Discours 1986 - Vendredi, 19 septembre 1986



À S.E. M. WILSON FLORESTAL

NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE HAÏTI PRÈS LE SAINT-SIÈGE


  1. Je suis heureux de recevoir Votre Excellence au moment où Elle inaugure ses fonctions d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République d’Haïti auprès du Saint-Siège. Ce moment correspond à une phase importante dans l’histoire de votre pays. Un nouveau départ vient d’être pris, de nouvelles institutions se mettent en place, de grandes responsabilités incombent à ceux qui ont mission de gérer le présent et de préparer l’avenir dans un climat de paix; le peuple continue d’aspirer à une société renouvelée.

En vous souhaitant à vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, un fructueux accomplissement de votre mission auprès du Saint-Siège, où vous trouverez toujours compréhension et appui, je forme des voeux ardents pour votre nation et ses dirigeants, auxquels vont mes salutations cordiales.

Je pense souvent à cette rencontre, brève mais intense, que j’ai pu avoir en mars 1983 avec vos compatriotes à Port-au-Prince: j’y trouvai une population sympathique, fervente dans sa prière, manifestement avide d’un changement social. En me plaçant sur le plan moral du bien commun du peuple, je ne pouvais qu’encourager cette aspiration, déjà exprimée par les évêques. Le changement politique est apparu à vos compatriotes comme une condition préalable. Il reste maintenant à réaliser dans les structures, dans la vie quotidienne, dans les consciences, le renouveau souhaité. C’est une tâche merveilleuse et difficile que de bâtir une société démocratique, en s’appuyant sur une large participation.



2. A vrai dire, votre pays n’est pas démuni pour l’affronter, et l’entreprise est déjà amorcée. Le sens des droits de l’homme, celui de la justice, celui de la liberté demeuraient vifs comme la volonté de participation. Beaucoup désiraient y prendre leurs responsabilités, même s’ils avaient peu l’occasion de s’y former. Par ailleurs, toute une oeuvre d’alphabétisation, où l’Eglise a assumé largement sa part, a été mise en route. Assurer l’instruction et l’éducation au plus grand nombre dans un pays semble en effet indispensable à la préparation d’un avenir meilleur: c’est là que s’acquièrent l’ouverture d’esprit aux réalités du monde et aux cultures, les bases d’une formation professionnelle, le sens critique qui favorise la liberté, le sens civique qui fait prendre conscience des droits et des devoirs de chacun, des solidarités.



3. Aujourd’hui, c’est toute la structure d’une nouvelle société qu’il s’agit de préparer, avec les instruments politiques adéquats, pour assurer le bien commun de façon stable et juste, selon les fonctions qui reviennent à l’Etat, au Gouvernement, aux Corps intermédiaires, sous la garantie d’une Constitution sage et équitable. Le choix des systèmes, des moyens et des forces politiques appartient aux citoyens et à leurs représentants désignés. L’Eglise, en Haïti comme ailleurs, respectera ce choix qui n’est pas de sa compétence.

Mais il lui est permis – et il est de son devoir – de rappeler les valeurs morales qui doivent inspirer la conduite des affaires, afin que le peuple y trouve son bien et un réel progrès, selon le dessein de Dieu sur la société. A ce niveau, le Saint-Siège a vivement apprécié que les évêques de la Conférence épiscopale haïtienne aient publié, en juin dernier, une “Charte fondamentale pour le passage à une société démocratique selon la doctrine et l’expérience de l’Eglise”. En dehors de tout esprit de parti, les principes et les précieuses réflexions qui y figurent pourront aider les catholiques – qui constituent la majorité des citoyens – et aussi les autres hommes de bonne volonté à se préparer à des décisions et à des engagements responsables, dans l’intérêt de tous.



4. Qui ne souhaiterait en effet voir affermis chez ceux qui sont appelés à exercer une charge, comme chez les autres citoyens, le sens du bien commun de tous, le souci particulier des pauvres et des catégories défavorisées, la compétence, l’honnêteté, l’affranchissement de toute corruption, le courage, la vérité, la volonté de justice sociale, le respect des personnes, de leurs biens, de leur réputation, de leur vie, bref l’esprit de service désintéressé à la recherche des meilleures conditions de vie pour tous?

