Discours 1986 - Mai 1986 DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II À LA «CENTRALE CHRÉTIENNE DE TRAVAILLEURS DU BOIS ET DU BÂTIMENT »

Mai 1986 DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II À LA «CENTRALE CHRÉTIENNE DE TRAVAILLEURS DU BOIS ET DU BÂTIMENT »

Vendredi 2 mai 1986



Monsieur le Président,
Chers amis,

Je remercie vivement votre Président de la présentation qu’il vient de faire de l’idéal qui inspire votre Centrale chrétienne de travailleurs du bois et du bâtiment, et de plusieurs de ses initiatives. Sensible à la confiance que vous manifestez envers le successeur de Pierre, je suis heureux de vous recevoir au lendemain de la fête de saint Joseph travailleur, que nous avons prié pour tous les travailleurs d’aujourd’hui, pour leur solidarité, pour la dignité de leur vie, sur le plan humain et chrétien.

Au siècle dernier, les travailleurs belges, qui, comme tant de leurs frères en Europe, ressentaient vivement le besoin d’obtenir la justice sociale pour eux et pour leurs familles, ont trouvé un appui considérable dans l’encyclique de Léon XIII. C’est en effet dans les quelques années qui ont suivi l’encyclique que sont nés les deux syndicats belges représentant les travailleurs du bois et ceux de la construction, qui se sont fondus trente ans après dans votre Centrale chrétienne. Vous savez que les Papes successifs n’ont cessé d’encourager votre action de syndicalistes, en souhaitant qu’elle garde son originalité chrétienne. Et c’est bien ce que vous avez su réaliser en Belgique.

Dans cette perspective chrétienne, votre engagement syndical, en effet, ne perd rien de sa vigueur, il se veut attentif à tous les droits et devoirs des travailleurs, à tout ce qui favorise de meilleures conditions de vie pour eux et pour leurs familles, non seulement les moyens matériels de vivre, mais les conditions de travail, l’intéressement au travail, la participation. En un mot la dignité du travail dont je parlais dans l’encyclique Laborem Exercens (LE 20). Pour ce qui est de la défense des droits, il s’agit bien d’une certaine lutte, mais d’une “lutte noble et raisonnée en vue de la justice et de la solidarité sociale” comme dit la récente Instruction sur la liberté chrétienne et la libération (LE 77). Il ne s’agit pas d’en faire une lutte de classes, une lutte contre d’autres, car la haine de classe n’est pas compatible avec les sentiments chrétiens. “Le chrétien préférera toujours la voie du dialogue et de la concertation”. Par ailleurs, il est plus réaliste de promouvoir une communauté de travail où chaque partenaire est reconnu avec sa responsabilité et où l’on prend conscience de la convergence des intérêts des uns et des autres. Il y a une solidarité entre tous les travailleurs du bois et du bâtiment, non seulement entre les travailleurs, mais entre tous ceux qui prennent part à la marche des entreprises. N’est-ce pas ensemble qu’il leur faut par exemple faire face au problème dramatique du chômage?

Ce que je tiens aussi à souligner dans votre action, c’est votre souci de préparer la formation des travailleurs. Vous le faites non seulement en Belgique, mais vous manifestez votre solidarité avec les travailleurs d’autres pays en soutenant leurs centres de formation

Oui, votre originalité de Centrale chrétienne est bien de chercher ensemble des améliorations sociales en vous appuyant sur les valeurs chrétiennes du travail, de la solidarité, de la justice, en référence à la dignité que chaque travailleur a dans le plan de Dieu.

Je sais que la Centrale chrétienne des travailleurs du bois et du bâtiment compte quelque deux cent mille membres. C’est à eux tous que je veux dire mes encouragements par votre délégation qui les représente aujourd’hui auprès du Pape. Et sur eux, comme sur chacun de vous, sur vos familles, j’implore la Bénédiction de Dieu qui éclaire et soutient ceux qui cherchent à vivre selon son esprit. Et de tout coeur je vous bénis.

DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II

AUX PARTICIPANTS AU 25ème CONGRÈS

INTERNATIONAL D'OPHTALMOLOGIE

Lundi 5 mai 1986

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

1. Votre désir de rencontrer le Pape au début de ce vingt cinquième Congrès international d’ophtalmologie me touche profondément et me donne à moi-même la joie de m’entretenir avec tant de savants, médecins et techniciens de la médecine, qui oeuvrent dans le monde entier pour la santé de l’homme, plus précisément pour préserver la merveilleuse faculté de voir que le Créateur lui a donné. Je remercie vivement votre Président de ses paroles et de son geste généreux d’hommage. Je suis heureux de saluer en même temps Mgr Fiorenzo Angelini, Pro-Président de la Commission pontificale pour la pastorale des services de la santé.

