Discours 1984 - DÉCLARATION COMMUNE ENTRE LE PAPE JEAN-PAUL II ET S.S. MORAN MAR IGNATIUS ZAKKA Ier IWAS


AUX ÉVÊQUES DE GRÈCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Lundi, 25 juin 1984




Chers Frères dans l’épiscopat,
Cher Monseigneur le Responsable des catholiques de rite arménien,
Chers Administrateurs Apostoliques,

1. Notre rencontre, tant désirée de votre part et de la mienne, se réalise enfin. Bénissons le Seigneur pour ces moments tout à fait privilégiés de communion ecclésiale! Supplions l’Apôtre Paul, qui s’est dépensé sans mesure pour l’Evangile à travers la Grèce antique, de contribuer au meilleur retentissement possible de votre visite “ad Limina Apostolorum”.

En vous voyant ainsi rassemblés, je ne puis omettre de rappeler qu’aux environs de l’année 95 - alors que l’Apôtre Jean vivait sans doute encore et résidait probablement à Ephèse - c’est l’Eglise de Rome qui intervint avec calme et autorité auprès de la jeune communauté de Corinthe, afin d’apaiser des conflits intérieurs. Et, ce faisant, l’Eglise de Rome ne jugeait pas nécessaire de justifier son intervention, tant elle était confiante dans l’acceptation de celle-ci. Il est également intéressant de noter que l’Evêque Denys de Corinthe écrivait au Pape Soter vers 170 que l’on continuait à lire dans les assemblées liturgiques la célèbre Lettre du Pape Clément. Tout ceci donne raison à l’historien bien connu, Pierre Battifol, qui a dit: “Avant même la fin de l’âge apostolique, nous assistons à "l’épiphanie de la primauté romaine"” (P. Battifol, L'Eglise naissante et le catholicisme, p. 146). Nous savons que saint Ignace d’Antioche, saint Irénée de Lyon, saint Cyprien de Carthage, saint Ambroise de Milan, saint Augustin d’Hippone nous ont laissé des textes sans équivoque à ce sujet. Frères très chers, c’est en évoquant ces précieux souvenirs de notre collégialité que je vous accueille. Chacun de vous est responsable d’une Eglise locale et particulière et en même temps solidaire des autres communautés chrétiennes, comme le furent les Apôtres dont nous poursuivons, les uns et les autres, la mission. Et, à l’intérieur de cette unique Eglise de Dieu, répandue à travers tous les continents, il existe un centre vital, un point de repère visible: c’est l’Eglise locale et particulière de Rome, présidée par le Successeur de l’Apôtre Pierre, “Premier des Douze” selon l’expression de saint Matthieu. Marc et Luc soulignent également que l’Eglise est “Pierre et ceux qui sont avec lui” dans la diversité des rites. Votre présence autour de l’Evêque de Rome atteste et renforce l’unité du corps épiscopal. Au cours des siècles, tous les Successeurs de Pierre sont le lien vivant entre les Evêques et - on l’oublie parfois - entre l’Eglise d’aujourd’hui et l’Eglise des Apôtres.

2. Ceci dit, et après avoir pris une connaissance très attentive de vos relations quinquennales ou vous ayant entendu dans des contacts personnels, je voudrais, selon la mission dont la Providence m’a chargé, confirmer votre foi dans le Christ Rédempteur et affermir votre confiance dans son plan universel de salut de l’humanité, votre confiance dans l’édification de l’Eglise, “sacrement de ce salut”.

Certes, autant et plus que bien des Pasteurs, vous êtes appelés à vivre la foi d’Abraham et l’espérance des prophètes. Vos Eglises locales comprennent chacune un nombre limité de fidèles, assez souvent disséminés, comme dans le Vicariat Apostolique de Thessalonique, ou résidant en plusieurs îles, comme dans le diocèse de Naxos, Tinos, Miconos et Andros. C’est un fait qui ne doit pas vous décourager. La foi et l’espérance qui sont en vos coeurs vous poussent, au contraire, à faire de ces petits rassemblements des lieux et des moments de rapports interpersonnels plus profonds et chaleureux. Les communautés de disciples du Christ n’ont-elles pas à libérer l’homme moderne du double mal de l’isolement et de l’anonymat? Il reste que je comprends vos interrogations et réflexions sur une restructuration de vos diocèses en vue d’un meilleur service pastoral. Toutefois, les amendements ou même les créations bien étudiés ne dispenseront jamais des efforts persévérants et toujours améliorés pour insuffler à tout rassemblement de fidèles une vitalité bénéfique pour les participants et susceptible d’accréditer l’Evangile du Seigneur comme une véritable Bonne Nouvelle. Nous ne pouvons oublier que les premières communautés chrétiennes sont nées dans des conditions difficiles: toutes les Lettres de Paul en témoignent. Je rends grâce à Dieu pour votre labeur apostolique et je lui demande que vous demeuriez uniquement et totalement mobilisés par la présentation du message évangélique. Présentation intégrale, percutante, judicieusement aidée par le langage et les moyens de communication de notre temps. Cette présentation, “à temps et à contre-temps”, manifeste le dynamisme interne et inépuisable de la Parole de Dieu, fait jaillir de sa proclamation des sources inspiratrices en vue de la construction ou de la reconstruction d’une société digne de Dieu et digne de l’homme (Pauli VI, Evangelii Nuntiandi EN 18 EN 19 EN 20). J’ai noté que certains résultats acquis auprès des enfants et des adolescents sont encourageants. Exhortez sans cesse les responsables des paroisses à se concerter, à se faire aider dans toute la mesure concrètement possible pour une fidèle et ardente transmission des vérités de la foi. Vos relations donnent également des statistiques sur la participation aux assemblées dominicales. J’imagine les problèmes de vos prêtres pour engager et former assez de laïcs chrétiens, capables de coopérer à l’animation de la liturgie. A travers l’Eglise, les exemples de communautés paroissiales, à effectif limité et cependant très vivant, sont nombreux et probants. Je souhaite ardemment que la pastorale liturgique bien comprise maintienne vie, jeunesse et dignité à la célébration des Mystères divins, aide les participants à voir et à vivre leur vie quotidienne à travers ces Mystères, spécialement les événements de Pâques et de la Pentecôte, attire les jeunes et les adultes ayant pris des distances avec des célébrations qui pourraient apparaître étrangères à leur existence.

