Discours 1986 - Jeudi 22 mai 1986



À UN GROUPE D'ANCIEN-COMBATTANTS

DE LA «PREMIÈRE DIVISION FRANÇAISE LIBRE»

Lundi 26 mai 1986

Messieurs,
Mesdames,



1. VOILÀ 42 ANS, un bon nombre d’entre vous passaient près d’ici: ils remontaient la péninsule de l’Italie, du sud au nord, comme combattants de la première Division française libre. Vous n’aviez pas voulu capituler devant ceux qui, au moyen de la force militaire, avaient humilié votre pays et le privaient en partie de liberté. Votre longue marche avait commencé en Afrique, elle vous menait, aux cotés de vos Alliés, sur les champs de bataille de l’Italie, avant de reconquérir et libérer la France. Aujourd’hui, accompagnés de vos familles et amis que je salue avec vous, vous aimez parcourir à nouveau, en pèlerins émus, ces lieux où une partie de votre vie et de votre coeur est restée attachée. Et, en cette étape romaine, vous avez manifesté le désir de me rencontrer. Je vous remercie de cette démarche confiante.

Je soulignerai seulement que l’entretien de ce souvenir est important à plusieurs titres: pour vous, pour ceux qui sont morts, pour les nouvelles générations, et pour votre propre itinéraire spirituel.



2. Pour vous, c’est une expérience à la fois dramatique et réconfortante que vous revivez. Le temps n’effacera jamais le caractère tragique, cruel, inhumain de ces combats féroces, où vous risquiez souvent votre vie. La seconde guerre mondiale a fait tant de victimes, tant de destructions qu’elle ne peut entraîner qu’un seul souhait: que jamais plus ne se reproduise un tel désastre dont tant de nations ont souffert, à commencer par l’Europe.

Mais d’un autre coté, à l’intérieur de ce monde marqué par la violence, la souffrance, la haine et tant de misères, vous avez fait des expériences positives; vous avez vécu d’authentiques valeurs humaines et morales. Vous étiez animés d’un grand élan, parce que vous vouliez redonner à vos compatriotes, aux peuples européens, les conditions de paix, de liberté, de justice qui font la dignité des hommes. Cela vous rendait capables de dévouement, d’esprit de sacrifice, poussé parfois jusqu’à l’héroïsme. Et entre vous, s’établissaient une amitié, une solidarité tout à fait spéciales, sans compter une ouverture par-dessus les frontières entre soldats français, italiens, polonais, britanniques et autres. Ce courage et ces vertus vous ont forgé une âme qui a peut-être marqué le reste de votre vie. Et il est bon que vos familles et amis soient initiés aussi à cette expérience.



3. Mais beaucoup de vos camarades sont morts dans ces combats. Les cimetières demeurent des témoins permanents de cette cruauté de la guerre et du sacrifice consenti par ces hommes souvent jeunes encore, qui ont donné leur vie pour affirmer un droit et une liberté pour eux-mêmes et pour les autres (cf. Ioannis Pauli PP. II Nuntius televisificus Urbi et Orbi missus occasione Dominicae Paschatis in Resurretione Domini, die 7 apr. 1985: Enseignements de Jean-Paul II, VIII, 1 [1985] 934 S). Nous ne devons jamais les oublier. Moi-même, j’ai tenu à m’incliner devant leurs tombes, le 17 mai 1979, au célèbre cimetière du Mont-Cassin. Et je l’ai fait à Ypres, en Belgique flamande, le 17 mai 1985, devant le grand champs de bataille de la première guerre mondiale. Oui, il faut leur être fidèle par le souvenir, un souvenir de reconnaissance. Et, pour nous croyants, cette fidélité s’exprime en prière au Dieu miséricordieux, afin qu’il accueille dans sa paix et sa vie chacun de ces morts, et qu’il continue à réconforter leurs familles. Je sais que c’est le sens de votre démarche au cimetière français de Monte Mario.



