Discours 1984 - Vendredi, 13 avril 1984


PAROLES DE JEAN-PAUL II AUX JEUNES EN LEUR CONFIANT LA CROIX DE L'ANNÉE JUBILAIRE DE LA RÉDEMPTION

Dimanche 22 avril 1984




Très chers jeunes,

à la fin de l’Année Sainte,

je vous confie le signe de cette Année Jubilaire:

la Croix du Christ!

Portez-la dans le monde comme signe

de l’amour du Seigneur Jésus pour l’humanité

et annoncez à tous

qu’il n’y a de salut et de rédemption

que dans le Christ mort et ressuscité.



À S.E. M. ABDELMADJID CHAKER, NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE TUNISIENNE PRÈS LE SAINT-SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Vendredi, 27 avril 1984




Monsieur l’Ambassadeur,

je vous souhaite la bienvenue en cette Maison et je vous suis très reconnaissant des paroles par lesquelles vous avez voulu inaugurer votre fonction d’Ambassadeur de la République Tunisienne auprès du Saint-Siège. Je suis touché du témoignage que vous rendez à ma mission, à l’action du Saint-Siège et de l’Eglise, et j’apprécie les valeurs que vous prônez pour promouvoir un ordre international digne de l’homme.

C’est bien en effet par les voies de la compréhension réciproque, du dialogue, de la négociation équitable, dans un souci constant de justice et de paix pour tous, de respect pour les droits humains fondamentaux, pour les consciences, pour l’identité et la liberté des peuples, que l’on peut porter un remède durable et profond aux maux que vous avez évoqués: intolérance, violence, entretien de la haine et de la vengeance, interventions abusives et perfides pour troubler la paix chez les autres, sans oublier l’absence de solidarité à l’égard de ceux qui manquent chaque jour du nécessaire. Tous les continents sont concernés, mais la Tunisie est sans doute spécialement sensible au sort des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique.

A l’oeuvre du développement et de la sécurité, chaque Etat est donc appelé à travailler, chez lui d’abord, et aussi en prêtant ses bons offices, dans un esprit de sagesse, d’ouverture et d’équité, aux multiples niveaux de la concertation politique entre les pays ou au sein des divers regroupements. La façon de participer aux efforts des Organisations internationales, avec un esprit libéré des passions aveugles, revêt également une grande importance. Je sais que votre pays demeure soucieux d’une telle action.

Pour sa part, le Saint-Siège s’y intéresse vivement et y apporte sa contribution, mais d’une façon très spéciale, conformément à sa mission d’ordre spirituel. Cette distinction des domaines et des compétences fait que le Saint-Siège respecte les responsabilités politiques qui appartiennent en propre aux Etats et aux institutions internationales, et les encourage - sans se substituer à leur pouvoir temporel - à promouvoir le véritable bien commun, au milieu de toutes les difficultés. Cette perspective laisse aussi à l’Eglise une réelle liberté pour participer au premier chef à la formation des esprits et des consciences. Votre Excellence a fort bien dit qu’il s’agit d’une “Mission divine de Vérité et de Charité au profit de tous les hommes et de toutes les nations”. L’esprit qui y prévaut est celui du respect de la dignité de l’homme à l’intérieur du respect de son Créateur, et même de l’amour universel des hommes, égaux et libres.

Si un tel esprit guide le Saint-Siège dans son action internationale, dans le cadre des rapports diplomatiques, il inspire aussi, sur le terrain, l’idéal des communautés catholiques. En Tunisie, elles sont actuellement peu nombreuses et dispersées, avec une vie simple et des moyens pauvres. Leurs membres - prêtres, laïcs, religieuses - n’ont d’autre ambition que de témoigner de leur foi et de la charité puisée dans l’Evangile, et de contribuer ainsi au bonheur et au progrès de tous les Tunisiens dans les différents domaines, y compris le secteur de l’éducation.

Je suis sûr que de telles communautés continueront à rencontrer la compréhension du peuple tunisien, la protection et l’appui des Autorités civiles. Entre la population musulmane et ces chrétiens se sont en effet tissés, de longue date, des liens d’estime et d’amitié, de confiance réciproque, et les catholiques apprécient, pour leur part, l’esprit de foi au Dieu transcendant et miséricordieux que professent les adeptes de l’Islam, les exigences morales qui en découlent, leur esprit de tolérance et d’ouverture. Ils ne doutent pas non plus que l’Etat, soucieux du bien commun de tous, veillera au maintien de cet esprit de bienveillance, au respect des consciences selon leur appartenance religieuse, et au soutien des services rendus par les initiatives catholiques.

