Discours 1985 - Jeudi, 26 septembre 1985


AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE SUR LA PERSONNALITÉ D'ADRIENNE VON SPEYR

Samedi, 28 septembre 1985



Messieurs les Cardinaux, Monsieur le Professeur, Mes Révérends Pères,

Je suis heureux de vous accueillir au terme de votre Colloque sur la personnalité d’Adrienne von Speyr, cette femme-médecin d’origine suisse qui a cherché la vérité catholique avec tant d’ardeur, jusqu’à sa conversion en 1940.



1. Un regard sur le programme de votre rencontre m’a permis de voir que chacun de vous a apporté une contribution qualifiée au délicat travail d’approfondissement et de discernement de l’expérience spirituelle et des écrits d’Adrienne von Speyr. Dans le cadre de cette audience amicale, je sais que vous n’attendez pas de ma part un jugement qui ferait autorité. Pourtant, je me réjouis de votre labeur. Vous avez cherché ensemble à mieux cerner l’action mystérieuse et impressionnante du Seigneur dans une existence humaine assoiffée de Lui. Ce disant, sans doute parce que Adrienne von Speyr est Suisse, je songe à la merveilleuse histoire de la mystique rhénoflamande du XIII et surtout du XIV siècle. C’est vous qui pouvez dire si ces sommets de la théologie mystique ont été fréquentés par cette fervente convertie. Je me réjouis en fin, parce que l’Eglise a toujours besoin de proposer en exemple des laïcs à la fois très enracinés dans leur vocation socio-professionnelle et immergés en Dieu. N’est-ce pas Eckhart qui enseigne à ses disciples: “Tout ce que Dieu te demande de la façon la plus pressante, c’est de sortir de toi-même... et de laisser Dieu être Dieu en toi”? (Cfr. ECKHART, Traités et Sermons)On pourrait penser qu’en se séparant des créatures, le mystique délaisse ses frères les hommes. Le même Eckhart affirme que, bien au contraire, il leur est merveilleusement présent, au seul niveau où il puisse les atteindre vraiment, c’est-à-dire en Dieu.



2. Je forme également des voeux pour les membres de la Communauté Saint-Jean, issue d’une inspiration profonde d’Adrienne. Elle avait une prédilection pour “le disciple que Jésus aimait”, et le voyait comme le dernier et le plus profond interprète du mystère de Jésus, de l’amour du Père pour le monde, du rôle de l’Esprit Saint comme introducteur parfait dans la pleine lumière de la révélation du Père et du Fils. Adrienne a aussi très vivement pénétré la profonde communion de foi et de coeur entre la Mère de Jésus et le seul Apôtre demeuré avec elle au pied de la Croix. Elle y voyait comme l’origine virginale de l’Eglise, de cette Eglise qui devait être confiée à Pierre. Que cette spiritualité, intensément vécue par Adrienne von Speyr, vous aide à toujours mieux incarner votre souci de vie évangélique et ecclésiale dans les réalités du monde contemporain!



3. Vous me permettrez de saluer tout spécialement Monsieur le Professeur Hans Urs von Balthasar. Je lui présente mes félicitations et mes voeux pour son 80ème anniversaire, et je le remercie encore pour son immense travail théologique, comme je l’avais fait l’an passé en lui remettant le prix de l’Institut Paul VI.

Et j’invoque de tout coeur sur les organisateurs du Colloque et sur tous ses participants l’abondance des grâces divines.



                                 Octobre 1985


AU SYMPOSIUM OECUMÉNIQUE EUROPÉEN

Samedi, 12 octobre 1985



Chers Frères et Soeurs,

1. Ma joie est grande de vous voir ici réunis ce soir, Slaves ou amis de Slaves de tant de Pays européens, des Etats-Unis et du Canada, à la veille de notre grande célébration liturgique en l’honneur des apôtres slaves Cyrille et Méthode, en cette année du XIème centenaire de la mort de saint Méthode et de l’oeuvre d’évangélisation des deux saints.