4. Ce souvenir est aussi une occasion de méditation, pour vous et plus encore pour les générations nouvelles. Celles-ci doivent tout faire pour construire solidement la paix et la fraternité entre les peuples, pour que le fléau de la guerre soit écarté, pour que soient éliminées aussi les causes de la guerre: la haine, le racisme, les idéologies totalitaires, les déséquilibres économiques, les terrorismes, la tendance à accumuler les armes au prix de dépenses ruineuses... Le monde d’aujourd’hui doit également s’interroger sur les valeurs morales et spirituelles qui fondent la vie en société là où l’on bénéficie d’une absence de guerre. En effet, vous avez combattu, finalement, pour que votre pays connaisse une véritable liberté, une paix sociale et une fraternité authentiques, davantage de justice et un plus grand respect des exigences qui assurent la dignité des personnes et des familles. Ne serait-il pas dommageable de voir la société s’égarer sur les faussés pistes d’une liberté sans contrôle ou d’une jouissance dégradante? Vous pouvez et vous devez continuer à apporter votre témoignage pour que les jeunes générations comprennent mieux quels efforts requiert une civilisation digne de l’homme.



5. Enfin votre amicale, comme beaucoup d’associations d’anciens combattants ou anciens prisonniers de l’une ou l’autre guerre, fait mention de la place que les aumôniers ont tenu au milieu de vous, sur les champs de bataille, prêts à apporter leur secours humain, leur amitié et leur aide spirituelle. Pour beaucoup, grâce à ces prêtres comme aussi aux laïcs chrétiens convaincus, ce temps difficile, ce temps d’épreuve, a été un temps de redécouverte de la foi, dans la simplicité d’un dialogue et la recherche de la vérité que les préoccupations de la vie civile risquent parfois d’étouffer. Certes, cette adhésion de foi est une démarche profonde, souvent lente et progressive, toujours libre. Mais, précisément, il semble que cette interpellation spirituelle était aidée alors par le climat qui régnait entre vous. Remerciez Dieu s’il en a été ainsi pour vous. Soyez fidèles à cette grâce qui vous a été donnée. Et ne craignez pas d’ouvrir encore votre coeur à la grâce qui frappe toujours à la porte, de mille façons, à l’Esprit Saint qui attire, purifié et élève ceux qui consentent à le prier.

Je vous encourage aussi, et de toute façon, à resserrer les liens fraternels qui vous unissent profondément, dans le respect des consciences, des vocations et de vos itinéraires de vie si variés. Et je prie le Seigneur de vous bénir, vous et tous les vôtres.



Vous permettez que je salue maintenant un groupe tout autre: celui des familles dont les enfants ont fait leur première communion à Rome samedi. Je félicite les éducateurs chrétiens de ces enfants et leurs parents de les avoir ainsi initiés, très tôt et de façon adaptée, à la foi, à la prière, aux sacrements, au comportement chrétien. Ces enfants sont capables, en effet, grâce au Saint-Esprit, d’une vie spirituelle réelle et déjà profonde, dans la mesure où ils bénéficient du témoignage et du soutien de leurs aînés. La famille est comme l’Eglise au foyer. Je souhaite aussi que ces enfants s’insèrent, avec leurs familles, dans les communautés chrétiennes qui les entourent, notamment dans les paroisses, de manière à y prendre leur place habituelle et à y apporter leur témoignage. Et vous, chers enfants, à qui j’ai eu la joie de donner la sainte communion samedi, puisiez-vous avoir toujours faim du Pain de Vie que Dieu vous donne, son propre Corps, pour que vous viviez sans cesse avec lui, pour lui, avec sa lumière, sa force, son amour! Et rendez grâce au Seigneur pour tant de bienfaits! Au nom de Jésus, je vous bénis de tout coeur

AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE INTERNATIONAL PROMU PAR L’«ÉCOLE FRANÇAISE» DE ROME

Vendredi 30 mai 1986

Messieurs les Cardinaux,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs,

1. Je suis très heureux de vous recevoir ce matin, vous qui participez au grand Colloque organisé par l’Ecole Française de Rome en collaboration avec d’autres institutions universitaires françaises et italiennes, sur le II Concile du Vatican. Les dates que vous avez judicieusement choisies (1959-1965) vont de la toute première annonce faite par Jean XXIII de manière inattendue, dès le début de son pontificat, jusqu’à la clôture solennelle faîte par Paul VI, avec les mémorables messages adressés aux gouvernants, aux hommes de la pensée et de la science, aux artistes, aux femmes, aux travailleurs, aux pauvres, aux malades, à tous ceux qui souffrent, aux jeunes.