Votre Congrès revêt une portée d’autant plus importante que l’on se trouve en face de données contrastantes. D’une part les besoins demeurent immenses en ce domaine: on parle de quarante millions d’aveugles et ce nombre risque sans doute d’augmenter notablement dans les années à venir si l’on n’intervient pas avec résolution et concertation en certains pays où les maladies des yeux se font plus menaçantes. D’autre part, pourtant, on a l’impression de disposer de possibilités nouvelles d’agir efficacement, et vous êtes réunis précisément pour réaliser des échanges fructueux sur ces découvertes et sur ces expériences de soins dont vous êtes les auteurs, les coopérateurs ou les témoins, de façon à favoriser l’établissement de programmes communs d’intervention. En même temps, vous voudriez manifester votre disponibilité et votre engagement à collaborer avec ceux qui ont la responsabilité du bien commun et peuvent donner de plus grands moyens d’agir afin de réduire les causes de souffrance de l’homme.

Pour toutes ces raisons, comme mes prédécesseurs Pie XII et Paul VI, je suis heureux d’apporter mes encouragements chaleureux à l’oeuvre des ophtalmologistes.

2. Oui, au cours de ces dernières décennies, dans ce domaine si délicat et si complexe de la médecine, on est parvenu à bien des progrès étonnants. Les nouvelles techniques permettent déjà de résoudre avec une relative facilité et avec sécurité des problèmes que l’on considérait naguère comme insolubles. Elles favorisent des diagnostics précoces et des traitements adéquats, efficaces dans la mesure où ils sont réalisés à temps. Par ailleurs, les études en cours s’efforcent de toujours mieux connaître ce qui se produit à l’échelle cellulaire et dans le monde de l’infiniment petit des molécules: il deviendra ainsi possible de stopper dès leur apparition de nombreuses maladies graves, aujourd’hui incurables. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les deux thèmes de votre Congrès: les progrès technologiques en ophtalmologie et l’immunologie oculaire.

3. Tout ce progrès de la science et de la médecine sur le point qui est votre spécialité, est source d’une vive satisfaction et ouvre de grands espoirs puisqu’il se traduit dans la volonté d’offrir à l’homme un service authentique et on ne peut plus bénéfique.

En effet, est-il besoin de le souligner, le don de la vue est pour l’homme l’un des biens les plus précieux. Il lui permet de contempler directement les beautés de la nature et de communiquer avec les personnes dont l’âme se reflète sur le visage et dans le regard. Il facilite, par la lecture, la participation à la culture qui s’exprime en grande partie dans les livres et les écrits de toute sorte, comme aussi dans les moyens audio-visuels de plus en plus répandus. Il fournit de plus amples espaces à l’autonomie personnelle et il favorise une insertion normale dans la vie familiale, professionnelle et sociale. Comme dans les autres domaines de la santé, les bien portants qui n’ont pas de problèmes de vision ne se rendent peut-être pas suffisamment compte de ce don inouï.

On comprend, par contre, la souffrance de ceux qui sont lésés ou menacés dans un organe aussi important: leur désir d’y trouver un remède, une protection; l’espérance avec laquelle ils se tournent vers ceux qui peuvent leur apporter une aide, un soulagement; la joie et la reconnaissance avec lesquelles ils accueillent les bienfaits que la science et votre art sont en mesure de leur offrir.

Et vous, vous entendez mieux que d’autres cette interpellation de ceux qui craignent une diminution ou la disparition de leur possibilité de voir, ou qui en souffrent déjà. Vous êtes invités à partager leur angoisse et leurs espoirs.

Cette situation vous rapproche de ce que le Christ lui aussi a vu et entendu sur les chemins de Palestine où les aveugles étaient nombreux. Que de fois il a écouté leur cri plein de confiance, comme celui de l’aveugle de Jéricho: “Seigneur, fais que je recouvre la vue!” (Lc 18,41). Et Jésus s’est arrêté devant cette détresse en apportant aussitôt la guérison dont Dieu le Père lui donnait le pouvoir comme Fils unique.

