Discours 1983 - Samedi, 15 janvier 1983


AUX MEMBRES DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE

Mardi, 18 janvier 1983




Eminences, Excellence,
Mesdames, Messieurs,

1. C’est avec une joie particulière que j’accueille, pour la première fois et officiellement, le Conseil pontifical pour la Culture. Je tiens d’abord à remercier les membres du Conseil international que j’ai nommés récemment et qui ont répondu si promptement à l’invitation de se réunir à Rome pour discuter de l’orientation et des activités futures du Conseil pontifical pour la Culture. Votre présence en ce Conseil est un honneur et un espoir pour l’Eglise. Votre réputation reconnue en des domaines aussi variés de la culture, des médias, des Universités, des disciplines sacrées, laisse espérer un travail fécond pour ce nouveau Conseil que j’ai décidé de créer en m’inspirant des directives du Concile Vatican II.

2. Ce Concile a donné en ce domaine un nouveau dynamisme, en particulier avec la constitution Gaudium et Spes. C’est en effet une tâche ardue aujourd’hui que de comprendre l’extrême variété des cultures, des coutumes, des traditions et des civilisations. A première vue, le défi peut sembler dépasser nos forces, mais n’est-il pas à la mesure même de notre foi et de notre espérance? L’Eglise, au Concile, a reconnu qu’un écart dramatique s’était creusé entre l’Eglise et la culture. Le monde moderne est fasciné par ses conquêtes, ses réalisations scientifiques et techniques. Mais, trop souvent, il s’adonne à des idéologies, à des critères d’éthique pratique, à des comportements, qui sont en contradiction avec l’Evangile ou qui, à tout le moins, font tranquillement abstraction des valeurs chrétiennes.

3. C’est donc au nom de la foi chrétienne que le Concile a engagé l’Eglise tout entière à se mettre à l’écoute de l’homme moderne, pour le comprendre et pour inventer un nouveau type de dialogue, permettant de porter l’originalité du message évangélique au coeur des mentalités actuelles. Il nous faut donc retrouver la créativité apostolique et la puissance prophétique des premiers disciples pour affronter les cultures nouvelles. Il faut que la parole du Christ apparaisse dans toute sa fraîcheur aux jeunes générations, dont les attitudes sont difficiles à comprendre parfois pour des esprits traditionnels, mais qui sont loin d’être doses aux valeurs spirituelles.

4. A plusieurs reprises, j’ai voulu affirmer que le dialogue de l’Eglise et des cultures revêt aujourd’hui une importance vitale pour l’avenir de l’Eglise et du monde. Qu’il me soit permis d’y revenir en insistant sur deux aspects principaux et complémentaires qui correspondent aux deux niveaux où l’Eglise exerce son action: celui de l’évangélisation des cultures et celui de la défense de l’homme et de sa promotion culturelle. L’une et l’autre tâches exigent que soient définies les voies nouvelles du dialogue de l’Eglise avec les cultures de notre époque.

Pour l’Eglise, ce dialogue est absolument indispensable, car autrement l’évangélisation resterait lettre morte. Saint Paul n’hésitait pas à dire: “Malheur à moi, si je n’évangélise pas!”. En cette fin du XX siècle, comme au temps de l’Apôtre, l’Eglise doit se faire toute à tous, en rejoignant avec sympathie les cultures d’aujourd’hui. Il y a encore des milieux et des mentalités, comme des pays et des régions entières à évangéliser, ce qui suppose un long et courageux processus d’inculturation afin que l’Evangile pénètre l’âme des cultures vivantes, répondant à leurs attentes les plus hautes et les faisant croître à la dimension même de la foi, de l’espérance et de la charité chrétiennes. L’Eglise, par ses missionnaires, a déjà accompli une oeuvre incomparable dans tous les continents, mais ce travail de la mission n’est jamais achevé, car parfois les cultures n’ont encore été touchées que superficiellement, et de toute façon, se transformant sans cesse, elles demandent une approche renouvelée. Ajoutons même que ce noble terme de mission s’applique désormais aux vieilles civilisations marquées par le christianisme, mais qui sont maintenant menacées d’indifférence, d’agnosticisme ou même d’irréligion. De plus de nouveaux secteurs de culture apparaissent, avec des objectifs, des méthodes et des langages divers. Le dialogue interculturel s’impose donc aux chrétiens en tous les pays.

