Discours 1986 - Samedi 25 octobre 1986


À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES POUR LE 50 ANNIVERSAIRE DE LA REFONDATION

Mardi 28 octobre 1986



Messieurs les Cardinaux,
Monsieur le Directeur général de l’UNESCO,
Monsieur le Ministre italien pour la recherche scientifique,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

C'EST AVEC UNE grande joie que je célèbre avec vous le cinquantenaire de l’acte par lequel le Pape Pie XI a renouvelé l’Académie pontificale des “nuovi Lincei” pour en faire l’Académie pontificale des Sciences par le motu proprio “In Multis Solaciis”, du 28 octobre 1936.

1. Le mot “Linceo” appartient à votre histoire et à votre être même, chers Académiciens, puisque vous tirez votre origine et votre inspiration fondamentale de ce groupe de jeunes scientifiques qui, réunis autour du Prince Federico Cesi, donnèrent naissance, en 1603, à l’Académie des “Lincei”, dont fit partie, en 1610, Galileo Galilei qui depuis lors signa toutes ses oeuvres avec le titre de “Linceo”.

Les liens entre l’Eglise et l’Académie sont devenus particulièrement intenses sous Pie IX, qui lui confia des tâches de recherche scientifique au service des Etats pontificaux, et ils s’approfondirent encore sous ses successeurs, surtout Pie XI qui lui conféra le titre et la fonction de Senatus scientificus de l’Eglise, constitué de soixante-dix membres auxquels le Souverain Pontife demanda de “favoriser toujours plus et toujours mieux les progrès des sciences”, ajoutant: “Nous ne leur demandons rien d’autre car ce noble but et cette tâche élevée constituent le service que Nous attendons d’hommes étroitement liés à la vérité”.

Mes vénérés prédécesseurs Pie XII, Jean XXIII et Paul VI ont encouragé l’Académie pontificale, pleinement convaincus du rôle indispensable de la science au service de la vérité créée, et finalement au service de la Vérité Première qui est Dieu, en suivant le chemin du fini à l’infini qui est inscrit dans l’esprit humain. Les Souverains Pontifes ont été activement secondés par les Présidents qui se sont succédé, le Père Agostino Gemelli, Monseigneur Georges Lemaître, le Père Daniel O’Connell, jusqu’au Professeur Carlos Chagas, auquel j’adresse des remerciements chaleureux pour l’oeuvre importante qu’il a accomplie. Grâce à ces Présidents, grâce aussi à la collaboration de tous les membres et de la Chancellerie, cette Académie a acquis un prestige insigne et un rôle scientifique de très haut niveau, en suscitant d’ailleurs la participation à d’importants travaux de nombreux représentants de la communauté scientifique mondiale.

2. Au cours de vos cinquante ans d’histoire, vous avez, Mesdames et Messieurs les Académiciens, accordé très justement la primauté à la science pure, en revendiquant légitime autonomie. En vous adressant mon premier discours, ici-même, le 10 novembre 1979, j’ai proclamé la dignité et la haute valeur de la science en ce qui concerne son versant théorique: “La recherche fondamentale doit être libre face aux pouvoirs politique et économique, qui doivent coopérer à son développement sans l’entraver... Comme toute autre vérité, la vérité scientifique n’a, en effet, de comptes à rendre qu’à elle-même et à la vérité suprême qui est Dieu, créateur de l’homme et de toute chose”.

En plus de la science pure, vous vous êtes consacrés à l’étude de ses conséquences sur la science appliquée qui, comme je le disais dans ce même discours, “a rendu et rendra à l’homme d’immenses services, pour peu qu’elle soit inspirée par l’amour, réglée par la sagesse, accompagnée par le courage qui la défend contre l’ingérence indue de tous les pouvoirs tyranniques”. Votre Académie s’est activement occupée des sciences appliquées pour ce qui regarde les besoins de l’humanité entière, ayant toujours conscience des exigences de la loi morale.