Jésus a demandé aux hommes de s’arrêter ainsi devant la détresse de leurs proches, ou plutôt de se faire leur prochain, attentif et efficace. C’est tout le sens de la parabole du bon Samaritain: à la différence du prêtre et du lévite, il voit en toute vérité l’homme qui gît, blessé, seul abandonné sur le bord du chemin (cf. Lc 10,30-37); sans le connaître autrement que comme un homme dans le besoin, il le soigne avec tous les pauvres moyens à sa disposition, il lui permet de reprendre une vie normale. Et au jour du jugement, le Christ reconnaîtra comme ses disciples ceux qui auront su accueillir et secourir leurs frères dans le besoin, spécialement leurs frères malades (cf. Mt 24,36).

C’est dire que le Christ, et l’Eglise à la suite du Christ, considèrent avec estime et encouragement tout ce que vous faites pour soulager les misères des mal voyants. Grâce au génie inventif que Dieu a donné à l’homme pour connaître la nature et plus spécialement le corps humain dans sa structure extrêmement complexe et son équilibre délicat, grâce aussi à la solidarité qui unit les savants dans la mise en commun des découvertes, vous avez entre les mains des moyens prodigieux qui correspondent au plan d’amour de Dieu pour sa création. Votre oeuvre est bénie de Dieu. Et l’humanité vous en est reconnaissante. C’est dans ce sens que Pie XII exprimait une gratitude émue aux participants du trente-sixième congrès italien d’ophtalmologie, le 30 septembre 1947: “Vous êtes les bienfaiteurs insignes de l’humanité”.

4. La science et la foi ne s’opposent pas; je n’ai nullement besoin d’y insister devant vous. Le Concile Vatican II, dans la constitution Gaudium et Spes, et le Magistère à bien des reprises, l’ont affirmé. L’expérience des savants et des croyants, et je dirais même des savants croyants, le manifeste tous les jours dans notre monde moderne. La science et la foi, chacune avec son objectif et ses méthodes spécifiques, sont au service de l’homme. Elles convergent vers son bien.

Je m’arrête plutôt sur la nécessité où se trouve la médecine aujourd’hui de bien rester centrée sur l’homme lui-même, sur la personne humaine. Il y a deux écueils en effet qu’il s’agit d’éviter. D’une part, la médecine a du accepter une spécialisation de plus en plus accentuée et répandue; c’était légitime, c’était même une condition de son progrès, et c’est bien le cas de l’ophtalmologie. Mais le spécialiste ne devra jamais négliger une vision intégrale de la personne qui est un ensemble complexe, corporel et spirituel. D’autre part, l’organisation actuelle de l’activité médicale risque souvent de compromettre le rapport personnel avec le patient, en se transformant en une assistance anonyme, bureaucratique, basée sur les dossiers. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ces dangers, en invitant les médecins à ne pas oublier l’unité de la personne et à humaniser toujours davantage les prestations de leur service professionnel.

Les ophtalmologues, de par leur activité spécifique, se trouvent en un certain sens dans une situation privilégiée pour mieux neutraliser les dangers et affirmer les valeurs dont je viens de parler.. Ils savent bien, en effet, que l’oeil est un peu le miroir de la personne: le miroir de son corps certes, puisque dans l’oeil se manifestent un bon nombre de maladies infectieuses qui atteignent les autres organes et les autres fonctions; le miroir aussi de son esprit et de son âme, car dans l’oeil se reflètent et s’expriment les pensées et les sentiments du coeur. De la sorte, vous comprenez mieux que d’autres, même du point de vue anthropologique, ce que signifie dans les relations quotidiennes des personnes: regarder dans les yeux, savoir plonger son regard dans la personne elle-même, vue du dedans, en découvrir l’intime réalité psychologique et spirituelle, établir avec elle un contact profond et respectueux.

5. Mesdames et Messieurs, vous me permettrez de prolonger cette réflexion humaine, anthropologique, dans une perspective de foi, car la guérison de l’oeil peut être hautement symbolique d’une guérison plus fondamentale.

L’Evangile (cf. Mt 9,27 Mt 12,22 Mt 15,30 Mt 21,24 Mc 8,22 Lc 7,21 Lc 18,42) rapporte de nombreux cas de guérisons opérées par Jésus sur des aveugles. Mais tous les miracles réalisés par Jésus, comme signes de la bonté de Dieu qui s’approche de l’homme, signes du soulagement que Dieu veut pour l’homme, signes du Royaume messianique annoncé par les prophètes où “les aveugles voient” (Mt 11,5 Lc 16,18) ont toujours une portée spirituelle; ils sont même l’amorce d’un progrès plus décisif qui atteint tout l’homme, lorsqu’il accueille la foi. C’est pourquoi saint Jean décrit longuement la guérison de l’aveugle-né, car la guérison physique y est clairement associée à la guérison spirituelle; à la lumière des yeux s’ajoute la lumière de la foi (Jn 9).