Je salue parmi vous les représentants des Conférences épiscopales d’Europe qui viennent de tenir eux-mêmes leur Symposium sur l’évangélisation dans le contexte actuel des pays européens. Je suis heureux de saluer à côté d’eux les Représentants des autres confessions chrétiennes qui, dans un bel esprit oecuménique, ont bien voulu s’associer à l’évocation de nos racines communes. Je remercie le Comité romain pour les célébrations des saints Cyrille et Méthode, avec son Président, le Cardinal Wladyslaw Rubin, malheureusement absent pour raison de santé, son Vice-Président, le Cardinal Jozef Tomko, et aussi ceux qui ont assuré le secrétariat: Monseigneur Hrusovsky, dans la première phase, et Monseigneur Jezernik, dans la phase actuelle. Je salue les participants au Congrès, j’accueille les artistes et tous les pèlerins venus fêter nos deux grands saints, co-patrons de l’Europe.



2. Cette célébration du XIème centenaire de la mort de saint Méthode nous tenait très à coeur, à moi-même, fils de la Pologne, et à vous tous, chers amis. Elle constitue un événement significatif et stimulant pour les peuples slaves, mais aussi pour l’ensemble de l’Europe, et pour toute l’Eglise. C’est pourquoi nous avons voulu la marquer cette année par une série de manifestations importantes.

Dès le 14 février, date actuelle de la fête des deux frères de Salonique coïncidant avec la naissance au ciel de saint Cyrille, je suis allé inaugurer les fêtes jubilaires par une concélébration liturgique dans la basilique Saint-Clément où sont déposés les restes de saint Cyrille.

A la date du 2 juin, j’ai signé la lettre encyclique “Slavorum Apostoli” où j’ai voulu retracer le charisme et l’oeuvre admirables des deux grands évangélisateurs, convaincu que toute l’Eglise, et spécialement ceux qui contribuent à l’évangélisation aujourd’hui, peuvent tirer grand profit de l’exemple de leur vie, de leur sens ecclésial, et de leur méthode d’apostolat.

Au début de juillet, j’ai envoyé le Cardinal Casaroli, Secrétaire d’Etat, présider en mon nom deux grandes célébrations en deux pays de l’ancienne Grande-Moravie qui ont spécialement bénéficié de l’apostolat de nos deux saints: à Djakovo, en Yougoslavie, puis à Velehrad, en Tchécoslovaquie. J’ai été ému de la ferveur avec laquelle les populations locales ont participé à ces deux célébrations.

Je sais qu’en maints endroits et en maints pays, les Eglises ont pris l’initiative de semblables célébrations, convaincues de tout ce que doivent aux fondateurs et à leurs disciples, non seulement ces Eglises mais aussi les nations et les sociétés actuelles du monde slave.

Et voilà que, cette semaine, plusieurs manifestations viennent couronner cette année. Je veux parler de l’exposition sur Cyrille et Méthode qui, à la Bibliothèque Vaticane, présente plus de 120 documents de la culture slave.

En même temps, vient de se dérouler, à l’Université Urbanienne, par les soins du Comité romain et de l’Institut pontifical oriental, un congrès qui a permis à nombre de rapporteurs éminents d’exposer l’oeuvre des deux grands évangélisateurs et son rayonnement.

Aujourd’hui, je reçois avec joie les nombreux participants au pèlerinage romain, venus des divers pays slaves, ainsi que leurs amis. Je les saluerai dans leurs langues.

Et demain, nous aurons ensemble la grande célébration eucharistique que j’ai évoquée.

3. Je m’adresse plus spécialement maintenant aux congressistes.

Chers amis, votre congrès international, réalisé pour le onzième centenaire de la mort de saint Méthode, sur le thème: “Le christianisme chez les Slaves”, a trouvé comme naturellement son siège à Rome. En effet, même si Méthode a rejoint le Seigneur dans l’éternité à Velehrad en Moravie, c’est à Rome que repose Constantin-Cyrille, son frère et compagnon inséparable dans la mission que Méthode a accomplie chez les Slaves et dans l’honneur qu’on lui rend aujourd’hui: “Mon frère, nous avons partagé le même sort, conduisant la charrue dans le même sillon”, disait saint Cyrille sur son lit de mort (Vita Methodii, VII, 2). C’est ici, à Rome, que, dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, mon prédécesseur, le Pape Hadrien II, déposa sur l’autel les Livres saints traduits par eux en langue paléoslave, approuvant par ce geste les traductions et la liturgie dans cette langue. Ici, à Rome, les premiers ecclésiastiques slaves reçurent l’ordination et chantèrent leur première messe en slave. Ici encore, Méthode fut consacré évêque, avec le titre du siège de Sirmium, et fut mis à la tête du premier diocèse pour les nations slaves de la Pannonie et de la Grande-Moravie, avec l’autorité très étendue de Délégué du Saint-Siège pour tous les Slaves.

