Discours 1985 - Samedi, 26 octobre 1985


À L’AMBASSADEUR DU JAPON PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi, 28 octobre 1985



Monsieur l’Ambassadeur,

1. Je suis heureux de vous accueillir ici et de vous offrir mes voeux cordiaux pour l’heureux accomplissement de la mission que vous inaugurez comme nouvel Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire du Japon auprès du Saint-Siège.

Votre Excellence prend place dans une lignée d’Ambassadeurs qui ont laissé un bon souvenir au Saint-Siège, et qui ont contribué à entretenir et développer les relations diplomatiques, marquées non seulement par la courtoisie dont les Japonais ont spécialement l’art, mais par l’estime mutuelle et la collaboration culturelle. Vous serez toujours le bienvenu dans cette Maison.

Je remercie Sa Majesté l’Empereur Hiro Hito, des sentiments délicats dont il vous a chargé d’être l’interprète. Vous voudrez bien l’assurer de mon déférent souvenir et de mes voeux fervents pour sa personne et son pays.

2. Précisément, je garde dans la mémoire du coeur l’image attachante du Japon qu’il m’a été donné de visiter en 1981. Tokyo, Hiroshima, Nagasaki, demeurent des étapes inoubliables. Et j’ai apprécié les contacts que j’ai pu avoir à cette occasion avec les Autorités du pays, le monde culturel, le peuple, les représentants des religions shintoïste et bouddhiste, mes frères et soeurs catholiques. De leur côté, nombre de Japonais viennent ici à la découverte de Rome, et je suis heureux d’en rencontrer souvent aux audiences générales. Mais, au-delà de ces contacts personnels, je considère le rôle de premier plan que joue aujourd’hui le Japon, non seulement en Extrême-Orient, mais sur toute la scène internationale, dans les échanges économiques, culturels, politiques, comme partenaire des grandes puissances. Ce chemin, le Japon a su se le frayer à travers l’adversité; et il s’est attiré une grande considération pour le courage de ses citoyens, leur discipline, leur ingéniosité, leurs découvertes scientifiques, leur dynamisme. L’estime de l’Eglise catholique pour votre nation remonte à l’aube de la rencontre, au temps de saint François-Xavier.

3. Le Japon, comme tous les pays, se trouve affronté à un certain nombre de grands problèmes humains, et c’est cela qui est surtout l’objet du dialogue avec le Saint-Siège. Votre Excellence a souligné la prolifération des armes nucléaires et le danger des nouvelles catastrophes qu’elles risquent d’engendrer. Qui ne comprendrait la sensibilité très vive de votre pays en ce domaine, puisque tout le monde a encore devant les yeux l’image horrifiante des bombardements qui ont été votre lot, pour la première fois dans l’histoire et, on voudrait l’espérer, la dernière? Vous savez avec quelle insistance le Saint-Siège ne cesse d’alerter l’humanité sur ce danger. J’en ai donné le témoignage chez vous, sur les lieux de la grande épreuve.

4. Mais les problèmes de la justice et de la paix débordent de beaucoup ce point crucial. C’est toute une collaboration qu’il importe de mettre en oeuvre entre les peuples, entre toutes les nations. L’anniversaire de la fondation des Nations Unies, ces jours-ci, nous rappelle que tout pays doit être considéré par les autres à part entière, avec dignité, et doit lui-même mériter de l’être. Ce qu’il faut, c’est abattre le mur de méfiance entre les nations, et Votre Excellence a relevé que le Saint-Siège travaille dans ce sens; c’est aider chacun à respecter l’autre dans sa tradition culturelle, dans sa volonté de vivre dignement; c’est - au-delà des tentations d’hégémonie - rechercher les solutions de justice, par la voie de négociations équitables; c’est, plus encore, accepter de considérer les besoins vitaux des autres partenaires, afin qu’aucun ne soit conduit par le dénuement extrême, la faim ou l’injustice à désespérer ou à s’engager dans des processus de violence; c’est promouvoir les conditions d’une liberté bien comprise, le respect des droits humains fondamentaux. Oui, il faut toutes ces conditions pour édifier véritablement la paix: elle est inséparable du souci du développement authentique et solidaire des peuples.

Vous serez témoin ici des efforts que le Saint-Siège déploie en ce sens, des voies qu’il propose à l’assentiment des nations pour résoudre de façon vraiment humaine les grands problèmes.