Il n’est pas si facile d’équilibrer la nécessaire autorité de l’Etat, la garantie de la sécurité, avec le respect des libertés fondamentales et des initiatives des Corps intermédiaires selon une subsidiarité bien comprise. C’est bien pourtant ce à quoi aspire votre noble nation, loin des totalitarisme, loin des régimes qui imposent une idéologie aux dépens des droits de l’homme, loin aussi de l’anarchie, de la lutte des intérêts particuliers ou des privilèges de la richesse gérée dans l’égoïsme et l’insouciance à l’égard des pauvres.

Puisse enfin le climat de collaboration pacifique s’affermir! Les citoyens et les partis qui aiment leur patrie comprennent certainement la nécessité de tourner la page sur les erreurs du passé, de se réconcilier, et de s’unir sincèrement pour sauver la nation et promouvoir son avenir démocratique sans rechercher une hégémonie personnelle et sans céder aux tentations de violence et de luttes intestines.



5. L’Eglise apporte surtout sa contribution à la formation des consciences, afin que les laïcs chrétiens exercent au mieux leurs responsabilités civiques et sociales. Elle est également disponible pour prêter son concours, dans la mesure de ses moyens et sans prétention de suppléance, aux oeuvres qui présentent un caractère d’urgence et une importance particulière: poursuivre l’alphabétisation, collaborer à la formation des responsables compétents dans les différents domaines, garantir et promouvoir la vie familiale, assurer les soins nécessaires.



6. Enfin le Saint-Siège, qui participe d’une façon spécifique à la vie internationale, souhaite que la République d’Haïti bénéficie, dans le concert des nations, de la bienveillance et de l’entraide des autres partenaires de la communauté mondiale et des organisations internationales, dans des conditions compatibles avec sa dignité, son indépendance, sa liberté.

L’entreprise humaine que je viens d’évoquer, Monsieur l’Ambassadeur, ne pourra sans doute pas trouver sa pleine réalisation dans l’immédiat. Il importe d’assurer les bases d’un avenir solide, avec toutes les garanties inspirées par la prudence et par l’équité, sans que pour autant des intérêts sectaires ou des groupes de pression ne profitent du délai pour détourner du but. Le Saint-Siège est sûr que le peuple haïtien, qui a déjà montré sa maturité dans un bouleversement difficile, saura faire face à son destin, et il lui apporte tous ses encouragements.

Pour ma part, je prie l’Esprit de sagesse et d’amour de favoriser la réussite de ce grand projet, et d’inspirer tous ceux qui y coopèrent. Et j’invoque sur tout le cher peuple haïtien et ses Gouvernants, et d’abord sur vous-même, la Bénédiction de Dieu.

MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II

AU PEUPLE FRANÇAIS

Lundi 29 septembre 1986

  Chers amis de France,

Pour la troisième fois, je vais me rendre chez vous, du 4 au 7 octobre. Je m’en réjouis et remercie vivement ceux qui m’ont invité, les Evêques de France, et les Autorités civiles qui ont aussitôt donné leur agrément.

Lyon, Paray-le-Monial, Annecy et Ars, le pays du saint Curé qui est né il y a deux cents ans, sont les principales étapes. Des lieux de pèlerinage, où je suis heureux d’être pèlerin à mon tour, des lieux sanctifiés par les saints, dont le témoignage est toujours vivant et source de grâce. “Là où les saints passent, disait le Curé d’Ars, Dieu passe avec eux”.

Mais je ne m’y rends pas pour moi d’abord. J’y vais pour vous, pour le peuple chrétien de France, qui aime célébrer sa foi avec le successeur de Pierre et avec ses évêques. Ensemble, nous nous fortifierons dans la foi et l’amour. Les saints ont le génie de l’amour. Et sans l’amour – de Dieu et du prochain –, quel sens peut avoir la vie?

Je sais qu’une telle visite pastorale demande des préparatifs considérables, et je remercie tous ceux qui s’y consacrent au prix de gros sacrifices, conscients de l’enjeu spirituel pour tout le pays. Je désirerais, quant à moi, que tout se déroule avec simplicité. J’apprécierai des contacts vrais, une prière digne.

