Discours 1984




Janvier 1984



À S.E. M. EGIDE NKURIYINGOMA, NOUVEL AMBASSADEUR DU BURUNDI PRÈS LE SAINT- SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 5 janvier 1984




Monsieur l’Ambassadeur,

1. Je suis très heureux d’accueillir ici Votre Excellence, comme nouvel Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burundi. Cette présentation de vos Lettres de créance est un événement attendu, dans lequel le Saint-Siège veut voir un signe prometteur de rapports d’amitié, de confiance et de coopération entre votre pays et le Saint-Siège.

Vos propos, remplis d’estime pour la foi chrétienne, pour la communauté catholique et pour l’action du Siège Apostolique, en sont le gage, et je vous en remercie vivement. Je vous saurais gré de bien vouloir exprimer également ma gratitude à Son Excellence le Président Jean-Baptiste Bagaza pour les sentiments et les voeux dont il vous a chargé d’être l’interprète.

2. Le Saint-Siège, pour sa part, apprécie de pouvoir entretenir de telles relations dans le but de contribuer à harmoniser l’action de l’Eglise et de l’Etat dans les pays, et aussi de s’efforcer ensemble de promouvoir la justice et la paix dans les rapports internationaux. Chaque peuple peut être sûr de l’estime et de l’amitié désintéressée du Saint-Siège, qui ne manque pas d’ailleurs de manifester son respect et ses encouragements aux Autorités qui ont la charge de le gouverner et qui prennent à coeur son bien commun.

Mais la situation du Burundi attire d’une façon particulière l’attention et la sollicitude du Saint-Siège. Il s’y trouve en effet une proportion de catholiques plus élevée qu’en aucun autre pays d’Afrique. L’évangélisation, en peu de temps, a porté des fruits remarquables et a permis à la foi chrétienne d’être intégrée dans l’âme des Burundais et de marquer profondément leur vie personnelle, familiale et sociale.

Par ailleurs les qualités natives de vos populations sont connues de tous et, Votre Excellence le disait justement, ce sont les ressources humaines qui comptent. Le Saint-Siège apprécie également le souci manifesté par les Gouvernants d’instaurer plus de justice sociale et de solidarité pour consolider la paix intérieure, de faire face aux situations de pauvreté en accélérant le développement économique et culturel, de maintenir des relations de bon voisinage avec les autres pays africains.

3. C’est dans ce contexte qu’il importe, à nos yeux, de développer l’harmonie entre les efforts des communautés chrétiennes et ceux de la société civile. Certes les deux domaines, celui du spirituel et celui du temporel, sont distincts. Il est normal que les responsables de l’un et de l’autre agissent selon leur compétence, avec leurs initiatives et leurs moyens propres, pour répondre aux besoins à satisfaire dans leur ordre, et cela dans le respect de l’autre partie.

Mais les responsables dans ces deux domaines sont tous pareillement au service des Burundais, de leur bonheur, de leur progrès, de leur vie plus pleinement humaine. L’Eglise en ce qui la concerne, ne recherche rien d’autre que ce service; elle ne demande pas mieux que de coopérer à l’oeuvre commune et d’aider, avec loyauté, ceux qui ont la lourde charge du bien commun, quand ils poursuivent ensemble la justice sociale, la paix, le progrès culturel et moral.

C’est ainsi qu’elle a été amenée à créer et à entretenir, avec ses moyens et dans une perspective de charité fraternelle, un certain nombre d’oeuvres très utiles à la société, visant notamment l’instruction et l’éducation, l’assistance sanitaire, l’organisation de foyers, de coopératives... Mais le principal de son apport reste naturellement de former des chrétiens convaincus de leur foi, des hommes et des femmes compétents et généreux aussi pour les responsabilités humaines – familiales, professionnelles et civiques – qu’ils sont appelés à exercer, des consciences intègres et soucieuses de justice dans toutes leurs actions, des personnes animées par l’amour de leur patrie et de tous leurs compatriotes. Outre le bienfait qui en découle alors pour la religion, il y a là pour l’avenir du pays un atout précieux qui ne peut pas ne pas rejoindre la préoccupation des Gouvernants.

J’ajouterai même: les prêtres et les religieuses qui sont venus exprès d’autres pays aider leurs frères et soeurs burundais n’ont pas d’autre ambition ni d’autre amour. Toute l’Eglise au Burundi, qui, tel un arbre bien enraciné, connaît heureusement aujourd’hui sa floraison et ses fruits, est née d’une telle générosité missionnaire; et elle estime elle-même qu’elle a encore besoin de cet apport comme d’un véritable service, en attendant de faire bénéficier d’autres pays d’Afrique de la maturité de sa foi et de certaines de ses vocations, ce qui commence déjà à se réaliser.

4. C’est dire qu’entre l’Eglise et l’Etat, pour répondre aux espérances des Burundais, pour consolider et faire grandir ce qui a été acquis et fait partie de leur légitime fierté, il apparaît nécessaire de développer toujours davantage une compréhension adéquate de la spécificité mais en même temps de la complémentarité et de la convergence des tâches religieuses et civiles, une atmosphère de confiance et d’accueil, un climat de paix et d’estime réciproque, le sens de la solidarité et un souci de la collaboration, en respectant les droits et libertés de chacune des parties et en admettant que l’Eglise dispose des moyens nécessaires à sa mission religieuse, qu’il s’agisse du personnel ou des instruments pastoraux incluant entre autres les moyens de communication sociale.

