Discours 1983 - Samedi, 16 avril 1983


AU CONSEIL DE L'UNION MONDIALE DES ENSEIGNANTS CATHOLIQUES

Lundi, 18 avril 1983




Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Merci pour votre aimable visite, et veuillez agréer mes voeux fervents pour votre Conseil de l’Union mondiale des enseignants catholiques, renouvelé en juillet dernier au cours du Congrès d’Innsbruck. Vous souhaitez recevoir mes encouragements chaleureux. Je suis très heureux de vous les exprimer, même si je suis contraint par le temps de le faire brièvement.

Est-il besoin de mettre en relief l’importance et le rayonnement de l’enseignement catholique à travers les continents, de souligner combien il donne satisfaction aux familles qui peuvent librement en faire le choix pour leurs enfants? Certes, d’un pays à l’autre et même à l’intérieur d’une même nation, les situations juridiques, les possibilités concrètes de fonctionnement et le coefficient de rayonnement de l’enseignement catholique connaissent des variantes. Mais on n’arrive pas à imaginer que celui-ci pourrait être rayé de la carte des peuples libres sans porter une atteinte extrêmement profonde aux droits fondamentaux de l’homme. C’est pourquoi les Gouvernements qui acceptent son existence et lui accordent leur soutien méritent éloges et encouragements.

Dans une civilisation connaissant parfois la tentation et possédant les moyens techniques de niveler l’homme et la société, il est plus que jamais nécessaire de favoriser - surtout pour la jeunesse assoiffée de raisons de vivre - des espaces éducatifs nombreux, suffisamment décentralisés, libres de proposer un idéal qui transcende un dénominateur culturel parfois faible. Précisément, l’école catholique, sans volonté de puissance et encore moins de triomphalisme, a l’ambition de proposer simultanément l’acquisition d’un savoir aussi large et profond que possible, l’éducation exigeante et persévérante de la véritable liberté humaine, et l’entraînement des enfants et des adolescents qui lui sont confiés vers l’idéal concret le plus élevé qui soit: Jésus-Christ et son message évangélique.

Je souhaite de plus en plus qu’en tout pays se disant attaché à la démocratie et donc au respect absolu des consciences, le pluralisme scolaire, abandonnant les vieux chemins des querelles anachroniques, trouve enfin sa voie royale, c’est-à-dire offre aux citoyens un choix d’institutions scolaires correspondant aux options profondes et sacrées des consciences humaines et sachant coexister harmonieusement pour le bien général du peuple tout entier. Les Etats modernes, souvent très organisés et puissants, ne sauraient aligner leurs sujets sur un modèle unique. Leur raison d’être - et je dirais leur véritable grandeur - est de servir tous les citoyens avec équité et magnanimité, en exigeant évidemment que ceux-ci soient respectueux du bien commun de la nation.

En un mot, je plaide pour un véritable pluralisme scolaire, judicieusement organisé et protégé. Et, en ce qui concerne l’enseignement catholique, je plaide pour des écoles catholiques toujours plus dignes de ce nom, partout où elles sont implantées. De tout coeur, j’invoque sur vos personnes, sur tous les enseignants catholiques du monde entier et sur leurs élèves les dons de l’Esprit Saint.



AUX ÉVÊQUES DU ZAÏRE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi, 21 avril 1983


Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Après avoir accueilli chacun d entre vous, je vous rencontre tous ensemble avec une grande joie. J’apprécie les sentiments que vous m’exprimez et j’en remercie vivement votre interprète, Mgr Fataki. Toutes vos paroles feront l’objet de ma réflexion et de ma prière.

Oui, comme vous l’avez vous-mêmes souligné, j’imagine mieux votre cadre de vie, car je garde un vif souvenir de cette trop courte journée passée à Kisangani, où vous m’avez si bien reçu le soir du 5 mai 1980 et le lendemain. Je vois encore tout ce peuple enthousiaste venu sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame du Rosaire, pour la première rencontre, puis pour l’Eucharistie. Je pense aussi à la mission Saint-Gabriel, d’où j’ai adressé un message de salut, de félicitations et de réconfort à tous ceux qui font oeuvre missionnaire.

