Discours 1986 - Samedi 11 janvier 1986


AUX MEMBRES DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE

Lundi 13 janvier 1986

  Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,


1. Vous voici fidèles à l’annuel rendez-vous romain du Conseil pontifical pour la Culture. Venus d’Afrique, d’Amérique du Nord et d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe, votre présence évoque pour nous ce vaste panorama des cultures du monde entier dont certaines ont été durablement fécondées par le message du Christ. D’autres attendent encore la lumière de la Révélation, car toute culture est ouverte aux aspirations les plus hautes de l’homme et capable de nouvelles synthèses créatrices avec l’Evangile.

En ces années où s’inscrit la réalité quotidienne de notre siècle tourmenté, déjà pointe l’aurore d’un nouveau millénaire, porteuse des espoirs de l’ humanité. Le processus historique d’ inculturation de l’Evangile et d’évangélisation des cultures est bien loin d’avoir épuisé toutes ses énergies latentes. L’éternelle nouveauté de l’Evangile rencontre les surgissements des cultures en genèse ou en travail de renouvellement. L’émergence des nouvelles cultures appelle de toute évidence le courage et l’intelligence de tous les croyants et des hommes de bonne volonté. Transformations sociales et culturelles, bouleversements politiques, fermentations idéologiques, inquiétudes religieuses, recherches éthiques, c’est tout un monde en gestation qui aspire à trouver forme et orientation, synthèse organique et renouveau prophétique. Sachons puiser des réponses neuves dans le trésor de notre espérance.

Secoués par des déséquilibres socio-politiques, des découvertes scientifiques non pleinement contrôlées, des inventions techniques d’une ampleur inouïe, les hommes ressentent confusément le crépuscule des vieilles idéologies et l’usure des vieux systèmes. Les peuples neufs provoquent les vieilles sociétés, comme pour les réveiller de leur lassitude. Les jeunes en quête d’idéal aspirent à donner un sens qui vaille à l’aventure humaine. Ni la drogue ni la violence, ni la permissivité ni le nihilisme ne peuvent emplir le vide de l’existence. Les intelligences et le coeurs sont en quête de lumière qui éclaire et d’amour qui réchauffe. Notre époque nous révèle en creux la faim spirituelle et l’immense espoir des consciences.



2. Le récent Synode extraordinaire des évêques, que nous avons eu la grâce de vivre à Rome, a fait prendre une conscience renouvelée de ces profonds espoirs de l’humanité et de l’inspiration prophétique du Concile Vatican II, voici vingt ans. Selon l’invitation du Pape Jean XXIII, père de ce Concile des temps modernes dont nous sommes tous les fils, nous devons mettre le monde moderne en contact avec les énergies vivifiantes de l’Evangile. (cf. Ioannis XXIII Humanae Salutis, in Nativitate Domini, a. 1961)

Oui, nous sommes au début d’un gigantesque travail d’évangélisation du monde moderne, qui se présente en termes neufs. Le monde est entré dans une ère de bouleversements profonds, dus à l’ampleur stupéfiante des créations de l’homme, dont les productions risquent de le détruite s’il ne les intègre pas dans une vision éthique et spirituelle. Nous entrons dans un temps nouveau de la culture humaine et les chrétiens sont devant un défi immense. Nous mesurons mieux aujourd’hui l’ampleur de l’adjuration prophétique du Pape Jean XXIII nous conjurant de congédier les prophètes de malheur, et de nous mettre courageusement à l’oeuvre pour cette formidable tâche: le renouvellement du monde et sa “rencontre avec le visage de Jésus ressuscité... rayonnant à travers toute l’Eglise pour sauver, réjouir et illuminer les nations humaines”.

Mon prédécesseur Paul VI reprenait cette orientation majeure et en précisait le moyen privilégié: le Concile travaillera à jeter un pont vers le monde contemporain. J’ai moi-même voulu créer le Conseil pontifical pour la Culture, précisément pour aider et soutenir ce travail. (Ioannis XXIII Nuntius Ecclesia Christi, Lumen Gentium LG 11 sept. 1962)



3. Depuis lors, vous êtes à l’oeuvre allègrement, et le bulletin Eglise et cultures donne régulièrement, en français, en anglais et en espagnol, l’écho du fécond labeur entrepris: dialogue en cours avec les évêques, les religieux, les Organisations Internationales Catholiques, les Universités, consultations dont les premiers fruits apparaissent déjà, réseau de correspondants dans les diverses parties du monde, initiatives suscitées à travers les Eglises, parfois au niveau de tout un continent, comme en témoigne la décision récente prise par le CELAM de créer une “Section pour la culture”, afin de donner une impulsion nouvelle à l’Eglise en Amérique latine dans sa mission d’évangélisation de la culture selon l’esprit d’ “Evangelii Nuntiandi” et de l’option pastorale de Puebla. Chaque Conférence épiscopale a été invitée à créer un organisme ad hoc pour la pastorale de la culture, et déjà un certain nombre sont au travail. En liaison avec d’autres organismes du Saint-Siège, vous continuez aussi à suivre attentivement l’activité des grandes organisations ou rencontres internationales qui s’occupent de la culture, de la science, de l’éducation, pour y porter le point de vue de l’Eglise.