Un tel état d’esprit permettra de surmonter définitivement, dans le dialogue et dans la confiance mutuelle, les difficultés, parfois graves, qui ont pu surgir ces dernières années. Votre mission auprès du Saint-Siège, Monsieur l’Ambassadeur, pourra y contribuer grandement. C’est notre espoir. Je vous offre mes meilleurs voeux pour son accomplissement. Et je forme des souhaits cordiaux pour le bonheur et le progrès de tous vos compatriotes, pour l’avenir de la nation burundaise si chère au Saint-Siège, et pour la tâche de ses Gouvernants. J’implore sur tous les bénédictions, l’inspiration et l’aide de Dieu, qui vient au secours de nos efforts, Lui, l’Auteur de tout bien.



À S.E. M. JOSEPH MATHIAM, NOUVEL AMBASSADEUR DU SÉNÉGAL PRÈS LE SAINT- SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Lundi 8 janvier 1984




Monsieur l’Ambassadeur,

les propos élevés et chaleureux que vous venez de tenir en inaugurant vos fonctions d’Ambassadeur du Sénégal auprès du Saint-Siège me vont droit au coeur. Je vous remercie de ce témoignage où vous vous faites l’interprète des sentiments de Son Excellence le Président Abdou Diouf, de votre Gouvernement et de l’ensemble de vos compatriotes, et en particulier des chrétiens dont vous partagez la foi. Le Sénégal, comme Votre Excellence l’a souligné, a déjà une longue habitude des relations diplomatiques avec le Saint-Siège auxquelles il a toujours attaché beaucoup de prix et dont il saisit bien toute la portée pour la vie sereine de la communauté catholique dans le pays et pour la promotion de la paix dans les rapports internationaux. Vous prenez place dans la lignée d’Ambassadeurs qui ont fait honneur au Sénégal; et ce n’est pas sans émotion que nous évoquons la mémoire du Docteur Paul Ndiaye qui, l’an dernier encore, consacrait tous ses talents à remplir la haute fonction qui vous échoit aujourd’hui.

L’Eglise catholique constitue, au Sénégal, une minorité qui s’est attirée l’estime de tous par sa vitalité, son ouverture, sa disponibilité au service du pays. En l’espace d’un siècle, l’ensemencement de l’Evangile a produit des fruits remarquables, et la foi s’est bien intégrée dans l’âme de ces Sénégalais, dans leur vie culturelle et sociale. Dans la mesure de ses possibilités et avec la juste compréhension des Autorités civiles, la communauté chrétienne prend volontiers sa part dans l’oeuvre d’instruction, de formation morale et spirituelle, des soins sanitaires et du développement. Ses liens confiants et réguliers avec le successeur de Pierre, exprimés entre autres par la présence du cher Cardinal Hyacinthe Thiandoum au sein du Sacré Collège, favorisent non seulement la fidélité de sa foi mais son ouverture à l’Eglise universelle et sa solidarité avec les autres peuples, notamment en Afrique.

La communauté catholique a le respect de l’esprit religieux des autres Sénégalais, et en particulier de ceux, très nombreux, qui vivent selon l’Islam. Comme vous l’avez relevé, le Concile Vatican II a grandement favorisé cet esprit de dialogue, sans que cela tourne à une altération indue de la Révélation. Et ici, je dois dire que l’Eglise apprécie également l’attitude de tolérance dont font preuve chez vous les communautés musulmanes. C’est sans doute le grand mérite de l’Autorité publique de maintenir un égal respect des confessions religieuses, qui sait éviter à la fois l’écueil de l’indifférence et celui de privilèges qui tourneraient au préjudice de certains. Le Saint-Siège a le ferme espoir que cette situation se poursuivra et demeurera un exemple de cohabitation sereine, finalement bénéfique au pays lui-même.

Il est une chose aussi que l’opinion publique remarque avec satisfaction dans votre pays: c’est son attachement à la démocratie, avec l’expression libre des citoyens pour élire ceux qui doivent assumer la responsabilité des affaires publiques. Dans la mesure où cela garantit à la fois l’unité de tous dans la poursuite du bien commun, une juste paix sociale, le souci des personnes et des groupes moins favorisés, le respect des libertés fondamentales et de la dignité humaine, l’Eglise ne peut que s’en réjouir, et elle sait que cette voie, aujourd’hui bien ardue, semée d’embûches et de tentations, a besoin d’être encouragée et défendue, à l’encontre des totalitarismes de toute sorte.

Certes, le Saint-Siège a conscience des difficultés auxquelles doit faire face le Sénégal pour son développement économique et social, voire pour surmonter la situation tragique qui l’atteint, surtout en certaines régions; par suite de la crise économique générale, de l’inégalité des échanges, et surtout de la sécheresse qui sévit durement dans les pays du Sahel. Dans l’Eglise, vous le savez, votre pays trouvera toujours compréhension et appui pour faire prendre conscience de ces besoins, pour éduquer davantage au sens de la justice, encourager une meilleure répartition des biens, déclencher une solidarité réelle et efficace, en insistant sur le problème primordial de la faim auquel elle entend apporter elle-même sa contribution. En même temps, nous savons que l’homme ne vit pas seulement de pain. Le développement des valeurs culturelles propres, dans le cadre des traditions africaines, fait aussi partie de son bonheur et de sa dignité. Et il doit surtout se garder de réduire son ambition au progrès matériel, sans cultiver en même temps la qualité de sa relation à Dieu et des relations avec ses semblables, selon une éthique exigeante qui fait la vraie valeur d’une civilisation et assure son véritable progrès. Ici, Monsieur l’Ambassadeur, vous trouverez le souci constant de cette promotion intégrale de l’homme.

