérance qui est en eux (Cfr. 1P 3,15).

C’est le même message d’espérance, chers jeunes, que je voudrais partager avec vous ce soir. Ce moment de rencontre, c’est une grâce pour vous et pour moi. L’expérience de la jeunesse est une richesse unique. Non seulement l’Eglise vous regarde avec sympathie, avec espérance, consciente que l’avenir dépend de vous; mais, à travers vous, elle se voit et voit sa mission dans le monde. Votre présence est pour moi comme un merveilleux cadeau d’anniversaire. Je vous remercie d’avoir répondu avec confiance à cette invitation de vos évêques, mes Frères dans l’épiscopat.



2. J’ai bien écouté et regardé ce que vous avez voulu me dire à travers le jeu scénique sur les difficultés de la participation des jeunes dans votre société. Vous n’avez pas craint de parler, pour vous et pour d’autres groupes sociaux, d’“exclusion”, de rejet, de rupture. Et l’on sent chez vous une profonde souffrance devant ces misères qui contrecarrent votre épanouissement, qui grèvent l’avenir. Je comprends et je respecte vos inquiétudes. Vos questions et vos espoirs rejoignent ceux de beaucoup d’autres jeunes que j’ai rencontrés à travers le monde, par exemple à Fribourg, à Montréal.

Vous soulignez notamment les “exclusions” de votre société: l’impossibilité d’obtenir un travail adapté à vos capacités, alors que l’exercice d’un métier est essentiel, pour vivre et pour devenir plus homme; c’est un droit de l’homme. Certains jeunes se sentent ignorés, écartés des responsabilités, de l’accès à une vie convenable, du pouvoir de s’exprimer. Vous vous faites les porte-parole de ceux qui, autour de vous, sont marginalisés, voient leur dignité humaine bafouée.

Sans parler d’exclusion proprement dite, il y a également tant de divisions, dommageables et même destructrices, dans les familles, entre époux, entre parents et enfants, entre amis, entre voisins, entre collègues de travail, entre générations, entre groupes sociaux d’un même pays! Et il faudrait ajouter d’autres types de misères, inconscientes ou acceptées, mais si périlleuses, comme la carence spirituelle dans nos sociétés de consommation.

Je ne contredirai pas ce que découvre votre regard lucide, ce dont souffre votre coeur. Il faut être vrai. Les prophètes Isaïe, Jérémie, et tant d’autres, relevaient avec vigueur les maux et les injustices qui marquaient leur temps. Je vous inviterai même à élargir votre regard et votre coeur à des misères encore plus dramatiques et plus étendues, qui affectent des millions d’hommes et de femmes dans le monde.

Oui, vous pouvez demander à bon droit aux générations précédentes, comme je le disais dans ma Lettre aux jeunes: “Pourquoi en est-on arrivé là? Pourquoi en est-on venu à une situation si menaçante pour l’humanité sur tout le globe terrestre? Quelles sont les causes de l’injustice qui blesse notre regard? Pourquoi y a-t-il tant d’hommes qui meurent de faim? Tant de millions de réfugiés aux frontières? Tant de situations où sont bafoués les droits élémentaires de l’homme? Pourquoi tant de prisonniers, tant de camps de concentration, tant de violence systématique, tant de meurtres de personnes innocentes, tant d’hommes maltraités, tant de tortures, tant de tourments infligés au corps et à la conscience de l’homme? Et... aussi le fait que des hommes jeunes ont sur la conscience de nombreuses victimes innocentes” (IOANNIS PAULI PP. II Epistula Apostolica ad iuvenes, Internationali vertente Anno iuventuti dicato, 15, die 31 mar. 1985: vide supra, p. 796). Là, on peut vraiment parler d’“exclus”.



3. Ces faits négatifs, il ne faut ni les nier, ni les oublier. Mais il importe de ne pas en rester non plus au constat de cette zone d’ombre. Le problème n’est pas de pointer un doigt accusateur sur les autres, sur tel ou tel, quand les complicités sont multiples, et peut-être même en nous. Il faut chercher le pourquoi le plus profond, les causes spirituelles: pourquoi un si grand progrès de l’humanité dans la maîtrise de la matière se retourne-t-il contre l’homme à tant d’égards? Pourquoi tant de discordes, d’exclusions, d’injustices, prennent-elles naissance dans le coeur de l’homme? (Cfr. Gaudium et Spes GS 10) De toute façon, ne restez pas passifs, avec un sentiment d’impuissance ou d’inutilité. Il importe d’en arriver à la question: “Que devons-nous faire?”. Et il faut d’abord chercher la lumière, relever les motifs d’espérance. Je suis venu vous dire ce soir: “Redressez-vous et relevez la tête, votre délivrance est proche!” (Lc 21,28).

