Discours 1986 - Samedi 21 juin 1986



LORS DE LA CÉRÉMONIE D'IMPOSITION DU PALLIUM

AU PATRIARCHE D'ANTIOCHE DES MARONITES

Lundi 23 juin 1986

Béatitude,

1. Je voudrais tout d’abord vous donner la bienvenue dans cette Maison alors que vous venez “ad limina Apostolorum”, pour la première fois après votre élection au Siège patriarcal d’Antioche des Maronites.

Je désire également saluer fraternellement les Prélats qui vous accompagnent: Mgr Ibrahim Hélou, cher et vénéré archevêque de Saïda, Nosseigneurs Khalil Abinader et Joseph Béchara, respectivement archevêques de Beyrouth et de Chypre, ainsi que les évêques du Patriarcat et tous les membres de la délégation.

Mais à travers vous ici présents, mes pensées se tournent spontanément vers tous les Maronites du Liban et de la diaspora à qui il me plaît de dire avec l’Apôtre: “Je rends grâce à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous en tout temps dans toutes mes prières pour vous tous” (Ph 1,3-4). Comment ne pas évoquer, en cette circonstance, les mérites que votre Eglise s’est acquis au cours des siècles? Qu’il suffise de rappeler la fermeté de sa foi catholique, l’intrépidité de son témoignage, sa fidélité à ce Siège romain ainsi que le rayonnement de sa culture en dialogue avec l’Orient et l’Occident.

Si mon rôle, en tant que successeur de Pierre, est de “confirmer mes frères dans la foi”; je suis particulièrement heureux d’accueillir ce matin le nouveau Patriarche des Maronites à qui j’aurai la joie de conférer dans quelques minutes le pallium, signe de son autorité métropolitaine et de ses liens particuliers avec le Siège apostolique de Rome.

2. Vous venez d’être appelé, Béatitude, à une grave responsabilité. Vous prenez la suite des vénérés Patriarches qui, tout comme aujourd’hui, dans des circonstances troublées, ont eu à coeur de guider leur troupeau et de l’affermir dans la foi, l’espérance et la charité. Vous prenez le flambeau des mains du digne Cardinal Antoine-Pierre Khoraiche, que vous voudrez bien saluer cordialement de ma part, pour être, à votre tour, témoin, guide et lumière de votre communauté.

“Pater et caput” (Orientalium Ecclesiarum OE 9) de votre Eglise, il vous appartient désormais d’en assurer l’animation spirituelle, l’orientation pastorale, la coordination de ses diverses activités ainsi que la discipline. Je sais avec quelle dévotion et quelle espérance le clergé, les religieux, les fidèles – et même les autres communautés chrétiennes et non chrétiennes du Liban – regardent vers Votre Béatitude. Je suis convaincu qu’Elle aura à coeur de ne point décevoir une telle attente.

Le Patriarcat de Bkerké demeure, en effet, un point de référence; les Maronites le considèrent un peu comme leur maison familiale. Je souhaite donc qu’il soit à même d’offrir au Patriarche et è la communauté tous les services qui leur sont nécessaires. J’ai confiance que Votre Béatitude saura susciter les bonnes volontés et mettre en place les structures qui s’imposent pour faire face aux besoins des Maronites tant du Liban que de l’étranger.

3. Dans cette tache exigeante, le Patriarche n’est pas seul. Il doit pouvoir bénéficier de l’appui et de la collaboration de ses Confrères dans l’épiscopat, qui lui sont d’autant mieux assurés qu’il s’agit d’une Eglise synodale. En outre, le Chef de l’Eglise maronite peut compter sur l’adhésion sans faille de prêtres zélés, de religieux et de religieuses présents dans tous les secteurs de l’activité pastorale, et enfin de ces fidèles maronites qui ont toujours montré leur indéfectible attachement envers leur Eglise et leurs Pasteurs. La béatification récente de Soeur Rafqa nous a rappelé que le Liban, avant d’être un lieu d’affrontements, est une terre de contemplation où fleurissent des fruits de sainteté. Je sais qu’il y a dans cette montagne libanaise des femmes et des hommes dont on ne parlera jamais, mais qui, jour après jour, assurent sans se lasser la présence et le rayonnement de l’Evangile de Jésus-Christ. Grâces en soient rendues à Dieu!

