Discours 1985 - Cathédrale de Yaoundé (Cameroun) Samedi, 10 août 1985

RENCONTRE OECUMÉNIQUE AU SIÈGE DE LA NONCIATURE APOSTOLIQUE

Yaoundé (Cameroun) Lundi, 12 août 1985


Chers Frères en Christ,

1. Je voudrais vous remercier tous d’être venus cet après-midi, pour me rencontrer. Je remercie en particulier le Révérend Dr Ambadiang pour les souhaits de bienvenue qu’il m’a adressés, au nom des membres de la Fédération des Eglises et Missions évangéliques du Cameroun.

Au cours de mes visites pastorales à travers le monde, j’attache une grande importance à mes rencontres avec les représentants des autres Eglises et communautés, en chaque pays où je me rends. En effet, comme je l’ai souvent redit avec insistance, l’oecuménisme, l’engagement au service de l’unité de tous ceux qui croient au Christ, est une dimension essentielle de la pastorale de l’Eglise catholique, une dimension étroitement liée à mon propre service de l’unité, à mon ministère d’Evêque de Rome. C’est pourquoi, tout en vous exprimant ma reconnaissance, et, à travers vous, à ceux que vous représentez, j’adresse à Dieu mon action de grâce la plus profonde: c’est lui, le Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui, dans son mystérieux dessein, veut unir toutes choses en lui, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre (Cfr. Ep 1,10).

2. Chaque fois que des chrétiens - des hommes et des femmes qui sont déjà unis par leur baptême en notre Sauveur crucifié et glorieux - sont divisés, se crée une situation à laquelle il faut d’urgence trouver un remède. Et l’urgence est encore plus pressante dans un pays comme le votre, où les communautés chrétiennes, bien que déjà nombreuses et vigoureuses, sont encore relativement jeunes. Si vigoureuses qu’elles soient, la tache que Dieu leur a confiée d’annoncer la Bonne Nouvelle à tous les hommes est gênée, entravée par le mal de la division. “Le Christ est-il divisé?” (1Co 1,13). Comment, dès lors, pouvons-nous prêcher l’Evangile si nos voix ne sont pas unanimes, mais discordantes?



3. Cependant, nous devons humblement remercier Dieu de ce que nos divisions ne soient pas totales. J’ai souvent rappelé “combien les fondations communes de notre foi chrétienne sont grandes et solides”, cette foi que nous proclamons dans le grand Credo de Nicée-Constantinople (Cfr., ex. gr., Ioannis Paulis PP. II Allocutio ad Commissionum Oecumenicarum Nationalium Delegatos, die 27 apr. 1985: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 1 (1985) 1137 ss). Sur ces fondations, nous pouvons déjà bâtir, avant même que disparaissent les divisions qui subsistent, en nous efforçant d’être ensemble témoins, devant tous ceux qui nous entourent, du salut que nous apporte Jésus Christ, notre Voie, notre Vérité et notre Vie. Nos divisions persistantes limitent inévitablement le témoignage que nous pouvons donner. Mais ces limites ne doivent pas nous empêcher de donner l’exemple d’une vie chrétienne et d’un témoignage commun chaque fois que nous le pouvons, en proclamant la Bonne Nouvelle, dans l’amour, et ensemble dans toute la mesure du possible.

4. Vous faites déjà cela d’une manière particulière, dans le travail de traduction et de distribution des textes de la sainte Ecriture, à travers les activités de l’Alliance biblique du Cameroun. Je suis heureux d’apprendre que les diocèses catholiques de ce pays coopèrent de plus en plus à ce travail, car la Parole vivante et permanente du Seigneur est la semence incorruptible par laquelle les chrétiens ont été engendrés à nouveau (Cfr. 1P 1,23). Comme nous collaborons de plus en plus au service de cette Parole qui est nourriture, puisse le Seigneur de toute grâce nous conduire vers cette pleine unité dans la foi qui, seule, pourra nous permettre de nous retrouver ensemble à la table où le Corps du Seigneur se fait nourriture! (Cfr. Dei Verbum DV 21 Sacrosanctum Concilium SC 48).

Certes, le chemin est ardu, par suite des tensions du passé dont vous héritez, après les divisions survenues en Europe, mais surtout à cause des exigences, de la profondeur de l’unité telle que la veut notre Seigneur. Demeurons tous humbles, lucides, courageux, ouverts, fortifiés par l’espérance. La pleine communion sera le résultat d’une véritable conversion de tous, du pardon réciproque, du dialogue théologique et des relations fraternelles, de la prière et de la totale disponibilité à l’Evangile, à l’action de l’Esprit Saint et au dessein de Dieu sur l’Eglise.