3. L’existence et l’activité de cette Académie, fondée par le Saint-Siège, en liens constant avec lui, composée de membres nommés par lui, illustrent avant tout ce fait: il n’y a pas de contradiction entre la science et la religion. L’Eglise estime la science, elle se reconnaît même une certaine connaturalité avec ceux qui y consacrent leurs efforts, comme avec tous ceux qui cherchent à ouvrir la famille humaine aux plus nobles valeurs du vrai, du bien et du beau, à une intelligence des choses ayant valeur universelle (cf. Gaudium et Spes GS 57 § 3). L’Académie pontificale manifeste également, de son côté, que la science a besoin de s’accorder avec la sagesse et avec l’éthique, afin de satisfaire les exigences les plus profondes de l’esprit et du coeur de l’homme, afin de sauvegarder sa dignité.

Un nouveau type de dialogue s’est désormais instauré entre l’Eglise et le monde scientifique. Dans mon discours aux hommes te science et aux étudiants, le 15 novembre 1980, à Cologne, j’allais jusqu’à dire: “L’Eglise prend la défense de la raison et de la science, à laquelle elle reconnaît la capacité d’atteindre la vérité..., de la liberté de la science, par laquelle elle possède sa dignité de bien humain et personnel...”. Si des divergences peuvent apparaître entre l’Eglise et la science, “le motif doit en être cherché dans la finitude de notre raison, limitée dans son extension et donc exposée à l’erreur”.

4. Nous avons la chance de vivre aujourd’hui l’aboutissement de toute une histoire où l’harmonie entre la culture scientifique et le christianisme n’a pas toujours été facile. J’ai évoqué en commençant l’institution qui, autour de 1600, préfigurait l’Académie. Mais il importe surtout de considérer la façon dont se sont posés alors les rapports entre la théologie et les sciences naturelles, au seuil des temps modernes.

Isaac Newton synthétisa et porta à leur achèvement les découvertes de Kepler, de Copernic, de Galilée, de Descartes; il fut le témoin et l’acteur décisif de la révolution scientifique du dix-septième siècle. C’est alors que la science moderne franchit ses frontières traditionnelles, qui étaient auparavant déterminées par une vue géocentrique de l’univers et par une conception plus qualitative que quantitative des éléments de la nature. Ces grands savants, versés dans une étude expérimentale de l’univers, avec de plus en plus de précisions et de spécialisations, n’en demeuraient pas moins dans une attitude de recherche sur le sens global de la nature; leurs spéculations de penseurs sur le cosmos en témoignent. Leurs recherches audacieuses ont aidé à mieux définir les frontières entre les ordres du savoir. Ils n’ont pas toujours été acceptés sur ce point et l’Eglise elle-même a mis longtemps à se réconcilier avec leurs points de vue.

L’expérience de Galilée en est une illustration typique. Pour douloureuse qu’elle fut, elle a rendu un service inappréciable, au monde scientifique et à l’Eglise, en nous amenant à mieux comprendre les rapports entre la Vérité révélée et les vérités découvertes empiriquement. Lui-même excluait une contradiction véritable entre la science et la foi: toutes deux proviennent de la même Source, et doivent être référées à la Vérité première.

Les chrétiens on été amenés à relire la Bible sans y chercher un système cosmologique scientifique. Et les savants eux-mêmes ont été invités à rester ouverts à l’absolu de Dieu et au sens de la création. En soi, aucun domaine n’est soustrait à l’investigation scientifique du moment que celle-ci respecte l’être humain; ce sont plutôt les méthodologies qui contraignent les savants à certaines abstractions et délimitations.

5. On pourrait évoquer d’autres tensions très vives qui appartiennent, espérons-le, à un passé révolu. Au siècle dernier, au nom des nouvelles sciences et des nouvelles philosophies, le positivisme s’en prenait aux positions traditionnelles de l’Eglise, accusant celle-ci d’être opposée à la science et à la recherche. Léon XIII releva le défi en montrant que l’Eglise accueille avec joie tout ce qui permet de mieux explorer la nature et d’améliorer la condition humaine. Il donna également une impulsion vigoureuse au renouveau des sciences ecclésiastiques.

