Discours 1986 - Samedi 7 juin 1986



AUX ÉVÊQUES DU BURKINA FASO ET NIGER

EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi 14 juin 1986

Cher Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat du Burkina Faso et du Niger,

1. Dans les visites “ad limina” que je dois recevoir cette année de l'‘Afrique francophone, vous êtes les prémices! Cette visite commune que vous faites à Rome aux tombeaux des Apôtres est pour vous une grâce: absorbés par le soin pastoral de vos communautés dispersées dans la savane ou le désert, au milieu d’une majorité de croyants de religions traditionnelles ou de l’Islam, vous reprenez contact avec les racines de l’Eglise appelée justement “apostolique” – fondée sur les Apôtres –, avec le centre qui, entourant le Successeur de Pierre, continue à veiller à l’unité, à la fidélité et au progrès de l’Eglise universelle, “catholique”. Cette visite est aussi une grâce pour moi, et pour les Dicastères de la Curie: vous nous apportez le témoignage de vos efforts courageux au service d’une Eglise qui avec ses moyens pauvres, connaît une vitalité et un rayonnement remarquables. Voilà ce que le Pape veut avant tout louer, encourager, en remerciant le Seigneur. Comme vous, il regarde lucidement les difficultés et les ombres, mais aussi les signes d’espérance, car c’est en s’appuyant sur les essais positifs, et sur la grâce de Dieu, que vos communautés vont progresser. Je sais que vous avez d’ailleurs décidé certaines orientations que, volontiers, je voudrais appuyer.

2. Vous avez axé votre pastorale, au Burkina Faso, sur la conception doctrinale de l’Eglise-Famille de Dieu. Je m’en réjouis. Le Concile Vatican II, comme je l’écrivais dans l’encyclique Dominum et Vivificantem, “a été spécialement un Concile "ecclésiologique": un Concile sur le thème de l’Eglise”, l’Eglise étant elle-même à l’écoute de l’Esprit Saint, âme de l’Eglise. Car c’est bien l’Esprit Saint qui, continuant et actualisant l’oeuvre de la Rédemption, introduit l’Eglise dans la vérité tout entière, l’unifie par la communion et le ministère, lui fournit ses moyens d’action, avec la diversité de ses dons hiérarchiques et charismatiques, la rajeunit et la renouvelle sans cesse, l’acheminant vers la ressemblance et l’union parfaite avec son Epoux (cf. Lumen Gentium LG 4), et lui donnant une fécondité et un rôle maternel à l’égard de tous ses fils.

Cela suppose que les moindres petites communautés de base aient leur vitalité, avec les initiatives et les responsabilités des chrétiens et des catéchistes qui les forment, de manière que chacun ait le sentiment d’appartenir à une famille, dans laquelle on s’entraide à croire, à prier, à porter ensemble les difficultés et les joies avec cette solidarité qui est une des richesses du patrimoine de chez vous. Cela suppose aussi que ces communautés aient le souci de vivre de la foi de toute l’Eglise, et donc restent ouvertes sur les communautés plus grandes de la paroisse, du diocèse, de l’Eglise universelle, à travers le ministère des prêtres et évêques qui ont mission de rassembler, de communiquer les mystères de Dieu, d’entraîner vers des horizons toujours plus larges, vers une vie plus profonde, conformément au dessein de Dieu.

Cette communion enracinée en Dieu, dans la joie d’être aimé du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et avec le dynamisme de la charité, est le meilleur témoignage que l’Eglise peut donner au monde.

3. En vous écoutant et en lisant vos rapports, j’ai vu le souci que vous avez de la formation des futurs prêtres. Là aussi, je vous apporte tous mes encouragements. L’effort que vous voulez poursuivre, même au prix de grands sacrifices, afin d’avoir dans chaque diocèse, autant qu’il est possible, un petit séminaire pour toute la durée des études secondaires, me paraît sage et opportun. Les jeunes qui se destinent à la prêtrise peuvent alors y bénéficier de conditions de vie morale et spirituelle bien plus assurées que s’ils mènent la vie des autres jeunes des collèges ou lycées; et ils ont aussi besoin d’un lien avec leur évêque, entretenu de façon régulière et concrète. Ce lien est également très important pour les grands séminaristes des séminaires interdiocésains ou régionaux.