3. La vie de vos fidèles se déploie surtout dans les diverses professions qui tissent la vie socio-économique du pays, et à l’intérieur de la cellule familiale. En vous lisant et en vous écoutant, j’ai saisi combien vous ressentez le besoin de mieux accompagner et guider ces hommes et ces femmes dans leurs responsabilités. Tel ou tel d’entre vous souligne la pénétration d’un matérialisme pratique, l’ankylose ou même la disparition de la conscience morale. Avec des moyens limités, hélas, mais peut-être améliorables - ne serait-ce qu’en obtenant le concours temporaire ou permanent de congrégations ou de diocèses ouverts à des situations comme les vôtres -, votre Conférence épiscopale ferait un travail d’évangélisation bénéfique aux foyers catholiques et aux futurs foyers en multipliant, avec réalisme et modestie, des tournées de conférences sur les problèmes conjugaux, familiaux, professionnels et autres que les chrétiens de ce temps ont tant besoin de voir et de revoir dans la lumière du Christ et du Magistère de l’Eglise. Est-il plus sûr moyen pour refaire le tissu des consciences?

4. Je tiens aussi à vous donner tout mon appui dans le domaine de la pastorale des jeunes. Je n’ai pas oublié que vous avez organisé en septembre dernier le premier Festival des Jeunes, et que d’autres moyens d’apostolat auprès de la jeunesse existent dans vos diocèses. Leur réajustement est parfois nécessaire, et harassant. En toute hypothèse, à travers des formules variées, leur but est toujours de former progressivement des caractères trempés et imprégnés de foi éclairée en Jésus Christ. C’est également dans ces contacts que des éducateurs qualifiés et aimés peuvent révéler, surtout aux adolescents, où se situent les valeurs morales à acquérir. C’est encore dans ces réunions ou ces sorties de jeunes qu’il est possible de discerner des adolescents capables de consacrer leur vie au Seigneur et à son oeuvre de Rédemption. Dans l’attente d’une relève sacerdotale, présentement très réduite, un certain jumelage de vos Eglises avec d’autres diocèses encore bien pourvus de ministres ordonnés est peut-être réalisable. Il importe de ne jamais désespérer. 5. Enfin, je ne voudrais pas terminer sans vous exhorter à continuer vos efforts oecuméniques, étant donné que vous vivez au milieu de nos frères orthodoxes. Si vous portez le lourd héritage du passé, vous portez aussi les espérances de la pleine réconciliation. Evêques, prêtres, laïcs chrétiens, stimulez-vous sans cesse en vue de la multiplication des rencontres amicales, des services réciproques possibles, des actions socio-caritatives conduites en commun. Le chemin parcouru peut sembler modeste. Il importe de persévérer, de laisser le temps au temps. D’autres récolteront ce que vous avez semé.

Soyez, chers Frères dans le Christ, vivement remerciés de votre visite si confiante et réconfortante! Elle m’a permis de mieux connaître et de communier davantage à vos soucis pastoraux.

Haut les coeurs! L’Esprit du Seigneur vous accompagne au milieu des responsabilités que vous avez généreusement acceptées. A travers vous, Il est capable de faire des merveilles. Laissez-vous envahir par sa lumière et son dynamisme. Que vos fidèles catholiques vous retrouvent bientôt débordant de paix, d’ardeur, de joie! Dans nos tribulations respectives, il nous faut tous surabonder de joie, comme Paul de Tarse l’écrivait à ses chers Corinthiens (2Co 7,4). En pensant également à tous vos diocésains, à vos prêtres, à vos religieux et religieuses, je vous bénis au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.



À UN GROUPE DE JOURNALISTES CATHOLIQUES DE BELGIQUE

Jeudi, 28 juin 1984



Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

la longue fidélité et le généreux soutien que votre Association des journalistes catholiques de Belgique a manifestée à mes vénérés prédécesseurs et continue de témoigner à l’actuel Successeur de Pierre, m’est une source de précieux réconfort. Si le Pape doit faire face à sa mission particulière de sollicitude envers toutes les Eglises qui sont en communion avec le Siège de Rome, il sait aussi qu’il peut compter sur le concours du peuple chrétien. Pour votre part, vous illustrez cette solidarité ecclésiale que l’Apôtre Paul recommandait chaleureusement aux chrétiens de Corinthe (2Co 8).

Soyez vivement félicités et remerciés pour la somme que vous avez eu la délicatesse de vouloir me remettre à Rome même. Votre démarche est hautement symbolique et elle est un bel exemple pour les responsables de pèlerinages diocésains ou paroissiaux qui s’efforcent de conduire les fils de l’Eglise aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, en vue d’un ressourcement de leur foi, de leur charité, de leur espérance.

Je vous saurais gré, Monsieur le Président, d’exprimer ma reconnaissance, par le moyen que vous jugerez à propos, à tous ceux qui ont participé concrètement à la constitution de ces “Etrennes pontificales”: les nombreux lecteurs de vos journaux catholiques et tous les amis de votre Association. Est-il besoin d’ajouter, pour ces bienfaiteurs avertis, que les clichés faciles sur les richesses du Vatican sont objectivement dépassés et que le temps vient où pourrait être mise au point, en ce qui concerne les ressources matérielles, une articulation encore plus efficace entre les services romains de l’Eglise universelle et les Eglises locales.