De nos jours, la distinction et la complémentarité des ordres du savoir – l’ordre de la foi et l’ordre de la raison – ont été exprimées avec une clarté décisive dans l’enseignement du Concile Vatican II: “L’Eglise affirme l’autonomie légitime de la culture et particulièrement celle des sciences”. “C’est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques” (Gaudium et Spes GS 59 § 3). On doit reconnaître les méthodes particulières à chacune des sciences. “C’est pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d’une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi: les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu”. Mais il serait faux de comprendre cette autonomie des réalités terrestres comme si elles ne dépendaient pas de Dieu et que l’homme pouvait en disposer sans référence au Créateur.

Si les principes sont clairs et devraient écarter désormais toute attitude de crainte ou de défiance, cela ne veut pas dire que toute difficulté soit aplanie: de nouvelles recherches et découvertes des sciences soulèvent de nouvelles questions qui seront autant d’exigences pour les théologiens dans la façon de présenter les vérités de la foi en sauvegardant toujours le sens et la signification (cf. Gaudium et Spes GS 36 § 2 e 62 § 2). Mais les savants eux-mêmes procèdent, de leur côté, à une critique de leurs méthodes et de leurs objectifs.

Aujourd’hui l’Eglise, loin de se cantonner dans une visée apologétique ou défensive, se fait plutôt l’avocate de la science, de la raison, de la liberté de recherche, pour légitimer la science authentique. Votre Académie peut en témoigner. Et au-delà de vos personnes, je m’adresse ici à la communauté scientifique mondiale.

6. Il importe en effet de situer l’effort scientifique dans le contexte général de la culture. L’homme ne saurait négliger de s’interroger sur la signification profonde de la culture et de la science pour la personne humaine.

L’homme vit d’une vie vraiment humaine grâce à la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature, en affirmant et en développant les multiples capacités de son esprit et de son corps. Se soumettre l’univers par la connaissance est un aspect capital de la culture. L’élargissement et l’approfondissement du savoir scientifique constituent donc un progrès indéniable pour l’homme, parce qu’il s’agit d’une approche toujours plus précise de la vérité.

Cette recherche libre de la vérité pour elle-même est une des plus nobles prérogatives de l’homme. La science dévie si elle cesse de suivre sa finalité ultime qui est le service de la culture et donc de l’homme; elle entre en crise lorsqu’on la réduit à un modèle purement utilitaire; elle se corrompt lorsqu’elle devient un instrument technique de domination ou de manipulation à des fins économiques ou politiques. Il existe alors ce que l’on peut appeler une crise de légitimation de la science. Il y a donc urgence à défendre une science authentique, ouverte à la question du sens de l’homme et à la recherche de la vérité intégrale, une science libre, et dépendante uniquement de la vérité. Du point de vue de l’Eglise, science et culture ne sauraient être dissociées.

De même, en considérant que l’homme n’est pas seulement l’objet, mais le sujet de la culture, l’Eglise encourage le travail de l’homme de science: elle apprécie chez les savants, non seulement l’exploit de l’intelligence, mais le mérite professionnel et moral, leur honnêteté intellectuelle, leur objectivité, leur recherche du vrai, leur autodiscipline, leur coopération en équipe, leur engagement à servir l’homme, leur respect devant les mystères de l’univers. Ce sont là des valeurs humaines qui manifestent la vocation spirituelle de l’homme.

7. Par ailleurs, l’homme de science est appelé d’une manière nouvelle à une ouverture. Tout en respectant les exigences méthodologiques de l’abstraction et de l’analyse spécialisée, il ne faut jamais négliger l’orientation unitaire du savoir. Les conditions modernes ont fait apparaître un risque d’émiettement et le risque de se limiter à l’objet immédiat de la recherche. La science ne peut négliger les questions fondamentales sur son rôle et sa finalité; elle ne peut se fermer à l’universel ni à la connaissance des ensembles, ni à l’Absolu, même si, à elle seule, elle n’est pas en mesure de répondre à la question du sens.