5. Surtout, ce caractère humain - que nous cherchons tous - suppose une conception claire et ferme de la dignité de l’homme, des droits et des devoirs imprescriptibles de la conscience. Face aux recherches, aux inventions, aux exploits techniques que les hommes développent dans tous les domaines, grâce à l’esprit et à la liberté que Dieu leur a donnés en les créant à son image, il y a urgence à développer en même temps un surcroît de conscience, par un sens aigu du bien et du mal, un respect bien compris de la création et le respect absolu de l’homme qui transcende les choses. C’est vrai quand on pense aux possibilités terrifiantes dont les hommes pourraient disposer avec leurs armes. C’est vrai aussi des risques graves que représentent pour l’homme les manipulations biologiques et génétiques, comme Votre Excellence l’a évoqué. Même les Etats, dans leur souci du bien commun de leurs citoyens, ne peuvent négliger - pas plus que la communauté des nations - de s’intéresser à la formation du sens éthique. Les grandes traditions religieuses, en puisant dans ce qu’elles ont de meilleur, peuvent contribuer puissamment à fortifier cette dignité humaine et cette rectitude de la conscience.

6. Mais le supplément d’âme dont l’humanité a besoin ne se limite pas à ce sens moral. Il vise la satisfaction de l’aspiration religieuse qui marque toujours le coeur humain et qu’une civilisation matérialiste ne saurait combler. Il pousse l’homme à établir des rapports plus profonds avec l’Etre transcendant qui est à la source de l’existence de tout être, de la vie, de l’amour, qui donne un sens plénier à la vie humaine et qui mérite d’être recherché, adoré et aimé Lui-même. N’est-ce pas l’essence même de la religion? C’est ce dont voudrait témoigner l’Eglise avec la Tradition qui lui est propre et dans laquelle elle voit une mission au service de l’humanité. C’est ce que veut promouvoir le Saint-Siège, en même temps que la paix, la justice et le développement, dans le respect des personnes et des peuples. C’est aussi ce dont témoignent les communautés chrétiennes du Japon, dont le rayonnement dépasse largement leur importance numérique et qui jouissent chez vous d’une liberté de culte et d’enseignement qui honore votre pays.

C’est pour le bonheur, le progrès et l’épanouissement à tous égards du peuple japonais que je renouvelle devant vous des voeux fervents. Je prie le Très-Haut d’en favoriser l’accomplissement. Et à vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, je redis mes souhaits cordiaux pour une heureuse et féconde mission.



Novembre 1985

À L’OCCASION DU XXème ANNIVERSAIRE DE LA «DÉCLARATION SUR L’EDUCATION CHRÉTIENNE»

Mardi, 5 novembre 1985




Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

1. Vous aviez à coeur de commémorer le XXème anniversaire de la “Déclaration sur l’Education chrétienne”, élaborée par les Pères du Concile Vatican II et promulguée le 28 octobre 1965 par le Pape Paul VI. Je vous félicite vivement de cette heureuse initiative, ainsi que la Congrégation pour l’Education Catholique, dont vous avez apprécié le chaleureux soutien sitôt connu votre projet En cette célébration jubilaire, notre reconnaissance va également à la mémoire de Pio XI qui publia l’encyclique “Divini Illius Magistri” sur cette même et importante question, le 31 décembre 1929.

“L’extrême importance de l’éducation dans la vie de l’homme et son influence toujours croissante sur le développement de la société moderne sont pour le Concile oecuménique l’objet d’une réflexion attentive. En vérité, les conditions d’existence d’aujourd’hui rendent à la fois plus aisées et plus urgentes la formation des jeunes, ainsi que l’éducation permanente des adultes” (Gravissimum Educationis GE 1, Prooemium). Ce texte conciliaire conserve une force de percussion étonnante. Je voudrais partager avec vous un certain nombre de réflexions sur l’éducation chrétienne dans le temps présent, et notamment sur le projet éducatif de l’école catholique.