Mais je sais que cette pastorale est exigeante pour vous qui disposez de moyens réduits, sur le plan matériel et plus encore en ce qui concerne les éducateurs de qualité, prêtres ou laïcs. Je vous souhaite de les trouver, avec le concours de tous qui peuvent vous aider. Cela peut vous demander des renonciations dans d’autres domaines; mais vous savez, par expérience, que cet “investissement” prioritaire est capital pour l’avenir. Il faut sans doute essayer aussi de vérifier et de fortifier les motivations des candidats pour un service désintéressé de l’Eglise, inspiré avant tout par l’amour du Christ et des âmes. Vous avez bien conscience, également, des exigences de l’éducation à une vie de foi, de prière, de pureté et d’apostolat, sans compter celles de la formation intellectuelle, selon une “ratio” des études bien adaptée. Oui, je souhaite que vous puissiez bien préparer la relève de votre presbyterium de demain, ou mieux, son extension. Car vous devez envisager, non seulement les besoins de votre pays, avec l’apport toujours apprécié de confrères étrangers, mais l’entraide missionnaire. Et je vous félicite d’envoyer déjà certains de vos prêtres travailler avec ceux du Niger, pour faire face au manque de prêtres autochtones et préparer chez eux aussi la relève nécessaire.

J’ai parlé des séminaristes, mais la vocation des religieuses et des personnes consacrées a également une grande importance, et il vous faut chercher encore les Instituts qui pourraient le mieux les former et les soutenir.

4. Si la relève du sacerdoce est un moyen primordial, le but est de former la foi de tout le peuple chrétien. Je sais le zèle que vous y déployez. En particulier – et je me réjouis de le savoir – vos chrétiens ont de plus en plus accès à la Parole de Dieu, dans une langue compréhensible; ils sont introduits dans une liturgie renouvelée, expressive, digne du mystère qu’elle célèbre; le nombre des catéchistes continue à croître, et vous vous souciez de leur formation et de leur rôle actuel dans les communautés; les laïcs en général prennent leurs responsabilités dans les communautés de base, dans des mouvements de prière et d’apostolat. Bref, votre Eglise se prend de plus en plus en charge.

Je pense avec vous à deux secteurs qui demandent une sollicitude pastorale particulière: le soutien des familles chrétiennes et la formation des jeunes à la vie chrétienne – ces jeunes qui sont si nombreux et souvent désemparés.

Vous constatez d’une part que certaines coutumes traditionnelles, difficiles à concilier avec l’éthique chrétienne, connaissent un regain de faveur, et d’autre part qu’un néo-paganisme s’étend, avec les mutations socio-culturelles dues à certains progrès techniques, à un certain climat matérialiste, sécularisé, que connaît davantage le monde occidental. La structure familiale est ébranlée, son unité menacée, les tendances à l’individualisme, à l’intérêt personnel et au plaisir s’accentuent, un certain esprit critique sème le doute. C’est dire qu’il faut renforcer les convictions des époux ou de ceux qui se préparent au sacrement de mariage sur l’unité, l’indissolubilité, la fécondité du mariage chrétien, en leur montrant que ces exigences peuvent être vécues avec la grâce du Christ et qu’elles donnent à leur foyer une solidité, un rayonnement, un témoignage hors pair, qui couronnent les valeurs positives de la culture africaine.

Il faut de même permettre aux jeunes des lycées et collèges de rendre compte de la foi qu’ils ont reçue par une oeuvre adéquate d’aumônerie. C’est encore plus nécessaire dans les conditions actuelles où certains peuvent craindre de témoigner de leur foi pour préserver leur avenir. Il convient alors de les délivrer de la crainte, par une adhésion joyeuse à Jésus Christ et à l’Eglise, vécue dans des communautés dynamiques.

5. Ce que nous avons dit concerne le rôle de vos chrétiens dans l’Eglise. Mais ces chrétiens, du Burkina Faso ou du Niger, appartiennent à une société où beaucoup de citoyens vivent selon d’autres traditions religieuses; ils appartiennent à une patrie dont ils veulent eux aussi la paix, le bonheur, le progrès; ils appartiennent à un pays qui lutte pour arriver à son autosuffisance alimentaire, malgré les épreuves qu’il a connues notamment de par la sécheresse.

Ils ont donc le devoir, et le droit, de participer à la promotion de meilleurs conditions de vie, non pour des raisons politiques, mais parce qu’il y va du sort de leurs compatriotes qui manquent de pain et de travail, et dont beaucoup se sont vu obligés d’émigrer. Il y va de la dignité humaine de leurs frères. Inspirée par cette charité, l’Eglise a déjà pris en charge un bon nombre d’initiatives éducatives, sociales, sanitaires: collèges, promotion féminine, dispensaires, hôpitaux, forage de puits et travaux d’adduction d’eau. C’est un beau témoignage, auquel les responsables du bien commun ne peuvent pas ne pas être sensibles.

Je pense encore à certains engagements à long terme, comme la Fondation Jean-Paul II pour le Sahel, que le Cardinal Zoungrana préside pour tous les pays touchés par la désertification et qui commence à mettre en couvre des projets intéressants.

