Discours 1984 - Samedi 17 novembre 1984


AUX MEMBRES DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES LAÏCS

Lundi 19 novembre 1984




Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

1. C’est une grande joie pour moi que cette rencontre avec vous, membres nouvellement entrés au Conseil pontifical pour les Laïcs et participant pour la première fois à son Assemblée plénière annuelle! Je vous salue tous et de tout coeur. Et je me tourne en particulier vers le Cardinal Eduardo Pironio, qui préside ce Conseil depuis quelques mois, et vers tous les membres qui oeuvrent habituellement à l’animation du Conseil pour les Laïcs. Ma reconnaissance s’étend à tous et à chacun. J’apprécie vivement votre collaboration et je mesure les fatigues que vous vous imposez pour servir l’Eglise. Ma gratitude se veut encouragement chaleureux à l’égard des membres nouveaux, pour leur généreuse acceptation de contribuer à la vitalité de l’Organisme romain pour l’apostolat des laïcs.

Chacun de vous a son expérience personnelle, vécue et mûrie dans un engagement au sein de mouvements apostoliques, de conseils nationaux de laïcs et de bien d’autres formes de collaboration à la vie missionnaire de l’Eglise. Chacun a parcouru son itinéraire particulier de foi, a trouvé Dieu à travers le déroulement de son existence.

L’Eglise ne se construit pas sans la coopération de tous les membres du Corps du Christ. De même que tout membre a besoin du Corps, le Corps a également besoin de tous ses membres. C’est ce que l’Apôtre Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe: “De même en effet que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu’un seul ainsi en est-il dans le Christ. Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés pour ne former qu’un seul corps...” (1Co 12,12-13).

Vous êtes insérés dans la vie et dans la mission d’un Organisme de la Curie romaine, voulu par les Pères du Concile Vatican II et institué par mon prédécesseur Paul VI. Cet organisme a grandi en expérience et en maturité. Il a donné les signes évidents d’un service fidèle, de l’importance de ses tâches pour la vie de l’Eglise et le ministère du Pape. Les charges qui lui sont confiées son très exigeantes. Soyez de plus en plus persuadés que je compte sur votre collaboration, mais également que vous pouvez compter vous-mêmes sur mon attention et mon soutien pour le travail des années à venir.

2. Vous êtes appelés à prendre part à la vie du Conseil pontifical pour les Laïcs en un moment privilégié. Voici vingt ans, s’achevait le Concile Vatican II. Et la route de l’Eglise, fécondée par ce grand événement, arrivera bientôt à la date prévue pour le Synode des évêques sur “la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde”. Ces deux événements sont intimement liés. Vous savez très bien avec quelle profondeur théologique, avec quelle sagesse ecclésiale, avec quel esprit de renouveau, le Concile Vatican II a souhaité et stimulé la participation accrue et consciente des laïcs aux activités apostoliques et missionnaires de l’Eglise.

Dans le plan conciliaire qui comporte deux axes principaux, celui de “Lumen Gentium” et celui de “Gaudium et Spes”, et qui a été par la suite enrichi grâce aux Synodes des évêques et vérifié par des expériences positives de renouveau spirituel, se trouve la base féconde d’un nouvel élan de vie chrétienne dans le laïcat. J’ai toujours désiré que mon Pontificat ait comme but fondamental de réaliser pleinement et légitimement le Concile. Et le prochain Synode des évêques nous appelle à avancer sur cette route, en ce qui concerne la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde.

3.

… en anglais



AUX PÈLERINS VENUS POUR LA BÉATIFICATION DE DANIEL BROTTIER, JOSÉ MANYANET ET ELISABETH DE LA TRINITÉ

Lundi 26 novembre 1984




Chers Frères et Soeurs,

1. Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer, vous tous pèlerins venus de France pour la béatification du Père Brottier. Je salue d’abord les Pères et les Soeurs de la Congrégation du Saint-Esprit; nous aimons à reconnaître dans le bienheureux Daniel Brottier un disciple fidèle du Père Libermann, un missionnaire authentique et un spirituel qui ne cessera pas d’inspirer ses frères.