La plupart d’entre vous étiez là, avec votre peuple. Je retrouvais avec plaisir Mgr l’Archevêque, que j’avais connu à Cracovie; je venais aussi d’ordonner à l’épiscopat, à Kinshasa, l’un d’entre vous, Mgr Bam’ba Gongoa. Evêque de Bondo. Et aujourd’hui, vous venez réexprimer ici vos liens avec le Successeur de Pierre, près du tombeau des Apôtres, sachant combien cette communion est pour l’Eglise catholique une note essentielle, une garantie d’authenticité et une source de fécondité.

2. C’est donc chez vous plus qu’ailleurs que j’ai rendu hommage aux missionnaires, non loin du cimetière de Makiro. C’était, pour moi comme pour vous, très émouvant, à la pensée que ces pionniers avaient tout quitté et entrepris la plus grande aventure, pour faire participer leurs frères du Zaïre au peuple unique des croyants, au même héritage de Jésus-Christ. Et c’était très important, car il est normal de demeurer reconnaissant à ces pères dans la foi, et à Dieu de qui vient tout don de cette foi; il importe aussi de garder un ardent esprit missionnaire: n’y-a-t-il pas encore beaucoup à faire pour annoncer Jésus-Christ et lui permettre d’imprégner les âmes et les moeurs?

3. Aujourd’hui, vous m’avez exposé votre souci: constituer des communautés ecclésiales vivantes. Je le partage volontiers. C’est à coup sûr le but de l’évangélisation. Le Concile Vatican II l’exprimait bien dans un chapitre du décret Ad Gentes qu’il nous faudrait relire en entier (Cfr. Ad Gentes AGD 15-18). L’Esprit Saint est l’âme de telles communautés, la source de leur élan et de leurs dons multiples; et, sous son action, la prédication de la doctrine, le discernement et les orientations des pasteurs responsables structurent la pensée et l’activité de ces communautés.

Pour saisir les notes caractéristiques de celles-ci, il importe de se référer, sans imitation littérale mais en suivant la même inspiration, aux communautés des temps apostoliques décrites dans les Actes, ou dans les lettres de saint Paul (aux Corinthiens par exemple), dans celles de saint Pierre ou encore dans celles qui, dans l’Apocalypse, sont adressées, à la fin du premier siècle, aux communautés d’Asie Mineure (Ap 2-3). Toute la Tradition de l’Eglise permet ensuite de discerner comment se forme une communauté chrétienne, et aussi comment elle se ressaisit et se renouvelle, après les périodes de crise. Enfin, les textes du Concile Vatican II (en particulier la Constitution sur l’Eglise, les décrets sur la charge pastorale des Evêques, sur le ministère et la vie des prêtres, sur l’apostolat des laïcs, sur l’activité missionnaire) et les documents du Magistère qui ont suivi, spécialement l’exhortation Evangelii Nuntiandi (Pauli VI Evangelii Nuntiandi EN 12 EN 15 EN 18-20 EN 23 EN 41), ont donné à ce sujet des points de repère et des orientations qui permettent de préparer et de reconnaître ce qui fait la valeur d’une communauté chrétienne (Cfr. Ad Gentes AGD 15).

4. Il est bien évident qu’un tel “rassemblement de fidèles, doté des richesses culturelles de sa propre nation, doit être profondément enraciné dans le peuple” (Ibid. AGD AGD 15); mais il ne s’agit pas d’un simple épanouissement, d’une transposition de ces richesses culturelles. Je le disais samedi dernier au Catholicos Karekine, en pensant à la belle civilisation des chrétiens arméniens: a Quand un peuple accueille la lumière du Christ, ses convictions profondes en sont purifiées et confirmées; sur le terrain de l’ancienne culture, une nouvelle éclôt dans laquelle l’homme trouve un équilibre plus profond et une manière plus libre et libérante d’affronter la réalité”.

