Discours 1984 - Basilique du Oratoire de Saint Joseph (Montréal), Mardi 11 septembre 1984

AUX RELIGIEUSES DE LA CONGRÉGATION DE NOTRE-DAME

Maison mère de la Congrégation de Notre-Dame, Mardi 11 septembre 1984




Chères Soeurs de la Congrégation de Notre-Dame,

avant la messe qui doit réunir tout le peuple chrétien de Montréal, le temps ne me permet pas de vous dire toutes les pensées qui surgissent en mon coeur devant la tombe de votre sainte fondatrice. J’ai eu l’honneur de la déclarer Sainte le 31 octobre 1982, et ce jour-là, j’ai évoqué sa spiritualité, les aspects admirables de son apostolat auprès des jeunes et des familles et l’intérêt de ses initiatives pour la pastorale aujourd’hui. Nous honorons cette sainte femme parmi les fondateurs de Montréal et de l’Eglise au Canada.

Aujourd’hui, je vous redis simplement, à vous, ses chères filles spirituelles, mais aussi à toutes les religieuses éducatrices en ce pays, et à tous ceux qui coopèrent à l’éducation des jeunes, à la promotion des familles: regardez le zèle, le réalisme, l’audace de l’amour de sainte Marguerite Bourgeoys. Considérez le prix qu’elle accordait à l’âme de chaque enfant, fille de colon ou fille de famille indienne, comme “une goutte de sang de Jésus Christ”! Voyez son dévouement et son savoir-faire d’institutrice, ouvrant des écoles populaires sur le terrain, proche des familles et collaborant avec elles. Appréciez son souci d’initier les jeunes à une formation complète, visant la foi, la prière, le sens apostolique, les capacités culturelles et pratiques pour assumer les tâches de la vie d’une femme adulte. Admirez son imagination et sa ténacité pastorales pour préparer jeunes gens et jeunes filles à fonder des foyers solides, pour former des épouses et des mères chrétiennes, cultivées, laborieuses, rayonnantes Remarquez le soutien réaliste qu’elle continuait à apporter aux familles, aux femmes mariées réunies en associations. Vous savez la foi, la fermeté et la tendresse qui ont marqué toute son oeuvre.

en anglais …

Prions sainte Marguerite Bourgeoys à toutes ces intentions. Et vous, chères Soeurs, continuez à puiser dans son exemple lumière et force. De grand coeur je bénis toute votre Congrégation.


AUX ENFANTS DES ÉCOLES PRIMAIRE

Basilique de Notre-Dame, Mardi 11 septembre 1984




Chers jeunes,

au fond de nos coeurs - en faisant un bref instant de silence -, remercions déjà le Seigneur pour la joie de cette rencontre!

Vous êtes heureux d’être près du Pape! Eh bien, le Pape aussi est très heureux d’être au milieu de vous!

Vous le savez bien: lorsque les personnes, les jeunes comme vous, ou les aînés comme moi, prennent le temps de se rencontrer, de se manifester de l’amitié simplement et sincèrement, de s’entraider autant qu’elles le peuvent, c’est le Bonheur sur terre! Précisément cette fraternité entre tous les habitants de l’univers, c’est le grand désir du Seigneur. Vous savez bien que Jésus est venu et demeure - mystérieusement mais réellement - parmi nous. Avec nous il poursuit ce projet de fraternité universelle, il nous rassemble et fait de nous les membres de son Corps.

Bien sûr, chacun de vous ne peut réaliser tout seul ce plan mondial d’amitié et d’unité entre les gens d’un même pays et entre tous les peuples de la terre. Mais chacun doit y apporter sa contribution, une contribution personnelle, irremplaçable. Vous me comprenez bien, je vois cela sur vos jeunes visages.

Vous êtes presque trois mille jeunes réunis dans cette Maison du Seigneur, et vous êtes tous des enfants différents. Il en est qui sont plus calmes, d’autres plus remuants; certains aiment mieux le dessin, la musique, d’autres le sport; beaucoup travaillent à l’école de tout leur coeur, il s’en trouve qui ont moins de goût et moins de courage pour étudier; quelques-uns ont des handicaps de santé, d’autres disposent d’une santé robuste. Différents? oui. Mais vous avez tous et chacun une place - une place unique - dans le monde.

