Discours 1983 - Samedi, 23 avril 1983


AUX MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL

Jeudi, 28 avril 1983




Chers Frères et Soeurs,

1. Vous êtes les bienvenus dans cette Maison! Je m’associe de tout coeur au jubilé de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, dont l’action m’est familière. Et j’accueille avec joie les responsables, les délégués qui représentent un nombre impressionnant de “Vincentiens”, témoins actifs de la charité, en équipe, en tant de pays du monde. Votre fidélité à l’Eglise est profonde et je sais votre attachement au successeur de Pierre, Evêque de l’Eglise qui a la vocation de présider à la charité. Votre Président international tient d’ailleurs toujours à rendre visite au Pape au début de son mandat.

2. Voilà donc 150 ans exactement que la première “Conférence de charité” a vu le jour à Paris: une initiative de jeunes laïcs chrétiens, groupés autour de Frédéric Ozanam. Il nous faut avant tout remercier Dieu pour ce cadeau qu’il a fait à l’Eglise en la personne d’Ozanam. On demeure émerveillé de tout ce qu’a pu entreprendre pour l’Eglise, pour la société, pour les pauvres, cet étudiant, ce professeur, ce père de famille, à la foi ardente et à la charité inventive, au cours de sa vie trop vite consumée! Son nom reste associé à celui de saint Vincent de Paul qui deux siècles plus tôt, avait fondé les Dames de la Charité, sans que l’équivalent ait encore pu être institué pour les hommes. Et comment ne pas souhaiter que l’Eglise mette aussi Ozanam au rang des bienheureux et des saints?

Vincent de Paul, Ozanam ne furent que les pionniers d’un “réseau de charité” qui s’est étendu sur le monde. Il nous faut rendre grâce aussi pour tout ce que l’Esprit Saint a suscité dans le coeur de leurs disciples, pour ce qu’il a réalisé par eux, par l’oeuvre de votre Société, à travers les cinq continents.

3. Cet engagement de charité, c’est le coeur de l’Evangile, et il est plus que jamais d’actualité.

Certes, ce qui préoccupe l’Eglise, c’est de répandre la foi, de la nourrir ou de la réveiller, par la prédication, l’enseignement, la prière. Précisément, Ozanam s’était aussi et d’abord soucié de faire face à l’indifférence religieuse et à l’incroyance de son temps. Mais il a bien saisi que travailler à soulager la détresse des pauvres était la façon de mettre en pratique l’Evangile et même de ranimer la foi, de la fortifier et de la rendre crédible.

On ne saurait par ailleurs opposer justice et charité. Ozanam lui-même a préconisé d’audacieuses mesures pour améliorer, en droit, les conditions de vie du milieu ouvrier naissant. Il était un des précurseurs du mouvement social couronné par l’encyclique Rerum Novarum. Mais il savait aussi que la charité n’attend pas: elle aide l’homme concret qui souffre aujourd’hui. Il se trouve sans doute encore des gens pour penser que la charité que vous pratiquez risque de freiner, avec ses petits soulagements, le processus nécessaire pour créer une société humaine entièrement renouvelée et libérée de l’injustice. Cela ne doit pas vous troubler. Bien sûr, il faut toujours prendre parti contre l’injustice, et précisément pour protéger à long terme les petits et les démunis dont vous vous souciez tant. Mais c’est la même charité qui suscite l’un et l’autre effort. Et il ne suffit pas non plus de réfléchir généreusement sur l’amour envers l’humanité entière: il faut aimer concrètement celui que l’Evangile appelle le prochain, qui est proche ou dont on se fait proche. Aucun système social, même s’il se veut fondé sur la justice, et même aucune aide organisée, qui est certes bien nécessaire, ne dispensera l’homme de se tourner avec tout son coeur vers son semblable. C’est même sa façon d’aimer Dieu qu’il ne voit pas (Cfr. 1Jn 4,20).