2. Ce bref espace de temps, fut intensément rempli par la phase antépréparatoire, puis la phase préparatoire, et enfin les quatre sessions au cours desquelles furent promulgués les documents: quatre Constitutions, neuf Décrets, trois Déclarations. Vous ne pouviez certes reprendre un à un pour les examiner tous les matériaux de cette immense carrière. Mais, à vingt ans de distance, vous avez justement pensé qu’un regard d’historien pouvait utilement scruter l’ensemble de ce grand oeuvre, le situer précisément dans son rapport avec le précédent Concile Vatican I, rechercher son inspiration et analyser sa mise en oeuvre, retracer son déroulement à l’épreuve des hommes et des faits, examiner enfin son travail gigantesque pour l’Eglise et le monde, en rejoignant de nombreux problèmes et secteurs d’activités éclairés ou ouverts par les seize documents de Vatican II.

3. Les témoins que vous avez invités, les experts auxquels vous avez fait appel, la pléiade d’exégètes et de patrologues, d’historiens, et de sociologues, de juristes et de théologiens de divers pays et cultures que vous constituez, sont le gage d’une grande et féconde entreprise scientifique qui retiendra sans nul doute durablement l’attention.

Je me réjouis pour ma part qu’une institution de culture aussi prestigieuse que l’Ecole Française de Rome, après avoir déjà organisé voici trois ans un remarquable Colloque sur Paul VI et la modernité dans l’Eglise, se soit attachée à ce grand fait de culture et d’histoire que constitue en notre temps le Concile Vatican II. C’était en effet la première fois dans l’histoire que se trouvaient réunis sur un vaste chantier théologique et pastoral tant d’évêques de tant de nations, de cultures, de langues, de continents, en présence d’observateurs attentifs des autres communautés chrétiennes, et en liaison avec les moyens modernes d’information.

L’Ecole Française de Rome, depuis sa création, n’a cessé, sous ses directeurs successifs, d’apporter une contribution hors pair, aussi bien à l’histoire qu’à l’archéologie, en ce qui concerne Rome et la romanité. Je suis heureux que son actuel directeur, Monsieur Charles Pietri, inscrive avec bonheur son effort dans cette lignée séculaire, en faisant appel à des institutions universitaires chevronnées et à des savants dont les analyses, élaborées selon les méthodes éprouvées des sciences historiques, seront généreusement soumises à l’examen de la communauté scientifique internationale. Dans cette recherche exigeante de la vérité, vous voulez en même temps honorer les droits de l’intelligence et le respect des consciences. Vous faites ainsi oeuvre de culture authentique en convertissant des séquences événementielles en enchaînements historiques, dont la patiente reconstitution, en décrivant, explique, et en restituant le passé, éclaire le présent.

4. La proximité des assises conciliaires que nous sommes nombreux à avoir vécues, et dont nous continuons à vivre, était un défi stimulant que vous avez tenu à relever. Et déjà le recul de deux décennies vous incitait à tenter quelques jugements qui alimenteront le dossier déjà considérable de ce qui fut et demeure le grand événement religieux de notre temps. Si son sens profond ne demeure accessible qu’à l’intelligence de la foi, il n’en reste pas moins qu’il offre un champ d’investigation considérable et privilégié aux historiens. Et beaucoup d’entre vous en font l’expérience: bien loin de diminuer l’acribie scientifique, le regard du croyant aiguise au contraire et affine sa sensibilité.

Je vous remercie d’avoir posé ce jalon historique avec liberté et respect, rigueur et clarté tout à la fois, selon les caractéristiques du génie français qui vous est propre. Et je forme le voeu que cette entreprise se poursuive, tant il est vrai que la dimension religieuse est une part inaliénable de toute culture authentique. Oui, je suis heureux de voir des hommes de culture consacrer leurs talents à inventorier cette histoire qui marque la vie de l’Eglise et, par elle, la vie de la société en cette fin du second millénaire. Cela honore votre profession et rend un service vraiment appréciable.