Dans cette oeuvre de dialogue et de coopération entre les Autorités civiles et celles de l’Eglise, Votre Excellence aura désormais sa part. Je vous exprime mes meilleurs souhaits, pour l’accomplissement fructueux de votre mission auprès du Saint-Siège. Au delà de votre personne, mes voeux vont à Son Excellence Monsieur le Président Habib Bourgiba: je le remercie de ceux qu’il vous a chargé de me transmettre, et je vous confie le soin de lui exprimer ceux que je forme de tout coeur pour sa personne et pour la haute et lourde tâche qui est la sienne. Enfin je souhaite ardemment que tout le peuple tunisien, surmontant les difficultés que connaît inévitablement tout pays à l’heure actuelle, au plan social, économique et politique, puisse poursuivre sa vie dans la paix, dans l’esprit démocratique qui est dans ses traditions, et dans le progrès humain et spirituel qui garantit son bonheur et sa grandeur. Que Dieu l’assiste et l’inspire sur ce chemin!





A DES GROUPES DE PÈLERINS VENUS DE DIVERSES NATIONS

Lundi, 30 avril 1984


… Chers amis de l’Hospitalité de Lourdes,

je suis heureux de vous recevoir ici, avec les représentants de l’UNITALSI. Votre venue réveille en moi le souvenir de notre rencontre de l’an dernier à Lourdes, avec les malades. Vous leur permettez l’expérience du pèlerinage; vous les accueillez au lieu où la Vierge ne cesse d’appeler à la prière, à la pénitence, à l’Eucharistie, à la vie fraternelle de l’Eglise.

Responsables et conseillers, vous représentez des milliers d’hommes et de femmes qui entendent l’appel du Seigneur à servir ces pauvres. Je voudrais vous encourager tous dans votre action à Lourdes aussi bien que dans vos diocèses le reste du temps.

Vous soulignez souvent que l’engagement pris dans l’Hospitalité constitue une réponse à un appel. C’est une manière de se rendre disciples du Christ: vous vous faites avec Lui les serviteurs de vos frères, dans les tâches humbles qui permettent au malade de vivre le dépaysement ou dans l’animation spirituelle des rassemblements. Et vous contribuez aussi à toute la vie des sanctuaires.

En cela, vous êtes des témoins de ce que vivent les plus éprouvés d’entre nous. Une malade, au nom des autres, me disait l’an passé: “Nous sommes là avec nos souffrances, physiques et morales, avec nos limites, nos détresses, nos lassitudes, nos incertitudes, nos peurs et aussi avec toute notre espérance”. Soyez donc à l’écoute de toute souffrance, et sachez découvrir l’espérance, aidez à la faire naître, aidez à mieux en recevoir le don. Par votre présence, souvent discrète, soyez les Bons Samaritains, humbles témoins de l’Evangile de la souffrance. Et soyez ceux qui reconnaissent le Christ, lui qui s’identifie à ces petits qui sont ses frères (Mt 25,40)! Soyez les témoins de la tendresse maternelle de Marie, si vivement ressentie à Lourdes!

Dans les termes de votre acte de consécration, nous l’invoquons: “Bénie soit la Sainte et Immaculée Conception de la Bienheureuse Marie, Mère de Dieu”! Qu’elle vous aide à puiser aux sources de la prière et de la Parole de Dieu l’esprit de votre association vivante et généreuse! Et de tout coeur je vous donne ma Bénédiction Apostolique.



Mai 1984

MESSAGE RADIO DU PAPE JEAN-PAUL II AU PEUPLE DU VIETNAM DURANT LE VOYAGE DE PORT MORESBY À BANGKOK

Jeudi, 10 mai 1984




Aux chers Frères et Soeurs du Vietnam,

au retour de ma visite pastorale en Corée, en Papouasie Nouvelle Guinée et aux Iles Salomon, je me trouve à proximité du Vietnam. Et je tiens à saluer tout le peuple de ce pays que j’aime, à lui manifester ma sympathie et mes sentiments de paix, mes encouragements et mes voeux cordiaux.

Tout être humain, tout peuple avec sa culture, ont leur place dans le regard bienveillant de l’Eglise catholique - universelle -, et dans le coeur de celui qui en est le Pasteur. Tel est l’Evangile d’amour reçu de Jésus-Christ: il embrasse toutes les nations dans un esprit de service, en leur apportant une parole de salut et une aide fraternelle. Pour le cas du Vietnam, tout le monde connaît et apprécie le courage au travail, la ténacité dans les difficultés, le sens familial et les autres vertus naturelles dont vous savez faire preuve. Dans ce pays qui a cruellement souffert des épreuves de la guerre, vous avez dû travailler beaucoup à la reconstruction du pays, déployer de grands efforts pour faire face aux divers problèmes d’éducation, de santé... L’Eglise porte un vif intérêt à ces efforts solidaires, les encourage et souhaite qu’ils parviennent à donner à chacun, non seulement le pain et l’instruction, mais la possibilité de l’épanouir librement avec le meilleur de lui-même, y compris dans ses aspirations religieuses et dans un climat de paix avec les autres peuples qui cherchent, comme le Vietnam, à vivre dans la tranquillité et la dignité.