C’est avec émotion que j’adresse un salut particulier à ceux parmi vous qui ont connu le Père Brottier et en gardent vivant le souvenir. C’est une joie que de pouvoir honorer un homme qui est encore notre contemporain.

Et je remercie chaleureusement tous les amis d’Auteuil dont la présence témoigne de l’influence immense du bienheureux Daniel Brottier. Vous êtes ceux qui ne cessez de répondre à ses appels à la générosité et manifestez concrètement que vous partagez son amour pour les jeunes, et toute l’audace avec laquelle il a confié à la Providence une oeuvre qui repose toujours sur l’apport désintéressé d’innombrables dons. Vous représentez tous ceux qui comptent sur son intercession et qui se laissent guider par sa foi évangélique.

2. Tous comprendront que je veuille m’adresser à présent surtout aux jeunes d’Auteuil et de toutes les maisons de l’oeuvre. Ils sont venus prendre part à la fête de leur père, que nous avons proclamé bienheureux, serviteur totalement dévoué, présent dans la lumière et la gloire de Dieu. Nous serons fidèles à son esprit en plaçant ces garçons au centre de notre rencontre.

Mes amis, le Pape voudrait vous dire que, à l’exemple du Père Brottier, il vous accueille et vous aime. Je sais combien votre vie a pu être dure. Beaucoup d’entre vous ont connu une situation familiale difficile ou sont privés de leurs parents. Beaucoup aussi, pris dans les tourbillons d’un monde déchiré, sont loin de leur pays d’origine.

A vos devanciers, le Père Brottier disait: “Devenir des hommes, tel doit être votre idéal, mes enfants. Un homme, c’est celui qui sait ce qu’il veut et qui l’accomplit coûte que coûte”.

Je sais que le plus vif désir de tous ceux qui vous entourent et vous accompagnent au jour le jour est de vous voir grandir avec le goût de vivre. A la suite de Daniel Brottier, nous renouvelons son appel: “Ne soyez pas ces ombres d’hommes qui vont devant eux, au hasard”. Oui, nous vous redisons cela parce que nous savons combien il est difficile d’avancer heureux et libres dans la société où nous nous trouvons. Vous connaissez, ou vous connaîtrez, les tentations d’évasion, vous rencontrerez ceux que j’ai déjà appelés les “marchands d’illusions”. Vous vous heurtez à un monde où règne trop d’injustice ou de mépris. Vous pouvez être séduits par la frénésie de satisfaire n’importe quel désir à n’importe quel prix. Mais vous savez que là n’est pas le bonheur.

3. Pour bâtir une personnalité épanouie, développez vos capacités avec énergie. Ayez le sens de l’effort. Apprenez la maîtrise de vous-mêmes. Je me rappelle que le Père Brottier avait un tempérament très vif mais savait le contrôler: il avait découvert dès sa jeunesse que pour accomplir sa tâche, il vaut mieux se dominer et rencontrer les autres dans la disponibilité. Vous serez d’autant plus maîtres de vous-mêmes que vous aurez pris l’habitude de respecter ceux qui vous entourent, d’écouter, d’entrer en dialogue franchement, de vous mettre au service de vos frères avec un désintéressement fraternel. On vous fera confiance, si l’on vous voit prêts à progresser, à développer les capacités de votre esprit et de votre corps, dans votre métier et partout où vous vivez. Vous aurez besoin de toutes vos qualités pour fonder un foyer solide, animé par l’amour, vous qui savez trop combien il est dur d’en être privé. Votre maturité et votre épanouissement vous permettront aussi d’apporter la joie du respect et de l’affection à ceux qui ne cessent de vous aimer, même éloignés de vous.

4. Le Père Brottier vous disait encore: “La valeur spirituelle est le propre de l’homme. Notre situation financière, sociale, peut changer; notre valeur personnelle, intellectuelle et morale, demeure et demeurera. Ayez à coeur de développer en vous cette personnalité, ce don que Dieu vous a donné”.