4. Béatitude, c’est ce capital spirituel que le Seigneur vous demande de gérer, en serviteur fidèle et avisé. Je Le prie de vous aider, avec tous les pasteurs de la communauté, à faire redécouvrir à tous les Maronite qu’ils forment une “Eglise”: assemblée convoquée par le Christ et réunie autour de Lui dans la vérité, la charité et l’humilité. Les divisions imposées par la guerre, les séparations dues à la politique partisane, l’inquiétude des jeunes et la lassitude des adultes sont autant de défis que l’Eglise maronite se doit de relever, grâce à des orientations pastorales précises, mobilisant les bonnes volontés qui, fort heureusement, ne manquent pas. Une catéchèse adaptée, la formation soignée du clergé et des familles religieuses, l’attention aux nécessités sociales et à toutes les nouvelles pauvretés engendrées par la guerre – je pense aux réfugiés – sont, parmi d’autres, des préoccupations qui requièrent non seulement l’attention du coeur mais aussi une volonté réelle d’entreprendre et de se compromettre pour faire en sorte que les choses changent.

5. Cela est nécessaire pour la crédibilité de l’Eglise maronite, mais également pour le réconfort des autres familles spirituelles – chrétiennes et non chrétiennes – du pays. De par l’histoire, en effet, l’Eglise maronite a joué le rôle d’une “Eglise de soutènement”. Elle ne peut vivre repliée sur elle-même; elle se doit de partager avec les autres Eglises le souci de l’Evangile pour provoquer les “conversions” nécessaires et faire que tous ceux qui se réclament de Jésus-Christ et de son message soient, comme le dit la Constitution conciliaire Gaudium et Spes, “en toute circonstance et au coeur même de la communauté humaine, les témoins du Christ”.

Ainsi sera maintenu et consolidé un Liban pluraliste, ouvert aux apports de civilisations différentes et capable de les harmoniser en gardant son originalité. Je pense bien sur à ces relations quotidiennes entre chrétiens et musulmans qui, depuis des siècles, ont forgé le visage du Liban et que les hommes, épris de paix à travers le monde, voudraient revoir serein et pacifié. Il appartient aux chrétiens en particulier, comme je le disais dans mon Message à tous les Libanais du 1er mai 1984, d’assumer ce “ministère prophétique du dialogue et de la réconciliation qui prend sa source dans le coeur du Christ”.

6. Ce sont ces intentions que je confie dans la prière au Seigneur en Lui demandant de donner à chaque chrétien le courage de croire qu’il a raison de témoigner de l’Evangile dans le Liban d’aujourd’hui. Je Le supplie encore pour l’avènement de cette paix si désirée: qu’il soit donné à ce pays, dévasté par tant de violence, de retrouver des conditions, d’existence normales lui permettant de redevenir un exemple de convivialité, de dynamisme et d’intelligence!

Béatitude et chers Frères dans l’épiscopat, mes voeux fervents vous accompagnent, vous que le Seigneur a placés à la tête du troupeau. Je vous confie, avec tous vos fidèles et vos compatriotes à la maternelle protection de Notre-Dame de Harissa, et je vous bénis de grand coeur.

À UNE DÉLÉGATION DE L’ASSOCIATION

DES JOURNALISTES CATHOLIQUES DE BELGIQUE

Jeudi 26 juin 1986

Monsieur le Président de l’Association des Journalistes catholiques de Belgique,
Mesdames et Messieurs,

Votre démarche est assurément une tradition exemplaire. Elle rappelle les collectes des premières communautés remises à l’Apôtre Paul pour les chrétiens de Jérusalem. Elle continue la tradition du partage qui a marqué l’histoire bimillénaire du christianisme. En vous accueillant, j’éprouve une grande joie et je vous exprime ma profonde gratitude pour l’importante offrande que vous avez eu la délicatesse de me remettre personnellement. Je vous remercie également au nom des personnes et des organismes qui bénéficieront de vos “Etrennes pontificales 1986”. Soyez bien certains que, selon votre souhait, vos dons et ceux de vos lecteurs permettront à des populations démunies, du fait de calamités naturelles ou de la guerre, comme à des Eglises extrêmement pauvres, de recevoir des secours urgents. Votre Association contribue vraiment à l’oeuvre immense de l’évangélisation et du développement.

Je vous félicite d’entretenir en vous et chez vos lecteurs cet esprit de solidarité évangélique et ecclésial. Vous avez beaucoup de mérite, alors que les difficultés économiques atteignent, de manière visible ou plus cachée, tant de gens, tant de familles, même en nos pays d’occident. Je vous confie le soin d’exprimer à tous ces donateurs la vive reconnaissance du Saint-Siège.

