Discours 1983 - Samedi, 30 avril 1983


AUX MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS AFRICAINES

Jeudi, 5 mai 1983




Cher Père Supérieur général,
Chers Frères dans le sacerdoce,

La société des Missions Africaines de Lyon a une longue et riche histoire: un peu plus de 125 ans. Si Monseigneur Marion de Brésillac, votre fondateur, vous parlait à ma place, je pense qu’il commencerait par remercier le Père Joseph Hardy d’avoir si généreusement porté le poids du généralat pendant 10 ans et qu’il encouragerait vivement son successeur, le Père Patrick Harrington, fils de la terre irlandaise, à poursuivre l’épopée missionnaire commencée en 1856. Je pense qu’à travers vous tous, délégués à cette Assemblée générale, il communiquerait un souffle de Pentecôte aux 1350 membres que vous représentez.

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt que Mgr Marion de Brésillac s’était proposé comme but de faire surgir en Afrique, au temps marqué par la Providence, des communautés ecclésiales capables de prendre en main leur avenir sous la houlette de pasteurs issus du terroir même; des communautés qui épanouiraient leurs propres cultures au contact de l’Evangile du Christ, l’Unique Rédempteur; des communautés qui seraient reconnues par les Eglises et les nations fondatrices comme dignes de respect et d’admiration, capables de créativité et de partage de leurs richesses originales. En somme, le rêve de votre fondateur est devenu une réalité.

Toutefois, j’imagine sans peine que ce constat vous pose aussi question, à vous qui n’êtes ni religieux, ni prêtres diocésains, mais uniquement des missionnaires vivant en société de vie apostolique. Votre question me semble être celle-ci: dans ces Eglises particulières qui deviennent de plus en plus africaines, avec leurs cadres, leur personnel, leurs légitimes recherches d’expression théologique et liturgique, leurs tentatives pastorales et leurs créations d’institut religieux autochtones, oui, dans ces Eglises, avez-vous encore votre place? Au cours de votre Assemblée, vous vous êtes profondément interrogés à ce sujet, dans un climat de fraternité et de loyauté, de prière et d’espérance.

Pour ma part, au nom du Seigneur et de l’Eglise, et demeurant très conscient des mutations qui se poursuivent et même se compliquent à peu près partout, je tiens à vous donner un encouragement majeur: retrouvez ensemble, aussi profondément que possible, I’inspiration de votre Père fondateur. Tournez-vous tous ensemble vers l’avenir, avec réalisme et optimisme, avec foi et sérénité. Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, à travers toutes vos provinces, renouvelez votre consécration missionnaire, qui consiste essentiellement à: être des témoins de l’Evangile de Jésus-Christ, seul vrai Libérateur et Rassembleur des hommes; et en priorité au milieu des Africains. Leur continent est actuellement un enjeu extrêmement important pour l’avenir du monde et de l’Eglise. Continuez à imprégner votre témoignage missionnaire d’un respect toujours plus grand de ce que sont les Africains, sans jamais perdre pour autant votre propre identité. C’est dans un! dialogue constant avec les hommes, les femmes et les jeunes de différents pays d’Afrique qu’il vous faut être missionnaire. Je tiens à préciser qu’il importe de tout faire pour que vous soyez reconnus explicitement et acceptés fraternellement comme des hommes, qui se consacrent à la proclamation de l’Evangile au milieu de ceux qui n’en ont jamais entendu parler - ils sont légions! - et surtout parmi les plus pauvres. C’est bien ce chemin qui fait et fera de vous des témoins de la catholicité de l’Eglise, aussi bien dans les diocèses qui vous accueillent que dans vos diocèses d’origine. Vous ferez progresser dans les premiers comme dans les seconds l’ouverture à la mission, l’éveil de nouvelles vocations missionnaires, la création de liens concrets entre les Eglises plus anciennes et les Eglises plus jeunes. Vous contribuerez à faire entendre aux peuples riches la voix de ce tiers monde trop laissé pour compte et même lamentablement exploité.

