Discours 1986 - Jeudi 13 février 1986


AUX ÉVÊQUES CHALDÉENS DE L'IRAK EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi 14 février 1986

Chers Frères dans l’épiscopat,

1. C’est avec joie que je vous reçois aujourd’hui, dans le même esprit de communion fraternelle que nous avons connu il y a cinq ans, lorsque vous étiez venus en visite “ad limina Apostolorum” pour la première fois. Vous étiez alors conduits par Sa Béatitude Paul II Cheikho, auquel j’adresse un salut fraternel et affectueux.

En vous accueillant, ma pensée va spontanément a l’Apôtre Thomas qui, suivant une tradition désormais presque bimillénaire, alla porter le message évangélique en Mésopotamie, ensuite en Inde, le grand pays ou je viens de me rendre en voyage pastoral, et “usque ad fines Sinarum”. Il est frappant que cet Apôtre, qui demanda a Jésus un témoignage direct et palpable de sa Résurrection, soit allé porter la foi plus loin que tous les autres Apôtres.

Notre rencontre, qui répond a ce que demande le droit, constitue un moment vraiment privilégié de communion ecclésiale pour vous, venus “x voir Pierre”, et pour moi, appelé a “confirmer mes frères”.

Les diocèses chaldéens se caractérisent souvent par le petit nombre de leurs fidèles, et ils ne bénéficient généralement que du ministère d’un clergé restreint, a l’exception du diocèse patriarcal de Bagdad ou se trouve une forte concentration de fidèles assistes de prêtres nombreux.

2. Il y a cinq ans, j’invitais l’Eglise chaldéenne a avancer dans la reforme liturgique, afin de mieux vivre les Mystères du Seigneur et de stimuler les fidèles a mieux goûter les choses de Dieu. C’est une tache d’abord confiée a vous, les Pasteurs de l’Eglise; mais elle a une grande importance pour le bien de vos prêtres zèles, des religieux et des religieuses, vos collaborateurs dans toute l’oeuvre d’évangélisation. Je renouvelle cette invitation a poursuivre activement l’oeuvre de la reforme liturgique dans l’esprit du Concile oecuménique et suivant les directives de la Congrégation pour les Eglises orientales.

Je partage votre souci de la formation des séminaristes C’est avec regret que j’ai appris la fermeture de l’illustre séminaire “Saint-Jean” a Mossoul. Cela vous engage encore plus, Frères vénères, a susciter des vocations et a suivre avec attention les candidats. Que le Seigneur accorde a votre Eglise une floraison de vocations ecclésiastiques!

Une autre grande tache se présente a vous comme un devoir: la reforme des Instituts religieux masculins et féminins. Le Concile Vatican II et le Saint-Siège ont donne des indications fort utiles en vue de l’ “aggiornamento” nécessaire des familles religieuses et pour la révision de leurs statuts. Je souhaite vivement que ce travail soit accompli, afin de donner a la vie monastique et religieuse un élan nouveau pour un témoignage plus vivant et plus profond de la perfection évangélique.

Je signale aussi la nécessité de conduire avec diligence l’administration de la justice au for ecclésiastique. Le fidèles ont le droit de demander ce service, et l’Eglise chaldéenne ne manque pas de prêtres bien préparés a cette tache.

La formation de l’ensemble des chrétiens n’est pas moins urgente, en particulier la catéchèse qui concerne les familles, que l’on considère a juste titre comme les Eglises domestiques. C’est en elles que la personne se réalise pleinement; c’est en elles que naissent et mûrissent les vocations religieuses. La famille demeure le lieu privilégié du bonheur des personnes, l’espace vital ou grandissent harmonieusement les enfants. Restez fidèles aux traditions saines de vos familles, dont les qualités d’unité et de fidélité sont bien connues de tous. Le sens de la solidarité et de l’hospitalité honore votre noble pays.

Je voudrais vous inviter, en particulier, a prendre les dispositions nécessaires pour vous rencontrer régulièrement, afin d’échanger entre vous – et aussi avec les autres Eveques catholiques du pays – vos expériences pastorales, de vous concerter sur les problèmes de la vie ecclésiale sur le plan national et sur le plan international. L’enseignement du Concile Vatican II vous le demande, et c’est le désir de l’Eglise: vous réaliserez mieux votre solidarité par un travail concerte, une réflexion approfondie, une expérience spirituelle stimulée par le dialogue.