Ces jours-ci, chers amis de France, je me suis senti encore plus proche de vous par la sympathie et la prière, devant les attentats odieux qui ont tué et blessé des innocents et traumatisé votre pays pourtant si attaché à la liberté, à la paix et à l’hospitalité. Pour ma part, je viens chez vous avec le message de paix et d’amour que je reçois de l’Evangile, que Jésus a confié spécialement à Pierre et à ses successeurs, un message qui rejoint le meilleur de chaque conscience. Malgré les épreuves, puisse ce don de la paix et de la fraternité demeurer avec vous, chers Frères et Soeurs! Je vous bénis de tout coeur. Merci, et à bientôt!
Octobre 1986


AUX MISSIONNAIRES OBLATS DE MARIE IMMACULÉE

2 octobre 1986



Chers fils du Bienheureux Eugène de Mazenod,
et membres du XXXIe chapitre général,

Sachant que vous représentez presque six mille religieux consacrés à l’évangélisation, spécialement parmi les populations déshéritées, j’éprouve un grand réconfort ecclésial en vous accueillant. Que le Seigneur préside lui-même à notre rencontre si favorable à la communion des esprits et des coeurs!

1. Je me tourne d’abord vers celui que vous venez d’élire comme nouveau supérieur général, le Père Marcello Zago, dont j’ai apprécié le bon travail au Secrétariat pour les croyants non chrétiens. Je lui présente mes souhaits de très fructueux service des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Au nom de l’Eglise, je me dois également de remercier chaleureusement le Père Fernand Jetté. Chacun sait qu’il n’a épargné aucune fatigue pour communiquer un nouveau souffle évangélique à la grande famille oblate. Puisse sa santé davantage ménagée lui permettre de servir longtemps encore sa chère Congrégation, qui lui semble – en un certain sens – “commencer son oeuvre, tellement le chantier qui s’ouvre devant elle est encore plus vaste et plus difficile qu’au temps du Fondateur”.

2. Le chapitre de 1980 appelait tous les Oblats de Marie à intérioriser les Constitutions et les Règles qu’il venait de mettre à jour, et donc à s’engager sur une voie de nouvelle conversion. Après deux décennies, qui ont vu nombre d’Instituts religieux s’interroger et multiplier les expériences, parfois au-delà d’un seuil de sagesse, on est peu à peu revenu aux sources premières, à une relecture sereine et profonde du charisme des fondateurs. Vous-même, cher fils de Mgr de Mazenod, vous éprouvez la joie d’une identité oblate mieux perçue et mieux vécue, même s’il reste du chemin à parcourir. Le chapitre de 1986, dont le thème est “la mission de l’Oblat dans le monde d’aujourd’hui”, m’apparaît dans le droit fil du précédent et me fait songer à l’adage scolastique “operatio sequitur esse”. Il m’a été agréable de donner un regard sur les travaux préparatoires de ce chapitre. J’ai remarqué une convergence notoire des diverses régions de la Congrégation en direction d’un labeur missionnaire communautaire plus nettement consacré aux populations défavorisées, quitte à sacrifier les engagements plus personnels. Cette première convergence en fait apparaître une autre, à savoir l’accentuation ou même la reprise d’une véritable vie communautaire, transparente, fraternelle, joyeuse, ouverte, et donc génératrice de ferveur pour votre vie religieuse et apostolique. Depuis 160 ans, les Oblates de Marie Immaculée ont pour leur part écrit un merveilleux chapitre de l’histoire missionnaire de l’Eglise contemporaine, du Grand Nord à l’Equateur. Vous me permettrez de citer la très grande figure de Mgr Vital Grandin pour le passé, et le très courageux Président de la Conférence Episcopale d’Afrique du Sud, Mgr Hurley, pour le présent. Je rends grâce à Dieu de sentir qu’aujourd’hui un grand nombre d’Oblats, désireux d’entraîner tous leurs frères, veulent saisir à pleine main l’idéal qui emporta leur Bienheureux Fondateur dans une aventure évangélique missionnaire dont il n’osait imaginer l’étonnant développement, vu les mille obstacles rencontrés sur sa route.