Enfin, le Corps diplomatique auprès du Saint-Siège dans lequel vous entrez rassemble des diplomates de nombreux pays. Il rappelle, s’il en était besoin, que la paix ne peut se consolider qu’en développant le respect, la concorde et la solidarité au plan international, entre les différentes nations et regroupements de nations. Je sais que le Sénégal a un grand souci d’une telle paix. Puisse-t-il contribuer à faire prévaloir la sagesse, l’équité, les solutions négociées et honorables dans les différends qui surgissent entre pays du continent africain! L’Eglise travaille, pour sa part, à renouveler le coeur des hommes pour que naisse la paix. Ce “coeur”, c’est aussi l’esprit qui inspire la pensée des responsables politiques et des rapports internationaux.

Voilà, Monsieur l’Ambassadeur, un certain nombre de préoccupations où le Saint-Siège et le Sénégal doivent facilement se rencontrer et collaborer. Je suis certain que, encouragé par l’accueil que vous trouverez ici, vous saurez entretenir l’excellence de ces relations, dans l’intérêt de tous. Je vous offre mes meilleurs veux pour l’accomplissement de votre mission, et je vous prie d’exprimer ma gratitude et mes souhaits cordiaux à celui qui préside au destin de votre pays et qui vous a donné ces Lettres de créance. Que le Très-Haut inspire vos Gouvernants dans leur tâche exigeante et qu’il bénisse tous les Sénégalais!



À UN GROUPE DE DÉPUTÉS LIBANAIS

Mardi 10 janvier 1984




Messieurs les Députés,

votre présence ici, ce matin, est pour moi motif de profonde satisfaction.

Je salue en vous, tout d’abord, les membres de la noble communauté maronite, dont l’Eglise universelle a toujours tenu en haute estime non seulement les traditions spirituelles, mais aussi le courage de ses fils qui ont su témoigner de leur foi au Christ parfois jusque dans le martyre.

Je n’oublie pas ensuite que vous êtes également mandatés par vos concitoyens pour exercer la charge parlementaire dans un pays qui a voulu s’inspirer de l’idéal démocratique et garantir ainsi une fructueuse coexistence entre diverses religions et cultures. De cette manière peut s’expliquer le rayonnement du Liban dans la région et au-delà.

Le Saint-Siège suit avec une attention particulière l’évolution de la situation politique de votre pays et n’épargne aucun effort, je tiens à le souligner, pour que soient assurées au plus vite la paix sur le terrain et une vie nationale répondant aux aspirations d’un peuple qui a trop longtemps souffert de l’atroce déchaînement de passions et de conflits, internes ou imposés de l’extérieur.

Ce faisant, le Siège Apostolique entend non seulement contribuer à la défense des droits fondamentaux de l’homme sur lesquels repose la stabilité de la société, mais il soutient et promeut résolument tout effort pour la reconnaissance de l’existence et des droits des communautés chrétiennes. Certes, il ne s’agit pas par là de réclamer des privilèges indus, mais simplement que soient garantis, dans la justice, la présence, l’activité et le développement de ces communautés. De la sorte, elles seront mieux à même de témoigner dans la société pluraliste libanaise des valeurs évangéliques et constitueront un apport et une richesse dont bénéficiera le pays tout entier.

Je désire, en outre, dire combien je me sens proche de ces pères et mères de famille qui pleurent des êtres chers, ont vu les efforts de toute existence anéantis dans la perte de leurs biens et sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants, comme de tous ces libanais sincères, rêvant d’un Liban rayonnant et prospère, qui n’ont devant eux que le désolant spectacle d’un champ de bataille. Le danger à éviter, à côté de la lassitude et du désespoir, est celui de se résigner à accepter n’importe quelle solution politique pourvu que soit mis un terme aux luttes qui détruisent le pays. Si un tel état d’âme est bien compréhensible dans le contexte dramatique du Liban d’aujourd’hui, je me dois de rappeler à tous le courage de l’espérance qui prend sa source en ce Dieu miséricordieux dans Lequel tous les libanais, chrétiens et musulmans, puisent leur sens de l’homme, de sa dignité et de sa capacité de respecter autrui.

Je suis aussi bien évidemment conscient que tant d’années de guerre - avec les victimes, souvent innocentes, les destructions et les appréhensions pour le futur qu’elles supposent - ont engendré des réactions excessives et des attitudes intransigeantes. Mais je suis tout autant convaincu qu’il n’est pas trop tard pour surmonter méfiance et rancoeur. Je le rappelais tout récemment, dans le Message pour la Journée Mondiale de la Paix: “La paix naît d’un coeur nouveau”.

En ce début d’année, il n’y a pas de meilleur souhait à formuler pour le Liban: que tous les citoyens de cette Nation si éprouvée, réunis autour des légitimes autorités, trouvent la volonté et la force pour faire renaître, dans un dialogue lucide et sincère, ces valeurs indispensables à la survie du Liban que sont la solidarité et l’unité. Un tel projet suppose que toutes les parties en cause soient disposées à consentir des sacrifices, à renoncer à quelque chose, pour que le bien commun seul soit victorieux.

Cette réconciliation - et le respect de la souveraineté et de l’indépendance du Liban par tous les pays soucieux de sa dignité - contribuera à affermir les généreux efforts et la bonne volonté pour l’avènement d’une paix durable à laquelle tous les libanais aspirent.