Enfin, je vous renouvelle mes encouragements pour votre labeur professionnel, dont je mesure l’aspect exigeant, délicat, ardu; vous êtes parfois contraints – à cause de votre attachement à l’Evangile du Christ – d’aller à contre-courant d’opinions et de moeurs très dommageables à la personne humaine et à la société. C’est en raison de ces exigences que j’appelle sur vous, sur vos collaborateurs et sur la foule de vos fidèles lecteurs, les plus abondantes grâces du Seigneur.

À UNE DÉLÉGATION DU PATRIARCHE DIMITRIOS Ier

Lundi 30 juin 1986

Chers Frères,

“Que la grâce et la paix vous soient données en abondance”, à vous, Frères envoyés par le Patriarche Dimitrios Ier pour la fête des saints Pierre et Paul! C’est une joie pour moi de vous saluer avec les mêmes paroles que saint Pierre a adressées aux premiers chrétiens du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie, de la Bythinie. Soyez les bienvenus parmi nous! Votre présence, qui accroît notre joie en ces jours de fêtes, exprime aussi notre commune volonté de rétablir la pleine unité entre nos Eglises.

En célébrant ensemble, ici et au Patriarcat oecuménique, les fêtes des saints Apôtres patrons de nos Eglises, nous donnons une impulsion toujours renouvelée au dialogue de la charité. Soutenus par la foi apostolique, nous sommes portés au seuil de la célébration eucharistique, et l’impossibilité actuelle d’une concélébration, bien loin de nous décourager, nous pousse à mettre tout en oeuvre pour surmonter les divergences qui demeurent entre nous.

La communion dans la prière concentre l’attention sur l’essentiel, sur la volonté de Dieu, et renforce l’adhésion fidèle et l’obéissance sincère que nous lui devons. En même temps, cette communion dans la prière libère de certains conditionnements hérités du passé en purifiant le coeur et l’esprit des intentions qui ne sont pas cohérentes avec le dessein de Dieu sur son Eglise. Je voudrais que cette pratique de s’unir ensemble dans la prière s’étende toujours davantage là où catholiques et orthodoxes vivent les uns à coté des autres.

Certes, si nos Eglises, depuis presque un millénaire, ne concélèbrent plus l’Eucharistie, cela veut dire que les divergences ont été considérées comme graves des deux cotés. Le dialogue théologique est donc indispensable. Il devra clarifier les malentendus, discuter et résoudre les divergences, et, finalement, déclarer l’unité dans la foi. Ce dialogue théologique dont, avec le Patriarche Dimitrios, j’ai eu la joie d’annoncer l’ouverture, justement à l’occasion de la fête de saint André, frère de saint Pierre, devra accomplir sa mission jusqu’au bout en étant attentif aux inspirations du Saint-Esprit et libre des préoccupations étrangères à son but authentique. Nous le savons tous. Il s’agit d’un dialogue concret et complexe. Il engage des personnes et des situations aux expériences diverses. Il implique toujours un authentique sacrifice. Dialoguer signifie prendre en considération l’autre dans toute sa complexité théologique, pastorale, historique, culturelle, psychologique. Cela comporte aussi le risque réaliste de rencontrer des difficultés qui parfois ralentissent une marche que, tous, nous voudrions plus rapide et plus libre. Mais nous voulons marcher jusqu’au bout: jusqu’à l’autel de la concélébration. Les théologiens engagés dans le dialogue sauront certainement trouver la voie juste, en fidélité à la sainte Ecriture et à la grande tradition commune de nos Eglises. Pour cette tache si vitale pour l’Eglise du Christ, nous les encourageons et nous les soutenons de tout coeur.

En réalité, si la recomposition de la pleine unité des chrétiens est une exigence évangélique indiscutable, elle est aussi une urgence pour le monde de notre temps inquiet et troublé, et qui affronte les tentations de la violence, de la division et de la mort. La guérison de la blessure que la division entre Orient et Occident a causée à la communauté chrétienne sera utile non seulement aux catholiques et aux orthodoxes, mais à toute la communauté chrétienne, et elle aidera grandement à la révélation de l’Evangile dans le monde. L’unité est un bien pour tous et n’implique aucune menace pour personne. L’unité n’est pas absorption d’une communauté par une autre, mais pleine communion de foi dans le respect de la variété des diverses traditions dans la mesure où elles expriment la même foi et incarnent l’unique Evangile dans les cultures locales.

Le dernier synode extraordinaire des évêques de l’Eglise catholique, convoqué pour le vingtième anniversaire du deuxième Concile du Vatican, a réaffirmé l’importance d’une vision de l’Eglise comme communion. La relation finale affirme que “l’ecclésiologie de communion est aussi fondement de l’ordre dans l’Eglise et surtout d’une correcte relation entre unité et pluriformité dans l’Eglise”.