2. Les profondes et nombreuses mutations scientifiques et technologiques qui continuent de marquer notre époque requièrent des échanges sereins et rigoureux entre la science et la foi. C’est dans cette intention que j’ai érigé le “Conseil pontifical pour la culture” en 1982. Je souhaite que votre Organisation collabore étroitement avec ce Conseil. Science et technique ont fait et continuent de faire des avancées remarquables qui contribuent à l’amélioration des conditions matérielles de l’existence. Pourtant ces progrès n’ont pas nécessairement engendré une plus grande valorisation de la personne humaine. Il nous fait bien constater - trop souvent du moins - que la formation authentique de l’esprit et du coeur laisse à désirer, alors qu’elle est une exigence prioritaire et irremplaçable dans l’édification d’une société saine, équilibrée, paisible, heureuse. Je pense à un sentier de réflexion fréquemment emprunté par Paul VI dans son enseignement, lorsqu’il parlait du binôme “vérité et charité”. “Il est bon, disait-il, que le récent Concile nous ait confirmés dans l’une et l’autre adhésion, à savoir à la vérité, qui mérite toujours l’hommage et, si nécessaire, le sacrifice de notre vie pour la professer, la répandre et la défendre; et en même temps à la charité, maîtresse de liberté, de bonté, de patience, d’abnégation dans tous nos rapports avec les hommes, auxquels l’Evangile attribue le nom de frères. Ce ne sont pas des jeux de mots, des oppositions d’école, des drames de l’histoire voués à la fatalité; ce sont des problèmes intrinsèques à la nature et à la sociabilité humaines, lesquels trouvent dans l’Evangile et donc dans cette «civilisation de l’amour» que nous souhaitons..., leur humble et triomphante solution” (PAULI VI Allocutio in Admissione Generali, die 18 febr. 1976: Insegnamenti di Paolo VI, XIV (1976) 119).



3. Dans notre monde tel qu’il est, et que nous avons le devoir d’aimer pour le sauver, les jeunes confiés aux institutions catholiques - et tous les autres évidemment - ressentent souvent un besoin pressant d’être dégagés d’un matérialisme envahissant, d’un hédonisme obsédant, et d’être guidés avec bonté et fermeté vers les hauteurs de la vérité indéniable et de l’amour oblatif. C’est pourquoi, de toutes mes forces, je fais appel aux parents, d’abord. Certes, je sais que bien des familles chrétiennes sont déconcertées par la société pluraliste contemporaine et le foisonnement des opinions divergentes qui la caractérise. Précisément, l’heure est plus que jamais aux associations de parents chrétiens. En de nombreux pays, elles font un excellent travail. Elles créent d’abord une amitié humaine entre les familles. Elles aident également les parents à mieux comprendre les mutations socio-culturelles actuelles, et à utiliser les méthodes éducatives plus appropriées, tant sur le plan humain que religieux, en lien avec les éducateurs scolaires. La paternité et la maternité, selon une vision typiquement chrétienne, est un enfantement en quelque sorte prolongé et d’une certaine façon plus délicat que la première gestation. Le dosage des interventions et des silences, de l’indulgence et de la fermeté, des encouragements et des exigences, des exemples convergents du père et de la mère peuvent tellement favoriser ou compromettre le développement harmonieux des enfants, jusqu’à leur envol du nid familial! Chers parents qui êtes ici, ou qui lirez cet appel, n’épargnez aucun effort pour promouvoir et même réhabiliter l’éducation chrétienne. Vos enfants et les jeunes en général ont besoin de partir dans la vie avec des certitudes sur le sens de l’existence humaine et son très noble usage. Votre mission, sur ce plan, est difficile et magnifique. La rencontre personnelle de ces jeunes avec le Christ complètera abondamment votre action. Il est “le chemin, la vérité et la vie” (Cfr. Jn 14,6). Sans nullement céder à l’auto-satisfaction, on doit affirmer que l’éducation chrétienne en famille et dans des institutions catholiques - dont le droit à l’existence est reconnu et concrètement assuré - constitue un service indispensable de toute société véritablement démocratique et d’une civilisation qui refuse l’écrasement du matérialisme théorique et pratique.