5. Pour évangéliser efficacement, il faut adopter résolument une attitude d’échange et de compréhension pour sympathiser avec l’identité culturelle des peuples, des groupes ethniques et des secteurs variés de la société moderne. Par ailleurs, il faut travailler au rapprochement entre les cultures, de telle sorte que les valeurs universelles de l’homme soient accueillies partout dans un esprit de fraternité et de solidarité. Evangéliser suppose donc à la fois pénétrer les identités culturelles spécifiques, mais aussi favoriser l’échange des cultures, en les ouvrant aux valeurs de l’universalité et, je dirais même, de la catholicité.

C’est en pensant à cette lourde responsabilité que j’ai voulu créer le Conseil pontifical pour la Culture, afin de donner à toute l’Eglise une impulsion vigoureuse, et rendre tous les responsables, tous les fidèles conscients du devoir qui nous incombe à tous d’être à l’écoute de l’homme moderne, non pour approuver tous ses comportements, mais pour découvrir d’abord ses espoirs et ses aspirations latentes. Voilà pourquoi j’ai invité les évêques, ceux qui sont préposés aux divers services du Saint-Siège, les organisations internationales catholiques, les Universités, tous les hommes de foi et de culture, à s’engager avec conviction dans le dialogue des cultures, en y portant la parole salvifique de l’Evangile.

6. Il faut nous rappeler, en outre, que, dans cette relation dynamique de l’Eglise et du monde contemporain, les chrétiens ont beaucoup à recevoir. Le Concile oecuménique Vatican II a insisté sur ce point et il est opportun de le rappeler. L’Eglise s’est grandement enrichie des acquisitions de tant de civilisations. L’expérience séculaire de tant de peuples, le progrès de la science, les trésors cachés des diverses cultures, à travers lesquelles se dévoile plus pleinement la nature de l’homme et s’entrouvrent de nouvelles voies vers la vérité, tout cela est un avantage certain pour l’Eglise, comme l’a reconnu le Concile (Cfr. Gaudium et Spes GS 44). Et cet enrichissement se poursuit. Songeons en effet aux résultats des recherches scientifiques pour une meilleure connaissance de l’univers, pour un approfondissement du mystère de l’homme, pensons aux bienfaits que peuvent procurer à la société et à l’Eglise les nouveaux moyens de communication et de rencontre entre les hommes, la capacité de produire d’innombrables biens économiques et culturels, et surtout de promouvoir l’éducation des masses, de guérir les maladies réputées autrefois incurables. Quelles réalisations admirables! Tout cela est à l’honneur de l’homme. Et tout cela a grandement bénéficié à l’Eglise elle-même, dans sa vie, son organisation, son travail et son oeuvre propre. Il est donc normal que le peuple de Dieu, solidaire du monde dans lequel il vit, reconnaisse les découvertes et les réalisations de nos contemporains et y participe dans toute la mesure du possible, pour que l’homme lui-même croisse et se développe en plénitude. Cela suppose une profonde capacité d’accueil et d’admiration, mais aussi un sens lucide du discernement. Et je voudrais maintenant insister sur ce dernier point.

7. En nous poussant à évangéliser, notre foi nous inspire d’aimer l’homme en lui-même. Or l’homme, aujourd’hui plus que jamais, a besoin d’être défendu contre les menaces qui pèsent sur son développement. L’amour que nous puisons aux sources de l’Evangile, dans le sillage du mystère de l’Incarnation du Verbe, nous amène à proclamer que l’homme mérite honneur et amour pour lui-même et doit être respecté dans sa dignité. Ainsi les frères doivent réapprendre à se parler en frères, à se respecter, à se comprendre, pour que l’homme lui-même puisse survivre et croître dans la dignité, la liberté, L’honneur. Dans la mesure où il étouffe le dialogue des cultures, le monde moderne court à des conflits qui risquent d’être mortels pour l’avenir de la civilisation humaine. Par-delà les préjugés et les barrières culturelles, les séparations raciales, linguistiques, religieuses, idéologiques, les humains doivent se reconnaître comme des frères et des soeurs, s’acceptant dans leurs diversités.