Messieurs, c’est à vous, députés maronites, que je confie ces voeux fervents pour que, toujours davantage convaincus de vos responsabilités de chrétiens et de politiciens, vous soyez, avec tous ceux qui ont le pouvoir de décision et de promouvoir le bien du pays, artisans d’un Liban nouveau, où chacun se sente écouté, partie prenante d’un destin commun!

Ma paternelle Bénédiction vous accompagne et s’étend au peuple du Liban tout entier!



AU CONSEIL INTERNATIONAL DE «L'ARCHE»

Vendredi 13 janvier 1984




Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

L’oeuvre de l'Arche, à laquelle vous donnez votre vie ou apportez votre soutien, veut se situer en Eglise. C’est ainsi que j’ai compris votre vif désir de rencontrer le successeur de Pierre. Je vous félicite et je vous encourage - partout où l’oeuvre est implantée - à entretenir des liens très confiants avec mes Frères dans l’épiscopat. La présence de quelques-uns d’entre eux à la tête de votre groupe m’est une joie. Vous voulez vous situer en Eglise également en favorisant l’exercice du sacerdoce ministériel dans vos communautés, grâce à la présence permanente ou périodique de prêtres qui ont répondu à l’appel évangélique de leurs frères et soeurs particulièrement handicapés par certaines limites du corps ou de l’esprit. Je salue affectueusement ces prêtres, venus réfléchir au centre de l’Eglise sur leur place et leur mission ecclésiale dans les communautés de l’Arche.

Dans cette brève rencontre, je voudrais vous faire sentir combien l’Eglise du Christ, sans jamais s’identifier fondamentalement avec une institution caritative particulière, se réjouit de voir, à toutes les époques de son histoire, les disciples du Seigneur s’efforcer de prendre au sérieux l’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres, aux plus pauvres. Pour votre part, vous contribuez à la crédibilité de la Rédemption aujourd’hui en même temps qu’à son application. Les pionniers de l’Arche ont perçu que la société industrielle et urbanisée, avec l’apport de progrès évidents, accélérait aussi les causes de perturbation des individus, des familles, des groupes. Certes, on ne peut oublier le dogme du péché originel - drame inaugural et foncier de la nature humaine déchue -, ni les mystérieuses misères de l’hérédité. Mais on ne peut non plus se voiler la face devant les malaises et les chocs engendrés par certains excès de la socialisation, par la présentation inconsidérée d’idées, de moeurs, d’événements violents. On dirait que, souvent, les sociétés modernes, de manière paradoxale, veulent sauver l’homme tout en organisant en fait sa démolition. C’est pourquoi votre service communautaire des handicapés, vos Arches, peuvent constituer une oeuvre sociale originale et en même temps un merveilleux témoignage évangélique. Vous, ici présents, et vos collaborateurs, vous incarnez aujourd’hui l’attitude de Jésus qui apportait aux petits, aux infirmes et souffrants de toute sorte, sa présence, son écoute, sa lumière, sa paix, et souvent la guérison. Et Jésus recevait aussi de ces gens marqués par tant de limites leurs élans de confiance, de joie, de reconnaissance, de libération. N’est-ce-pas, sans mépriser certaines compétences médicales, la thérapie utilisée, ou plutôt vécue, dans les communautés de l’Arche, avec cette volonté d’un style de vie très simple et abandonné à la Providence? Poursuivez dans ce sens et entraidez-vous aux renoncements nécessaires, mais fructueux, de la vie communautaire. Pour que celle-ci soit de plus en plus transparente, efforcez-vous d’aménager des haltes de réconciliation vraie et joyeuse.

Précisément, je tiens à encourager les prêtres ici présents à mettre en valeur dans les communautés de l’Arche - et dans le respect de la conscience de chaque membre - les sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation. Grâce à vous, ces communautés, reposant sur la relation aussi transparente que possible et sur le don de soi, trouveront dans le sacrifice du Christ le sens profond de la souffrance offerte, de la vie livrée pour les autres, des renoncements à certaines préférences et intérêts propres. De même, votre ministère du pardon divin, avec l’écoute et le secret qui le caractérisent, conduira peu à peu les membres de la communauté à une paix intérieure et libératrice. Et je pense également aux bienfaits incomparables des temps de prière proposés, et adaptés aux divers groupes. Prêtres et laïcs engagés dans l’oeuvre de l’Arche, votre service est exigeant. Il est aussi pour vous chemin de sainteté, c’est-à-dire d’identification continue au Christ, Serviteur des pauvres. Vos communautés, en toute modestie et en collaboration avec beaucoup d’autres, peuvent être une certaine réponse aux inégalités, aux conflits, aux désespoirs et autres misères de notre temps. Au nom du Seigneur je vous bénis, et je bénis les communautés de l’Arche en tout pays.



AU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi 14 janvier 1984




Excellences, Mesdames, Messieurs,

1. Votre porte parole, Doyen du Corps Diplomatique et pour la première fois représentant d’un pays africain, vient d’interpréter vos sentiments et vos voeux d’une façon qui nous touche tous et qui me va droit au coeur. Avec une délicatesse et une lucidité dont je le remercie vivement, il a évoqué aussi un certain nombre de problèmes importants de justice et de paix qui intéressent les Gouvernements et toute la Communauté internationale, et qui sont l’objet de la sollicitude constante du Saint-Siège. Ma gratitude va également à tous ceux qui sont présents et qui s’associent à la démarche de Son Excellence Monsieur Joseph Amichia.