Cette grâce de la pleine unité dans la vérité, dans la totale fidélité à Dieu, voilà ce que je demande aujourd’hui avec vous dans la prière que nous faisons ensemble. Notre réunion ne peut être longue, et mes paroles doivent donc aussi être brèves. “Paix aux frères, amour et foi de la part de Dieu le Père et du Seigneur Jésus Christ. Que la grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus Christ d’un amour inaltérable!” (Ep 6,23-24).



AUX REPRÉSENTANTS DE LA COMMUNAUTÉ MUSULMANE

Yaoundé (Cameroun), Lundi, 12 août 1985

Frères et Soeurs de religion musulmane,

Je vous appelle “frères”, parce que Dieu notre Créateur nous a faits membres d’une même famille humaine, il nous appelle à l’adorer et à lui obéir. Dieu nous a placés sur cette terre, comme ses représentants, pour prendre soin fidèlement du monde de la nature, et pour construire nos sociétés humaines selon sa volonté. Les Musulmans considèrent que Dieu a créé l’homme comme son délégué, et qu’il désire que nous agissions en intendants de la Création, honnêtes et dignes de confiance. Nous, Chrétiens, nous croyons, comme l’a dit saint Paul, que nous sommes “l’ouvrage” de Dieu, son chef-d'oeuvre, que nous sommes créés pour que nos actes soient vraiment bons, conformes à la voie qu’il a tracée pour nous dès le commencement (Cfr. Ep 2,10). Ainsi l’humanité est revêtue d’une grande dignité qui ne peut jamais lui être enlevée. Tout homme comme toute femmes des droits qui lui appartiennent en raison de sa condition humaine elle-même, et nous avons le devoir d’exercer ces droits d’une manière responsable pour le bien de tous.

J’évoque aujourd’hui ces convictions que partagent les Chrétiens et les Musulmans, parce qu’ici, au Cameroun, vous faites partie d’une société pluraliste où vivent côté à côté des chrétiens, des musulmans et des fidèles des religions africaines traditionnelles. Il y a là un des grands défis pour l’humanité d’aujourd’hui à travers le monde: apprendre à vivre ensemble de manière pacifique et constructive. Il faut reconnaître que nous vivons à une “époque de polarisation”. Certains groupes raciaux ou ethniques, certaines communautés religieuses, de même que certaines idéologies économiques et politiques à travers le monde, tendent à faire prévaloir leur point de vue en excluant ceux qui ne le partagent pas, à défendre leurs droits au point d’ignorer ceux des autres, à refuser les propositions de coopération et de fraternité humaine.

Il faut que les Musulmans et les Chrétiens résistent à ces tentations, car elles ne mènent pas l’humanité à “ces actes vraiment bons, conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous dès le commencement”. Pour nous, le vrai chemin demeure celui du dialogue, qui présente de nombreux aspects. Il veut dire! avant tout, apprendre à connaître la foi les uns des autres, surmonter les préjugés et les malentendus. Il veut dire être tolérant à l’égard des différences. Le dialogue veut dire parvenir, malgré les obstacles, à une confiance mutuelle telle que nous puissions nous rencontrer pour parler et pour préparer des projets en commun, en respectant les responsabilités et les droits de chacun. Il veut dire nous engager dans des actions concrètes pour développer notre pays, pour travailler ensemble à construire une société où la dignité de chaque personne soit reconnue et respectée.

Nous sommes tous invités à redécouvrir sans cesse ce qu’il y a de plus beau dans les traditions des peuples africains. Je suis heureux de souligner notamment votre tradition africaine d’hospitalité, votre respect pour la nature comme don de Dieu et signe de sa bonté et de sa présence, votre manière de résoudre les conflits par le dialogue et le consensus, le soin avec lequel vous conservez et développez les valeurs de la famille, votre joie de vivre que vous exprimez si magnifiquement dans votre poésie, vos danses et vos chants. Toutes ces valeurs traditionnelles ont leur place dans le monde moderne; en effet, elles sont importantes comme des correctifs dans une société qui, autrement, deviendrait trop souvent inhumaine, solitaire, violente et stérile. Les communautés musulmanes et chrétiennes ont chacune leur rôle à jouer pour préserver le meilleur de ce qui vient du passé, pour y intégrer les éléments de la technologie et de la science du présent qui favorisent la dignité humaine, et pour construire un avenir harmonieux et ferme.