C’est certainement ce que désirent les nombreux Vietnamiens qui, parmi vous, partagent la foi chrétienne. C’est à vous, chers Frères et Soeurs catholiques, que je m’adresse maintenant. Depuis les débuts de l’évangélisation, vous formez des communautés vivantes, riches de la foi de toute l’Eglise bien assimilée par le génie de votre culture vietnamienne, ardentes dans la prière, généreuses dans une charité ouverte à tous. A vos Evêques et à vos prêtres, à vos religieux et religieuses, aux pères et mères de famille, aux enfants, aux jeunes et aux vieillards, à ceux surtout qui sont dans l’épreuve de la maladie ou dans d’autres conditions de vie pénibles, je veux dire mon affection à un titre particulier. Chaque jour, par l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie, je vous recommande au Seigneur, pour qu’il continue à vous donner, avec le courage de la foi, l’espérance et la paix. Que votre cohésion autour de vos Evêques soit sans faille, dans l’adhésion à Jésus-Christ et à son Eglise! Et je prie pour que vous ayez toujours les possibilités concrètes de professer et de vivre votre foi. La garantie de ces possibilités fait honneur à un pays, elle manifeste son souci de justice et elle favorise la réalisation des valeurs spirituelles si nécessaires à son développement.

L’Eglise entière a les yeux fixés sur vous; en elle, vous avez une place de choix. Elle est fière de vous, sachant la foi chrétienne qui vous habite, avec l’amour loyal de votre nation. Elle vous encourage à construire avec tous vos compatriotes un avenir meilleur pour tous. Et elle encourage volontiers les oeuvres catholiques ou les organismes internationaux à vous apporter une aide désintéressée. Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui vous en donner l’assurance de vive voix et de vous transmettre de tout coeur ma Bénédiction Apostolique.



Juin 1984

À LA PRÉSIDENCE DU CONSEIL DES COMMUNES D'EUROPE

Samedi, 9 juin 1984




Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

il m'est particulièrement agréable de vous souhaiter la bienvenue dans cette maison, à vous qui assurez la présidence et l’animation du Conseil des Communes d’Europe.

Parmi les divers plans sur lesquels on recherche actuellement une plus grande unité de l’Europe, les communes constituent un terrain privilégié et prometteur. C’est à leur niveau d’abord que les citoyens prennent conscience de cette marche vers l’unité et en découvrent la possibilité concrète; c’est là qu’ils peuvent sincèrement adhérer à ce mouvement et y contribuer activement. Cela suppose naturellement que soit favorisée la capacité d’initiative des collectivités locales elles-mêmes; et il vaut la peine de poursuivre l’objectif dont on parle souvent: qu’une gestion proche des habitants ne soit pas rendue vaine par la centralisation administrative et par l’extension excessive des dimensions des circonscriptions.

Je suis heureux de savoir que près de 40.000 villes, communes ou circonscriptions dans 11 pays d’Europe sont membres de votre Conseil. Cela constitue déjà un réseau appréciable de relations qui rend possibles de nombreuses initiatives pour la rencontre des personnes de pays différents par delà les frontières. Il est vraiment souhaitable que les hommes et les femmes apprennent à se connaître: ils découvrent ainsi et approfondissent la communauté réelle qui existe déjà entre eux car ils partagent les mêmes aspirations, comme le désir d’une paix durable dans la liberté, pour ne prendre qu’un exemple majeur. Apprendre à se connaître, cela permet d’établir des liens durables entre des communes déterminées et amène à renforcer la confiance entre les peuples par l’estime mutuelle. Une telle confiance entre les habitants, vécue à la base, peut grandement contribuer à limiter et résoudre les conflits d’intérêts qui surgissent parfois entre les Etats.

Vous pouvez être assurés que le Saint-Siège suit avec attention l’action du Conseil des Communes européennes, qu’il l’encourage et souhaite sa réussite. Vos objectifs rencontrent sous bien des aspects l’un des désirs les plus profonds de l’Eglise: aider l’homme à développer ses possibilités, à atteindre sa maturité personnelle afin de s’intégrer dans la communauté plus large, en pleine conscience de ses solidarités et de ses responsabilités, pour y exercer un rôle actif. Le personnalisme chrétien inspiré de notre foi au Christ, idéal et sauveur de l’homme, peut constituer un fondement sûr pour vos efforts en vue d’une unité européenne respectueuse des droits de l’homme.