Je me réjouis de tout coeur de l’activité du Conseil, dont témoigne le programme chargé de votre présente réunion à San Calisto: orientations pour le dialogue de l’Eglise avec les cultures, à la lumière du récent Synode des évêques, collaboration avec les dicastères romains: foi et cultures, liturgie et cultures, évangélisation et cultures, rôle culturel du Saint-Siège auprès des organismes internationaux, colloques et recherches dont les résultats intéressants sont déjà publiés dans les différentes langues, en plusieurs continents. D’autres colloques en préparation vous conduiront successivement en diverses parties d’Europe et d’Amérique, ou encore à la rencontre des antiques civilisations africaines et asiatiques, comme au creuset de la modernité et au défi des arts, des humanités classiques et de l’iconographie chrétienne, devant l’émergence d’une civilisation de l’universel.



4. Chers amis, poursuivez cette tâche complexe, mais nécessaire et urgente, stimulez à travers le monde les énergies en attente et les volontés en éveil. Le Synode des évêques nous y a tous engagés avec ardeur, en situant décidément l’inculturation au coeur de la mission de l’Eglise dans le monde: “L’inculturation est autre chose qu’une simple adaptation extérieure: elle signifie une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par l’intégration dans le christianisme et l’enracinement du christianisme dans le cultures humaines variées”. (Relatio finalis Synodi extraordinarie Episcoporum 1985)

Déjà, toute l’Eglise prépare un prochain Synode sur l’apostolat des laïcs. Vous-mêmes, vous pouvez engager vigoureusement les laïcs dans le dialogue décisif de l’Evangile avec les cultures, et tout particulièrement les jeunes. Je me réjouis de votre collaboration active avec le Conseil pontifical pour les Laïcs et avec la Congrégation pour l’Education catholique, dans le but d’étudier ensemble les nouveaux problèmes posés par la rencontre de l’Evangile avec le monde de l’éducation et de la culture. Et je sais que vous ne manquerez pas de prendre beaucoup d’initiatives nouvelles pour répondre à la mission qui vous a été confiée.

Mes voeux vous précèdent sur ce chemin exigeant, ma prière vous y accompagne, et mon appui vous soutient. De tout coeur, j’appelle sur vous et votre travail la grâce du Seigneur Tout-Puissant, qui seule doit inspirer notre humble service de l’Eglise, en vous donnant une particulière Bénédiction Apostolique.



AUX MEMBRES DE LA COMPAGNIE AÉRIENNE «SWISSAIR»

Lundi 17 janvier 1986


  Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,

Vous êtes les bienvenus dans la Maison du Pape. Comment oublierais-je l’hospitalité que j’ai reçue dans plusieurs cantons de Suisse, au cours de mon voyage apostolique de juin 1984? J’ai, en particulier, apprécié l’accueil que vous m’avez vous-mêmes offert sur un avion de votre compagnie Swissair, de Sion à Rome, le dimanche 17 juin, et de même, au retour de ma visite au Liechtenstein, de Zurich à Rome, le 18 septembre dernier.

Vous avez ainsi contribué, pour ce qui est des transport, à résoudre aux mieux un des problèmes pratiques des voyages pastoraux que j’ai à coeur d’effectuer, car ils me permettent de recevoir sur place le témoignage de la vitalité des Eglise locales et de les affermir dans la foi et l’unité, tout en rencontrant la population heureuse d’être encouragée dans ses efforts de justice et de paix. Vous avez su agrémenter ce service professionnel d’un accueil de grande qualité, de conditions très confortables de transport et du choix d’itinéraires qui m’ont permis d’avoir une vue incomparable sur les paysages merveilleux de la Suisse et du Nord de l’Italie, des cimes enneigées aux campagnes chatoyants de couleurs.