A côté de la zone d’ombre, il y a une zone de lumière. Une aube s’est déjà levée. Un salut est apparu.

Déjà, vous pouvez constater les signes positifs de cette lumière, de ce salut, qui s’inscrivent contre les faits d’exclusion. Des richesses de beauté, des capacités de bonté, d’ouverture, demeurent dans le coeur de nombre de nos contemporains, parce que, même s’ils l’ignorent, leur coeur humain a été créé à l’image de Dieu. Et des gestes d’amour, de réconciliation, de don de soi ne cessent d’apparaître, suscités par l’Esprit Saint. Mais je ne veux pas me contenter de ces signes. Je veux vous dévoiler ou vous rappeler le Message même de Dieu qui est lumière sans ténèbres. Le Seigneur m’envoie vers vous pour en être le témoin, Lui qui l’a confié à Pierre et aux Douze, afin de le faire connaître à toutes les nations.



4. Au jeune homme riche de l’Evangile Jésus disait: “Dieu seul est bon” (Mc 10,18), Lui seul est le Bien, la Lumière, la Vérité. Il est le fondement ultime de toutes les valeurs, Lui seul donne son sens décisif à notre existence humaine. Et Dieu seul est bon parce qu’il est amour (1Jn 4,8 1Jn 4,16). Il est amour dans la communion mystérieuse des trois personnes divines. Il est amour, car il “a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique” (Jn 3,16), Telle est la Bonne Nouvelle annoncée à tous les hommes de bonne volonté.

La bonté que nous voyons sur le visage et dans le coeur du Christ est le reflet de la Bonté du Père.

Il est venu dans la nuit: il était la vraie lumière qui éclaire la route de tout homme (Cfr. Ibid. Jn 1,9).

Il est venu dans l’indifférence; il n’a pas été reçu par les siens; mais il a aimé et il nous a appris à aimer: “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime” (Ibid. Jn 15,13).

Il a eu conscience, et il a annoncé, qu’il serait “rejeté” par sa génération, par les Anciens et les Chefs de son people (Cfr. Marc Mc 8,31 Lc 17,25), puis il a vécu librement l’exclusion la plus radicale, l’humiliation de la Croix, offerte par l’obéissance à son Père, par amour pour ses frères.

Il a été retranché de la terre des vivants (Cfr. Is 53,8), mais Dieu l’a relevé, ressuscité.

Il est la pierre qu’avaient “rejetée” les bâtisseurs, mais qui est devenue la pierre de faîte (Cfr. Mt 21,42 Ac 4,11), et le salut ne se trouve en aucun autre.

Tout humilié et exclu de la terre regarde vers Lui avec l’espérance d’être, en Lui, relevé et réconcilié.

Il est venu sceller en son sang, par son sacrifice, l’alliance de Dieu avec les hommes, où tous sont invités à entrer par la foi et le baptême. Il a en même temps renversé le mur de la haine qui séparait les hommes et qui maintenait les non juifs éloignés, étrangers aux alliances de la Promesse, sans espérance (Cfr. Ep 2,12-14).

Cette alliance n’est pas une simple attitude d’amitié: elle est, l’adoption filiale par son Père qui est aussi notre Père; Lui, le Fils, “à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu” (Jn 1,12). En lui, nous qui nous disons frustrés de participations humaines, nous participons à la vie même de Dieu, à la nature divine.

Ce Christ, chers amis, il est présent parmi nous: “Je suis avec vous tous les jours” (Mt 28,20), Avec lui, nous ne sommes jamais des exclus de Dieu. “Celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas” (Jn 6,37). Il a passé sa vie terrestre à accueillir ceux que d’autres considéraient comme exclus: lépreux, possédés, publicains, pécheurs, samaritains, païens. Jusqu’au jugement dernier, il s’identifie avec les “exclus” qui sont dans le besoin: affamés, malades, prisonniers.