3. Egalement, je vous encourage a intensifier vos rapports fraternels avec tous vos compatriotes: cela, l’esprit chrétien de charité et la situation de votre nation le demandent. Je ne puis oublier les épreuves que traversent actuellement tous les habitants de votre région, les conséquences douloureuses de la guerre, les souffrances qu’elle entraîne. Récemment, j’ai demande a Monsieur le Cardinal Etchegaray d’aller porter, notamment aux prisonniers, un message d’espérance et de paix. Je sais que vous l’avez accueilli chaleureusement. Aves vous, je continue a prier pour que le drame actuel trouve enfin une solution juste et équitable, pour que cesse ce conflit ruineux pour tous, pour que le Très-Haut dispose les esprits et les coeurs a la paix a laquelle les peuples aspirent.

Chers Frères dans l’épiscopat, je n’ai fait qu’évoquer les préoccupations pastorales qui sont pour vous des soucis que nous partageons, inspires par ce que saint Paul appelle “sollicitudo omnium Ecclesiarum”. Que le Seigneur soutienne votre action pastorale en ce temps d’épreuve qui se prolonge; et que le Christ Rédempteur accorde a tous la grâce de la réconciliation et de la paix! Le petit troupeau chrétien confie a votre sagesse et a votre responsabilité, qu’il soit un ferment de concorde et de fraternité!

Que le Seigneur vous donne largement sa lumière et sa force! Que la Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère, y dispose vos âmes!

Veuillez transmettre mon salut affectueux a Sa Béatitude Paul II Cheikho, que j’ai eu la joie de rencontrer au cours des travaux du Synode extraordinaire des évêques. Exprimez aux Autorités de votre pays mes voeux déférents de paix et de fraternité. Je voudrais saluer tous les fidèles de l’Eglise chaldéenne. Dites mes encouragements particuliers a vos prêtres, aux religieux et aux religieuses.

A tous, je donne ma Bénédiction Apostolique.


Avril 1986



RENCONTRE AVEC DES GROUPES DE JEUNES PROVENANT DE FRANCE, LUXEMBOURG ET BELGIQUE

Vendredi 4 avril 1986


Cher Monseigneur,

chers amis de l’archidiocèse de Rouen,

Je sais que comme vos aînés. vous venez approfondir votre connaissance et votre amour de l’Eglise, à Rome ou à Assise. Vous ne venez pas seulement voir les monuments, évoquer l’histoire, admirer l’art; mais vous venez méditer sur leur sens, faire une véritable retraite, retrouver les multiples témoignages de sainteté suscités par l’Esprit Saint au coeur de son Eglise, chez les chrétiens qui ont vécu à Rome ou qui y sont venus. Ces témoignages remontent jusqu’à celui des deux grands Apôtres Pierre et Paul, ou plutôt au Christ vivant qu’ils sont venus prêcher, donnant leur vie à cause de Lui.

Chers jeunes, je souhaite que se fortifie votre attachement à Jésus-Christ et à son Eglise. Le Successeur de Pierre est là pour vous confirmer dans cette foi, avec votre Evêque, pour unir les disciples de Jésus dans l’Eglise universelle, pour permettre à l’Eglise de répondre aux défis du monde moderne, qui cherche la lumière et l’amour tout en souffrant d’indifférence religieuse ou de doute. Redécouvrez les fondements de votre foi; plus encore, priez l’Esprit Saint de l’épanouir en vous. Soyez heureux et fiers de votre foi! Dieu, qui a ressuscité son Fils Jésus, vous veut, comme les disciples, dans la paix et dans la joie.

Mais le Christ vous dit comme à eux: je vous envoie. Soyez les témoins de Celui dont vous faites l’expérience, les témoins actifs de sa vérité, de sa charité. D’abord comme de jeunes laïcs chrétiens qui aident les autres à cheminer vers le Christ et bâtissent avec eux un monde renouvelé selon l’Esprit de Dieu. Et j’ajoute ceci: sûrement, le Seigneur appelle un certain nombre d’entre vous à consacrer toutes leurs forces, tout leur coeur à faire progresser le Royaume de Dieu, comme prêtres, religieux, religieuses. Ne craignez pas d’y penser, de vous préparer à cet appel. Une telle vocation est un grand don de Dieu; c’est une exigence et en même temps une source de joie profonde. C’est une mission indispensable au salut du monde, de vos frères et soeurs, comme le montre la vie exemplaire du Curé d’Ars, et vous savez que je viens d’inviter tous les prêtres du monde à le suivre. Ne voyez-vous pas, dans vos groupes, l’apport spécial des prêtres et des religieuses pour votre animation spirituelle?