Soyez en tout cas assurés que tous les dons importants ou plus modestes permettent à celui qui préside à la charité de toutes les Eglises d’assurer le bon fonctionnement des services centraux de l’Eglise et de secourir au nom du Christ les populations et les pays accablés par la misère. En leur nom, je vous exprime des sentiments de très profonde gratitude. Que Dieu lui-même vous bénisse abondamment et qu’il vous fasse la grâce de communiquer à vos frères la passion évangélique du partage!

Volentieri rivolgo anche in fiammingo una parola di ringraziamento cordiale a tutti i membri dell’Associazione dei giornalisti cattolici e dell’Unione dei giornalisti cattolici del Belgio, come pure a tutti i collaboratori e ai lettori dei giornali cattolici per i generosi contributi alla colletta “Strenne pontificie” che è espressione di fedeltà e di affezione sincera per la Chiesa e per il Vicario di Cristo.

Di cuore invoco la grazia e la benedizione di Dio su di voi e con gioia speciale questa volta dico: arrivederci l’anno prossimo in Belgio.



Septembre 1984

AUX MEMBRES DE LA COMMISSION INTERNATIONALE DE L'ÉTAT CIVIL

Vendredi 7 septembre 1984




Monsieur le Président de la Commission internationale de l’Etat Civil,
Mesdames et Messieurs les Délégués de vos pays respectifs,

1. Soyez tous remerciés de votre visite de courtoisie. Au-delà de ma personne, je la considère comme une marque d’estime et de reconnaissance envers l’Eglise qui a toujours manifesté un intérêt concret pour toute la vie de l’homme et pour que son histoire, écrite selon les moyens et le style des diverses époques, éclaire les générations qui se succèdent.

En effet, les principaux événements de la vie terrestre de l’homme, tels que la naissance, le mariage, la citoyenneté, l’habitation, la mort, constituent le champ de votre étude. Vos travaux ne sont pas seulement une recherche théorique et comparative; ils s’efforcent d’aboutir à des résultats de très grande importance pratique, comme l’échange d’informations entre divers pays, l’amélioration des services concernant la vérification des faits et la documentation qui s’y rapporte, le perfectionnement des normes régissant de tels services et l’unification de ces règles grâce aux conventions internationales multilatérales.

Votre travail a donc comme objet un domaine très utile au gouvernement des hommes, parce qu’en définitive il vise à toujours mieux préparer et régler des instruments essentiellement techniques et probatoires, indispensables à la réglementation ordonnée des droits de la personne humaine. Il s’agit d’un travail vraiment méritant à l’égard de l’humanité, puisqu’il cherche à faire en sorte que tout Etat tire profit des progrès techniques accomplis par les autres Etats, comme aussi de la discipline juridique des autres pays: sans oublier que votre oeuvre veut rendre utilisables et valables les informations que fournit chaque Etat pour les événements se déroulant sur son territoire.

2. Je dirais même que votre labeur est d’autant plus méritoire qu’il dépasse le cadre d’un territoire unique, où des réformes législatives peuvent être réalisées avec une certaine facilité et où des progrès techniques peuvent être aisément introduits dans les équipements en vue de la vérification et de la documentation des faits touchant la personne. Vous oeuvrez dans le domaine international, où de tels résultats ne peuvent être obtenus que lentement et difficilement, à cause de la différence des mentalités et de la diversité des situations historiques, politiques et ethniques: cela exige un minutieux travail d’approche, et les effets bénéfiques qui en résultent dépassent le domaine restreint où se déploie votre activité.

3. L’Eglise a des raisons particulières de souhaiter que votre action porte tous les fruits escomptés. D’abord, parce que certains faits, que votre travail a pour but de connaître, sont également très importants pour la vie surnaturelle des hommes: la naissance qui met l’homme en contact avec ses semblables et la société humaine, mais aussi avec d’autres enfants de Dieu; la mort qui fait paraître tout homme devant son Créateur pour lui rendre compte de la façon dont il a utilisé les dons surnaturels octroyés pendant sa vie; le mariage, source, devant Dieu et les hommes, d’une alliance qui comporte un ensemble de droits et de devoirs humains et spirituels.

4. En outre, précisément en raison des avantages que l’Eglise pouvait retirer, pour son bon gouvernement et pour toute son activité pastorale, d’une information régulière sur ces faits et sur d’autres encore concernant la vie humaine, elle a commencé et développé depuis des siècles une vaste activité de documentation et de contrôle, dans un temps où les Etats n’avaient pas encore de services en ce domaine.

Tout le monde connaît les livres paroissiaux et les registres, que des lois particulières - parfois voulues par des autorités civiles - et des coutumes ecclésiastiques avaient introduits, déjà avant que le Concile de Trente, par un décret du 11 novembre 1563 (Conc. Trid. Sess. XXIV, De ref. Matr., cc. 1-2), ne rendît obligatoires, par une loi générale, le registre des baptêmes et celui des mariages. Ces registres, avec d’autres institués par la suite (pour les confirmations, les décès, les ordinations, “l’état des âmes”) furent, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, presque les seuls livres correspondant aux registres modernes d’état civil; ils ont continué de l’être encore en bien des pays durant une grande partie du XIXe siècle (en certains cas plus longtemps encore), souvent même dans des pays très développés, avec une efficacité probatoire qui s’étendait au for civil.