8. Le manque d’entente entre les hommes leur fait donc courir un danger fatal. Mais l’homme est également menacé dans son être biologique, par la détérioration irréparable de l’environnement, par le risque des manipulations génétiques, par les atteintes à la vie naissante, par la torture qui sévit encore gravement de nos jours. Notre amour de l’homme doit nous donner le courage de dénoncer les conceptions qui réduisent l’être humain à une chose que l’on peut manipuler, humilier ou eliminer arbitrairement.

L’homme est aussi menacé insidieusement dans son être moral, car il est soumis à des courants hédonistes qui exaspèrent ses instincts et le fascinent par les illusions d’une consommation sans discrimination. L’opinion publique est manipulée par les suggestions trompeuses d’une publicité puissante dont les valeurs unidimensionnelles devraient nous rendre critiques et vigilants.

De plus, l’homme est humilié de nos jours par des systèmes économiques, qui exploitent des collectivités entières. L’homme est, en outre, la victime de certains régimes politiques ou idéologiques qui emprisonnent l’âme des peuples. Comme chrétiens, nous ne pouvons nous taire et nous devons dénoncer cette oppression culturelle qui empêche les personnes et les groupes ethniques d’être eux-mêmes selon leur vocation profonde. C’est par ces valeurs culturelles que l’homme individuel ou collectif vit une vie vraiment humaine et on ne saurait tolérer que soient détruites ses raisons de vivre. L’histoire sera sévère pour notre époque dans la mesure où celle-ci étouffe, corrompt et asservit brutalement les cultures en tant de régions du monde.

9. C’est en ce sens que j’ai tenu à proclamer à l’UNESCO, devant l’assemblée de toutes les nations, ce que je me permets de répéter devant vous aujourd’hui: “Il faut affirmer l’homme pour lui-même, et non pour quelque autre motif ou raison: uniquement pour lui-même! Bien plus, il faut aimer l’homme parce qu’il est homme, il faut revendiquer l’amour pour l’homme en raison de la dignité particulière qu’il possède. L’ensemble des affirmations concernant l’homme appartient à la substance même du message du Christ et de la mission de l’Eglise, malgré tout ce que les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu’ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général, et au christianisme en particulier” (Ioanni Pauli PP. II Allocutio ad UNESCO habita, 10, die 2 iun. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III/1 [1980] 1643). Ce message est fondamental pour que soit rendu possible le travail de l’Eglise dans le monde actuel. Voilà pourquoi, en conclusion de l’encyclique Redemptor Hominis, j’écrivais que “l’homme est et devient toujours la «voie» de la vie quotidienne de l’Eglise”. Oui, l’homme est “la voie de l’Eglise” (Eiusdem Redemptor Hominis RH 21), car sans ce respect de l’homme et de sa dignité, comment pourrait-on lui annoncer les paroles de vie et de vérité.

10. C’est donc en nous rappelant ces deux principes d’orientation - évangélisation des cultures et défense de l ‘ homme - que le Conseil pontifical pour la Culture poursuivra son travail propre. D’une part, il est requis que l’évangélisateur se familiarise avec les milieux socioculturels dans lesquels il doit annoncer la parole de Dieu; bien plus l’Evangile est lui-même ferment de culture dans la mesure où il rejoint l’homme dans ses façons de penser, de se comporter, de travailler, de se recréer, c’est-à-dire dans sa spécificité culturelle. D’autre part, notre foi nous donne une confiance dans l’homme - dans l’homme créé à l’image de Dieu et racheté par le Christ - que nous désirons défendre et aimer pour lui-même, conscients qu’il n’est homme que par sa culture, c’est-à-dire par sa liberté de croître intégralement et avec toutes ses capacités spécifiques. Votre tâche est difficile mais splendide. Ensemble vous devez contribuer à tracer les voies nouvelles du dialogue de l’Eglise avec le monde de ce temps. Comment parler au coeur et à l’intelligence de l’homme moderne pour lui annoncer la parole salvifique? Comment rendre nos contemporains plus sensibles à la valeur propre de la personne humaine, à la dignité de chaque individu, à la richesse cachée en chaque culture? Votre rôle est grand, puisque vous avez à aider l’Eglise à devenir créatrice de culture dans son rapport au monde moderne. Nous serions infidèles à notre mission d’évangéliser les générations présentes, si nous laissions les chrétiens dans l’incompréhension des cultures nouvelles. Nous serions également infidèles à la charité qui doit nous aimer, si nous ne voyions pas en quoi l’homme est aujourd’hui menacé dans son humanité, et si nous ne proclamions pas, par nos paroles et nos gestes, la nécessité de défendre l’homme individuel et collectif, de le sauver des oppressions qui l’asservissent et l’humilient.