Votre Congrès – avec son dense réseau de rapports scientifiques, de communications et les autres activités parallèles, comme l’exposition de codex, d’incunables et de livres rares slaves – est, pour la première fois dans l’histoire, une manière d’illustrer concrètement et de faire briller les figures des deux saints apôtres des slaves avec leur richesse multiforme. Vous représentez toutes les nations slaves, et aussi les autres qui s’associent à elles dans la vénération et l’estime des deux saints et dans l’amour réciproque de leurs héritiers. Oui, votre présence est une vive image de la grandeur et de l’étendue de l’héritage spirituel de Cyrille et Méthode, qui est indissolublement religieux et culturel.



4. Une telle initiative n’a pas seulement un intérêt historique et scientifique; elle permet d’éclairer la route que doivent emprunter les évangélisateurs d’aujourd’hui. Ce sens de l’apostolat des saints Cyrille et Méthode importe grandement pour nous, comme je le disais dans l’encyclique que je leur ai consacrée. Il nous est bon d’admirer le courage missionnaire de ces pionniers qui ont quitté leur patrie et la civilisation brillante de Byzance pour porter l’Evangile dans un autre univers culturel, au prix d’un grand détachement, de nombreuses fatigues et de dures incompréhensions et persécutions. Ils n’avaient en vue que le bien des peuples slaves, dont ils respectaient l’égale dignité de frères en Jésus Christ, qu’ils aimaient, sans aucun esprit de discrimination, qu’ils tenaient à aider dans la défense de leur propre identité, et qu’ils voulaient faire bénéficier du salut apporté par le Christ. L’approche évangélisatrice comportait un profond respect des personnes, de leurs traditions, de leurs valeurs humaines, de leurs aspirations, avec un esprit de dialogue qui excluait l’imposition par la force. C’est grâce à cet amour, à ce zèle, à ce réalisme, qu’ils ont assimilé la culture de leurs amis, pénétré leur mentalité, traduit dans leur langue le message chrétien, et inventé l’écriture correspondante. Ce qui est mon moins admirable, dans cette oeuvre d’adaptation et d’inculturation, c’est le soin mis à respecter l’orthodoxie du message, pour que la foi et les moeurs des convertis soient cohérentes avec l’unique dépôt de la Tradition. Ils avaient un sens aigu de l’unité spirituelle commune à l’Eglise romaine, à l’Eglise de Constantinople et aux Eglises slaves. Ils savaient à quel point cette unité dans la fidélité, la paix et l’amour étaient indispensables à l’Eglise. Avec eux, nous apprécions mieux les racines chrétiennes de l’Europe. Avec eux, nous comprenons mieux comment l’Eglise doit se présenter et exercer sa mission dans le monde d’aujourd’hui, en Europe et dans les jeunes Eglises de mission.

5. en anglais …

6. …







AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS MONDIAL DE LA PASTORALE DE L’ÉMIGRATION

Jeudi, 17 octobre 1985


Monsieur le Cardinal, chers Frères et Soeurs,



1. Le Pape se doit d’accueillir au mieux, dans sa maison, ceux qui se préoccupent si bien de l’accueil des étrangers, des migrants! Votre Congrès mondial de la pastorale de l’émigration veut approfondir, au cours de ces journées studieuses, non seulement les problèmes de l’accueil, mais de l’intégration des migrants. Je souhaite que vos échanges fraternels, vos analyses lucides des situations, vos réflexions évangéliques, vos orientations théoriques et pratiques constituent un stimulant efficace pour tous ceux qui, prêtres, religieux et laïcs, contribuent à cette intégration dans l’Eglise et dans la société. Vous le savez, de par ma charge, je suis très soucieux de faire en sorte que chacun se situe à part entière dans l’unité de l’Eglise respectueuse de la diversité. Je suis donc heureux de vous exprimer mes encouragements et d’évoquer quelques aspects qui pourront apporter une lumière supplémentaire à la complexité de vos travaux.

