Discours 1989 - Samedi, 24 juin 1989


À L’ASSOCIATION DES JOURNALISTES CATHOLIQUES DE BELGIQUE

Lundi, 26 juin 1989



Monsieur le Président
de l’Association des Journalistes catholiques
de Belgique,
Mesdames et Messieurs,

En vous accueillant avec une joie mêlée d’émotion parce que l’Eglise bénéficie de votre admirable coopération à ses multiples besoins, je vous félicite d’être si fidèles à ce rendez-vous annuel auprès de l’Evêque de Rome. C’est au successeur de Pierre en personne, dans un élan de profond attachement à sa mission particulière, que vous tenez à remettre les offrandes de vos chers compatriotes, responsables ou lecteurs assidus de la Presse catholique en Belgique.

Au nom du Siège Apostolique, je vous en remercie chaleureusement. A ma connaissance, votre démarche est unique dans sa forme. Chaque pays ne possède-t-il pas son génie caritatif propre, qui est lié à ses possibilités matérielles et plus encore à des raisons de foi et de coeur? C’est pourquoi le Pape, qui doit faire face aux soucis budgétaires du Saint-Siège, rend grâce à Dieu de voir se développer dans l’Eglise un réel esprit de solidarité dont votre Association est un bel exemple depuis plus d’un siècle.

Comment ne pas vous encourager, même brièvement, à maintenir votre tradition originale et efficace des «Etrennes pontificales»? Vous avez reçu et vous recevez beaucoup de l’Eglise du Christ, à travers vos paroisses, vos diocèses et ce centre romain de la catholicité. Continuez d’oeuvrer pour sa vitalité spirituelle et ses besoins matériels. Développez parmi vous et dans les rangs de vos lecteurs cet esprit de solidarité ecclésiale. La charité de Dieu a été versée dans le coeur de tous les baptisés et confirmés. C’est elle qui peut transformer les disciples du Christ, en faire des créatures nouvelles, des personnes en état de communion, des personnes capables d’aimer, de pardonner, de partager, d’oeuvrer pour la justice et la paix, aussi bien dans leur entourage immédiat que dans les structures de la société et de l’Eglise. La solidarité ecclésiale, qui englobe nécessairement le soulagement des misères de l’humanité, prend d’autant plus d’expansion que les disciples du Christ consentent, suivant le conseil de leur Maître, au dépouillement répété d’eux-mêmes et de leurs biens.

Que le Seigneur donne encore à votre Association tout entière cette grâce de la charité divine à l’égard de l’Eglise, dont les apparences de richesse dues aux héritages du passé voilent parfois aux yeux de l’opinion une situation réelle matériellement précaire! Et, de tout coeur, j’accorde aux responsables et aux membres de votre Association une particulière Bénédiction Apostolique.

en flamand…


À LA DÉLÉGATION DU PATRIARCAT OECUMÉNIQUE DE CONSTANTINOPLE

Jeudi, 29 juin 1989


Eminence,
Chers Frères dans le Seigneur,



La fête patronale de l’Eglise de Rome me donne de nouveau la joie d’accueillir une délégation de l’Eglise soeur de Constantinople. Je remercie mon frère bien-aimé, le Patriarche Dimitrios Ier, de vous avoir envoyés et le vous souhaite la bienvenue.

Les saints et glorieux Apôtres Pierre et Paul doivent être honorés particulièrement par cette Eglise de Rome dont ils sont les fondateurs. Mais l’Eglise entière, édifiée sur «la fondation des apôtres et des prophètes» [1], se réjouit de cette solennité et, dans une commune vénération de ces deux grands Apôtres, glorifie Celui qui les a appelés: «L’apôtre et le grand prêtre de notre confession de foi, Jésus» [2]. Votre participation à notre fête trouve là sa signification profonde. En ces jours, en effet, l’Eglise de Rome, l’Eglise de Constantinople et toutes les communautés chrétiennes qui honorent la mémoire des Apôtres sont ensemble en pèlerinage aux sources de la foi qui repose sur le témoignage apostolique. Et, chaque année, une même démarche spirituelle est accomplie lorsqu’une délégation de l’Eglise de Rome participe au Phanar à la fête de l’Apôtre André, le premier appelé à la suite de Jésus et le frère de saint Pierre.