Dans le symbolisme de la vue, le Christ dévoile le mystère du salut plénier de l’homme. La faculté de “voir” ne concerne pas seulement le corps mais aussi et surtout l’esprit. Le Christ a souvent reproché aux pharisiens leur cécité spirituelle; il s’est plaint de ce qu’ils avaient des yeux et ne voyaient point (cf. Mt 13,13). Lui-même est la Lumière véritable qui éclaire le monde (cf. Jn 1,5), et il ne craint pas de dire: “Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres” (Jn 8,12). Lui donner sa foi, croire en sa parole, à sa Bonne Nouvelle, c’est voir le monde autrement, comme Dieu le voit; c’est entrer dans un monde renouvelé. Une telle adhésion de foi peut sembler, à certains scientifiques, un pas difficile: elle suppose non seulement une connaissance des raisons de croire et la bonne volonté, mais aussi le consentement à recevoir d’un Autre la lumière que nous ne pouvons pas nous donner, elle suppose donc la grâce Dieu, demandée dans la prière; c’est oeuvre de l’Esprit Saint, et le ministère de l’Eglise y contribue.

Ainsi, tandis que l’Eglise continue oeuvre du Christ pour communiquer, de par sa mission salvifique, la lumière de la foi à tous ceux qui veulent bien l’accueillir dans le monde entier, on peut dire qu’il est réservé aux médecins de continuer l’action du Christ pour protéger les yeux et leur redonner la lumière.

En ce sens la tache des ophtalmologistes dépasse le cadre purement humanitaire: ils collaborent à leur façon à l’édification d’un monde nouveau. Avec le Christ, nous croyons que ce monde nouveau, amorcé ici-bas avec les guérisons corporelles et avec les guérisons spirituelles, trouvera sa pleine réalisation dans l’au-delà, par la grâce de Dieu. Alors l’homme trouvera finalement sa libération et son intégral; toute souffrance disparaîtra; il n’y aura même plus besoin de la lumière du soleil parce que tous seront enveloppés de la lumière de Dieu et le verront face à face (cf. Ap Ap 22,5 1Co 13,12).

Oui, tout progrès dans la vision correspond au désir le plus profond de l’homme: voir le monde merveilleux de la création, et voir finalement l’Auteur de la création.

Je prie le Dieu tout-puissant, Dieu de lumière et de miséricorde, de vous éclairer et de vous soutenir dans les travaux de votre Congrès, de rendre efficace votre recherche et votre action quotidienne au service des mal voyants. Qu’il comble de ses bénédictions vos personnes, vos familles et tous ceux qui vous sont chers.

AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE CAPITULAIRE

DES FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES

Vendredi 16 mai 1986

Chers Fils de saint Jean-Baptiste de la Salle,

1. Bénie soit la divine Providence, qui a rendu possible cette rencontre d’Eglise! Je salue chaque Frère capitulant et, à travers lui, le pays et les Maisons d’éducation qu’il représente. Votre famille lasallienne est encore nombreuse, elle compte en effet plus de neuf mille membres et au moins douze cents fondations. Permettez que je m’adresse spécialement au très cher Frère José Pablo Basterrechea: je tiens beaucoup à vous remercier au nom de l’Eglise. Pendant votre généralat, vous n’avez cessé de donner le meilleur de vous-même au service des fils de saint Jean-Baptiste de La Salle, comme au service des diocèses où ceux-ci coopèrent aux taches de l’évangélisation. Vous avez également apporté à la congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers une collaboration constante et très appréciée. Que le Seigneur soit votre récompense, en vous comblant de ses grâces! Et j’adresse mes voeux les plus fervents au nouveau Supérieur général qui vient d’être élu, le très cher Frère John Johnston, que j’assure de ma prière.

2. L’Assemblée capitulaire que vous avez voulu tenir à Rome vise à perfectionner encore le texte de vos Constitutions déjà rénovées selon les désirs du Concile Vatican II. Avec vous, je remercie Dieu pour ces semaines de prière, de réflexion, d’échanges fraternels, de décisions judicieuses. Je suis heureux de savoir que ce temps de grâce, pour vous et pour l’Institut tout entier, vous a souvent conduits aux sources vivifiantes des écrits laissés par votre Père.