5. Le Code de Droit Canonique de 1917, bien que promulgué à une époque où, dans la plupart des pays, les registres d’état civil étaient en usage, a réglé avec grand soin la tenue des registres ecclésiastiques et leur valeur probatoire dans le domaine ecclésiastique. Le nouveau Code, entré en vigueur le 27 novembre 1983, en a fait autant. Ce Code récent, en plus des registres diocésains, prévoit les registres paroissiaux des baptêmes, des mariages, des décès et éventuellement des confirmations. Il établit également que sur les registres de baptêmes soient inscrits les confirmations, les mariages (et l’éventuelle déclaration de nullité de ces derniers et leur dissolution), les adoptions, les professions religieuses, les changements de rite. Le Code établit des règles au sujet de la conservation des registres et du contrôle de leur tenue régulière; il réglemente leur valeur probatoire au for ecclésiastique et la délivrance des copies ou de délivrer une copie des actes.

Etant donné l’importance des registres ecclésiastiques des siècles passés pour la documentation historique, et même s’il s’agit de périodes plus récentes mais relatives à des personnes maintenant disparues, une norme du Code insiste sur l’obligation de conserver ces livres ayant désormais seulement une valeur historique, tout en renvoyant au droit particulier pour la façon concrète d’assurer cette conservation.

Au terme de cet entretien, je suis heureux de renouveler les encouragements de l’Eglise à la Commission internationale de l’Etat Civil et d’implorer sur son Président et ses membres, sur vos familles et vos pays respectifs, les Bénédictions du Seigneur.



À UN PÈLERINAGE DE PERSONNES NON-VOYANTES

Samedi 8 septembre 1984




Mes chers amis,

Dieu soit loué pour cette rencontre! Vous la désiriez très vivement, vous qui êtes plus sensibles que d’autres à une présence ressentie comme très proche, palpable en quelque sorte. De mon côté, m’efforçant de suivre les exemples du Seigneur Jésus, j’accueille le plus possible ceux qui - dans l’Eglise ou la société en général - portent des responsabilités lourdes de conséquences, mais également les foules des audiences du mercredi. Et je tiens beaucoup à manifester une attention spéciale à mes frères et soeurs portant le poids d’infirmités, quelles qu’elles soient. Soyez les bienvenus dans cette Maison de famille. Dans la foi, vous êtes mes enfants de prédilection.

Même si vous avez progressivement bien assumé vos limites visuelles, je suis certain que vous songez souvent à tant d’hommes, de femmes, de jeunes touchés par la souffrance à travers le monde. Le mal dans le monde a même conduit certaines personnes malades ou handicapées à douter de Dieu. Cette attitude peut se comprendre, mais elle a besoin d’être éclairée. Les causes des misères humaines sont multiples et complexes. L’homme et la société y ont leur part. Le mal est un mystère qui ne se réduit pas à un problème. Il a quelque chose d’insondable. Et notre Dieu est toujours Père, un Père qui n’accable pas de souffrance. Il la partage en ce sens qu’il a envoyé son propre Fils dans le monde pour nous communiquer le secret de la transfiguration et de la sanctification de la souffrance.

Chers amis, j’éprouve une joie très profonde en vous voyant si proches de Moi, et en sachant que chacun de vous a déjà accompli une partie de l’acceptation des limites qu’il porte au niveau de ses yeux, que dis-je, de l’offrande chrétienne de sa situation. C’est aussi ma joie de savoir que vous bénéficiez d’instituts spécialisés, d’associations d’amitié entre handicapés de la vue. Ces différents organismes vous ont permis d’accéder à un véritable niveau de valeur humaine et à des insertions très réussies dans l’existence. Et je félicite chaleureusement tous ceux qui se dévouent sans compter à la promotion des personnes totalement ou partiellement limitées dans l’usage de la vue.

Enfin, je veux vous encourager à apporter au monde contemporain - en vous entraidant au maximum - le précieux témoignage d’une existence, marquée par l’épreuve certes, et cependant pleine de sérénité et d’intériorité spirituelle, de joie et d’amitié de dévouement professionnel correspondant à vos possibilités individuelles, de service de l’Eglise du Christ. Tout être humain, en effet, est appelé à rendre témoignage a la dignité sacrée de la personne et en définitive au Christ Rédempteur de toute misère humaine pour quiconque lui ouvre largement son esprit et son coeur.

Chers amis, je demande au Seigneur, pour chacun de vous, la grâce de repartir de ce pèlerinage romain avec une plus grande confiance en vos possibilités, une joie de vivre renouvelée, un approfondissement de votre faim et de votre soif de Dieu. Je vous bénis très affectueusement au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.



VOYAGE APOSTOLIQUE AU CANADA


MESSAGE RADIO DU PAPE JEAN-PAUL II PENDANT LE VOL SUR GASPÉ

Dimanche 9 septembre 1984


Salut, croix de Jésus, signe de notre espérance.

Salut, croix de Gaspé. Ici, il y a 450 ans, Jacques Cartier a planté la croix.

En présence des premiers habitants de cette contrée, il s’agenouilla avec ses hommes pour vénérer l’étendard de notre salut.

Ici, Jacques Cartier a commencé une page nouvelle dans l’histoire du monde et de l’Eglise.

Croix de Gaspé, guide nos pas vers le Seigneur.

En ce jour, je rends un hommage ému à la foi intrépide des hommes et des femmes qui ont accepté, à la suite de Jacques Cartier, de traverser les mers pour implanter la foi et l’Eglise au Canada.

Salut à vous, Canadiens et Canadiennes, et à vous plus particulièrement, gens de Gaspé dont la vie est si intimement liée à la terre, à la forêt et à la mer.

Salut à vous, Amérindiens, Amérindiennes et Inuit qui habitez ici depuis des temps immémoriaux. Puissiez-vous vivre toujours dans la pleine reconnaissance de votre dignité et de vos droits.



en anglais: …


CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Aéroport International du Québec, Dimanche 9 septembre 1984




Madame le Gouverneur Général du Canada,
messieurs les Cardinaux,
Monseigneur le Président de la Conférence des évêques catholiques
du Canada, et Monseigneur l’Archevêque de Québec,
et vous tous, chers Frères dans l’épiscopat,
Monsieur le Lieutenant Gouverneur du Québec,
Monsieur le Premier Ministre du Canada,
Monsieur le Premier Ministre du Québec,
Monsieur le Président de la Communauté urbaine de Québec,
Monsieur le Maire de la ville de Québec,
Monsieur le Maire de la ville de Sainte-Foy,

à vous tous, dignitaires et responsables de la société civile et de groupes religieux de ce pays,

“Grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ” (1Co 1,3).