Et si Jésus vous rencontrait aujourd’hui... - mais Il vous rencontre d’une certaine manière par l’Evêque de Rome que je suis, à la suite de l’Apôtre Pierre -, il vous dirait encore: Oh, surtout, aimez-vous bien les uns les autres, c’est à ce signe que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples, mes amis véritables! Oui, aimez-vous toujours davantage!

Je suis heureux d’avoir vu de mes yeux vos gestes symboliques à propos de l’amitié et de l’entraide, et de vous avoir entendu chanter votre volonté d’aimer l’autre tel qu’il est, les autres tels qu’ils sont. J’ai grande confiance que chacun de vous fera progresser, ici sur la terre du Canada et même à travers le monde, l’amitié telle que Jésus la comprend: donner tous les jours du bonheur aux autres... donner sa vie. Cela se fait, cela continuera, grâce à vos efforts personnels et en groupes. Mais toujours Jésus vous aide: dans la prière vous êtes tout près de Lui. Dans les sacrements qu’Il a confiés à son Eglise, vous le rencontrez: depuis le baptême, vous êtes liés à Lui; vous aimez recevoir le pardon par la confession, vous aimez le recevoir Lui-même et partager sa vie dans la joie de la communion; le sacrement de confirmation vous assure du don de l’Esprit Saint, qui vous donne sa lumière et sa force, pour que vous grandissiez avec cet Esprit de Jésus en vous et pour que vous preniez votre place active dans son Eglise.

Je veux encore ajouter un mot. Je sais que vous avez tous votre place dans une famille, dans une communauté spécialement faite pour les jeunes, dans des mouvements d’action chrétienne. Vos parents, vos éducateurs vous donnent ce dont vous avez besoin pour vivre, pour grandir, pour construire votre avenir; ils vous comprennent, ils vous soutiennent, ils vous montrent leur affection. Alors je vous demande de manifester à tous ceux-là qui s’occupent si bien de vous toujours plus de confiance, de respect, de gentillesse. C’est ainsi que vous serez leur joie et que vous-même vous connaîtrez chaque jour, non seulement le bonheur d’être aimés, mais le bonheur d’aimer. N’est-ce pas magnifique tout cela?

Voici donc ce que je voulais vous dire dans notre rencontre. Chers jeunes, afin de vous aider à vivre comme des frères, comme des amis, avec le plus de gens possible, je vous bénis au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.




AUX JEUNES

Stade Olympique de Montréal, Mardi 11 septembre 1984


Chers jeunes,

1. Au cours de ma visite au Québec, me trouver auprès de vous est une vraie joie. Dans un pays vivant, dans une Eglise vivante, c’est vous qui tracez les lignes de l’avenir. Et ce soir, au stade olympique, lieu d’effort et d’accomplissement de l’homme, il est bon de vous entendre et de vous voir exprimer la foi et les inquiétudes, l’espérance et les interrogations de votre génération en regardant avec lucidité tout ce qui fait votre vie.

Vous avez repris la parole fondatrice qui ouvre l’Evangile de Jean. Ainsi vous placez notre rencontre sous le signe de la vie plus forte que la mort, sous le signe de la lumière que n’arrêtent pas les ténèbres, sous le signe du Verbe, Parole éternelle de Dieu, qui vient habiter parmi nous dans le Christ. Que cet acte de foi nous guide, que cette lumière nous pénètre quand retentissent vos questions!

Car vos questions sont nombreuses. Vous venez d’en exprimer certaines parmi les plus sérieuses. Elles rejoignent celles qui m’ont été confiées avec simplicité par plusieurs milliers d’entre vous avant que je vienne vous vis ter. J’oserai vous dire que ces interrogations me paraissent souvent formulées comme dans la zone d’ombre ou l’humanité redoute son avenir quand elle trace sa route sans percevoir la lumière qui lui est offerte, sans reconnaître la vraie lumière qui éclaire tout homme.

2. L’une de vous, une jeune fille du Québec, m’a écrit: “Donnez-nous votre secret pour répondre à l’amour et pour avoir confiance en Jésus”. Mais je ne suis pas venu vous dévoiler un secret. Je suis venu en témoin, comme Jean le Baptiste était là pour rendre témoignage à la lumière. Je suis venu vous inviter à ouvrir les yeux sur la lumière de la vie, sur le Christ Jésus. Si nous écoutons sa parole, si nous le suivons, si nous découvrons la grandeur de l’amour dont il aime tous les hommes et toutes les femmes de tous les âges, alors nous saurons que la vie vaut la peine d’être vécue, et mieux encore d’être donnée!