Il me semble aujourd’hui que la communauté scientifique, après une période d’extrême spécialisation nécessaire sur le plan expérimental, est en train de retrouver l’intérêt des ensembles, la question du sens de l’univers, le mystère merveilleux de la nature et de l’être humain. Beaucoup de savants s’y aventurent; ils le font peut-être timidement à cause d’un certain agnosticisme ou par crainte de dépasser ce que leur propre recherche leur permet de dire. Mais le fait qu’un certain nombre soient plus sensibles aux valeurs de l’esprit et de la morale apporte à leurs disciplines une dimension nouvelle. Le savant ne reste-t-il pas un homme, ouvert à toutes les questions humaines, à tout ce qui doit servir l’homme, à la quête de la Vérité dans toute sa profondeur?

Peut-être est-il difficile de demander à tous les spécialistes d’aujourd’hui de se faire philosophes, mais les besoins de la culture contemporaine vous incitent fortement à apporter une indispensable participation aux recherches interdisciplinaires, où savants, penseurs et théologiens ont à collaborer. Les études philosophiques et théologiques sur l’homme et la nature ont besoin de votre contribution pour faire avancer notre commune connaissance du monde inanimé, de l’univers vivant, de l’être humain.

8. Si l’on considère maintenant, au-delà du progrès de la connaissance pure, les applications techniques multiformes des recherches et découvertes de la science, on peut dire que la communauté scientifique mondiale a des responsabilités morales considérables dont elle prend plus vivement conscience.

Devant cette Académie, en 1983, j’avais souligné combien la collaboration des savants du monde entier avait permis des découvertes grandement bénéfiques pour le progrès de toute l’humanité. C’est manifeste.

Mais comment ne pas être lucide aussi sur les dangers que l’humanité encourt si elle emploie inconsidérément la puissance qui lui vient de la science? Et, bien que cela dépasse la compétence du chercheur, celui-ci ne peut rester indifférent: on se tourne de plus en plus vers la communauté des savants pour les questions d’éthique collective. Comme je le disais le 3 novembre 1982 aux universitaires à Madrid: “Hommes et femmes qui représentez la science et la culture, votre pouvoir moral est considérable. Vous pouvez ensemble, et grâce à votre prestige, obtenir que le secteur scientifique serve d’abord la culture de l’homme et qu’il ne soit jamais utilisé pour sa destruction”.

On pense spontanément aux dangers de l’énergie nucléaire. En déchaînant la puissance atomique, les chercheurs ont été, pour leur part, à l’origine d’une crise morale à nulle autre pareille dans l’histoire, comme je l’ai souligné à Hiroshima. A l’UNESCO, j’ai insisté sur le fait que l’avenir de l’homme et du monde demeurait radicalement menacé, en dépit des intentions des hommes de science, si l’on utilisait leurs découvertes à des fins destructives. De ce haut lieu de la culture, j’ai lancé aussi un appel solennel aux savants pour qu’ils aident l’humanité en alliant la conscience à la science, en faisant respecter le primat de l’éthique, en veillant à ce que la science soit au service de la vie et de l’homme. Le maintien de la paix entre les peuples est primordial, et nous espérons que le témoignage de nombreux chefs religieux, priant hier, à Assise, pour la paix, contribuera pour sa part à instaurer cette paix, qui est aussi un don de Dieu.

Le rapport harmonieux entre l’homme et la nature est un élément fondamental de la civilisation, et l’on devine aisément toute la contribution que la science peut apporter dans ce domaine de l’écologie, pour la défense contre les altérations violentes de l’environnement et pour l’accroissement de la qualité de la vie par l’humanisation de la nature.

Mais comment ne pas penser surtout au champ désormais immense de la génétique? La tentation d’y manipuler radicalement l’homme, en disposant des conditions de son engendrement, en risquant de porter atteinte à la vie de l’être humain, même à l’état d’embryon ou de foetus, à son intégrité, à son équilibre, pose des question si graves que des savants eux-mêmes s’interrogent sur la poursuite de leurs expériences.