Dans le pèlerinage vers la pleine unité, c’est le Seigneur qui nous guide pour que nous puissions mieux témoigner de son nom parmi les hommes et mieux annoncer au monde la bénédiction de Dieu, la rédemption et l’espérance qui ne déçoit pas.

“Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ: dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance, par la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir”.

C’est dans ces sentiments de joie, de communion et d’engagement que nous vous recevons aujourd’hui et que je vous prie de porter à mon Frère en Christ, le Patriarche oecuménique Dimitrios Ier l’expression de ma gratitude pour vous avoir envoyés, ainsi que mon respect et mon affection en Jésus Christ.

“Que la grâce et la paix vous soient données en abondance”.

AUX PARTICIPANTS À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES PÈRES LAZARISTES

Lundi 30 juin 1986

Cher Père Responsable général de la Congrégation de la Mission,
Chers Pères Lazaristes,

1. Que le Seigneur soit béni! C’ est Lui qui nous fait la grâce de cette rencontre, pour un meilleur service de l’Eglise. Tournons également nos esprits et nos coeurs vers saint Vincent de Paul, homme d’action et de prière, d’organisation et d’imagination, de commandement et d’humilité, homme d’autrefois et d’aujourd’hui. Que ce paysan des Landes, devenu par la grâce de Dieu un génie de la charité, nous aide tous à remettre encore nos mains à la charrue sans plus jamais regarder en arrière, pour le seul labour qui compte: l’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres!

Cette prière ne me fait pas oublier de remercier le Père Richard McCullen pour le bon travail de son généralat et d’offrir mes souhaits priants au Père qui vient d’être élu Responsable général, afin qu’il accomplisse au mieux la mission que la divine Providence lui réserve en cette période exigeante pour les sociétés de vie apostolique. Et à vous tous, qui avez été délégués par vos quarante-huit provinces, j’exprime un voeu ardent: faites l’impossible pour communiquer aux quatre mille membres de la Congrégation le souffle rénovateur de cette trente-septième Assemblée capitulaire!

2. Prenant connaissance de la synthèse des réponses au questionnaire destiné à préparer cette rencontre romaine, j’ai remarqué le très fort pourcentage de la participation des provinces. Ce qui m’a également frappé, c’est la volonté unanime d’avancer ensemble en trois directions principales: l’engagement plus net au service des pauvres, la relance de la vie communautaire et la nécessité de revoir la formation pour la Mission.

Sans interférer dans le déroulement de vos travaux, il m’incombe de vous encourager au nom du Christ et de l’Eglise.

A propos du premier objectif, vous êtes tout à fait dans l’esprit de votre fondateur qui écrivait: “Nous sommes les prêtres des pauvres. Dieu nous a choisis pour eux. C’est là notre capital, tout le reste est accessoire”. Et je cite encore cette phrase percutante, bien dans son style: “Il faut aller au pauvre, comme on va au feu”. Votre volonté d’un nouveau recentrage sur le service prioritaire des pauvres est également en consonance avec la Constitution “Gaudium et Spes”. Dès les premières lignes, nous lisons que l’Eglise veut être présente au milieu des hommes qui peinent et qui souffrent. C’est en somme la spiritualité que Monsieur Vincent n’a cessé d’approfondir et de communiquer à ses disciples: l’adoration et l’imitation du Verbe Incarné, “le Missionnaire du Père, envoyé aux pauvres”. Depuis le XVIIème siècle, les formes de pauvreté ont varié. On pourrait dire qu’elles n’ont pas régressé. L’avènement de la science, de ses applications, le développement industriel et la croissance souvent incohérente du monde urbain ont engendré de nouveaux pauvres, qui souffrent autant et sans doute plus que les populations rurales et citadines des siècles passés. Sans monopoliser la charité et l’action sociale, Monsieur Vincent remuerait ciel et terre pour aller au secours des pauvres d’aujourd’hui et pour les évangéliser. Chers Pères et Frères de la Mission, plus que jamais, avec audace, humilité et compétence, recherchez les causes de la pauvreté et encouragez les solutions à court et à long terme, des solutions concrètes, mobiles, efficaces. En agissant ainsi, vous coopérez à la crédibilité de l’Evangile et de l’Eglise. Mais, sans plus attendre, vivez proches des pauvres et faites en sorte qu’ils ne soient jamais privés de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