D’une façon générale, les chrétiens ont sûrement à coeur de s’engager loyalement pour préparer un avenir meilleur, dans un esprit de tolérance et dans le respect des responsabilités de l’état e de l’Eglise. Ils ont le droit de le faire librement, selon leur conscience chrétienne, dans la recherche de la justice pour tous et de l’intérêt de l’ensemble. Le rôle des Pasteurs est alors de les encourager et surtout de former leur conscience selon toutes les exigences de la doctrine sociale de l’Eglise, de façon qu’ils contribuent valablement au véritable bien de leur patrie.

Le Siège Apostolique appuie de grand coeur une telle action pastorale, et il veut espérer que ce service des chrétiens sera compris et encouragé de ceux dont la mission est de faire appel démocratiquement et sans parti pris à toutes les forces vives du pays.

Encore une fois, chers Frères dans l’épiscopat, soyez assurés de l’affection, de la prière et du soutien du Pape dans oeuvre d’évangélisation que vous poursuivez courageusement, dans des conditions souvent difficiles. Demeurez très unis entre vous. Que vos prêtres, vos religieux, religieuses et laïcs, au Burkina Faso et au Niger, collaborent étroitement avec vous, dans une Eglise-Famille, une Eglise communion! En me souvenant de mon inoubliable escale à Ouagadougou, je les bénis de grand coeur et je vous bénis avec eux.

AU NOUVEL AMBASSADEUR DU SÉNÉGAL

PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Jeudi 19 juin 1986

Monsieur l’Ambassadeur,

1. C’est pour moi une joie d’accueillir le nouveau représentant du Sénégal, et je remercie Votre Excellence des paroles profondes et élevées par lesquelles Elle a voulu inaugurer sa mission d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire auprès du Saint-Siège.

Vous êtes ici l’interprète des sentiments de Son Excellence Monsieur Abdou Diouf, Président de la République, dont j’accueille le salut avec gratitude, et auquel je présente moi-même, par votre entremise, mes voeux les meilleurs pour sa personne et pour le pays à la destinée duquel il préside.

2. C’est vrai que le relations diplomatiques du Sénégal avec le Saint-Siège représentent déjà une longue tradition, et sont pleines de signification et d’utilité.

D’une part, il s’agit d’aider la communauté catholique à trouver ou à maintenir son modus vivendi conformément à sa foi, avec les moyens d’assurer la formation religieuse de ses fidèles, le culte qu’ils rendent à Dieu et le témoignage original de leurs convictions, dans le respect des autres communautés religieuses. Je m’empresse d’ajouter que l’Etat sénégalais s’honore par le souci qu’il manifeste de voir respectée cette foi. Les catholiques forment, il est vrai, une minorité, mais vous avez vous-même souligné, Monsieur l’Ambassadeur, leur participation active et désintéressée au développement culturel et social de leur pays, par leurs écoles, leurs centres de formation féminine, leurs oeuvres d’assistance et de soins sanitaires. Comme il s’agit d’un service qui profite assez largement au peuple sénégalais, l’Eglise souhaite toujours pouvoir compter, non seulement sur la bienveillance, mais sur l’aide régulière du Gouvernement.

D’autre part, les relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la République du Sénégal visent tout autant à contribuer à l’affermissement et à la mise en oeuvre des idéaux de paix et de progrès qui animent les responsables politiques de la nation, en ce qui concerne le bien commun qu’ils veulent assurer à l’intérieur pour toutes les populations du pays, et plus encore dans les relations internationales où le Sénégal joue un rôle très actif.

3. Pour ce qui est de la vie en société du peuple sénégalais, le Saint-Siège – dans le plein respect de la compétence de l’autorité civile qui a la charge des affaires temporelles et de l’essor culturel de la nation – considère avec intérêt le souci de l’Etat de maintenir l’esprit de tolérance, d’harmonie et de coopération entre les différentes composantes de la nation, sur le plan ethnique et religieux. Il espère que se maintiendra toujours, en particulier dans le domaine si important de l’éducation, le souci d’assurer une formation humaine qui respecte le pluralisme des convictions religieuses. Il sait aussi, et il l’apprécie vivement, le prix que le Gouvernement attache à la démocratie, à l’expression des opinions, à la liberté, à la participation de tous les citoyens. Enfin, le Saint-Siège est prêt, avec l’Eglise au Sénégal, à encourager cette participation responsable, en favorisant notamment l’acquisition des compétences culturelles et techniques, l’éducation au sens de la loyauté et à l’esprit de service, la recherche du développement et de la justice pour tous, afin que le bien commun soit assuré et promu en vue du progrès humain et spirituel de tous les citoyens, avec une attention spéciale pour les groupes plus démunis.