Son idéal, en effet, loin d’être éclipsé par les trois siècles écoulés depuis la fondation de 1680, correspond parfaitement aux besoins de notre époque. Cet idéal requiert des disciples fascinés par Dieu et remplis d’enthousiasme pour l’éducation d’une jeunesse en quête du sens de l’existence, trop souvent abusée par la présentation de pseudo-vérités, pauvre d’amour authentique et permanent, insuffisamment initiée au Mystère de Dieu.

Ce n’est pas à vous qu’il est nécessaire de présenter le jeune chanoine prébendé de la cathédrale de Reims découvrant un peu avant la trentaine les besoins considérables de la jeunesse, surtout dans les milieux populaires, en matière d’instruction et d’éducation. Avec vous, je veux pourtant admirer sa profonde compassion pour les pauvres, son réalisme et son esprit méthodique, son équilibre et son enthousiasme et, pour couronner le tout, son courage évangélique. Autant de vertus qui ne furent jamais entamées par les épreuves de son itinéraire d’apôtre de la jeunesse. Je pense aux incompréhensions de sa propre famille, à certaines réticences de la hiérarchie, aux tracasseries de l’administration, à certaines défections dans les rangs de ses premiers Frères. Jean-Baptiste de La Salle connut même la souffrance intime du doute sur son oeuvre, sur lui-même. Tout cela, souvent, sinon toujours, constitue un chemin vers la sainteté. Cet homme supérieur, ce génie de l’éducation, peut nous sembler à la fois très proche et très loin devant nous. Il est un fruit magnifique de la grâce divine agissant sans entraves dans la nature humaine. Il fait penser au soleil qui fait chanter les couleurs des célèbres verrières des cathédrales du Moyen Age.

3. Avec la plus grande joie, j’ai remarqué que votre Assemblée visait d’abord à une relance de la dimension contemplative de votre vie consacrée. Puissent les oratoires ou autres lieux de prière de vos Maisons être davantage encore le foyer brûlant, l’épicentre de votre mission quotidienne! Passages rapides et stations prolongées, méditation personnelle et célébrations communautaires: tous ces modes de fréquentation du Seigneur pour Lui-même purifient, éclairent, fortifient la vocation des Frères et leur service d’Eglise. Lorsque Dieu est véritablement premier servi dans une communauté religieuse, lorsque sa Parole et ses inspirations sont cherchées, accueillies, avec ferveur et sans fébrilité, le déploiement de la vie communautaire et apostolique en est profondément marqué. Saint Jean-Baptiste de La Salle vous appelle aujourd’hui encore à ces relations assidues avec le Seigneur: moyen privilégié pour rénover en permanence votre regard sur les jeunes, sur la dignité de chacun d’eux singulièrement anoblie par la grâce baptismale, sur leur destin unique dans le plan de la divine Providence. La qualité de votre vie spirituelle est également déterminante pour parvenir à aimer tous ces jeunes avec le coeur de Dieu, avec sa patience, sa tendresse et sa force, dans la transparence la plus entière et un esprit évangélique de désintéressement que Dieu seul peut communiquer aux éducateurs.

4. Cela dit, le réalisme et la créativité de votre Fondateur ne peuvent que vous inciter à mettre au point des structures éducatives nouvelles ou du moins renouvelées. Il demeure que l’objectif essentiel pour saint Jean-Baptiste et pour ses fils, comme pour toute école catholique, est bien l’évangélisation de l’intelligence. Vous êtes, je le sais, préoccupés par la place et la qualité de la catéchèse. Les disciplines scolaires n’ont jamais été négligées par les Frères de La Salle. Votre réputation et le succès de vos établissements le prouvent abondamment. Contribuez encore mieux, si possible, à manifester le caractère spécifique de l’école catholique. Celle-ci doit tout faire pour que l’Evangile du Christ soit une source de lumière et de discernement, capable d’aider les jeunes à prendre du recul face aux présentations et aux données surabondantes de la culture moderne, pour les juger selon la véritable échelle des valeurs. L’Evangile est la Vérité, la seule Vérité qui rejoint l’homme dans toute sa dimension.

5. Enfin, j’encourage très vivement, dans toutes les écoles, la concertation des Frères avec les laïcs qui partagent l’idéal lasallien. Vous avez besoin du concours qualifié d’hommes et de femmes, capables d’apporter beaucoup à la vitalité des établissements. Que cette collaboration soit sans équivoque! Je veux dire que les responsables ont, sur le plan de l’engagement des membres laïcs du corps enseignant, de très graves responsabilités. Le projet éducatif chrétien doit être porté par tous. Il peut arriver que les directions, avec le respect et la justice qui s’imposent, soient conduites à aider tel ou tel enseignant à renoncer de lui-même à un contrat qu’il ne peut intégralement assumer.