Dans toute cette action, la volonté et le dessein de Dieu ne doivent jamais être oubliés. Quand l’homme oublie que nous sommes toujours les créatures aimées de Dieu et quand il tente de construire un avenir sans Dieu, il ne peut que s’égarer. Car Dieu est l’origine et la En de notre vie, Celui qui est “plus près de nous que nos veines jugulaires”, il est pour nous le Guide et le Maître de ce qui est juste.

Aujourd’hui, je vous demande d’avancer la main dans la main avec vos frères et soeurs chrétiens, pour suivre les voies de Dieu au service de l’humanité.

Que la bénédiction de Dieu soit sur vous tous!




RENCONTRE AVEC LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, LES CORPS CONSTITUÉS ET LES MEMBRES DU CORPS DIPLOMATIQUE

Yaoundé (Cameroun), Lundi, 12 août 1985


Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs,



1. Comment ne serais-je pas sensible aux paroles chaleureuses et aux considérations élevées qui viennent d’être exprimées? J’en remercie vivement Son Excellence le Président Paul Biya, et, à travers sa personne, je remercie tous ceux qui contribuent à mon accueil dans ce pays si attachant du Cameroun, que j’éprouve une grand joie à visiter comme Pasteur de l’Eglise universelle. Ce soir, j’ai l’honneur de m’adresser aux dirigeants politiques du pays et aux diplomates: dans l’exercice de ma mission de Pasteur universel, je considère cette rencontre comme très importante, étant donné vos hautes responsabilités pour le progrès du Cameroun et pour la paix du monde.



2. Mes salutations respectueuses et mes voeux vont d’abord à votre personne, Monsieur le Président, qui, depuis bientôt trois ans, avez accédé à la Magistrature suprême, après avoir pris une part importante au service de votre pays depuis bien des années. Vous avez la lourde charge de promouvoir l’unité de la nation, de faire converger toutes les forces vers son développement, en cherchant à assurer le bien de tous les Camerounais et à entraîner le pays dans l’élan et le renouveau nécessaires.

Autour de vous, je salue ceux qui collaborent avec vous dans cette grande entreprise comme membres du Gouvernement, ceux qui la soutiennent sur le plan des options politiques, comme membre du Comité central ou du bureau politique national du “Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais”, et ceux qui ont la responsabilité législative comme parlementaires. Que Dieu vous vienne en aide dans la conduite des affaires publiques au service de tous vos compatriotes!



3. Le Cameroun apparaît effectivement comme un carrefour d’ethnies, de langues, de religions, ouvert à la fois sur le monde francophone et anglophone, au coeur de l’Afrique, et très typique de ce continent. Une telle situation requiert sûrement entre ces groupes aussi divers un esprit de tolérance et de dialogue, le respect des conditions particulières de culture et de religion, une considération pour les responsabilités locales et les droits de chacun, l’estime mutuelle et la coopération fraternelle. Cela demande aussi, chez les dirigeants nationaux, une grande vigilance pour faire observer partout cet esprit, pour éviter que certains ne soient de quelque façon brimés par les autres, et pour assurer la participation de tous au bien commun.

Voilà la situation avec laquelle doit compter le Cameroun. Elle est plus exigeante que certaines situations uniformes. Mais l’union qui sait intégrer dans l’harmonie ce faisceau de réalités différenciées et de valeurs personnelles a des chances d’être plus riche d’humanité. Pour sa part, l’Eglise catholique vit une situation un peu semblable à l’échelle universelle. Et, dans ce pays même, j’ai pu visiter quatre régions aux problèmes pastoraux assez divers; j’ai pu entendre dans la liturgie la symphonie d’expressions linguistiques variées. Notre communion est tissée de cette “catholicité”. Et personne n’est exclu de notre sympathie, ni de notre dialogue: je viens de rencontrer la délégation des Eglises protestantes, puis celle des Musulmans.



4. Mais le Cameroun ne saurait rester une mosaïque d’intérêts particuliers. C’est un Etat souverain, c’est une République unifiée. C’est une Nation. Et il vous appartient d’en raviver la conscience et de faire converger vers le bien commun les efforts de tous les citoyens, la contribution de toutes les ethnies. Vous cherchez à développer ce sentiment patriotique qui rend les Camerounais fiers de leur identité nationale. Vous désirez, à juste titre, que tous participent activement à la vie publique - dans le respect de l’ordre, du bien supérieur de la nation et des droits d’autrui - afin de préparer un avenir digne pour tous les fils de ce pays, en leur assurant le plus possible une égalité de chances. C’est une tache immense que de réaliser vos projets de développement rural intégré, de formation morale et intellectuelle de la jeunesse, de création d’emplois, tout en faisant face aux problèmes de santé, d’habitat, d’urbanisme, de transports, de salaires, de protection sociale.