Dans la page de l’Evangile qui vous a inspirés ce soir, Jean nous dit de Jésus qu’il est le Verbe, qu’il est la vie et qu’il est la lumière des hommes. Certes, Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais le Fils peut nous le révéler (Jn 1,18). Le Fils, le Verbe, est la Parole qui exprime parfaitement la volonté du Père, qui appelle les milliards d’êtres que nous sommes à partager la beauté et la pureté inouïes de son amour infini par l’inlassable générosité de la création. Dans une des prières de la messe, nous disons: “Toi, le Dieu de bonté, la source de la vie, tu as fait le monde pour que beaucoup se réjouissent de ta lumière” (Prex Eucharistica, IV).

3. Pourtant il y a l’obscurité: quand la vie nous déçoit, quand la vie nous blesse, quand on ne trouve pas le bonheur, quand le coeur se ferme et les frères se divisent et se combattent. Les ténèbres arrêtent la lumière: l’humanité dresse comme un écran, et elle ressent jusqu’à l’angoisse ses difficultés de vivre. Le monde ne reconnaît plus celui qui l’a appelé à la vie pour s’épanouir dans l’unité fraternelle de tous. Les ténèbres entraînent un repli frileux sur soi, l’incapacité d’aimer librement et généreusement, la perte de la vérité dans le mensonge. Dans les ténèbres, le regard aveuglé ne sait plus apercevoir le Père, dont l’amour reste fidèle malgré l’éloignement de ses fils et de ses filles, malgré toutes les ruptures.

“En lui, il n’y a point de ténèbres” (1Jn 1,5).

“La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée”. “Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tout homme”. “Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous” (Jn 1,5 Jn 1,9 Jn 1,14).

Devant le côté sombre de vos questions, je voudrais vous dire: “Redressez-vous et relevez la tête, votre délivrance est proche” (Lc 21,28). Jésus, le Fils de Dieu, “vrai Dieu né du vrai Dieu, lumière née de la lumière”, habite parmi nous. “En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes”.

4. Ces paroles introduisent toute la Bonne Nouvelle: en Jésus de Nazareth, le Fils resplendissant de la gloire du Père s’est fait l’un de nous; il entame un étonnant combat contre les forces des ténèbres. Une lutte où la puissance des ténèbres ne peut arrêter la force du Christ qui est d’un tout autre ordre, car il n’est fort que par le don de lui-même à son Père pour ses frères. Une lutte où il accepte de partager notre faiblesse et notre solitude, de subir l’hostilité des hommes, au point de s’écrier: “C’est maintenant l’heure de la puissance des ténèbres” (Ibid. Lc Lc 22,53). Mais les ténèbres ne l’arrêteront pas; il combat avec les armes de la paix.

A l’excès du pouvoir, Jésus oppose le désintéressement: il a choisi d’être le Serviteur.

A l’excès de l’orgueil, Jésus oppose l’humilité: “Je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé” (Jn 5,30).

A la haine qui rejette et qui tue, Jésus oppose le pardon: “Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font” (Lc 23,34).

A la puissance aveugle de la mort, Jésus oppose l’amour de celui qui se donne: “Ma vie, nul ne l’enlève, mais je la donne de moi-même” (Jn 10,18).

A la garde dérisoire de son corps au tombeau, Jésus oppose la liberté de la Résurrection: “Comme l’éclair en jaillissant brille d’un bout à l’autre de l’horizon, ainsi sera le fils de l’homme lors de son Jour” (Lc 17,24).

A qui désespère de la vie et éprouve le vertige du néant, Jésus oppose le don de la vie nouvelle: “Telle est la volonté de mon Père que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai” (Jn 6,40).

5. Mes amis, dans les lettres que j’ai reçues de vous, je discerne deux séries de demandes: d’une part, “parlez-nous de Jésus-Christ, de l’espérance et de la foi” - et d’autre part, “aidez-nous à résoudre les difficultés qui assombrissent notre vie personnelle, sociale et religieuse”.

J’ai voulu d’abord vous parler de la lumière du Christ, car c’est en témoin du Rédempteur que je suis venu chez vous. Le choix de l’Evangile que vous avez présenté rencontrait ce désir. Ne cherchez pas ailleurs une inspiration pour répondre à vos questions. Ecoutez-le qui vous dit: “Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres; il aura la lumière qui conduit à la vie” (Jn 8,12).