En vous remerciant de tout coeur de votre visite, je voudrais adresser aussi mes voeux à vos collaborateurs et à tous les habitants des Communes que vous représentez ici. Et je prie Dieu de vous bénir ainsi que vos familles.

Que Dieu nous donne sa paix!


VOYAGE APOSTOLIQUE EN SUISSE


MESSAGE TÉLÉVISÉ DU PAPE JEAN-PAUL II AUX SUISSES

Lundi, 11 juin 1984



… Je suis très heureux d’avoir, pour la première fois, l’occasion de m’adresser, à travers les medias, à tous et à chacun des citoyens et des habitants de la Suisse ou je vais avoir le bonheur de me rendre. Et, pour vous saluer, j’ose reprendre le salut même de Jésus ressuscite à ses disciples: “La paix soit avec vous” (Jn 20,19).

Vous le savez, ce souhait - qui est si fort - s’adresse à chacun des disciples du Seigneur, à ceux d’aujourd’hui comme à ceux d’hier. Plus qu’un souhait, c’est une promesse de l’Esprit, dont la paix est un des “fruits” (Cf. Gal Ga 5,22); c’est également un appel et un encouragement à une vocation magnifique et exigeante.

Mais je crois que la paix peut être ou peut devenir comme la vocation particulière d’un pays. Cet appel s’est souvent fait entendre dans l’histoire de la Suisse, alors que des difficultés internes vous menaçaient. Mais votre confiance dans les forces supérieures de la paix vous ont permis de les dépasser. L’histoire, au niveau international, retiendra également que vous avez su être, et que vous êtes toujours, des coopérateurs actifs de tant d’efforts, humbles et difficiles, entrepris par les hommes de bonne volonté, pour que l’idéal de la paix demeure malgré tout un lieu d’authentique espérance.

Oui, “que la paix soit avec vous”! Et que mon pèlerinage parmi vous en soit une nouvelle expression et une nouvelle expérience, dans la charité du Christ!




AU CONSEIL OECUMÉNIQUE DES ÉGLISES

Mardi, 12 juin 1984



Chers Frères et Soeurs,

“A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ”.

1. Je vous remercie de m’avoir invité à vous rendre visite, ici, au Centre oecuménique, durant ma visite pastorale aux catholiques de Suisse. Il est particulièrement significatif que nous nous rencontrions pour prier ensemble et pour converser fraternellement à cette époque de l’année où les chrétiens, partout à travers le monde, célèbrent l’événement de la Pentecôte. En effet, comme le dit saint Irénée, “à la Pentecôte, l’Esprit est descendu sur les disciples, avec pouvoir sur toutes les nations pour les introduire et leur ouvrir le Nouveau Testament, aussi est-ce dans toutes les langues que, animés d’un même sentiment, les disciples célébraient les louanges de Dieu, tandis que l’Esprit ramenait à l’unité les tribus séparées et offrait au Père les prémices de toutes les nations” (S. Irenaei, Adversus haereses, III, 17, 2). La Pentecôte, don de l’Esprit, est pour l’Eglise la source toujours vivifiante de son unité, et le point de départ de sa mission. Notre rencontre coïncide avec ces jours.

Le simple fait de ma présence ici, parmi vous, comme évêque de Rome visitant fraternellement le Conseil oecuménique des Eglises, est un signe de cette volonté d’unité. Depuis le début de mon ministère comme évêque de Rome, j’ai insisté sur le fait que l’engagement de l’Eglise catholique dans le mouvement oecuménique était irréversible et que la recherche de l’unité était une de ses priorités pastorales (Cf. Ioannis Pauli PP. II, Nuntius ad Secretarium Generalem Consilii Oecumenici Ecclesiarum missus, die 24 iul. 1983: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VI, 2 (1983) 120). Le nouveau Code de droit canonique exprime d’ailleurs très clairement l’obligation qu’ont les évêques catholiques de promouvoir, conformément à la volonté du Christ, le mouvement oecuménique (CIC 755, par. 1).