11. Dans votre travail vous êtes invités à collaborer avec tous les hommes de bonne volonté. Vous découvrirez que l’esprit du bien est mystérieusement à l’oeuvre en tant de nos contemporains, même en certains de ceux qui ne se réclament d’aucune religion, mais qui cherchent à accomplir honnêtement leur vocation humaine avec courage. Songeons à tant de pères et de mères de famille, à tant d’éducateurs, d’étudiants, de travailleurs appliqués à leur tâche, à tant d’hommes et de femmes dévoués à la cause de la paix, du bien commun, de la justice et de la coopération internationale. Pensons encore à tous ces chercheurs qui se consacrent avec constance et rigueur morale à leurs tâches utiles pour la société, à tous ces artistes assoiffés et créateurs de beauté. N’hésitez pas à entrer en dialogue avec toutes ces personnes de bonne volonté dont plusieurs espèrent secrètement peut-être le témoignage et l’appui de l’Eglise pour mieux défendre et promouvoir le progrès véritable de l’homme.

12. Je vous remercie chaleureusement d’être venus travailler avec nous. Au nom de l’Eglise, le Pape compte beaucoup sur vous, car comme je le disais dans la lettre par laquelle je le créais, votre Conseil “apportera régulièrement au Saint-Siège l’écho des grandes aspirations culturelles à travers le monde, approfondissant les attentes des civilisations contemporaines et explorant les voies nouvelles du dialogue culturel”. Votre Conseil aura avant tout valeur de témoignage.Vous devez manifester devant les chrétiens et le monde le profond intérêt que l’Eglise porte au progrès de la culture et au fécond dialogue des cultures, comme à leur rencontre bénéfique avec l’Evangile. Votre rôle ne peut être défini une fois pour toutes et a priori: l’expérience vous enseignera les modes d’action les plus efficaces et les mieux adaptés aux circonstances. Restez en relation régulière avec la Direction exécutive du Conseil - que je félicite et encourage -, participant à son action et à ses recherches, lui proposant vos initiatives, l’informant de vos expériences. Ce qui est évidemment demandé au Conseil pour la Culture, c’est d’exercer son action par mode de dialogue, d’incitation, de témoignage, de recherche. Il y a là une façon particulièrement féconde pour l’Eglise d’être présente au monde pour lui révéler le message toujours nouveau du Christ Rédempteur.

A l’approche du Jubilé de la Rédemption, je prie le Christ de vous inspirer, de vous assister, afin que votre travail serve, à son plan, son OEuvre de salut. Et de tout coeur, en vous remerciant à l’avance de votre coopération, je vous bénis, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.



AU NOUVEL AMBASSADEUR DES PAYS-BAS PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi, 22 janvier 1983




Monsieur l’Ambassadeur,

Aujourd’hui - simple coïncidence ou circonstance providentielle -, j’ai la joie d’accueillir Votre Excellence comme nouvel Ambassadeur de Sa Majesté la Reine des Pays-Bas auprès du Saint-Siège mais également les évêques qui sont à la tête des diocèses catholiques pour leur traditionnelle visite “ad Limina”. Ces deux événements, de nature assurément différente, convergent cependant, en ce sens qu’à travers des Autorités qualifiées, ils rendent comme présent en cette Maison le peuple néerlandais avec sa vie, ses problèmes et ses espoirs.

Je vous remercie sincèrement, Monsieur l’Ambassadeur, des paroles que vous venez de m’adresser. Elles témoignent d’une concordance, déjà existante, entre les efforts du Siège Apostolique et ceux de votre Gouvernement, qu’il s’agisse de défendre et de promouvoir la paix mondiale par les voies du dialogue, de faire respecter partout la dignité sacrée des individus et la liberté des peuples, ou encore de porter secours aux régions victimes de catastrophes imprévisibles ou de misères endémiques. Votre mission inaugurée aujourd’hui même, de même que la visite de l’épiscopat néerlandais, me sont un motif de réconfort et d’espérance.