Il faut vous en souvenir aux heures de doute. Si vous suivez le Christ, vous développerez pleinement les possibilités qui sont en vous. Vous serez des chercheurs de la vérité, car seule elle rend libre. C’est à votre dynamisme que je fais appel: vous saurez avancer vers la solution de vos problèmes en écoutant tout l’Evangile, en y réfléchissant avec vos aînés, et dans vos divers mouvements chrétiens de jeunes. Mobilisez ensemble vos énergies faites preuve de lucidité sur ce qui fonde votre vie; discernez la lumière du Christ qui vous montre comment sortir des cercles où vous pourriez vous enfermer. Avec lui, vous aimerez la vie!

6. Gardez-vous, aux heures obscures, de vous évader. Ayez le cran de résister aux marchands d’illusion qui exploitent votre soif de bonheur et vous font payer cher un moment de “paradis artificiel” obtenu avec un peu de fumée, une dose d’alcool ou de drogue. Ce chemin raccourci prétend conduire au bonheur, en réalité il ne mène nulle part. Il vous détourne de cette maîtrise intelligente de soi qui construit l’homme. Ayez le courage de ne pas prendre ce chemin facile, ou d’en remonter la pente. Et sachez tendre la main à ceux de vos frères que guette le désespoir quand la ténèbre du monde est pour eux trop cruelle.

Beaucoup d’entre vous sont marqués par le chômage. A ce niveau, c’est toute la difficulté d’une société en mutation qui vous atteint. Il y a les solutions économiques, lourdes et longues: elles restent à trouver. Les responsables de la société doivent s’y consacrer avec le soin premier de rendre supportable la condition de tous et d’observer cette première justice qu’est le respect de chacun, aussi démuni soit-il, aussi jeune soit-il. Mais vous-mêmes, ne laissez pas les difficultés détruire les ressorts de votre personnalité: prenez en charge votre avenir.

Interrogez-vous aussi sur ce que vous attendez de la vie professionnelle, vous qui vous y préparez, vous qui entrez déjà, et vous qui êtes empêchés de vous y épanouir. Soyez créateurs! Ne restez pas les grands absents quand il s’agit de bâtir aujourd’hui l’avenir du monde! Vous avez déjà votre part de responsabilité.

Vous êtes souvent, à juste titre, critiques d’une société si avide de biens de consommation qu’elle détruit la nature et dilapide ses ressources. Mais vous, demandez-vous quel sens vous donnez au gain, à la possession des richesses désirées. Etes-vous libres par rapport à l’argent? A quel partage êtes-vous prêts? Souvenez-vous de Jésus, le jour où il entre dans la maison de Zachée: sa présence a transformé tout un style de vie; non seulement Zachée retrouve la justice en promettant de restituer l’argent injustement acquis, mais il découvre la générosité en distribuant ses richesses.

Elargissez aussi votre regard au-delà de votre milieu habituel et de votre pays. Vos frères dans de vastes parties du monde sont privés même du nécessaire, blesses dans leur dignité et opprimés dans leur liberté et leur foi. Le Christ aime tous les siens et il se reconnaît avec prédilection dans les plus pauvres. Qu’il vous fasse partager son amour pour tous vos frères et vos soeurs en l’humanité! Qu’il vous aide à vivre une solidarité réelle qui franchit les frontières et surmonte les préjugés!

Vous êtes citoyens d’un pays qui vit en paix, mais l’avenir de l’humanité vous préoccupe. Vous appelez la paix du plus profond de votre coeur. Répercutez cet appel! Je souhaite que votre souci de la paix mondiale fasse de vous des ouvriers de paix. Commencez par votre milieu. Reprenez en vérité la prière de François d’Assise, bâtisseur de paix dans sa propre ville: “Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix; là où il y a la haine, que je mette l’amour...”. Et, comme le disait récemment Madame Jeanne Sauvé, “il faut que la paix devienne un état d’âme, une manière d’être et de travailler”.

7. Avant d’évoquer d’autres questions que vous m’avez posées, je voudrais revenir à l’Evangile qui nous guide ce soir. “Il est venu chez les siens... Tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu”.

C’est une relation inimaginable, inespérée, avec le Dieu vivant et vrai que Jésus rend possible, car il est proche de nous: “Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous”. En livrant sa vie pour la multitude, il promet sa présence parmi nous pour toutes les générations. Fidèle à sa mission, il s’est fait l’un de nous et demeure présent, lumière qui éclaire tout homme, “le chemin et la vérité et la vie” (Jn 14,6).