2. Certes, lorsque l’Eglise catholique entre dans la rude tâche oecuménique, elle le fait en étant porteuse d’une conviction. En dépit des misères morales qui ont marqué la vie de ses membres et même de ses responsables au cours de son histoire, elle est convaincue d’avoir gardé, en toute fidélité à la tradition apostolique et à la foi des Pères, dans le ministère de l’évêque de Rome, le pôle visible et le garant de l’unité. Saint Ignace d’Antioche ne saluait-il pas déjà l’Eglise “qui préside dans la région des Romains” comme celle “qui préside à la charité”, à la communion? L’Eglise catholique croit, en effet, que l’évêque qui préside à la vie de l’Eglise locale fécondée par le sang de Pierre reçoit du Seigneur la mission de demeurer le témoin de la foi professée par ces deux coryphées de la communauté apostolique et qui, dans la grâce de l’Esprit Saint, fait l’unité des croyants. Être en communion avec l’Evêque de Rome, c’est visiblement attester que l’on est en communion avec tous ceux et toutes celles qui confessent cette même foi, qui l’ont confessée depuis la Pentecôte et qui la confesseront “jusqu’à ce que vienne” le jour du Seigneur. Telle est notre conviction de catholiques, et notre fidélité au Christ nous interdit d’y renoncer. Nous savons aussi que pour la plupart d’entre vous - dont la mémoire est peut-être marquée par certains souvenirs douloureux pour lesquels mon prédécesseur Paul VI implorait votre pardon - cela constitue une difficulté. Mais il faudra que nous en discutions dans la franchise et l’amitié, avec le sérieux plein de promesses que le travail de préparation du document de “Foi et Constitution” sur “le Baptême, l’Eucharistie et le Ministère” a déjà manifesté. Si le mouvement oecuménique est vraiment porté par l’Esprit Saint, ce moment arrivera.

3. L’Eglise catholique et les Eglises membres du Conseil oecuménique des Eglises ont en commun une longue histoire; nous partageons les pénibles souvenirs de séparations dramatiques et de polémiques réciproques qui blessèrent profondément l’unité. C’est une histoire durant laquelle nous n’avons pas cessé d’avoir en commun beaucoup des éléments ou des biens par l’ensemble desquels l’Eglise se construit et est vivifié (Cf. Unitatis Redintegratio UR 3). Cette histoire devient maintenant celle de la redécouverte de la communion incomplète, mais réelle, existant entre nous; tous les éléments qui composent ou devraient composer cette communion sont progressivement situés dans leurs vraies perspectives avec toutes les conséquences que cette nouvelle perception entraîne pour la collaboration entre nous et le témoignage commun.

4. Nous avons d’abord pris conscience de notre baptême commun et de sa signification. Les affirmations des Assemblées de New Delhi ou d’Evanston expriment ici la même conviction que le décret du IIe Concile du Vatican sur l’oecuménisme: “Par le sacrement du baptême, toutes les fois qu’il est conféré comme il convient selon l’institution du Seigneur et reçu avec les dispositions intérieures requises, l’homme est incorporé vraiment au Christ crucifié et glorifié... Le baptême est donc le lien sacramentel d’unité existant entre tous ceux qui ont été régénérés par lui” (Unitatis Redintegratio UR 22). Certes, “il n’est, de soi, que le commencement et le point de départ, car il tend tout entier à l’acquisition de la plénitude de la vie dans le Christ” (Ibid. UR 22). Mais, tous baptisés d’un vrai baptême, nous sommes tous enveloppés dans le même et indivisible amour du Père, vivifiés par le même et indivisible Esprit de Dieu, incorporés au Fils unique. Si, entre nous, nous sommes divisés, nous sommes cependant saisis par une même étreinte, par ce que saint Irénée appelait “les deux mains du Père” (le Fils et l’Esprit). Voilà ce qui nous pousse à renouer entre nous la communion. Il s’agit d’accepter d’être ce que nous sommes pour Dieu, en vertu d’“un seul baptême”, à cause du “seul Dieu et Père de tous qui règne pour tous, à travers tous et en tous” (Ep 4,6). Si nous sommes encore divisés, nous sommes néanmoins tous dans le mystère de la Pentecôte renversant Babel. Nos divisions contrastent ainsi avec l’unité déjà existante; elles n’en sont que plus scandaleuses.