De ces touches chrétiennes, la première lettre de l’apôtre Pierre fourmillait déjà d’exemples: “Montrez-vous saints dans toute votre conduite... (1P 1,15) aimez-vous les uns les autres du fond du coeur (Ibid. 1P 1P 1,22)... bannissez toute malice, hypocrisies et jalousies (Ibid.   1P 2,1)... abstenez-vous des convoitises de la chair qui font la guerre à l’âme (Ibid. 1P 2,11)... enfin, soyez bien unis, pleins de compassion, d’amour fraternel, de miséricorde et d’humilité (Ibid. 1P 1P 3,8)... que chacun de vous mette au service des autres le don de la grâce qu’il a reçu...” (Ibid. 1P 1P 4,10). Et d’autres mots reviennent souvent dans la même épître: la fermeté de la foi, l’amour de Jésus, la vivante espérance, la prière, l’effort de justice, la participation aux souffrances du Christ, la constance dans la joie et l’allégresse. En y joignant tous les textes parénétiques des lettres de saint Paul ou de saint Jacques, en particulier le souci des plus pauvres - nous dirions aujourd’hui des marginaux ou des minorités ethniques -, on aurait là un panorama des notes essentielles des moeurs chrétiennes de tous les temps, dont les communautés doivent témoigner avec ferveur, en s’y convertissant sans cesse, et qui font leur originalité et leur vitalité.

5. Cette vitalité sera d’autant mieux assurée que chaque membre du Corps du Christ jouera bien son rôle. “Pour... le développement de la communauté chrétienne, sont nécessaires des ministères divers qui, suscités par l’appel divin du sein même de l’assemblée des fidèles, doivent être encouragés et respectés par tous avec un soin empressé”, rappelait le Concile (Ad Gentes AGD 15 in fine), et il mentionnait les fonctions des prêtres, des diacres, des catéchistes, l’action des laïcs, la tâche des religieux et des religieuses. Permettez-moi de dire un mot de chacun de ces services. Je ne reviens pas sur l’importance de la liturgie et des rassemblements festins de prière dont j’ai parlé avec vos Confrères la semaine dernière.

Dans la mesure où les laïcs chrétiens vivent de l’Esprit de leur baptême, on peut espérer que leur foi et leur charité se manifesteront en un grand nombre de charismes, de dons reçus pour le soutien spirituel de leurs frères, comme ceux qu’évoquait saint Paul à l’intention des Corinthiens (1Co 12). Cela dépend de la grâce de Dieu - et donc de la prière -, de la générosité des fidèles et aussi du discernement pour que ces charismes soient authentiques et servent au bien de la communauté. Les Pasteurs de celle-ci peuvent aussi confier différentes charges, voire des “ministères” non ordonnés institués par l’Eglise, aux membres qui en ont la vocation et la compétence, pour que les différents besoins soient assurés avec soin.

Je pense spécialement à l’oeuvre indispensable des catéchistes et des animateurs de communautés dont le service requiert une bonne formation et un soutien particulier des prêtres (Cfr. Ad Gentes AGD 17). Je me réjouis avec vous de l’oeuvre évangélisatrice que permettent souvent les petites communautés ecclésiales, reliées à la paroisse. Plusieurs d’entre vous ont signalé cependant qu’ils veillaient à ce qu’elles ne soient pas constituées sur des principes ethniques ou tribaux. Les critères demeurent ceux qu’exposait entre autre l’exhortation Evangelii Nuntiandi (Cfr. Pauli VI Evangelii Nuntiandi EN 58). La catéchèse des adultes doit accompagner une catéchèse sérieuse des enfants et des jeunes: sur ce dernier point, vous sentez le besoin de préparer davantage les enseignants, afin qu’une plus grande instruction profane, dans les écoles, ne tourne pas à un rejet de la foi. Plus généralement, je songe au rôle des époux, des pères et mères de famille. C’est la cellule initiale et fondamentale de vos communautés chrétiennes. Je sais que vous déplorez là-dessus plusieurs obstacles au mariage chrétien, qui tiennent à certains aspects des institutions ancestrales ou à une mentalité de néopaganisme moderne, véhiculée par un nouveau laïcisme ou matérialisme. Vous désirez étudier à fond les problèmes humains et sociologiques qui sont en cause. Mais, de toute façon, il faut promouvoir en même temps et sans attendre le mariage et la famille tels que le mystère chrétien permet de les vivre, et croire que vos populations chrétiennes, comme je le disais à Kinshasa, sont capables de saisir ces valeurs d’une façon profonde et de les épanouir avec toute leur âme africaine. Plusieurs d’entre vous ont entrepris une magnifique catéchèse matrimoniale et je suis sûr qu’elle portera des fruits.