Oui, je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée de redire ma vive gratitude à votre Compagnie. J’y joins mes meilleurs voeux pour l’accomplissement de vos responsabilités professionnelles, avec la compétence, le sang-froid et l’esprit de service qu’elles requièrent. Je forme aussi des souhaits cordiaux pour vos personnes, pour chacune de vos familles, pour vos collègues, en demandant à Dieu de vous guider et de vous protéger sur les chemins de la vie, pour que vous connaissiez le bonheur et la paix qui correspondent à sa volonté et à son amour.


AU NOUVEL AMBASSADEUR DE NORVÈGE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi 10 janvier 1986

  Monsieur l’Ambassadeur,

1. Au moment où vous inaugurez votre mission d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Royaume de Norvège auprès du Saint-Siège, je suis heureux de vous exprimer, avec ma salutation de bienvenue, les voeux cordiaux que je forme pour vous, pour l’accomplissement de votre haute tâche diplomatique, et pour le bonheur de tous ceux que vous représentez ici.

Ma pensée rejoint spécialement Sa Majesté le Roi Olav V qui vous voudrez bien remercier de l’aimable message dont il vous a chargé d’être l’interprète. Je forme pour lui et pour sa famille les meilleurs voeux de santé et de sérénité, priant Se Seigneur de l’aider à présider aux destinées du peuple norvégien, auquel je suis heureux d’exprimer également ma sympathie et mes souhaits cordiaux.

Lorsque votre prédécesseur présenta ses Lettres de créance comme premier Ambassadeur du Royaume de Norvège auprès du Saint-Siège, le 18 février 1983, j’avais parlé d’un moment historique de grand relief dans nos relations. Ces relations, au niveau diplomatique, sont maintenant bien enracinées, et Votre Excellence contribuera, j’en suis sûr, à les rendre toujours plus profondes et fructueuses.


2. Vous avez évoqué la période caractéristique du Moyen Age, où la vitalité religieuse et culturelle de la Norvège – je pense notamment à l’époque des sagas – eut un notable rayonnement sur la Scandinavie et sur une grande partie de l’Europe, prolongeant, sur un autre plan, les expéditions conquérantes de vos compatriotes normands. Et vous avez eu la bonté de relever les rapports sereins et féconds qui existaient alors avec l’Evêque de Rome et qui, en rehaussant le rôle de l’Eglise en votre pays, facilitaient la prise de conscience de vos valeurs propres et du sentiment national.

Ces valeurs humaines s’enracinent dans un patrimoine commun à l’Europe, profondément marqué par la foi chrétienne; en particulier, la belle figure du saint Roi Olav II symbolise à jamais l’attachement des Norvégiens au Christ, après le baptême de leur nation, voilà presque mille ans. Aujourd’hui, après la malheureuse division entre les chrétiens, qui a suivi la Réforme, le christianisme, dans le cadre de la confession luthérienne, demeure lié aux structures sociales du pays.



3. Votre Etat a su lutter à bien des reprises au cours de l’histoire pour maintenir son indépendance et chercher avec ténacité la prospérité du pays à tous égards. C’est désormais en tant qu’Etat moderne, que la Norvège a voulu établir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, de même qu’un grand nombre de pays dans le monde. En effet, la Norvège et le Siège Apostolique – reconnu avec sa personnalité juridique “sui generis” dans la communauté internationale – peuvent se rencontrer sur beaucoup d’objectifs semblables, très importants pour le développement vraiment humain des peuples, pour le service du bien commun qui incombe aux Gouvernants, et pour les relations d’équité et de paix à établir ou consolider entre les nations.

Vous avez vous-même évoqué la démocratie, l’égalité, la solidarité; vous avez fait une mention spéciale de la libre communication des idées et des personnes, dans la ligne du processus d’Helsinki, et notamment du libre exercice de la religion. Je sais gré à la Norvège d’apporter son appui sur ce point qui tient à coeur au Saint-Siège, comme à tous les pays attachés à une juste conception de la liberté. Il s’agit des droits fondamentaux de l’homme, qui demandent à être respectés par tous et en tous, et sans lesquels une civilisation ne mérite pas ce nom.



4. Cette exigence de la dignité de la personne ne permet pas de négliger, bien plus elle appelle – contrairement à l’individualisme qu’encouragent certaines sociétés de consommation – la promotion des hommes d’autres pays qui se débattent dans de lourdes difficultés de développement et de paix. La solidarité ne saurait demeurer un mot qui fait rêver; elle requiert des actions courageuses pour un nouvel ordre économique international; elle appelle une coopération, avec l’ensemble des nations représentées à l’Organisation des Nations Unies, et d’abord au niveau de la région et du continent. La récente rencontre avec le Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège (11 janvier 1986) m’a permis de développer longuement cet aspect de la valeur universelle de la paix. Et je sais que la Norvège a le souci d’une coopération élargie, dans le cadre du Conseil nordique et du Conseil de l’Europe.