Chers Pères et Frères des Missions Africaines, votre oeuvre missionnaire est loin d’être achevée! Mgr de Brésillac comme vos devanciers les plus ardents vous supplient d’être des serviteurs tout nouveaux de l’Evangile, des signes transparents de communion et de partage entre les Eglises, des apôtres constamment et humblement attentifs aux valeurs culturelles des peuples, aux richesses des autres Eglises, des autres religions, tout en demeurant loyalement fidèles à votre identité et clairement responsables du témoignage total rendu à l’Evangile du Seigneur Jésus.

En terminant, permettez moi de vous livrer encore une conviction. Vous êtes, et vous serez de bons ouvriers de la mission, de son avenir, à condition d’accepter profondément et concrètement les exigences quotidiennes de la conversion individuelle et communautaire. N’est-ce pas votre style de vie qui a toujours besoin d’être évangélisé? N’est-ce pas votre formation missionnaire qui a toujours besoin d’être revue et complétée? N’est-ce pas le Christ lui-même qui attend une complète ouverture des portes de notre coeur?

Fils de Mgr de Brésillac, allez de l’avant! L’Afrique a grand besoin de vous, “afin qu’elle grandisse, parce que vous aurez su vous faire tout petits”, pour reprendre en quelque sorte les paroles de Jean-Baptiste. Je suis heureux de vous dire la confiance de l’Eglise, son soutien. Persévérez vous aussi dans votre dialogue avec la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples. Comme tous les dicastères romains, la vocation de celui-ci est d’être à votre service. Je crois qu’un travail de mise à jour de vos Constitutions est en train de se faire. Puise-t-il aboutir au mieux et sans trop tarder! C’est avec ferveur que j’invoque sur votre nouveau Supérieur général et sur son Conseil, sur les délégués de l’Assemblée et sur tous les membres des Missions Africaines, de très abondantes grâces de paix et de joie évangéliques, d’adaptation apostolique judicieuse et persévérante, d’amour brûlant de Jésus-Christ et de son Eglise.



AUX PÈLERINS SUISSES

Samedi, 7 mai 1983




Mesdemoiselles,
Mesdames,
Messieurs,

Soyez les bienvenus dans cette Maison pontificale qui est familière à vos compatriotes, puisque ce sont des Suisses qui en assurent la garde, avec le soin, la vigilance, la régularité, la dignité la courtoisie qui figurent parmi leurs qualités natives. Hier, vous avez pu assister à leur serment de fidélité, et aujourd’hui, vous me rendez une visite dont je vous remercie.

Vous venez de plusieurs cantons suisses et vous évoquez pour moi ce beau pays pour lequel j’avais projeté une visite pastorale qui a dû être remise, mais que j’ai le ferme espoir de réaliser bientôt. Les costumes splendides que vous portez, les beaux chants alpins que vous exécutez, avec les expressions musicales et sportives qui les accompagnent, manifestent la beauté et la variété de vos traditions, l’attachement légitime à votre propre région, à son passé riche d’histoire, de sens patriotique et de foi chrétienne. Tout cela constitue un patrimoine humain dont vous pouvez être fiers, et je vous invite à y voir un don de Dieu qui vous a permis d’être ce que vous êtes, de tisser en vous et en vos familles le meilleur de vous-mêmes.

Voller Freundschaft nehmen in eurem Nationalverband die einzelnen Gruppen in ihren verschiedenen Ausdrucksformen einander an und formen so Gemeinschaft, wie Gott es sich vom Menschen wünscht: Gemeinschaft, in welcher die Unterschiede nicht getilgt, sondern bejaht werden und zur Schönheit, zum Reichtum und zur Lebendigkeit des Ganzen beitragen. So ist es auch in der Kirche: all die verschiedenen Glieder sind berufen, einen Leib zu bilden.

Un das ist mein Wunsch für euch: Strahlt Freude aus, verbreitet um euch den Sinn für das schöne und die Gesinnung der Freundschaft! Helft den einzelnen, den Familien, den Gemeinden und den verschiedenen Institutionen eures Landes, die Mitte ihrer Kultur neu zu entdecken und zu entfalten: Achtung des Menschen, Liebe zum Vaterland, Glaube an Gott, Verbindung mit Christus, Fühlen mit der Kirche, ehrliche und für alle offene Güte!