5. Ensemble nous avons appris à communier dans le respect de la Parole de Dieu. Grâce au renouveau des études bibliques, où les exégètes de toutes les confessions chrétiennes ont oeuvré côte à côte, certaines vieilles polémiques qui nous opposaient depuis des siècles sont apparues vaines. Comment ne pas mentionner ici le Cardinal Bea qui consacra au service de l’unité les dix dernières années d’une longue vie vouée à l’étude et à l’enseignement de la Sainte Ecriture? Lorsque le IIe Concile du Vatican affirme: “Il faut que toute la prédication ecclésiale, comme la religion chrétienne elle-même, soit tout entière nourrie et régie par la Sainte Ecriture” (Dei Verbum DV 21), il ne fait qu’exprimer une certitude commune. De plus en plus, la Parole de Dieu est aussi comprise en référence à la vie et au témoignage de la communauté ecclésiale animée par cet Esprit dont Jésus disait: “Il vous enseignera toute chose”, “il vous fera accéder à la vérité tout entière” (Jn 14,26 Jn 16,13). Comment, même si nous ne sommes pas encore pleinement d’accord sur l’interprétation de certains points importants de cette Parole de Dieu, ne pas souligner la signification positive de cette unanimité croissante?

6. Il est un autre aspect du mystère chrétien qui nous réunit plus que par le passé. Nous avons appris ensemble à mieux comprendre tout le rôle de l’Esprit Saint. Or cette redécouverte - dont le renouveau de la liturgie catholique porte la marque - nous a rendus sensibles à de nouvelles dimensions de notre vie ecclésiale. L’Esprit est source d’une liberté qui permet de renouveler dans la fidélité ce que nous recevons des générations qui nous ont précédés. Il sait inventer des chemins nouveaux dès qu’il est question de marcher ensemble vers une unité qui, à la fois, est fondée dans la vérité et respecte la riche diversité des valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source dans un patrimoine commun (Cf. Unitatis Redintegratio UR 4).

7. Du fait de cette nouvelle attention à la présence de l’Esprit, notre prière a pris un accent particulier. Elle s’est davantage ouverte à l’action de grâce, dans laquelle nous nous détachons de nos propres préoccupations pour fixer notre regard sur l’oeuvre de Dieu et la merveille de sa grâce. Ce regard nous fait prendre une conscience plus vive du dessein de Dieu sur son peuple, dans la certitude de la primauté des initiatives divines. Nous ne nous contentons plus d’implorer ensemble et d’intercéder; nous tendons davantage maintenant à bénir Dieu pour l’oeuvre de sa grâce.

La prière tient dans nos soucis une place de choix. Bien qu’il ne nous soit pas encore possible de célébrer ensemble l’Eucharistie du Seigneur en communiant à la même table, nous avons de plus en plus à coeur de faire de la prière commune le centre de nos réunions, même lorsqu’elles sont d’austères réunions de travail. Il est significatif à ce point de vue que l’Assemblée de Vancouver, l’été dernier, ait été dominée par cette réalité d’une prière commune, quotidiennement assurée dans la dignité et la ferveur, et que la Tente de prière soit devenue le symbole de cet événement oecuménique de si haute importance. N’est-ce pas aussi dans la prière que nous nous rencontrons aujourd’hui même? Ce progrès en commun dans la fidélité à l’ordre de l’Apôtre: “Priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance”(1Th 5,17-18), est le signe indubitable de la présence de l’Esprit du Seigneur au sein de notre recherche. Elle indique que nous sommes dans la bonne voie.

8. Avançant ainsi ensemble, en nous rapprochant les uns des autres, dans cette expérience de la prière, il nous est devenu possible de développer cette réelle “solidarité fraternelle”, dont parlait le Pape Paul VI (Pauli VI, Nuntius ad Secretarium Generalem Consilii Oecumenici Ecclesiarum missus, die 20 nov. 1975: Insegnamenti di Paolo VI, XIII (1975) 1306), avec le Conseil oecuménique et ses Eglises membres. Une collaboration multiforme s’est ainsi développée. Tout d’abord dans la recherche théologique sérieuse et persévérante de “Foi et Constitution”. C’est un travail oecuménique fondamental, car l’unité dans la profession de foi conditionne l’aboutissement de tous les efforts faits en commun; mais ceux-ci à leur tour sont un moyen important de progresser vers cette unité dans la foi.

9. En effet un service commun de l’humanité au nom de l’Evangile est une manière nécessaire de faire la vérité et donc d’aller vers la lumière (Cf. Jn 3,21). Il n’est pas fortuit que les déclarations de l’Assemblée d’Uppsala sur le service de la création et celles de la Constitution pastorale du IIe Concile du Vatican sur l’Eglise dans le monde de ce temps se recoupent sur plusieurs points. La recherche du Conseil oecuménique au sujet de la justice et de la paix, son engagement au service des pauvres et des malheureux, son incessant travail pour la défense de la liberté et des droits humains rejoignent le souci constant des communautés catholiques.