5. Mais tous les projets humains concernant le bonheur des peuples et l’équité de leurs rapports ont besoin de s’appuyer, dans la conscience des citoyens et dans celle de leurs responsables aux divers niveaux – des éducateurs aux Gouvernants –, sur des valeurs spirituelles et morales dont vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, avez souligné l’importance. Précisément, vous savez bien que c’est le rôle propre du Saint-Siège d’aider à les promouvoir, puisque sa mission est avant tout d’ordre spirituel, comme témoin du message évangélique confié par le Christ à l’Apôtre Pierre et à ses frères. Avec les Evêques catholiques européens réunis récemment en symposium, j’évoquais le “modèle” de la société européenne actuelle avec ses aspects positifs et ses ombres: parfois l’homme, au milieu d’une surabondance de biens et de savoir, ne connaît plus le sens de sa vie et de sa dignité d’être créé à l’image de Dieu, les exigences de l’amour et de la stabilité dans la famille. Il ne saurait oublier que ses racines chrétiennes font partie intégrante de son identité et l’appellent à une nouvelle synthèse créatrice entre l’Evangile et les conditions actuelles de sa vie. Il s’agit là, outre la fidélité à la foi reçue, d’un service éminent à rendre à nos sociétés occidentales, dans le respect des consciences. Pour ma part, j’invite tous les catholiques à s’y employer, y compris ceux qui vivent chez vous, au diocèse d’Oslo, dans les prélatures de Trondheim et de Tromsö, et que je salue avec une particulière affection: ils sont en petit nombre, mais bien intégrés à la société norvégienne. D’ailleurs, les valeurs morales et spirituelles sont certainement l’objet de la même préoccupation dans les autres Eglises chrétiennes. Et c’est une raison supplémentaire de promouvoir l’oecuménisme, qui aide tous les chrétiens à se mieux comprendre, à se respecter, à travailler ensemble au bien de leurs frères, tout en préparant entre eux la pleine unité. C’est aussi à ce titre que je salue ici vos compatriotes qui appartiennent presque tous à l’Eglise luthérienne.



6. Monsieur l’Ambassadeur, vous représentez votre patrie et ses intérêts supérieurs. Je pense que les réflexions menées ici rejoignent en profondeur ces intérêts. Je vous renouvelle les voeux fervents que je forme pour votre mission auprès du Saint-Siège, pour tout le peuple norvégien, pour son Souverain et tous ses Gouvernants. Au milieu du long hiver qui fait aspirer vos compatriotes au retour de jours plus ensoleillés, que Dieu ne cesse de les combler de sa Lumière et de ses multiples dons pour leur permettre de vivre dans le bonheur et dans la paix conformes à sa volonté et à son amour!

AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

30 janvier 1986

1. C'est pour moi une grande joie de vous rencontrer chaque année, pour réaffirmer l'importance de votre ministère ecclésial et la nécessité de votre activité judiciaire; elle est service de la justice, elle est service de la vérité; un service rendu à Dieu, devant qui vous prononcez vos sentences, et un service au peuple de Dieu et à toute personne de bonne volonté qui s'adresse au tribunal de la Rote romaine.

Aussi j'adresse à chacun d'entre vous mon salut le plus cordial, qui est accompagné de sentiments de grande estime et de gratitude pour votre tâche, parfois difficile et lourde et cependant si nécessaire.

Je salue ensuite de manière particulière le nouveau doyen, Mgr Ernesto Fiore: et je forme des voeux pour qu'il contribue, avec votre diligente collaboration, à l'oeuvre constante d'adapter le tribunal aux besoins du monde actuel et aux nécessités pastorales de notre temps.

Je me rends compte des difficultés que vous devez affronter dans l'accomplissement de votre tâche, qui vous engage à trancher selon la loi canonique des questions et des problèmes concernant les droits subjectifs, qui impliquent en même temps la conscience de ceux qui s'adressent à vous. Souvent ils se retrouvent perdus et troublés devant les avis différents qui leur viennent de tous côtés. Je saisis aussi volontiers l'occasion de cette audience pour vous exhorter à un service de vraie charité à leur égard, assumant pleinement votre responsabilité devant Dieu, suprême législateur, qui ne manquera pas, si vous l'invoquez, de venir à votre aide par la lumière de sa grâce, pour que vous puissiez être à la hauteur des attentes que l'on met en vous.