4. Par ailleurs, Votre Excellence a souligné le rôle international du Saint-Siège, qui correspond bien à sa mission universelle. En ce domaine, les mots de dignité, de liberté, de justice, de fraternité, de paix, sont, pour le Saint-Siège comme pour le Sénégal, non seulement des idéaux prestigieux, mais des exigences quotidiennes de l’action à entreprendre.

L’Eglise fonde son action avant tout sur la dignité inviolable que toute personne possède devant Dieu et devant ses frères avec les droits et devoirs correspondants; et aussi sur la dignité des peuples et des nations qui ont le droit de vivre dans la fidélité à leur histoire et à leur culture, avec une ouverture raisonnable aux autres et à l’universel; et enfin sur la solidarité qui unit toute la famille humaine et qui interdit d’assister avec indifférence à la destruction de certains peuples par la guerre ou par la famine. La Fondation Jean-Paul II pour le Sahel, destinée à réparer ou à prévenir les maux de la sécheresse, est un exemple de cette solidarité.

Non seulement il faut tout faire pour que les pays règlent leurs différends par des tentatives de négociations, par des accords loyaux et justes, plutôt que par les conflits armés, mais il s’agit de créer les conditions permettant à chaque peuple de s’épanouir, de faire face aux besoins primordiaux de subsistance alimentaire et d’hygiène. Pour cela, il importe d’établir une solidarité effective entre le Nord et le Sud, et aussi d’enrayer le plus possible les maux de toute sorte qui empêchent une vie digne et un progrès. Dans mon discours devant les diplomates à Yaoundé, le 12 août dernier, j’ai énuméré un certain nombre de maux dont souffre le continent africain.

5. Or tout le monde sait combien le Sénégal nourrit de telles préoccupations au service des pays d’Afrique. En tant que Président de l’Organisation de l’Unité Africaine, Son Excellence Monsieur Abdou Diouf en a témoigné encore tout récemment à New York, au cours de la session extraordinaire consacrée à l’économie africaine. Le Saint-Siège est très attentif lui aussi à la solution du problème de l’endettement des pays africains qui souhaitent à juste titre un moratoire, à la faiblesse de la production agricole et en général des ressources qui seraient de première nécessité pour les Africains, à l’urgence de miser sur le développement et non sur la recherche d’un surcroît d’armements inutile et dangereux, en un mot à la volonté de redressement économique du continent qui devrait devenir une réalité dans les prochaines années.

Chacun doit mesurer loyalement ses responsabilités en ce domaine: les pays favorisés des autres continents, qui ne se soucient sans doute pas suffisamment de l’équité des échanges; et aussi les pays africains qui doivent mieux s’unir, éviter de s’épuiser dans les conflits ou les guérillas fratricides, faire face au problème de tant de réfugiés, éliminer les atteintes aux droits de l’homme, surmonter la discrimination raciale à laquelle votre pays est justement très sensible, comprendre que les solutions de violence entretenues par la haine ou par la peur sont ruineuses et tout simplement indignes de l’homme. Mais je demeure persuadé que l’âme africaine, à laquelle sont familiers le sens religieux et un certain sens de la solidarité, aurait les ressources de sagesse humaine, morale et spirituelle pour surmonter ces difficultés. Il faut que chaque pays, malgré ses faiblesses et ses handicaps, y soit encouragé, à la fois dans la confiance et dans la fermeté, pour prendre ou reprendre sa place avec honneur à la table de la solidarité. Bienheureux les pays qui s’emploient à cette oeuvre de paix!

6. La paix est un don de Dieu, comme Votre Excellence l’a bien souligné. L’Eglise catholique, les chrétiens en général, et j’ose dire l’ensemble des croyants véritables, tous ceux qui cherchent sincèrement et humblement la volonté de Dieu, se mettent en mesure de trouver la solution la meilleure, la plus profitable, la plus humaine, la plus durable à leurs problèmes difficiles, même apparemment insolubles. Le Père Daniel Brottier, qui a tant aimé votre pays, sans pouvoir y poursuivre son ministère autant qu’il l’aurait voulu, disait: “La valeur spirituelle est le propre de l’homme. Notre situation financière, sociale, peut changer, notre valeur personnelle, intellectuelle et morale demeure et demeurera”. Dieu mérite d’être d’abord adoré et aimé pour lui-même; et c’est lui qui garantit nos droits humains, qui sensibilise notre conscience à tous ses devoirs, qui lui donne le goût et la force du bien. On ne peut l’invoquer sans être renvoyé au respect et à l’amour du prochain, sans chercher à voir dans les autres des frères, sans respecter et promouvoir la place que chacun occupe dans le dessein de Dieu.