Pour la plupart d’entre vous, la rencontre intime avec le Christ a été consacrée par le baptême. Jésus vous a offert la richesse de la vie qui est en Dieu. Pierre disait: “Il nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière” (1P 2,9).

8. Aujourd’hui, bien souvent, vous ne trouvez pas facile de prendre votre place dans la communauté des baptisés. Certains d’entre vous disent ne pas reconnaître dans l’Eglise le lieu où il est naturel d’être fraternellement unis par le Christ de l’Evangile. L’édifice vous semble trop large, construit par d’autres dans un style différent du vôtre. La lumière qui l’éclaire, vous la trouvez coupée par trop de pans d’ombre.

Il est vrai que la communauté est loin encore de former le miroir parfait qui refléterait tout le visage du Christ. Il est vrai que l’unité reste un objectif trop souvent contredit. Il est vrai, en un mot, que l’Eglise appelée par le Sauveur à se rassembler en lui est sur la route de la conversion, et que la route est encore longue.

Cependant, vous les jeunes, rappelez-vous que Jésus nous a demandé de ne pas nous ériger en juges (Mt 7,1-5). Ne restez pas non plus sur le seuil, au dehors. Ne vous laissez pas tenter d’attendre de l’Eglise uniquement le reflet de vous-mêmes. Baptisés, vous êtes des membres du corps du Christ. Seul le corps tout entier pourra refléter pour la communauté des hommes le Visage de lumière du Christ.

Vous attendez légitimement de vos aînés qu’ils vous accueillent avec tolérance, et vous respectent pour ce que vous êtes. Mais vous, faites de même à leur égard.

L’Eglise est la communauté dans laquelle nous héritons des dons transmis aux Apôtres et communiqués jusqu’à nous sans interruption: l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Elle est pour tous le lieu de la rencontre de Celui qui habite parmi nous: elle est le lieu du don reçu de son Esprit et de sa grâce, - elle est le lieu où nous est donnée une règle de vie - elle est le lieu où tous sont appelés à partager, à rendre grâce, à rejoindre l’offrande eucharistique de la vie donnée par le Christ, à recevoir le don du pardon, à assumer la mission d’annoncer la vérité et de répandre l’amour.

Prenez votre part à la vie de ce corps, tout imparfait qu’il reste. Apportez votre exigence et votre enthousiasme. Contribuez à l’expression de la foi et de la prière, avec votre sens poétique, et votre désir d’engagement.

Et si naît en vous le désir de consacrer votre vie au service de Dieu et de vos frères dans le ministère de l’Eglise, dans la vie religieuse, sachez y reconnaître l’appel du Seigneur et répondre avec la générosité sans réticence des jeunes. Prenez le temps du discernement, laissez éprouver votre vocation dans la prière et la réflexion, consacrez-vous à une formation solide. Entrez avec confiance en dialogue avec les pasteurs et les supérieurs qui ont la charge de confirmer votre appel. Vous seriez de ceux qui connaissent la joie de servir à la suite du Christ dans l’Eglise où il demeure, de livrer votre vie en partageant, libres et pauvres, son amour pour ses frères.

9. en anglais

… Au nom du Christ, je vous le demande: quand la lassitude vous gagne ou que le doute vous saisit, brisez le cercle où vous enfermait la solitude, retrouvez Celui qui est la lumière de tout homme, rejoignez vos frères pour marcher ensemble, prenez appui sur vos aînés.

Restez des chercheurs de la vérité. Déployez avec courage les richesses qui sont en vous. Donnez-vous sans mesure au service de la justice, de la paix, de la liberté et de l’amour, dans la lumière du Christ.

Québec, à l’image de la puissance de ton fleuve, tu es un pays à la nature généreuse. Toi qui sais canaliser les rivières, sauras-tu canaliser les forces vives de ta jeunesse pour le service de tout l’homme et de toute l’humanité aimée de Dieu?

Tournez-vous, amis jeunes, à chaque étape de votre route, vers Celui en qui habite toute la plénitude de Dieu (Col 2,9). A la suite de Pierre, faites-lui confiance: “Seigneur, à qui irions-nous? C’est toi qui as les paroles de la vie!” (Jn 6,68).