4. Premiers responsables de l’éducation chrétienne de leurs enfants, les parents choisissent pour ceux-ci l’école correspondant à leurs convictions religieuses et morales. Mais ils sont en droit d’attendre des écoles catholiques la meilleure éducation humaine et religieuse possible. Ici, je veux renouveler ma confiance aux diverses instances nationales, régionales, diocésaines de l’enseignement catholique à travers le monde. Des prêtres, des religieux et des laïcs admirables de dévouement et de compétence s’y consacrent totalement. Nous pourrions citer bien des exemples. En même temps je leur adresse cette exhortation: que tous ces responsables veillent fermement au caractère spécifique des institutions catholiques! Il est possible, par endroits du moins, que l’ouverture missionnaire de ces institutions ait éclipsé l’identité de certains établissements catholiques. Par louable respect d’élèves venant d’autres confessions ou encore sans appartenance religieuse ou peu attachés à celle-ci l’espace de la foi transmise, témoignée, célébrée s’est réduit inconsidérément. La catéchèse - on peut se demander pourquoi - a même émigré, parfois, en dehors de l’établissement catholique. En conscience, tout en tenant compte de la nécessaire ouverture missionnaire des écoles et collèges catholiques, et des dispositions psychologiques de la jeunesse contemporaine, j’insiste sur le maintien de la catéchèse des chrétiens dans l’école catholique, sur sa présentation soigneusement adaptée, sa rectitude doctrinale, son grand respect du mystère de Dieu. C’est une telle catéchèse qui éveillera au moins les jeunes - et en conduira beaucoup - à une rencontre personnelle de Jésus Christ, le Modèle par excellence. La lettre aux Hébreux nous dit en une phrase impressionnante: “Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais” (He 13,8).



5. Or ce sont les enseignants qui forment chaque jour, sur le terrain même de l’école, l’équipe éducative. Il importe souverainement que ces éducateurs, venus d’eux-mêmes proposer leurs services dans une institution catholique ou recrutés par la direction de l’établissement, aient une vision exacte de l’éducation chrétienne fondée sur le message évangélique. C’est un devoir sacré pour tous de donner individuellement et parfois communautairement le témoignage de leur foi. Certains accepteront avec joie d’animer les temps d’enseignement religieux ou de catéchèse. Chacun, dans la discipline qu’il enseigne, saura trouver opportunément l’occasion de faire découvrir aux jeunes que science et foi sont deux lectures différentes et complémentaires de l’univers et de l’histoire. Si la constitution de l’équipe enseignante est un des graves problèmes de l’enseignement catholique pour le maintien de son identité, la formation des futurs maîtres et le recyclage périodique des enseignants, tant sur le plan profane que religieux, s’imposent plus que jamais. L’Eglise se réjouit des efforts entrepris en ce domaine. Mais l’enseignement catholique doit se faire remarquer à la fois par la compétence professionnelle de ses maîtres, par le témoignage de leur foi ardente, par le climat de respect, d’entraide, de joie évangélique imprégnant tout l’établissement.

6. En tous ces domaines, je suis sûr que l’Office international de l’Enseignement catholique peut apporter un stimulant et une heureuse contribution.

En un mot, l’avenir des écoles, des collèges et des universités catholiques dépend de la coopération tenace, réfléchie, créative et sereine des familles et des équipes d’enseignants. Tout cela, dans un esprit de fidélité sans faille à l’Eglise, comme dans le respect sans équivoque des institutions similaires légitimement régies par les Gouvernements de chaque pays. Contribuez à empêcher les polémiques non constructives. Cherchez éventuellement et opportunément à partager vos convictions avec les chrétiens qui seraient indifférents ou sceptiques face à la très grande utilité des institutions scolaires catholiques. A cet égard, vous savez que les réalisations - j’entends la formation humaine et chrétienne réussie d’hommes et de femmes éduqués dans les écoles catholiques - sont plus convaincantes que les discours.

A l’OIEC et à son dévoué Président, mais également à toutes les familles chrétiennes qui ont délibérément choisi les établissements religieux d’éducation pour leurs enfants, à tous les responsables nationaux ou diocésains de l’Enseignement catholique, à toutes les associations de parents d’élèves, à toutes les équipes enseignantes des écoles primaires, des collèges secondaires et des universités, je renouvelle ma confiance et mes encouragements chaleureux. J’invoque sur tous d’abondance de la Sagesse et de la Force divines.



AUX MEMBRES DE LA COMMISSION PONTIFICALE «IUSTITIA ET PAX»

Samedi, 9 novembre 1985




Monsieur le Cardinal, Chers Frères dans l’épiscopat, Chers Frères et Soeurs,

1. “Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps”, vous, les membres de la Commission pontificale “Iustitia et Pax”, vous êtes particulièrement conscients que ce sont ceux “des disciples du Christ” et qu’“il n’est rien de vraiment humain que ne trouve écho dans leur coeur” (Gaudium et Spes GS 1). Je sais que depuis l’institution de votre Commission, il y a dix-huit ans, votre ambition a été celle que le Concile assignait à l’Eglise: “Continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’oeuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi” (Ibid. GS GS 3, § 2).