5. Tous les pays, surtout ceux du tiers-monde, ont ainsi à relever un défi économique et social avec des moyens limités, et ils cherchent à mobiliser toutes les énergies. Ce qui importe, c’est de trouver une manière de le faire qui, par elle-même, développe les qualités les meilleures de l’être humain, sans recourir à un système contraignant qui ferait perdre à l’homme sa liberté, sans non plus laisser les puissances d’argent accroître aveuglément et égoïstement leur emprise au profit d’un petit nombre. Il importe tout autant d’éviter la paralysie d’un excès de bureaucratie, et les maux de la corruption, des fraudes et du gaspillage. On ne peut donc que se réjouir dans la mesure où sont mis en pratique les appels des dirigeants de ce pays à la moralisation des comportements: à la rigueur dans la gestion, à l’intégrité, à la compétence et à la conscience professionnelles, au sens de la responsabilité, à la préoccupation du bien commun, au dévouement, à la recherche de la justice sociale pour tous.

6. L’Eglise apprécie ce souci éthique, et elle espère qu’il portera ses fruits. Certes, en tout pays du monde, elle tient à ce que sa fin religieuse, ses méthodes, sa doctrine - qui est un message de vie spirituelle avant entraîner comme conséquence une dignité morale -, ne soient pas confondues avec celles de l’Etat. Elle demeure toujours libre dans son jugement sur les réalités morales. Elle invite à un dépassement dans la justice et la charité qui tienne compte de tous les éléments personnels et communautaires, et qui surmonte les risques toujours renaissants de l’installation égoïste ou de l’abus du pouvoir.

L’Eglise pense aussi qu’un Etat ne pourrait mener à bien sa noble tache d’éducation du sens civique s’il ne s’appuyait pas suffisamment sur les Corps intermédiaires, sur les communautés naturelles plus restreintes et sur les diverses instances qui ont aussi ce rôle éducatif. Je pense notamment aux familles qui doivent être encouragées dans leur stabilité et leur mission, aux écoles qui méritent être bien soutenues dans la mesure où elles intègrent cette formation morale et spirituelle dans l’instruction.

Il reste qu’en soi la formation des consciences à la droiture, au sens de la responsabilité personnelle, à la solidarité avec les autres, est précisément ce que l’Eglise recherche comme projection du message chrétien dans la vie sociale. Aussi est-elle heureuse lorsqu’elle constate des convergences entre son engagement et les efforts des responsables politiques.

7. Mesdames et Messieurs, membres des Corps constitués de ce pays, je ne veux pas oublier non plus tout ce qui vous tient à coeur en matière de politique extérieure. Vous désirez que le Cameroun prenne toute sa place dans le concert des nations, non seulement pour y faire valoir ses droits, mais pour apporter sa contribution aux efforts de la communauté internationale afin de faire progresser la paix, la justice, le développement. Et, en même temps qu’à vous, je m’adresse maintenant aux membres du Corps Diplomatique accrédité auprès de ce Gouvernement et aux représentants des organisations internationales résidant au Cameroun.

Vous connaissez la participation que le Saint-Siège apporte volontiers à la vie de la communauté des nations, soit dans les contacts diplomatiques que lui permet son statut, soit dans les réunions internationales auxquelles il est invité. Au début de chaque année, j’ai moi-même l’occasion d’exposer à l’ensemble des Ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège les principes qui guident notre action, concernant la recherche inlassable de la paix par le dialogue, la nécessité d’une désescalade dans l’armement, la sauvegarde des droits humains fondamentaux et des libertés fondamentales, la consolidation des instruments juridiques qui assureraient plus de justice, la nécessaire solidarité, notamment entre le Nord et le Sud, une efficace prise en considération des besoins primordiaux de subsistance alimentaire et d’hygiène, et en général le souci humanitaire de tous “ceux qui sont laissés pour compte le long du chemin de l’histoire” (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Exc.mos Viros nationum apud Sanctam Sedem constitutos Legatos, 4, die 15 ian. 1983: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VI, 1 (1983) 125).

Aujourd’hui, sans reprendre ces points-là à l’échelle mondiale, je voudrais envisager avec vous le bien commun du continent africain, où se déroule votre mission. Il me semble que ce bien passe notamment par le respect de l’identité de l’Afrique et de sa dignité, par la contribution à son développement économique, par l’encouragement de son progrès moral. Et telle est la question posée à notre conscience: que faisons-nous, que pouvons-nous faire pour favoriser sincèrement le bien de tous nos frères et soeurs d’Afrique?