5. Sur un autre plan, les évêques, réunis à mon appel en Synode extraordinaire en novembre et décembre derniers, ont pu, à leur façon, revivre l’atmosphère unique de ces Assises, comme une grâce reçue, étudier les expériences de l’application du Concile et en favoriser l’approfondissement ultérieur, à la lumière des exigences nouvelles.

Si votre Colloque a pu mettre en valeur un bon nombre de témoignages des protagonistes du Concile, je me permets de vous livrer mon propre témoignage, lié à mon expérience et a mes responsabilités actuelles, comme j’ai souvent eu l’occasion de l’exprimer, et notamment le 25 janvier 1985 en convoquant le Synode.

Le Concile Vatican II reste l’événement fondamental de la vie de l’Eglise contemporaine: fondamental par l’approfondissement des richesses qui lui on été confiées par le Christ; fondamental par le contact fécond avec le monde contemporain dans un but d’évangélisation et de dialogue à tous les niveaux et avec tous les hommes à la conscience droite. Pour moi – qui ai eu la grâce spéciale d’y participer et de collaborer activement à son déroulement – Vatican II a toujours été – pour mon ministère dans l’archidiocèse de Cracovie – et est d’une manière particulière en ces années de mon pontificat, le point constant de référence de toute mon action pastorale, dans l’effort conscient de traduire ses directives par une application concrète et fidèle, au niveau de chaque Eglise et de toute l’Eglise. Il faut sans cesse revenir à cette source.

6. Au-delà des événements que tout le monde a pu considérer et que vous avez cherché à analyser objectivement, je vois dans ce Concile la continuation de oeuvre de l’Esprit Saint qui a utilisé les ressources et guidé les réflexions de Pasteurs réunis dans cette assemblée qui était l’expression la plus plénière de la collégialité. A travers leurs différences de mentalité, de formation ou de préoccupations pastorales, et malgré leurs limites, ces évêques étaient des hommes inspirés par la même foi au Christ Jésus, le même amour passionné de l’Eglise, le même souci d’ouvrir les portes de l’Eglise aux hommes de notre temps que Dieu aime et veut sauver moyennant leur libre adhésion. L’Esprit Saint a accompagné leur travail sur un chemin souvent imprévu, et ce même Esprit Saint leur a confié aussi l’application du Concile, à eux tous et d’abord à mon vénéré prédécesseur le Pape Paul VI qui a mis tant de soin à lui donner la suite nécessaire. L’Eglise vient de fêter solennellement, avec une grande joie et une espérance renouvelée, le vingtième anniversaire de cet événement. Mais elle reste et doit rester vigilante, humble et disponible à l’Esprit Saint, comme je l’écris dans l’encyclique d’aujourd’hui, pour mettre en oeuvre quotidiennement le Concile, de la meilleure façon – chacun avec sa responsabilité d’évêque, de prêtre, de religieux, de laïc, en union avec le Magistère. Ainsi pourra-t-elle correspondre à l’intention des Pères conciliaires et à la volonté du Seigneur Jésus, pour le renouveau spirituel que le monde attend aujourd’hui de l’Eglise.

Voilà quelques pensées qui montent de mon coeur lorsque vous me donnez l’occasion d’évoquer le Concile.

7. Au terme de cette rencontre, permettez-moi enfin de reprendre à votre intention quelques mots du message final du Concile, le 8 décembre 1965, aux hommes de la pensée et de la science: “A vous, les chercheurs de la vérité, à vous les hommes de la pensée et de la science, les explorateurs de l’homme, de l’univers et de l’histoire... Votre chemin est le notre... Cherchez la lumière de demain avec la lumière d’aujourd’hui, jusqu’à la plénitude de la lumière!”.