L’Eglise veut contribuer, pour sa part, à cette élévation spirituelles des consciences Le Saint-Siège s’en inspire dans son action. Je sais que vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, vous y êtes sensible. Je souhaite que, avec vous, les relations entre le Saint-Siège et le Sénégal s’avèrent les plus fructueuses. Vous trouverez ici tout l’appui que vous pouvez désirer pour cette mission de paix. Pour ma part, je prie le Très-Haut de combler de ses bénédictions votre personne, les dirigeants de votre pays et tout le peuple sénégalais.

AU COLLOQUE POUR LES 40 ANS DE LA REVUE MENSUELLE «ZNAK»

Jeudi 19 juin 1986

Messieurs les Cardinaux,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

1. C’est une grande joie pour moi de vous rencontrer à l occasion du jubilé de la revue mensuelle Znak qui, depuis quarante ans, sert la culture chrétienne et polonaise.

Et je suis particulièrement heureux de fêter ce jubilé ici, avec des amis de Znak de différents pays.

En effet, à l’occasion de ce quarantième anniversaire, l’équipe de rédaction de Znak a voulu faire un pèlerinage à Rome. En même temps, elle a souhaité trouver une occasion de rencontre avec des représentants des milieux culturels romains, en particulier du monde universitaire. Ainsi est né le projet d’organiser un colloque sur un thème qui intéresserait les Polonais, les Italiens, les membres des organismes du Saint-Siège et d’autres personnalités des pays européens. Informé de cela, le Cardinal Paul Poupard, en tant que Président exécutif du Conseil pontifical pour la Culture, a manifesté un vif intérêt et une grande disponibilité pour réaliser cette initiative. Alors le colloque a pu avoir lieu ces derniers jours, avec notamment la participation du Cardinal Poupard, du Cardinal Joseph Ratzinger, d’éminents universitaires tels que le Professeur Tadeusz Chrzanowski, de Cracovie, le Professeur Jacek Salij, OP, de Varsovie, le Professeur Nikolaus Lobkowicz, d’Eichstatt.

Je salue avec joie la rédaction de Znak, les membres de la délégation polonaise de Cracovie, de Lublin, de Varsovie, avec le Cardinal Franciszek Macharski, Archevêque de Cracovie, qui se joint à nous ce matin, et tous les participants au colloque.

Je remercie spécialement le Cardinal Poupard de son hommage de présentation. Je remercie également tous ceux qui ont contribué à la tenue de ce colloque; je pense notamment à l’aide apportée par l’Institut polonais de la culture chrétienne, et par l’Institut pontifical des études ecclésiastiques à Rome qui a organisé également une rencontre pour les Polonais.

2. La publication Znak a pris racine et s’est développée dans la culture chrétienne, grâce aux hommes qui l’ont fondée, qui en ont assuré la rédaction ou qui ont écrit des articles pour elle. Plusieurs nous ont quittés, d’autres sont venus plus tard apporter leur participation, mais l’identité fondamentale demeure la même, au milieu des conditions qui changent et occasionnent une croissance homogène.

En même temps, Znak a voulu être un lieu de rencontre, de dialogue, avec la noble ambition d’informer sur les nouveaux courants de pensée, en portant sur eux une appréciation, en indiquant les dangers qu’ils comportent, en cherchant les valeurs authentiques qu’ils véhiculent; En un mot, Znak a cherché a être très présent dans l’Eglise universelle, comme dans l’Eglise en Pologne. Cela se réalisait par la publication de textes d’auteurs éminents du monde chrétien: qu’il me suffise de rappeler, entre autres, la fameuse lettre pastorale du Cardinal Suhard: “Essor ou déclin de l’Eglise?”, les oeuvres de Thomas Merton, de nombreux philosophes et théologiens; cela comportait aussi une réflexion critique qui éclairait les changements, les expériences et les recherches intellectuelles du monde contemporain. Sur tout cela, je n’ai pas besoin de m’étendre, le Cardinal Poupard en a amplement parlé dans le discours inaugural du colloque, et il s’agit de choses familières à nos amis polonais.

3. Pour ma part, permettez-moi de m’arrêter à plusieurs noms qui me sont d’autant plus chers que c’est à Cracovie que sont nés, aussitôt après la guerre, les périodiques dont nous parlons. Nous avons précisément parmi nous, avec l’actuel rédacteur en chef, Monsieur Stephan Wilkanowicz, les deux fondateurs de la revue Znak: le professeur Stanislaw Stomma et le rédacteur Jerzy Turowicz. Le premier fut, en même temps que Madame Hanna Malewska, corédacteur de Znak durant la première période de son activité, jusqu’à sa suppression temporaire dans les années 1953-1957, pour les raisons que vous savez. Il s’est ensuite engagé dans l’activité politique en explorant la possibilité d’entente entre le gouvernement et la société, et, lorsque vint le temps de l’épreuve, il a rendu, en toute solidarité, témoignage aux valeurs qu’il a servies.