AUX FIDÈLES

Cathédrale de Notre-Dame de l’Assomption (Moncton), Jeudi 13 septembre 1984




Chers Frères et Soeurs,

1. Loué soit Jésus-Christ! Je rends grâce à Dieu qui m’a permis de venir visiter cette province du Nouveau-Brunswick qui célèbre cette année son deuxième centenaire. Avec joie, je salue l’Eglise de Dieu qui est à Moncton, le siège métropolitain et son Archevêque, Monseigneur Donat Chiasson; et pareillement le diocèse de Saint-Jean, le plus anciennement créé - dès 1842 -, avec Monseigneur Arthur Gilbert; le diocèse de Bathurst, avec Monseigneur Edgar Godin; et celui d’Edmundston, avec Monseigneur Gérard Dionne. Je salue ceux qui sont venus d’autres provinces du Canada, et même des Etats-Unis, parce qu’ils sont voisins, ou parce que leurs ancêtres sont venus de l’Acadie.

Le Seigneur est au milieu de nous qui sommes réunis en son nom. A nous qui avons mis notre foi dans le Christ ressuscité, il est donné de réfléchir comme en un miroir la gloire du Seigneur, d’être transformés par l’Esprit Saint (2Co 3,18). C’est comme si l’on voyait Jésus, “ut videntes Iesum”, selon la belle devise de ce diocèse. Et c’est Marie qui, par l’Esprit Saint, nous a donné le Sauveur Jésus; c’est elle qui nous conduit à Lui.

2. Cette cathédrale nous rappelle le rôle de Marie dans l’Eglise. Les Acadiens ont toujours eu une grande dévotion envers Marie, leur Mère du ciel.

Dès 1881, lors de leur premier congrès national, ils la choisirent comme patronne sous le vocable de Notre-Dame de l’Assomption, et ils adoptèrent la fête du 15 août comme fête nationale. Ils fondèrent même la Société “l’Assomption”.

L’étoile de Marie brille alors sur leur drapeau aux couleurs françaises et papales, et l’“Ave Maris Stella” retentit comme un hymne national. La première paroisse acadienne, ici, à Moncton, a été dédiée à Notre-Dame de l’Assomption, et c’est sur l’emplacement de sa chapelle que le premier Archevêque de Moncton, Monseigneur Arthur Mélanson, a fait construire cette cathédrale, inaugurée en 1940.

Chers Frères et Soeurs, comme votre dévotion séculaire à Marie me réjouit! Je suis sûr que vous aurez à coeur d’y être fidèles, de l’intensifier, dans la ligne que le Concile Vatican II a tracée à la fin de la Constitution sur l’Eglise. Notre-Dame de l’Assomption est vraiment “le signe d’espérance assurée et de consolation pour le peuple de Dieu en pèlerinage sur la terre” (Lumen Gentium LG 68). Et je pense qu’elle a déjà permis à la foi bien enracinée dans le peuple acadien de résister à toutes les tempêtes.

3. Car l’Eglise qui, en ce lieu, reçoit aujourd’hui le Pape, est l’aboutissement magnifique d’une implantation laborieuse et d’une histoire tourmentée, où nous admirons la ténacité de vos ancêtres.

Dès 1604, était fondée ici la première colonie française en Amérique. En cette région de l’Acadie, grâce au zèle de plusieurs équipes missionnaires, la foi catholique s’est profondément ancrée dans la population, et chez tous les Amérindiens des provinces maritimes, qui firent preuve dès lors d’une merveilleuse fidélité. Oui, malgré les épreuves de la déportation et même les menaces de l’anéantissement dues aux vicissitudes politiques, les Acadiens furent en même temps fidèles à leur foi, fidèles à leur culture, fidèles à leur terre où ils s’efforcèrent constamment de revenir, dans la plus grande pauvreté, privés du ministère des prêtres, des moyens d’éducation et des droits politiques. Durant un certain temps, des laïcs ont assuré les rassemblements de prière et entretenu la foi, en attendant que quelques prêtres et religieuses aient la possibilité de venir exercer leur apostolat au milieu d’eux. Et depuis lors, au cours de ces cent dernières années, le peuple acadien a relevé la tête et la floraison de la foi catholique n’a pas manqué. Nous pensons, entre autres, aux familles nombreuses profondément chrétiennes, à l’éclosion abondante de vocations sacerdotales et religieuses. Comment oublier que, près d’ici, Memramcook a été le berceau de la Congrégation fondée par la bienheureuse soeur Marie-Léonie? Et l’essor culturel est allé de pair, comme en témoignent ici l’Université d’expression française et les moyens de communication sociale.