2. Vous avez voulu développer l’idée que l’intégration ecclésiale des immigrés est l’exercice d’un droit essentiel qui touche à la liberté et à l’épanouissement de la personne. Je le disais moi-même dans l’encyclique “Laborem Exercens”: “L’homme a le droit de quitter son pays d’origine pour divers motifs - comme aussi d’y retourner - et de chercher de meilleures conditions de vie dans un autre pays” (IOANNIS PAULI PP. II, Laborem exercens LE 23). Cette expérience ne peut être positive que si l’émigré - pour cause de travail - bénéficie d’une intégration économique, sociale, ecclésiale, qui lui permette de dignes conditions de vie et de progrès, tout en respectant sa personnalité, ses racines. Tout le problème est donc de savoir comment va pouvoir s’exercer ce “droit”.



3. Mais avant de poursuivre, j’attire votre attention sur les autres aspects de la question, afin que tout soit considéré de façon juste, équilibrée, réaliste.

En soi, une telle émigration constitue souvent un drame; elle est une épreuve, on pourrait même dire, sous certains aspects, un mal, un mal nécessaire. C’est vrai pour la personne qui émigre, pour sa famille, qui va généralement traverser une phase difficile, avec tous les risques du déracinement; c’est vrai pour son propre pays privé d’un sujet qui enrichissait sa vie, sa culture, son essor. En soi, on serait tenté de souhaiter que les migrants puissent retourner librement dans leur patrie.

A plus forte raison, s’il s’agit de réfugiés qui ont dû subir le déplacement pour fuir la peur, la guerre, l’injustice, l’oppression idéologique, la solution la meilleure - comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire - est, au-delà des efforts louables et nécessaires d’intégration, le rapatriement volontaire avec des garanties de sécurité (cf. IOANNIS PAULI PP. II, Allocutio in urbe “Yaoundé” habita, 12, die12 aug. 1985: vide supra, pp. PP 344 s.; cfr. etiam EIUSDEM Allocutio ad Exc. mos Viros nationum Legatos apud Sedem Apostolicam habita, 6, die 15 ian. 1983: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VI, 1 [1983] 126 s.).

On ne peut donc pas, a priori, considérer toute émigration comme un fait positif, à rechercher ou à promouvoir.

Une autre remarque générale est que, en ce domaine comme en d’autres, on ne peut parler de “droit”, pour le migrant comme pour le pays d’accueil, sans parler de “devoirs”, de devoirs réciproques. Et si le pays d’accueil doit comprendre son devoir d’aider les migrants à vivre - surtout lorsqu’il s’agit de leur accorder le droit d’asile qui est un droit strict -, il peut faire appel à la solidarité des autres pays, pour ne pas être le seul à supporter des charges qui dépasseraient ses forces et mettraient en péril le bien commun de ses ressortissants qui est son premier devoir.

Mais ces considérations étant posées afin de tenir un discours responsable, il reste que l’émigration, surtout pour raison de travail, est un phénomène de plus en plus répandu dans nos sociétés modernes; un phénomène appelé sans doute à s’amplifier car la recherche d’un travail ou de meilleures conditions de vie entraîne une nécessaire mobilité. En même temps, on assiste à la permanence de la situation des migrants: la plupart d’entre eux, surtout ceux de la deuxième génération, veulent rester dans le pays où finalement ils ont trouvé une sécurité de vie plus grande que dans leur pays d’origine. Cela implique qu’ils puissent s’y insérer, s’y intégrer au mieux. Et c’était là l’objet de vos travaux.

Plus encore, un bien peut être tiré de cette épreuve de l’émigration: l’avancée vers une société culturellement plus riche dans sa diversité, et, espérons-le, plus ouverte dans ses relations fraternelles. Il semble en effet que, dans les pays techniquement avancés, on aille vers des sociétés pluriethniques, multiculturelles. En ce sens, la migration peut même être une chance de progrès. Mais à quelles conditions?