Von ganzem Herzen erbitte ich euch und allen, die euch nahestehen, den Segen unseres Herrn.



À UN GROUPE DE SAVANTS ET DE CHERCHEURS

Lundi, 9 mai 1983




Mesdames et Messieurs,

1. En m’adressant à vous, qui représentez avec honneur les riches horizons de la science moderne, je désire d’abord vous remercier cordialement de votre visite et vous dire que votre présence ici ce matin prend à mes yeux une valeur hautement symbolique, car vous attestez qu’entre l’Eglise et la science un fécond dialogue est en train de s’approfondir.

Et je ne suis pas seul à vous accueillir. Mes Confrères les Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine présents à Rome, et d’autres personnalités du Saint-Siège - que je suis heureux de saluer avec vous et que je remercie également de leur présence - attestent l’importance que l’Eglise attribue à ce dialogue.

Nous avons en mémoire une époque où entre la science et la foi s’étaient développées de graves incompréhensions, résultats de malentendus ou d’erreurs, que seules d’humbles et patientes révisions réussirent progressivement à dissiper. Aussi faut-il nous réjouir ensemble que le monde de la science et l’Eglise catholique aient appris à dépasser ces moments de conflits, compréhensibles sans doute, mais néanmoins regrettables. Ce fut le résultat d’une plus exacte appréciation des méthodes propres aux divers ordres de connaissance et le fruit d’une plus rigoureuse attitude d’esprit apportée à la recherche.

L’Eglise et la science elle-même en ont tiré un grand profit, en découvrant par la réflexion et par l’expérience, parfois douloureuse, quelles sont les voies qui mènent à la vérité et à la connaissance objective.

2. A vous, qui vous apprêtez à évoquer le 350e anniversaire de la publication du grand oeuvre de Galileo Galilei, “Dialoghi sui due massimi sistemi del mondo”, je vous dirai que l’expérience vécue par l’Eglise, à l’occasion et à la suite de l’affaire Galilée, a permis une maturation et une compréhension plus juste de son autorité propre. Je répète devant vous ce que je disais le 10 novembre 1979 devant l’Académie Pontificale des Sciences: “Je souhaite que des théologiens, des savants et des historiens, animés par un esprit de sincère collaboration, approfondissent l’examen du cas Galilée et, dans une reconnaissance loyale des torts, de quelque côté qu’ils viennent, fassent disparaître les défiances que cette affaire oppose encore, dans beaucoup d’esprits, à une concorde fructueuse entre science et foi, entre Eglise et monde. Je donné tout mon appui à cette tâche qui pourra honorer la vérité de la foi et de la science et ouvrir la porte à de futures collaborations” (Ioannis Pauli PP. II Allocutio in Aula Regia Palatii Vaticani habita, occasione oblata saeculi expleti ab obitu Alberti Einstein, 6, die 10 nov. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II/2 [1979] 1111).

Comme vous le savez, j’ai demandé qu’une équipe de recherche interdisciplinaire soit formée pour étudier soigneusement toute la question. Ses travaux progressent de façon très encourageante et il y a bon espoir qu’elle apporte une importante contribution à l’examen de tout le problème.

3. L’Eglise, elle aussi, apprend par l’expérience et par la méditation, et elle comprend mieux maintenant le sens qu’il faut donner à la liberté de recherche, comme je le disais aux représentants des Universités espagnoles, le 3 novembre 1982:

“L’Eglise soutient la liberté de recherche qui est un des plus nobles attributs de l’homme. C’est à travers la recherche que l’homme parvient à la Vérité: un des noms les plus beaux que Dieu s’est donné. C’est pourquoi l’Eglise est convaincue qu’il ne saurait y avoir réellement contradiction entre science et foi, du moment que toute la réalité procède en dernier ressort du Dieu Créateur. C’est ce qu’affirme le Concile Vatican II (Cfr. Gaudium et Spes GS 36). Je l’ai rappelé moi-même à diverses occasions en m’adressant à des hommes et des femmes de science. Il est certain que science et foi représentent deux ordres de connaissance différents, autonomes dans leur processus, mais convergents finalement sur la découverte de la réalité intégrale qui a son origine en Dieu (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad professores et alumnos publicarum Universitatum in Coloniensi metropolitano templo habita, die 15 nov. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III/2 [1980] 1200 ss.)” (Eiusdem Allocutio Matriti, ad publicae Universitatis professores, ad academicos pervestigatoresque scientiarum habita, 8, die 3 nov. 1982: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, V/3 [1982] 1098).

On perçoit plus clairement ainsi que la Révélation divine, dont l’Eglise est garante et témoin, ne comporte de soi aucune théorie scientifique de l’univers et l’assistance de l’Esprit Saint ne vient nullement garantir les explications que nous voudrions professer sur la constitution physique de la réalité.

Que l’Eglise ait pu avancer avec difficulté en un domaine aussi complexe, ne doit pas nous surprendre ou nous scandaliser. L’Eglise, fondée par le Christ qui s’est déclaré la Voie, la Vérité et la Vie, reste toutefois composée d’hommes limités et solidaires de leur époque culturelle. Aussi avoue-t-elle être toujours intéressée par la recherche en ce qui concerne la connaissance de l’univers physique, biologique ou psychique. C’est seulement par l’étude humble et assidue qu’elle apprend à dissocier l’essentiel de la foi des systèmes scientifiques d’une époque, surtout lorsqu’une lecture accoutumée de la Bible apparaissait comme liée à une cosmogonie obligée.

4. Pour revenir au cas de Galilée, nous reconnaissons, certes, qu’il eut à souffrir de la part des organismes d’Eglise. Mais en son époque, il ne manquait pas de centres catholiques qui cultivaient déjà avec grande compétence, en plus de la théologie et de la philosophie, des disciplines comme l’histoire, la géographie, l’archéologie, la physique, les mathématiques, l’astronomie et l’astrophysique, et ces recherches étaient estimées nécessaires pour mieux connaître l’évolution historique de l’homme et les secrets de l’univers. Des précurseurs de génie avaient même mis les catholiques en garde, les pressant de ne pas opposer science et foi. C’est ce que j’ai voulu affirmer le 15 décembre 1979 à l’Université Grégorienne dont les recherches et les professeurs étaient autrefois connus de Galilée:

“Et s’il faut reconnaître que les chercheurs de cette époque ne furent pas exempts des conditionnements culturels de leur milieu, nous pouvons cependant constater que ne manquèrent pas les anticipateurs de génie et les esprits plus libres, qui, tel un saint Robert Bellarmin dans le cas de Galileo Galilei, souhaitaient que fussent évités les tensions inutiles et les raidissements dommageables aux rapports entre foi et science” (Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad academicas Auctoritates, Professores et Alumnos Pontificiae Universitatis Gregorianae habita, 3, die 15 dic. 1979: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, II/2 [1979] 1421).

Ces faits nous confirment dans la nécessité indispensable d’un dialogue franc et ouvert entre les théologiens, les spécialistes de la science et les responsables de l’Eglise.

5. Nous voyons dès lors que les rapports séculaires de l’Eglise et de la science ont amené les catholiques à une plus juste compréhension du domaine de leur propre foi, à une sorte de purification intellectuelle et à la conviction que l’étude scientifique mérite un engagement de recherche désintéressée qui, en dernière analyse, est service de la vérité et de l’homme lui-même. Ajoutons que l’Eglise observe avec reconnaissance tout ce qu’elle doit à la recherche et à la science. J’ai eu l’occasion de le dire devant le Conseil pontifical pour la culture, le 18 janvier 1983:

“Songeons en effet aux résultats des recherches scientifiques pour une meilleure connaissance de l’univers, pour un approfondissement du mystère de l’homme, pensons aux bienfaits que peuvent procurer à la société et à l’Eglise les nouveaux moyens de communication et de rencontre entre les hommes, la capacité de produire d’innombrables biens économiques et culturels, et surtout de promouvoir l’éducation des masses, de guérir les maladies réputées autrefois incurables. Quelles réalisations admirables! Tout cela est à l’honneur de l’homme. Et tout cela a grandement bénéficié à l’Eglise elle-même, dans sa vie, son organisation, son travail et son oeuvre propre” (Eiusdem Allocutio ad sodales Pontificii Consilii pro hominum cultura coram admissos habita, 6, die 18 ian. 1983).

6. Et si nous nous tournons maintenant plus directement vers le monde scientifique, ne voit-on pas aujourd’hui combien la plus grande sensibilité des savants et des chercheurs pour les valeurs de l’esprit et de la morale apporte à vos disciplines une dimension nouvelle et une généreuse ouverture à l’universel? Cette attitude a grandement facilité et enrichi le dialogue entre la science et l’Eglise.

Certes, il vous est demandé d’adopter une méthode de haute spécialisation pour porter toujours plus avant vos découvertes et vos expériences, et on ne peut qu’admirer la rigueur et l’honnêteté intellectuelles, le désintéressement et l’abnégation dont témoignent tant de chercheurs qui s’adonnent à leurs études dans un véritable esprit de mission.

7. Par ailleurs, le monde scientifique, devenu maintenant l’un des principaux secteurs d’activité de la société moderne, découvre lui aussi, à la lumière de la réflexion et de l’expérience, l’ampleur en même temps que la gravité de ses responsabilités. La science moderne et la technique qui en dérive sont devenues un véritable pouvoir et font l’objet de politiques ou de stratégies socio-économiques, qui ne sont pas neutres pour l’avenir de l’homme.

Mesdames et Messieurs, vous qui cultivez les sciences, vous détenez un pouvoir et une responsabilité considérables qui peuvent devenir déterminants dans l’orientation du monde de demain. A plusieurs reprises, j’ai voulu dire toute l’estime de l’Eglise pour l’effort collectif entrepris par les scientifiques afin de faire prévaloir les objectifs urgents que requiert la poursuite du développement de l’homme et de la paix. Vous savez qu’un sursaut moral s’impose si l’on veut que les ressources scientifiques et techniques dont dispose le monde actuel soient réellement mises au service de l’homme. A Hiroshima, devant l’Université des Nations Unies, je rappelais, le 25 février 1981, que “l’homme de notre temps possède d’extraordinaires ressources scientifiques et technologiques. Et nous sommes convaincus que ces ressources pourraient être utilisées bien plus efficacement pour le développement et la croissance des nations... Tout ceci suppose évidemment des options politiques et, de manière plus fondamentale, des options morales. Le moment est proche où il faudra définir à nouveau les priorités. On a estimé par exemple que près de la moitié de tous les chercheurs du monde était actuellement employée à des fins militaires. La famille humaine peut-elle encore persévérer longuement dans cette direction?” (Ioannis Pauli PP. II Allocutio Hirosimae, ad mathematicorum et naturalium scientiarum cultores habita, 8, die 25 febr. 1981: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, IV/1 [1981] 545 ).

Mesdames et Messieurs, vous jouissez d’un immense crédit moral pour faire valoir les objectifs proprement humanistes et culturels de la science. Employez-vous à défendre l’homme et sa dignité auprès des centres de décision qui commandent les politiques scientifiques et les planifications sociales. Vous trouverez toujours une alliée dans l’Eglise, chaque fois que vous vous emploierez à promouvoir l’homme et son développement véritable.