Je salue aussi les autres jeunes de langue française, et le groupe paroissial "Chorale de Pierre" provenant de Bulle, en Suisse.

A tous, je dis: que le Seigneur vous donne sa lumière, sa force! Qu’il vous bénisse! Qu’il bénisse vos familles et tous vos camarades dont vous portez ici les intentions!



AUX REPRÉSENTANTS DE L’UNION MONDIALE DES ENSEIGNANTS CATHOLIQUES

Lundi 7 avril 1986


  Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de saluer en vous les nouveaux responsables et membres du Conseil général de l’Union Mondiale des Enseignants Catholiques, élus au Congrès de Toronto et rassemblés pour leur première réunion à Rome, auprès du centre de l’Eglise universelle.

Vous représentez des pays, des continents et surtout des univers culturels très variés, où les problèmes d’instruction et d’éducation se posent de façon diverse, soit dans les écoles confessionnelles et privées, soit dans les écoles d’Etat. Mais les principes de doctrine catholique que doivent promouvoir l’Union mondiale et les multiples associations nationales d’enseignements catholiques sont les mêmes. L’initiation des jeunes à l’instruction, à la culture, la préparation à leur avenir professionnel, la prise en charge de ceux qui connaissent des difficultés d’adaptation, surtout la formation morale et spirituelle de l’ensemble des jeunes, constituent un chantier immense, dont l’enjeu est capital pour la société de demain et pour l’Eglise.

Partout, les enseignants catholiques doivent y prendre leur part active, dans le respect des autres professeurs et des jeunes, pour apporter personnellement à leurs élèves leur compétence et leur savoir-faire éducatif; avec le témoignage de leur foi, tout en contribuant à créer dans leurs maisons d’éducation un climat qui donne aux jeunes le sens et le goût d’une vie droite, pure, généreuse, enracinée dans la foi et la prière.

Les enseignants catholiques doivent aussi promouvoir la liberté de l’enseignement pour que les parents aient la possibilité de choisir l’école et le type d’éducation correspondant à leurs convictions; de leur coté, les établissements catholiques doivent être à la hauteur de leur projet éducatif, y compris dans la proposition d’une catéchèse valable, comme je le disais le 5 novembre dernier à l’Office international de l’enseignement catholique (OIEC). Ainsi, vous apporterez un service appréciable aux familles et aux Eglises locales.

Il revient à votre Conseil d’encourager les taches que nous venons d’évoquer, dans les diverses associations locales, de stimuler les échanges, et d’harmoniser les engagements communs pour assurer une présence efficace auprès des Organisations internationales vouées à l’instruction et à la culture, ainsi qu’une collaboration avec les Organisations internationales catholiques et les organismes du Saint-Siège qui promeuvent l’éducation chrétienne.

Je me suis limité aujourd’hui à évoquer la mission des enseignants catholiques – au sujet de laquelle le Saint-Siège a souvent l’occasion de s’exprimer – pour vous apporter mes vifs encouragements. J’implore sur vos travaux l’aide de l’Esprit Saint, l’intercession de Notre Dame de la Sagesse. Je vous souhaite, à vous et à vos familles, la paix et la joie du Christ Ressuscité. De tout coeur je vous bénis et je bénis ceux qui oeuvrent avec vous au sein de 1’UMEC pour le service éducatif de la jeunesse.




AUX PARTICIPANTS AU SYMPOSIUM DU CONSEIL DES COMMISSIONS PRESBYTÉRALES EUROPÉENNES

Jeudi 10 avril 1986


  Chers Frères dans l’épiscopat,
chers Frères dans le sacerdoce,

1. Vous êtes les bienvenus dans la Maison du Pape. Je suis heureux de vous accueillir ici, au cours des travaux du cinquième symposium du Conseil des Commissions presbytérales européennes. Le premier témoignage que nous avons à donner n’est-il pas celui d’une communion ecclésiale profonde – de la pensée, du coeur, de la prière – entre prêtres et évêques, autour du successeur de Pierre?

L’initiative qu’ont prise les prêtres des Conseils presbytéraux d’Europe en voulant ces échanges et ces réflexions en commun avait certes besoin de mûrir, dans ce sens-là, pour servir vraiment l’Eglise, selon les orientations fondamentales exprimées par le Concile Vatican II et le Magistère ordinaire. Dans ces conditions, vos rassemblements peuvent apporter leur contribution à la grande oeuvre de l’évangélisation où sont impliqués en premier lieu les évêques, successeurs des Apôtres, les prêtres et les diacres, les religieux et les laïcs, chacun selon ses responsabilités et sa compétence, mais toujours dans le même Esprit, dans l’unité du Corps du Christ.