Tout à l’heure, j’espère pouvoir saluer chacun d’entre vous. Dès maintenant, je vous exprime mes voeux cordiaux pour l’année nouvelle, à chacune de vos personnes dont Dieu seul connaît les besoins, les aspirations profondes et éventuellement les épreuves secrètes, à chacune de vos familles, à tout le personnel de chacune de vos Ambassades qui se dévoue avec vous pour représenter dignement votre pays, à chacune de vos nations. Au moment d’implorer de Dieu une année de bonheur et de paix sur l’ensemble du monde, je le prie aussi de vous accorder à vous-mêmes, dans vos consciences, sa lumière et sa paix, sources de courage et d’espérance.

En cette réunion traditionnelle nous sommes invités chaque année à regarder ensemble la scène internationale pour y discerner les aspects réconfortants ou préoccupants qui appellent un engagement de tous les hommes de bonne volonté, et en particulier de ceux qui ont mission, comme vous, de tisser des relations de paix, grâce aux moyens de la diplomatie.

2. A ce jour, ils sont au nombre de 108, les pays qui ont établi des relations diplomatiques auprès du Saint-Siège. Depuis l’échange des voeux de l’an dernier, ce fut le tour de Belize, du Népal, et, cette semaine, on a pu annoncer l’établissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis d’Amérique, événement dont chacun peut facilement évaluer la portée. Et, comme je le disais en recevant pour la première fois le Corps Diplomatique le 12 janvier 1979, le Saint-Siège serait heureux de voir ici d’autres Ambassadeurs, venant spécialement des nations qui avaient à cet égard une tradition séculaire, surtout de celles que l’on peut considérer comme catholiques.

Outre le cas de l’Ordre Souverain et Militaire de Malte, dont la Mission a été élevée au rang d’Ambassade, nous accueillons avec une joie particulière les Ambassadeurs de Norvège, de Suède, de Belize, de Fidji et du Cap-Vert, dont les Gouvernements sont pour la première fois représentés dans cette solennelle réunion du Corps Diplomatique. Nous souhaitons aussi la bienvenue aux vingt-quatre autres nouveaux Ambassadeurs qui ont présenté leurs Lettres de créance au cours de l’année écoulée. Entre vos pays, vous pouvez constater une grande diversité de dimension géographique, de culture, d’histoire et d’appartenance religieuse; il en est où la communauté catholique se confond presque avec l’ensemble de la population; en d’autres pays, elle est présente dans une proportion plus ou moins forte, parfois même par une petite minorité. Mais avec tous, le Siège Apostolique essaie de considérer les problèmes humains de justice, de paix et de développement, toutes les questions de l’ordre moral international, qui se posent pour eux, pour leur voisinage et pour l’ensemble de la communauté humaine. Pour le Saint-Siège, c’est le même accueil, c’est la même estime pour chacune des nations représentées, et les mêmes égards pour les Etats souverains qui en assurent le gouvernement.

En 1950, 25 pays seulement étaient représentés auprès du Saint-Siège par un Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, et 21 par un Ministre. L’augmentation très sensible en nombre mérite une réflexion. Elle semble signifier que le Saint-Siège, dans sa position tout à fait singulière d’autorité spirituelle et morale au service de la paix de tous, selon l’esprit de l’Evangile du Christ, sans intérêts matériels propres à défendre, a pu inspirer confiance à un nombre grandissant de nations, y compris celles dont la majorité des membres partagent la foi chrétienne selon une autre confession, orthodoxe ou protestante, ou professent une autre religion ou d’autres croyances. Le Saint-Siège y voit surtout une responsabilité majeure qu’il voudrait exercer au mieux.

Mais cette situation provient aussi et surtout du fait que les Etats souverains se sont multipliés depuis une trentaine d’années. L’Organisation des Nations Unies le sait bien, elle qui les accueille solennellement en son sein. C’est principalement l’effet d’un processus de décolonisation qui a permis à des peuples nombreux d’accéder à la pleine souveraineté, à la libre gestion de leurs affaires publiques, par des citoyens issus de leurs rangs. En soi, et quel que soit le passé plus ou moins heureux, plus ou moins marqué par un progrès à divers plans - que nous n’avons pas à juger ici -, il s’agit d’une situation qui correspond à l’évolution historique et qui veut exprimer la dignité, la responsabilité, la maturité des populations, dans une égalité de droits et de devoirs avec les autres et en correspondance avec leurs traditions, leurs cultures et leurs besoins. L’Eglise accueille volontiers une telle évolution; elle est même allée au-devant, en ce qui la concerne. Elle regarde cette situation avec espérance, et ces relations diplomatiques en sont un des signes.

3. Ce processus de naissance et de reconnaissance des Etats souverains connaît-il des limites? Il n’est certainement pas achevé. Mais c’est une question délicate à trancher, où entrent en jeu des aspects juridiques, politiques, historiques, à peser prudemment, en fonction en tout cas du bien commun des populations concernées et de leur volonté réellement exprimée. Il faut toujours souhaiter que le passage se fasse sans violence, et dans le respect des droits de tous.

Certains peuples attendent impatiemment d’accéder à l’indépendance et d’être reconnus comme tels au sein de l’ONU. Nous partageons leur espoir. Au nombre de ceux-ci, nous pouvons au moins nommer la Namibie, dont le cheminement lent et laborieux à ce sujet n’a pas encore abouti.