Enfin, il y a toutes les formes de témoignages, d’actions, de mouvements d’apostolat des laïcs adaptés A vos compatriotes, qui visent à insérer l’esprit de l’Evangile dans les personnes, dans les mentalités, dans les institutions. Je pense à ce qui favorise la piété, et aussi l’engagement pour la justice. Vous vous souvenez qu’à Kisangani, j’avais longuement exhorté les laïcs à relever le défi des misères du monde rural et à préparer des conditions de vie plus dignes de l’homme et de Dieu. Avec vous, je souhaite que s’intensifie en ce domaine la réflexion et l’action persévérante et concertée. C’est un domaine où la communauté chrétienne peut montrer le sérieux de sa vitalité et une plus grande crédibilité.

6. La vie religieuse, contemplative ou active, représente un charisme hors pair, dont vous êtes très conscients, puisque vous avez essayé notamment, et avec succès, de développer des communautés locales de religieuses, tout en comptant aussi sur les congrégations plus universelles. En effet, la consécration totale de ces hommes et de ces femmes à l’amour du Seigneur, leur disponibilité entière dans la prière ou le service apostolique, éducatif ou caritatif, l’appel à vivre les béatitudes que constitue leur choix de la chasteté, de la pauvreté, de l’obéissance, témoignent merveilleusement du Royaume de Dieu. Bien sûr, il faut veiller à ce que ce joyau ne se ternisse pas, à ce que les exigences et le caractère propre de la vie religieuse ne s’émoussent pas, à ce que les responsables de ces communautés, bien formés, jouent pleinement leur rôle. Ce sera plus facile, semble-t-il, si les communautés gardent une certaine ampleur, au-delà des limites ou des besoins ponctuels d’un diocèse ou d’un secteur. Déjà le Concile exprimait cette recommandation: “Que les évêques veillent dans les conférences à ce que des congrégations poursuivant la même fin apostolique ne se multiplient pas au détriment de la vie religieuse et de l’apostolat” (Ad Gentes AGD 18).

Qui ne songe ici à Soeur Marie Clémentine Anwarite, dont vous m’avez entretenu à Kisangani! Je souhaite avec vous qu’elle soit bientôt béatifiée et que son exemple encourage la vie religieuse et la vie chrétienne de tous les Zaïrois. Je sais que la Congrégation compétente est en train d’étudier activement la Cause.

7. Enfin - il n’est pas besoin de le développer aujourd’hui -, sans le ministère essentiel des prêtres, les communautés chrétiennes seraient comme des brebis sans pasteurs. Chers Frères, consacrez une parte importante de votre activité à soutenir le zèle de vos prêtres, Zaïrois ou venus d’ailleurs, à leur procurer les moyens de formation intellectuelle et spirituelle, à les visiter. Je sais que tel ou tel d’entre vous leur a adressé un bon document sur la vie sacerdotale. Oui, puisent-ils bénéficier toujours davantage de votre proximité de coeur, de vos exhortations, à la fois compréhensives et fermes, de votre propre exemple, puisque, comme dit saint Pierre, vous les “anciens”, vous devez “vous montrer les modèles du troupeau”! (1P 5,3) Puisent-ils comprendre toujours mieux la dignité de vie à laquelle les appelle leur sublime vocation “d’amis” du Seigneur et de dispensateurs de ses mystères!