Ne vous laissez pas appauvrir par une société qui est trop souvent un désert spirituel. Rappelez-vous que Daniel Brottier n’aurait pas accompli son oeuvre s’il n’avait pas fait confiance avant tout à Dieu, s’il n’avait pas été inspiré par l’amour même de Dieu. Découvrez, vous aussi, que Dieu vous aime, qu’il est proche de vous, que vous avez du prix à ses yeux. Il a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils pour partager les peines des hommes et vaincre le mal. Sachez que le Christ est votre ami, votre compagnon de route. Cherchez à mieux le connaître. Ne l’observez pas de loin, entrez en dialogue avec lui par la prière, avec vos frères. Regardez ceux qui ont fait l’expérience de Dieu. Donnez-lui votre confiance: il est près de vous au temps du doute, au temps de l’épreuve, au temps de la faiblesse ou des chutes. C’est lui qui vous rend forts pour avancer vers votre avenir. Il compte sur vous pour être ses témoins. Il appelle sûrement plusieurs d’entre vous à s’engager totalement à sa suite pour servir à leur tour dans la vie du prêtre, du religieux, ou dans d’autres services où l’on est heureux de payer de sa personne.

5. Nous ne pouvons pas oublier que le Père Brottier vous a confiés à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus: la chapelle d’Auteuil vous le rappelle quotidiennement. Il avait reconnu en elle un être qui accueillait l’amour de Dieu humblement et sans réserve, avec joie même à travers les difficultés. Elle avait tout donné à Dieu pour ses frères, dans un esprit missionnaire, elle pouvait vous soutenir et vous montrer la voie, malgré les différences de situations. Aujourd’hui Daniel Brottier est lui-même, avec elle, un de ceux qui vous inspirent et vous aident; il reste lié à vous et à tous vos amis qui témoignent si souvent de sa présence bienveillante.

Hier, nous avons célébré aussi la bienheureuse Elisabeth de la Trinité. Il est saisissant que, très jeune, dans une vie laïque semblable à celle de ses nombreux amis, elle a connu une expérience très forte de la présence de Dieu en elle, de la grandeur de l’amour de Dieu. Au Carmel, elle a offert sa vie totalement, jusque dans de dures épreuves, en rayonnant autour d’elle le bonheur d’être aimée de Dieu et d’être habitée par les Personnes divines qu’elle aimait appeler familièrement “mes Trois”. Témoin admirable de la grâce du baptême épanouie dans un être qui l’accueille sans réserve, elle nous aide à trouver à notre tour les voies de la prière et du don de nous-mêmes.

Je salue particulièrement les membres de la grande famille carmélitaine et toutes les communautés qu’ils représentent. Je salue aussi cordialement les pèlerins du diocèse de Dijon et tous ceux qui sont venus à Rome pour cette béatification.

Avec l’appui de sainte Thérèse, du bienheureux Daniel Brottier et de la bienheureuse Elisabeth de la Trinité, je vous souhaite à tous un avenir digne de l’homme, digne des enfants de Dieu que vous êtes par la grâce du Christ. A tous, les jeunes et les aînés, je donne de tout coeur la Bénédiction de Dieu.

6. en espagnol...

7.


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA COMMISSION PONTIFICALE «JUSTICE ET PAIX»

Vendredi 30 novembre 1984




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers Frères et Soeurs,

1. Plusieurs organismes du Saint-Siège ont tenu ces temps-ci leur Assemblée générale, et je suis toujours heureux d’en recevoir les participants, puisqu’il s’agit de coopérateurs qualifiés de ma mission universelle. Aujourd’hui, il m’est donc donné de rencontrer tous les membres de la Commission pontificale “Justice et Paix” et ceux qui travaillent quotidiennement à son siège romain. La fondation remonte à 1967, et je sais que cet organisme a tenu régulièrement sa réunion plénière. Mais cette année, je me trouve en présence d’un grand nombre de nouveaux membres que j’accueille avec mes voeux les plus cordiaux.