La vie des deux saints Apôtres Pierre et Paul, telle que nous la connaissons par la Sainte Ecriture, nous offre un sujet de méditation propre à renforcer notre espérance aussi bien pour notre vie personnelle que pour la vie de nos Eglises et les relations qu’elles entretiennent en vue de retrouver la pleine communion. Alors qu’il avait par trois fois renié son Seigneur, Pierre, ayant versé les larmes du repentir, le retrouve ressuscité et s’entend poser par trois fois la question fondamentale: «M’aimes-tu?». Il suffira d’un triple oui d’amour pour qu’il soit confirmé dans sa charge de conduire le troupeau et pour qu’il suive le Christ jusqu’à donner sa vie pour lui. Quant à Paul, c’est alors qu’il était «blasphémateur, persécuteur et violent» que le Christ lui a fait miséricorde et l’a appelé à son service. Il deviendra lui aussi témoin fidèle et, par la force de la grâce qui avait surabondé en lui [3], il versera son sang pour le Christ. En ces derniers temps, la même grâce de miséricorde a été donnée à nos Eglises, alors qu’elles avaient été affaiblies pendant des siècles par le drame de la division, «car rien n’est impossible à Dieu» [4]. Au Seigneur qui ne cesse de nous faire confiance, nous disons avec Pierre: «Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime». Comme Paul, nous nous savons «miséricordieusement investis du ministère et nous ne perdons pas courage [5]. Nous savons que nous sommes des vases d’argile qui portent le trésor de l’Evangile du Salut «pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous» [6].

Voilà, chers Frères, la réalité de grâce dans laquelle s’enracine non seulement notre rencontre d’aujourd’hui, mais aussi le dialogue théologique entre nos Eglises qui continue de produire des fruits et va s’approfondissant, ainsi que tous les contacts et toute la collaboration qui existent déjà entre les fidèles catholiques et orthodoxes. La célébration des saints Apôtres Pierre et Paul éclaire donc singulièrement les efforts déployés par l’Eglise catholique romaine et l’Eglise orthodoxe de Constantinople pour qu’arrive le jour où nous pourrons partager ensemble la même Eucharistie, sacrement de l’unité du Corps du Christ. Nous voyons que le Seigneur accomplit en nous ce qu’il a accompli dans la vie des glorieux Apôtres que nous célébrons. Nous croyons que sa puissance se déploie dans notre faiblesse [7] et que cette communion qui grandit entre nous entraîne mystérieusement, mais efficacement, toute l’humanité dans la réalisation du plan de Dieu qui veut la rassembler en lui par le Christ. Ceci se traduit et doit se traduire de plus en plus par un engagement de chaque fidèle et de toutes les communautés chrétiennes pour la justice et la paix dans le monde. Aucune des angoisses des hommes ne doit nous être étrangère. Et, chaque fois que c’est possible, nous devons dire ensemble au monde d’aujourd’hui que son unité, sa paix, son salut ont leur source et leur réalisation en Jésus-Christ.

Je vous prie de transmettre à mon frère, le Patriarche Dimitrios, mes sentiments de fidèle affection fraternelle dans le Seigneur. Je vous assure de ma prière pour que, par l’intercession des Apôtres Pierre et Paul, l’abondance des grâces divines soit accordée à chacun de vous et à nos Eglises.

[1] Cfr. Ep 2,20.
[2] He 3,1.
[3] Cfr. 1Tm 1,12-14.
[4] Lc 1,37.
[5] Cfr. 2Co 4,1.
[6] Ibid. 2Co 4,7.
[7] Cfr. 2Co 12,9.