Cette année, vous avez abordé un thème qui me tient à coeur: “Le prêtre et les jeunes dans une Europe sécularisée”. C’est à ce thème, vous le savez, que j’avais consacré ma Lettre aux prêtres de toute l’Eglise le Jeudi Saint 1985, comme cette année j’ai mis sous leurs yeux le modèle du Curé d’Ars entièrement donné au salut des âmes. C’est ce zèle pour la foi et le salut des jeunes que nous devons faire nôtre, avec la grâce de Dieu.



2. Je ne peux m’étendre sur les causes de la déchristianisation des jeunes en Europe. Ce sera en partie le fruit de vos analyses. Vous scruterez, pour ce qui est des jeunes, les difficultés de croire, de prier, de vivre en Eglise, de conformer leur vie aux moeurs évangéliques; et en même temps les aspects positifs, les pierres d’attente, les aspirations religieuses dans ce monde sécularisé. Vous savez que les évêques d’Europe ont abordé un thème un peu semblable touchant l’évangélisation en général, dans leur sixième symposium, en octobre dernier. Les interventions, entre autres, du Cardinal Danneels, du Cardinal Hume et ma propre allocution ont posé des jalons afin de répondre au défi des différents athéismes, qui sont eux-mêmes atteints de faiblesses mais imprègnent encore profondément les mentalités, au moins dans la vie pratique, constituant autant d’obstacles, de tentations, de doutes à surmonter.

Cependant, les générations évoluent. Et les jeunes, dont le sort humain et spirituel vous préoccupe, comme prêtres, semblent bien différents des adultes qui atteignent maintenant la quarantaine et ont connu le mouvement de remise en question générale de 1968. Ils sont souvent à la recherche sincère de vraies raisons de vivre, éprouvent un grand désir de lumière, de sens, de solidarité, de dévouement, tout en connaissant des repliements sur soi, des doutes, des fragilités.



3. Nos contacts avec eux représentent une part importante de notre ministère, comme je le disais dans ma Lettre du Jeudi Saint de l’an passé. Nous devons être avec eux comme le Christ avec le jeune homme de l’Evangile: très accessibles, ouverts, bienveillants, disponibles, suscitant confiance et amitié pour accueillir leurs problèmes fondamentaux, leurs questions de conscience, pour les rejoindre tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts. Notre témoignage auprès d’eux ne doit pourtant rien avoir de démagogique, d’artificiel: il doit être le fruit de notre maturité spirituelle, de notre prière, de notre union avec le Christ que nous représentons auprès d’eux. Nous ne devons pas faire écran à Dieu: “Dieu seul est bon”. Nous devons savoir écouter et savoir répondre selon la vérité de l’Evangile, avec loyauté et patience, sans multiplier les détours, soucieux de susciter chez eux – avec l’Esprit Saint qui agit en eux – le désir du bien, de l’amour authentique, d’une vraie liberté, de la foi. C’est dire à quelle profondeur et avec quelles exigences il nous faut aimer les jeunes! Et si le contact pastoral a toujours un aspect personnel, s’il s’adresse à l’autre en l’appelant par son nom pour lui faire découvrir la Bonne Nouvelle et rechercher son salut, il vise aussi à le faire sortir de lui-même, à le situer dans une communauté de croyants, et à le rendre actif et missionnaire dans cette communauté.



4. Nous disions qu’il est important de rejoindre les jeunes au coeur de leurs soucis de vie pleinement humaine, dans leur besoin d’épanouissement corporel, intellectuel, spirituel, où le travail, le sport, les loisirs, la vie d’amitié, le dévouement social ont une large part. Je pense aussi aux valeurs humaines fondamentales de liberté authentique, de justice, de solidarité. Puisent-ils comprendre que la Bonne Nouvelle est le chemin de la liberté chrétienne et de la libération, selon les termes du tout récent document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi! L’action catholique, puis le Concile Vatican II, ont insisté sur cette éducation de tout l’homme et sur son engagement dans le monde, sans être du monde.