6. Ce renforcement d’unité d’optique et d’action entre les Frères et les Laïcs enseignants d’une part, les familles qui choisissent vos établissements et les anciens élèves d’autre part, favorisera la mise en oeuvre plus accentuée d’orientations souhaitées par votre Chapitre et que l’Eglise approuve: le souci et le service des milieux pauvres, la promotion de la justice sociale selon les enseignements du Magistère ecclésial et grâce aux engagements concrets des familles et des anciens de vos Institutions, le soutien plus marqué aux Eglises de fondation récente aux prises avec de nombreux problèmes éducatifs et autres. Partout où vous êtes, aidez au développement et à la qualification des Associations de parents d’élèves, à l’efficacité des Amicales d’anciens élèves. En agissant ainsi, vous contribuez à la visibilité et au rayonnement de l’Eglise. Celle-ci ne vise aucun monopole éducatif. Elle veut seulement le respect de ses droits et du droit sacré des familles, à savoir de maintenir et de perfectionner, d’ouvrir largement et judicieusement, un type d’école inspiré des valeurs de l’Evangile.

7. Chers Frères, même si vous sentez un certain vieillissement de vos communautés et la souffrance d’une relève encore sporadique, repartez de ce Chapitre avec le courage et l’enthousiasme de saint Jean-Baptiste de La Salle. Au fond, les jeunes de ce temps sont plus abordables et réceptifs qu’une certaine opinion tendrait à le faire croire. Les signes d’une génération nouvelle, saine, assoiffée de vérité sans détour, d’amour fraternel exigeant, nous sont donnés sur tous les continents. Sans porter la moindre atteinte à d’autres responsabilités humaines également nécessaires et courageusement vécues, on peut dire que vous avez une des plus belles vocations: celle qui consiste, en étroite union avec Dieu lui-même, à faire émerger et grandir la personnalité des jeunes qui vous sont confiées, pour le service de la société et pour la gloire du Seigneur.

Que l’Esprit de Pentecôte et que Marie, appelée “Sedes Sapientiae”, vous soient en aide dans votre vie religieuse et apostolique! Je suis heureux de vous bénir, vous et la grande famille lasallienne, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

AUX MEMBRES DE L’«ASSOCIATION DES PARENTS D’ÉLÈVES DE L’ENSEIGNEMENT LIBRE» DE MARSEILLE

Vendredi 16 mai 1986

Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Au cours de votre voyage à Rome, vous avez tenu à me rencontrer. Volontiers le Pape vous accueille quelques instants dans sa maison et forme des voeux cordiaux pour chacun d’entre vous.

Jeunes des établissements catholiques de la région de Marseille, je ne doute pas que vous bénéficiez chez vous d’une formation humaine et professionnelle de qualité, d’une éducation aux valeurs morales qui vous permettra de faire le meilleur usage de votre liberté et de structurer votre personnalité dans le sens du bien, du vrai, du beau, de l’amour authentique. J’espère aussi que vous y recevez une catéchèse dans laquelle se réalise l’approfondissement de votre foi au rythme de vos études et de vos responsabilités humaines. Je souhaite alors que le témoignage de l’Eglise, tel que vous le découvrez maintenant à Rome, fortifie cette foi et vous donne de “répondre à quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous”, comme l’écrivait ici même l’Apôtre Pierre (cf. 1P 3,15).

Pour vous, éducateurs chrétiens, qui avez la magnifique vocation d’accompagner ces jeunes durant leur formation, avec la confiance, la bonté patiente et la fermeté nécessaires, je souhaite que votre engagement courageux porte les meilleurs fruits.

Et avec vous, parents, j’espère que vous trouvez, dans les milieux scolaires que vous avez choisis conformément à vos convictions, le soutien que vous pouvez en attendre pour une éducation dont vous demeurez les premiers responsables, et je vous encourage à y participer activement, à votre niveau.