8. Je sais que vous êtes préoccupés d’éveiller des vocations, et je me réjouis avec vous des réponses très nombreuses que vous enregistrez en maints diocèses pour les rentrées au séminaire. Toutefois, plusieurs d’entre vous sont légitimement soucieux de la qualité de ces aspirants au sacerdoce. Je pense qu’il vous faut en effet demeurer très vigilants, avec vos éducateurs et directeurs de séminaires, sur les aptitudes morales et spirituelles comme sur les motivations de ces séminaristes, et donc opérer courageusement une sélection, afin que le séminaire remplisse bien son rôle de conduire à l’ordination des sujets vraiment apôtres, se préparant sans ambiguïté, avec tout le climat qui convient.

9. Je n’ai pas parlé directement de votre rôle de Magistère touchant l’enseignement et l’approfondissement de la foi, le développement de la théologie dans le contexte du Zaïre. Je compte y revenir avec vos Confrères. Par ailleurs, j’ai déjà parlé de la concertation indispensable entre tous les Evêques du Zaïre. Je pense en outre que, pour répondre à un désir que vous avez exprimé concernant toute l’Eglise en Afrique, une concertation est aussi nécessaire à ce niveau, sous une forme ou sous une autre, pour examiner les problèmes religieux qui se posent à l’ensemble du continent, en liaison évidemment avec l’Eglise universelle et le Saint-Siège. Mais cela laisse entière la responsabilité de chaque Evêque dans son diocèse.

Je vous ai donc encouragés à tout mettre en oeuvre pour que vos communautés, bien structurées et disposant des moyens essentiels, progressent d’un pas sûr vers une expression, un approfondissement et un rayonnement authentiquement chrétiens et la vitalité apparaîtra par surcroît. Je sais que le zèle ne vous manque pas et que vous devez souvent manifester un grand courage, devant les difficultés et la pauvreté des moyens. Mais cela n’est-il pas le lot habituel de l’Eglise? Le Seigneur ressuscité est avec vous. Comme il le faisait sur le rivage du lac de Galilée, il vous dit de jeter à nouveau le filet. Et Pierre est avec vous, dans la personne de son successeur. Que l’Esprit Saint vous donne sa paix, sa joie, sa force! Je vous bénis de tout coeur, avec tous ceux qui collaborent avec vous, prêtres, religieux, religieuses et chrétiens de vos diocèses.


AU COMITÉ EXÉCUTIF DE LA FÉDÉRATION CATHOLIQUE POUR L'APOSTOLAT BIBLIQUE

Vendredi, 22 avril 1983



Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

Je suis très heureux de vous recevoir ici a Rome, auprès des tombeaux des Apôtres, premiers témoins du Christ pat leur prédication et par leur vie.

C’est en effet par la parole de nos pères dans la foi, les grands législateurs, les prophètes et les sages de l’Ancien Testament, les apôtres, les évangélistes et autres “hommes apostoliques” (Cfr. Dei Verbum DV 7) du Nouveau Testament, que Dieu même a parlé aux hommes. C’est ainsi, par le moyen d’une parole humaine, d’abord orale, et ensuite écrite, qu’il a révélé aux hommes son amour, sa volonté, son dessein de salut centré sur le Christ, Dieu et homme, Lui-même dernière Parole du Père (Cfr. Hebr He 1,2). Voilà ce que nous appelons la Bible, confiée à l’Eglise comme “la règle suprême de sa foi”, “en même temps que la Tradition” (Cfr. Dei Verbum DV 21).

C’est pour le service de cette Parole de Dieu, lue et commentée dans l’Eglise, que la Fédération catholique pour l’apostolat biblique a été créée. Vous en êtes le Comité directeur, vous êtes donc les responsables de cette oeuvre si importante d’évangélisation et de service ecclésial. Vous en connaissez bien les principes qui l’inspirent, et la méthodologie. Il s’agit en particulier d’aider les évêques et les conférences épiscopales dans la mise en oeuvre de leur service de cette Parole, qui leur a été en premier lieu confiée, comme elle a été confiée d’une manière toute particulière à ce Siège de Pierre. Il s’agit surtout de la faire connaître et de la faire aimer, pour qu’elle devienne toujours davantage la source pure de la vie chrétienne et du témoignage quotidien des hommes et des femmes saisis par le Christ. Elle est proclamée chaque jour durant la célébration de l’Eucharistie, mais surtout elle est lue et commentée dans l’homélie de chaque dimanche. Comme il serait souhaitable que tous les membres du peuple de Dieu “s’attachent aux Ecritures par une lecture assidue et une étude soigneuse!” (Dei Verbum DV 25). A cette fin, il faut des versions dans les différentes langues, mais aussi des aides pour la lecture, une initiation vraiment efficace, des commentaires brefs et substantiels, des orientations pour que l’application de la Parole inspirée à la vie quotidienne ne soit pas arbitraire ou même infidèle à son vrai sens.