2. Il me semble important aujourd'hui de souligner — comme je l'ai déjà fait dans le discours adressé aux cardinaux le 21 novembre dernier — la préoccupation de l'unité fondamentale avec le ministère de Pierre. A ce «munus Petrinum», la Curie romaine offre une collaboration qui est rendue toujours plus urgente, soit par l'importance des problèmes qui se posent dans le monde, soit par le devoir de maintenir une et catholique la profession de foi, soit encore par l'exigence d'orienter et de soutenir le peuple de Dieu dans la compréhension fidèle du magistère de l'Eglise. Ce service de l'unité est toujours plus nécessaire par le fait que l'Eglise s'étend à tant de pays et de continents divers et unit au trésor de la Révélation et de la foi chrétienne des cultures multiples et différentes, qui deviennent à leur tour meilleures dans la mesure où elles reconnaissent les valeurs dont le Verbe incarné est le défenseur et le garant, comme Fils du Père et Rédempteur de l'homme. L'homme doit entrer comme fils adoptif dans cette filiation divine pour être ainsi non seulement lui-même mais pour répondre toujours mieux aux intentions de Dieu, qui l'a créé à son image et à sa ressemblance.

Votre mission est grande! Elle doit maintenir, approfondir, défendre et éclairer ces valeurs divines que l'homme porte en lui comme instrument de l'amour divin. En tout homme, il y a un signe de Dieu à reconnaître, une manifestation de Dieu à mettre en relief, un mystère d'amour à exprimer en le vivant selon les vues de Dieu. Le sens du mariage chrétien

3. «Dieu est amour!» Cette simple affirmation de saint Jean (1Jn 4,8 1Jn 16) est la clef du mystère humain. Comme Dieu, l'homme aussi sera amour: il a besoin d'amour, il doit se sentir aimé et, pour être lui-même, il doit aimer, il doit se donner, il doit faire aimer cet amour. Dieu est Trinité d'amour: don réciproque du Père et du Fils qui aiment leur amour personnel, l'Esprit-Saint. Nous savons que ce mystère divin éclaire la nature et le sens profond du mariage chrétien, qui est la réalisation la plus parfaite du mariage naturel. Celui-ci, depuis le commencement, porte l'empreinte de Dieu: «Dieu créa l'homme à son image; mâle et femelle il les créa et il leur dit: Croissez et multipliez-vous!» (cf. Gn 1,27-28)

Tout mariage entre baptisés est un sacrement. Il est sacrement en vertu du baptême, qui introduit notre vie en celle de Dieu, nous rendant «participants de la nature divine» (2P 1,4), moyennant l'incorporation à son divin Fils, Verbe incarné, dans lequel nous ne formons qu'un seul corps, l'Eglise (cf. 1Co 10,17).

On comprend alors pourquoi l'amour du Christ envers l'Eglise a été comparé à l'amour indissoluble qui unit l'homme à la femme et comment il peut être efficacement signifié par ce grand sacrement qu'est le mariage chrétien, destiné à se développer dans la famille chrétienne, Eglise domestique (Lumen gentium LG 11), de la même manière que l'amour du Christ et de l'Eglise assure la communion ecclésiale, visible et porteuse dès maintenant des biens célestes (Lumen gentium LG 8).

Voici pourquoi le mariage chrétien est un sacrement qui opère une sorte de consécration à Dieu (Gaudium et spes GS 48 b); c'est un ministère de l'amour qui, par son témoignage, rend visible le sens de l'amour divin et la profondeur du don conjugal vécu dans la famille chrétienne; c'est un engagement de paternité et de maternité dont l'amour réciproque des personnes divines est la source, l'image infiniment parfaite, inégalable. Ce mystère s'affirmera et se réalisera par toute participation à la mission de l'Eglise, dans laquelle les époux chrétiens doivent donner la preuve de leur amour et témoigner de l'amour qu'ils vivent entre eux, avec et par leurs enfants, en cette cellule ecclésiale, fondamentale et irremplaçable qu'est la famille chrétienne.
Participation au ministère de Pierre

4. Si j'évoque devant vous la richesse et la profondeur du mariage chrétien, je le fais principalement pour souligner la beauté, la grandeur et l'étendue de votre mission, étant donné que la plus grande partie de votre travail concerne des causes matrimoniales. Votre travail est judiciaire, mais votre mission est évangélique, ecclésiale et sacerdotale, restant en même temps humanitaire et sociale.