Avec ce souhait fervent, j’implore sur vous-mêmes et sur vos familles la plénitude des bénédictions de Celui dont le Concile Vatican II nous a redit, dans les mots d’aujourd’hui, l’éternelle actualité, Lui qui est source de Lumière, plénitude de Vérité, et surabondance d’Amour.
Juin 1986


AU NOUVEL AMBASSADEUR DES PAYS-BAS

PRÈS LE SAINT-SIÈGE


Monsieur l’Ambassadeur,

1. Je suis heureux de vous accueillir. Les propos que vous venez de tenir sont le gage du sérieux avec lequel vous abordez votre mission d’Ambassadeur auprès du Saint-Siège. Soyez assuré que vous trouverez ici les appuis nécessaires pour mener à bien cette haute fonction, à la suite de vos prédécesseurs.

Vous êtes envoyé par Sa Majesté la Reine Béatrix dont la visite au Vatican a été fort appréciée et qui m’a si bien accueilli elle-même dans son Palais royal Huis ten Bosch. Je garde en effet un agréable souvenir de l’hospitalité courtoise et des échanges que nous avons pu avoir dans les deux circonstances. Je saurais gré à Votre Excellence de bien vouloir La remercier de ses salutations et d’être auprès d’Elle l’interprète de ma respectueuse considération et de mes voeux cordiaux pour la Famille royale et pour votre cher pays.

2. Vous avez évoqué de façon sympathique mon voyage apostolique chez vous. Il a été une occasion singulière et mémorable de resserrer les liens du Saint-Siège avec le Royaume des Pays-Bas, avec son Gouvernement, avec l’ensemble du peuple néerlandais et, bien sur, d’un manière privilégiée avec les évêques catholiques et leurs communautés ecclésiales, dans le cadre d’une visite avant tout pastorale.

Je savais que je rencontrais chez vous, non seulement une nation au passé culturel et artistique prestigieux, mais un peuple industrieux, courageux, entreprenant, soucieux de traduire ses idéaux en engagements pratiques, et toujours épris de liberté. Les diverses étapes de mon voyage dans les belles cités chargées d’histoire – vous avez évoqué la “Paushuize” de mon prédécesseur Adrien VI à Utrecht –, comme le survol de la campagne verdoyante qui porte la marque d’un travail soigné et opiniâtre, et surtout les témoignages que j’ai recueillis, ont confirmé cette réputation. J’ai observé aussi combien la religion chrétienne avait façonné l’âme de ce peuple et marquait encore de son impact nombre d’institutions sociales et culturelles, tandis que, par ailleurs, est assurée, à tous les échelons, une large liberté religieuse, dont bénéficient toutes les confessions.

3. Pour ce qui est de l’engagement politique, Votre Excellence a souligné la participation active des Pays-Bas à la vie internationale, où se manifeste son souci de renforcer la paix partout où elle est menacée, d’instaurer plus de justice, de garantir efficacement les droits de l’homme. Votre Gouvernement prend une part spéciale et parfois déterminante dans l’activité des diverses Institutions européennes. Vous connaissez l’intérêt que le Saint-Siège porte à tous ces efforts susceptibles de rendre la communauté humaine plus fraternelle, plus solidaire, grâce à l’élaboration et à l’application de mesures politiques, juridiques et économiques adéquates.

Je voudrais surtout mentionner un point qui fait honneur à votre pays: c’est la générosité avec laquelle le peuple et le Gouvernement néerlandais participent au développement des peuples moins fortunés du tiers-monde. La communauté catholique soutient largement cet engagement. N’est-ce pas d’ailleurs dans le même mouvement que vos compatriotes chrétiens ont apporté une contribution exemplaire à l’évangélisation dans les pays de mission et qu’ils continuent maintenant leur engagement dans les jeunes Eglises? Les Néerlandais ont le sens des besoins des autres, ils savent s’ouvrir à l’universel et cela par des actes plus qu’en paroles. Le Saint-Siège s’en réjouit et vous félicite.

4. Vous avez insisté à juste titre, Monsieur l’Ambassadeur, sur la mission spécifique, spirituelle, de l’Eglise et du Saint-Siège qui en est le centre. C’est dire son souci fondamental de la formation des consciences, à laquelle oeuvrent, sur le terrain en chaque pays, les Eglises locales en communion avec le successeur de Pierre. Volontiers, selon votre souhait, je prie pour le salut de tous vos compatriotes. Et dans ce salut est comprise la promotion des valeurs morales et spirituelles.