Il nous demande de croire, et d’aimer. De nous laisser envahir par l’amour de Dieu répandu dans nos coeurs, par ce Dieu vivant, Père de tous les vivants. Devenir adulte dans le vie comme dans la foi, c’est être capable de s’assumer comme fils, comme fille de son Père, de notre Père qui est aux cieux.

Le Christ regarde chaque homme avec amour. Il vous regarde chacun, comme le jeune homme riche à la conscience droite et avide de la vie éternelle: “Jésus fixa sur lui son regard et l’aima” (Mc 10,21).



5. Sûrs de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ - dont rien ne pourra nous séparer (Rm 8,39) -, vous pouvez, chers amis, non seulement entrer dans cette grande Alliance de Dieu avec les hommes, mais y prendre une part active pour qu’effectivement son Règne vienne.

L’espérance dont nous venons de parler vous assure que vos efforts sincères pour bâtir la paix, la justice, la fraternité en ce monde, dans la mesure où ils sont faits selon l’Esprit du Christ et unis à Lui, ne tomberont jamais dans le vide; ils aboutiront, comme sa vie à Lui, dans la résurrection; ils prépareront, à travers la croix sans doute et au prix de beaucoup de patience, un monde nouveau qui dépasse ce que nous pouvons imaginer.

Cette oeuvre passionnante mobilisera toutes vos énergies; vous participerez aux luttes “pour la dignité des fils de Dieu”, comme disait votre Cardinal Cardijn. Ce sera votre oeuvre, mais en même temps l’oeuvre de Dieu en vous, par vous. Elle sera continuellement une conquête et en même temps un don de Dieu, donc une grâce à demander dans la prière. La prière, ce n’est pas utiliser Dieu à notre service, c’est entrer dans son plan à Lui, celui que Jésus nous a indiqué dans le Notre Père. Il est capital de se référer toujours à cette prière, quand on veut changer le monde, selon Dieu.

En effet, dire “Notre Père... donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour”, c’est demander que tout homme, ici et partout dans le monde, puisse manger à sa faim, et disposer de ce qui lui permet de vivre décemment; et c’est aussi se préparer à y travailler soi-même, pour permettre une meilleure production, une meilleure distribution et utilisation des biens de la création. C’est aussi lutter pour que tout homme puisse trouver du travail, afin de gagner dignement sa vie. C’est nous interroger nous-mêmes sur le sens que nous donnons au gain, à l’argent, au partage, à notre travail scolaire, au temps libre, aux possibilités de création.

Dire “Notre Père... pardonne-nous nos offenses”, c’est demander à Dieu notre propre réconciliation avec Lui, que nous ne pouvons pas nous procurer nous-mêmes; c’est aussi mettre toute notre énergie à comprendre les autres, à pardonner, à être un artisan de paix, à n’exclure personne.

Dire “Notre Père... ne nous soumets pas à la tentation”, c’est demander à Dieu la lucidité et la force pour déjouer les pièges par lesquels notre société exploite les faibles, par lesquels le Malin exploite nos faiblesses et nos passions: la promesse de jouissance immédiate et facile, la sexualité débridée, les drogues de tout genre, les gadgets artificiels, les modes coûteuses, le bruit abrutissant, les marchands d’illusion et d’évasion, toutes les idoles modernes qui entretiennent nos égoïsmes sous toutes leurs formes. Un chrétien du deuxième siècle écrivait déjà: “La chair déteste l’âme et lui fait la guerre, sans que celle-ci lui ait fait du tort, mais parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs” (Epistula ad Diognetum). Il désignait par “chair” non pas le corps lui-même, qui est l’expression merveilleuse de la personne humaine, mais la condition de l’homme faible et pécheur. Le chrétien connaît les tentations du “monde”, il doit les discerner, lutter, choisir le bien, au prix de sacrifices et toujours avec la prière.