Vous êtes le fils d’une nation dont l’histoire est riche et passionnante à bien des titres. La célèbre devise “Luctor et emergo” mérite bien de figurer dans des armoiries de votre pays. Depuis toujours vos ancêtres ont dû lutter contre les éléments déchaînés de la mer du Nord et supporter les grands vents du large. Les inondations catastrophiques de 1953 sont encore dans nos mémoires. En somme l’histoire du peuple hollandais s’est constituée en refoulant sans cesse la mer, mais aussi en la parcourant inlassablement. Cette réalité dominante a fait de vos compatriotes des marins, des voyageurs, des commerçants, des gens ouverts au monde et capables de mesurer la relativité des choses, tandis que les habitants de l’arrière pays, toujours présents à leurs terres, ont davantage maintenu les traditions. Actuellement ces différences se sont sans doute atténuées du fait du développement d’un réseau routier moderne. Je comprends l’attrait des touristes pour les Pays-Bas. Ils peuvent contempler vos victoires sur la mer, admirer la tenue de vos exploitations rurales, la splendeur de vos cultures florales et maraîchères, mais également l’industrialisation très poussée de nombreux centres urbains. Rotterdam n’est-il pas parmi les plus grands ports du monde? Et comment oublier vos célèbres musées, édifiés à la gloire de vos hommes illustres, par exemple de vos grands peintres comme Rembrandt? Il y a aussi chez vous une diversité de confessions religieuses qui, depuis des décennies, cherchent à coexister pacifiquement, à dialoguer, à coopérer pour des oeuvres d’ordre social ou caritatif dont l’objectif est souvent international.

Il me plaît d’évoquer brièvement ce panorama en vous accueillant ce matin. Cela me permet de communier à l’histoire et à la culture de votre pays. Et je veux espérer que les Pays-Bas, si riches de biens matériels et de ressources humaines, choisiront toujours les chemins de “l’être” plus encore que ceux de “l’avoir” et apporteront ainsi à l’Europe et au monde leur contribution originale au vrai progrès de la société contemporaine.

De tout coeur, je souhaite que votre haute mission de diplomate se déploie de telle sorte que les excellentes relations déjà existantes entre le Saint-Siège, instance d’ordre essentiellement spirituelle, et votre Gouvernement se révèlent toujours plus fructueuses. Vous serez ici, comme vos collègues du Corps Diplomatique que j’avais la joie de recevoir le 15 janvier“, un observateur attentif, qui saura transmettre à son propre Gouvernement les activités, les préoccupations et les souhaits du Siège Apostolique, de même qu’il saura faire connaître à celui-ci les informations, les suggestions, les désirs du Gouvernement des Pays-Bas.

Je vous serais reconnaissant, Monsieur l’Ambassadeur, de bien vouloir transmettre à Sa Majesté la Reine des Pays-Bas l’expression de mes respectueuses salutations et de lui renouveler mes voeux pour la prospérité, à tous les plans, de son Royaume. A vous, Excellence, je suis heureux d’exprimer ma confiance et mes souhaits cordiaux pour l’agréable et fécond déroulement de vos fonctions. Je demande à Dieu de veiller sur votre cher et beau pays et de vous bénir ainsi que les membres de votre propre famille.



AUX ÉVÊQUES DES PAYS-BAS EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 22 janvier 1983


Chers Frères dans le Christ,

Je suis très heureux de vous accueillir à l’occasion de votre visite “ad limina”. Il se trouve - et je tiens à le souligner - que vous êtes parmi les premiers évêques à accomplir semblable visite en cette année 1983 qui va être marquée par deux événements concernant l’Eglise universelle, à savoir l’année Sainte et le Synode des évêques. Ces deux événements sont d’ailleurs convergents: le premier veut rappeler et faire vivre plus profondément le Mystère de la Rédemption, le second a pour but d’examiner plus à fond au plan de la réflexion et de la vie concrète “la réconciliation et la pénitence dans la mission de l’Eglise”. La Rédemption, la réconciliation, la pénitence, la conversion sont autant de questions vitales pour l’Eglise entière que pour cette portion du peuple de Dieu qui vit aux Pays-Bas.