Avant d'adresser mon message à tous ceux que vous représentez, je tiens à dire ma vive gratitude à Son Excellence la Très Honorable Jeanne Sauvé. Madame, je ne puis reprendre ici les divers points de votre allocution. Nous aurons une autre rencontre à Ottawa. Mais je tiens à vous dire dès maintenant que je suis profondément touché de vos paroles. La délicatesse et la hauteur de votre discours, la juste perception que vous exprimez du sens de ma mission apostolique dans le monde, l’intuition profonde de mon projet pastoral au Canada, l’évocation si attachante du peuple canadien, vos paroles exigeantes et chaleureuses concernant le destin de ce cher pays, le témoignage personnel que vous donnez dans le cadre de votre très haute fonction, constituent pour moi le meilleur message de bienvenue et un puissant encouragement à aborder avec confiance les diverses étapes de mon pèlerinage dans votre patrie. Soyez-en vivement remerciée.

1. ...

2. Dans cet immense pays du Canada, c’est d’abord à Québec que je commence mon pèlerinage, et j’en suis très heureux. Salut à toi, Québec, première Eglise en Amérique du Nord, premier témoin de la foi, toi qui as planté la croix au carrefour de tes routes et qui as fait rayonner l’Evangile sur cette terre bénie!

Salut a vous, gens du Québec, dont les traditions, la langue et la culture confèrent à votre société un visage si particulier en Amérique du Nord.

Salut à vous, gens de ce pays, Amérindiens, gens d’origine française et anglaise, émigrants venus de partout et qui vivez ensemble, pour progresser les uns avec les autres, les uns par les autres, sur le chemin de l’histoire, si laborieux et si passionnant!

3. ...

4. Salut à vous, hommes et femmes qui cherchez un sens à votre vie et ne trouvez pas de réponse satisfaisante pour vos aspirations les plus profondes. Vous essayez de vivre votre vie dignement et d’une manière responsable. Cherchons ensemble le meilleur chemin de la vie.

A vous tous, j’apporte le salut de l’Eglise de Rome et de toute l’Eglise de Dieu qui vit en communion avec elle, répandue à travers l’univers. Je viens vous dire l’amour, la joie, les douleurs, l’espérance de vos frères et soeurs de toutes les parties du monde. En retour, j’espère pouvoir apporter au monde quelque chose de chez vous, un écho de votre dynamisme humain, de votre vitalité religieuse.

5. ...

6. Mais c’est avant tout comme Pasteur et Frère que je viens vers vous. Je suis le Pasteur qui succède au premier Pasteur, l’Apôtre Pierre. Je suis le Père, que désigne le mot de Pape. Mais je suis aussi votre frère, votre frère en humanité et votre frère obéissant au bon Pasteur de l’Eglise, Jésus-Christ.

Je suis parmi vous pour partager le pain et la parole, pour partager l’espérance, pour vous transmettre la Parole de Dieu et le Pain de l’Eucharistie.

7. ...

8. Je voudrais que ma parole soit un partage. Le partage d’un frère dans la foi. Le partage d’un pèlerin, témoin de ce que vivent les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Le partage d’un homme conscient de la crise spirituelle de ce temps, préoccupé de la justice; d’un homme également confiant dans les possibilités du coeur humain quand l’amour de Dieu le transforme. “Gardez courage, dit Jésus, j’ai vaincu le monde!” (Jn 16,33).

9. ...

Frères et Soeurs, amis déjà, faisons route ensemble, regardons vers Celui qui nous réunit. O Seigneur, notre Dieu, “qu’il est puissant ton nom par toute la terre!” (Ps 8,22).

...



AUX RELIGIEUX ET AUX RELIGIEUSES

Chapelle du Séminaire de Québec, Dimanche 9 septembre 1984




Chers Frères et Soeurs,

en cette première journée de mon pèlerinage, je suis heureux d’avoir pu vénérer le tombeau du Bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec et de toute l’Amérique du Nord, que j’ai eu la joie de béatifier en 1980 avec Marie de l’Incarnation et Kateri Tekakwitha.

François de Laval rejoignit en 1639 une Eglise naissante, fruit de l’action courageuse de prêtres, de religieux et de religieuses, porteurs de l’Evangile en cette terre. Vicaire apostolique, il contribua, sans épargner sa peine, à rassembler les premiers habitants convertis avec les colons chrétiens dans l’unité de ce qui serait bientôt un diocèse, tout en participant personnellement à l’action missionnaire et en prenant sa part dans les épreuves des pionniers.

Il avait connu en France la vitalité d’une chrétienté en train de se renouveler sous l’impulsion de nombreux fondateurs et de spirituels remarquables dont il partageait le sens de Dieu et la charité. Il voulut établir fermement l’Eglise en ce nouveau pays en communion avec l’Evêque de Rome. Et l’une de ses oeuvres les plus significatives fut la fondation du grand séminaire et du petit séminaire où nous nous trouvons, pour rendre possible le rapide développement du clergé québécois.

Avec vous, je voudrais rendre grâce pour le don de Dieu qui s’est manifesté sur cette terre particulièrement par la sainteté de ce premier évêque ainsi que de tous les fondateurs.