C’est ce que vous tâchez de faire par votre travail délicat et sérieux, au plan international, fréquemment aussi en collaboration fructueuse avec d’autres organisations non catholiques qui ont un but semblable, et parmi lesquelles j’aime à citer l’Alliance biblique universelle.

Oui, chers Frères et Soeurs, votre travail et votre dévouement sont déjà très féconds et utiles à l’Eglise. Ils le seront toujours davantage si vous demeurez fidèles à ce que prescrivent vos statuts, c’est-à-dire si votre service de la Parole de Dieu se fait toujours en rapport étroit avec les évêques et les conférences épiscopales, et surtout avec le Siège Apostolique, auprès duquel vous êtes nés il y a quatorze ans déjà. Ce service, en effet, s’inscrit dans le cadre de la grande mission de toute l’Eglise: proclamer et actualiser la Parole de Dieu, une mission dont le Pape et les évêques sont les premiers responsables.

En invoquant la bénédiction du Seigneur sur vous-mêmes et sur votre oeuvre, je veux aussi Lui confier le ministère auquel vous consacrez vos forces, pour que la Fédération catholique pour l’apostolat biblique puisse toujours contribuer à la connaissance et à la diffusion de la Parole de Dieu



À L'OCCASION DU CENTENAIRE DE «LA CROIX»

Samedi, 23 avril 1983




Mesdames et Messieurs,

1. Je suis très heureux de vous recevoir et je remercie Monsieur Gélamur de la façon dont il a présenté votre groupe et le projet de “La Croix”.

Au-delà de vos personnes, je salue tous les lecteurs, à la fois bénéficiaires et soutiens fidèles de ce quotidien catholique, et toute l’équipe des rédacteurs dont je sais le travail ardu.

Vous voilà vous-mêmes pèlerins de cette Année jubilaire et, j’oserais dire, entraîneurs d’autres pèlerins, car vous avez des possibilités et une responsabilité spéciales pour faire saisir à l’opinion publique l’enjeu de la démarche de conversion proposée à tous les chrétiens, et le besoin de la Rédemption.

2. Vous célébrez le centenaire de La Croix, commémorant sa fondation en juin 1883, par les Pères Picard et Bailly, dignes fils du Père Emmanuel d’Alzon, le fondateur des Assomptionnistes. Vous avez derrière vous une période prodigieuse de vitalité, dont les archives contiennent des documents précieux pour toute l’histoire de l’Eglise en France depuis un siècle. Il est bon de se souvenir des initiatives courageuses qui l’ont jalonnée, des étapes-clef, des personnalités remarquables comme celles du Père Gabel, et surtout de l’esprit qui a généralement soutenu les rédacteurs et qui, dès le premier jour, “montrait la couleur” de La Croix: l’intention de témoigner haut et clair, à travers les événements, de la foi catholique, de la fidélité à l’Eglise, de l’attachement au Pape, du sens missionnaire, de la défense des valeurs humaines et chrétiennes, et cela d’une manière qui atteigne largement le peuple.

3. Vous avez dû, à plusieurs reprises - et tout récemment encore -, rajeunir la présentation. C’est un domaine technique que vous avez laborieusement étudié en voulant tenir compte à la fois des exigences du journalisme moderne et des besoins religieux actuels, surtout pour toucher les jeunes générations. Le choix de la meilleure formule relève évidemment de votre responsabilité, sans oublier que la forme est au service du fond qui, lui, ne saurait être seulement la résultante de la pensée des lecteurs actuels ou potentiels et des mentalités contemporaines, alors que le journal veut être une référence chrétienne et porter le message de l’Evangile. Il appartient aussi à l’épiscopat du pays de donner son appréciation sur ce service d’Eglise, et de le soutenir.