Votre visite “ad limina” a lieu tous les cinq ans. Mais le principal événement qui a caractérisé la vie de l’Eglise aux Pays-Bas dans la récente période est certainement le Synode particulier des évêques, réalisé voici trois ans. Il demeure le point constant de référence pour un renouveau de la vie ecclésiale en votre pays. Vous avez certainement conservé le souvenir émouvant et solennel de la célébration de la clôture à la chapelle Sixtine sous le regard du Christ peint par Michel-Ange, et la mémoire de l’instant où vous vous êtes engagés dans le secret de vos coeurs, en souscrivant tous aux conclusions qui constituent un véritable programme de vie et d’action pastorales, alors que j’étais au milieu de vous pour les confirmer. Vous vous rappelez encore que nous nous étions proposés comme but de ce Synode particulier “une claire manifestation de la communion ecclésiale”. Or, cette communion suppose une conversion continuelle au Christ, et de la part de tous. C’est bien pour cela que vous avez rappelé au cours des réunions synodales les paroles du Concile Vatican II: “L’Eglise est à la fois sainte et appelée à se purifier et elle poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement” (Lumen Gentium LG 8). Ces paroles, toujours d’actualité, le sont plus que jamais en cette Année Sainte.

Pendant ce Synode, nous avons vraiment vécu une profonde expérience de communion. Et, par la suite, nous avons renouvelé cet esprit lors de v os visites occasionnelles et des réunions périodiques du Conseil du Synode particulier. Spécialement pendant votre présente visite “ad limina”, vous m’avez donné, A moi-même et à mes collaborateurs, de participer à vos joies et à vos souffrances, à vos espérances et à vos difficultés dans le travail entrepris en vue de la communion et du renouveau, qui exigent nécessairement une disponibilité sans réserve à la réconciliation et à la pénitence, ainsi que le courage d’accepter le mystère de la croix pour parvenir à la résurrection.

Dans vos entretiens avec mes collaborateurs, vous avez approfondi certains sujets importants. A présent, je voudrais réfléchir avec vous sur quelques aspects du renouveau de la vie ecclésiale dans l’optique du Synode, de la communion avec l’Eglise universelle et de la communion avec le Siège de Pierre. Ce Synode est en effet la route à suivre pour l’Eglise aux Pays-Bas, parce qu’il est l’application authentique du Concile Vatican II, et donc le chemin du véritable renouveau.

1. Vous êtes des évêques, c’est-à-dire les pasteurs des disciples du Christ, qui vivent et travaillent dans les diocèses néerlandais, en union avec les autres communautés catholiques disséminées à travers le monde. C’est ainsi que l’Eglise se comportait dès les temps apostoliques. Les Actes des Apôtres nous aident à bien identifier les disciples de Jésus, grâce à des caractéristiques dont la toute première est “qu’ils se montraient assidus à l’enseignement des Apôtres” (Ac 2,42).

La communion dans la foi signifiait pour les Apôtres qu’ils avaient mission d’annoncer la Parole et d’enseigner, et pour les disciples qu’ils devaient être fidèles à cet enseignement. Aujourd’hui, cette communion est également fondamentale, et elle implique pour tous la fidélité à l’enseignement du Christ et des Apôtres, et pour vous pasteurs, la charge de a “prêcher le Christ, et le Christ crucifié” (1Co 1,23). Elle requiert que le Christ soit présenté intégralement comme “vrai Dieu, né du vrai Dieu... et qui, pour nous les hommes, s’est fait homme”; qu’il soit présenté aussi avec toutes ses exigences, parfois radicales, mais toujours en vue du bien de l’homme. Cela comporte pour vous, pasteurs, l’obligation d’aider vos fidèles à bien discerner où se trouvent les pâturages de la saine doctrine, d’organiser “et de guider la marche de la catéchèse, spécialement pour les jeunes. C’est d’ailleurs une chose que vous aviez prévue pendant le Synode (Cfr. Conclusiones, 43. 44. 45) et vous lui consacrez une attention accrue. Et de diverses manières, vous confirmez encore votre désir a d’exercer personnellement le rôle de docteurs de la foi” (Ibid. 45). parce que chaque évêque a conscience d’être responsable de ce qui est enseigné au nom de l’Eglise en raison de la charge d’enseigner que lui-même a confiée à certains.

La communion dans la foi garantit les liens d’une Eglise particulière avec les autres et avec l’Eglise de Rome, comme elle garantit une véritable ouverture catholique, permettant d’éviter tout isolement.