Mais les valeurs proprement religieuses doivent être tout autant recherchées et cultivées directement. N’hésitons pas à miser sur les capacités de foi, de prière, de relation authentique à Dieu, de service de Dieu que les jeunes portent en eux, et qui d’ailleurs se manifestent aujourd’hui avec plus de spontanéité et sans complexe. Ne dit-on pas souvent qu’il y a un retour du religieux? Il faut saisir cette chance, disons plutôt cette grâce de notre temps. C’est en partant de Jésus-Christ, de son Evangile, que l’on pourra le mieux transformer selon son Esprit toutes les sphères de la vie humaine, susciter les engagements les meilleurs de justice, de paix, de charité. Il s’agit de faire grandir en ces jeunes la vie divine qu’ils ont reçue, et qu’ils nourriront par la méditation de l’Evangile, la prière, les sacrements, l’amour fraternel. C’est dans ce contexte également que l’on éveillera les vocations sacerdotales et religieuses dont l’Eglise a tant besoin. Ils ne manquent pas, les jeunes qui pensent, un jour ou l’autre, consacrer au Seigneur leurs forces et leur coeur!



5. En définitive, croyons que ces jeunes sont capables d’un attachement personnel à Jésus-Christ. Ne séparons pas l’Esprit Saint – dont beaucoup redécouvrent la présence dans leur vie – de la personne de Jésus-Christ. Ne séparons pas Jésus-Christ de la personne du Père qu’il est venu révéler par toute sa vie et son enseignement. Et ne séparons pas Jésus-Christ de son Eglise, qui est son Corps. Apprenons à nos jeunes à aimer l’Eglise, comme le signe et l’instrument de la grâce du Christ, comme la communauté qui vit le mystère du Christ. Elle le fait avec ses faiblesses et ses limites, certes, mais aussi dans la joie de l’amour fraternel. Ne laissons pas nos jeunes voir seulement dans l’Eglise le coté institutionnel que la société actuelle leur a trop souvent appris à contester. Soyons humbles et réalistes, mais ne projetons pas sur eux les doutes et les critiques des adultes. Puisent-ils comprendre qu’ils sont l’Eglise! Puisent-ils communier à notre amour du Christ comme à notre amour de l’Eglise!



6. L’Eglise est communion. Le récent Synode des évêques l’a bien mis en lumière. Le premier témoignage que nous pouvons en donner, c’est celui de l’unité du presbyterium – des prêtres unis entre eux autour de leurs évêques dont ils sont les collaborateurs –, c’est celui de la collégialité des évêques unis entre eux autour de l’évêque de Rome. Une communion profonde, dans l’amour réciproque élargi aux dimensions de l’Eglise universelle, dans une prière solidaire, mais aussi dans l’adhésion à la même foi, dans l’accueil des mêmes exigences éthiques, dans l’acceptation de la discipline commune à l’ensemble de l’Eglise que les Dicastères romains ont la mission de sauvegarder et de promouvoir. C’est à l’intérieur de cette unité substantielle que chaque Eglise locale, chaque pasteur, peut et doit chercher les voies les plus adaptées pour toucher nos contemporains, présenter le message évangélique, aplanir le chemin de la foi et de la conversion, orienter vers une action concrète au service de l’Eglise et de la société. Il y a place pour toutes sortes d’initiatives que votre coeur de pasteurs saura trouver, en harmonie avec vos confrères, en communion avec votre évêque, avec le Saint-Siège, avec l’Eglise universelle.

Dans cet esprit, je vous exprime tous mes encouragements. Je prie le Christ ressuscité de vous donner sa paix et sa joie, avec l’abondance des dons du Saint-Esprit. Et de tout coeur, je vous bénis ainsi que les prêtres des Conseils presbytéraux que vous représentez.



À UN PÈLERINAGE FRANÇAIS

Vendredi 18 avril 1986



Monsieur le Cardinal,
Monseigneur l’Archevêque de Reims,
Mesdames et Messieurs,

Votre visite est pour moi un motif de joie ecclésiale. Au delà de ma personne, je suis sur que votre démarche est un témoignage d’attachement à l’Eglise du Christ confiée à l’Apôtre Pierre et à ses premiers compagnons du Collège apostolique, et pour laquelle Paul, “mis à part pour l’Evangile de Dieu” (Rm 1,1), s’est dépensé tout entier (cf. 2Co 12,15), allant jusqu’au martyre subi dans ce quartier de Rome, alors extra Urbem, maintenant appelé “Trois-Fontaines”.

Vous avez donc retrouvé les traces des voyages apostoliques de l’Apôtre Paul, au moins en partie, et de quelques-unes des communautés chrétiennes fondées par lui et ses coopérateurs. Vos guides, selon leurs compétences propres, vous ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Je les en félicite. Et vous, chers pèlerins, vous avez beaucoup reçu. Cette croisière dans le sillage de saint Paul continuera d’illuminer votre existence.