Dire “Notre Père... délivre-nous du Mal”, c’est lutter en soi et autour de soi contre ce qui tend à ruiner la foi: indifférence, doute systématique, scepticisme, comme si le bonheur et la grandeur de l’homme consistaient à s’affranchir de Dieu. C’est lutter contre la désespérance et le mal de vivre, comme si la vie n’avait plus de sens. C’est lutter, contre les déviations de l’amour, la séduction de la violence et de la haine, justifiées comme des moyens de changer efficacement le monde, sans changer les coeurs. C’est lutter, en bref, contre le mensonge et le père du mensonge: “Je vous écris, jeunes gens, disait saint Jean, parce que vous avez vaincu le Mauvais” (1Jn 2,13).

Mais comment le vaincre?

Le disciple que Jésus aimait, ajoutait: “Parce que vous connaissez le Père”.

Dire “Notre Père... que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel”, c’est s’ouvrir soi-même à la volonté de Dieu, c’est mettre à sa disposition toutes nos forces pour qu’advienne une humanité libérée des faux dieux et réconciliée avec la Source de vie véritable dans l’Amour. C’est déjà regarder tous les hommes comme les fils du même Père, comme nos frères.

Pour Dieu, il n’y a jamais de gens “au rebut”. Qu’il n’y ait pas d’exclut de l’homme par l’homme! C’est une grâce à demander pour la conversion du coeur des hommes. Et c’est un combat à mener, non pas contre les hommes, mais contre les forces du mal, contre le Mauvais.



6. Vous comprenez ce programme, chers amis. Je suis sûr que vous y adhérez. Mais, concrètement, chacun de vous peut demander: Sur quel chemin dois-je m’engager? Que dois-je faire?

C’était la question du jeune homme riche de l’Evangile. Jésus dira plus tard à ses Apôtres: “Je suis le Chemin” (Jn 14,6). Au jeune homme, il commence par dire: “Tu connais les commandements” (Mc 10,19), ces commandements qui demandent d’éviter tout ce qui fait du tort au prochain et aussi d’honorer ses proches. C’est ce code de moralité qu’il faut d’abord respecter. Il est inscrit dans la conscience de chaque homme, dans la conscience droite et bien formée, comme il était inscrit dans la loi transmise par Moïse, et mieux encore dans l’Evangile qui résume tout dans le commandement de l’amour: “Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux” (Mt 7,12).

Le Christ vous demande, chers amis, à quel point vous en êtes dans votre discernement moral, dans votre conscience. Soyez des hommes de conscience. Pour cela, cherchez la vérité. Et soyez vraiment libres, c’est-à-dire capables de faire usage de votre liberté selon la vérité, selon ce qui est votre vrai bien, le vrai bien des autres.

Mais, comme le jeune homme de l’Evangile, vous voulez sans doute faire plus que d’observer les commandements. Alors le Christ vous dit: “Ce que tu as, donne-le aux pauvres et suis-moi”. Tout ne pourront accomplir cela radicalement, à la lettre, mais Jésus indique une direction qui vaut pour tous. Il vous invite à comprendre le Don de Dieu et à mettre votre vie sous le signe du don, du don de vous-mêmes, du don sans réserve à Dieu, aux autres.

Ceux qui sont appelés au service du sacerdoce, au charisme de la vie religieuse, le comprennent bien. Et à ceux-là, je dis: “N’étouffez pas cet appel. Laissez-le se développer jusqu’à la maturité. Le Seigneur cherche de tels ouvriers pour son abondante moisson”.

Mais je pense aussi à tous les autres jeunes chrétiens qui sont ici. Vous êtes à l’âge où se forme en vous un projet de vie. Ce projet de vie est aussi une vocation, la vocation chrétienne du laïc baptisé et confirmé à laquelle Dieu vous appelle, le projet de Dieu sur vous, ce que vous pouvez librement devenir pour vous, pour les hommes, pour Dieu. Pensez à votre projet de vie comme à un appel de Dieu, à un service.

Pour ce service, ayez à coeur de développer les talents confiés par Dieu, reçus en héritage de vos parents et de votre éducation familiale, de la culture de votre peuple. Accueillez la formation qui vient de l’école, l’auto-formation qui vient du travail. Intégrez progressivement tout ce que le contact avec la nature, l’initiation aux grandes oeuvres humaines, la fréquentation des autres dans la camaraderie et l’amitié, vous permettent de découvrir de vrai, de bon, de beau, et aussi l’expérience de certaines souffrances. Tout cela sculpte votre personnalité, tisse votre vocation, que les dons de l’Esprit Saint enrichissent. Si Dieu vous donne ainsi de croître et de mûrir en sagesse et en grâce, n’est-ce pas pour que vous apportiez votre part à la civilisation de l’amour?