4. Vous affrontez précisément les difficultés de l’intégration, les obstacles qu’elle rencontre et les tentations qui apparaissent de part et d’autre.

Car s’il faut éviter que les migrants vivent totalement à côté des autres, formant un monde à part, ils n’ont pas non plus à se laisser “assimiler”, absorber, au point de se diluer dans la société environnante, de renoncer à leurs richesses originelles, à leur identité. Il faut tout faire pour qu’ils participent, avec leur propre héritage, au bien commun culturel, spirituel, humain de l’ensemble national auquel ils s’agrègent. Cela suppose ouverture, respect mutuel, dialogue, échange, participation de tous les partenaires.

Ceux qui les accueillent doivent être très attentifs, non seulement aux besoins, mais à la personnalité des migrants; ils doivent comprendre les exigences du partage et du respect, en bannissant tout esprit de suffisance, d’orgueil, d’égoïsme, en se rappelant que les biens ont une destination universelle, que tous les travailleurs et leurs familles ont droit aux mêmes garanties des lois. Cet esprit d’équité est d’autant plus nécessaire que le rejet de l’étranger est une tentation forte lorsque le pays industrialisé connaît une crise économique importante, entraînant le chômage, surtout si une idéologie raciste cherche à légitimer ce mouvement instinctif de protection.

Ceux qui arrivent ont, de leur côté, à surmonter d’innombrables handicaps, dont souvent celui de la langue et du décalage culturel, de la précarité des conditions de vie, des mesures administratives. Ils ne doivent pas pour autant céder à la tentation du repli sur soi, de la vie en “ghetto”, dans un complexe d’isolement ou d’infériorité. Ils doivent en même temps témoigner, de façon pacifique, de la fidélité à leurs racines, et notamment de la fidélité à leur foi.

5. En tout cela, l’Eglise a un rôle éducatif capital à exercer auprès du peuple, des responsables et des instances de la société, pour éclairer l’opinion publique et stimuler les consciences. Mais elle doit elle-même témoigner de la qualité de l’intégration qu’elle pratique en son sein. N’est-elle pas le “sacrement de l’unité”, accueillant dans l’unité la diversité catholique, témoignant de la réconciliation que le Christ a obtenue par sa croix? Les communautés chrétiennes devraient vivre, mieux que d’autres groupes sociaux, cette dynamique de l’unité fraternelle et du respect des différences. Grâce à l’Esprit Saint, elles doivent travailler à édifier sans cesse un peuple de frères, parlant la langue de l’amour, pour être ferment de la construction de l’unité humaine, de la civilisation de l’amour.

Que les Pasteurs s’y emploient. Qu’ils appellent et éduquent constamment au dialogue, en luttant contre le poids des mentalités et des habitudes contraires à cette loi d’accueil du “frère étranger”. Certes, l’Eglise a prévu des étapes et des relais de cette intégration ecclésiale: paroisses personnelles, aumôneries, missiones cum cura animarum. Ces relais sont souvent nécessaires; il faut cependant qu’ils évitent le risque de se fermer sur eux-mêmes et de nuire aux échanges indispensables. Mais aussi, qu’au nom de l’unité, on ne précipite pas des évolutions légitimes qui peuvent demander du temps: ce serait se priver de patrimoines qui doivent enrichir et féconder une manière commune d’être, l’art de “vivre ensemble”.

6. Quant aux migrants pour lesquels il ne peut être question encore directement d’intégration ecclésiale, que l’Eglise, mère et éducatrice, rappelle à tous le droit qui est le leur de vouloir rester eux-mêmes dans de nouvelles conditions d’existence, tout en étant également solidaires avec les autres, de ne pas être réduits à un simple rôle d’instruments de production, de participer à la vie sociale du pays, et même à certaines instances de la vie politique. Il y a beaucoup à faire pour que les migrants bénéficient d’un statut leur donnant le droit de vivre leur originalité dans la solidarité nationale. C’est plus complexe et plus vrai qu’une simple mesure de “naturalisation”.