Permettez-moi de souligner brièvement un seul aspect du très riche enseignement paulinien: la conquête de la véritable liberté chrétienne dans une société très éprise d’indépendance de pensée et d’action, spécialement le monde hellénistique auquel l’Apôtre s’est souvent affronté. Notre époque, marquée par une sécularisation aux visages multiples, n’est pas sans analogie avec le temps de saint Paul. Or, vous allez retrouver demain vos milieux de vie respectifs. S’ils comportent assurément des éléments de valeur sur le plan humain et religieux, ils sont aussi imprégnés de courants d’idées et de moeurs sans référence à des normes objectives et fondées. Ces milieux ont déjà bénéfice de la clarté et de la vigueur de votre témoignage. Ils attendent davantage encore des signes concrets de votre liberté chrétienne.

La liberté chrétienne, selon saint Paul, spécialement dans ses Lettres aux Corinthiens, est d’abord consentement à la vérité. Ce point d’appui est indispensable pour qu’elle devienne fidélité vivante, créatrice, à l’amour de Dieu, en vue de l’achèvement de nos personnes toujours “en devenir”, en vue de la qualification de nos relations avec l’entourage habituel ou occasionnel. Les chrétiens, loin d’être en situation de liberté aliénée, sont libérés par le baptême et les autres sacrements et deviennent libres tout au long de leur itinéraire terrestre. A travers le quotidien, face à des événements prévus ou imprévus, ils ont sans cesse à décider de leur attitude humaine et religieuse. C’est à cela que l’Apôtre pense lorsqu’il parle des chrétiens éprouvant toutes choses, faisant acte de discernement, s’éprouvant eux-mêmes. Cette règle d’or paulinienne permet précisément de vivre la fidélité à Dieu, à soi-même et aux autres. Si l’on peut distinguer ces trois élans chrétiens, on ne peut les séparer. Leur triple union est comme une épiphanie de l’authenticité du projet libre, responsable – globalement ou en détail – adopté par les chrétiens. Liberté magnifique et difficile! Nous sommes humainement limités et religieusement trop peu spirituels. C’est pourquoi le recours à Dieu est vital. C’est aussi la raison d’une appartenance nécessaire et persévérante à une communauté de frères et de soeurs dans la foi, sous l’impulsion et l’autorité – qui est un service – de responsables.

Mon souhait profond, qui correspond à vos aspirations, est que vous soyez, chacun dans votre style et selon votre grâce, des hommes et des femmes libres, libres de la liberté chrétienne si bien présentée par l’Apôtre Paul et que tant de gens ignorent ou rejettent. Pour vous aider à être la lumière et le sel évangéliques, là où la divine Providence vous donne de vivre, je vous bénis de tout coeur.

AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE ORGANISÉ PAR L'INSTITUT POLONAIS DE CULTURE CHRÉTIENNE

Lundi 21 avril 1986

  Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat.
Chers amis,

1. Je me réjouis vivement d’accueillir ce matin les participants au Colloque sur “L’héritage chrétien de la culture européenne dans la conscience des contemporains”.

Vous êtes venus des horizons les plus divers de ce vaste continent, à l’invitation conjointe de l’Institut polonais de Culture chrétienne et du Conseil pontifical pour la Culture, pour réfléchir sur la vitalité spirituelle de la culture européenne, façonnée par deux millénaires d’expérience chrétienne. Or, la question que vous vous posez avec lucidité et courage est celle-ci: quelle conscience les Européens gardent-ils effectivement de leur héritage chrétien? Récemment, plusieurs Symposiums européens, à différents niveaux de responsabilités (évêques, prêtres), se sont aussi penchés sur cette question.

Le bilan, à première vue, semble comporter autant d’ombres que de lumières. D’une part, des milliers d’Européens donnent l’impression de vivre sans mémoire spirituelle, comme des héritiers ayant dilapidé leur patrimoine sacré. Combien d’hommes et de femmes, en effet, passent leur temps de travail et de loisirs sans aucune référence à l’Evangile ou à Dieu! Leurs joies, leurs épreuves, leurs espoirs paraissent enfermés dans un horizon terrestre et beaucoup semblent vivre et mourir dans un vide religieux. Cet agnosticisme pratique, cette indifférence tranquille, est, hélas, souvent le drame des sociétés économiquement les plus avancées, qui ont évacué le sacré de la vie quotidienne et n’ont pas encore appris à créer un espace religieux au coeur des cultures nouvelles. Combien de jeunes respirent et grandissent dans ce climat religieux, fait d’ignorance et de désintérêt envers le fait religieux!