En effet, la défense de l’homme, de sa dignité, de sa liberté, de ses droits, du sens plénier de sa vie, est une préoccupation majeure de l’Eglise catholique, elle s’efforce, partout où elle le peut, de contribuer à promouvoir les conditions nécessaires au développement de son existence d’être créé et racheté par Dieu, convaincue que “cet homme est la première route que l’Eglise doit parcourir en accomplissant sa mission” (Ioannis Pauli PP. II, Redemptor Hominis RH 14). En intervenant en faveur de l’homme, quel que soit le régime politique du pays, elle tient à marquer la distinction et l’autonomie relative de l’Eglise et de l’Etat. Elle est respectueuse de la noble et difficile fonction de ceux qui ont la charge du bien commun, elle entretient avec eux un dialogue et même des relations stables d’un commun accord pour faire progresser la paix et la justice, tout en estimant que ce n’est pas son rôle d’intervenir dans les modes de gouvernements que les hommes se donnent pour les choses temporelles ni de prôner la violence pour les changer. Mais elle invite ses membres laïcs à prendre une part active dans la gestion et l’orientation de celles-ci selon les principes évangéliques, et elle garde sa liberté pour juger du point de vue éthique les conditions qui favorisent le progrès des personnes et des communautés ou au contraire qui lèsent gravement les droits des personnes, la liberté civile et religieuse (Gaudium et Spes GS 42 GS 75).

Sur ce dernier point, l’Eglise catholique souhaite que les autres Eglises et Communautés chrétiennes élèvent la voix avec elle pour que soient garanties l’authentique liberté de conscience et de culte des citoyens, et la liberté des Eglises de former les ministres et de se donner les moyens dont elles ont besoin pour l’épanouissement de la foi de leurs fidèles. Beaucoup d’hommes de bonne volonté et d’institutions internationales comprennent aujourd’hui l’importance de ce droit fondamental; mais, devant la gravité des faits, il me paraît nécessaire que l’ensemble des chrétiens et des communautés chrétiennes - lorsqu’ils ont la possibilité de s’exprimer - apportent ici leur témoignage commun sur ce qui est vital pour eux.

10. Nous devrions d’ailleurs nous retrouver de plus en plus ensemble sur tous les terrains où l’homme, à cause du poids de son environnement, éprouve de grandes difficultés à vivre selon la dignité de sa vocation, sur le plan social, éthique et religieux. Il y a tant de valeurs humaines qui sont obscurcies, dans la vie des personnes et des familles: équité dans les relations, authenticité de l’amour, ouverture fraternelle et généreuse aux autres! En dépit de nos séparations et de nos méthodes d’action souvent différentes, sur le plan de la pensée et de l’action sociale, nous nous rejoignons souvent et nous témoignons d’une même vision fondée sur une même lecture de l’Evangile. Il arrive, certes, que nous divergions sur les moyens. Nos positions en matière d’éthique ne sont pas toujours identiques. Mais ce qui nous unit déjà permet d’espérer que nous arriverons un jour à une convergence sur ce terrain fondamental.

Oui, la volonté de “suivre le Christ” dans son amour pour ceux qui sont dans le besoin nous conduit à une action en commun. Si temporaire qu’elle soit, cette communion dans le service évangélique nous fait entrevoir ce que pourrait être, ce que sera, notre communion totale et parfaite, dans la foi, la charité, l’Eucharistie. Elle n’est donc pas une pure rencontre accidentelle, inspirée par la seule pitié en face de la misère ou la réaction devant l’injustice. Elle appartient à notre marche ensemble vers l’unité.

11. Nous nous rencontrons aussi dans l’inquiétude pour l’avenir de l’humanité. Notre foi au Christ nous fait communier dans une même espérance pour affronter les forces de destruction qui assaillent l’humanité, érodent ses assises spirituelles, la conduisent au bord de l’abîme. L’oeuvre créatrice et rédemptrice de Dieu ne saurait être engloutie par tout ce que le péché allume dans le coeur humain, ni être définitivement mise en échec. Mais cela nous conduit à une perception aiguë de notre propre responsabilité de chrétiens devant l’avenir de l’homme et aussi à la prise de conscience de la gravité de nos divisions. Dans la mesure où elles obscurcissent notre témoignage dans un monde qui court au suicide, elles constituent un obstacle à l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ.

12. Notre communion dans l’action se fonde en effet sur le partage d’un souci commun de l’évangélisation. Ce n’est pas une simple coïncidence que vous, Docteur Potter, ayez été invité à parler aux évêques réunis à Rome pour le Synode de 1974, dont la profonde réflexion sur l’évangélisation dans le monde moderne est contenue dans l’exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi”. Vous avez exposé devant le Synode la manière dont le Conseil oecuménique comprenait la tâche missionnaire. Déjà à cette occasion il était apparu que les grandes questions de l’urgence de l’évangélisation et de ses méthodes, du dialogue avec les autres religions, des relations de l’Evangile et de la culture, étaient posées à tous les chrétiens, et qu’elles les invitaient à une nouvelle fidélité dans la mission.