4. Cette charité concrète est donc votre vocation première, votre spécialité. Elle se traduit par beaucoup de réalisations à caractère social, car vous savez faire face aux besoins qui se font jour aussi bien chez les enfants démunis que chez les personnes âgées, solitaires, chez les migrants, les réfugiés, les mal logés, chez les malades et les handicapés, chez les prisonniers, les marginaux de toute sorte, chez les victimes des catastrophes. Vous joignez ainsi vos efforts à ceux de beaucoup d’autres organisations, mouvements, initiatives, des communautés chrétiennes ou de la société civile. Il me semble qu’on pourrait cependant relever le charisme spécial que vous avez pour le contact personnel, pour la visite de celui qui a besoin d’une aide spirituelle ou matérielle, d’un partage d’amitié. Et vous cherchez à le faire sans tapage, discrètement, en tout respect des personnes. C’est une note précieuse dans l’anonymat et la dureté de notre civilisation. Si on ne regardait que les foules, on ne commencerait jamais, mais chaque personne est unique.

5. Au plan de vos moyens institutionnels, vous essayez de former d’abord une équipe d’amis. Comme le voulait Ozanam, vous puisez, dans les fréquentes réunions de vos Conférences, non seulement des moyens pratiques de connaître et de servir de façon organique les pauvres qui vous entourent, mais un approfondissement spirituel, une réflexion chrétienne, qui équilibre prière et action. Car il faut se laisser transformer par les paroles du Christ pour le rendre présent dans notre monde.

Je suis heureux de savoir que des jeunes de plus en plus nombreux forment des équipes vincentiennes ou entrent dans les équipes d’aînés: je souhaite qu’ils apportent un élan nouveau, des idées nouvelles, peut-être un style nouveau, mais toujours dans le même esprit; ainsi grâce à un accueil réciproque, toute votre Société pourra en tirer bénéfice et envisager l’avenir avec sérénité.

Tout en gardant bien ce qui distingue votre initiative de laïcs chrétiens, vous devez aussi avoir à coeur de travailler en liaison avec toute l’Eglise: par exemple avec les pasteurs de chacun de vos diocèses, avec d’autres instances diocésaines, surtout avec celles qui poursuivent comme vous un but caritatif, afin de prendre votre place dans une pastorale d’ensemble qui ne saurait se passer de concertation et qui peut bénéficier de votre témoignage en même temps qu’elle ouvre vos préoccupations aux diverses dimensions de l’Eglise. Le Concile Vatican II a insisté sur cette concertation.

Au plan international, les deux organismes du Saint-Siège qui sont ici représentés sont habilités à avoir un dialogue fructueux avec vous: le Conseil pontifical pour les laïcs, qui s’intéresse à votre engagement de laïcs, et le Conseil pontifical “Cor Unum”, dont votre Société est membre et qui a, entre autres, la vocation de stimuler et d’harmoniser l’élan de charité dans l’Eglise.

6. Chers amis, continuez et renouvelez sans cesse, dans le même esprit, une oeuvre si bien commencée, si bien implantée en différents pays, qui fait tant de bien et où tant de chrétiens trouvent l’engagement qui leur convient. Donnez le témoignage concret que l’Evangile vécu est une force humanisante, en même temps qu’une révélation de l’amour de Dieu. Et par vous, malgré les faiblesses et les pauvretés que nous portons tous, c’est le Christ qui s’approche de tous ces visages qui ont besoin d’aide concrète, de tendresse, de présence humaine, d’espoir. Et ces gens secourus vous apportent à vous-mêmes un élargissement du coeur et une grâce.

Que Dieu vous éclaire et vous fortifie dans cet engagement de charité! Et moi, de tout coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique, que j’adresse aussi à tous les membres des équipes de la Société de Saint-Vincent-de-Paul.