En somme, on demande aux savants d’avoir devant les yeux toutes les exigences de l’éthique qui assurent la dignité transcendante de l’être humain. La question décisive est bien celle-ci: comment la science peut-elle servir l’homme? Comment peut-elle respecter, assurer, les droits objectifs fondamentaux de la personne?

9. La contribution spécifique de l’Académie pontificale des Sciences est l’objectivité des données scientifiques recueillies de la part de savants qui excellent dans les domaines hautement spécialisés qui sont les leurs, par la rigueur de leur analyse des faits, la profondeur de leurs intuitions scientifiques, par leur désintéressement au service de la vérité, l’importance qu’ils donnent aussi aux valeurs morales. C’est de ces analyses et synthèses objectives que pourront tirer profit les hommes politiques – pour mesurer par exemple les risques d’utilisation de certaines sources d’énergie ou de certaines armes, ou les conséquences écologiques de certaines initiatives. Pourront également en tirer profit les sociologues et les économistes; les praticiens de la médecine et de la chirurgie pour évaluer le sens et les effets de leurs expérimentations et interventions; les moralistes qui ont besoin de connaître avec précision les lois de la nature; les philosophes qui recherchent le sens de l’être et la vérité transcendante; les théologiens, spécialement intéressés par les rapports entre la foi et la science. Votre contribution scientifique est donc capitale pour tous ces domaines, même si elle n’est directement ni politique ni théologique; elle constitue une base indispensable pour le travail des responsables et des spécialistes que je viens de nommer. Pour sa part, le Saint-Siège a reçu en diverses occasions le service apprécié de la compétence scientifique de cette Académie, pour des questions qui touchaient immédiatement la morale naturelle et évangélique, et il continue à compter sur vous.

En tant que Corps constitué auprès du Saint-Siège, l’Académie pontificale des Sciences porte le témoignage de l’harmonie entre l’Eglise et les hommes de science, de leur soutien réciproque, et elle est un appel aux valeurs de la conscience dans le monde scientifique.

10. Il est à souhaiter que vos travaux soient mieux connus dans l’Eglise et dans le monde. Il semble opportun que votre recherche intellectuelle, vos études, vos publications continuent à aider toujours davantage l’oeuvre universitaire et culturelle du Saint-Siège et de l’Eglise, en lien par exemple avec la Congrégation pour l’Education catholique, le Conseil pontifical pour la Culture, la Commission théologique internationale, avec les autres Académies et avec les Universités. N’y a-t-il pas lieu d’explorer quelques projets communs où apparaîtrait visiblement le lien entre science et culture? L’Académie, qui regroupe diverses disciplines, a aussi une vocation interdisciplinaire pour réaliser cet “oecuménisme culturel” dont j’ai déjà parlé.

J’avais pensé, au début de mon pontificat, à une Académie des Sciences humaines et de la culture. J’ai opté, après consultations, pour un Conseil pontifical pour la Culture. C’est vous dire le souci qui est le mien de promouvoir et de défendre la culture de l’homme sur laquelle repose sa dignité. Je suis convaincu que l’Académie pontificale des Sciences participe efficacement à cet objectif et je vous encourage vivement à souligner toujours davantage la visée culturelle de vos travaux, dont la valeur intrinsèque est déjà un apport précieux au progrès du savoir.

11. Messieurs les Cardinaux, Excellences, Mesdames et Messieurs, durant ce demi siècle, l’Académie pontificale des Sciences a accompli une tâche d’une importance historique car elle a situé les fruits objectifs de la recherche scientifique dans la perspective de la vérité, de la liberté, de la morale, du service de l’humanité et de la paix, de l’élévation vers la Vérité première qui seule peut répondre aux questions fondamentales sur le pourquoi de l’existence,- sur le sens de la vie humaine et du monde. Je remercie, autour de son Président, tous et chacun de ses membres qui y ont apporté leur collaboration avec une grande compétence et un dévouement méritant.