3. La volonté, surgie de tous les horizons de la Congrégation, de relancer la vie communautaire a aussi retenu mon attention. Vincent parlait ou écrivait avec une véhémence évangélique à propos de l’émiettement et de l’égoïsme de certaines communautés. Surtout, il cherchait à brûler le coeur de ses Confrères de la Mission, en les suppliant d’aller à la source même de la vie communautaire, à savoir les profondeurs du mystère de la Trinité. Que dirait-il aujourd’hui, alors que les nouvelles communautés qui surgissent partout sont le signe d’un besoin communautaire chaleureux dans une société facilement anonyme et froide? Vos Constitutions explicitent parfaitement l’esprit et les chemins de la vie commune tant enseignée par votre Père. C’est à chaque communauté de bien établir son projet. Et il revient à chaque membre de le faire réussir. Je vous encourage vivement à réserver un temps fort chaque semaine ou chaque quinzaine pour approfondir le mystère de la prière, pour vous imprégner des écrits si vivants de votre fondateur, pour juger sereinement de vos activités apostoliques, pour réviser précisément la marche de votre vie fraternelle. Et si vous parlez de coresponsabilité communautaire, qu’elle soit bien entendue! Les membres d’une communauté ne peuvent réduire le responsable à souscrire à toutes leurs propositions. Ils ont à l’aider à bien garder le cap sur les exigences vincentiennes, avec patience. Que vos hôtes, que les habitants proches de vos résidences soient témoins, j’ose ajouter bouleversés, de votre simplicité et de votre dignité, de votre pauvreté et de votre joie, de votre compréhension des problèmes de ce temps et de votre ardeur apostolique! Et que les échanges entre communautés, entre provinces, peut-être mieux organisés, vivifient toute la Congrégation de la Mission!

4. Enfin, je vous apporte mes encouragements les meilleurs pour une accentuation et une rénovation de la formation pour la Mission. Sans le moindre doute, si saint Vincent vivait aujourd’hui, il maintiendrait contre vents et marées l’intimité avec Dieu, le sens de Dieu. Il donnerait grand écho aux textes conciliaires invitant les prêtres à enraciner l’unité de leur vie et de leur action dans la charité pastorale du Christ, l’Unique Pasteur. Et, sur le plan précis de la formation, il aurait abondamment monnayé le Décret sur la formation des prêtres. Je n’insisterai pas sur une évidence, à savoir les mutations actuelles et futures de la société. Pensons seulement aux Missions populaires dont saint Vincent, comme saint Jean Eudes, furent des promoteurs absolument remarquables. Quel langage et quelles méthodes emploieraient-ils aujourd’hui? Les tentatives entreprises au cours des vingt dernières années, en Occident, se sont heurtées bien souvent à des changements socio-culturels considérables. C’est pourquoi, je soutiens sans réserve les projets que vous étudiez pour donner aux futurs prêtres et aux futurs frères de la Congrégation de la Mission une formation spirituelle, doctrinale et pastorale profonde, solide, et adaptée aux besoins de notre temps. Votre souci de la formation des formateurs est capital lui aussi. A vous de voir si une insertion épisodique de vos jeunes candidats au sacerdoce dans une très bonne équipe sacerdotale pastorale ne contribuerait pas à les mûrir et à les fortifier. A vous enfin de décider de la mise sur pied de centres régionaux ou d’un centre international d’études vincentiennes. Ce projet peut évidemment contribuer au renouveau dans l’unité. D’ailleurs, la devise donnée à cette trente-septième Assemblée ne recouvre-t-elle pas tout votre labeur présent et vos efforts à venir: “Unum Corpus et unus Spiritus in Christo”?

Chers Fils de Monsieur Vincent, l’Eglise de ce temps compte beaucoup sur vous. Elle ne sera pas déçue! C’est dans cette espérance que j’invoque sur la Congrégation de la Mission, ses responsables et tous ses membres, les plus abondantes bénédictions divines et la protection maternelle de Marie Immaculée, Notre-Dame de la Médaille miraculeuse.
Septembre 1986


AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE SUR LE THÈME: SCIENCE, PHILOSOPHIE ET THÉOLOGIE. SCIENCE ET PERSPECTIVE DE L'HOMME. LE RELATIF ET L'ABSOLU.

Vendredi 5 septembre 1986



Mesdames, Messieurs,

1. VOUS AVEZ PRIS l’initiative de tenir à Rome un colloque sur le thème “Science, Philosophie et Théologie. Science et perspective de l’homme. Le relatif et l’absolu”. Et vous avez, à cette occasion, souhaité rencontrer le Pape, dans votre souci de manifester, au coeur même de vos recherches, une fidélité sans faille à la foi catholique et aux directives du ministère de Pierre.