Je pense spécialement aux communautés religieuses dont le zèle missionnaire a produit tant de fruits de sainteté: les Jésuites, les Récollets, les Ursulines, les Hospitalières Augustines de la Miséricorde furent parmi les premiers à venir de France en Amérique du Nord. Bientôt les Sulpiciens les rejoindront avec beaucoup d’autres. Puis de nombreux instituts naîtront, témoins de l’épanouissement d’une communauté ecclésiale généreuse.

Chers religieux et religieuses rassemblés en cette chapelle, louons le Seigneur pour tout ce qu’il a donné à vos devanciers d’accomplir.

Et maintenant je voudrais vous dire, et je le ferai encore ailleurs au cours de mon voyage, que l’Eglise compte fermement sur votre action et votre témoignage. Sans doute votre rôle s’est-il modifié depuis quelques années, mais l’essentiel de votre vocation particulière demeure: le don de soi dans le célibat consacré, la vie de prière et d’active charité sont des signes pour tous. Les services concrets que vous rendez sont irremplaçables, dans la pastorale, dans les diverses instances de formation des jeunes et des adultes, dans l’aide aux plus défavorisés notamment. Je prie Dieu pour qu’il appelle assez de jeunes à vous rejoindre généreusement afin que vos missions soient poursuivies et sans cesse renouvelées.

Permettez-moi d’adresser un salut particulièrement cordial aux prêtres qui ont la charge des séminaires du Québec et de leur exprimer ma confiance et mes voeux pour les tâches primordiales qu’ils ont à assumer.

Très cordialement je vous donne à tous la Bénédiction Apostolique.



AUX HANDICAPÉS

Centre de réhabilitation «François Charon», Lundi 10 septembre 1984




1. J’ai vivement désiré cette rencontre personnelle avec vous qui êtes éprouvés dans votre corps par la maladie ou les accidents. Je voudrais saluer chacun et chacune d’entre vous, et tous ceux qui vous entourent de leur affection et de leur entraide, qui contribuent à vous faire aimer la vie et à l’épanouir en vous comme un don de Dieu: parents, amis et tout le personnel de cette maison. Au-delà de vos personnes, je salue les autres handicapés - hommes et femmes - de cette région du Québec et ceux du Canada. A la suite de Jésus de Nazareth, je désire me faire proche de vous, et aussi approfondir avec vous le sens spirituel de votre souffrance et de votre espérance de vivre pleinement.

2. Tout d’abord, j’exprime spontanément mon admiration, mes félicitations, mes encouragements à ceux qui ont organisé ce Centre et assurent quotidiennement son fonctionnement. Le nom de François Charon est déjà bien évocateur: au cours du siècle des fondateurs, il a fait l’expérience de la maladie, et il a décidé d’abandonner son affaire lucrative de pelleteries pour consacrer ses efforts et son argent aux déshérités: enfants, orphelins, estropiés, vieillards, infirmes, visant à la fois les soins, l’éducation et l’obtention d’un métier. Sa maison de charité n’est-elle pas devenue l’hôpital général de Montréal?

Et aujourd’hui, après la fusion, voilà cinq ans, de deux institutions un peu semblables, le Centre François Charon se veut à l’avant-garde de la science, de la technique et de la pédagogie pour offrir ses services en réadaptation physique et psychosociale à un nombre croissant de personnes adultes handicapés physiques de l’est du Québec.

Non seulement elles y trouvent des instruments et des méthodes perfectionnées de rééducation fonctionnelle, mais les moyens d’acquérir toute l’autonomie possible dans leur milieu propre, et le reclassement professionnel pour une intégration dans la société. Pour cela, vos équipes comprennent des spécialistes de toutes les branches, travaillant selon une philosophie qui veut donner à chacun des chances égales et un égale dignité humaine. C’est merveilleux, et je souhaite que les scientifiques continuent d’inventer tout ce qui peut soulager efficacement la souffrance.

Mais ces instruments et cette compétence, chers membres du personnel, ne parviendraient pas à épanouir les handicapés sans le dévouement, l’attention, le soutien, la chaleur humaine dont ils ont aussi besoin, et je sais que vous les prodiguez dans cette Maison. Je suis frappé par la jeunesse des employés, mus par un idéal de service, qui apportent ici leur disponibilité et leur dynamisme. Je n’oublie pas non plus les nombreux bénévoles qui, par leurs visites, ici et à domicile, assurent un climat d’amitié et de service.

Ce qui mérite aussi un encouragement, c’est le souci de cette entreprise d’intégrer la dimension spirituelle dans son oeuvre de réadaptation humaine. Le signe en est cette belle chapelle au coeur du Centre. Ainsi tous ceux qui le veulent peuvent s’y recueillir devant le Seigneur, participer à l’eucharistie, méditer et chanter avec les autres, rencontrer le prêtre et ceux qui participent à l’activité du bureau pastoral. La personne forme un tout - corps et âme - et chaque événement personnel - épreuve, effort ou guérison - est lié au spirituel.

Oui, je forme les meilleurs voeux pour le service qualifié de ce Centre, et des autres centres semblables du Québec.

3. J’y vois un signe du prix que ce peuple sait accorder à la dignité des personnes handicapées, malgré la séduction qu’éprouve le monde moderne pour la productivité, le profit, l’efficacité, la rapidité, les records de la force physique.

Nos sociétés, Dieu merci, semblent prendre peu à peu conscience de la place des handicapés. Ceux-ci ont des droits qui ont été souvent négligés. L’organisation des Nations Unies a publié le 9 décembre 1975 une déclaration sur ces droits qui mérite notre louange. Elle a aussi décrété en 1981 l’Année internationale des personnes handicapées. Mais il faut que ces bonnes intentions s’incarnent dans les réalités de chaque région, et là, il y a des difficultés matérielles et des obstacles psychologiques à surmonter, des progrès à réaliser.