3. Cette “mission oblate” se déroule maintenant dans des lieux, et dans un contexte culturel, qui ne sont plus ceux de la Provence et des premières missions “ad gentes” au temps de Mgr de Mazenod. Hélas! le monde moderne engendre de nouvelles misères et de nouveaux pauvres. Qui nous donnera les statistiques exactes des personnes isolées, des familles, des populations victimes des incessantes mutations socio-économiques et culturelles, submergées par des problèmes qui les dépassent, découragées par des injustices insupportables, au point de perdre le sens et le goût de la vie? Fils d’Eugène de Mazenod, dont le zèle pour l’annonce de l’Evangile a été comparé au vent du mistral, héritiers d’une lignée presque deux fois séculaire d’Oblats passionnés de Jésus-Christ, laissez-vous plus que jamais attirer par les foules immenses et pauvres des régions du tiers monde, comme par ce quart monde occidental stagnant dans la misère et souvent dans l’ignorance de Dieu!

4. Les synthèses des travaux préparatoires à ce chapitre mettent aussi en relief une condition “sine qua non” de la vitalité de la Congrégation, à savoir que les Oblates soient comme empoignés, habités par la spiritualité du Fondateur. Vous avez tous en mémoire la grâce, sans doute d’ordre mystique, accordée à Mazenod le Vendredi saint de l’année 1807. Sa contemplation de la Passion sanglante du Christ fut déterminante. Elle le poussa irrésistiblement vers les pauvres de Provence et plus tard, par le biais de son épiscopat à Marseille, vers les pauvres du monde entier. La question fondamentale qu’il pose aujourd’hui à tous ses fils, par la voix du Successeur de Pierre, est brève et bouleversante: a Jésus-Christ est-il bien au coeur de votre vie?...”.

5. Cette ferveur de chaque Oblat et de chaque communauté est la clé du problème des vocations. Comment des jeunes viendraient ils frapper à la porte de communautés médiocres, égarées dans le sécularisme? Depuis cinq ans, des encouragements notoires ont été donnés à la Congrégation, à travers les implantations de Pologne, d’Italie, du Lesotho, du Zaïre. Vous avez doublé le nombre de vos novices et de vos scolastiques entre 1981 et 1986. Veillez aussi à appeler non seulement à la vie missionnaire oblate dans le ministère presbytéral, mais également dans le service bien préparé et très précieux de Frère Oblat. Continuez d’associer largement le laïcat chrétien à vos tâches d’évangélisation des pauvres. Sachez écouter la voix de la jeune génération oblate. Certes, les jeunes ne peuvent posséder la sagesse des anciens. Pourtant leurs aspirations, quand elles sont généreuses et judicieusement soutenues, constituent une grâce de renouveau pour les Instituts religieux. Je ne puis manquer d’encourager très vivement le Conseil général et les Provinciaux à donner à tous ces jeunes une formation philosophique et théologique, spirituelle et pastorale, de grande qualité et en totale harmonie avec le Magistère de l’Eglise. Ce disant, je pense en effet que votre Congrégation, comme tant d’autres, est appelée à relever un formidable défi: celui de dire Jésus-Christ à l’homme d’aujourd’hui, si facilement ébloui par la science et la technologie et victime d’un matérialisme trompeur et annihilant. Partout où vous êtes, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique et en Asie, unissez-vous plus que jamais et coopérez au maximum entre régions et provinces pour annoncer le Christ et son Evangile libérateur.

6. en anglais…

AUX ÉVÊQUES DE L'AFRIQUE DU NORD

EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

3 octobre 1986



Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Voilà presque cinq ans que je vous ai reçus en visite ad limina, et ma joie est toujours aussi grande de vous accueillir, d’entendre le témoignage particulier de la vie de vos communautés chrétiennes, et de vous affermir dans l’espérance. Je remercie Monseigneur le Président de la Conférence de son aimable adresse; je remercie le cher Cardinal Duval et chacun des Evêques qui participent à cette rencontre.

Vous-mêmes, vous tenez à faire de cette visite un temps fort des liens qui vous unissent au Saint-Siège et, par lui, à l’Eglise universelle: vous avez prévu des échanges approfondis avec tous les Dicastères. Votre situation de chrétiens dispersés dans un monde musulman vous fait sans doute ressentir encore davantage la nécessité de bien vous situer au coeur de l’Eglise universelle, et d’y apporter votre contribution.

Pour ma part, j’ai bien présentes les situations diverses de chacun de vos diocèses, prélature ou vicariat apostolique, et, à travers vos personnes, je salue tous les chrétiens confiés à votre responsabilité pastorale, avec une pensée spéciale pour ceux qui sont éprouvés, dans une situation précaire.