Même si cette rencontre est brève je vous reçois avec joie. Car j’attache une grande importance, vous le savez, à la recherche exigeante de la vérité, et à la confrontation loyale de tous ceux qui s’y consacrent, à partir de leur champ propre d’observations, d’études et de réflexions, dans le respect de leur méthodologie et de leur épistémologie. La vérité est une. Mais elle se présente à nous de façon fragmentée à travers les multiples canaux qui nous conduisent à son approche différenciée. Aussi est-ce la grandeur de l’homme que de se consacrer sans relâche à en pénétrer toutes les dimensions.

La raison, de par sa nature, est ordonnée à la vérité. Et la foi est adhésion à la Vérité, dont la Source même est révélée à l’intelligence et à l’amour de l’homme. Vous “appartenez à diverses disciplines scientifiques, sciences de la nature et sciences humaines, dont les méthodes sont bien différentes. Et ceux d’entre vous qui sont philosophes et théologiens savent bien qu’en tant que sciences, philosophie et théologie sont elles-mêmes des tentatives limitées pour percevoir l’unité complexe de la vérité. Il importe aussi bien de poursuivre la recherche d’une synthèse vitale dont la nostalgie nous aiguillonne que d’éviter tout concordisme irrespectueux des ordres de connaissance et des degrés de certitude distincts.

Aussi, je me réjouis de votre initiative, comme de tous les efforts qui cherchent à faire le lien entre la science et la foi, sans minimiser aucun des deux termes et en honorant en plénitude les exigences de l’une et de l’autre.

2. L’une des grandes préoccupations de l’Eglise est celle d’une pastorale de l’intelligence qui prenne en compte les données complexes de la culture scientifique de notre temps, avec les nouveaux problèmes suscités par la place des sciences dans la culture contemporaine. Le Concile Vatican II déjà, dans la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, a donné des indications majeures à cet égard, mais qui demandent sans cesse à être vécues, réactualisées, à la lumière des progrès de la connaissance scientifique. Les savants chrétiens portent à cet égard une responsabilité essentielle. Ils ont sans cesse à confronter les acquis renouvelés de leur science avec les données permanentes de la foi. Trop souvent les langages scientifiques spécifiques demeurent difficilement compréhensibles aux non-initiés, c’est-à-dire aussi à la plupart des philosophes et des théologiens. C’est dire la nécessité d’une confrontation permanente entre la vision scientifique renouvelée de l’homme et du monde et les résultats obtenus par la recherche philosophique et par la réflexion théologique. La vision contemporaine du cosmos, la conception du temps et de l’espace, les acquis foisonnants de la physique, de la chimie, de la biologie, aussi bien que de la cosmologie moderne, avec les nouveaux apports des sciences humaines, appellent une formulation renouvelée de l’anthropologie chrétienne, et un renouveau de la pensée philosophique chez les chrétiens.

3. Ainsi, vous apportez des matériaux intéressants à la réflexion philosophique, qui, à son tour, vous fera entrer dans une perspective essentielle, d’un autre ordre. Vous constatez d’ailleurs souvent, dans vos milieux scientifiques universitaires, une certaine gêne devant toutes les questions qui dépassent l’observation, l’hypothèse, l’application technique. Pourtant, les questions fondamentales de la métaphysique, de ce qui est au-delà des phénomènes, les questions de l’être, du sens et de la finalité du cosmos et de l’homme, de son rapport à Dieu, de l’infini, de la transcendance, demeurent tout aussi importantes que dans le passé, comme des philosophes récents l’ont bien montré en approfondissant la philosophie classique de l’être: je pense à Etienne Gilson, Jacques Maritain... Vous mêmes, vous en êtes persuadés, soit que vous soyez philosophes, soit grâce aux intuitions liées à votre foi: vous avez sans doute la vocation de contribuer à ouvrir vos milieux sur ces questions fondamentales.

4. Et la réflexion rationnelle bien menée joue aussi un rôle capital pour assurer les présupposés de la foi, qui est évidemment d’un autre ordre. Ce n’est pas sans motif que le magistère de l’Eglise a souvent insisté sur la nécessité de l’instance philosophique comme présupposé de l’exercice normal de la vie de la Loi dans les esprits. L’Eglise, en effet, ne redoute en rien le pouvoir de la raison mais appelle de ses voeux une réflexion que requièrent la nouvelle situation culturelle créée par le développement des sciences et les nouveaux problèmes éthiques suscités par l’émergence d’une société scientifique et technique.