Monsieur Jerzy Turowicz était, lui, le rédacteur et chef de l’hebdomadaire Tygodnik powszechny qui a fêté lui aussi son quarantième anniversaire, l’an dernier à Rome. Il demeure un “signe” de l’identité et de l’unité du même milieu intellectuel catholique de Cracovie où s’élaboraient les deux périodiques distincts. Lui-même appuie depuis quarante ans la fondation Znak, en surmontant les difficultés diverses et les différents obstacles.

Quant à Hanna Malewska, elle a rejoint voilà deux ans la maison du Père. Elle a été rédactrice de Znak durant de nombreuses années; sa façon d’écrire y était tout à fait remarquable. Aujourd’hui, nous évoquons avec gratitude l’héritage qu’elle nous a laissé, appréciant la profonde compréhension qu’elle avait de la vocation de l’homme, de son histoire et de la culture qu’il crée, aussi bien dans les temps lointains qu’aujourd’hui. Elle a magnifiquement décrit, entre autres, le monde de l’époque de saint Benoît, la construction des cathédrales médiévales, le drame de saint Thomas More, et celui, tout autre, de l’archevêque Thomas Cranmer, comme aussi l’histoire de ses ancêtres aux XIXe et XXe siècles.

4. Je voudrais encore souligner une double caractéristique des revues Znak et Tygodrik powszechny. Par rapport aux autres périodiques de théologie, ces deux revues avaient l’originalité d’être l’oeuvre de laïcs catholiques et d’être destinées à des laïcs de l’intelligentsia catholique en Pologne. Les fondateurs et les rédacteurs étaient conscients des besoins des intellectuels chrétiens en ce domaine. La foi en effet ne peut pas se passer de chercher à comprendre toujours mieux le monde dans lequel nous vivons, à répondre aux questions des hommes sur le sens de la vie présente et future et leurs rapports réciproques, questions permanentes mais qui prennent, pour chaque génération, en fonction de sa culture, une forme particulière: “Fides quaerit intellectum”. En ce sens la foi crée le besoin de la culture, pour s’incarner dans la pensée et dans l’action d’un peuple. Mais, en même temps, quand les personnes sont vraiment fidèles à leur foi, ce qui est le cas pour les responsables de Znak, la foi informe la culture, lui donne son empreinte, son visage, vérifie l’authenticité de ses oeuvres, car elle est la réponse simple et transcendante que l’homme donne à Dieu qui se révèle lui-même: “Intellectus quaerit fidem”. C’est ce double mouvement réciproque de la pensée chrétienne qui a caractérisé la fondation Znak. L’Eglise a toujours besoin de cette pastorale de la pensée: c’est à ce prix que se fera l’évangélisation non seulement des intellectuels mais du peuple chrétien qui participe à leur culture.

5. Et j’ai noté que cela a été principalement l’oeuvre de laïcs: conscients de la mission qui incombe à tous les baptisés dans l’Eglise, ils se sont consacrés à ce service qualifié de leurs frères en Pologne. Ils ont réalisé ce que le Concile a dit depuis lors de l’apostolat des laïcs: “Tout ce qui compose l’ordre temporel: les biens de la vie et de la famille, la culture, les réalités économiques, les arts et les professions..., leur évolution et leur progrès, n’ont pas seulement valeur de moyen par rapport à la fin dernière de l’homme. Ils possèdent une valeur propre, mise en eux par Dieu lui-même... Les laïcs doivent assumer comme leur tache spécifique le renouvellement de l’ordre temporel” (Apostolicam Actuositatem AA 7). Ils doivent avoir une vision toujours plus mûre de la valeur propre de ces réalités, et s’appliquer à l’exprimer. Les collaborateurs de Znak l’ont fait dans des domaines aussi variés que la théologie proprement dite, la philosophie, l’art, l’histoire, la littérature, les sciences sociales. On demeure frappé par l’amplitude des horizons explorés, la richesse des thèmes, la multiplicité des propositions intellectuelles, la valeur des réponses aux interrogations modernes. J’aime y voir une expression privilégiée de l’apostolat de laïcs qui ont su allier l’humilité de la recherche à la certitude de la foi.

6. Très brièvement, je vais évoquer maintenant le double thème que votre colloque, au delà de la commémoration jubilaire de Znak, a voulu aborder: d’une part le dialogue des cultures et l’unité de l’Europe, et d’autre part la théologie de la libération.