L’Eglise manquerait à son devoir si elle ne cherchait pas à éclairer les consciences, à désigner les maux qui menacent à la fois la vie chrétienne et l’intégralité de l’homme, à encourager ce qui est conforme à la vérité et au bien de l’homme. Elle n’a pas de pouvoir direct sur les lois ou institutions de l’Etat, que les citoyens se donnent démocratiquement, en toute liberté. Mais elle garde son jugement à leur égard, et elle distinguera toujours ce qui est permis par les lois civiles, et ce qui est moral, cohérent avec une conscience bien formée. C’est le cas, entre autres, du respect de la vie des la conception ou dans les conditions de maladie grave ou de vieillesse. Oui, l’Eglise interpelle sans cesse les consciences pour un sursaut moral.

A vrai dire, il appartient aux évêques d’un pays de faire réfléchir leurs compatriotes sur ces principes qui sont ceux de l’Eglise universelle et que le Saint-Siège rappelle; et vos évêques n’ont pas manqué de le faire dans les deux domaines que je viens de mentionner. Par ailleurs, il y a beaucoup d’autres problèmes moraux, complexes, et il faut bien constater que les jeunes générations notamment sont très désorientées, cherchant souvent une fuite dans les stupéfiants ou dans des moeurs qui les dégradent. Qui ne voudrait se préoccuper de l’éducation à l’authentique liberté à la recherche de la vérité, au respect de l’amour, aux valeurs familiales? L’Eglise, pour sa part, désire y travailler de toutes ses forces, à sa place, dans le respect de la conscience des autres, et elle ne doute pas qu’elle rencontre en ce domaine l’assentiment des responsables civils du bien commun. Ceux-ci, en effet, sont mieux placés que d’autres pour voir qu’il y a là un défi à relever pour l’avenir du pays, pour son véritable progrès humain et spirituel, en conformité avec l’héritage chrétien qui l’a si fortement marqué et qui demeure, pour ceux qui l’acceptent, une source de vie.

Tels sont, Monsieur l’Ambassadeur, les sentiments qui m’animent au seuil de votre mission diplomatique auprès du Saint-Siège. Je forme devant Dieu les meilleurs voeux pour vous, pour le peuple néerlandais et ses gouvernants, en invoquant sur eux les bénédictions de celui qui donne joie, force et lumière aux hommes de bonne volonté.

À L'OCCASION DE L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES LAÏCS


Samedi 7 juin 1986

Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Vous tous, membres du Conseil pontifical pour les Laïcs,

1. Notre rencontre à l’occasion de l’Assemblée plénière de votre Dicastère est devenue désormais presque traditionnelle. Je m’efforce de suivre, durant l’année, avec un intérêt particulier, la réalisation de vos programmes, dans les rencontres périodiques que j’ai avec le Président et le Vice-Président du Conseil, et leurs collaborateurs. Le Cardinal Eduardo Pironio peut témoigner de l’encouragement du Pape pour l’institution de la nouvelle “section jeunes”, pour la réalisation de la Journée mondiale de la Jeunesse, pour votre travail permanent de dialogue et de coopération avec les organisations catholiques internationales et avec les mouvements ecclésiaux, pour les réunions continentales d’évêques et de dirigeants laïcs que vous avez promues et pour tant d’autres aspects de votre travail accompli comme un service ecclésial dans le domaine de l’apostolat des laïcs, en collaboration avec mon ministère de successeur de Pierre. Ces rendez-vous annuels sont en tout cas des moments forts qui expriment bien le lien de communion de pensée et de service qui unit votre Dicastère, comme communauté de travail et de prière, au Pape.