                                            Juillet 1989



À S.Exc. MONSIEUR MICHEL AKIS PAPAGEORGIOU, NOUVEL AMBASSADEUR DE GRÈCE AUPRÈS DU SAINT-SIÈGE

Samedi, 1er juillet 1989

  Monsieur l’Ambassadeur,



C’est avec une profonde satisfaction que j’ai entendu l’adresse que vous venez de prononcer à l’occasion de la présentation de vos Lettres de créance comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République hellénique près le Saint-Siège. De tout coeur, je vous remercie et je vous saurais gré d’exprimer ma gratitude à Son Excellence Monsieur le Président Christos Sartzetakis de vous avoir chargé des hautes fonctions que vous assumez aujourd’hui. A vous-même, Monsieur l’Ambassadeur, je souhaite la bienvenue au nom du Saint-Siège et, sans attendre, je formule des voeux chaleureux pour le succès de votre mission comme pour l’agrément de votre séjour romain, étant donné que vous serez le premier Ambassadeur de Grèce auprès de ce Siège Apostolique à habiter Rome en permanence.

Votre Excellence a très heureusement souligné l’attachement de son pays aux idéaux que, dès l’antiquité, celui-ci à proposés à l’humanité, ainsi qu’aux valeurs spirituelles et morales du christianisme. Cette haute et riche tradition constitue une source d’inspiration pour l’élaboration des voies qui conduisent au développement intégral de la personne humaine et au bonheur des peuples. Vous prenez soin de préciser que, pour sa part, le Gouvernement d’Athènes déploie des efforts au niveau national et international pour favoriser le dialogue des personnes, des groupes sociaux, des Etats. N’est-ce pas cette dynamique interne qui entraîne la nation hellène sur les chemins de la coopération et de la solidarité avec les populations du globe souffrant des retards de leur développement ou de calamités endémiques?

Cette action de vos dirigeants et de vos compatriotes est assurément en harmonie avec les préoccupations du Saint-Siège en matière de défense et de promotion des droits de la personne humaine, de la justice et de la paix dans le monde contemporain. Puis-je faire mémoire de deux encycliques de mes vénérés prédécesseurs? Je pense à «Pacem in Terris», publiée par Jean XXIII en 1963, adressée pour la première fois à tous les Chefs d’Etat, et, d’autre part, je suis heureux de mentionner «Populorum Progressio», signée par Paul VI en 1967 et dont j’ai voulu moi-même souligner la portée par un document spécial vingt ans après. Avec le temps, il apparaît que ces deux documents ont beaucoup contribué à rendre l’opinion publique sensible à ce que l’Eglise dit et à ce qu’elle fait dans le domaine des droits de l’homme, du partage des biens de la terre, de la priorité accordée aux plus déshérités, des risques que font courir à l’humanité entière les sciences et les techniques lorsqu’elles se ferment à la conscience, de ses démarches connues ou demeurées confidentielles en faveur de la paix.

En vous entendant dire que vous êtes résolu à n’épargner aucun effort pour vous acquitter de votre haute mission, je suis heureux d’encourager Votre Excellence à affermir encore les bonnes relations qui existent entre la République de Grèce et le Saint-Siège et, d’une manière plus large, à oeuvrer en faveur des valeurs humaines, morales et spirituelles en dehors desquelles les civilisations connaissent des crises tragiques, quand elles ne sont pas vouées à disparaître.

J’ai la certitude réconfortante que votre mission contribuera notamment à la tranquillité et à l’heureuse insertion des communautés catholiques, de rite latin ou byzantin, dans la société grecque.

Au terme de cette rencontre, j’ai le plaisir de souligner le fait que vous êtes l’Ambassadeur du dixième anniversaire des relations diplomatiques entre votre pays et le Siège Apostolique de Rome. Je tiens à vous assurer, Excellence, que vous bénéficierez largement, en cette Cité du Vatican, du respect, de la compréhension et du soutien que vous êtes en droit d’espérer. Et je vous souhaite de rencontrer les satisfactions attendues dans l’exercice de votre charge.

C’est à Dieu que je confie votre mission inaugurée en ce jour, en même temps que la prospérité, la concorde et le rayonnement de votre nation.



AUX REPRÉSENTANTS DU MOUVEMENT «AIDE À TOUTE DÉTRESSE - QUART MONDE»

Jeudi, 27 juillet 1989


  Chers Amis,



Vous êtes heureux et émus de vivre cette rencontre au nom de toutes les familles en lien avec le Mouvement «Aide à toute détresse - Quart Monde». Laissez-moi vous confier que je suis aussi heureux et touché que vous. Quelqu’un, maintenant invisible à nos yeux de chair mais vivant près du Seigneur, partage notre joie à tous: c’est le Père Joseph Wresinski.