- saluts anglais, espagnols -



AU CONSEIL DE LA SECRÉTAIRERIE GÉNÉRALE DU SYNODE DES ÉVÊQUES

30 avril 1983



Très chers Frères,

1. Au cours de la dernière réunion du Conseil de la Secrétairerie Générale du Synode des Évêques, vous avez jeté les bases de l'Instrumentum laboris, et vous avez voulu proposer une session spéciale consacrée de façon particulière aux problèmes internes de cette institution ecclésiale, jeune certes, mais pourtant déjà bien expérimentée. Aux travaux ordinaires vous avez ajouté une fatigue supplémentaire. Et, vous êtes maintenant sur le point de terminer. Je vous remercie de tout coeur, et je remercie également les membres de la Secrétairerie et les experts qui, grâce à leur étude approfondie, ont fourni une large base à votre réflexion sur le fonctionnement du Synode des Évêques.

Votre réunion fut comme la pause d'un ouvrier qui, après avoir accompli une partie de son travail, s'arrête un instant pour considérer à nouveau les motifs qui l'ont poussé et reprendre courage pour terminer son travail. Le Synode des Évêques a germé sur le terrain fertile du Concile Vatican II, il a pu voir le jour grâce à la sagacité de mon prédécesseur, Paul VI, et a commencé à porter ses fruits dès la Première Assemblée Ordinaire de 1967, qui s'est déroulée ici-même où nous nous trouvons. Dès lors, le Synode des Évêques s'est réuni régulièrement, mais en faisant quelquefois l'expérience d'un autre type d'Assemblée, et a contribué de façon considérable à l'application des enseignements et des orientations doctrinales et pastorales du Concile Vatican II dans la vie de l'Église universelle. La liste abondante des thèmes traités au cours des divers Synodes révèle en elle-même l'importance de ces Assemblées pour l'Église et pour la mise en oeuvre des réformes voulues par le Concile.

Devant l'abondance des fruits déjà produits par cette jeune institution ecclésiale, et devant les fruit potentiels, il est juste avant tout de remercier la création et en guider l'action. Mais il était également juste, après quelques années, de réfléchir en fonction de l'expérience déjà acquise.

2. Le Synode des Évêques a donc rendu de grands services au Concile Vatican II et il peut en rendre encore dans l'application et le développement des orientations conciliaires. L'expérience de la période post-conciliaire démontre clairement dans quelle mesure considérable l'activité synodale scande le rythme de la vie pastorale dans l'Église universelle.

Au cours des Assemblées synodales chaque Église locale de tous les continents est représentée par ses délégués pastoraux respectifs. Au cours de la phase de préparation, les Églises locales sont consultées et ce sont ensuite les évêques qui rapportent leur expérience de leur vie de foi. Durant l'Assemblée les informations et les propositions sont échangées; et à la lumière de l'Évangile et de la doctrine de l'Église on détermine des orientations communes qui, après avoir été approuvées par le Successeur de Pierre, sont appliquées dans ces Églises locales afin que l'Église toute entière puisse maintenir la communion dans la pluralité des cultures et des situations. De cette façon le Synode des Évêques est la confirmation magnifique de la réalité de l'Église dans laquelle le collège épiscopal «composé de nombreux évêques, exprime la variété et l'universalité du Peuple de Dieu, et, réuni sous un seul chef, représente l'unité du troupeau du Christ» (Lumen gentium LG 22).

Le Synode est évidemment l'instrument de la collégialité ainsi qu'un facteur puissant de communion différent d'un Concile OEcuménique. Il s'agit toujours d'un instrument efficace, agile, opportun, ponctuel au service de toutes les Églises locales et de leur communion réciproque. Cette finalité qui accompagne toujours ce «conseil permanent spécial des pasteurs», a toujours été présente à votre esprit depuis son institution; comme l'a dit Paul VI dans sa Lettre Apostolique Apostolica sollicitudo afin que, «même après le Concile, continue de parvenir au peuple chrétien cette abondance de bienfaits retirés durant le Concile de cette union vivante avec nos évêques». L'apport sans cesse croissant des bénéfices qu'offre le Synode dépend en grande partie de l'application concrète des conclusions synodales sous la houlette des Pasteurs et des Conférences épiscopales dans leurs Églises locales. Cette phase post-synodale demande par conséquent une grande attention et un soin particulier.