8. C’est aussi de l’intérieur, assurément, que l’Eglise s’intéresse à vos travaux. Car rien de ce qui peut approfondir notre connaissance de l’homme, de la nature, de l’univers, ne peut nous laisser indifférents. Tout progrès scientifique, poursuivi avec rectitude, honore l’humanité et est un tribut au Créateur de toute chose. Vos recherches constituent le prolongement de l’admirable révélation que Dieu nous livre dans son oeuvre créatrice. L’Eglise ne se tourne pas d’abord vers vos découvertes afin d’y puiser de faciles arguments apologétiques pour conforter ses croyances. Elle cherche plutôt, grâce à vous, à étendre l’horizon de sa contemplation et de son admiration pour la transparence du Dieu infiniment puissant qui resplendit en sa création.

Pour le croyant, la recherche la plus spécialisée peut ainsi devenir un acte hautement éthique et spirituel. Pour les saints, l’étude était prière et contemplation.

9. Oui, l’Eglise fait appel à vos capacités de recherche pour qu’aucune limite ne soit posée à notre quête commune du savoir. Votre spécialisation vous impose, certes, des règles et des délimitations indispensables dans l’investigation, mais au-delà de ces frontières épistémologiques, laissez l’inclination de votre esprit vous porter vers l’universel et l’absolu. Plus que jamais notre monde a besoin d’intelligences aptes à embrasser les ensembles et à faire progresser le savoir vers la connaissance humanisée et vers la sagesse. En un mot, votre science doit s’épanouir en sagesse, c’est-à-dire devenir croissance de l’homme et de tout l’homme. Ouvrez largement vos intelligences et vos coeurs aux impératifs du monde d’aujourd’hui, qui aspire à la justice et à la dignité fondées sur la vérité. Et vous-mêmes, soyez disponibles à la quête de tout ce qui est vrai, convaincus que les réalités de l’esprit font partie du réel et de la Vérité intégrale.

Mesdames et Messieurs, votre tâche est noble et gigantesque. Le monde vous regarde et attend de vous un service qui soit à la hauteur de vos capacités intellectuelles et de vos responsabilités éthiques.

Que Dieu, Créateur de toute chose, présent dans l’immensité de l’univers, comme en chacun de nos coeurs, vous accompagne dans vos travaux et inspire votre admirable tâche!




À SA BÉATITUDE IGNACE IV HAZIM PATRIARCHE GREC-ORTHODOXE D'ANTIOCHE

Vendredi, 13 mai 1983



Béatitude et très cher Frère dans le Christ,

C’est avec une émotion intense que je vous accueille, vous et les frères dans l’épiscopat qui vous accompagnent dans votre visite à l’Eglise de Rome, l’Eglise de Pierre et de Paul. Ces “maîtres de l’oikumene”, comme les appelle la liturgie, après avoir prêché longuement la parole de Dieu à Antioche (Cfr. Ac 11,26 Ga 2,11), sont venus en cette ville, où, par leur sang répandu, ils ont rendu au Seigneur l’ultime témoignage.

C’est un effet une profonde émotion que suscitent en nous la pensée de ces événements de l’Eglise primitive et le fait que vous venez d’Antioche, cette ville où la communauté chrétienne reçut son propre nom, nom qui, jusqu’à aujourd’hui, est sa fierté: “C’est à Antioche, que, pour la première fois, le nom de «chrétiens» fut donné aux disciples” (Ac 11,26).

Aujourd’hui, alors que près de 2.000 ans ont passé depuis ces événements, c’est avec la même foi, avec la même charité qui animait déjà la première Eglise d’Antioche, que je vous reçois, vénérable Frère, qui venez parmi nous au nom de notre unique Seigneur Jésus-Christ. L’Eglise de Rome, qui s’est développée par la prédication des mêmes apôtres, vous accueille dans un esprit de prière et de fraternité ecclésiale la plus chaleureuse: “Béni sois-tu, Père, béni soit-tu, car toi seul fais des merveilles!”.

Votre présence parmi nous, Béatitude, nous rappelle les développements ultérieurs de la vie chrétienne dans la région d’Antioche et la contribution que cette Eglise a apportée à l’Eglise entière. Comment ne pas mentionner en ce moment saint Ignace, ce maître de foi et de vie, qui, au moment où il se préparait à donner l’ultime témoignage du martyre, adressa “au nom de Jésus-Christ” une lettre de communion à l’Eglise de Rome, lettre conservée par elle avec vénération? Comment ne pas rappeler l’école exégétique d’Antioche et sa physionomie particulière? Comment ne pas rappeler saint Jean de Damas, ce champion de la foi orthodoxe?