Je salue d’abord le nouveau Président, que je remercie de ses aimables paroles. Cher Cardinal Etchegaray, vos responsabilités à Marseille, en France, en Europe, et vos voyages en divers continents vous ont préparé à être à l’écoute des situations humaines où la paix, la justice, la liberté sont en jeu. Avec vos collaborateurs et collaboratrices, vous allez accomplir ici un service nouveau, au coeur de l’Eglise universelle, pour que l’Eglise témoigne toujours mieux, et à sa façon, de son souci de promotion humaine, et qu’elle y apporte une contribution effective.

Je souhaite aussi la bienvenue à vous tous, membres nouvellement désignés, qui avez généreusement répondu à mon invitation pour vous mettre, durant une période de 5 ans, au service de l’Eglise dans les domaines de la justice et de la paix sur le plan universel. C’est un véritable engagement qui vous est demandé. Vous venez de tous les continents et de nombreux secteurs d’activité; vous représentez des expériences diverses, des responsabilités professionnelles et ecclésiales complémentaires. La variété de vos talents et compétences, votre ferme résolution d’améliorer le sort de vos frères et soeurs, selon vos convictions de foi et de charité chrétiennes, permettront d’enrichir les échanges d’idées et les propositions que vous élaborerez avec les responsables et collaborateurs permanents de la Commission. Mes Frères dans l’épiscopat apporteront à cette entreprise la sagesse, le dynamisme et la perspective de pasteurs des Eglises particulières. Nous comptons sur l’apport qualifié des prêtres, des religieux et des religieuses appelés au travail de la Commission. Et je veux dire aussi ma joie d’y voir associés un nombre important de laïcs, hommes et femmes; leur tâche propre n’est-elle pas de renouveler l’ordre temporel, où ils sont eux-mêmes profondément et naturellement insérés? C’est dire, cher amis, que votre contribution de laïcs est ici précieuse, je dirais indispensable.

2. Il est normal que, au cours de cette Assemblée, vous ayez voulu consacrer une réflexion particulière à la nature, aux exigences et aux limites de la mission qui vous a été confiée. Mon prédécesseur Paul VI a précisé les buts et le genre de travail de la Commission, lorsqu’il a déterminé ses structures définitives par le motu proprio “Iustitiam et Pacem” du 10 décembre 1976.

Il a beaucoup insisté sur l’étude et l’approfondissement doctrinal des problèmes relatifs à la justice ou à la paix. Cette étude doit se faire à la lumière de l’Evangile et du Magistère de l’Eglise. Il y a déjà tout un enseignement social de l’Eglise qu’il s’agit de rassembler, de mettre en lumière, d’expliquer, d’approfondir, de prolonger et de faire connaître. Il remonte très loin. La connaissance des textes des Pères de l’Eglise; de grands théologiens et des principales interventions en matière sociale dans l’histoire de l’Eglise serait ici très utile. Les documents du Magistère constituent évidemment les sources capitales, surtout ceux qui, depuis un siècle, ont analysé les situations contemporaines et orienté les efforts sociaux des chrétiens. On trouve dans tous les textes du Concile Vatican II une mise à jour et une synthèse privilégiées. Comment ne pas citer au moins la Constitution pastorale “Gaudium et Spes”, dont nous marquerons l’an prochain le vingtième anniversaire? Ces textes ont-ils été suffisamment lus, étudiés, compris en profondeur, avec toutes leurs implications? Ce n’est pas sûr. Il faut aussi les compléter par tous les textes qui ont suivi, les encycliques “Populorum Progressio”, “Laborem Exercens”, et les multiples interventions ponctuelles des Papes, des autres évêques et des délégués du Saint-Siège. Seul cet approfondissement doctrinal permet de bien situer la responsabilité des chrétiens dans l’immense champ social, la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu, chacun selon la mission spécifique qui est la sienne.

3. Mais le motu proprio de Paul VI vous demandait aussi de porter votre attention aux réalités sociales actuelles, objet de réflexion ou de mise en pratique, qu’il importe de bien connaître et d’évaluer pour que les principes de la doctrine sociale aient prise sur la vie du monde, et qu’une contribution spécifiquement chrétienne puisse être apportée à la solution des problèmes.