Oui, travailler pour la paix, “promouvoir l’essor des régions pauvres et la justice sociale”, telle est votre tâche depuis le début des activités de cet organisme de la Curie romaine. Je connais les efforts déployés, et je vous remercie pour tout le dévouement avec lequel vous vous y consacrez.

Pour votre XVIIème Assemblée plénière - la seconde du groupe qui compose actuellement la Commission - vous avez choisi à juste titre de faire une nouvelle lecture approfondie de la Constitution pastorale “Gaudium et Spes”, vingt ans après son adoption par le Concile Vatican II et sa promulgation par mon vénéré prédécesseur le Pape Paul VI. “Gaudium et Spes” est un document d’une extrême importance - un des plus importants - pour le travail de votre Commission. Et cela, non seulement parce que les Pères conciliaires ont souhaité la création d’un organisme auquel votre Commission a donné sa forme concrète (Cfr. Gaudium et Spes GS 90), mais surtout parce que la conception de la personne humaine présentée par cette Constitution est à la base de tout votre travail pour l’Eglise; et la manière dont elle situe la présence et la mission de l’Eglise dans le monde est un guide indispensable de votre activité. Pour ces motifs, la réflexion que vous avez entreprise sur le texte conciliaire vous permettra de mettre en lumière, à partir de ses divers chapitres, les orientations fondamentales de l’Eglise pour aborder certains problèmes sociaux contemporains dans toute leur complexité, en prenant en compte leur importance réelle.



2. L’an dernier, j’ai eu l’occasion de vous parler des contacts étroits que la Commission doit entretenir avec les Conférences épiscopales. Je sais que votre dicastère a organisé activement des rencontres avec les évêques au cours de leurs visites “ad limina”. C’est pour vous une occasion privilégiée de vous entretenir avec les pasteurs des Eglises particulières du monde entier des problèmes nombreux auxquels ils ont à faire face dans les domaines sociaux, économiques et politiques. Ces échanges vous enrichissent pour votre propre travail. En même temps ils vous permettent de présenter aux pasteurs les résultats de vos études concernant la doctrine sociale de l’Eglise. Le magistère s’est exprimé dans le domaine social depuis les origines. Cela constitue un riche héritage. En notre siècle, son enseignement a développé les principes qui devraient s’appliquer à toute situation sociale, où la valeur de la personne humaine et sa dignité ainsi que le respect de chacune des personnes doivent être les critères ultimes des discernements concrets et des programmes socio-économiques qui sont décidés. Le développement structuré de sa doctrine sociale permet à l’Eglise de répondre à la diversité des situations d’une nation à l’autre, d’un continent à l’autre. Sans devenir un cadre rigide et préconçu pour la société, la doctrine sociale n’en reste pas moins une voie très sûre pour tous les chrétiens dans leur contribution à la société où ils vivent.

Les Conférences épiscopales ont besoin de votre compétence. Vous-mêmes avez besoin de l’expérience et de la sagesse des évêques, ainsi que des institutions diverses qui travaillent dans les mêmes domaines à travers le monde. J’espère qu’à l’avenir une collaboration toujours plus étroite permettra à la Commission, aux évêques et aux autres responsables de faire mieux entendre et mieux comprendre la voix de l’Eglise. Ainsi, dans le domaine social, la mission pastorale de l’Eglise universelle pourra se présenter comme un service rendu à l’Eglise particulière, et l’Eglise particulière pourra mettre en oeuvre les fruits de cette collaboration, “une collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation” (Gaudium et Spes GS 3).



3. Les rapports des Eglises locales avec la Commission ne constituent cependant pas son unique champ d’action. En cette année où l’on célèbre le quarantième anniversaire de l’Organisation des Nations Unies, il est important de relever que, dès les premières années de son existence, la Commission a toujours suivi avec attention les travaux de l’ONU et des autres instances internationales. Vous n’avez pas manqué de présenter l’enseignement de l’Eglise et ses préoccupations à ces organismes, pour le bien de la personne humaine et des nations. De plus, votre collaboration avec la Secrétairerie d’Etat et avec les autres dicastères de la Curie romaine rendent plus efficace la présence active du Saint-Siège dans les conférences internationales où la communauté des nations essaie de développer les normes et les structures qui protègent les droits de la personne et des peuples, et où elle soutient les projets qui tendent à assurer le bien commun et l’avenir de tous, particulièrement des plus pauvres.