8. La dignité suppose d’abord une véritable indépendance nationale (Cfr. Eiusdem Allocutio ad Exc.mos Viros nationum apud Sanctam Sedem constitutos Legatos, 2, die 14 ian. 1984: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 71). C’est le cas désormais de presque tous les pays du continent africain; et l’on espère que ceux qui ne sont pas encore indépendants - je pense notamment à la Namibie - le deviendront sans tarder, de façon honorable et pacifique, comme toutes les autres nations africaines. L’étape de l’indépendance, heureusement accomplie au cours de ces vingt-cinq dernières années, doit permettre d’épanouir les effets escomptés et déjà obtenus. Qui nierait qu’il s’agit là d’un enjeu capital pour la pleine responsabilité des nations intéressées, pour un développement cohérent avec leurs propres valeurs humaines, morales et spirituelles, et pour un renforcement de la compréhension et de la solidarité entre les pays d’Afrique? Et pourtant l’indépendance ne résout pas par elle-même les graves problèmes de l’évolution d’un pays. Beaucoup craignent encore, de l’extérieur, une forme de dépendance plus subtile, économique ou culturelle, où ils subissent certaines influences idéologiques qu’ils ont laissé pénétrer dans leur civilisation.

Au delà de ces voeux de pleine liberté pour la conduite de leurs affaires intérieures, les pays d’Afrique souhaiteraient sans doute que ceux des autres continents prennent mieux en compte, au niveau international, leurs propositions et leurs décisions qui, en général, portent le sceau de la modération et ne font pas appel à la violence.

Enfin, ce à quoi voudraient arriver ces jeunes nations indépendantes, ce serait maintenant l’autosuffisance.



9. L’autosuffisance économique ne peut signifier la fermeture du pays sur lui-même, qui ne serait ni possible, ni souhaitable. Mais il est normal que chaque pays en Afrique prenne en main son propre développement, et soit encouragé à le faire, en utilisant toutes les ressources naturelles dont il dispose, et en assurant l’essor de productions adaptées à ses besoins. Il est souhaitable aussi que se développe, là où elle existe déjà, une solidarité avec les pays africains qui sont de la même aire géographique, et qu’elle s’établisse là où elle n’existe pas encore. Ces relations naturelles de voisinage ont déjà donné d’heureux résultats.

Je salue également les efforts de l’Organisation de l’Unité Africaine: comment ne pas désirer que progresse cette unité, comme en d’autres organisations continentales, afin d’assurer une marche cohérente vers la solution équitable des divers problèmes politiques et sociaux de l’Afrique?

Il est nécessaire enfin que la communauté internationale continue à apporter son aide et même l’augmente vu l’état d’urgence dans plusieurs pays africains sur le plan de la faim, de la santé ou des investissements. On peut espérer que les problèmes de sécurité Est-Ouest ne polariseront pas trop l’attention et l’emploi des ressources dans les pays dits du Nord: puisent-ils se soucier bien davantage des disparités croissantes avec les pays dits du Sud, et comprendre que l’interdépendance est pour eux aussi une question de survie! Mais le point où les pays du tiers-monde restent à bon droit sensibles est le cadre dans lequel s’inscrit cette entraide: ils n’acceptent pas qu’elle couvre une détérioration des termes de l’échange, ou certaines injustices dans le commerce ou les investissements. Ils veulent qu’on les aide loyalement à sortir de la question inextricable des emprunts et des endettements trop lourds dans lesquels ils ont été amenés à s’engager au prix de grands risques.

Ceux qui recherchent le bien de l’Afrique, qu’ils soient du Nord ou du Sud, sauront reconsidérer ces problèmes avec équité et ouvrir la voie à des solutions réalistes et justes, susceptibles de sauvegarder la dignité des pays qui ont le droit de progresser dans le développement.

10. Si un tel progrès n’est authentique que dans la justice, il n’est possible que dans la paix. L’Afrique a besoin de la paix. Elle ne peut supporter des guerres ni même des guérillas ruineuses en vies humaines et en destructions, qui nécessitent par ailleurs des dépenses militaires accrues et qui exacerbent les passions, changeant les frères en ennemis. Qui pourrait prendre son parti des guerres fratricides, et même en certains cas des génocides?