Il faut donc être en même temps à l’écoute du Magistère et à l’écoute des faits d’où surgissent de nouvelles questions. Et ces questions sont complexes. Parmi les grands défis d’aujourd’hui, qu’il suffise de citer la misère et la faim des masses dans les pays en développement, la prolifération des armements conventionnels et non conventionnels, la crise économique et monétaire internationale, la fragilité des structures politiques où l’emportent des intérêts particuliers et de groupe, les violations des droits humains fondamentaux, les dominations injustes des systèmes totalitaires, la crise des valeurs qui affecte les sociétés, les familles, les individus, en particulier les jeunes.

Le propre de votre Commission n’est sans doute pas d’accumuler un savoir technique; il est d’assumer et d’évaluer celui-ci à la lumière de l’Evangile et des principes de doctrine tracés par le Magistère. Vous pouvez le faire en profitant du travail sérieux d’un certain nombre de Centres, d’organismes, de sessions qui étudient en profondeur ces problèmes, avec l’aide de spécialistes éminents.

4. Mais votre rôle ne s’arrête pas à l’approfondissement théorique de la doctrine sociale de l’Eglise. Le motu proprio “Iustitiam et Pacem” vous demande - et il en fait une priorité - de “la faire connaître amplement par des moyens appropriés” et de vous efforcer “d’en obtenir la mise en oeuvre pratique à tous les niveaux de la société”. Car vous devez contribuer à éclairer le peuple de Dieu, à “l’éveiller à la pleine intelligence de ces questions et à la conscience de son rôle et de ses devoirs”. Par conséquent, il vous revient de faire connaître le résultat de vos études et de vos réflexions à toutes les instances de l’Eglise qui sont intéressées, en vue de l’action et en les situant dans une perspective d’évangélisation, au service des membres et des institutions de l’Eglise. Cet aspect est peut-être difficile à réaliser; il vous faut chercher les moyens appropriés.

5. Nous pensons naturellement au service qualifié que vous devez accomplir, en ce domaine, en faveur du Pape lui-même, et des divers organismes du Saint-Siège. il s’agit de mettre à leur disposition les réflexions approfondies et les informations recueillies, de proposer certaines formes d’engagement qui répondent aux besoins, de contribuer à sensibiliser ces organismes aux nouveaux aspects des problèmes de la justice et de la paix.

Mais le motu proprio indique une autre série d’interlocuteurs privilégiés: les Conférences épiscopales, nationales ou régionales, et - par elles, en accord avec elles - les organismes que ces Conférences se donnent pour promouvoir la justice et la paix, en particulier les commissions ou les secrétariats d’action sociale. Voilà, je pense, une des voies les plus appropriées pour diffuser la doctrine sociale et stimuler l’action des chrétiens. De votre côté, vous pouvez mettre à leur disposition les synthèses d’enseignement du Magistère et les éclairages théologiques qui sont le fruit de vos travaux, sous forme par exemple de publications adaptées sur tel ou tel thème; vous pouvez leur apporter les conseils et les impulsions que vous permettent votre responsabilité et votre information au niveau de l’Eglise universelle, comme Commission pontificale, dicastère du Saint-Siège. En retour, vous recueillez auprès des Conférences et de leurs organismes les informations utiles et le fruit de leurs propres réflexions et expériences. Car on peut se réjouir des multiples efforts entrepris à ce niveau, par exemple lettres pastorales d’évêques, initiatives prises pour faire connaître et comprendre l’enseignement social de l’Eglise (programmes dans les écoles, les séminaires, les universités; conférences, symposiums, “semaines sociales”), engagement des mouvements et des organisations de laïcs. Parfois, ces institutions des Eglises particulières ont à élargir leur vision trop tributaire d’événements locaux, de réactions passionnelles ou de la pression de l’opinion publique ambiante; et c’est là que votre Commission peut les aider fraternellement. Mais, par ailleurs, ce sont elles qui sont affrontées sur le terrain aux réalités sociales mouvantes et qui doivent leur trouver des réponses adéquates, et cela peut enrichir le témoignage de toute l’Eglise.