Au début de ce siècle, les Acadiens sont venus eux-mêmes à Rome, en la personne de l’Abbé François-Michel Richard, auprès de mon prédécesseur le Pape Pie X, pour témoigner de leur histoire héroïque et de leur besoin d’un évêque compatriote. Le Saint Pape, si fervent pour le mystère eucharistique, leur remit un calice d’or, en gage de sa sollicitude et de sa promesse. Aujourd’hui, c’est l’Evêque de Rome qui vient à vous. Il rend grâce pour la fidélité et la force de votre foi, à travers des épreuves qui lui rappellent celles de son pays au cours des siècles, et celles que connaissent aujourd’hui tant de nos frères et soeurs à travers le monde, persécutés pour leur foi, brimés pour leur appartenance culturelle et nationale où leur foi s’est enracinée. Ce n’est pas sans émotion que je célébrerai la messe avec le calice donné par saint Pie X. Toutes ces souffrances y seront unies au Sang du Christ, dans l’espérance de leur transfiguration dans la Vie glorieuse du Seigneur.

4.

5. en anglais…

Le seul fondement de notre Eglise est Jésus-Christ. Le ciment qui lie les pierres est l’amour qui vient de son Esprit Saint. Le signe qu’elle doit offrir à tous les passants est un témoignage des vertus théologales puisées en Dieu et qui consistent à croire inconditionnellement au Christ, à espérer au plus creux des épreuves, à aimer sans frontière. Nous sommes un peuple en marche vers une plénitude qui dépasse l’horizon terrestre. Et Marie est notre étoile sur cette mer agitée.

"Ave Maris Stella”!



AUX MEMBRES DES DEUX CHAMBRES DU PARLEMENT ET AUX MEMBRES DU CORPS DIPLOMATIQUE

"Rideau Hall" du Ottawa - Mercredi 19 septembre 1984




Madame le Gouverneur Général,
Monsieur le Premier Ministre du Canada,
Mesdames et Messieurs les membres des deux Chambres du Parlement et des Institutions judiciaires,
Mesdames et Messieurs les membres du Corps Diplomatique,
Mesdames et Messieurs,

1. Depuis le début de mon voyage pastoral et tout au long des diverses étapes de mon périple dans votre incomparable pays du Canada, je désirais cette rencontre dans la capitale du Canada avec tant de personnalités distinguées. Je suis très heureux d’avoir pu m’entretenir cet après-midi avec Madame le Gouverneur Général et d’avoir pu évoquer avec elle les sujets qui intéressent le Canada et le monde. Je suis vivement touché de votre présence à tous ici et je voudrais vous remercier très cordialement de l’honneur que vous faites ainsi à l’Evêque de Rome, premier Pasteur de l’Eglise catholique. Il ne m’est pas possible, à cette heure, de tenter, même brièvement, une analyse des impressions profondes et durables éprouvées si souvent au long des heures inoubliables de ma visite auprès du peuple du Canada. Permettez-moi de dire simplement que je remercie le Dieu tout-puissant pour les moments de grâce qu’il m’a accordés au cours des nombreuses rencontres de prière, de partage et de dialogue avec tant de personnes dans ce pays.

2. En vous rencontrant aujourd’hui, vous qui représentez non seulement le peuple du Canada mais aussi les peuples de tant de pays, je pense une fois encore au monde entier et aux liens qui unissent toute l’humanité: le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, les hommes, les femmes et les enfants, les jeunes et les anciens.

Toute action menée dans une nation ou une région pour résoudre ses problèmes propres a forcément une répercussion sur la vie et les objectifs d’autres nations, en raison de mécanismes économiques, monétaires, financiers et politiques inéluctables. Mais en même temps, on constate que tous les peuples acceptent plus consciemment de s’engager davantage dans une responsabilité commune à l’égard du bien commun universel. Le sens de la solidarité et de la responsabilité partagée entre les nations progresse, et ceci constitue l’un des signes d’espérance de notre temps qui doit inspirer à tous les peuples une disponibilité toujours plus grande à collaborer entre eux. Les objectifs nationaux légitimes ne peuvent être poursuivis dans de stériles confrontations, mais seulement grâce à une coopération et un dialogue confiants, continus et ouverts. Tous les individus et tous les peuples doivent savoir qu’ils sont les intendants d’un héritage commun et les serviteurs d’une commune destinée.