Même si la validité d'un mariage suppose des éléments essentiels qui, sous le profil juridique, doivent être clairement exprimés et techniquement appliqués, il est toutefois nécessaire de considérer ces éléments dans leur pleine signification humaine et ecclésiale. En soulignant cet aspect théologique dans l'élaboration des sentences, vous offrirez la vision du mariage chrétien voulu par Dieu comme image divine et comme modèle et perfection de toute union conjugale humaine. Ceci vaut pour toute culture. La doctrine de l'Eglise ne se limite pas à son expression canonique et cette dernière — comme le veut le Concile Vatican II — doit être vue et comprise dans l'ampleur du mystère de l'Eglise (Optatam totius OT 16). Cette norme conciliaire souligne l'importance de droit ecclésial — ius ecclesiale — et en éclaire opportunément la nature de droit de communion, droit de charité, droit de l'Esprit.

5. Vos sentences, éclairées par ce mystère d'amour divin et humain, acquièrent une grande importance en participant — de manière vicaire — au ministère de Pierre. En effet, en son nom vous interrogez, vous jugez et vous prononcez la sentence. Il ne s'agit pas d'une simple délégation, mais d'une participation plus profonde à sa mission.

Sans doute, l'application du nouveau Code peut courir le risque d'interprétations innovatrices imprécises et incohérentes, particulièrement dans le cas de perturbations psychiques invalidant le consentement matrimonial (CIC 1095), ou dans celui de l'empêchement de dol (CIC 1098) et de l'erreur conditionnant la volonté (CIC 1099), comme aussi dans l'interprétation de certaines normes nouvelles de procédure.

Ce risque doit être couru et surmonté avec sérénité par une étude approfondie, soit de la portée réelle de la norme canonique, soit de toutes les circonstances concrètes qui entourent le cas, en maintenant vive la conscience de servir uniquement Dieu, l'Eglise et les âmes, sans céder à une mentalité permissive superficielle qui ne tient pas suffisamment compte des exigences, auxquelles on ne peut déroger, du mariage-sacrement.

La durée des procès

6. Je voudrais aussi dire un mot sur le fait qu'il serait utile que l'examen des causes ne se prolonge pas trop longtemps. Je sais très bien que la durée d'un procès ne dépend pas seulement des juges qui doivent décider: il y a bien d'autres motifs qui peuvent causer du retard. Mais vous, à qui a été confiée la tâche d'administrer la justice pour porter ainsi la paix intérieure à tant de fidèles, vous devez vous efforcer au maximum de faire en sorte que l'iter se déroule avec cette sollicitude que requiert le bien des âmes et que prescrit le nouveau Code de droit canonique quand il affirme: «Les causes ne se prolongeront pas plus d'une année devant le tribunal de première instance et, en deuxième instance, au-delà de six mois» (CIC 1453).

Qu'aucun fidèle ne puisse tirer prétexte de la durée excessive d'un procès pour renoncer à proposer sa propre cause ou pour se désister, choisissant des solutions en nette opposition avec la doctrine catholique.

7. Avant de conclure, je voudrais encore vous exhorter à voir votre service ecclésial dans le contexte général de l'activité des autres dicastères de la Curie romaine, avec une référence spéciale à ceux qui s'occupent de matières qui ont une relation avec l'activité judiciaire en général et en particulier avec ce qui regarde le mariage.

Il faut en outre tenir compte de l'influence de la Rote romaine sur l'activité des tribunaux ecclésiastiques régionaux et diocésains. La jurisprudence rotale, en particulier, a toujours été et doit continuer à être pour eux un point sûr de référence.

Le Studio de la Rote vous donne la possibilité de mettre votre doctrine et votre expérience judiciaire à la disposition de ceux qui se préparent à devenir juges ou avocats et de ceux qui veulent approfondir la connaissance du droit de l'Eglise. Grâce à cela, vous contribuez à la renaissance de l'intérêt pour l'étude du Code de droit canonique et vous fournissez l'occasion d'un approfondissement toujours plus grand de cette matière dans les facultés de droit canonique.

Aussi, de grand coeur, je vous exprime ma vive satisfaction pour votre travail sérieux et constant et je bénis vos efforts et votre ministère. Que Dieu, qui est amour, demeure toujours votre lumière, votre force, votre paix.



Février 1986

AUX PARTICIPANTS AU II CONGRÈS INTERNATIONAL SUR L'EXTERMINATION PAR LA MISÈRE ET PAR LA FAIM

Jeudi 13 février 1986


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

1. C’est avec plaisir que je vous accueille ici et que je vous salue. Avant même de commencer les travaux de votre deuxième Colloque international sur les thèmes de l’extermination par la misère et par la faim et de l’affirmation du droit a la vie et du droit a la liberté, vous me faites l’honneur de votre visite. Je vous en suis très reconnaissant. Parmi les participants de cette Assemblée hautement représentative, que je saluerai chacun personnellement à la fin de cette audience, je remercie particulièrement votre interprète des paroles chaleureuses qu’il vient de m’adresser.