Vous avez ainsi jeté un pont entre le passé et le présent, de façon à mieux envisager l’avenir. Les saints Cyrille et Méthode nous aident à comprendre la pluralité et l’unité, le droit à la différence et l’essentielle unité de l’Eglise et de l’Europe. Aujourd’hui, nous cherchons les racines chrétiennes de l’Europe et également les voies de son évangélisation, d’une nouvelle évangélisation. Nous cherchons aussi les moyens de construire ou de recomposer son unité malgré les divisions religieuses, culturelles et politiques. Ce thème est capital et j’ai eu bien des fois l’occasion de le développer: devant le Symposium des Evêques Européens, devant celui des prêtres et, le 21 avril dernier, devant le Colloque sur l’héritage chrétien de la culture européenne.

7. Vous avez abordé également la problématique actuelle de la libération, en rapport avec le passé, notamment avec les courants de pensée et les expériences polonaises au siècle dernier. Ce n’est pas d’aujourd’hui que date le combat de l’homme pour sa libération, pour la satisfaction de ses droits humains. Il est bon de connaître les succès et les erreurs du passé, pour préparer un avenir meilleur. Le monde contemporain ressent lui aussi le besoin être libéré d’un certain nombre de servitudes. Certains pays vivent douloureusement les drames d’une contrainte politique et économique, qui s’impose parfois de façon violente ou sous forme d’oppression continue. N’oublions pas non plus les bouleversements et les contraintes plus subtiles qui peuvent consister à déformer ou à blesser les pensées et les sentiments de l’homme par une sélection tendancieuse de l’information, par la manipulation du langage, par la falsification des valeurs. La récente instruction sur la liberté chrétienne et la libération a fait le point sur ces contraintes indues et sur l’objectif des chrétiens: le changement nécessaire des structures injustes, subordonné au changement de l’injustice du coeur humain.

L’édification d’une culture chrétienne dans la vie et les activités sociales commence en effet par une compréhension correcte de la liberté dans ce qu’elle a de fondamental; elle inclut la liberté intérieure et la liberté extérieure orientées vers le bien. La libération est en définitive la victoire du bien sur le mal dans chaque homme et dans la vie sociale. Dans celle-ci, un tel progrès doit aboutir à une meilleure protection des droits de l’homme, y compris sa liberté, et à créer pour lui les meilleures conditions de développement. Mais la libération sociale n’est authentique et effective que si le bien l’emporte dans le coeur de tout homme. Plus le mal social est grand, plus les hommes qui le combattent doivent être meilleurs afin qu’ils puissent résister à la contagion que le mal social porte avec lui.

8. Les générations se succèdent, les hommes changent. Nous devons travailler à rendre le Christ proche d’eux pour qu’ils puissent le rencontrer; il nous faut mettre en oeuvre son enseignement au regard des conditions nouvelles. Znak n’a cessé d’y contribuer pour sa part. Invoquons la protection des saints patrons de l’Europe, Benoît, Cyrille et Méthode, pour poursuivre l’évangélisation des esprits, édifier le Règne de Dieu, la civilisation de la vérité et de l’amour.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de célébrer avec vous le jubilé de la fondation Znak et je vous bénis de tout coeur

AUX ÉVÊQUES ET AUX LAÏCS DE L’APOSTOLAT MILITAIRE INTERNATIONAL

Samedi 21 juin 1986

Chers Frères dans l’épiscopat,
chers amis laïcs de l’Apostolat militaire international,

Votre présence simultanée à Rome fait que je vous reçois ensemble. Et si vos responsabilités et vos moyens d’actions sont différents, ils visent le même but: l’assistance spirituelle des militaires.

1. Permettez-moi d’abord de saluer et d’encourager les laïcs de l’Apostolat militaire international qui tiennent une conférence de leur mouvement à Rome.

Officiers, sous-officiers, soldats, attachés à la foi chrétienne, vous voulez approfondir cette foi, éclairer à sa lumière les questions difficiles auxquelles vous êtes affrontés, la mettre en oeuvre dans tout ce qui constitue votre vie et en témoigner dans votre milieu militaire. C’est le propre de l’apostolat des laïcs qui est fondé sur la grâce et la responsabilité du baptême, et que le Concile Vatican II a particulièrement encouragé, aussi bien l’apostolat personnel que l’apostolat des groupes constitués de manière à mieux soutenir leurs membres et à donner un témoignage commun. C’est précisément après le Concile que vous avez formé votre association, et je suis heureux qu’elle ait été reconnue comme Organisation internationale catholique, remplissant les critères d’un apostolat d’Eglise en union avec le Saint-Siège. La toute récente constitution apostolique Spirituali militum curae, du 21 avril, réorganisant les Ordinariats militaires, précise justement: “Puisque tous les fidèles doivent collaborer à la construction du Corps du Christ, l’Ordinaire (militaire) et son clergé feront en sorte que les fidèles laïcs de l’Ordinariat, aussi bien au niveau individuel qu’en tant que groupe, jouent un orle de ferment apostolique mais aussi missionnaire parmi les militaires avec lesquels ils vivent”.