Le souci de la coopération internationale pour le développement, la justice économique et financière, les droits de l’homme, la protection de la liberté, tout cela doit rester au centre de votre tâche et orienter votre activité en tout premier lieu.



4. Je voudrais vous recommander tout particulièrement le travail en faveur de la paix. En cette Année internationale de la Paix, je suis heureux que le Saint-Siège participe activement à diverses initiatives. En outre, pour l’Eglise, la Journée mondiale de la Paix reste un des événements les plus significatifs pour montrer son engagement ferme et constant en faveur de la paix. Comme vous le savez, le thème de la prochaine Journée est: “La paix est une valeur sans frontières”. Je voudrais lancer un appel à la collaboration de tous afin de parvenir à “une seule paix” dans le monde entier. Dans le passé, la communauté internationale a toujours accordé une grande attention à la Journée de la Paix. L’animation de cette initiative vous est confiée; j’espère que vous pourrez approfondir et mieux faire connaître encore l’activité de l’Eglise pour la grande cause d’une paix sans frontières.

Nous ne devons jamais nous lasser: la voix de l’Eglise doit s’élever en tous les lieux où il faut rappeler les valeurs véritables de la paix. Notre conception est celle d’un monde où la guerre n’est plus un instrument de régulation des relations internationales; un monde où les communications franches et les négociations sincères entre les nations sont les moyens normaux de réduire les tensions et d’établir les structures adéquates. Ainsi nous chercherons à favoriser un état d’esprit qui porte à mettre fin à la course aux armements et au gaspillage des ressources. Ainsi nous chercherons à protéger la liberté et la sécurité de toutes les nations et, en même temps, à consacrer plus de moyens au développement intégral des peuples et des nations du monde. La Commission “Iustitia et Pax” s’efforce avec intelligence et dévouement de réaliser ces objectifs qui ont été bien définis dans “Gaudium et Spes”.

5. Dans le cadre de cette rencontre avec vous, les membres de la Commission pontificale “Iustitia et Pax” venus de toutes les parties du monde, je voudrais souligner encore une observation. Parmi vous se trouvent des évêques et des prêtres, des religieux et des religieuses, des laïcs, hommes et femmes. En un sens, vous constituez un microcosme de l’Eglise engagée dans cet aspect de la pastorale. La composition de votre groupe nous rappelle à tous que, si les principes doivent être proclamés par les pasteurs, il appartient à tout le peuple de Dieu d’apporter dans la société, de manière responsable, la contribution spécifique de l’Eglise. Le laïcat a un rôle propre à remplir. Il est opportun que la Commission, en accord avec les évêques, encourage la connaissance et la mise en oeuvre concrète de la doctrine sociale de l’Eglise par les laïcs, au service de la communauté humaine.

6. Ce sont là mes réflexions et le sens de ma prière pour vous tous, tandis que vous allez poursuivre votre étude au cours de cette Assemblée plénière. Je vous redis que j’apprécie vivement votre travail. Et je vous exhorte à approfondir votre engagement par tous les moyens dont vous disposez. Je prie pour que vos efforts contribuent à la grande mission de porter le message du Christ à toute personne et à toute nation, de telle sorte que se réalisent les paroles qui concluent “Gaudium et Spes”: “En vertu de la mission qui est la sienne, d’éclairer l’univers entier par le message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes, à quelque nation, race ou culture qu’ils appartiennent, l’Eglise apparaît comme le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et le renforce” (Gaudium et Spes GS 92).

Que le Seigneur vous comble de sa lumière et de sa grâce et qu’il vous bénisse!



AUX RECTEURS DES UNIVERSITÉS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

Samedi, 9 novembre 1985




Chers Frères,

1. J’éprouve une grande joie à vous rencontrer, Recteurs et responsables des Instituts d’études supérieures confiés à la Compagnie de Jésus dans des pays très divers, accompagnés de quelques autres Recteurs, et de vous recevoir ici, à Rome, ville du successeur de Pierre, et cela d’autant plus qu’il existe un lien particulier entre votre Compagnie et le Siège de Pierre.

A cette joie se joint un très vif remerciement à l’ensemble de votre Compagnie - à commencer par votre Supérieur général - pour la générosité avec laquelle elle assure la direction et la promotion de vos nombreux Centres académiques répartis à travers le monde entier.