Pour ma part, je n’ai cessé d’accorder un grand intérêt au maintien et au développement de cette Académie, dans la ligne de l’intuition remarquable de mon vénéré prédécesseur Pie XI qui l’a fondée, mais avec une insistance accrue au regard des problèmes humains, moraux et spirituels de notre temps. En cette année jubilaire, je forme donc des voeux fervents pour son avenir: pour la valeur de ses travaux; pour l’enrichissement que ses membres, si divers par leur origine et leurs convictions personnelles, peuvent s’apporter entre eux et apporter ensemble à l’humanité; pour le service hors pair que l’Académie peut rendre à ceux qui assument une lourde charge dans la communauté mondiale ou dans l’Eglise et notamment au Saint-Siège, offrant à leurs réflexions et à leur décisions des données de valeur, éclairant l’objet de leur responsabilité morale. Et par-dessus tout, puisse ce sénat de savant – qui ont été appelés à faire de l’Académie pontificale et qui ont accepté loyalement cet honneur et cette charge – apporter toujours davantage au monde le témoignage de l’estime dans laquelle l’Eglise tient la science digne de ce nom, de la confiance qu’elle fait à ceux qui s’y adonnent avec compétence et honnêteté, de l’invitation qu’elle leur offre à dialoguer et à coopérer pardessus toutes les frontières, de la responsabilité qu’elle leur reconnaît pour le bien de l’humanité!

Je suis touché de voir que beaucoup d’Académies des sciences, de par le monde entier, ont accepté l’invitation qui leur était faite de venir s’associer à cette célébration jubilaire. Je salue et je remercie chaleureusement leurs délégations. A ces Académies aussi, j’adresse mes meilleurs voeux pour qu’elles encouragent leurs membres à faire progresser en toute liberté la connaissance scientifique, dans une ouverture à la vérité fondamentale sur l’homme et sur le cosmos, pour quelles puissent entretenir librement entre elles des relations fructueuses, et qu’elles forment ensemble comme une instance significative de la communauté mondiale, qui utilise le prestige de son autorité morale afin que la science demeure toujours, dans toutes ses applications, au service de l’homme, au service de sa vie, de sa culture, de son élévation morale et spirituelle.

A tous les hommes de science ici présents, j’ai été très heureux de pouvoir rendre hommage, en présence des Cardinaux et du Corps diplomatique, et j’invoque sur vous, comme sur vos familles et vos collaborateurs, les Bénédictions du Seigneur “en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être” (Ac 17,28).




AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN

Vendredi 31 octobre 1986


  Monsieur le Président,

1. C’EST AVEC UNE grande joie que j’accueille ici Votre Excellence. Pour le Saint-Siège, la visite officielle d’un Chef d’Etat est toujours une heureuse occasion de manifester son estime au peuple qu’il représente, et ses encouragements à ceux qui ont la charge du bien commun. Aujourd’hui, je suis d’autant plus sensible à votre venue que je garde un souvenir très reconnaissant de la façon dont, l’an dernier, j’ai été moi-même reçu au Cameroun, par Votre Excellence et par tous ses concitoyens, à chacune des étapes de ma visite pastorale, à Yaoundé, à Garoua, à Bamenda, à Douala. J’avais déjà eu l’occasion de me familiariser avec les réalités de votre pays, notamment par les Evêques camerounais venus en visite “ad limina”. Mais désormais, je garde dans la mémoire des yeux et du coeur ce qui caractérise votre chère patrie, grâce à ce que j’ai vu et vécu sur son territoire, et aux contacts intéressants que j’ai pu avoir.