2. La rencontre d’aujourd’hui s’avère particulièrement significative en cette période où toute l’Eglise est déjà engagée dans la préparation du Synode de 1987 sur le thème: “Vocation et mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde vingt ans après le Concile Vatican II”. Voilà quelques mois, vous étiez déjà réunis à Rome à la veille du Synode extraordinaire relatif au Concile Vatican II. Rien ne pourrait mieux, en effet, restituer et relancer la participation des laïcs à la vie et à la mission de l’Eglise qu’une attention renouvelée à l’ecclésiologie de communion du Concile et à l’impulsion qu’il a donnée pour une nouvelle évangélisation du monde contemporain. Il s’agit de réaliser, dans les conditions actuelles, le commandement du Seigneur: “Allez, de toutes les nations faites des disciples” (Mt 28,19). Il s’agit de mettre en oeuvre, à tous les niveaux, cette ecclésiologie de communion et de mission, dans la docilité à l’Esprit de Dieu, en prenant une conscience accrue de la dignité et de la responsabilité baptismale de tous les membres du Corps du Christ, qui doivent être sel et lumière du monde. Oui, il importe de nous nourrir des enseignements du Concile pour être en mesure de révéler la présence du Christ dans le coeur de tous les hommes, dans les pierres d’attente de leurs cultures, au plus profond des besoins et des espérances des peuples. Il faudrait, avec la grâce de Dieu, réveiller ceux dont la foi est endormie, redonner le dynamisme à ceux dont la foi est inerte et l’enthousiasme à ceux qui sont sceptiques.

3. Le travail de préparation du Synode offre au Conseil pontifical pour les Laïcs une heureuse occasion de repérer et d’évaluer tout ce qui se manifeste parmi les forces vives au laïcat et dans les réflexions des Pasteurs à leur sujet: les besoins religieux de la piété populaire, les charismes et les expériences missionnaires des associations et mouvements ecclésiaux, les diverses responsabilités de service prises par les laïcs dans l’édification de l’Eglise, leur engagement dans les différents milieux sociaux et professionnels, et leurs efforts pour répondre aux graves questions posées par la vie actuelle et le destin des peuples. Tout cela va enrichir l’expérience que votre presque vingt ans et permettre d’apporter une contribution valable à la préparation du Synode en liaison avec le Secrétariat de celui-ci.

Puisse votre Conseil aider également à ce que toutes ces expériences de participation des laïcs à la vie ecclésiale se fasse en profonde communion avec les Pasteurs, eux-mêmes unis à la Chaire de Pierre! Et puissent ces Pasteurs – avec la largeur de vues et la sympathie qui conviennent, conjuguées avec le discernement et le souci de communion inhérents à leur responsabilité – accueillir, respecter et harmoniser les multiples formes de charismes et de méthodes pastorales qui caractérisent l’action des laïcs.

4. Ce qui caractérise l’activité du laïc chrétien, c’est qu’elle est reliée à Dieu comme à sa source, c’est qu’elle est orientée conformément à sa volonté, c’est qu’elle est accomplie selon son esprit, selon l’esprit des béatitudes. Elle est oeuvre courageuse et intelligente de l’homme, et, en même temps, elle est l’oeuvre de l’Esprit Saint présent dans l’homme. Oui, l’Esprit continue à parler aux Eglises, comme je l’écrivais récemment dans l’encyclique “Dominum et Vivificantem” (Dominum et Vivificantem, DEV 26); il continue à susciter en chaque personne et dans les communautés la redécouverte de la prière (Dominum et Vivificantem, DEV 26); il met en lumière le péché de l’homme, les signes de mort qui sont les conséquences de l’éloignement ou de la négation de Dieu; mais aussi les signes d’espérance pour un monde que Dieu ne cesse d’aimer et de sauver; il donne la vie, il infuse dans l’Eglise sa charité.

Vous, membres du Conseil pour les Laïcs, vous portez, avec beaucoup d’autres, le témoignage de ce nouveau souffle dans l’Eglise, qui peut être un fruit du Concile Vatican II dans la mesure où nous sommes fidèles à son inspiration, c’est-à-dire à une nouvelle mise en oeuvre de l’Evangile. Et, comme vous travaillez au centre de l’Eglise, je pourrais dire au carrefour de toutes les communautés ecclésiales et de leurs mouvements de laïcs, vous expérimentez, loin de tout esprit de clocher la richesse multiforme de la présence agissante de Dieu. Vous sentez plus profondément la joie et l’engagement d’une Eglise vraiment “catholique”, “universelle”. Vous participez à son cheminement vers la sainteté.