3. Le Synode des Évêques puise sa force dynamique - comme vous l'avez remarqué - dans l'exacte compréhension et la vie de la collégialité des évêques. Le Synode est en fait une expression particulièrement fructueuse et un instrument valide de la collégialité épiscopale, c'est-à-dire la responsabilité particulière des évêques autour de l'Évêque de Rome.

Le Synode est une forme d'expression de la collégialité des évêques. Tous les évêques de l'Église avec à leur tête l'Évêque de Rome, Successeur de Pierre, «fondement et principe perpétuel et visible de l'unité» (Lumen gentium LG 23) de l'épiscopat forment le collège qui succède au collège apostolique avec à sa tête Pierre. La solidarité qui les unit et la sollicitude à l'égard de l'Église toute entière se manifestent à un très haut degré quand tous les évêques sont réunis cum Petro et sub Petro au Concile OEcuménique. Entre le Concile et le Synode il y a évidemment une différence qualitative, mais malgré cela le Synode exprime la collégialité de façon extrêmement intense même si elle est différente de celle du Concile.

Cette collégialité se manifeste principalement dans la façon collégiale de s'exprimer des pasteurs des Églises locales. Quand ces derniers, plus particulièrement après une bonne préparation communautaire dans leurs Églises et une bonne préparation collégiale lors des Conférences épiscopales, conscients de leurs responsabilité pour leurs Églises particulières mais aussi dans leur sollicitude pour l'Église universelle témoignent en commun de la foi et de la vie de la foi, leur décision, si elle est pratiquement unanime, a un poids qualitatif ecclésial qui dépasse le simple aspect formel d'un vote consultatif.

La vitalité d'un Synode dépend en fait de l'intensité de sa préparation au niveau des communautés ecclésiales et des Conférences épiscopales; plus la collégialité entre les évêques qui exprime la communion dans les Églises locales fonctionne de façon concrète, plus la contribution qu'ils apportent à l'Assemblée synodale est riche. L'exercice de la collégialité des pasteurs au Synode devient un échange réciproque qui sert tout autant à la communion des évêques qu'à celle fidèles et, en définitive, à l'unité, toujours plus profonde et organique de l'Église. Le Synode est donc au service de la communion ecclésiale qui est l'unité même de l'Église dans sa dimension dynamique.

Dans le mystère de l'Église tous les éléments trouvent leur place et leur fonction. Ainsi, de par sa fonction, l'Évêque de Rome s'insère profondément dans le corps des évêques, il est le centre et le pivot de la communion épiscopale; son primat, qui est un service pour le bien de toute l'Église, le met dans une situation d'union et de collaboration plus intense. Le Synode même fait ressortir le lien intime entre la collégialité et le primat: la charge du Successeur de Pierre est aussi un service à la collectivité des évêques de même que la collégialité effective et affective représente une aide importante au service primatial de Pierre.

4. À l'instar des institutions humaines, le Synode des Évêques lui aussi s'accroît et pourra encore grandir et développer ses capacités comme l'avait d'ailleurs prévu mon prédécesseur dans le lettre Apostolica sollicitudo. Certaines formes synodales, bien qu'elles aient déjà été prévues, n'ont pas encore été réalisées de façon adéquate. Vous avez vous-mêmes examiné les différentes possibilités de procédure et de méthodes et les différentes propositions qui ont été faites depuis l'existence de cet Institut. Pour ma part, je peux vous assurer de la très haute considération que j'ai envers la fonction du Synode des Évêques dans l'Église et de la très grande confiance que j'ai dans son activité au service de l'Église universelle.

C'est dans ce contexte que je renouvelle ma considération et mes remerciements pour les travaux que vous avez accomplis, invoquant sur vos travaux la Bénédiction de Dieu et la protection de la Mère de l'Église.