7. Sur tous ces points, l’Eglise se fera la voix des sans-voix, le bon samaritain attentif aux situations difficiles, qui ne se contente pas de gestes paternalistes, mais qui aide les migrants à se prendre en charge eux-mêmes. Elle sera l’image et le levain d’une communauté fraternelle.

C’est votre honneur d’y participer à un titre spécial, pour entraîner vos frères et soeurs, les communautés chrétiennes, dans une prise de conscience et dans une action qui répondent à l’insistance de Jésus: “J’étais étranger, et vous m’avez accueilli” (Mt 25,35). Je souhaite que vous ne vous contentiez pas de relever les obstacles ou les choses qu’il faut faire, mais que, humbles et conscients de l’ampleur de la tâche, vous sachiez mettre en lumière les magnifiques efforts qui sont déjà tentés ou réalisés en maints endroits, de manière à les encourager. N’est-ce pas la meilleure manière de stimuler l’intégration désirée?

J’implore sur vous et ceux que vous représentez les grâces de lumière et de force de l’Esprit Saint et, de tout coeur, je vous bénis.



AUX MEMBRES DE LA CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN

Jeudi, 17 octobre 1985




Chers Frères, Membres de la Congrégation pour le Culte Divin,

1. Votre réunion consacre le renouveau de cette Congrégation. En effet, redevenue distincte de celle chargée de la discipline des sacrements depuis le 5 avril 1984, elle vous a invités à tenir sa première Assemblée plénière dans la ligne de l’important colloque d’octobre 1984 qui réunissait les présidents et les secrétaires des commissions nationales de liturgie. Et votre présente session a lieu dans la lumière du XX anniversaire du Concile Vatican II, dont le sommet sera le Synode extraordinaire du mois prochain. De toutes ces rencontres fraternelles qui stimulent un commun travail de renouveau, inspiré par l’Esprit Saint pour le bien de l’Eglise, chers amis, je me réjouis avec vous et je rends grâce à Dieu.

Je n’ai pas l’intention d’ajouter un grand discours à vos propres études sur de nombreux sujets liturgiques. Je voudrais simplement attirer votre attention sur deux points qui se dégagent des comptes rendus de vos travaux et que je confie à votre sollicitude pastorale en même temps qu’à votre prière.



2. Je pense tout d’abord à l’importance capitale d’une solide formation liturgique.

Elle s’impose à tous les niveaux, si nous voulons que les décisions du Concile en cette matière soient fidèlement et intelligemment appliquées dans la pratique quotidienne. La Liturgie! Tout le monde parle, écrit, ou discute à ce sujet. On la commente, on la loue, on la critique. Mais qui en connaît vraiment les principes et les normes d’applications?

La constitution Sacrosanctum Concilium désignait la liturgie comme la “source” et le “sommet” de la vie de l’Eglise (Sacrosanctum Concilium SC 10): que fait-on pour que cette définition sublime passe dans la réalité? Certes, il faut être juste. Je sais combien d’efforts se développent depuis 20 ans dans tous les pays, dans toutes les familles religieuses, pour que le culte du peuple de Dieu soit célébré avec une participation vraiment “pleine, active et communautaire”, selon le voeu du Concile (Ibid. SC 21). Des progrès évidents ont été accomplis sur beaucoup de plans, chez les pasteurs comme chez les fidèles. Mais il faut bien constater que, mêlés à ces progrès, on observe parfois des défauts regrettables, qui doivent être corrigés: par exemple un style trop personnel, des omissions ou des additions illicites, des rites inventés hors des normes établies, des attitudes qui ne favorisent pas le sens du sacré, la beauté et le recueillement. Ces faiblesses, nous les déplorons tous, et elles doivent être reprises, car elles causent un retard et une déviation très dommageables à la vie de prière en Eglise.

Or, la première tâche est d’assurer une formation solide aux pasteurs qui la communiqueront aux fidèles. Et cela à tous les niveaux et par tous les moyens: enseignement dans les collèges, les séminaires et les instituts supérieurs de liturgie, actions diverses des centres nationaux, sessions de pastorale liturgique, groupes d’études, équipes liturgiques, revues liturgiques. Je vous demande donc d’encourager et de promouvoir efficacement tous ces organismes et ces initiatives au service d’une liturgie mieux comprise et mieux appliquée, afin que les normes rédigées ici avec soin portent leur fruit dans l’Eglise entière.