Notre rencontre d’aujourd’hui nous remet en mémoire celle qui eut lieu le 8 août 1975 avec mon vénéré prédécesseur Paul VI. L’allocution qu’il adressa alors aux Recteurs et aux dirigeants de vos Centres académiques visait à affermir et à intensifier l’effort apostolique de la Compagnie dans le secteur de la culture de haut niveau, et plus précisément dans le domaine des Universités catholiques. La parole de Paul VI a fait ressentir plus vivement et plus efficacement à la Compagnie de Jésus, tout au long de ces dernières années, l’importance de sa mission spécifique au sein des Universités catholiques. On pourrait dire que cette allocution a renforcé, chez un certain nombre de Jésuites, l’amour et même la passion pour un secteur de l’apostolat qui s’avère fort délicat et difficile, mais combien décisif pour la vitalité de l’Eglise!

Il faudra toujours aller de l’avant, avec persévérance, avec courage, avec enthousiasme, en dépit des difficultés que l’on peut rencontrer sur le chemin.



2. Il est bien certain que la Compagnie de Jésus a un lien tout à fait particulier avec la culture. Son Fondateur lui a en effet assigné, parmi d’autres apostolats, celui qui concerne la culture et la jeunesse étudiante. Fidèle à cette mission, la Compagnie de Jésus s’est employée et s’emploie encore à faire en sorte que non seulement ses Instituts supérieurs soient à la hauteur de leur tâche pour le sérieux de la recherche et la qualité de l’enseignement, mais aussi et surtout qu’ils soient caractérisés par la poursuite du but spécifique pour lequel la Compagnie a été fondée: la défense et la propagation de la foi.

Ses Universités et ses Instituts supérieurs sont donc appelés à garantir et à promouvoir en premier lieu et plus que tout autre leur caractère de Centres académiques catholiques en tant que participant à la mission évangélisatrice de l’Eglise. Tel est l’esprit qui anime et qui doit principalement animer les Institutions universitaires confiées à la Compagnie de Jésus si elles veulent répondre, avec le maximum de fidélité, à leur vocation, à leur charisme.

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BÉATIFICATION DE RAFQA AR-RAYES DE HIMLAYA, MARIE TERESA DE JÉSUS GERHARDINGER ET PIO CAMPIDELLI

AUX PÈLERINS VENUS POUR LA BÉATIFICATION

Lundi, 18 novembre 1985


Béatitude Eminentissime, chers pèlerins du Liban,

Hier, dans la joie et l’émotion, nous avons tous vibré à la béatification de votre compatriote d’Himlaya. Cette moniale exemplaire de l’Ordre Libanais Maronite de Saint-Antoine est désormais un fleuron solennellement reconnu de la chère Eglise d’Antioche des Maronites et une très précieuse lumière pour la communauté ecclésiale universelle.

Aujourd’hui, nous avons le bonheur de nous retrouver “en famille”. L’Evêque de Rome a mission de veiller à l’unité de la foi dans le peuple de Dieu tout entier comme à l’unité des Eglises locales entre elles. Il a aussi mission de les aimer, surtout lorsqu’elles traversent de lourdes épreuves. Mais le Seigneur tout puissant est là. Je puis même vous confier que sa grâce quotidienne aide aussi le Pape à communier profondément aux efforts, aux souffrances et aux joies des Eglises particulières. C’est là une réalité, je devrais dire un mystère que je découvre sans cesse et que je m’efforce de vivre dans la confiance toujours renouvelée au soutien de Dieu.

Je mesure le grand réconfort que vous éprouvez en ce moment, malgré ou plutôt à cause du drame interminable de votre patrie. De mon côté, je ressens la joie du père de famille recevant des enfants qui ont beaucoup souffert et qui souffrent toujours. A travers votre délégation, je veux voir tous vos frères et soeurs du Liban, ceux des grandes cités comme Beyrouth, Tripoli, Saïda, ceux de la région côtière, ceux des montagnes, ceux de la plaine de la Bekaa. Je songe avec douleur aux familles endeuillées ou ruinées, aux victimes handicapées pour le reste de leur vie, aux enfants et aux adolescents devenus orphelins, aux anciens submergés par le chagrin de voir ou de savoir leur cher Liban si meurtri et défiguré.