J’y suis d’autant plus sensible que je vois dans votre démarche un hommage a l’oeuvre du Saint-Siège et de toute l’Eglise catholique pour la promotion de la vie humaine.

2. L’Eglise ne peut pas ne pas regarder d’un oeil favorable toute initiative qui concourt a informer et a former l’opinion publique, en faisant prendre conscience de la responsabilité commune en face du problème du sous-développement et de la faim dans le monde, de manière a avoir aussi une influence auprès des Etats et des Organisations internationales en vue de susciter de leur part un engagement plus efficace et plus coordonne dans la lutte contre ces fléaux de l’humanité.

Votre Colloque offre une occasion particulière de rencontre entre d’éminentes personnalités du monde entier, représentant les divers secteur de la politique, de la vie internationale, de la science et de l’économie. Grâce a la confrontation de vos diverses expériences, vous voulez ainsi élaborer des propositions déterminant, de façon plus précise, des objectifs et des moyens d’action susceptibles de favoriser le développement intégral de tout être humain et de tout peuple.

3. L’ampleur et l’urgence des problèmes requièrent en effet que soient adoptées sans tarder des mesures réalistes, permettant d’affronter concrètement et de façon responsable la situation terrible et pressante de la sous-alimentation et de la mortalité par la faim. De telles situations ne peuvent pas être surmontées par des initiatives épisodiques, mais par une action progressive et constante, réalisée dans chacun des pays et tendant a leur auto-développement, dans le cadre de la coresponsabilité de toutes les nations du monde.

De tels choix présupposent que l’on se place – comme vous le faites – dans la perspective des valeurs morales, notamment le droit a la vie, le droit aux libertés fondamentales, a la croissance et a la promotion intégrale de chaque personne humaine; et, par conséquent, le droit de chacun des membres de la communauté humaine et le droit de chaque peuple de disposer des moyens nécessaires pour une vie digne de l’homme.

Chaque nation peut considérer comme une exigence primordiale de disposer de toutes les conditions essentielles permettant un processus global de croissance, celles-ci étant reparties équitablement de manière a garantir la vie, la liberté et l’épanouissement de tous les membres de la communauté nationale.

Lorsque l’on veut lutter de manière concrète contre la misère et la faim, on ne peut donc se limiter a distribuer au moment opportun les aides nécessaires, ni a préparer des mesures visant a augmenter de façon adéquate la production. Il faut un engagement organique et de longue haleine qui affecte profondément les rapports entre les pays dont le degré de développement est différent. Il s’agit de rectifier jusque dans leurs fondements les situations de déséquilibre, qui existent de façon plus aiguë dans certaines zones du monde, entre populations et ressources.

En somme, disons qu’il importe d’agir sur les causes, identifiées dans leur diversité, selon leur genre et leur ampleur.

4. C’est pourquoi il est important de mettre en valeur – comme cela se fait très justement dans votre Colloque – l’apport qui vient de l’expérience d’hommes de gouvernement ou de personnes engagées dans les activités des Organisations internationales, aussi bien au niveau mondial que régional.

Une telle contribution apparaît indispensable, d’abord pour avoir une documentation, avec des éléments précis, sur les situations et les ressources; et aussi pour être en mesure de préparer des projets et des programmes valables. Il est nécessaire en effet que, sur le plan international et au niveau des décisions gouvernementales, on parvienne a des options opérationnelles précises, répondant a des besoins effectifs et tenant compte des possibilités concrètes de réalisation. Les contributions qui proviennent des initiatives de solidarité, nombreuses et généreuses, semblent bien aller en s’intensifiant; mais, en même temps, les diverses initiatives doivent être coordonnées et rendues plus efficaces, car il faut éviter tout double emploi ou toute dispersion, et il faut aussi les harmoniser avec les orientations et les choix d’une vraie politique de coopération au développement.

5. En définitive, la question est bien celle-ci: faire que tous les pays se sentent concernes de façon responsable et effective, les plus prospères devant prendre conscience de leur devoir de contribuer au progrès des pays moins bien pourvus, dans une mesure proportionnée a leur plus grandes possibilités.

En tenant compte des exigences de la liberté et de la dignité de chaque peuple, une authentique coopération au développement se réalise concrètement dans des programmes établis en accord avec les pays bénéficiaires, selon des modèles correspondant a leur culture, et mis en oeuvre dans le respect des rythmes et des possibilités locales, de manière a obtenir, dans toute la mesure du possible, la collaboration active de l’ensemble de la population.