5. Pour cela, j’ai beaucoup apprécié le choix du thème de votre Assemblée plénière: “Appelés à la sainteté pour la transformation du monde”. Ne dissociez pas cet appel et cette mission. L’Eglise a besoin de saints laïcs chrétiens.

Oui, plus que de “réformateurs”, elle a besoin de saints, parce que les saints sont les réformateurs authentiques et les plus féconds. Chaque grande période de renouveau de l’Eglise est liée à d’importants témoignages de sainteté, à des mouvements de sainteté. Sans la recherche de celle-ci, l’aggiornamento conciliaire serait un leurre.

6. Mais la conviction que nous devons partager et répandre, c’est que l’appel à la sainteté est adressé à tous les chrétiens (Lumen Gentium, V). Ce n’est pas le privilège d’une élite spirituelle. Ce n’est pas le fait de quelques-uns qui se sentent un courage héroïque. Elle est encore moins un refuge tranquille, adapté à une certaine forme de piété ou à certains tempéraments originaux. C’est une grâce proposée à tous les baptisés, selon des modalités et des degrés divers (cf. Ep 4,7).

Elle n’est pas réservée à des états de vie particuliers, encore que certains la favorisent, ni à l’exercice de certaines professions. Saint François de Sales, que je me réjouis d’aller bientôt honorer à Annecy, a remarquablement montré que la sainteté – avec la piété ou “dévotion” qui va de pair – pouvait être le fait des hommes et des femmes dans n’importe quelle situation de famille ou de métier. Il faut donc aider les laïcs à vivre saintement – dans la foi, l’espérance et l’amour – tout ce qui fait leur vie dans le monde, dans les circonstances spécifiques où Dieu les a placés. En ce sens, il y a un type de sainteté propre aux laïcs.

7. Les laïcs chrétiens devront donc chercher à atteindre la plénitude de leur humanité, d’un humanisme chrétien qui vit de l’Esprit de Dieu au coeur des mentalités et des problèmes de notre temps. Lucides sur les obstacles, il misent avec certitude sur la puissance salvifique de la Croix, dans le partage de l’éprouve de ceux qui souffrent, dans les efforts pour réaliser de meilleures conditions de vie, avec les structures sociales correspondantes, dans la prière orientée vers le jour de notre libération plénière. Le saint est l’homme vrai, dont le témoignage de vie attire, interpelle et entraîne, parce qu’il manifeste une expérience humaine transparente, comblée de la présence du Christ, le Fils de Dieu, le Saint par excellence, “qui a vécu notre condition d’homme en toute chose excepté le péché”. Le Christ est l’homme parfait, et la vie chrétienne cherche à rejoindre, en Lui, la pleine stature de l’homme, crée à l’image de Dieu et recrée pour le salut dans la perfection de l’amour. La sainteté comporte une nouveauté de vie qui, à partir d’une profonde intimité avec Dieu, par le Christ, dans l’Esprit, pénètre toutes les situations humaines, tous les styles de vie, tous les engagements tous les rapports avec les choses, avec les hommes, avec Dieu. Ne l’oublions jamais, pour ne pas tomber dans un activisme coupé de sa source divine: c’est Dieu qui sanctifie, qui dessille les yeux du pécheur, qui donne la force de la conversion et qui substitue à l’erreur, à l’injustice, à la haine et à la violence, grâce à l’action des hommes qu’il a sanctifiés, la vérité, la liberté, l’espérance, la paix et l’amour fraternel.

8. Chers Frères et amis, voilà mon souhait aussi pour vous: que Dieu vous fasse croître en sainteté, vous-mêmes, vos familles, vos amis! Alors le service que vous rendez à l’Eglise, pour aider les laïcs chrétiens et travailler avec eux à la transformation du monde selon l’Esprit de Dieu, portera des fruits abondants. Demandez-le aussi à Marie, la Vierge très sainte, Mère de Jésus et notre Mère, afin que vous deveniez, après elle, les disciples que le Seigneur attend.

A chacun des membres de cette Assemblée, à tous ceux qui travaillent quotidiennement au service du Conseil Pontifical pour les Laïcs, je donne de tout coeur ma Bénédiction Apostolique.

Discours 1986 - Jeudi 22 mai 1986