AUX ÉVÊQUES DU ZAÏRE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 30 avril 1983




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Cette réunion fraternelle marque l’un des sommets de votre visite “ad Limina”. Pour ma part, je suis très heureux de vous accueillir tous ensemble. Je remercie votre interprète, Mgr Kabanga Songasonga, des sentiments de confiance qu’il m’a exprimés, et je vous remercie tous de ces dialogues francs et ouverts que vous avez déjà eus avec moi et, j’espère, avec les Dicastères, au cours de ces journées romaines. J’essaie d’avoir bien présents à l’esprit les signes d’espérance et les problèmes de vos seize diocèses des provinces de Lubumbashi et de Kabanga. J’en ai déjà abordé un certain nombre avec vos confrères qui vous ont précédés. Aujourd’hui, il me paraît opportun de consacrer une réflexion plus approfondie à l’un des problèmes clés que votre Conférence m’a d’ailleurs soumis comme prioritaire: celui de la “théologie africaine”, c’est-à-dire de la contribution africaine à la recherche théologique.

2. Dans ses aspects généraux, du reste, ce problème n’est pas nouveau pour l’Eglise. Les premiers chapitres du Livre des Actes montrent bien comment Pierre et les autres apôtres ont d’abord vécu en symbiose avec l’atmosphère juive de Jérusalem. Mais bientôt s’est posée à eux la question des Hellénistes, c’est-à-dire des disciples - juifs ou païens - qui étaient de culture grecque. Deux siècles ne s’étaient pas écoulés que naissait une troisième forme de “chrétienté”, les Eglises latines. Pendant des siècles ont ainsi cohabité des Eglises judéo-chrétiennes, des Eglises orientales et des Eglises latines. Cette diversité a parfois été accentuée jusqu’à des tensions et des schismes. Il n’empêche que la coexistence de ces diverses Eglises reste la manifestation la plus typique et à bien des égards la plus exemplaire d’un légitime pluralisme dans le culte, la discipline, les expressions théologiques, ainsi que l’indique le décret Unitatis Redintegratio du II Concile du Vatican (Cfr. Unitatis Redintegratio UR 14-18).

3. Deux traits caractérisent l’unité des Eglises locales répandues à travers le monde: leur fidélité au Christ Fondateur, et leur structure hiérarchique, qui assurent à la fois la continuité avec le Christ et la communication entre les Eglises particulières.

Quand on songe aux liens de nos assemblées chrétiennes avec le Seigneur Jésus, on en revient toujours aux paroles essentielles de l’Evangile. En quelque rite qu’ils célèbrent l’Eucharistie, les évêques et les prêtres rappellent, après la consécration, les paroles de Jésus à la dernière Cène: “Hoc facite in meam commemorationem” (Lc 22,19). Et d’une façon plus générale, la mission de l’Eglise se résume dans les dernières directives du Christ aux Onze: “Euntes ergo docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, docentes eos servare omnia quaecumque mandavi vobis” (Mt 28,19-20). On trouve ici les trois conditions essentielles de la présence perpétuelle du Seigneur (“et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus...”): une foi commune, une vie sacramentaire inaugurée par le baptême, un programme de vie centré sur les exigences de la foi.

Nous rencontrons ici en même temps les données qui viennent de la foi, de la culture et de l’histoire. La distinction de ces trois niveaux est certes nécessaire à qui veut étudier de près l’inculturation de la vie chrétienne. Il n’en reste pas moins que, dans ses origines, le christianisme dépend de ces trois éléments étroitement unis.