Je pense à l’amour de fiancés, d’époux qui, pour la plupart d’entre vous, sera le grand événement de votre vie. Préparez-vous à cet amour nuptial, à ce sacrement. C’est un projet divin. N’en dégradez pas la beauté.

Je pense aussi à tous les gestes fraternels d’accueil, de partage, de don, de pardon que vous entreprendrez ensemble dans une solidarité de plus en plus large, et que, souvent, vous accomplissez déjà. Car c’est aujourd’hui que se bâtit, par vos mains et vos coeurs, un monde nouveau dans l’amour.

7. C’est une entreprise exaltante de réveiller ainsi les forces de la vie et de l’amour, de susciter l’espérance. C’est un chemin exigeant. “Elle est resserrée, la route qui mène à la vie”, disait Jésus (Mt 7,14). Vous avez besoin de vivres, de soutiens.

Pour changer le monde, il vous est demandé à vous-mêmes de vivre autrement. Non pas à la superficie de vous-mêmes, en proie aux multiples sollicitations que vous propose notre société de consommation, mais en profondeur. Prenez du temps pour la prière, pour la réflexion, pour le silence, pour naître à la vérité de vous-mêmes dans une relation vraie avec Dieu, avec les autres.

Il vous sera également nécessaire de vivre une vraie solidarité de croyants.Certains d’entre vous, dans les milieux de l’école, du travail et des loisirs, ont pu faire la pénible expérience d’être isolés, parfois tournés en dérision ou même exclus parce que croyants; et ils se sentent en tout cas fragiles. On ne peut vivre et grandir dans la foi sans le soutien d’une équipe, d’une communauté chrétienne. Je sais qu’il existe chez vous de nombreux groupes de prière, de catéchèse, de réflexion biblique, de partage, d’action catholique, d’entraide caritative, d’engagement chrétien de tout sorte. C’est là que vous vous entraînerez à construire ensemble un monde meilleur.

Ces groupes ne sauraient être clos sur eux-mêmes. Ils ont besoin de s’élargir à d’autres jeunes, comme ce soir, comme dans la rencontre internationale que nous avons eue à Rome pour les Rameaux. Ils ont besoin de s’ouvrir aux autres membres du peuple de Dieu, et la paroisse, avec son rassemblement eucharistique dominical, est le lieu par excellence de cette ouverture. Elle nous permet de rejoindre la Source, cette Eglise catholique, universelle, fondée sur les Apôtres, qui vous accompagne pour vous transmettre sans cesse l’Evangile du Christ, son Esprit, son pardon, le sacrement de son Corps et de son Sang, pour vous incorporer vraiment à Lui. En dehors d’elle, un groupe de croyants devient vite stérile ou partial. Ne vous arrêtez pas aux rides de l’Eglise; nous sommes tous responsables de ses rides. Ne cherchez pas seulement en elle le reflet de vous-mêmes. Elle est le sacrement d’un salut qui vient d’ailleurs, elle est le signe efficace de Jésus-Christ.

Je vous ai parlé ainsi, chers jeunes, “parce que vous êtes forts, que la Parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le Mauvais” (Cfr. Jn 2,14).

Comme un champ se laisse ensemencer, que votre coeur, ce soir, ait la simplicité de s’ouvrir à la Parole de Vérité et d’Espérance que Dieu vous adresse!

Comme la pluie fait germer la semence, que votre prière, dès demain, entretienne cette Parole et la laisse résonner en vous!

Comme le semeur attend patiemment la croissance, que votre confiance d’enfants de Dieu, après-demain, laisse l’Esprit guider votre maturation.

Comme l’agriculteur s’active aux jours de la moisson, mettez votre intelligence et votre coeur à être présents et actifs, là où des hommes et des femmes relèvent la tâte et se mettent ensemble pour créer un monde renouvelé, selon le coeur de Dieu.

Avec vos évêques, je vous le demande, participez largement à la vie de votre Eglise. Soyez les jeunes de cette Eglise pour être témoins, dans notre monde, de la jeunesse de Dieu!




Discours 1985 - Luxembourg, Mercredi, 15 mai 1985