Il s’agit, en un mot, de travailler ensemble pour le bien effectif des populations qui se trouvent dans des conditions de sous-développement, en cherchant a faire converger les initiatives publiques et privées, nationales et internationales, toutes animées d’un esprit sincère de solidarité. Il s’agit de dépasser les intérêts égoïstes des personnes et des groupes particuliers ou des entreprises particulières, comme d’ailleurs les préoccupations nationales intéressées qui se cachent parfois derrière les initiatives des Gouvernements, spécialement dans les opérations bilatérales.

6. Il faut enfin rappeler qu’un tel renouveau de l’orientation de la politique intérieure et internationale suppose un profond renouvellement des consciences, soit sur un plan général, au niveau de l’opinion publique, soit, de façon spéciale, chez les responsables appelés a prendre les décisions effectives et a les mettre en oeuvre.

Il est nécessaire de modifier les mentalités et les comportements qui contredisent les critères de justice dans la solidarité envers le prochain. Il est urgent d’arriver a dépasser l’installation dans une vie facile de surabondance; les habitudes de consommation superflues ou même dangereuses; les gaspillages dans des entreprises de caractère général et de prestige éphémère.

Il faut surmonter les causes des tensions internes et internationales, la logique perverse des divisions, la volonté de puissance, qui se traduisent entre autres par des activités dispendieuses d’armements, car tout cela compromet le processus de développement de certains pays – parfois a peine commence – et conditionne de manière négative le soutien des pays plus avances.

Il faut enfin travailler, avec lucidité et courage, a instaurer un nouvel ordre économique international.

7. Mais le profond changement que je viens d’évoquer demeurera stérile, s’il ne se fonde sur un respect plénier, un respect convaincu, de la dignité de l’homme, de tout homme.

Précisément, dans le programme de vos travaux, vous avez établi un lien étroit entre la lutte contre la misère et contre la faim et l’affirmation du droit a la vie et du droit a la liberté. Au cours de mon récent voyage pastoral en Inde, en recentrant a Madras les responsables des religions traditionnelles, j’ai exprime la même conviction: “L’abolition de conditions de vie inhumaines est une authentique victoire spirituelle, parce qu’elle donne a l’homme liberté et dignité”.

La promotion de la dignité et de la liberté de l’homme, qui sont des valeurs nettement évangéliques, est une dimensions essentielle de la mission de l’église. L’homme est en effet “la première route et la route fondamentale de l’Eglise, route tracée par le Christ lui-même”. C’est pourquoi l’Eglise ne se limite pas a la proclamation abstraite de telles valeurs, mais elle se préoccupe de rejoindre l’homme dans la réalité concrète de ses besoins et de ses souffrances, de ses angoisses et de ses espérances.

Ainsi, elle ne cesse de défendre de toutes ses forces la vie humaine, qui vient de Dieu. Permettez-moi de noter, avec peine, que, en face d’une sensibilité très vive et quasi sacrosainte devant les attentats a la vie qui sont le fait de la faim, de la guerre, du terrorisme, on ne trouve pas une sensibilité semblable devant l’attentat que constitue l’avortement, qui pourtant fauche d’innombrables vies innocentes.

En rappelant, par ailleurs, que le Christ s’est identifie avec celui qui souffre de la faim, de la soif, de la nudité et de toutes sortes de privations, l’Eglise se préoccupe de tous les hommes qui se débattent dans la misère et dans le sous-développement. La, elle se trouve elle-même en première ligne, elle montre a tout homme de bonne volonté l’urgence de lutter contre de telles conditions inhumaines, dans un engagement de justice qui est le fruit de l’amour fraternel.

Et l’Eglise ne peut s’empêcher d’être préoccupée par une autre faim: la “faim de liberté” d’hommes et de peuples opprimes pour des raisons politiques, idéologiques et raciales. La liberté est le propre de l’homme en tant que fils de Dieu; c’est un bien qui appartient a l’intimité inviolable de la personne et qui ne peut être foule aux pieds sans que la personne ne soit, en un certain sens, intérieurement mise a mort.

Telle est la contribution spécifique de la mission spirituelle et religieuse de l’Eglise: elle est résolue a l’offrir a tous ceux qui oeuvrent, aux divers niveaux de compétence et d’initiative, pour les grandes causes de l’homme qui constituent l’objet de votre Colloque.

C’est dans cet esprit que je désire vous assurer de mon intérêt, de mes encouragements, de mes voeux cordiaux pour vos travaux. Et j’invoque sur vos personnes et sur votre entreprise de solidarité humaine les bénédictions du Très-Haut.

Discours 1986 - Samedi 11 janvier 1986