2. Cette année, l’Eglise entière a les yeux fixés sur l’Afrique du Nord à cause de l’anniversaire de la conversion de saint Augustin. Cet événement mémorable a donné lieu, non seulement à ma Lettre apostolique “Augustinum Hipponensem” mais à plusieurs manifestations culturelles et spirituelles, à Rome et ailleurs. Mgr Gabriel Piroird y a consacré une intéressante étude. En effet, le grand évêque d’Hippone nous donne l’exemple d’un itinéraire étonnant – où nous pouvons admirer la grâce de Dieu et la disponibilité d’Augustin – et celui d’un enseignement théologique, spirituel et pastoral approfondi qui ne cesse d’éclairer l’Eglise et de la nourrir. C’est – sans oublier saint Cyprien – un grand honneur pour les Eglises en Afrique du Nord, et une source d’espérance. Certes les temps ont bien changé. Même si saint Augustin a connu de grandes difficultés à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise, les vôtres sont d’un autre ordre. Vous ne savez pas trop comment et quand le Seigneur fera fructifier votre ministère. La graine peut rester longtemps enfouie en terre. Mais je prie pour que la même espérance nous habite, car nous portons le même trésor de la foi qu’Augustin, nous sommes abreuvés du même esprit, pour faire face à une autre situation. Et le maître-mot de ce Pasteur – l’amour – est toujours la clé de notre ministère. Je suis sûr que toute l’Eglise se sent solidaire de l’évêque de Constantine et d’Hippone, et de tous les évêques d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de Libye.

3. Pour ma part, je suis très conscient de la situation particulière que vous connaissez et j’apprécie votre patient travail. Vous occupez une place spéciale par rapport aux chrétientés bien établies et même par rapport aux jeunes Eglises de mission qui sont implantées et qui progressent avec la participation des populations autochtones. Votre situation est plutôt celle des chrétiens très minoritaires dans les pays où l’Islam imprègne toute la société et ses structures, avec encore cette particularité que vos communautés sont assez dispersées, formées d’étrangers, surtout de laïcs coopérant pour un temps limité dans vos pays, et appartenant à des langues et des cultures diverses. Le décret “Ad Gentes” n’ignorait pas une telle situation en déclarant: “Dans leur vie et leur activité, les disciples du Christ, intimement unis aux hommes, espèrent leur présenter le vrai témoignage du Christ et travailler en vue de leur salut, même là où ils ne peuvent annoncer pleinement le Christ”. C’est dire que vous vivez une situation originale, qui a sa place dans l’Eglise universelle et qui est même susceptible d’aider d’autres Eglises. Vous pouvez compter sur notre proximité de coeur, notre compréhension, nos encouragements et notre prière.

En 1981, j’avais déjà tracé avec vous quelques orientations; avec les chrétiens de Casablanca, l’an dernier, j’ai situé leur rôle particulier. Et je sais que l’organisation de votre Conférence épiscopale vous permet d’approfondir la réflexion et de prendre, en communion avec le Saint-Siège, des décisions responsables sur les points délicats qui se présentent à vous. Je m’arrête seulement à quelques aspects.

4. D’abord, je sais le regard positif que vous portez sur les pays où vous êtes Pasteurs. Plusieurs d’entre vous y sont nés. Vous en avez adopté, quand vous avez pu le faire, la nationalité. Vous en pratiquez la langue. En ce sens, vous n’êtes pas des étrangers, et pas davantage les prêtres et les religieux qui travaillent avec vous. Vous aimez les habitants de ces pays en qui vous voyez des frères et des soeurs. Vous partagez leurs joies et leurs soucis de l’avenir, y compris de l’avenir économique qui souffre de la crise internationale en plusieurs secteurs. Vous savez les besoins immenses d’instruction – il y a une telle proportion de jeunes! – et de soins sanitaires, et vous êtes prêts à apporter la contribution de l’Eglise, pour le bien du pays, pour son développement qui vous tient vraiment à coeur. Vous cherchez aussi à promouvoir le dialogue avec les musulmans: vous connaissez et appréciez les aspects bons et saints de ce qu’ils vivent, leur fidélité à prière, leur souci d’observer la loi de Dieu.