Alors que se développe la réflexion théologique sur des thèmes d’importance capitale pour la vie de l’Eglise, comme celui de l’Eucharistie, du rôle de l’évêque dans l’Eglise locale, de la communion dans l’Eglise locale et entre les Eglises locales, l’enseignement de saint Ignace reste d’un apport décisif, non seulement pour la solution de questions et de tensions propres à cette époque et à ces lieux, mais surtout pour la pensée chrétienne de tous les temps. “Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l’évêque, ou de celui qu’il en aura chargé. Là où parait l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique” (S. Ignatii Ad Smyrnenses, 8, 2). Comment ne pas être touché par de telles affirmations qui, aujourd’hui, après presque 2.000 ans, sont reprises comme base du dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, dialogue qui a pour but de rétablir la pleine communion entre nos Eglises? Et comment ne pas être saisi d’admiration en constatant que, dans ce texte, saint Ignace d’Antioche est le premier dans l’histoire à donner au terme profane “katoliki”, uni à “ekklisia”, une signification toute neuve, exprimant la communion universelle de ceux qui croient au Christ? Cette communion universelle, communion des Eglises particulières, communion des évêques qui, “établis jusqu’aux extrémités de la terre” (S. Ignati Antiocheni Ad Ephesinos, 3, 2), ont la même pensée du Christ (Cfr. Ep 3,2), cette communion universelle dans la charité à laquelle préside l’Eglise de Rome (S. Ignatii Antiocheni Ad Romanos, prooem.), c’est le Corps du Christ qui réunit en lui tous les peuples. Dans ce contexte, le conseil qu’il donne aux chrétiens d’Ephèse est valable pour les chrétiens de tous les temps: “Que chacun de vous aussi, vous deveniez un choeur, afin que, dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père” (Eiusdem Ad Ephesinos, 5, 1).

Notre rencontre de ce jour veut contribuer concrètement à la création d’une telle harmonie entre les Eglises d’Occident et d’Orient. Pour la première fois dans l’histoire, un patriarche orthodoxe de l’antique siège d’Antioche rend visite à Rome. De tout coeur je vous remercie de ce signe de communion, et je prie le Seigneur de faire que nos relations se développent, afin que nous puissions trouver ensemble les voies les plus adaptées qui conduisent à la pleine unité. L’unité est une exigence évangélique et, pour les chrétiens de notre temps, elle est une urgence historique. Nous avons de nombreux motifs de rendre grâce au Seigneur pour tout ce qu’il nous a donné de voir et de faire dans notre effort pour être fidèles, sur ce point aussi, à sa volonté.

Le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe se développe d’une manière organique et constructive, et ses premiers résultats assurent notre commune espérance que, progressivement, les divergences qui existent encore entre nous seront affrontées et que nous pourrons parvenir à un plein accord dans la foi, en vue d’une vie commune, de nouveau organiquement articulée (Cfr. Eiusdem Ad Colossenses, 2, 9). Tandis que le dialogue théologique se poursuit, accompagné de la prière et de la plus grande attention de tous, il est particulièrement opportun d’intensifier les relations fraternelles. La profonde foi commune permet aux catholiques et aux orthodoxes de collaborer dans divers domaines, celui de la culture, celui de l’activité sociale, mais encore et surtout dans le domaine pastoral.

Dans notre temps, les chrétiens sont appelés à témoigner ensemble, de manière toujours plus cohérente, des valeurs chrétiennes dans une société qui a toujours davantage besoin que lui soient rappelés la primauté de l’amour et du spirituel, la dignité de l’homme et le sens de sa vie, tels qu’ils lui sont révélés dans la résurrection du Christ.

Au delà de cette exigence valable partout, il y a celles qui naissent des circonstances locales et des possibilités concrètes qu’elles offrent, là où les chrétiens de traditions diverses vivent coude à coude et auprès d’autres hommes adhérant à d’autres fois religieuses ou se disant non croyants.