L’Eglise s’y est toujours intéressée au premier chef, et elle a fait fleurir au cours des siècles des oeuvres d’une grande générosité pour venir en aide, comme le Christ, aux handicapés, persuadée de la valeur unique de chaque personne. Le 4 mars 1981, le Saint-Siège a publié un long document qui réaffirme les principes fondamentaux et les lignes d’action (Document du Saint-Siège, die 4 mar. 1981: «L'Osservatore Romano», editio gallica, die mar. 1981). J’aime ici redire avec clarté et vigueur: la personne handicapée est un sujet humain à part entière, avec tous les droits correspondants, innés, sacrés et inviolables, qu’elle le soit par infirmité, de naissance ou à la suite de maladies chroniques, d’accidents, comme aussi par débilité mentale ou infirmité sensorielle, et quelle que soit l’importance de ses lésions. On doit lui faciliter la participation à la vie de la société dans toutes ses dimensions et à tous les niveaux accessibles à ses possibilités: famille, école, travail, communauté sociale, politique, religieuse. En pratique, cela suppose le respect absolu de la vie humaine du handicapé, dès sa conception et à tous les stades de son développement.

Il faut non seulement chercher à vaincre les handicaps, mais aussi leurs causes. Ils ont souvent des causes naturelles, malformation de l’organisme ou maladie, nous pensons aussi à la guerre, à la pollution, aux abus d’alcool ou de drogue, aux imprudences de circulation. Et encore aux causes psychologiques et morales: une “écologie” spirituelle s’impose au même titre qu’une écologie naturelle. Il faut aider les familles souvent désemparées, et bien méritantes, et pour cela il faut réaliser des maisons d’accueil comme celle-ci soucieuses de liens avec la famille. Il faut tendre à donner une formation, un emploi adapté avec une juste rémunération, des possibilités de promotion et des conditions de sécurité qui évitent le traumatisme facile des handicapés: cela demande de l’imagination et de l’audace, pour toutes sortes d’initiatives sociales, avec l’aide des pouvoirs publics. J’y ai consacré tout un paragraphe de mon encyclique sur le travail (Ioannis Pauli PP. II, Laborem Exercens LE 22). Il importe finalement que le handicapé soit non seulement assisté et aimé, mais qu’il prenne, autant que possible, conscience de sa dignité, de ses ressources, de ses possibilités de vouloir, de communiquer, de collaborer, d’aimer, de donner à son tour, en luttant chaque jour pour garder et développer ses capacités.

En définitive, la qualité d’une société ou d’une civilisation se mesure au respect qu’elle manifeste envers les plus faibles de ses membres. Une société techniquement parfaite, dans laquelle seuls sont admis les membres pleinement productifs, devrait être considérée comme radicalement indigne de l’homme, pervertie par une sorte de discrimination non moins condamnable que la discrimination raciale. La personne handicapée est l’un d’entre nous, participe à notre humanité même. Reconnaître et promouvoir sa dignité et ses droits, c’est reconnaître notre propre dignité et nos droits.

Telles sont les convictions de l’Eglise (Document du Saint-Siège, die 4 mar. 1981: «L'Osservatore Romano», editio gallica, die mar. 1981), qu’elle se réjouit de voir partagées et mises en pratique dans un bon nombre de législations et de sociétés.

4. Mais, chers amis, le chrétien puise dans sa foi des motifs plus profonds encore, et une force particulière pour cette oeuvre en faveur des handicapés.

L’Evangile nous montre Jésus qui passe en faisant le bien. Il accueillait tous ceux qui souffraient physiquement ou moralement; il allait même à leur rencontre. Il leur annonçait la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu et de leur salut par la foi. Et dans ce salut, il visait en même temps le corps et l’âme. En réconfortant les infirmes - estropiés, paralysés, aveugles, sourds -, il voulait les arracher à leur misère, et leur guérison, en réponse à leur foi, était le signe de la vie plénière qu’il annonçait: “Lève-toi et marche!”.

Il ne s’est pas contenté d’être proche de la souffrance et de la soulager, il l’a prise sur lui. Il est devenu volontairement l’homme des douleurs, familier de la souffrance, et finalement de celle des torturés, des condamnés à mort. Parce qu’il a ainsi offert sa vie, lui, le Fils bien-aimé du Père, Dieu l’a ressuscité, et le Christ nous a ainsi ouvert les portes de la Vie. Il nous garantit que la vie aura le dernier mot.

Le message qu’il nous a laissé, c’est donc que vous, handicapés, vous cherchiez avec Lui à lutter contre le mal, à vaincre les obstacles dont souffre votre corps, avec l’aide de la technique et de la science, et par le courage de l’amour.

C’est aussi que nous devenions les uns pour les autres de bons samaritains (Ioannis Pauli PP. II, Salvifici Doloris, 28-30) non seulement en nous arrêtant près de l’homme qui souffre des blessures de la vie, mais en lui portant un secours efficace, en nous donnant nous-mêmes à cet homme avec lequel le Christ s’identifie: “Ce que vous avez fait à l’un de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait”.

5. J’ai parlé jusqu’ici, chers Frères et Soeurs en Jésus-Christ, de la noblesse de cette lutte tenace contre le mal physique, avec ce qu’elle suppose de compétence technique, de courage, de solidarité et d’espérance. Et telle est bien la volonté de Dieu.