6. Il est un dernier point sur lequel j’attire votre attention, et le motu proprio “Iustitiam et Pacem” prenait soin de l’envisager. Il y a de par le monde un grand nombre de dénis de justice, de violations des droits de l’homme, d’injustices concrètes. Il vous est demandé, à un titre spécial, de rester attentif à ces situations, de vous efforcer de les connaître, de rassembler des informations objectives et concrètes sur ces cas, et d’examiner les initiatives à entreprendre en collaboration avec les instances appropriées du Saint-Siège et les Conférences épiscopales concernées. Car l’Eglise, dans le respect des personnes, et notamment des responsables du bien commun, garde le devoir de dire la vérité, comme les prophètes qui ne pouvaient pas s’accommoder de l’injustice; elle ne doit pas être ni même apparaître complice de situations qui lèsent les droits fondamentaux des personnes; elle a surtout le devoir d’exprimer la solidarité chrétienne avec ceux qui souffrent de l’injustice. Il y a donc à trouver les moyens de témoigner en ce sens; il y va de la crédibilité de l’Eglise, et tout simplement de sa charité.

Parmi les violations des droits fondamentaux de l’homme - qui sont toutes condamnables - comment ne pas penser à ces restrictions de jour en jour plus pénibles qui, en maints pays, empêchent les chrétiens d’exprimer leur foi, de se réunir, d’avoir les pasteurs qui leur sont nécessaires?

Nous avons évoqué quelques lignes essentielles de votre immense tâche. Je prie l’Esprit Saint de vous donner sa lumière et sa force. Puissent les chrétiens, puissent les communautés ecclésiales, grâce à votre contribution, trouver toujours davantage l’encouragement, l’éclairage et l’impulsion dont ils ont besoin pour réaliser un monde plus juste et plus pacifique! Je bénis de grand coeur votre travail, votre service d’Eglise, et chacune de vos personnes.



Décembre 1984


À S.E. PATERNOTTE DE LA VAILÉE, NOUVEL AMBASSADEUR DE BELGIQUE PRÈS LE SAINT- SIÈGE À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 20 décembre 1984


Monsieur l’Ambassadeur,


ma joie est grande d’accueillir le distingué Représentant de Sa Majesté le Roi Baudouin 1er pour remplir auprès du Siège Apostolique la très noble mission qui vient de lui être confiée, en remplacement de Son Excellence le Baron Rittweger de Moor. Vous êtes reçu aujourd’hui et vous serez toujours reçu avec autant d’égards que d’intérêt. Vos premières paroles, que j’ai vivement appréciées, m’ont exprimé la profonde satisfaction de vos Souverains dans la perspective du voyage pastoral que j’effectuerai en mai prochain à travers la Belgique, à l’invitation des évêques de votre pays. Que Votre Excellence veuille bien assurer le Roi et la Reine - dont le filial attachement me touche vivement - que leurs espoirs et leurs souhaits concernant cette visite aux catholiques et à tout le peuple belge ont trouvé un grand écho dans mon coeur de Pasteur.

C’est toujours avec estime et sympathie que le Saint-Siège considère le peuple belge, dont chaque communauté, avec son expression culturelle - et on pourrait dire chaque cité - est riche d’une longue histoire. Il a été marqué par les traditions chrétiennes dans ses coutumes, dans son art et dans son âme. Et comment oublier la place que la Belgique tient en Europe, d’autant plus que plusieurs institutions européennes y ont leur siège? Tout le monde sait aussi le rayonnement que le peuple belge n’a cessé d’avoir en divers continents, notamment en Afrique, surtout par sa culture et par l’oeuvre de ses innombrables missionnaires. C’est dire qu’aujourd’hui votre pays a son rôle spécifique dans la communauté des nations et, à Rome même, la présence des fils de la Belgique est bien appréciée.