2. Les croyants étaient également fidèles à la fraction du pain et aux prières (Cfr. Ac 2,42).

Le vie de foi se manifeste surtout par la participation à la vie liturgique et sacramentelle, ainsi que par une vie de prière constante. C’est pourquoi toute institution d’Eglise doit avoir à coeur de donner beaucoup de vigueur à cette vie, pour éviter le danger de devenir une structure bureaucratique. Les hommes ont soif de Dieu vivant et vrai, du contact personnel et communautaire avec Lui qui est Vérité et Vie.

Il m’est bon de penser que, dans votre pays également, la recherche personnelle de Dieu est en train de connaître un nouvel essor. Vous faites bien d’être présents à ces aspirations des esprits et des coeurs, pour les comprendre, les stimuler et les guider.

En ce qui concerne les expressions liturgiques, sacramentelles et communautaires, vous vous êtes référés aux documents conciliaires pendant le Synode particulier, et, â juste titre, vous avez mis en relief le fait que les sacrements sont confiés à l’Eglise qui, dans le respect des mystères divins, en règle l’administration; par là même, vous avez fait nettement ressortir que la liturgie est un bien commun à toute l’Eglise, et qu’en conséquence elle doit être célébrée de manière ordonnée et “en pleine conformité avec les livres officiels rénovés selon l’esprit de Vatican II, en usant des larges possibilités d’adaptation prévues dans ces mêmes livres” (Conclusio, 40).

En ce moment vous suivez avec beaucoup d’attention la publication des livres liturgiques en langue néerlandaise comme vous l’avez déjà fait pour la parution du missel romain; qui est un autre moyen de communion dans la foi avec les Eglises particulières du monde entier. Il n’y a pas à s’étonner si l’Eglise tient à ce que la célébration de l’Eucharistie soit guidée par un tel moyen. Celui-ci est garant de la foi catholique authentique et porteur des richesses spirituelles propres au a Mystère de la foi”. L’Eucharistie est en effet a source et sommet de toute l’évangélisation” (Presbyterorum Ordinis PO 5), et c’est autour d’elle, célébrée par l’évêque ou par tout prêtre canoniquement habilité, que se construit l’Eglise (Cfr. Lumen Gentium LG 17 Lumen Gentium LG 26).

3. Cette réflexion sur l’Eucharistie nous conduit tout naturellement à une considération sur le sacerdoce.La distinction théologique entre le sacerdoce ministériel ou sacramentel et le sacerdoce commun à tous les fidèles trouve une application immédiate à propos de la célébration de l’Eucharistie. L’enseignement absolument continu de l’Eglise sur le ministre de l’Eucharistie, et de nouveau rappelé par le Concile Vatican II dans la Constitution dogmatique sur l’Eglise, est d’air: “Celui qui a reçu le sacrement ministériel jouit d’un pouvoir sacré... pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier” (Lumen Gentium LG 10). Il n’est point d’Eglise sans Eucharistie, et il n’y a pas d’Eucharistie sans prêtre. Comment pourrait-il exister une Eglise sans le sacerdoce ordonné?

Durant les assemblées du Synode de janvier 1980, comme au cours des trois années qui ont suivi, les prêtres étaient et demeurent, à juste titre, au coeur de vos préoccupations, à savoir leur ministère, leur vie spirituelle, la relève des vocations sacerdotales et la formation des futurs prêtres. Il existe des signes évidents de votre sollicitude en ce domaine, par exemple la lettre sur le sacerdoce ministériel, intitulée “Serviteur dans la communauté de Dieu” que Monsieur le Cardinal Johannes Willebrands a publiée en tant que Président de votre Conférence; la lettre pastorale de Carême que le Cardinal a également fait paraître en 1982 sur le problème des “vocations sacerdotales”. Et il y a d’autres efforts concrets que vous êtes en train de faire pour susciter et préparer de futurs prêtres.

Le sacerdoce ministériel est en effet un don de l’esprit Saint à l’Eglise et à l’humanité. Lorsque, dans la lettre mentionnée sur le sacerdoce ministériel, il est affirmé que sans l’ordination sacramentelle par l’Evêque, il n’y a pas de véritable ministère sacerdotal, on fait très bon écho à l’authentique doctrine catholique. “C’est cela (le don de l’esprit) que nous avons reçu du Seigneur à travers les apôtres. Nous n’avons pas ici d’alternative”.