Mais le mystère de votre souffrance est plus profond, et je voudrais y descendre avec vous, comme je l’ai fait dans ma lettre du 11 février de cette année, en la fête de Notre-Dame de Lourdes: “Au coeur de toute souffrance éprouvée par l’homme... apparaît inévitablement la question: pourquoi? C’est une question sur la cause, la raison; c’est en même temps une question sur le but et, en définitive, sur le sens” (Ibid. 9). “Chaque personne entre presque toujours dans la souffrance avec une protestation tout à fait humaine et en se posant la question du "pourquoi"...”(Ibid. 27). Elle adresse cette interrogation à Dieu, comme Job, et elle l’adresse aussi au Christ. Même si elle identifie la cause seconde qui a provoqué son handicap, même si elle espère le surmonter et si elle y parvient de fait avec sa volonté et les moyens de rééducation, le problème subjectif demeure entier: pourquoi cette souffrance, cette limite en moi, à telle période de ma vie? Ce mystère nous accompagne, comme il accompagne toutes les épreuves humaines et le travail humain lui-même. Le Christ répond, d’une certaine façon, de sa Croix, au plus profond de sa propre souffrance. Ce n’est pas une réponse abstraite; c’est un appel, que l’homme met du temps à entendre.

Le Christ a donné une valeur rédemptrice universelle à sa propre souffrance, qui semblait lui être imposée du dehors; il l’a assumée dans l’obéissance envers son Père, dans l’amour envers les hommes, pour les libérer de leur péché qui est cause de souffrance et de mort. Et nous participons nous-mêmes à cette Rédemption, si nous y consentons. Ce consentement n’est ni fatalité, ni résignation à la souffrance qui demeure en soi un mal et qui oblige à lutter. Mais Dieu nous montre comment tirer le bien du mal en offrant cette souffrance telle qu’elle est ressentie aujourd’hui, avec la Croix du Christ. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont fait ou font ici cette expérience, dans la foi. La douleur demeure. Mais le coeur reçoit sérénité et paix. Il surmonte le sentiment d’inutilité de la souffrance. Il s’ouvre à l’amour. Il aide les personnes de son entourage à sortir d’elles-mêmes, à se donner. Il est témoin de la foi et de l’espérance. Il croit, dans le mystère de la communion des saints, qu’il est utile au salut de ses frères et soeurs à travers le monde. Il entre dans la mission rédemptrice avec le Christ.

De ce témoignage émouvant, nous remercions les handicapés, et tous ceux qui les accompagnent discrètement dans le cheminement spirituel. Il est important que les handicapés et malades s’entraident dans des associations, non seulement pour humaniser leurs conditions de vie et faire valoir leurs droits, mais pour mieux accéder à ce mystère. Personne ne peut imposer sa foi, mais chacun peut en vivre et en témoigner, et apporter une inspiration et un dynamisme nouveaux au coeur des établissements de santé: Bienheureux ceux qui comprennent ce langage des béatitudes! La souffrance humaine est dès lors une force qui peut contribuer à transformer le monde.

6. Oui, avec le Christ vous devez aimer la vie: “Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en abondance” (Jn 10,11). La vie naturelle de votre organisme corporel, de ses fonctions réhabilitées, de ses sens; la vie des facultés intellectuelles et des capacités d’amour. Mais aussi la vie plus mystérieuse, surnaturelle, que Dieu dépose dans les croyants par le baptême, qui est sa Vie divine, la participation à sa vie trinitaire. Elle n’est pas tributaire des handicaps physiques; elle contraste même avec la faiblesse du corps. Cette vie est invisible pour les yeux, mais elle donne aux personnes leur beauté intérieure et leur force secrète; elle demeure et s’épanouit au-delà de cette vie terrestre. Et la grandeur des sacrements, notamment de l’eucharistie et de la réconciliation, est de nous introduire dans cette Vie. Cette chapelle en est le lieu privilégié.

7. Voilà, chers amis, l’essentiel du message de l’Evêque de Rome présent au milieu de vous.

Ici, vous me semblez particulièrement aidés, entraînés à retrouver le goût de vivre. Je ne puis m’empêcher de penser - et c’est une intention de prière que je vous confie - à tous les autres handicapés de ce pays, du monde; aux handicapés mentaux; aux malades gravement atteints, à ceux qui ont des lésions telles qu’il n’y a pas d’espoir humain d’amélioration et qui ont droit au même respect de la vie; aux handicapés sans défense, enfants à naître et vieillards, auxquels je voudrais prêter ma voix: “Nous avons le droit de naître, nous avons le droit de vivre!”. Je pense aux pays trop pauvres pour pouvoir encore organiser des centres de rééducation comme celui-ci.

Nous sommes tous solidaires dans la souffrance de nos frères et, comme je le disais au seuil de l’Année internationale des handicapés (1er janvier 1981): “Si seulement une minime partie du budget réservé à la course aux armements était consacrée à cet objectif, on pourrait obtenir d’importants succès et soulager le sort de nombreuses personnes souffrantes”.

8. Avant de vous quitter - et je garderai intense le souvenir de cette visite -, je redis aux handicapés de ce Centre mon affection et mes encouragements. Je le dis aussi à leurs familles et à tout le personnel si méritant de cette Maison. Le Concile Vatican II a reconnu dans une telle présence de charité le centre vital de l’apostolat des laïcs (Apostolicam Actuositatem AA 8). Je pense aussi aux religieux et aux religieuses qui ont mis leur vie consacrée au service des handicapés, et à tous les prêtres qui leur apportent les signes efficaces de l’amour du Christ.

L’Apôtre Pierre a dit au boiteux de la Belle Porte: “Je n’ai ni or, ni argent; au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche!”. Ce pouvoir de guérir miraculeusement appartient à Jésus-Christ. Aujourd’hui, le successeur de Pierre vous remercie de votre accueil et de votre témoignage, et il espère que son passage parmi vous aura contribué à fortifier votre foi, cette foi qui éclaire, dilate et élève votre vie. Je demande à Marie, notre Mère, de vous obtenir ce don de l’Esprit Saint. Et je prie Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, de vous combler de ses bénédictions.




Discours 1984 - DÉCLARATION COMMUNE ENTRE LE PAPE JEAN-PAUL II ET S.S. MORAN MAR IGNATIUS ZAKKA Ier IWAS