J’ai eu souvent l’occasion ces derniers temps, d’exprimer la pensée et les encouragements de l’Eglise pour les enseignants catholiques et pour les parents d’élèves, que ce soit à l’échelon national ou international, en particulier dans l’audience du 5 novembre 1985 aux membres de l’Office International de l’Enseignement Catholique (OIEC). Vous en savez sûrement l’essentiel, vous qui adhérez à l’Association des Parents d’Elèves de l’Enseignement Libre (APEL). Il vous revient de soutenir la liberté de choix des parents pour l’éducation morale et spirituelle de leurs enfants, d’en rechercher les possibilités réelles et justes auprès de toutes les instances concernées et notamment auprès des pouvoirs publics, de favoriser le respect des consciences, de veiller en même temps à la qualité des établissements catholiques, de leur projet éducatif mis en oeuvre par une équipe éducative qui en accepte le contrat, d’assurer l’atmosphère chrétienne qui préside à cette éducation, avec une initiation explicite à la foi chrétienne pour les élèves catholiques, de réaliser enfin les coopérations nécessaires entre éducateurs, parents et élèves. Sur tout cela, je sais que vous veillez avec attention, en union avec la Fédération nationale des APEL et la Commission épiscopale de l’enseignement catholique.

Je demande à l’Esprit Saint d’inspirer toujours votre action, de la soutenir, afin que les jeunes, comme les adultes qui les accompagnent, accueillent la lumière, la force et l’amour, ces dons de Dieu que nous implorons tous en ce temps préparatoire à la Pentecôte. Et je vous bénis de tout coeur

À L’UNION INTERNATIONALE DES SUPÉRIEURES GÉNÉRALES

Jeudi 22 mai 1986

Chères Soeurs,

1. C’est pour moi une joie toujours renouvelée de retrouver les déléguées des Supérieures générales des religieuses du monde entier, de leur manifester la profonde reconnaissance de l’Eglise pour le témoignage évangélique que donnent leurs Soeurs par leur propre vie et par leur collaboration au Règne du Christ. Mais je vois dans la rencontre d’aujourd’hui une double circonstance qui en accroît l’intérêt.

Tout d’abord cette rencontre a lieu dans la semaine de la Pentecôte qui couronne le mystère pascal: l’Esprit Saint vient consommer l’oeuvre accomplie par le Christ au cours de sa vie terrestre. Après le retour au Père du Verbe Incarné, l’Esprit Saint, qui procède du Père et du Fils et qui donne la vie, nous est envoyé pour nous sanctifier. Par ailleurs, le thème de vos travaux sur la formation des religieuses de vie apostolique à la prière est en pleine harmonie avec cette période liturgique.

2. Aussi, je tiens à vous féliciter vivement de ce choix et je vous encourage en même temps à l’approfondir de telle sorte que les membres de vos Instituts en vivent toujours plus pleinement. La prière est en effet le grand acte spirituel qui exprime de façon fondamentale la dépendance de l’âme à l’égard de la Providence créatrice, à l’égard du Seigneur qui nous a rachetés: nous vivons continuellement de sa grâce, dans la supplication et dans la disponibilité foncière de l’âme.

Et l’on peut dire aussi que la prière chrétienne est une participation à la prière du Christ. Les évangélistes nous présentent Jésus comme un homme de prière, modèle parfait de dialogue avec Dieu. Sa parole nous enseigne ce qu’est la prière, et sa vie nous indique comment réaliser et vivre ce rapport filial. Le Christ est, en effet, d’abord l’homme de Dieu, qui révèle et glorifie Dieu, comme Fils unique totalement donné à la réalisation de l’oeuvre de son Père.

Le Concile Vatican II a parlé de la primauté de vie spirituelle pour les âmes consacrées, souhaitant, que, à la suite du Christ, les religieuses “qui professent les conseils évangéliques, cherchent Dieu et l’aiment avant tout, Lui qui nous a aimés le premier (1Jn 4,10), et s’appliquent en toutes circonstances à se tenir dans la vie cachée en Dieu avec le Christ, d’où s’épanche et se fait pressante la dilection du prochain pour le salut du monde et l’édification de l’Eglise” (Perfectae Caritatis PC 6).

Un regard superficiel tend parfois a opposer contemplation et action, comme s’il s’agissait de deux vocations différentes dont l’une exclurait l’autre. La référence à l’Evangile montre au contraire que, si le Christ se donne pleinement aux foules qui le cherchent guérissant les malades, soulageant leurs infirmités, sans ménager son temps ni sa peine, il passe aussi de longues heures dans des lieux écartés où il se livre à la prière.

A l’heure actuelle, il est réconfortant de constater que les jeunes redécouvrent le sens de la prière et comprennent sa nécessité. Si la prière est un élément fondamental de toute vie chrétienne, pour les religieux elle est une manifestation privilégiée de leur union avec Dieu et de leur générosité à son service. C’est également, nous le savons bien, un acte difficile, un chemin exigeant et parfois austère, où l’on cherche à progresser, humblement, avec la grâce de Dieu, comme un disciple qui a les yeux fixés sur son Seigneur, soutenu aussi par l’exemple des maîtres spirituels.