Il est par ailleurs souhaitable que d’autres populations, comme le peuple palestinien, disposent d’une patrie. Cela nous est toujours apparu comme une condition de la paix et de la justice dans ce Moyen-Orient si tourmenté, pourvu que soit garantie en même temps la sécurité de tous les peuples de la région, y compris d’Israël.

Il existe enfin de nos jours des formes nouvelles et plus subtiles de dépendance pour lesquelles on évite soigneusement le mot de “colonialisme”, mais qui en ont les caractéristiques les plus négatives et les plus discutables, avec limitation de l’indépendance et des libertés politiques, assujettissement économique, et cela, même si les peuples intéressés paraissent jouir d’institutions gouvernementales propres, dont on ignore à quel point elles correspondent au voeu de l’ensemble des citoyens.

Par contre, des pays souverains, indépendants depuis longtemps ou récemment, se voient menacés parfois dans leur intégrité par la contestation intérieure d’une fraction qui va jusqu’à envisager ou réclamer une sécession. Les cas sont complexes et très divers, et demanderaient chacun un jugement différent, selon une éthique qui tienne compte à la fois des droits des nations, fondés sur la culture homogène des peuples ( Ioannis Pauli PP. II, Allocutio ad «UNESCO» habita, 15, die 2 iun. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 1648), et du droit des Etats à leur intégrité et souveraineté. Nous souhaitons qu’au-delà des passions - et de toute façon en évitant la violence -, on arrive à des formes politiques bien articulées, équilibrées, qui sachent respecter les particularismes culturels, ethniques, religieux, et en général les droits des minorités.

De toute façon, le bien fondé de la souveraineté des Etats et le progrès qu’elle représente n’empêchent pas ceux-ci, mais les pressent plutôt d’établir des accords, des regroupements divers, des “communautés”, des organisations régionales ou continentales qui permettent de mieux faire face ensemble aux énormes problèmes qui n’épargnent pratiquement aucun pays à l’heure de la crise économique, des mutations technologiques et de leurs répercussions sur la vie quotidienne, les conditions d’emploi notamment. Dans la mesure où elle ne compromet pas le bénéfice de la souveraineté et où elle est librement consentie, cette solidarité nouvelle est aussi un progrès.

4. Quels sont, en définitive, les droits et les devoirs d’un peuple souverain? Ils comprennent naturellement la liberté de choisir, sans ingérence étrangère, son régime politique et ceux qui sont chargés d’exercer l’autorité de l’Etat pour déterminer et appliquer les mesures jugées nécessaires au bien commun de la nation, pour orienter son destin conformément à sa culture.

Mais, de même que la personne humaine a des droits inviolables et des devoirs corrélatifs, les peuples ont aussi des devoirs vis-à-vis d’eux-mêmes, et les Etats vis-à-vis des peuples. Les peuples doivent s’en montrer dignes, par un sens accru des responsabilités. Les Etats doivent être au service de la culture authentique qui appartient en propre à la nation (Ivi), au service du bien commun, de tous les ressortissants et des associations, cherchant à établir pour tous des conditions de vie favorables, en fonction des besoins essentiels, des possibilités du pays, et dans un rapport équitable entre les niveaux de vie des divers citoyens et milieux sociaux. Ils sont non moins tenus à manifester un respect toujours plus grand des libertés et des droits fondamentaux des personnes, des familles, des corps intermédiaires, y compris la liberté de conscience et de religion. Il leur faut offrir à tous, par les lois, une garantie de justice. Ils doivent tenir compte des aspirations raisonnables, y compris l’aspiration à la participation politique. Il faut bannir absolument, lorsque les conflits surgissent à l’intérieur de la société, les procédés arbitraires, la torture, les disparitions, les bannissements, les émigrations forcées des familles, les exécutions capitales à la suite de jugements hâtifs. Cela n’est pas digne des Etats souverains qui se respectent, et on peut se demander si la Communauté internationale - dont ils ont d’ailleurs accepté les principes et les chartes - ne pourrait pas dénoncer plus clairement cet illogisme et y faire remédier. En ce qui nous concerne, nous faisons solennellement appel à la conscience de ces Gouvernants, devant Dieu et devant leurs peuples.

En un certain nombre de pays souverains qui ont déjà leur histoire comme nation et qui avaient réalisé leur unité, la paix intérieure demeure malheureusement précaire, pour d’autres raisons, car ils doivent faire face à des rébellions armées, lancinantes. Quel coût énorme, en gaspillages de biens de nécessité vitale, en ruines de toute sorte, en violences, en pertes de vies humaines, sans compter les oppositions haineuses qui demeurent! Mais là encore, devant de tels phénomènes, il faut avoir le courage de s’interroger lucidement. La rébellion vient-elle d’une force étrangère qui cherche à déstabiliser une région, qui intervient par manipulation idéologique, qui attise la haine, voire qui participe au combat, le soutient ou l’entretient, pour renverser un régime politique légitime? Ce serait alors un fait déplorable qui devrait être révélé sous son vrai visage. Ou bien la contestation locale prend-elle appui dans le pays même sur des injustices flagrantes, sur un totalitarisme insupportable de la part des Gouvernants? Il appartiendrait alors à celui-ci de s’ouvrir sans tarder aux réformes justes et nécessaires. De toute façon, on ne saurait prendre son parti du prolongement d’un tel état de guerre qui sacrifie des vies innocentes et retarde la solution des vrais problèmes, en tant de pays où la vie est déjà si précaire!