Parfois la vision du monde et de l’histoire que suggèrent les données scientifiques dans l’état actuel de la recherche, ou même la réflexion philosophique, peut sembler difficile à harmoniser avec les données certaines de la foi. L’enseignement théologique de la Bible – comme la doctrine de l’Eglise qui l’explicite – nous apprend moins le comment des choses que leur pourquoi; il nous révèle le dessein de Dieu sur tout le créé, sur l’univers visible et invisible, sur l’homme, la grâce inouïe et primordiale que Dieu lui a faite, sa destinée, le mystère de sa liberté, la gravité de son péché, la Rédemption. Ce dessein de Dieu, qui éclaire l’anthropologie chrétienne, ne pourra pas se déduire des données scientifiques, il n’est pas non plus monté au coeur de l’homme (Cfr 1Co 2,9). C’est votre honneur de croyants fidèles d’y adhérer loyalement et fermement, de chercher à en pénétrer le sens profond au-delà des métaphores, de prendre appui sur ces points essentiels de la foi, tout en demeurant des savants qui ne renoncent en rien à observer, à réfléchir, à échafauder des hypothèses qui restent à vérifier et à confronter. C’est sur cette crête exigeante que vous êtes appelés à marcher, le regard fixé sur les deux versants de la vérité. Votre horizon en sera sans cesse élargi.

5. Voici, chers amis, quelques réflexions qui vous invitent au courage de l’intelligence et à l’effort de la pensée: pour le chrétien, ils vont de pair avec l’engagement d’une vie authentiquement évangélique.

Dieu merci, vous n’êtes pas seuls dans vos recherches. D’autres centres de réflexion s’y rattachent. Et je souhaite qu’une communication fraternelle fasse bénéficier les uns et les autres de leurs connaissances et de leurs échanges, que vous puissiez vous rencontrer et collaborer sur l’essentiel qui vous est commun: la foi. Et que progresse, dans vos diocèses, sous la responsabilité de vos Evêques, toute une pastorale de la pensée qui apporte une aide spécifique aux scientifiques chrétiens, et aussi aux autres scientifiques de bonne volonté qui veulent bien profiter de leur réflexion, de leur témoignage, de leur prière!

Oui, notre temps a besoin d’hommes de science, de philosophes et de théologiens, qui soient tout à la fois des hommes de culture et des hommes de foi, toujours prêts au dialogue avec leurs frères, parce qu’ils sont assidus au rendez-vous avec Dieu, dans la prière, la méditation de la Parole de Dieu, la vie sacramentelle.

C’est mon voeu pour vous, c’est ma prière, avec ma cordiale Bénédiction Apostolique.

À UN GROUPE DE PARLEMENTAIRES DE BELGIQUE

Castelgandolfo

Vendredi, 19 septembre 1986



Monsieur le Député-Bourgmestre,
Mesdames et Messieurs,

1. Votre présence ravive en moi le très grand souvenir de ma visite pastorale dans votre cher pays, au mois de mai de l’année dernière. Elle me rappelle en particulier ma rencontre avec les Corps constitués, en présence de Leurs Majestés le Roi et la Reine, au palais royal de Laeken (LE 20 mai 1985).

En saluant tous ceux et toutes celles qui oeuvrent pour le bien commun de votre pays – et, en particulier, les membres du Sénat et de la Chambre des Représentants –, il me souvient que je les encourageais vivement à “faire en sorte que la solution des problèmes intérieurs, comme l’action à l’extérieur, s’inscrivent dans un grand dessein humain”. J’entendais souligner que toute la vie nationale et internationale avait absolument besoin de reposer sur “la dignité de la personne humaine, le respect de ses droits fondamentaux, inaliénables”, en particulier “le respect de la vie humaine, à tous les stades de son développement, de la conception à la vieillesse”, des “possibilités matérielles de vivre décemment”, le refus de la violence et des discriminations, la promotion des valeurs de la famille, l’éducation des jeunes à l’amour humain authentique, la protection des faibles.

La visite que vous me faites l’honneur et la joie de me rendre aujourd’hui est le signe réconfortant que vous entendez faire vôtre ce “grand dessein humain” (Tt 3,4), et le mettre en oeuvre en tout ce qui relève de votre responsabilité de parlementaires.

2. Vous êtes venus ici en chrétiens, afin d’approfondir votre communion avec l’Eglise de Rome, fondée sur la confession de Pierre et de Paul, c’est-à-dire sur leur témoignage suprême et exemplaire de la “bonté de Dieu notre Sauveur et de son amour pour les hommes”, pour tout homme et pour tout l’homme, manifestée en Jésus-Christ.