Jusqu’à présent, je n’ai pas pu visiter votre terre et ses habitants. Dans toute la mesure du possible, je me suis efforcé, avec mes collaborateurs, de vous manifester ma constante sollicitude, d’oeuvrer au soulagement des malheureuses populations, au retour de la paix. Vous vous souvenez que l’an passé, au mois de mai, j’ai publié un appel aux évêques du monde entier afin qu’ils aident leurs fidèles à être plus solidaires de votre tragique situation. La seconde partie de cette lettre était destinée à tous les Libanais, afin qu’ils s’acheminent vers un loyal examen de conscience et qu’ils en tirent les conséquences concrètes d’ordre moral et religieux. Conséquences ou décisions susceptibles de faire renaître une communauté nationale réconciliée; une communauté toujours diversifiée et cependant imprégnée de respect, de justice, de solidarité; une communauté de nouveau marquée par un dynamisme socio-économique, en même temps que religieux et culturel; une communauté enfin réanimée par l’espérance. Serait-ce une utopie après toutes les attentes finalement déçues? Absolument pas. Certes votre situation libanaise, par la composition de la nation, est très particulière. Mais je ne puis oublier que beaucoup d’efforts ont été déployés de la part de personnes différentes, sinon opposées. J’ai toujours espoir. Le Liban peut et doit retrouver son identité à travers un nouvel équilibre socio-politique et grâce à une prospérité entendue dans tous les sens du terme. Je supplie de nouveau les responsables civils et religieux de continuer à suivre - ou de reprendre - les voies du dialogue, avec le souci prioritaire du bien général de la nation libanaise, faite de millions de personnes aspirant fondamentalement à la paix. Sans cette paix, aucune institution sociale ne peut assumer son rôle ni contribuer à préparer l’avenir. La violence, la haine, sont à proscrire absolument. Elles sont radicalement opposées à la volonté de Dieu, à la recherche de solutions humaines.

Libanais de l’intérieur ou de la Diaspora - il en est encore temps - entraidez-vous sur tous les plans. Si vous possédez beaucoup, donnez beaucoup! Si vous possédez peu, apportez au moins vos ressources morales et spirituelles qui sont une grande richesse. Tous ensemble, reprenez la marche de espérance, l’espérance est la dernière clef qui ouvre la porte.

Mais nous ne pouvons pas achever cette rencontre familiale sans porter nos regards vers la nouvelle Bienheureuse. Sa vie est désormais lumière sur les hauteurs du Liban. Elle peut éclairer et réchauffer les esprits qui doutent de l’avenir, et les coeurs las de souffrir sans voir l’aurore certaine de la réconciliation générale et profonde. Soeur Rafqa a porté quotidiennement, pendant une trentaine d’années, le poids de souffrances physiques s’aggravant sans cesse, au point de faire d’elle une personne sans yeux et dépouillée de toute force dans ses membres. Dans cet état, très courageusement accepté et nombre de fois par jour offert au Christ Sauveur, comme participation à l’application de son oeuvre salvifique universelle, Soeur Rafqa a trouvé une sérénité et même une joie spirituelle qui bouleversaient ses compagnes. Chers Fils et Frères du Liban, la majestueuse liturgie d’hier à la Basilique vaticane était l’action de grâce au Seigneur, “source de toute sainteté”, et la glorification d’une femme de chez vous, demeurée mystiquement au pied de la Croix de Jésus pendant de longues années. Cette cérémonie doit demeurer pour les Libanais comme une ostension solennelle de la souffrance acceptée et offerte, transformée et rédemptrice. Je supplie Dieu d’accorder aux chrétiens et aux croyants vivant sur la terre de Soeur Rafqa d’offrir généreusement toutes ces années d’épreuves multiples et de reprendre le chemin de la lumière. “Per crucem ad lucem”! Le Vendredi Saint a été surmonté par l’aube radieuse de Pâques. Dieu ne cesse d’apporter sa part, très largement. Mais Dieu, par respect envers ses créatures, désire aussi qu’elles accomplissent la leur.

C’est dans ces sentiments que je bénis très affectueusement vos personnes et toutes les populations libanaises, surtout les plus éprouvées. Je bénis de façon particulière ceux qui ont déjà oeuvré pour le retour de la paix, ceux qui vont reprendre ce travail ardu, si conforme au profond bonheur de toute nation et à la volonté du Dieu tout puissant et miséricordieux.

Suor Teresa: en allemand

Pio Campidelli: …



Discours 1985 - Samedi, 26 octobre 1985