5. Il reste que votre ministère vis-à-vis de ces peuples musulmans et de leurs responsables connaît évidemment des limites. Dans le dialogue respectueux que vous poursuivez sincèrement, vous n’avez pas toujours l’impression de rencontrer la même disponibilité, les interlocuteurs que vous souhaiteriez. Par ailleurs, la loi islamique encadre fortement tous les rapports sociaux au point de rendre l’Eglise comme marginale. Vous avez conscience d’être le petit troupeau de l’Evangile, parmi une multitude d’autres croyants dont la foi est très forte. Cela suppose, chez vos chrétiens, le respect l’estime et la compréhension de cette foi musulmane, qui d’ailleurs peut stimuler en eux-mêmes le sens de l’adoration, et de la générosité envers Dieu; mais il faut aussi fortifier leur identité chrétienne pour leur permettre d’être fidèles à leur propre foi, de la vivre sans complexe, et d’en donner le témoignage spécifique qui, étant lui-même respectueux des autres, se fait respecter au nom de la liberté de conscience et par la qualité spirituelle et morale de la vie. Les chrétiens pensent que ce domaine de la conscience est un domaine sacré, personnel, où chaque âme est responsable devant Dieu de son adhésion à la vérité. Devant les amis musulmans de Casablanca, je disais: “Le respect et le dialogue requièrent la réciprocité dans tous les domaines, surtout en ce qui concerne les libertés fondamentales et plus particulièrement la liberté religieuse”. Nous osons espérer que, par un mûrissement des esprits compatible avec la fidélité, la situation s’améliore toujours davantage dans le sens du vrai dialogue et du respect des personnes. C’est la conviction de l’Eglise, bien formulée par Vatican II, mais on peut dire aussi qu’il y a là-dessus un consensus général de l’opinion publique et des organisations internationales.

6. En ce qui concerne les communautés chrétiennes qui sont sous votre juridiction, la ligne pastorale est claire.

Elles assurent une présence qualifiée de l’Eglise dans ces pays, comme expression normale de la foi de leurs membres. Il ne s’agit pas seulement d’une aumônerie de chrétiens à l’étranger, mais d’une communauté qui fait corps, qui forme une Eglise locale, ramifiée, unie, solidaire, capable de donner un témoignage communautaire.

Le premier devoir des Pasteurs est de veiller au soutien spirituel de ces chrétiens, tâche difficile vue leur diversité, leur dispersion, leur présence temporaire. Puisent-ils rencontrer des communautés accueillantes, soucieuses de les aider, de les intégrer! J’apprécie beaucoup les efforts que vous déployez pour la formation de la foi des enfants, des jeunes, des adultes, des non-pratiquants, qu’ils soient permanents ou de passage, grâce à la catéchèse, aux homélies, à la presse. Leur foi a besoin en effet d’être nourrie, consolidée, afin qu’ils conservent leur identité chrétienne. Certaines catégories requièrent une sollicitude spéciale: celle des étudiants Africains chrétiens, dont le déracinement en pays musulman met leur vie chrétienne à l’épreuve; et les femmes chrétiennes qui ont épousé des musulmans et qui occupent ainsi une position difficile pour leur fidélité et intéressante en même temps pour leurs relations naturelles avec le monde de l’Islam.

7. La participation des chrétiens aux assemblées eucharistiques, aux sacrements, aux groupes de prière, de réflexion biblique ou d’apostolat, à tout ce qui peut nourrir leur foi, doit aussi les aider à porter le témoignage qui convient au sein de la population. Mgr Michel Callens a justement intitulé son rapport: “Vous serez mes témoins”.

Ce témoignage comporte pour ainsi dire trois aspects.

Il est une présence contemplative de disciples de Jésus-Christ, vivant au milieu des musulmans: sans prosélytisme, ils prient discrètement au milieu d’eux, selon leur foi, ils offrent au Seigneur toute la vie de ceux qui les entourent et ils tissent avec eux de simples liens d’amitié. Le Père de Foucauld et ceux qui vivent dans son sillage demeurent à ce sujet des exemples, bien adaptés à ce monde musulman; je n’oublie pas pour autant toutes les autres communautés de religieux et de religieuses, dont la présence est source mystérieuse de grâce et de rayonnement.