Devant les conflits qui demeurent ou renaissent, tout le monde doit se poser honnêtement la question de leurs causes. Les injustices commises par certains régimes, concernant les droits de l’homme en général ou les revendications légitimes d’une partie de la population qui se voit refuser la participation aux responsabilités communes, déclenchent des soulèvements d’une violence regrettable, mais qui ne pourront être apaisés qu’avec le rétablissement de la justice. Il est vrai aussi que certaines ingérences extérieures attisent des guérillas dans le seul but de déstabiliser (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Exc.mos Viros nationum apud Sanctam Sedem constitutos Legatos, 4, die 14 ian. 1984: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 75). Il est certain, enfin, que les ventes d’armes réalisées en vue du seul profit encouragent les belligérants.

Qui aime l’Afrique évitera au moins de souffler sur ces brasiers de violence, ou plutôt il mettra tout en oeuvre pour amener les parties à la sagesse de la paix qui correspond au désir profond de nombre d’Africains suffisamment éprouvés par ailleurs.



11. Parmi les épreuves tout le monde pense au terrible fléau de la sécheresse qui atteint tant de pays, dans la zone du Sahel et bien ailleurs. La famine qui en résulte semble émouvoir enfin le monde entier, mais - au delà des secours d’urgence dont dépend la vie de millions de nos frères et soeurs - chacun sait qu’il faut préparer dès maintenant un avenir plus assuré. Dieu a mis suffisamment de ressources d’imagination dans notre esprit, d’amour dans nos coeurs et de vigueur dans nos bras, avec les moyens techniques qu’il nous a permis de mettre en oeuvre, pour que nous sortions d’une mentalité de fatalisme. Le sens des responsabilités de la part des intéressés, la solidarité généreuse de leurs frères ouvrent la porte de l’espoir. La FAO et bien d’autres organismes prennent à coeur ce défi. Le Siège Apostolique y contribue par ses initiatives, selon ses moyens; j’en reparlerai sous peu à Nairobi. Mais qu’aucun des nous ne se détourne de la détresse qui atteint les victimes de la famine à coté de nous!



12. La triste situation des réfugiés n’est malheureusement pas réservée à l’Afrique. Notre planète compte des dizaines de millions de réfugiés, mais ceux de l’Afrique sont devenus particulièrement nombreux et ils se sont probablement accrus du double au cours des cinq dernières années. Ici, nous devons rendre encore hommage aux instances internationales, comme le Haut Commissariat pour les réfugiés, qui suivent ces problèmes avec un profond sens humanitaire et contribuent grandement à la prise en charge des camps de réfugiés. Nous savons aussi tout ce que ce pays du Cameroun a fait pour octroyer l’asile aux réfugiés venus de Guinée Equatoriale et surtout du Tchad, et pour participer à leur intégration. Il faudra là encore remédier aux causes de ces déplacements forcés. Ce ne sont pas seulement la faim ou les conditions précaires de vie, mais la peur, la guerre, l’injustice qui incitent à fuir. Même si on arrive à soutenir la vie matérielle d’une partie des réfugiés, l’état de prostration morale où ils se trouvent, déracinés de leur patrie et sans travail, demeure inhumain. Il est souhaitable qu’ils soient intégrés le mieux possible à la vie économique et sociale du pays d’accueil, mais la solution la meilleure est le rapatriement volontaire avec des garanties de sécurité dans leur pays d’origine. J’attire également l’attention sur les innombrables immigrés, dont le sort est souvent aussi précaire que celui des réfugiés.

13. Il est d’autres fléaux que chaque pays, parvenu à l’indépendance, doit s’efforcer d’éliminer. Ils existent ailleurs qu’en Afrique avec autant ou plus de gravité. Certains pays peuvent être félicités d’y avoir mis fin. Mais ils méritent qu’on y insiste une fois encore, car trop d’innocents en sont victimes et on se sent impuissant à les secourir. Je voudrais leur prêter ma voix. Je veux parler des atteintes aux droits de l’homme, que l’on proclame si fortement par ailleurs. Comment ne pas penser aux emprisonnements arbitraires, aux condamnations, voire aux exécutions sans véritable procès, aux détentions pour délits d’opinion dans des conditions inhumaines, aux tortures, aux disparitions. On évoque la sécurité; personne ne niera l’opportunité de mesures de sécurité devant les menaces qui risquent d’ébranler même les régimes démocratiques; mais on l’invoque souvent au delà de la nécessité, sans les garanties de justice, et comme si une divergence de vue politique était déjà un délit.

Une autre injustice criante en certaines régions d’Afrique est celle de la discrimination raciale qui, à juste titre, soulève l’indignation du monde et de l’Eglise. Il est déplorable de voir que se prolonge encore un système d’apartheid qui, au moyen d’une dure répression, continue à faire trop de victimes, foulant aux pieds un droit humain élémentaire!