2. Le successeur de Pierre, qui vous reçoit au nom de l’Eglise catholique à l’unité de laquelle il préside, a comme mission, vous le savez, de stimuler le progrès spirituel de ses Frères et de ses Fils dans la fidélité à la foi et dans la communion fraternelle. A ce titre, il partage leurs espoirs ou les épreuves concernant leur vie humaine de chaque jour, leur vie sociale, leurs soucis de justice, de paix, de progrès culturel et moral, car tout cela importe grandement pour la réalisation du dessein de Dieu sur eux et pour la croissance du règne du Christ (Cfr. Gaudium et Spes GS 39,2). C’est dans cet esprit que j’ai porté une vive attention et un grand intérêt aux efforts remarquables que poursuit votre pays sous divers aspects.



3. Tous les observateurs constatent d’abord que le Cameroun occupe une position importante au centre du continent africain. Il bénéficie d’un certain nombre de chances de par sa situation géographique, avec ouverture sur la mer, par la richesse de son sol, par le climat assez clément de la plupart de ses régions, par sa position charnière entre la francophonie et l’anglophone. Même la multiplicité de ses ethnies représente une diversité enrichissante, dans la mesure où, respectées dans leurs particularités, elles acceptent les nécessités du bien commun et intègrent leurs efforts dans l’intérêt national. Le très grand nombre de jeunes de moins de vingt ans, même s’il crée présentement des problèmes sérieux pour que soient données à tous des conditions satisfaisantes de formation et d’emploi, peut être aussi considéré comme une promesse de vitalité pour le pays.



4. Mais, évidemment, ces possibilités, qui comportent aussi des risques, n’entraîneront d’heureux résultats que si, à tous les niveaux – des responsables politiques aux simples citoyens –, des efforts exigeants sont accomplis dans le sens du travail soigné, de l’honnêteté, et de la rigueur de la gestion, de la participation responsable, de la justice respectueuse des droits fondamentaux de l’homme et du droit des minorités, du bien commun à garantir et à promouvoir, de la qualité ethnique dans les moeurs des jeunes et des adultes. Il appartient à ceux qui président à la destinée du peuple camerounais de faire converger tous ces efforts vers le bien de tous et de chacun, en s’appuyant – en même temps que sur le sentiment patriotique – sur la coopération des corps intermédiaires, sur le sens des responsabilités, sur le sens moral que chacun doit développer, en conscience, en lien avec la religion qu’il professe.

Le Saint-Siège se réjouit de constater que cette sollicitude inspire l’action de votre Gouvernement. Il sait votre volonté de lutter contre toute corruption, d’instaurer une réelle démocratie qui, d’une part, préserve la liberté, le respect des droits et l’initiative d’entreprendre, et, d’autre part, promeut le sens communautaire et garantit l’unité nationale. Sans confondre les compétences et les fins, l’Eglise pense que, sur bien des points, il peut y avoir convergence entre une telle visée et son propre engagement.



5. Prenant à coeur la subsistance du peuple camerounais, nous observons par ailleurs que votre politique a misé, avec succès, sur le développement de l’agriculture, pour parvenir autant que possible à une autosuffisance alimentaire. Il semble qu’il y ait là un exemple intéressant pour l’Afrique, car cela correspond au besoin primordial des populations et assure une base solide à l’économie en évitant les aléas qui affectent le marché de certaines autres ressources.

Vous portez également le souci de moderniser les zones rurales, de maîtriser le développement excessif, dans des conditions déshumanisantes, de certaines grandes villes, d’éviter la dégradation de l’environnement. Parfois, malheureusement, on peut être à la merci de catastrophes naturelles, écologiques, comme celle qui a récemment touché la région du lac de Nios; nous avons été profondément solidaires de votre épreuve.

Votre Gouvernement envisage aussi la promotion culturelle des populations, qui élève l’esprit, développe le sens des relations, prépare aux responsabilités. Il est certainement conscient des grandes difficultés de l’éducation et de l’orientation professionnelle de tant de jeunes, souvent coupés de leurs familles par les conditions de la vie scolaire. L’Eglise partage très fortement ce souci, qui a été le thème de mon homélie à Douala.

La famille restera toujours la cellule de base de la société. Ceux qui ont la charge du bien commun ne peuvent pas ne pas avoir à coeur de favoriser sa stabilité, son unité, l’accueil de la vie selon une paternité responsable chez les époux, l’autorité naturelle des parents de manière à assurer aux enfants les conditions affectives et éducatives nécessaires. J’ai pu moi-même entretenir les catholiques de ces valeurs familiales à Bamenda.