Mais il existe d’autres formes de témoignage que les laïcs surtout sont invités à donner. Vous avez développé ce thème en vue du prochain Synode. C’est toute l’activité de service désintéressé et compétent des chrétiens – je pense par exemple aux médecins, aux professeurs –, d’aide au développement, à l’éducation, à la santé, oeuvre par laquelle peut s’exprimer leur amour fraternel durant le temps de leur coopération. A Casablanca, j’ai insisté sur l’importance de ce témoignage typique de l’esprit évangélique.

Les chrétiens doivent également laisser voir à leurs frères musulmans que l’affirmation de leur propre foi, la prière d’adoration et de louange, le sacrifice équivalent au jeûne, ont une grande importance dans leur vie. Autrement ce serai un scandale pour des musulmans de déceler chez leurs amis chrétiens un sens religieux moindre.

8. Une question vous préoccupe que je ne veux pas taire, c’est celle du renouvellement du personnel religieux: prêtres, religieux, religieuses, laïcs consacrés. Finalement, ce sont eux qui constituent surtout les permanents de vos Eglises. Un certain nombre ont ou avaient en charge des institutions, d’autres assurent des services sociaux par un travail indépendant. Or beaucoup sont âgés, fatigués, et les Instituts religieux peuvent difficilement vous assurer la relève. De plus, ils souffrent d’une précarité de leur situation. Ce qui justifie leur présence et assure leur stabilité en bien des cas, ce sont des contrats de travail, qui malheureusement son moins facilement renouvelés aujourd’hui. On comprend d’ailleurs que les responsables de ces pays, disposant maintenant de compatriotes mieux préparés, fassent moins appel à une contribution professionnelle de personnes originaires d’autres pays. Les religieux sont à bon droit préoccupés de leur avenir.

Cependant, je ne voudrais pas que vos prêtres et religieux se laissent décourager. Qu’ils s’efforcent de maintenir les oeuvres catholiques là où c’est possible, car c’est une forme stable de témoignage communautaire. Qu’ils essaient aussi de trouver de nouvelles voies de présence religieuse qui seraient toujours des services appréciés de la population. J’encourage vos Eglises à trouver des solutions pour la relève de ce personnel avec l’aide d’autres Eglises. Car tous doivent comprendre qu’une présence chrétienne, religieuse, en Afrique du Nord, est bénéfique pour les habitants et importante pour l’Eglise, pour l’Eglise en vous pays et pour l’Eglise universelle.

Les religieuses, pour leur part, peuvent se trouver dans des situations difficiles. Je suis sûr que vous, Pasteurs, vous veillez à demeurer compréhensifs et proches d’elles, évitant qu’elles ne soient trop surchargées vu leur petit nombre et tenant compte du fait que leur vocation à la vie religieuse a des exigences précises, notamment celle d’une assistance religieuse suffisante et régulière. Vous leur direz que le Pape, comme leurs évêques, estime beaucoup leur dévouement, se réjouit de leur rayonnement, et leur envoie ses encouragements très cordiaux.

En terminant cet entretien familier, je vous confie le soin de dire à tous vos diocésains mon affection et mes voeux fervents. Le Pape apprécie vivement leur souci d’être présents comme chrétiens au milieu des musulmans, leur dialogue loyal, leur esprit de service, la fermeté de leur foi, leur sens de l’Eglise. Que ce lien avec le successeur de Pierre et avec l’Eglise universelle dont ils sont partie intégrante les réconforte! Je leur souhaite la paix et la joie dans le service de l’Evangile, la paix et la joie de Marie, la Servante du Seigneur. De tout coeur je les bénis et je vous bénis.

Et j’ajoute des voeux cordiaux pour tous les habitants de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Libye, pour ceux qui ont la responsabilité du bien commun, pour les familles, en particulier pour les jeunes qui préparent l’avenir du pays, pour les malades et tous ceux qui sont dans l’épreuve: que le Tout-Puissant leur donne chaque jour son réconfort et les garde dans la paix

PÈLERINAGE APOSTOLIQUE EN FRANCE

AUX AUTORITÉS CIVILES

Lyon (France)

Samedi, 4 octobre 1986

Monsieur le Ministre d’Etat,


1. J’ai été heureux de pouvoir saluer dès mon arrivée Monsieur le Président de la République et, par lui, toute la nation française.