Il me semble qu’on trouverait facilement dans ces quelques réflexions, cohérentes avec la doctrine sociale de l’Eglise, des orientations salutaires pour la solution des divers conflits en cours. Vous pensez bien que le Saint-Siège, comme beaucoup de vos pays sans doute, demeure très préoccupé par la situation actuelle en Amérique centrale, au Liban, en Afghanistan, dans plusieurs régions d’Afrique, au Cambodge... Ne faudrait-il pas que se retirent les troupes étrangères d’occupation, et qu’en même temps un accord politique s’établisse librement à l’intérieur du pays, dans la recherche loyale du bien commun de tous les compatriotes et dans le respect des devoirs d’un Etat souverain tels que je viens de les énumérer? En d’autres endroits du monde - et quelles qu’en soient les causes -, nous déplorons également que la guerre se prolonge, comme c’est le cas entre l’Iran et l’Irak. Et nous souhaitons par ailleurs le consensus international pour décourager le terrorisme, partout où il sévit encore. Nous avons tous en mémoire quelques exemples particulièrement odieux de massacres perpétrés l’an dernier.

5. Et maintenant, si l’on considère les tensions qui existent entre les pays souverains, on parle souvent d’une double polarisation. La grave tension Est-Ouest retient plus souvent l’attention, car c’est dans les pays en question que se trouve la plus grande concentration d’experts en technologie, et, avec eux, de puissance économique, de fortes industries, de capacité productive, de réseaux de communication sociale, et aussi, hélas, d’armements nucléaires ou conventionnels. La tension est donc réelle à ce niveau et lourde de menaces; elle a surtout un arrière-fond idéologique. C’est un fait que les peuples concernés se sentent inquiets, voire angoissés. Nous en recevons constamment le témoignage à travers notamment les divers épiscopats, et le Saint-Siège s’estime un devoir de l’exprimer, non pour accroître la peur, mais pour mieux garantir la paix. C’est pourquoi je suis moi-même intervenu récemment pour qu’on reprenne les négociations sur la réduction des armements nucléaires. Il n’y a pas une journée à perdre, nous sommes convaincus qu’il y a là un grave devoir pour toutes les parties concernées, et si quelqu’un voulait se soustraire à la nécessité de telles négociations, il encourrait une grande responsabilité devant l’humanité et devant l’histoire.

Mais une vision complète du monde requiert qu’on accorde aussi une attention particulière au contraste Nord-Sud, comme je le disais dans mon message pour la Journée de la Paix et dans l’homélie du 1er janvier. Car ce problème touche une grande partie de l’humanité, et son enjeu est la vie, la survie de ces peuples qui sont enfermés dans le sous-développement, et que l’on classe sous la dénomination “Sud”, même s’ils appartiennent à tous les continents. Ils regardent certains pays nantis dépenser des sommes fabuleuses pour augmenter leur potentiel d’armement, souvent par peur. Et eux-mêmes sont tentés d’engager une trop grande part de leurs ressources dans l’acquisition de tels armements, alors que ce sont les conditions élémentaires d’alimentation, d’hygiène, d’alphabétisation qui font cruellement défaut, et c’est là une source énorme de souffrances, d’angoisse, d’aigreurs, parfois de révolte. La situation, par elle-même, entraîne un état endémique de violence, à plus forte raison si elle est exploitée par d’autres puissances. L’élargissement des zones de pauvreté est, à long terme, la menace la plus sérieuse pour la paix.

Aux causes humaines qui proviennent entre autres de l’inégalité des termes de l’échange et de certaines injustices, s’ajoutent des catastrophes naturelles, comme la terrible sécheresse du Sahel. Devant ces problèmes gigantesques et certainement très complexes, la Communauté internationale est appelée à faire preuve d’un engagement résolu pour une entraide efficace et désintéressée, d’un grand respect des cultures et des traditions dans ce qu’elles ont de sain, d’un souci de développer la responsabilité, la libre participation et l’unité des pays pauvres. Ceux-ci sauront d’ailleurs reconnaître tôt ou tard ceux qui les aiment vraiment, ceux qui les aident efficacement, selon leurs besoins réels, à commencer par l’entraide alimentaire.

Pour sa part, et j’insiste sur ce point, l’Eglise veut continuer à s’engager résolument pour le développement de ces pays dits du Sud; et elle encourage les autres à s’y engager aussi toujours davantage, car c’est bien la meilleure manière de préparer les chemins de la paix, en faisant oeuvre de justice et de solidarité fraternelle.

6. Je viens d’évoquer devant vous, Excellences, un certain nombre de questions qui, certes, touchent des orientations politiques; elles sont d’ailleurs familières aux diplomates que vous êtes, comme l’a montré votre Doyen. Vous le savez bien, pourtant, je ne le fais pas au nom d’un Etat, mais au nom du Saint-Siège, au nom de l’Eglise catholique, au nom de la conscience chrétienne. Il s’agit de rechercher les conditions d’un monde plus humain. Comme je vous le disais l’an dernier, le Saint-Siège se sent libre pour prendre les initiatives que cela requiert, sans prétention, mais avec assurance, en faisant sienne notamment la cause de ceux qui souffrent et dont la voix n’arrive pas à se faire entendre. Et nous sommes sûrs que cette vision rejoint celle de beaucoup d’hommes de bonne volonté, à commencer par les Chefs d’Etat et les responsables de la vie internationale. Mais la foi nous donne une conception renouvelée de l’homme et de la société, avec des motivations particulières qui peuvent renforcer son impact.