6. Pour ce qui est de la politique extérieure, j’ai été très heureux de profiter de mon séjour dans votre capitale pour exposer, en présence des Corps constitués et des représentations diplomatiques, tout ce que me semble requérir le bien de l’Afrique. Je souhaite, avec vous, que les peuples africains contribuent, à la mesure de leurs moyens, à la solution des graves problèmes des pays de leur continent tels que je les ai évoqués à cette occasion: l’indépendance nationale, dans la pleine liberté, l’autosuffisance économique, la justice dans les échanges internationaux, le problème de la famine, l’épreuve de la sécheresse – pour laquelle vous avez manifesté généreusement votre solidarité – la misère des réfugiés, l’injustice de la discrimination raciale, le drame des guerres fratricides ou des foyers de violence que certaines puissances étrangères attisent, les diverses violations des droits de l’homme. Oui, s’il est vrai que chaque pays doit de plus en plus prendre en charge son propre développement, avec une entraide internationale équitable, et régler ses problèmes sans ingérence étrangère, il a aussi besoin de la compréhension, de la sagesse, de la solidarité des autres, soit dans le cadre de l’Organisation de l’Unité Africaine ou de l’Organisation des Nations Unies et de ses Institutions spécialisées, soit dans les relations bilatérales de bon voisinage. Je ne doute pas que le Cameroun apporte ici une heureuse contribution.


7. Au regard de toutes ces questions, Votre Excellence connaît la sollicitude de l’Eglise, telle qu’elle s’exerce par le Saint-Siège, mais aussi par l’action des Eglises locales, et je pense ici à celle du Cameroun, qui regroupe une partie notable de la population. J’ai vu comment vos compatriotes avaient su accueillir l’Evangile et établir une symbiose entre la foi chrétienne et les valeurs de l’âme africaine. Ma visite pastorale au Cameroun visait d’abord à affermir cette Eglise qui va bientôt fêter son centenaire et qui progresse dans le cadre de la liberté religieuse garantie à tous les citoyens. Je sais combien vous-même, Monsieur le Président, dans le plein respect des autres croyances religieuses de vos compatriotes, vous êtes familiarisé avec la foi catholique et avez à coeur son essor. De son côté, l’Eglise apporte volontiers sa contribution spécifique pour répondre aux besoins humains auxquels le pays doit faire face: l’éducation des enfants et des jeunes, pour lesquels les écoles catholiques déploient un vaste effort qui mérite bien un soutien, la réflexion des étudiants pour lesquels se prépare un Institut catholique, le soin des pauvres et des malades, l’initiation aux valeurs familiales, la formation des consciences à toutes les vertus qui édifient la société, telles que la droiture, le courage, le sens des responsabilités, la solidarité, l’amour fraternel.


8. Je profite de notre rencontre pour renouveler mon salut et ma Bénédiction à tous mes Frères et Soeurs de l’Eglise catholique au Cameroun, auxquels je souhaite d’approfondir leur foi et de rayonner leur charité.

Je salue aussi tous les autres citoyens du Cameroun qui sont chrétiens ou qui adhérent à l’Islam ou encore aux religions traditionnelles.

A tous, je souhaite le bonheur, la prospérité, le progrès moral, social et spirituel. Je forme des voeux pour le développement harmonieux de votre nation en pleine croissance.

A vous-même, Monsieur le Président, et à tous ceux qui partagent avec vous la très haute responsabilité du pouvoir politique qui est le service de tous les Camerounais, je renouvelle mes sentiments de profonde estime et mes voeux chaleureux pour l’accomplissement de votre mission. Je porte vos intentions dans la prière, et, de grand coeur, je demande au Très-Haut de vous combler, ainsi que tous les vôtres, de ses Bénédictions.






Discours 1986 - Samedi 25 octobre 1986