3. Un second point important dans les délibérations de votre session plénière - sur lequel tous les rapports du colloque d’octobre 1984 avaient insisté - est celui de l’adaptation de la liturgie aux différentes cultures.

Il suffit de voyager dans les divers continents pour voir l’urgence du problème et sa nécessité. L’adaptation des langues a été rapide, bien que parfois difficile à réaliser. L’adaptation des rites l’a suivie, plus délicate, mais également nécessaire. En fait, la plupart des pays, surtout hors d’Europe, sont affrontés au difficile problème de l’inculturation. Sur ce plan, il se fait un travail important, mais on doit être attentif à la légitimité des diverses adaptations. Beaucoup sont nécessaires ou simplement utiles. Certaines paraissent cependant inutiles ou dangereuses, surtout si elles portent l’empreinte de croyances païennes ou superstitieuses. C’est dire que l’adaptation nécessaire doit avant tout sauvegarder l’unité substantielle de la liturgie romaine, et donc elle doit être le fruit d’une haute compétence et d’études solides en liturgie, théologie, droit, histoire, sociologie et dans les langues des différentes ethnies. L’adaptation doit tenir compte du fait que, dans la liturgie, surtout dans la liturgie sacramentelle, il y a une partie immuable dont l’Eglise est gardienne, et une partie non immuable qu’elle a le pouvoir - et parfois même le devoir - d’adapter aux cultures des peuples nouvellement évangélisés (Cfr. Sacrosanctum Concilium SC 21). Là encore, cela requiert une sérieuse formation et un travail plus long et plus délicat que le passage d’une langue à l’autre (Cfr. Ibid SC 23 SC 37 SC 38). Les pasteurs et les experts doivent s’y employer assidûment, en union avec les Dicastères romains.

En conclusion, je confie tout cela à votre zèle, à votre prudence et à votre prière. Je connais la compétence de ceux qui travaillent à la Congrégation dont vous êtes les membres, et je sais que vous les aiderez le mieux possible en leur apportant vos conseils et le fruit de votre expérience. Depuis le mois d’octobre de l’an dernier, ce Dicastère, avec ses consulteurs, a beaucoup travaillé, et votre Assemblée plénière elle-même a pu traiter des sujets importants comme l’adaptation de la liturgie dont nous parlions, les assemblées dominicales en l’absence de prêtre, le rôle des femmes dans la liturgie. Vous avez aussi pu porter une attention spéciale à certaines formes de la piété du peuple de Dieu: messes en l’honneur de la Vierge Marie, culte des saints. Pour tout ce travail qui demande un grand soin, soyez remerciés, félicités, encouragés.

Que Dieu vous bénisse, chers Frères, vous qui êtes appelés à le servir dans ce domaine privilégié du culte divin! Que sa grâce inspire votre travail au long de cette nouvelle étape de la réforme liturgique, “pour que votre action trouve sa source en lui et reçoive en lui son achèvement”! («Oratio ad Laudes Matutinas», feria secunda heddomadae I per annum).



AUX PARTICIPANTS AU CHAPITRE GÉNÉRAL DES FRÈRES MARISTES DES ÉCOLES

Samedi, 26 octobre 1985




Chers Frères,

1. En ce jour qui se situe à la période finale de votre Chapitre général, je suis particulièrement heureux de rencontrer les représentants qualifiés au coeur même de la chrétienté pour étudier les questions relatives à leur Institut et mettre définitivement au point leurs constitutions rénovées à la demande du Concile.

Je tiens tout d’abord à saluer le Frère Charles Howard, votre nouveau Supérieur général, et à lui présenter mes voeux pour un fécond apostolat durant le mandat qu’il a accepté en esprit de foi et de service. Je veux également, au nom de l’Eglise, remercier le Frère Basile Rueda qui a oeuvré durant toute cette période postconciliaire au milieu des difficultés, s’efforçant toujours d’aider à leur magnifique vocation de consacrés et d’apôtres.