4. C’est encore dans la perspective de l’apostolicité que je voudrais insister sur une autre condition du pluralisme légitime: celle du caractère hiérarchique de l’Eglise de Christ, d’où découle un rôle fondamental de la hiérarchie dans sa double mission de magistère et de sacerdoce. Il est évident que tous les chrétiens d’Afrique ne participent pas de la même manière à l’élaboration d’une théologie. De même, il faut écarter vigoureusement l’idée que vis-à-vis des ministères et des sacrements, tous les membres des communautés chrétiennes ont les mêmes responsabilités et les mêmes pouvoirs. Dès l’époque apostolique, l’Eglise apparaît comme structurée; à côté des fidèles, il y a les apostoli, les viri apostolici, avec leurs successeurs les évêques, les prêtres, les diacres. Aussi bien dans la prédication et la pastorale que dans le service eucharistique, les fonctions: sont diverses. Il ne s’agit pas de domination, mais de service, d’une mission toute spéciale qui assure la présence du Seigneur Jésus auprès d’un groupe de fidèles, mais aussi qui fonde la communauté de toutes les Eglises locales dans l’Eglise unique et parfaite qui est l’Epouse du Christ.

Il fut peut-être un temps où certains ont insisté trop exclusivement sur l’autorité du magistère dans l’organisme de la vie de la foi. Le II Concile; du Vatican a mis justement en évidence le fait que la compréhension de la Révélation s’accroît non seulement par “la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme qui certifie la vérité”, mais aussi par “la contemplation et l’étude des croyants” et “l’intime intelligence des réalités spirituelles dont ils font l’expérience” (Dei Verbum DV 8). De leur côté, les théologiens se sont vu reconnaître une place importante dans l’Eglise. Ils sont les “coadjuteurs” formels du magistère, notamment dans l’approche des questions nouvelles, dans l’approfondissement technique de l’étude des sources de la foi. Il n’en reste pas moins que seuls le Pape et le Collège épiscopal sont les organes du magistère et que ce magistère ne se délègue pas (Cfr. Pauli VI Allocutio Membris Commissionis Theologicae Internationalis, primum plenarium Coetum habentibus, die 6 oct. 1969: Insegnamenti di Paolo VI, VII [1969] 648 ss.).

Dans le jaillissement de la vie, dans le bouillonnement de la recherche intellectuelle comme dans les réflexions sociologiques sur l’inculturation de la foi, bien des idées peuvent s’exprimer, bien des expériences peuvent être tentées. Mais n’oubliez pas que c’est à vous, les évêques, en union avec le successeur de Pierre, qu’il revient de juger en dernier ressort de l’authenticité chrétienne des idées et des expériences. Le charisme de notre ordination entre ici en jeu, car nous sommes Docteurs et Pères dans la foi. Un des critères de votre jugement sera d’ailleurs la possibilité de communiquer avec les autres Eglises locales. Légitimement fiers de votre spécificité africaine, vous n’en avez pas moins le devoir d’échanger au sujet de vos expressions et de vos modes de vie avec les autres communautés chrétiennes. Ce faisant, vous êtes les garants de l’unité de l’Eglise, et vous contribuez à un enrichissement réciproque.

5. Si certaines manières de comprendre le sensus fidelium rappelé par le II Concile du Vatican ont pu être abusives, il en a été de même pour le sacerdoce commun des fidèles. Reprenant les termes de la première Lettre de Pierre, le Concile a déclaré que le peuple de Dieu forme un communauté sacerdotale et royale. Il n’en a pas moins marqué aussi toute la différence entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun. Pour célébrer l’Eucharistie, pour pardonner les péchés, pour assurer la plénitude de la vie sacramentelle, les ordinations sont nécessaires. Le Christ a choisi les Douze et leur a donné des pouvoirs spécifiques. Je l’ai encore rappelé dans la lettre adressée pour le Jeudi saint de cette année à tous les prêtres (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Epistula ad universos Ecclesiae Sacerdotes adveniente feria V in Cena Domini anno MCMLXXXIII, die 27 mar. 1983). En suivant les directives du Christ, les apôtres ont organisé des ministères pourvus de responsabilités et de pouvoirs bien précis. Certains ont malheureusement oublié ces éléments capitaux de la foi dans les années qui suivirent le Concile. Rapidement quelques théologiens ont prétendu “remodeler” les ministères. Mais, qui ne le voit? Un ministre désigné par la communauté, ou comme on le dit parfois par la “base”, ne peut être le légitime collaborateur des évêques et des prêtres. Il ne se rattache pas à la vénérable tradition apostolique qui de nous aux Douze puis au Seigneur marque la persistance historique de l’imposition des mains pour la communication de l’Eprit du Christ.