4. Le fait de représenter un journal catholique, ouvert aux préoccupations des autres chrétiens, de diffusion nationale et quotidienne, vous place dans une position hors pair, et l’on comprend que pour l’Eglise en France - mais aussi au delà de ses frontières, en particulier dans les pays francophones et à Rome même - on juge important et même indispensable de voir un journal comme La Croix maintenu et perfectionné, malgré les difficultés matérielles et les épreuves de toute sorte. Cela vous mérite une large reconnaissance et vous crée en même temps une grande responsabilité.

Ce disant, je n’oublie pas les autres efforts qui contribuent aussi à l’information religieuse: ceux de la presse de province de référence chrétienne, des revues hebdomadaires catholiques, et aussi les efforts des informateurs religieux de la presse neutre. Le nombre élevé de ces professionnels témoigne de l’intérêt que suscite l’Eglise en général ou les manifestations de sa vie, surtout depuis le Concile.

C’est en pensant à cet ensemble que je m’arrête maintenant à deux exigences de la presse catholique d’information. Elles concernent la vérité: la vérité dans la présentation de la réalité quotidienne, la vérité du témoignage apporté à la foi.

5. La vérité dans l’exposé et le commentaire des faits! Le sous-titre de La Croix - “L’événement” - vous engage à présenter les événements majeurs de votre pays, de la vie du monde, de l’Eglise. Il vous faut relever l’essentiel, et respecter l’authenticité de l’événement et ses différents aspects: a tout sur l’essentiel”, comme vous dites. Cela oblige évidemment à ne pas s’appuyer sur certaines informations fragiles reprises à des sources discutables, à ne pas grossir les faits de moindre importance, à ne pas céder à l’entraînement de l’opinion commune ou supposée telle, à la sollicitation dangereuse et intéressée du sensationnel, à ne pas s’inféoder à une option partisane, surtout quand il s’agit du domaine de la politique. Pour l’honnêteté, vous devez tenir jalousement à votre liberté, à votre indépendance, au service de la vérité. Et c’est là déjà un témoignage remarquable.

Quand on parle de faits significatifs, ce sont ceux qui importent pour un jugement objectif sur la réalité de la vie des hommes, sous l’aspect culturel, économique, politique, pédagogique, religieux... Une telle présentation favorisera une réflexion sur les valeurs qui fondent l’homme, et permettra de saisir l’appel évangélique qui en émerge. Pour ce qui est des faits religieux, l’informateur croyant fera oeuvre de vérité en s’efforçant de les montrer du dedans, en référence à l’intention de la foi et au mystère qui l’habite, et pas seulement de l’extérieur, ni même comme un simple fait culturel.

Vous aimez, comme le public, privilégier le “vécu”, les témoignages; le problème est alors de choisir, avec équilibre, ce qui va rendre compte le mieux, de la façon la moins partielle ou partiale, de la réalité globale; il faut aussi retenir que le “vécu” ne se confond pas forcément avec le “message”. Et cela m’amène au deuxième point.

6. La vérité dans le témoignage apporté à la foi.

Vous voulez que le journal soit pour l’opinion publique le plus représentatif de ce que pensent les chrétiens.

Là se pose d’abord la question de l’importance le l’information religieuse proprement dite. Il semble que la part réservée à celle-ci tende à diminuer dans les grands organes d’information (presse, radio, télévision), et il arrive souvent, hélas, qu’elle soit mal traitée, envisagée sous un angle très secondaire ou déformant. Cet état de fait provoque, dans une large portion de l’opinion publique du pays, formé en majeure partie de catholiques, et en particulier chez les chrétiens convaincus, une certaine frustration et une soif légitime d’être mieux informés sur ce qui leur tient à coeur, par exemple sur la façon dont l’Eglise accomplit sa mission multiforme. Où pourraient-ils trouver cette information religieuse mieux que dans un journal qui affirme son identité chrétienne? Et qui pourrait aider le plus à cette information si ce n’est le journaliste catholique qui a la possibilité et même le devoir de fournir à tous les éléments d’une meilleure compréhension, d’un dialogue en profondeur, où la réalité de la vie est regardée à la lumière de la foi? Il faut donc veiller à ne pas réduire les informations et les articles qui abordent les questions de foi.