Pendant que vos délégués s’exprimaient, je les écoutais avec une profonde attention et je songeais – en me référant à une forte expression de l’Apôtre Paul dans sa Lettre aux Romains – que l’humanité ne cesse de gémir dans les douleurs de l’enfantement. L’avènement difficile, l’enfantement douloureux d’un monde de dignité et de fraternité, de justice et de paix! Toutes les formes de pauvreté dont vous souffrez, et tant d’autres familles avec vous, sont un scandale. Et un scandale insupportable, quand on découvre que ces situations de pauvreté sont le résultat de la liberté d’individus et de nations, pervertie en égoïsme, en pouvoir dominateur, en comportements d’indifférence ou même d’exclusion. Il est des pauvres, beaucoup de pauvres, qui n’en peuvent plus. Alors ils se résignent à la fatalité du destin. D’autres pleurent et protestent contre l’opulence et le gaspillage des pays nantis. D’autres sont tentés d’accuser Dieu. Ici, dans le plus grand respect de vos croyances respectives, je me permets de faire allusion à une vision du monde des hommes tirée de la foi chrétienne. Les souffrances, comme le mal, ne viennent pas de Dieu. Elles ont leur source dans la liberté humaine mal comprise et mal utilisée, dévoyée même. Les personnes humaines, n’étant pas des robots – ce qui fait à la fois leur grandeur et leur risque de déchéance –, sont capables du meilleur et du pire. Mais la liberté authentique, qui ne va jamais sans éducation au niveau des personnes et des peuples, est capacité d’ouverture aux autres, d’élan profond de pitié et de solidarité dans leurs malheurs, de volonté constante de construire la paix dans la justice. Merveille et ambivalence de la liberté! Il faut donc et il faudra toujours lutter, avec lucidité, avec une détermination non violente, contre les pauvretés humiliantes, accablantes, et contre les structures qui les entretiennent ou les augmentent.

Ceci dit, et en tenant compte des situations exposées, mon rôle est de renforcer en vous au moins deux convictions capables d’entretenir votre espérance et de vous orienter résolument sur le chemin déjà commencé de votre libération.

La mission de l’Eglise est essentiellement d’ordre spirituel. Mais elle ne peut oublier que son Fondateur était le défenseur et l’ami des pauvres. Au long de son histoire, il faut reconnaître qu’elle a beaucoup fait. Et si, à tel ou tel moment, l’Eglise a pu donner l’impression de sommeiller à côté de la misère humaine, des saints se sont levés et ont suscité des volontaires de la charité évangélique, de la solidarité avec les pauvres. Je ne citerai que l’exemple de saint Vincent de Paul, mondialement connu, ou encore de la Bienheureuse Anne-Marie Javouhey, oeuvrant entre autres à la libération des esclaves noirs. Par ses organismes caritatifs ou socio-caritatifs implantés en tous pays, l’Eglise s’efforce d’aller au secours de toutes les détresses, avec le respect et la tendresse de son divin Fondateur, mais aussi avec les qualités humaines de perspicacité et d’objectivité, de méthode et de persévérance. Elle veille, au moins pour les mouvements qui dépendent étroitement d’elle, à ce qu’aucun d’entre eux ne revendique une sorte de monopole de la misère et de son traitement. La convergence ou la complémentarité des organismes de secours et de promotion est indispensable. J’encourage vivement votre Mouvement «Aide à toute détresse -Quart-Monde», assurément méritant, à voir et à juger de la possibilité de relations plus poussées ou même nouvelles avec les Responsables des Eglises particulières ou encore avec ce que l’on appelle les Conférences épiscopales. La concertation est toujours une force, spécialement en face des situations criantes de pauvreté à travers le monde.