Et maintenant je reçois le même accueil chaleureux du Représentant du Gouvernement français que je remercie de grand coeur de ses aimables paroles. Votre qualité de Ministre d’Etat m’invite à former les meilleurs voeux pour que la France, dans le mondée contribue à faire progresser la compréhension entre les peuples, la justice, la paix, la solidarité.

Je voudrais saluer également toutes les personnalités ici présentes, les Ministres et anciens Ministres, les Autorités préfectorales des Régions Rhône-Alpes et Bourgogne, et des départements correspondants, les députés et les sénateurs, les Conseillers régionaux et généraux, les maires et leurs adjoints, notamment de la ville de Lyon, tous ceux qui, à divers titres, sont au service de la nation, de la cité et de la région, ainsi que les familles et amis qui les accompagnent.

2. Mesdames et Messieurs, je suis touché de ce désir des diverses Autorités françaises de rencontrer le Pape dans le plein respect de sa mission religieuse et humaine. Nous pouvons remercier Dieu de vivre à une époque où la distinction des compétences spirituelles et temporelles est plus aisée et plus pacifique que dans les siècles passés, au temps par exemple du Pape Boniface VIII et du roi Philippe le Bel! Le caractère proprement universel de la mission du successeur de Pierre en ressort mieux aux yeux de tous, et le Pape est d’autant plus libre pour accueillir tous vos soucis humains de responsables du bien commun et pour soutenir vos nobles efforts, dans l’esprit de la constitution conciliaire “Gaudium et Spes” sur “l’Eglise dans le monde de ce temps”.

3. Après ma visite officielle à Paris, la capitale, les Lyonnais attendaient que je m’arrête aussi dans leur ville, actuellement la seconde de France par la population de son agglomération. Il y a des précédents: neuf Papes y sont passés, y ont séjourné ou en sont originaires!

L’occasion m’en est donnée aujourd’hui par les célébrations en l’honneur de deux humbles prêtres, Jean-Marie Vianney et Antoine Chevrier. Mais de toute façon, comme l’Apôtre Paul, j’estime important de porter l’Evangile et de rejoindre le peuple chrétien au coeur des grandes cités.

La situation privilégiée de Lyon, au carrefour de trois provinces de Gaule, n’avait pas échappé au Légat romain Munatius Plancus dès 43 avant Jésus-Christ, et l’Empire romain tenait cette colonie en si haute estime qu’il avait permis à ses fils de siéger au Sénat – avant une certaine disgrâce au temps de Septième Sévère. Les siècles successifs ont permis à la cité de reprendre son essor, dans la liberté, de développer sa culture et ses arts, d’étendre son influence, de manifester sa vitalité dans tous les domaines de l’économie et des échanges.

L’Eglise aussi a considéré Lyon comme une portion choisie, depuis le jour où les premiers martyrs y ont confessé leur foi, où le premier évêque des Gaules y a exercé sa fonction. Deux grands Conciles oecuméniques s’y sont tenus; les Latins et les Grecs y ont cherché l’unité. Et l’esprit d’entreprise, qui marque les citoyens dans la vie civile, se retrouve aussi dans les serviteurs de l’Eglise, dont beaucoup ont été des pionniers. D’autres rassemblements vont me donner l’occasion de revenir sur cette histoire ecclésiale.

4. Ici, avant de saluer une à une les personnalités présentes, je veux simplement les assurer de mon estime et de mes voeux cordiaux pour les fonctions qu’elles assurent au service de la société, quelles que soient leurs convictions religieuses ou leurs opinions politiques, dès lors qu’il s’agit de chercher sincèrement le bien commun de leurs concitoyens. Car, si j’ai loué la vitalité de Lyon, je ne peux oublier les problèmes humains complexes que vous affrontez chaque jour: ceux de la restructuration économique, de l’emploi, d’une urbanisation à visage humain, de la sécurité, de la convivialité pacifique, de la qualité des moeurs, de l’éducation des nouvelles générations, tout ce qui fait l’honneur d’une cité, le bonheur de ses membres, la garantie de son progrès. Les instances ecclésiales ont un autre rôle, d’ordre spirituel et moral, qui contribue à éduquer au sens de la justice et de l’amour, avec une attention spéciale pour ceux que le progrès risque de laisser en marge. Je pense que, sur bien des points, l’action de l’Eglise converge avec la vôtre, pour promouvoir des conditions de vie toujours plus humaines.


Discours 1986 - Vendredi, 19 septembre 1986