La sauvegarde et la promotion des droits de l’homme et de sa dignité s’enracinent donc dans l’engagement de Dieu lui-même en faveur de la personne humaine.

Cette “philanthropie divine”, dont parle l’apôtre Paul et qui se reflète dans l’intérêt passionné de l’Eglise pour tout ce qui est humain, les chrétiens qui exercent des responsabilités politiques ont mission d’en être, eux aussi, d’humbles et fidèles témoins.

3. Le Pape Pie XI le déclarait avec netteté le 18 décembre 1927, dans un discours à la Fédération universitaire italienne: “Le domaine de la politique, qui regarde les intérêts de la société tout entière... est le champ le plus vaste de la charité, de la charité politique, dont on peut dire qu’aucun autre ne lui est supérieur, sauf celui de la religion”. Plus proche de nous, le Pape Paul VI tenait, dans sa lettre au Cardinal Roy du 14 mai 1971 pour le 80e anniversaire de “Rerum Novarum”, un langage semblable: “La politique, écrivait-il, est une manière exigeante... de vivre l’engagement chrétien au service des autres” (Octogesima Adveniens, 46).

Tout en affirmant sans ambiguïté le principe de l’autonomie respective de l’Eglise et de la communauté politique, le Concile Vatican II, dans le Décret sur l’apostolat des laïcs (Apostolicam Actuositatem AA 14), invite également “les catholiques compétents en matière politique, affermis comme il convient dans la foi et la doctrine chrétienne”, à s’engager dans “la gestion des affaires publiques”.

Certes, l’Eglise le sait, et vous-mêmes en avez fait parfois la dure expérience, le monde politique est, lui aussi, marqué par l’attachement à des intérêts égoïstes, en un mot, par le péché. Mais le chrétien ne saurait s’en détourner pour autant. Il doit se persuader, au nom même de sa foi en l’action de l’Esprit de Dieu dans l’histoire, que l’activité politique peut être un service, authentique, à condition de purifier toujours son objectif et son intention.

Envisagée de cette manière, l’activité politique est incontestablement une vocation au sens noble et chrétien du mot. Au sein des complexités et des affrontements du monde politique, vous êtes appelés à être les infatigables promoteurs de l’épanouissement total de l’homme selon le Christ et selon les enseignements de son Eglise.

A cet égard, vous avez le droit et le devoir de faire en sorte que les exigences éthiques du développement intégral de l’homme soient prises en compte dans l’élaboration des lois. Il s’agit là de la contribution normale de croyants responsables au développement d’une société où la personne humaine soit intégralement honorée, là surtout où elle se trouve le plus menacée.

4. Dans le concert des nations, la Belgique a une vocation propre que révèlent son rôle de trait d’union en Europe et son passé d’attachement à la foi catholique et aux libertés fondamentales. A vous qui, ensemble, représentez les trois communautés de votre cher pays, francophone, flamande et germanophone, puis-je répéter mes paroles de l’an dernier à Koekelberg: “Cultivez ce modèle de convivialité qui peut être exemplaire pour le monde!”.

Mesdames et Messieurs, je vous invite donc à vivre avec confiance votre mission politique. Comme toute autre mission humaine, elle peut être, au sens propre du terme, service de Dieu à travers le service rendu à la cité.

Elle le sera vraiment si vous avez soin de vous ménager, dans l’existence souvent trépidante qui est la vôtre, outre des moments de vie familiale, des temps de réflexion, de contemplation, de prière. Un homme dispersé, bousculé par l’actualité immédiate, ou trop préoccupé de sa cote de popularité, ne saurait exercer valablement sa responsabilité politique. Toute action féconde et durable exige un certain détachement, une disponibilité intérieure qui seule permet de discerner l’absolu du relatif, le nécessaire de l’accessoire, la vérité des fausses évidences. Que vous ayez pris le temps d’accomplir ce pèlerinage à Rome prouve bien que vous en êtes conscients.

Je souhaite de tout coeur que vous puissiez, une fois rentrés dans votre patrie, d’une part approfondir votre vie intérieure et d’autre part accroître votre connaissance du fructueux enseignement social de l’Eglise. Ainsi vous vous aiderez les uns les autres à vous ressourcer à l’idéal qui vous unit en profondeur comme croyants, comme catholiques: la volonté de construire une cité digne de Dieu et des hommes qu’Il aime. J’invoque sur vos personnes et votre mission d’abondantes grâces de sagesse et de force divines.

Discours 1986 - Samedi 21 juin 1986