Je me dois de stimuler en chacun de vous une autre conviction, afin que vous la partagiez avec tous vos frères et soeurs de misère. Les pauvres peuvent être et doivent être les sauveurs des pauvres. L’Eglise ne peut à elle seule accomplir tout ce travail. Les Gouvernements sont dans leur rôle en veillant à la répartition équitable des biens dans leurs pays. En ce qui concerne vos possibilités de collaboration à votre propre libération, il apparaît – et bien des expériences le confirment – que vos prises de conscience mûrement réfléchies et suivies de démarches bien préparées auprès des instances socio-politiques d’une ville, d’une région, d’un pays peuvent obtenir sinon une satisfaction complète, du moins des solutions par étapes. En outre, la reprise persévérante du dialogue avec les autorités compétentes valorise les délégués de votre Mouvement, en les responsabilisant progressivement, et elle peut aboutir à des résultats étonnants. Depuis sa fondation, «Aide à toute détresse -Quart Monde» a fait un chemin impressionnant. En plus de ces interventions réfléchies et émanant de tous les membres de vos Associations, où qu’elles soient, il importe de sensibiliser le monde de ceux qui possèdent, en évitant de les classer tous parmi les oppresseurs. Beaucoup de responsables de l’économie et de l’industrie – qui ont aussi des problèmes très lourds à porter – ont besoin d’être informés de la meilleure manière. A ce sujet, vous pouvez peut être agir en harmonisant le travail d’information avec des organismes semblables au vôtre, confessionnels ou non.

Tous ces propos, tenus en famille et en écho aux vôtres, ne constituent pas des déclarations solennelles. Le Pape, contrairement à certaines présentations que l’opinion fait de ses possibilités, ne peut ni ne doit se substituer aux responsables légitimes de la vie d’un pays. Sa mission est d’éveiller et. de réveiller les consciences. Les consciences des chrétiens et aussi des hommes en charge d’une nation. Partout où il m’a été donné d’accomplir des visites pastorales, je n’ai pas manqué de la faire. Et je le ferai encore.

Chers amis, soyez assurés que la cause des pauvres habite mon coeur. Et vous, plus que jamais, gardez courage et confiance!



AUX JEUNES DE LA FONDATION «LES ORPHELINS APPRENTIS D’AUTEUIL»

Castelgandolfo, Vendredi 28 juillet 1989


  Chers Jeunes, chers amis,



Naturellement, vous attendez que le Pape joue aussi son rôle! Dans la circonstance, le mien sera plus aisé et plus bref que le vôtre!

En premier lieu, je vous exprime ma profonde reconnaissance. Même si cette venue à Castelgandolfo représentait pour vous un beau rêve et une fête, vous avez dû faire face à des soucis d’organisation. Mais, par-dessus tour, ma gratitude a pour objet votre comédie musicale. Elle m’a fortement impressionné.

Ensuite, il m’est agréable de féliciter les acteurs, les chanteurs, les musiciens, les choristes, les techniciens. Dans son rôle, chacun d’eux a été parfait. Dans son agencement harmonieux, votre oeuvre m’a fait songer – en le désirant vivement – à l’avènement d’une société où les différences nécessaires et les complémentarités indispensables réaliseraient le magnifique et bénéfique concert des individus et des peuples.

Enfin, il me tient à coeur de vous encourager à faire connaître plus largement votre création artistique, spécialement dans les milieux jeunes. Si la figure biblique du jeune Jonathan est très attachante, à cause de sa mort prématurée sur le Mont Gelboé et, antérieurement, du fait de ses grandes souffrances face aux rivalités de son père, le roi Saül, contre David, votre jeu scénique englobe en quelque sorte toute la jeunesse contemporaine marquée par des épreuves lourdes à porter. Vous les avez bien cernées, je n’ai pas à les reprendre. En somme, «Jonathan, graine d’amour» est «le mystère de la souffrance vaincue par l’espérance», le sursaut moral, le dépassement spirituel de tous les Jonathan du monde. Ce «mystère», au sens médiéval du terme, ressemble fort au «Mystère de la Passion et de la Résurrection de Jésus de Nazareth». Vous avez su présenter en style moderne le plus grand défi ou le plus grand paradoxe de l’histoire: la croix, symbole de toutes les formes de souffrances, peut conduire à la lumière et à la vie. Votre oeuvre, ou mieux votre témoignage de jeunes a déjà rallumé l’espérance dans bien des coeurs. Je souhaiterais volontiers que d’autres jeunes à travers le monde, dans leur culture propre, réussissent un travail équivalent au vôtre, afin de déverrouiller partout les portes de l’espérance.