Nos rencontres et nos échanges sur ce sujet nous ont montré que nous sommes tous d’accord pour dire “qu’il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés” (Pauli VI, Evangelii Nuntiandi EN 22). Mais nous reconnaissons aussi “qu’il est impossible d’accepter que l’oeuvre d’évangélisation puisse ou doive négliger les questions extrêmement graves, tellement agitées aujourd’hui, concernant la justice, la libération, le développement et la paix dans le monde. Si cela arrivait ce serait ignorer la doctrine de l’Evangile sur l’amour envers le prochain qui souffre ou est dans le besoin” (Ibid. EN 31).

13. Pour l’Eglise catholique, ce sont les évêques qui ont la responsabilité d’orienter et de coordonner tous les aspects de l’effort d’évangélisation; de l’aider à garder son inspiration authentique, à respecter la liberté essentielle de l’adhésion de foi et à éviter qu’il ne se dégrade en prosélytisme ou ne s’inféode aux idéologies du moment. Le développement harmonieux d’une collaboration avec l’Eglise catholique demande que l’on tienne compte, en ce qui concerne la mission de l’évêque, de cette conviction qui est d’ailleurs partagée par plusieurs des Eglises membres du Conseil oecuménique.

14. Il y a juste 15 ans, mon prédécesseur le Pape Paul VI vous rendait visite et il se félicitait du développement des relations entre le Conseil oecuménique et l’Eglise catholique. Je tiens à vous dire mon désir, comme je l’ai déjà fait plusieurs fois, que cette collaboration entre nous augmente et s’intensifie partout où c’est possible. Le Groupe Mixte de Travail entre l’Eglise catholique et le Conseil oecuménique des Eglises a une tâche importante à accomplir. Il doit être inventif pour trouver les voies qui permettront d’ores et déjà “de nous unir consciemment dans la grande mission qui consiste à révéler le Christ au monde” (Ioannis Pauli PP. II, Redemptor Hominis RH 11). C’est en faisant ensemble sa vérité que nous manifesterons sa lumière. Cet effort en vue d’un témoignage commun est une des priorités assignées au Groupe Mixte de Travail. Cela demandera un nouvel effort de formation oecuménique et d’approfondissement doctrinal. Notre témoignage en effet ne pourra être véritablement et complètement commun que lorsque nous serons arrivés à l’unité dans la confession de la foi apostolique.

15. Aujourd’hui, devant Dieu et le Christ Jésus, dans la force du Saint-Esprit, nous pouvons rendre grâce des progrès que nous avons, ensemble, accomplis sur le chemin de l’unité. Ces progrès nous interdisent de retourner en arrière. En vous remerciant de tout ce que, depuis ces origines, le Conseil a fait pour sa part afin de nous aider à croître ensemble, je ne puis que vous rappeler la ferme détermination de l’Eglise catholique de mettre tout en oeuvre pour que brille un jour la lumière de la koinonia restaurée. Et comment le ferions-nous sans nous efforcer de continuer de croître dans le respect mutuel, la confiance réciproque, la recherche commune de l’unique vérité? La route est longue. Il faut en respecter les étapes. Mais nous avons foi dans l’Esprit.

Ah, chers Frères et Soeurs dans le Christ, comme mon vénéré prédécesseur Paul VI au début de la IIe session du Concile Vatican II (29 septembre 1963) au moment où il abordait précisément la grave question de l’unité, je voudrais être parmi vous un humble adorateur et serviteur du Christ, du Christ en majesté tel qu’il est représenté dans nos splendides églises d’Orient et d’Occident! C’est Lui qui, dans la gloire qu’il partage avec le Père, se tient au-dessus de notre assemblée de croyants et la bénit. Nous à qui sont confiées tant de charges pour l’Eglise, nous nous tournons vers Lui et vers son Père, en implorant - pour mieux rendre témoignage et servir le salut des hommes - les lumières et la force de l’Esprit Saint. Un peu comme les apôtres et les premiers disciples réunis dans le premier Cénacle, avec Marie, la mère de Jésus. C’est le Christ Rédempteur qui est notre principe, notre voie et notre guide, notre espérance et notre fin. Qu’il donne à son Eglise sur terre d’être de plus en plus, dans son mystère et dans son unité visible, une épiphanie de l’Amour qui unit le Père, le Fils et le Saint-Esprit!




Discours 1984 - Vendredi, 13 avril 1984