Par ailleurs, vous comprendrez bien que ce serait une attitude équivoque, dangereuse et finalement suicidaire de se désolidariser de l’institution de l’Eglise, de l’Eglise hiérarchique, même si des lecteurs qui ont un peu perdu le sens ecclésial y invitent. Certes, il importe de ne pas se limiter aux manifestations officielles de l’Eglise: l’Eglise, c’est aussi la vie quotidienne des chrétiens et de leurs associations. Mais les institutions de l’Eglise sont elles-mêmes créatrices d’événements, aux très larges répercussions, et ce sont les orientations du Magistère, des Pasteurs responsables, qui permettent de vérifier la fidélité du vécu à la foi catholique.

La vie des chrétiens, elle, peut s’inscrire, en maints secteurs, dans des initiatives ou des opinions diverses. Et il est sain de rendre compte de ce pluralisme, dans un esprit de dialogue, à une heure où trop d’incompréhensions, de durcissements, d’intolérance opposent les groupes dans la société et dans l’Eglise. Cependant, la description de ce pluralisme chrétien, s’il veut être une référence chrétienne, suppose que soit nettement marqué ce qui est légitime dans les options, au plan doctrinal, éthique, liturgique, social, et que soient préservées et défendues les valeurs morales, comme le respect de la vie, de la dignité humaine, des libertés fondamentales, y compris l’information et l’enseignement, la protection des pauvres et des faibles... S’il s’agit d’autres options, rapportées par souci de la réalité, pour contribuer à donner un autre éclairage et toujours avec le respect des personnes, les lecteurs doivent avoir les moyens suffisants de discerner l’attitude cohérente avec la foi et le sens ecclésial.

7. Bref, le journal catholique lui-même dans son ensemble, et les rédacteurs qui s’y expriment en son nom, doivent témoigner en vérité de la foi chrétienne, de la foi de l’Eglise, au point que les lecteurs, quels qu’ils soient, soient sûrs d’y trouver la parole du croyant, du croyant fidèle, heureux de croire et d’adhérer à l’Eglise, sa mère, qu’il apprend à contempler et à aimer de l’intérieur. Cela fait partie de la fidélité sans laquelle, comme vous le disiez, vous perdriez votre raison d’être, et cela correspond à votre démarche d’aujourd’hui, à l’attachement à l’Eglise que vous professez et voulez fortifier auprès du successeur de Pierre. Et en même temps, les lecteurs y trouveront sur les différents événements un éclairage vrai, qui leur permettra de se former un jugement humain et chrétien apte à servir et à promouvoir tout l’homme, qui ouvrira les voies à l’espérance et à l’amour. N’est-ce pas, sur ces deux points, la note spécifique du journalisme catholique?

C’est tout un programme, suggéré par le titre significatif: “La Croix, l’événement”. Cela demande de l’honnêteté, des convictions chrétiennes trempées, et un art authentique. C’est, je crois, le Père Gabel, qui disait: “Le journaliste catholique est un médiateur, à propos de l’événement, entre la doctrine, les orientations de l’Eglise et son public”. Oui, un art difficile, mais passionnant, et si nécessaire! Je suis sûr que, dans le concert puissant et très discordant des médias, vous aurez à coeur de continuer à bien remplir votre mission, à relever le défi, dans le même esprit que vos célèbres devanciers. Je vous y encourage en implorant sur vous la lumière et la force de l’Esprit Saint. A vous-mêmes, aux Pères Assomptionnistes, aux rédacteurs et à tout le personnel de La Croix, aux lecteurs, et à vos familles, je donne ma Bénédiction Apostolique.



Discours 1983 - Samedi, 16 avril 1983