Votre mission auprès du Saint-Siège, Monsieur l’Ambassadeur - et je le désire pour vous de grand coeur -, sera une expérience nouvelle par rapport à vos importantes missions antérieures. Les relations diplomatiques entre le Saint-Siège d’une part et les Etats ou les Instances internationales qui en manifestent l’intention d’autre part, n’ont rien à voir avec des accords politiques, économiques ou culturels, si utiles et nécessaires que puissent être de tels accords. Ces relations sont absolument originales. Tout observateur attentif et objectif peut vérifier que le principe régulateur de ces relations s’inspire de la célèbre réponse du Christ Lui-même à des personnes qui cherchaient à le mettre dans l’embarras: “Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu” (Mt 22,21).

En fait, la distinction entre les deux domaines spirituel et temporel laisse des possibilités et même des nécessités de dialogue et de collaboration, lorsque le bien des personnes et des peuples est en jeu. Il s’agit bien sûr de créer par ce dialogue un climat favorable à la paix et à la justice. Mais, sur le plan humanitaire, il peut s’agir aussi de s’entraider à porter secours à des détresses collectives et soudaines, de mettre au point et en oeuvre des programmes de santé, de conjurer des misères endémiques, de faire converger des plans d’alphabétisation et d’accompagnement de certaines populations pour la mise en valeur de leurs terres, de protéger des minorités ethniques, de sauver des valeurs familiales et des acquisitions précieuses de telle ou telle civilisation, et par-dessus tout de favoriser l’épanouissement de la vocation spirituelle des êtres humains.

Sincèrement désireuse de respecter l’autonomie des gouvernements, l’Eglise ne peut demeurer muette - spécialement au niveau des relations diplomatiques nouées par le Saint-Siège avec nombre d’Etats - sur les valeurs éthiques et spirituelles qu’elle est certaine d’avoir reçues en dépôt, avec mission de les diffuser. Comme Votre Excellence l’a elle-même souligné, ces valeurs coïncident vraiment avec les exigences de la dignité de toute personne humaine, avec les droits et les libertés qui constituent la base même d’une société saine et avec la recherche du véritable progrès par les voies de la tolérance, de l’entraide, et donc de la justice et de la fraternité. De tels rapports diplomatiques entre le Saint-Siège et la société civile, avec leurs fruits visibles ou plus cachés, précoces ou plus lents, sont tout à fait dans la ligne de l’important document Gaudium et Spes du Concile Vatican II. Ils sont un mode particulier de présence de l’Eglise au monde.

En Belgique, l’Eglise et l’Etat ont constamment pratiqué ce style de relations. C’est pourquoi le Saint-Siège sera toujours heureux d’accueillir vos remarques et vos suggestions, chaque fois que vous jugerez utile de lui en faire part pour le bien de votre nation et, plus largement, de la communauté des peuples. Et le Siège Apostolique vous sera toujours reconnaissant de répercuter au niveau de votre gouvernement les convictions et les voeux qui correspondent à sa mission sacrée au sein de l’Eglise, accompagnatrice et éducatrice de la conscience humaine. Sans vouloir énumérer ici nos préoccupations majeures, je me permets de mentionner la sauvegarde à tout prix de la paix dans la justice. Chaque nation peut et doit y contribuer, à condition d’accepter les impératifs du dialogue, du respect des autres et du partage avec les peuples en difficultés.

Je forme les souhaits les plus chaleureux pour que votre pays, déjà si méritant, continue d’assumer son rôle dans la construction toujours à reprendre d’un monde de justice et de paix. Et j’ajoute à votre intention, Monsieur l’Ambassadeur, des voeux cordiaux pour le déroulement heureux et fécond d’une mission à la quelle, j’en suis sûr, vous vous consacrerez de tout coeur et qui, en retour, vous apportera le bonheur de découvrir mieux encore le visage de l’Eglise. Sur votre personne - comme sur le cher peuple belge que j’aurai bientôt le grand bonheur de rencontrer en tant qu’Evêque de Rome chargé d’affermir la foi et de veiller à l’unité ecclésiale - j’invoque de tout coeur l’aide et la protection de Dieu.







Discours 1984 - Samedi 17 novembre 1984