2. Gardons-nous, cependant, de nous arrêter uniquement à l’aspect sombre du paysage humain et culturel de ce continent. D’abord, certains milieux, peut-être à cause des épreuves extérieures qui les atteignent, manifestent une remarquable fidélité à leurs racines spirituelles et une vitalité religieuse forte, vécue au niveau des familles et du peuple, et tournée vers l’avenir. Et surtout les voies de la Providence sont mystérieuses, et l’Esprit est toujours à l’oeuvre dans le secret des coeurs, les attirant à l’amour de l’Absolu, vers la justice, vers la paix. Des signes d’espérance et de réconfort ne manquent pas, si nous savons les discerner avec attention. Comment ne pas se réjouir, par exemple, de voir tant de chrétiens, en plusieurs pays d’Europe, s’engager avec générosité et intelligence dans ce projet prometteur qu’on appelle maintenant la nouvelle évangélisation? La foi vive de ces chrétiens est toute tendue vers un effort d’inculturation de l’Evangile qui ne manquera pas de porter ses fruits. La promesse de l’Evangile nous en donne la ferme assurance, ainsi que des signes déjà évidents du succès. Les Européens, si fiers de leur liberté, de leur créativité, de leur sens de la participation, possèdent des valeurs culturelles qui fécondées par l’esprit de Vatican II, hâteront la rencontre de l’Eglise avec les cultures émergentes.



3. Par ailleurs, reconnaissons-le, les épreuves et les divisions qui ont lacéré ce vieux continent constituent, elles aussi, une pressante invitation pour les Européens, les engageant à revenir aux sources de leur histoire, pour retrouver leur fraternité commune et leur culture indélébile. Tout en respectant le pluralisme des sociétés modernes, sachons redonner vie et signification à l’héritage chrétien de l’Europe. Héritage ne veut pas dire passé désuet, comme se l’imaginent trop de personnes qui ont tendance à voir le christianisme à travers certaines institutions vieillies et dépassée. Pour nous, qui en vivons, le patrimoine chrétien est toujours actif, et créateur de culture. Sachons, à travers un dialogue franc et courageux, revendiquer les libertés et les garanties indispensables pour que les chrétiens et tous les croyants puissent apporter leur contribution indispensable à la construction future de toutes les sociétés de ce continent, du nord au sud, et de l’est comme de l’ouest.

4. Vous avez raison de poser le problème en termes de conscience. L’Europe ne doit pas épuiser ses forces vives dans les seuls domaines économique, idéologique, politique ou militaire. L’enjeu décisif sera la qualité de la culture vécue au niveau de la conscience européenne. Voilà la frontière où se joue l’avenir de ce continent et, en un certain sens, du monde entier, car l’Europe occupe une place de premier plan dans la géographie culturelle du monde. Votre contribution déborde amplement la carte de l’Europe, et le travail de conscientisation culturelle, que vous saurez mettre en couvre, sera aussi au bénéfice de toute la communauté humaine.

5. J’encourage le Conseil pontifical pour la Culture et les organismes comme l’Institut polonais de Culture chrétienne à susciter de nombreuses rencontres comme celles-ci, où des hommes et des femmes prendront conscience que le destin de l’Europe, comme communauté humaine distincte, dépend de la vigueur qu’elle saura donner à sa culture. Hommes et femmes de culture, vous détenez un pouvoir immense sur les esprits et les âmes. Soyez les témoins avisés et convaincus de la mémoire chrétienne de ce continent et, par tous les moyens modernes, montrez aux jeunes générations le pouvoir toujours régénérateur de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Que votre foi, votre espérance, votre charité, nourries aux sources vives de l’Evangile, fassent de vous, et de tous ceux qui travaillent dans le même sens en diverses initiatives, des instruments privilégiés pour l’oeuvre urgente que constitue la nouvelle évangélisation de vos pays et de toute l’Europe, appelée à retrouver son âme et sa créativité spirituelle. La prospérité, la paix et le vrai développement humain de l’Europe en dépendent.