Vous constituez ici en quelque sorte une réelle représentation du monde puisque vous êtes présents dans plus de soixante-dix pays où vous vous dévouez selon la volonté du bienheureux Marcelin Champagnat à l’éducation de la jeunesse, surtout dans les écoles, ainsi qu’à la formation des catéchistes.

2. Depuis le Concile, vous avez voulu approfondir et revivifier votre vocation de religieux laïcs dans l’Eglise en vous inspirant toujours davantage de la spiritualité de votre bienheureux fondateur. Il me plaît de rappeler ici quelques-uns des éléments de cette spiritualité: un grand amour de Dieu et un engagement total pour l’extension de son Règne. “Aimer Dieu, avait-il coutume de dire, et travailler à le faire aimer, telle doit être la vie du Frère Mariste”.

Cet amour de Dieu était accompagné et soutenu chez lui par une confiance d’enfant envers la Vierge Marie dont il voulut faire la patronne spéciale de son Institut.

Demeurez donc toujours fidèles à ces bases fondamentales de votre vie religieuse et employez-vous constamment à les soutenir par une prière dont vous savez la nécessité absolue: que toute votre vie se transforme en prière pour réaliser l’union entre la contemplation, l’apostolat et la vie communautaire.

3. Fils d’un même Père, possesseurs d’un même héritage, portant le beau nom de Frères, employez-vous à réaliser une vie communautaire animée par la charité du Christ. Qu’on puisse dire de vous comme des premiers chrétiens: “Voyez comme ils s’aiment!”. Cette vie communautaire, élément indissociable de la vie religieuse, est pour chacun de vous une grande richesse, grâce au bienfait de la complémentarité des dons; elle sera pour les jeunes auxquels vous vous adressez une marque et une annonce du monde à venir. Les hommes de notre temps, et surtout les jeunes, ont grand besoin de la visibilité et de la transparence spirituelle des communautés religieuses.

4. En fondant un Institut destiné à l’éducation des jeunes et à leur formation chrétienne, Marcelin Champagnat a eu une véritable intuition prophétique: la multiplication de vos écoles, non seulement en Europe mais dans le monde entier, a permis une action formatrice de grande importance parmi les jeunes, spécialement ceux des régions défavorisées. Vous avez aussi, en notre époque de chômage endémique, la vive préoccupation d’aider les jeunes que vous avez formés à trouver un emploi.

Cette oeuvre d’éducation est plus que jamais d’actualité. Les jeunes sont de plus en plus dépaysés dans un monde souvent sans âme; ils sont en quête d’un absolu que bon nombre d’adultes sont incapables de leur révéler. Votre mission à leur égard est donc indispensable: ils attendent que vous les prépariez à une vie qui vaille la peine d’être vécue et que vous leur révéliez le Christ et son Evangile.

La moisson est abondante, et les ouvriers insuffisants. Grâce à Dieu, vous savez collaborer avec les laïcs, professeurs, parents d’élèves, anciens élèves, formant la grande famille mariste qui cherche à vivre toujours mieux sa vocation humaine et chrétienne.

5. Les constitutions que vous préparez vous aideront dans la réalisation de votre vocation: votre don au Christ, aimé par-dessus tout, votre détachement des biens de ce monde, à la suite du Christ, et votre obéissance, vous permettront de mieux comprendre les pauvres et de vous mettre à leur service pour les guider vers une promotion authentique.

Je sais que, fidèles aussi sur ce point aux enseignements de votre fondateur, vous êtes profondément attachés à l’Eglise catholique et à son Magistère; demeurez toujours résolument dans ces dispositions, collaborant loyalement, partout où vous vous trouvez, avec l’Eglise locale et ses Pasteurs.

En terminant, je demande à la Vierge Marie, l’éducatrice de Nazareth, d’être pour vous le modèle éloquent et efficace de votre action auprès des jeunes. Qu’elle obtienne de son Fils, pour votre Institut, des vocations nombreuses et généreuses afin que vous poursuiviez votre oeuvre d’évangélisation! De tout coeur je vous bénis.




Discours 1985 - Jeudi, 26 septembre 1985