3. Les communautés religieuses doivent donc être de véritables écoles de prière, présentant les conditions indispensables à l’entrée en contact avec le Seigneur. Les candidates qui se présentent dans vos familles religieuses doivent y trouver un climat fait de recueillement, de silence, de vie simple et pauvre favorisant le don d’elles-mêmes dans la joie, de discipline personnelle qui leur permette d’entendre la voix du Maître intérieur. Par un détachement progressif d’elles-mêmes, l’acceptation de leurs compagnes dans une communion fraternelle basée sur le pardon réciproque des défaillances, les jeunes Soeurs adopteront peu à peu les perspectives et les rythmes d’une vie apostolique réalisée selon l’esprit propre de vos Instituts.

La prière personnelle des religieuses s’exprime dans l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu, dans la communion à la vie divine transmise par les sacrements – je pense spécialement à l’Eucharistie et aussi au sacrement de la réconciliation –, dans l’oraison silencieuse, dans le désir constant de la recherche de Dieu et de sa volonté dans les événements et les personnes.

Elle trouvera aussi une expression de choix et un stimulant dans la prière communautaire. Une communauté religieuse priante constitue un lieu où se réalise en vérité la promesse du Christ: “Là où deux ou trois se réunissent en mon nom, je suis au milieu d’eux” (Mt 18,19). Depuis le Concile, tous vos Instituts ont accompli des efforts remarquables et louables pour appliquer la réforme liturgique. Votre action et celle des formatrices pour améliorer la qualité de la vie liturgique dans vos communautés apportent un élément de premier plan en faveur de la prière de vos Soeurs.

4. Une telle prière personnelle et communautaire sera nécessairement une prière apostolique. La prière apostolique ne signifie pas une simple identification du travail et de la prière. Le travail ne devient prière que si la personne qui le réalise sait l’interrompre régulièrement pour se livrer à la prière, de manière à vivre le travail et les efforts apostoliques en union avec Dieu, pour Dieu, à son service, en toute disponibilité à son plan de salut, et à porter dans la prière elle-même la sollicitude pour les âmes.

La consécration religieuse, par elle-même, est une façon de participer, en profondeur, à la mission salvifique du Christ. Vous vous souvenez de la prière sacerdotale de Jésus: “Père.. comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité” (Jn 17,18-19). Cette consécration signifie sanctification, offrande sacrificielle et spirituelle, disponibilité totale à la volonté du Père, afin que, par ce don plénier, le salut atteigne tous les hommes. De même, les âmes consacrées s’offrent au Christ dans la prière et dans l’apostolat pour que progresse l’oeuvre missionnaire, dont le but est l’adhésion à la foi et la conversion.

A l’heure actuelle, je me réjouis de constater que vos Instituts ont le souci d’être présents aux pauvres dans lesquels ils reconnaissent le Christ. Mais pour reconnaître le Christ dans le pauvre, il faut d’abord le rencontrer et le connaître dans la prière: l’activité pour le Seigneur ne doit jamais faire oublier celui qui demeure le Seigneur de l’activité, qui lui donne par l’Esprit Saint son fruit authentique.

Le Code de droit canonique, fidèle interprète des enseignements conciliaires, le rappelle parfaitement: « L’apostolat de tous les religieux consiste d’abord dans le témoignage de leur vie consacrée qu’ils sont tenus d’entretenir par la prière et la pénitence” (CIC 673).

C’est pourquoi, dans le rythme si épuisant de vos engagements apostoliques, la prière personnelle et communautaire devra avoir des moments quotidiens et hebdomadaires bien soignés et suffisamment prolongés. Ces moments constitueront en même temps une précieuse occasion d’entretenir chez les Soeurs le souci de renouveler constamment le don d’elles-mêmes au Seigneur pour la réalisation de leur mission ecclésiale, dans une fidélité aimante et généreuse à leur vocation et aux enseignements du Magistère de l’Eglise.

Que l’Esprit Saint, le Don de Dieu, fortifie en vous cette disposition au don. Et que la Vierge Marie, qui accompagnait les Apôtres au Cénacle pour attendre l’Esprit Saint dans la prière, soit constamment votre modèle et votre soutien. Je le lui demande pour vous-mêmes, pour chacune de vos Soeurs, spécialement pour celles atteintes par les infirmités ou la maladie, et je vous bénis de tout coeur.

Discours 1986 - Mai 1986 DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II À LA «CENTRALE CHRÉTIENNE DE TRAVAILLEURS DU BOIS ET DU BÂTIMENT »