6. Toutes ces remarques ne veulent avoir rien de négatif. Il s’agit de poser les fondements valables d’une authentique contribution africaine à la recherche théologique, de rechercher les conditions auxquelles l’inculturation africaine du christianisme - dont vous êtes légitimement soucieux - sera fructueuse et bénéfique. Il n’y va pas seulement de la vie chrétienne de l’Afrique, il s’agit aussi d’enrichir l’Eglise tout entière par de nouvelles approches des mystères de Dieu comme par un progrès spirituel et moral montrant toutes les exigences chrétiennes dans l’action.

Quelles sont donc les grandes tâches qui attendent la “théologie africaine”? Lorsqu’on examine les livres et les articles déjà publiés à ce sujet, ou encore les motions de telle ou telle réunion, on s’aperçoit que deux grandes voies de réflexion lui sont ouvertes: une réflexion doctrinale sur l’identité africaine, et une lecture des données fondamentales du christianisme.

En ce qui concerne le problème de l’identité africaine, on a déjà vu paraître des ouvrages documentés sur l’être, la personnalité, la liberté, la conception du monde dans différentes ethnies. Ces livres soulignent ce qu’il y a de propre à chacune de ces ethnies et ce qui leur est commun. Cet aspect de synthèse se renforce encore quand on parcourt des ouvrages concernant la “philosophie de l’Afrique”. Le risque en ce domaine est de se renfermer sur soi-même. Mais l’épiscopat zaïrois a su guider ses théologiens, prêtres et laïcs, dans les voies d’une juste collaboration avec des centres d’études d’autres pays.

C’est a partir de ce genre de synthèse que vous allez vous retrouver, vous et vos fidèles, dans la situation de toutes les cultures. Il y a place ici pour bien des positions doctrinales différentes et plus ou moins légitimes. Vous êtes certainement conscients d’un danger: celui de laisser se constituer une philosophie et une théologie de l’“africanité” qui seraient uniquement autochtones et dépourvues de lien réel et profond avec le Christ; et dans ce cas, le christianisme ne serait plus qu’une référence verbale, un élément artificiellement surajouté. L’Europe médiévale a connu elle aussi des Aristotéliciens qui n’avaient plus de chrétien que le nom, comme par exemple les Averroïstes que saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure ont dû combattre avec vigueur. A l’époque actuelle, on peut percevoir le même danger dans les tentatives faites pour constituer un hégélianisme ou un marxisme prétendument chrétiens.

Il est bien vrai qu’“au pluralisme de recherche et de pensée, qui explore et expose le dogme de façons variées, mais sans en éliminer l’identique signification objective”, est reconnu “un droit de cité légitime dans l’Eglise, en tant que composante naturelle de sa catholicité, et signe de la richesse culturelle et de l’engagement personnel de tous ceux qui en font partie” (Pauli VI Paterna cum Benevolentia, IV, die 8 dic. 1974: Insegnamenti di Paolo VI, XII [1974] 1277). Mais vu le rapport étroit entre la théologie et la foi, un pluralisme théologique qui ne tiendrait pas compte du patrimoine commun de la foi et des bases communes de la pensée humaine qui fondent une réciproque possibilité de compréhension deviendrait dangereux pour l’unité même de la foi: “Ceterum nos omnes fidem accepimus per continuatam planeque constantem traditionem” (Cfr. Pauli VI Allocutio E. mis Patribus Cardinalibus et Exc. mis Praesulibus e Synodo Episcoporum, cum tertius generalis Coetus exitum haberet, die 26 oct. 1974: Insegnamenti di Paolo VI, XII [1974] 1008). D’autre part, comme je l’ai rappelé moi-même aux professeurs et étudiants de l’Université Pontificale Grégorienne, la recherche théologique doit être conduite avec le discernement nécessaire: “Il y a en effet des optiques, des visées, des langages philosophiques véritablement déficients; il y a des systèmes scientifiques tellement pauvres et clos qu’ils rendent impossible une traduction et une interprétation satisfaisantes de la Parole de Dieu” (Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad academicas Auctoritates, Professores et Alumnos Pontificiae Universitatis Gregorianae, aggregatorumque Institutorum, in eiusdem Athenaei aedibus habita, 5, die 15 dec. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II/2 [1979] 1423).