4. Si le Seigneur a voulu dans l’Eglise le ministère sacerdotal avec les caractéristiques dont nous avons parlé, Lui-même donnera à la communauté de ses fidèles les prêtres nécessaires pour enseigner la foi et pour administrer les sacrements, spécialement pour célébrer l’Eucharistie et pour être les ministres de son pardon. Au cours du Synode particulier, vous avez exprimé l’espoir de trouver des prêtres en nombre suffisant, et votre confiance dans le Maître de la moisson. Mais il faut beaucoup prier, selon la parole même du Christ: “Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Lc 10,2 Mt 9,38). A ce sujet, permettez-moi de vous adresser un appel ardent, à vous Frères très chers, mais aussi à vos prêtres et à vos fidèles, pour que dans les communautés chrétiennes et dans les familles, la prière qui obtiendra du Seigneur cette multiplication de jeunes désireux de se consacrer totalement au service du Seigneur devienne plus fréquente et plus fervente. En outre, il importe que rien ne soit négligé pour créer et favoriser les conditions psychologiques, spirituelles et ambiantes, dans lesquelles les germes de vocations - que le Christ ne cesse d’accorder à son Eglise - puissent se développer de manière adéquate et parvenir à sa maturité. La fidélité au Christ nous engage tous. Vous avez d’ailleurs exprimé “la volonté d’être secondés par un clergé célibataire et de recruter des aspirants à une telle vocation” (Conclusio, 25 ; cfr. 21).

D’autres Eglises Locales qui ont connu pareillement une crise des vocations sont en train d’en sortir. L’Eglise entière et le Pape partagent votre espérance et soutiennent par la prière les efforts que vous accomplissez en ce domaine absolument capital et sont également convaincus, avec vous, que la formation des candidats au sacerdoce doit être non seulement intellectuelle, mais aussi spirituelle et pastorale. Tout cela est précisé dans les documents du Concile Vatican II, y compris la certitude qu’une telle formation ne peut être assurée que dans de véritables séminaires (Cfr. ibid. 26).

5. Au cours du Synode particulier, vous avez été très vivement conscients que les laïcs ont un rôle important à jouer dans diverses tâches de la pastorale de l’Eglise. Il n’est pas nécessaire de rappeler les perspectives ouvertes par Vatican II, tout spécialement dans le décret sur l’apostolat des laïcs. Nous devons beaucoup apprécier les efforts des laïcs pour rendre l’Eglise présente dans un monde de plus en plus sécularisé, et leur participation active a la vie de l’Eglise. En parlant précisément de l’Eglise, l’apôtre Paul se sert de la comparaison du corps humain, dans le quel tous les membres out une fonction et chacun la sienne en particulier (Cfr. 1Co 12,12-27). Dans ce corps vivant qu’est l’Eglise, les évêques ont la fonction de maintenir l’unité et la communion vitale de l’organisme tout entier en veillant à ce que l’action de chaque membre corresponde à sa vocation spécifique. Le bien général exige que les fonctions propres aux laïcs ne soient pas accomplies par les clercs et que le rôle ministériel du prêtre ne soit pas non plus rempli par les laïcs.

Permettez-moi, Frères très chers, de conclure cet entretien par un appel auquel je me sens poussé en mesurant les efforts déjà accomplis et en songeant aussi aux énergies nouvelles que les évêques nommés voici un an ne manqueront pas d’apporter. De tout mon coeur, je vous exhorte à garder le courage de la foi et de l’action, afin de poursuivre le chemin du renouveau tracé dans la salle du Synode qui, à certains moments, ressemblait au Cénacle de la Pentecôte.

La route n’est pas facile, mais l’Eglise de votre pays est encore riche de forces vives. Votre terre a donné, même en notre temps, des exemples lumineux d’engagement pour le Christ. Qu’il suffise d’évoquer les figures du bienheureux Père Donders et de l’admirable carme, le Père Titus Brandsma. Les capacités d’engagement courageux de vos diocèses, soutenus et bien guidés par les pasteurs que vous êtes, surmonteront peu à peu les obstacles et seront capables de provoquer un véritable élan spirituel. Je me résume en vous répétant ce que j’ai déjà proclamé bien des fois: “Ouvrez les portes au Rédempteur!”. Avec mon affectueuse Bénédiction.



Février 1983



Discours 1983 - Samedi, 15 janvier 1983