2. Ceux qui assurent le service de leurs pays dans les forces armées ont en effet des conditions de vie particulières, qui appellent un apostolat adapté, accompli précisément par leurs compagnons croyants.

Cela vaut pour les militaires de carrière, dont le genre de vie, les obligations, et les responsabilités spéciales en matière de défense, requièrent une compréhension et un accompagnement pastoral spécifiques. Ils remplissent un engagement qui comporte des risques et qui a besoin d’une réflexion approfondie sur les questions éthiques inhérentes à leur profession et sur lesquelles je ne peux m’étendre aujourd’hui. Oui, les responsables militaires chrétiens auront à coeur de se former la conscience sur les grands problèmes du service de la paix et de la sécurité, avec lucidité et courage, de façon à faire les bons choix qui dépendent d’eux et à contribuer à éclairer sur ce point les convictions des plus jeunes et de l’opinion publique.

Je pense également à tous les autres militaires du contingent, qui accomplissent pour un temps leur service national: celui-ci est pour eux comme un grand creuset, qui peut être une épreuve fatale pour leur foi ou leur pratique religieuse, étant donné leur déracinement, mais aussi une chance de vivre avec de vrais croyants.

3. Les uns et les autres doivent être aidés à découvrir le vrai visage du Christ et de son Eglise, et là votre témoignage est capital. Ils doivent trouver des possibilités de ressourcement spirituel: prière, messe, moments de réflexion sur la foi et sur tout ce qui constitue leur devoir d’état militaire, pèlerinages, etc., et c’est votre rôle aussi de les organiser avec eux et pour eux, en liaison avec les aumôniers militaires. Enfin l’apôtre chrétien se soucie également du climat fraternel à entretenir, de l’entraide attentive pour tous ceux qui connaissent des difficultés matérielles et morales. Oui, tout ce qui touche à l’organisation plus humaine et plus juste de la vie militaire, ou même celle des loisirs, intéresse l’apostolat comme une forme concrète de charité chrétienne.

4. Cela suppose que vous-mêmes vous vous formiez à cet apostolat en vous familiarisant toujours davantage avec l’Evangile et avec toute la doctrine de l’Eglise, et en vivant plus unis au Christ dans la prière et les sacrements, sans séparer cette union au Christ de tout ce qui fait votre vie (cf. Apostolicam Actuositatem AA 4)

En vous donnant ainsi mes vifs encouragements, je veux surtout vous assurer que vous avez votre place dans l’Eglise, que vous êtes aimés de Dieu, dans la mesure où vous remplissez votre devoir d’état avec conscience et pour assurer finalement une plus grande paix. Jean-Baptiste accueillait les soldats romains, au bord du Jourdain, sans leur demander d’abandonner leur métier, mais en les invitant à l’accomplir honnêtement et sans traitements injustes. Jésus lui-même était bienveillant pour le centurion qui venait à lui avec confiance. Saint François de Sales soulignait que vous étiez capables d’une vie chrétienne adaptée à votre métier: “C’est une erreur – et même une hérésie – de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats..., du ménage des gens mariés”; par “vie dévote” il entendait l’union à Dieu en réponse à son amour et l’inspiration chrétienne de toute la vie.

Bref l’Eglise compte beaucoup sur votre apostolat: soyez lumière, sel, levain évangéliques au milieu de vos frères!

5. Je me tourne maintenant un instant vers vos Pasteurs. La Constitution qui entrera en vigueur le 21 juillet les appelle Ordinaires militaires, avec une juridiction épiscopale ordinaire et personnelle très étendue. Je vous salue donc avec joie, chers Frères membres du Conseil du Bureau central de coordination pastorale des Ordinaires militaires, venues de l’Italie, de la France, de l’Espagne, des Etats-Unis, du Chili, de la République Dominicaine. Le document que vous étudiez ensemble pour aider vos Frères des différentes Eglises à bien le mettre en pratique souligne l’importance que l’Eglise accorde à votre charge. Vos fidèles, dispersés à travers le monde, sont très nombreux et ont besoin d’une pastorale adaptée, qui les atteigne vraiment au coeur de leur vie et leur permette un contact salutaire avec l’Eglise. En tout cela, je vous souhaite de vous appuyer sur des aumôniers militaires zélés et sur des laïcs généreux, dont je viens de souligner le rôle indispensable.

A tous, je donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.

Discours 1986 - Samedi 7 juin 1986