7. Mais autre chose est de transformer le christianisme en “culturalisme”, autre chose est de se servir d’une culture pour retraduire en des mots nouveaux et dans des perspectives nouvelles le donné biblique traditionnel. Dans cette tâche, l’oeuvre théologique réalisée en Afrique peut assurément rendre bien des services, à condition qu’à la base de la lecture qu’elle entreprend, il y ait la Bible, les Conciles, les documents du Magistère connus dans leur authenticité et leur intégralité. C’est en ce sens qu’à la fin du second siècle, saint Irénée soulignait fortement cette source commune et l’enjeu de l’unité: “Cette prédication qu’elle a reçue et cette foi que nous avons exposée, l’Eglise, tout en restant répandue dans le monde entier, la garde scrupuleusement, comme si elle vivait en une demeure unique... Ni les Eglises qui ont été fondées en Germanie, ou en Ibérie, ou chez les Celtes, ni celles de l’Orient, d’Egypte ou de Libye, ni celles qui sont au milieu du monde (à Jérusalem) ne diffèrent quant à la foi ou à la tradition” (Cfr. S. Irenaei Adversus haereses: , pp. 550-554). C’est cette fidélité que je recommandais dans mon discours à la Faculté de théologie de Kinshasa comme condition pour promouvoir valablement la recherche et l’enseignement théologiques dans votre pays. Et j’ai appris avec joie qu’actuellement, beaucoup de colloques théologiques organisés dans une perspective africaine réservent une place de choix à la Révélation, dans ses expressions bibliques et ecclésiales.

8. A la lumière de ces réflexions générales, bien d’autres problèmes concrets peuvent encore retenir notre attention, par exemple ceux de la famille chrétienne, ceux de la justice au plan des structures communautaires, du développement et du progrès économique. Je pense aussi à l’évangélisation et à la fidélité chrétienne des milieux intellectuels et dirigeants qui vous préoccupent à bon droit. Et par ailleurs vous me parlez souvent des sectes qui entament ici ou là l’unité catholique, ce qui semblerait souligner, entre autres, la nécessité d’une foi plus mûre, plus réfléchie, plus vivante et surtout plus consciente de la nécessaire référence apostolique.

Toute cette oeuvre pastorale requiert une grande unité entre tous les évêques du Zaïre. Pour ma part, sachez que j’encourage de tout coeur les efforts méritoires et concertés que vous faites quotidiennement pour instruire le peuple de Dieu et le guider vers la sainteté, pour soutenir le zèle pastoral, le discernement et la vie spirituelle de vos prêtres. Que ceux-ci se consacrent totalement à ce qui est spécifique de leur ministère sacerdotal, sans participer directement à la politique qui relève des laïcs. Avec eux, continuez à former les laïcs à leurs diverses responsabilités ecclésiales et sociales; entraînez les uns et les autres dans la démarche de conversion et de pénitence mise en relief par l’Année sainte de la Rédemption, et fortifiez-les tous dans l’espérance que le mystère de Pâques nous a ouverte. Je continuerai à porter vos intentions auprès du Seigneur et de sa sainte Mère. Et je recommande à votre prière le ministère qui m’a été confié pour l’unité et la fidélité de toute l’Eglise. De tout coeur, je vous bénis et je vous demande de transmettre ma cordiale Bénédiction Apostolique à chacune de vos communautés chrétiennes.



Mai 1983


Discours 1983 - Samedi, 23 avril 1983