Ce souhait, je le formule, avec vous, devant le Seigneur dont j’implore sur chacun de vous la Bénédiction

AU PÈLERINAGE SUISSE DES «ASSOCIATIONS DE LA RUE»

Vendredi 25 avril 1986

  Monsieur le Syndic,
Chers pèlerins de Suisse,

Beaucoup parmi vous – je le sais et j’en suis très heureux – réalisent enfin un projet qui leur tenait à coeur: venir au centre de l’Eglise. Mon bonheur est à l’unisson du vôtre et doublé de la joie de vous accueillir dans la demeure du Pape. Vous m’avez si bien reçu, avec vos compatriotes, lorsqu’en juin 1984 j’ai visité Fribourg et aussi Zurich, Lugano, Genève, Berne, Fluëli, Einsiedeln, Lucerne et Sion. Merci beaucoup!

J’ai un souvenir particulier de la ville de Fribourg où les Autorités et la population m’avaient réservé un accueil festif, rehaussé des traditions du pays. Je suis heureux de saluer ce matin les Autorités communales de cette cité, à la tête de ce pèlerinage, et je suis sensible aux aimables paroles de Monsieur le Syndic.

Je souhaite que, pour chacun de vous, cette rencontre tout à fait familiale soit génératrice d’un plus grand bonheur de croire. C’est pourquoi mes encouragements porteront uniquement sur le trésor de la foi, reçu de l’Eglise par la médiation de vos familles et de vos paroisses. Trésor qu’il importe d’entretenir soigneusement à toute étape de votre itinéraire terrestre.

Cette foi que les Apôtres Pierre et Paul, martyrisés à Rome même, professaient en la personne de Jésus, en son message de vérité et de salut, vous la vivez déjà. Pourtant, elle requiert – à toute époque et sans doute davantage aujourd’hui – des efforts personnels et communautaires sans cesse renouvelés. Les disciples du Christ sont assurément entourés de frères et de soeurs dans la foi. Ils ont également à côtoyer des croyants d’autres Eglises ou d’autres religions, des indifférents, des opposants, sans parler des courants d’idées et de moeurs en rupture avec l’enseignement évangélique et la Tradition ecclésiale. Pour demeurer “fermes dans la foi”, les chrétiens sont véritablement dans l’obligation de veiller à une vigoureuse, à une saine alimentation de leur foi.

Chers pèlerins, il n’est jamais trop tard pour prendre ou reprendre la voie des approfondissements doctrinaux. Tant de livres excellents, de revues nourrissantes, de groupes de formation et de prière sont à votre disposition dans vos diocèses suisses pour éclairer et consolider votre attachement aux vérités du Credo, aux principes de la morale chrétienne, à l’histoire passée et présente de l’Eglise! Cette alimentation méthodique de la foi permet de discerner la vérité de l’erreur, de résister à des présentations simplistes que l’opinion publique ou les médias font souvent des questions religieuses, des événements actuels, des problèmes de société... Il semble que l’on assiste à une recherche de Dieu plus exigeante chez les chrétiens qui veulent être fidèles et témoigner. Je le constate à Rome et au cours de mes voyages apostoliques, parmi les jeunes et les adultes.

C’est bien cette foi, entretenue avec ardeur, qui conduit les baptisés et les confirmés à vivre en membres actifs de l’Eglise, à participer à sa mission d’évangélisation. Vous bénéficiez de l’aide de vos communautés paroissiales. Vos responsables – vos évêques, vos prêtres – attendent aussi votre coopération. Vous avez tous des talents et du temps à donner. Que de jeunes sont à catéchiser, que d’adolescents à guider vers une maturité chrétienne! Bien des malades et des personnes isolées attendent le réconfort de visiteurs animés de respect et de bonté évangéliques. La presse chrétienne a besoin de diffuseurs éclairés et persévérants. Les services caritatifs souhaitent avoir davantage de collaborateurs. La pastorale des familles ou des futurs foyers aimerait bénéficier du concours de couples chrétiens expérimentés. La gestion des finances paroissiales ou diocésaines a souvent recours à des gens qui ont travaillé ou exercent encore leur activité professionnelle en ce domaine. Les personnes en marge de la foi attendent, plus qu’on ne pense, votre témoignage discret et amical. La présence des chrétiens dans les instances chargées du bien commun est également très importante.

Vraiment, je souhaite que votre pèlerinage romain produise dans vos vies chrétiennes un nouveau printemps, pour votre profond bonheur, pour le bonheur et la vitalité des communautés humaines et chrétiennes de Suisse auxquelles vous appartenez. C’est dans ces sentiments que, en vous donnant ma Bénédiction Apostolique, j’invoque sur votre groupe, comme sur vos familles, vos paroisses et vos diocèses, d’abondantes grâces de foi en Jésus-Christ et de disponibilité au service de son Eglise.


Discours 1986 - Jeudi 13 février 1986