3. Aujourd’hui, le cadre et les circonstances particulières de notre rencontre, en cette capitale du Canada, à la En de mon pèlerinage “a mari usque ad mare”, me permettent d’exprimer mon estime au peuple canadien et à ses dirigeants pour les actions nombreuses qu’ils ont accomplies et qui traduisent de manière tangible leur sens de la solidarité mondiale. Enrichi par son expérience de la collaboration entre beaucoup de groupes différents dans la recherche commune du bien-être de tous les Canadiens, ce pays a aussi entrepris, dans le champ de la collaboration et des responsabilités internationales, de suivre la voie d’un engagement effectif en faveur de la paix mondiale et d’une contribution désintéressée au développement des nations moins favorisés.

4. A tous les peuples et à toutes les nations qui ont sincèrement et honnêtement lutté, au cours des décades qui ont suivi la seconde guerre mondiale, pour créer un monde de relations pacifiques et de justice internationale, nous sommes redevables de ne pas laisser notre conception de la situation mondiale s’obscurcir par le pessimisme et de défaitisme. Un progrès réel a été effectivement accompli dans bien des domaines et il convient de le reconnaître avec estime.

En même temps, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur la persistance de nombreux problèmes non résolus et sur les nombreuses situations de conflit et d’injustice qui demeurent encore comme une tache sombre sur la scène internationale et un défi que la communauté internationale ne peut éviter de relever. Nous ne pouvons pas fermer les yeux, et nous ne devrions pas laisser se durcir notre coeur, en face des souffrances et des détresses sans nombre qui affectent des millions de nos frères humains. Aujourd’hui, la société ne manque pas d’informations et de statistiques sur les malheurs du monde. Mais elle y est peu sensible dans la mesure où elle ne permet pas à certains faits d’influencer son action. J’évoquerai notamment l’absence d’accords pour ralentir et par la suite arrêter la course aux armements; l’investissement des capacités scientifiques et des ressources dans les armes de destruction massive; les guerres limitées qui continuent à tuer des hommes et des femmes ailleurs que dans son propre pays; le non respect de la valeur et de la dignité de la vie avant la naissance; les expériences sur les embryons humains; la malnutrition ou la mort des enfants dans les pays affectés par la sécheresse chronique ou le sous-développement; le manque de soins primaires de santé; l’exode rural massif et les concentrations urbaines où font défaut les emplois, l’éducation ou l’alimentation; la perte de la liberté, y compris celle de pratiquer sa religion. En tout cela, on constate qu’il n’est pas tenu suffisamment compte des dimensions éthiques sous-jacentes aux problèmes de société et qui s’y rattachent.

5. Je fais appel à vous aujourd’hui, Mesdames et Messieurs, et à travers vous à toutes les personnes que vous représentez à des titres divers: soyez les défenseurs d’une conception nouvelle de l’humanité, une conception qui n’envisage pas seulement les problèmes de société en fonction des équations économiques, techniques ou politiques, mais en fonction des personnes vivantes, des êtres humains créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et appelés à un destin éternel; une conception fondée sur les valeurs humaines véritables et donc qui les défende; une conception qui inspire l’action et surmonte l’auto-satisfaction, l’insensibilité et l’égoïsme.

N’est-ce pas spécialement la mission de tous ceux qui ont reçu la charge d’une responsabilité publique - tant dans le cadre national qu’international -, de promouvoir cette conception de l’humanité qui rend capable de mettre en oeuvre la bonne volonté présente au coeur de tout citoyen? N’est-ce pas leur responsabilité de susciter la volonté politique de réaliser les changements nécessaires à la bonne utilisation du potentiel humain et technique disponible dans la société? Aucun de nous ne peut rester passif devant les défis de notre époque; nous savons que le monde moderne possède d’immenses réserves de connaissances techniques et de richesses que l’on peut employer pour aider à résoudre les problèmes de l’humanité. Je suis convaincu que dans vos compétences gouvernementales, législatives et judiciaires au Canada, ainsi que dans vos fonctions internationales pour chacun de vos pays, vous êtes à des postes privilégiés pour promouvoir, par toutes vos initiatives, la conception nouvelle de l’humanité qui s’étend à tous les domaines des tâches humaines et qui se trouve à la base de toute la législation, de toutes les activités publiques et de tous les rapports sociaux. Soyez assurés de mon soutien et de mes encouragements.

6. en anglais...

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Discours 1984 - Basilique du Oratoire de Saint Joseph (Montréal), Mardi 11 septembre 1984