Enfin, parmi les droits fondamentaux de la personne, je sens le besoin de citer encore une fois la liberté religieuse, car je connais trop de situations où les chrétiens sont brimés dans l’exercice de leur culte et dans l’obtention des moyens nécessaires à leur formation dans la foi. En certaines régions d’Afrique, l’Eglise souffre, par exemple, de voir ses missionnaires expulsés ou non accueillis, alors qu’ils viennent pour consacrer leur ministère au service de l’Eglise locale, qui demande leur aide, et des populations qui en bénéficient; elle souffre de constater certaines formes de discrimination ou de suspicion dont sont victimes ses fidèles; elle souffre de voir porter atteinte à la vie et à la liberté personnelle de prêtres, de religieux et de religieuses qui témoignent uniquement de l’amour et de la paix.

Toutes ces situations déplorables sont le fruit de l’esprit de violence ou d’orgueil d’une très petite minorité; plus souvent, elles traduisent la peur et le manque de maturité. Elles déshonorent ceux qui les instaurent. Les Etats fiers être souverains doivent se montrer dignes de leur responsabilité, et comprendre qu’ils ont des devoirs envers leurs peuples et chacun de leurs citoyens (Cfr. Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Exc.mos Viros nationum apud Sanctam Sedem constitutos Legatos, 4, die 14 ian. 1984: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 73 ss).



14. En réalité, celui qui aime l’Afrique décèle, au delà de ces misères universellement attachées à la faiblesse de l’homme, un certain nombre de valeurs humaines, morales et spirituelles qui ne demandent qu’à s’épanouir, et que le christianisme, pour sa part, voudrait encourager et ennoblir grâce à la paix et à la charité qui viennent du Christ. L’Afrique peut offrir au monde, entre autres, l’exemple de l’hospitalité généreuse et jamais lasse, l’exemple de la solidarité qui joue si fortement entre les membres d’une famille ou d’une même tribu au point que personne ne restera sans prise en charge, l’exemple d’un sens religieux spontané qui rend familier de l’invisible. Ce sont là des valeurs dont le monde moderne aurait grand besoin pour éviter les contradictions et les pièges d’un humanisme privé de ses dimensions religieuses fondamentales et pour réaliser une convivialité heureuse à tous les échelons de la société.

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs, veuillez discerner dans mes propos le grand désir de voir ce continent africain toujours mieux aimé, respecté, promu, accueilli sur la scène internationale. Votre honneur de responsables politiques et de diplomates est de contribuer au bonheur des peuples, du votre et de tous ceux de la communauté humaine qui ne peuvent vivre que solidaires. Dans cette noble fonction, que le Très Haut vous inspire et vous donne sa paix!



SALUT DU PAPE JEAN-PAUL II AUX JEUNES DE DOUALA ET DU CAMEROUN

Douala (Cameroun) Mardi, 13 août 1985



Chers amis, Jeunes de Douala et du Cameroun tout entier,

1. Au cours de la messe, nous avons beaucoup parlé de l'éducation catholique. Nous souhaitons que chacun de vous en bénéficie. Nous avons évoqué tous ceux qui peuvent vous aider à réaliser votre projet de vie, votre vocation. Et d’abord vos parents à qui vous devez la vie; il vous ont donné aussi les soins qui vous ont permis d’épanouir cette vie comme Tobie, et une éducation dont vous resterez à jamais marqués, parce qu’elle est inscrite dans l’affection paternelle, dans la tendresse maternelle. Nous avons fait appel aux responsables de l’école, à vos enseignants, aux paroisses, aux mouvements, à tous ceux qui peuvent vous apporter une orientation, une entraide, une amitié, une expérience de vie.

2. Mais c’est à vous qu’il revient, en grandissant, de prendre en main votre éducation; de puiser dans votre héritage familial, culturel, dans votre formation catéchétique, dans vos études, dans la fréquentation de vos aînés et de vos amis, les convictions qui vous permettront de mener une vie de jeune, d’homme et de femme, digne du projet de Dieu sur chacun de vous.

Car chacun a une place dans la pensée de Dieu, dans la famille de Dieu. Nul n’est en trop, même si, hélas, il ne trouve pas encore de place dans l’organisation du travail. Ceux qui sont chrétiens savent que Jésus les regarde avec amour comme un certain jeune homme de l’Evangile. Il compte sur votre réponse.