Ainsi, dans le cadre même de la vie diplomatique internationale, le Saint-Siège veut d’abord promouvoir la confiance: il ne cesse de prôner des solutions négociées avec équité, il n’hésite pas à demander la reprise d’un dialogue véritable, loyal, au-delà des passions et des préjugés qui aveuglent. C’est précisément ce qui manque aux nations et aux blocs qui n’arrivent pas à établir leurs relations sur la confiance.

Ce dialogue et cette confiance n’éloignent en rien du réalisme, au contraire. Plutôt que de s’en remettre à l’attente de résultats décisifs attribués aux changements que promettent pour un avenir indéfini certaines théories philosophico-politiques, le Saint-Siège voudrait aider à sortir de l’impasse aujourd’hui, en encourageant les personnes et les groupes à réaliser des pas concrets, à prendre des mesures ponctuelles pour avancer vers la solution des problèmes les plus élémentaires de justice en ce monde.

7. J’ai parlé d’une cohérence de ce discours avec l’Evangile. En effet, quand l’Eglise invite à faire face aux situations dramatiques des populations affamées, elle se souvient que le Christ s’est identifié avec l’homme qui a faim.

Elle prend parti pour la vie, pour que celle-ci soit accueillie, respectée, défendue, promue. Elle sait bien d’ailleurs que le monde peut apprécier ce combat, puisque la vie d’un seul innocent - lors d’un rapt par exemple - soulève, à juste titre, tant de compassion et de solidarité; elle voudrait qu’on ait la même sensibilité pour les milliers d’êtres humains qui sont éliminés par l’avortement, la famine, la guerre.

L’Eglise prend parti pour ce qu’il y a d’intime et d’inviolable dans l’homme: sa conscience, sa relation avec Dieu. Elle sait qu’un régime qui prétend extirper la foi en Dieu ne pourra sauvegarder le respect de l’homme et la fraternité des hommes. Elle ne cesse d’en appeler à la liberté religieuse, comme à un droit fondamental.

Pour son compte, surtout en cette Année sainte de la Rédemption, l’Eglise prône la réconciliation, le pardon. En demandant ce pardon à Dieu lui-même, elle invite les hommes à le pratiquer entre eux. Les peuples eux-mêmes ont besoin de se réconcilier, de regarder les autres sous un jour nouveau, de surmonter les griefs usés, d’ouvrir leur porte à 1’“adversaire” sans l’humilier, de chercher à reconstruire l’unité.

L’Eglise appelle à agir par amour, par esprit de fraternité, de service, comme elle l’a appris du Christ; elle est sûre que sans ces dispositions les grands mots de paix, de justice, de solidarité risquent d’être comme des cymbales qui retentissent sans autre effet.

Et, comme je le disais au premier jour de l’an, cette fraternité se justifie en profondeur parce que nous sommes tous fils du même Père. Comment peut-on envisager une guerre, quelle qu’elle soit, entre les fils d’un même Père?

8. A cause de tout cela, l’Eglise ose parler d’espérance. Noël nous a rappelé que la naissance d’un enfant est le commencement de quelque chose de nouveau, à plus forte raison quand c’est le Fils de Dieu qui s’insère dans l’histoire humaine, non pour condamner, mais pour sauver. Jésus apporte, à nos yeux de croyants, les prémices d’une humanité nouvelle. Il fait éclater l’histoire. Chaque homme est aimé et estimé par Dieu, quel que soit son passé personnel et collectif. Il n’existe pas de situation bloquée et sans issue. Nos peurs et nos égoïsmes peuvent être dépassés en lui, le Rédempteur. Le chrétien ne croit pas à la fatalité de l’histoire. L’homme, avec la grâce de Dieu, peut changer la trajectoire du monde. Dans cette conviction prend racine le service que le Saint-Siège prête humblement, dans les limites de sa spécificité, à la société internationale.

A vrai dire, l’Eglise est très consciente que cette transformation patiente des rapports internationaux dépasse les forces humaines, étant donné le caractère limité et pécheur de l’homme. C’est pourquoi, au sein même de son action, y compris dans son action diplomatique, elle prie, elle supplie Dieu et elle invite à prier. Cette prière ne vise pas d’abord à combler un manque. A ses yeux, prier c’est essentiellement s’accorder au plus intime de soi à la volonté de Dieu, seule juste absolument; et, pour nous, c’est plus précisément nous faire disciples du Christ dans la vérité de notre être. Si les chrétiens osent parler et formuler devant toute la communauté humaine les exigences que j’ai rappelées, c’est parce qu’ils essaient d’être fidèles à la lumière intérieure qu’ils reçoivent de Dieu, par le don d’amour du Christ présent dans l’histoire. Dans cet esprit, ils peuvent oeuvrer pour que le “coeur” change dans ses zones les plus profondes. Alors naîtra et s’affermira la paix, conformément au Message que j’ai adressé a tous les responsables politiques.

Voilà l’idéal que le Saint-Siège, au nom de l’Eglise, propose librement et souhaite partager avec vous et avec les Gouvernements du monde entier que vous représentez. Et vous, diplomates accrédités auprès du Saint-Siège, je me permets de vous inviter spécialement à en être les témoins, personnellement et comme Corps diplomatique appelé à une représentation unique en son genre.

Excellences, Mesdames, Messieurs, c’est sur ces paroles d’espérance que je vous redis mes voeux fervents. Que le Seigneur, l’auteur de tout bien, vous comble de ses bénédictions, vous et tous ceux qui vous sont chers!


Discours 1984