L’oecuménisme au plan local fait face à des besoins et à des situations spécifiques et a ses ressources propres. Il a une certaine part d’initiative qui lui est propre et son rôle est plus original que celui d’une simple application limitée des directives oecuméniques destinées au monde entier (Cfr. Unitatis Redintegratio UR 12).

Les initiatives locales situées dans la perspective de la communion universelle, non seulement sont nécessaires sur place, mais peuvent aussi être très fécondes pour une croissance plus générale de la communion. Cependant c’est au plan local que devront être éliminées toute trace d’opposition préconçue et toute activité injuste ou inspirant un prosélytisme de mauvais aloi. De plus, c’est surtout au plan local que se rencontrent les occasions de collaborer dans le service de Dieu et des hommes et les moyens aptes à réaliser cette collaboration.

Béatitude, vous venez d’une région éprouvée par la guerre et par ses conséquences d’insécurité et d’incertitude. Cette situation n’est pas sans avoir aussi des influences négatives sur la vie de l’Eglise. Et cela non: seulement à cause des pertes matérielles, mais aussi par les déchirements spirituels qu’elle occasionne. Chaque fois que cela lui a été possible, ce Siège Apostolique a toujours insisté auprès de toutes les instances responsables, avec lesquelles il a été en contact, sur la nécessité de résoudre la crise libanaise, de respecter pleinement les exigences de la justice et de sauvegarder concrètement l’indépendance et l’intégrité de ce pays. Ainsi seulement toutes les composantes sociales et religieuses de cette nation pourront recommencer à vivre ensemble pacifiquement, librement, dans un effort commun de reconstruction et de renouveau. C’est dans ces perspectives que sont orientés nos efforts. Je sollicite à chaque occasion la bonne volonté des hommes et, surtout, ma prière supplie notre unique Seigneur, le maître de l’histoire, afin qu’une solution juste soit trouvée et réalisée au plus vite. Dans ce contexte encore, un accord harmonieux, entre les chrétiens est plus que jamais nécessaire, non pas pour s’opposer à qui que ce soit, mais pour être un ferment puissant d’ouverture et de fraternité avec tous les hommes de bonne volonté, prêts a bâtir ensemble un monde meilleur. Le Liban, si cher à notre coeur, pleinement et fraternellement intégré au monde culturel qui est le sien, pourrait ainsi retrouver un rayonnement débordant largement ses frontières, en gardant sa physionomie propre parmi les pays frères.

Béatitude, la recherche de la pleine communion entre nos Eglises s’accomplit dans le contexte concret de la situation du monde d’aujourd’hui. Votre visite me remplit d’une joie vraie et profonde, car elle est un signe manifeste de volonté de pleine réconciliation à un moment où les facteurs de dislocation et de désagrégation semblent avoir une nouvelle virulence. Cette rencontre me donne l’occasion de dire, de nouveau et avec plus d’insistance encore, que l’Eglise catholique est disposée à faire tout ce qui lui est possible afin que progresse et aboutisse la recherche de la pleine unité, et cela tant par le moyen du dialogue théologique que par ceux de la coopération pratique et de la collaboration pastorale. C’est ensemble que nous devons marcher sur la voie qui conduit à l’unité retrouvée, à ce moment tant désiré où nous pourrons concélébrer l’eucharistie du Seigneur.

Nous nous sommes engagés avec décision sur cette voie. La route peut être longue, mais la charité doit se faire inventive à l’écoute de celui qui a commencé en nous son oeuvre de réconciliation et qui saura la mener jusqu’à son accomplissement.

C’est d’un même coeur, Frère bien-aimé, que nos pouvons aujourd’hui implorer la bénédiction du Seigneur sur les Eglises au service desquelles il nous a consacrés. “A celui, dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander et concevoir, à Lui la gloire, dans l’Eglise et le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles! Amen”.



Discours 1983 - Samedi, 30 avril 1983