Il vous invite d’abord à être loyaux envers les commandements inscrits dans votre conscience: honnêtes, francs et courageux, purs, respectueux des autres, de vos parents, des anciens, des autres jeunes, filles et garçons. Il vous met en garde contre les pièges de ceux qui vous promettent un avenir sans peine, une jouissance sans responsabilité, un succès sans travail, un profit sans partage. Quand certains préfèrent fuir dans l’égoïsme, la passivité, peut-être même dans la débauche, le brigandage, la drogue ou la violence, vous voyez que c’est un malheur, que c’est indigne de l’homme!

3. Mais le Christ - et l’Eglise avec Lui - sait bien que vous êtes généreux. Vous voulez que votre vie serve à quelque chose, à quelqu’un, vous estime capables d’aimer vraiment. Ouvrez les yeux sur ceux qui peut-être sont encore plus défavorisés que vous. Soyez solidaires. Développez votre intelligence et, en même temps, élargissez votre coeur. Le Christ vous invite à faire de votre vie un don, qui soit pour les autres un soutien, qui les réconforte et les épanouisse. Certains envisagent ce don dans l’Eglise pour servir comme prêtre, comme diacre, comme catéchiste; et, chers amis, vous savez combien la moisson spirituelle est grande et urgente. D’autres l’envisagent comme un engagement dans la famille, la société. La société a en effet besoin de vous, pour que cette cité de Douala, pour que vos villes et vos villages, pour que le Cameroun tout entier connaissent plus de prospérité partagée, plus de justice, plus de fraternité.

4. Yes, here you have ample room for action. Stretch out your hands to your friends, to bring them your support. In this way an immense possibility for action lies open to all the young people of the world. International Youth Year is meant to be a special time for this awareness. Young people often feel weak and deprived of means; sometimes they have doubts about themselves, about other people, even about God. Most of them want peace. “Peace and Youth Go Forward Together”, as I wrote in my Message for the World Day of Peace. Young people want fraternal solidarity without restrictions of race or frontiers. They want to unite in order to overcome hunger in the world. They want a world in which there will be respect for man and for his freedom and his conscience. They want a world of truth, without hypocrisy.

My dear friends: do you too want such a world? Do you really want it? Then you must pay the price: the price of generous, rigorous and methodical efforts to reach the truth, to build a civilisation of love, beginning with your own lives. The renewal of the world requires a struggle. Not a struggle against man, but a fight against the evil that is present in us and in the world. It calls for sacrifice.

5. Les chrétiens qui ont mis leurs pas dans ceux de Jésus le savent bien. La croix est sur le chemin et, avec la croix, la conversion, le pardon. Mais aussi la résurrection. Jésus a ouvert les voies d’une Vie nouvelle, d’une fraternité: elles ne seront plus jamais obstruées. Il a ouvert les portes d’un monde d’enfants de Dieu. Elles ne seront plus jamais fermées.

Je vous le dis, amis, ne craignez pas ce monde-là! Faites confiance au Christ, l’Ami de votre jeunesse, restez ses familiers dans la prière. Oui, prenez le temps de prier, de méditer ensemble la Bible, de participer à l’Eucharistie dominicale. Approfondissez votre foi, à la mesure de votre culture, convaincus qu’il n’y a pas d’opposition entre la foi et la science. Ne vous laissez pas séduire par n’importe quelle doctrine intellectuelle. Faites confiance à l’Eglise: malgré ses imperfections, elle vous transmet le Message du Christ et ses sacrements de façon certaine. Comme dit un proverbe de chez vous: “Ne repousse pas la pirogue qui t’a ramené sur l’autre rivage”. L’Eglise n’est pas une secte née d’hier, elle est le grand courant de Vie qui vient du Christ par les Apôtres. Et j’ose dire: ne vous contentez pas de recevoir. Ne restez pas au bord du chemin. Vous êtes l’Eglise. Construisez-la dans votre milieu avec vos prêtres, vos aumôniers, vos professeurs chrétiens, vos mouvements catholiques. Soyez à votre tour des apôtres pour ce monde nouveau.

Un jour, saint Pierre, comme Jésus, a dit à un boiteux de Jérusalem: “Lève-toi, et marche!”. Le successeur de Pierre est venu vous dire à chacun aujourd’hui: “Lève-toi, et marche!”. Que le Seigneur, par son Esprit, soit ta joie, ton amour, ta force! Qu’il te bénisse! Qu’il vous bénisse tous, jeunes gens et jeunes filles, enfants de Douala et de tout le Cameroun!





Discours 1985 - Cathédrale de Yaoundé (Cameroun) Samedi, 10 août 1985