C’est au Christ, Rédempteur de l’homme, que je confie vos personnes et vos intentions, ainsi que l’oeuvre admirable fondée par le bienheureux Daniel Brottier. Je recommande également à vos ferventes prières le retentissement profond dans l’âme des jeunes du grand rassemblement à Saint-Jacques-de-Compostelle.

Et maintenant, de tout coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.

                             

                                        Août 1989




AUX PARTICIPANTS AU SYNODE DU PATRIARCAT CATHOLIQUE ARMÉNIEN

Castelgandolfo, Samedi, 26 août 1989


Béatitude,
Chers Frères dans l’épiscopat,



1. C’est avec une grande joie que je vous accueille aujourd’hui. Vous êtes réunis en synode, fidèles à une très ancienne tradition de l’Eglise. Eusèbe de Césarée ne nous dit-il pas que, lors de la controverse pascale du deuxième siècle, les évêques se réunissaient en synode par province [1]? Les plus anciennes lois canoniques sur les synodes les considèrent comme la vraie manière de traiter les affaires ecclésiastiques et leur donnent pour but d’assurer la concorde parmi les évêques, «afin que Dieu soit glorifié par le Christ dans le Saint Esprit» [2].



2. Dans ce synode, vous avez à pourvoir des sièges épiscopaux vacants et c’est là, depuis des siècles, une des principales responsabilités des synodes [3]. Cette tâche est étroitement liée à l’unité et à la concorde de l’Eglise, car il s’agit de choisir ceux qui devront guider les fidèles confiés à leur sollicitude pastorale sur les chemins de la foi «transmise aux saints une fois pour toutes» [4], et dans le progrès de la vie chrétienne.

Dans la perspective de cet apostolat essentiel, vous pensez naturellement à vos premiers collaborateurs, les prêtres, ainsi qu’aux séminaristes qui se préparent à les rejoindre. Ayez à coeur de développer en eux le «sens de l’Eglise» qui est si profondément enraciné dans la spiritualité arménienne. Et, d’une manière générale, une formation solide et équilibrée importe d’autant plus pour les prêtres que, bien souvent, il leur revient de conserver et de transmettre les traditions de votre peuple.

Je sais que vous êtes particulièrement soucieux aussi de former des laïcs actifs et responsables: votre vénéré Patriarche l’a opportunément souligné dans une lettre pastorale, au lendemain du Synode des évêques consacré à la vocation et à la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde.



3. Vous consacrez une large part de ce synode au renouveau de votre liturgie. Là aussi, vous êtes au coeur de votre mission et dans l’esprit du deuxième Concile du Vatican: «Puisque le Saint Concile se propose de faire progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles..., il estime qu’il lui revient à un titre particulier de veiller aussi à la restauration et au progrès de la liturgie... La liturgie est le sommet auquel tend l’action de l’Eglise, et en même temps la source d’où découle toute sa force» [5]. Et ailleurs le Concile insiste: «La principale manifestation de l’Eglise consiste dans la participation plénière et active de tout le saint peuple de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques, surtout dans la même Eucharistie, dans une seule prière, auprès de l’autel unique où préside l’évêque entouré de son presbyterium et de ses ministres» [6].

La participation plénière et active de tous à la célébration, c’est là le but du renouveau liturgique que vous réalisez avec décision et dans la concorde. De sérieuses études l’ont préparé. Il s’agissait de retrouver dans toute sa pureté l’esprit originel de votre liturgie, si profondément liée au génie de votre peuple et à sa culture. Elle s’est formée dans cette culture et, à son tour, elle l’a inspirée et nourrie au cours de son développement. Comment ne pas évoquer ici saint Grégoire de Narek: son oeuvre, d’inspiration biblique, a marqué votre liturgie; mais elle est aussi une des gloires les plus éclatantes de la poésie arménienne.

Travailler au renouveau liturgique, ce n’est pas faire de l’archéologie. Il s’agit de rendre à la liturgie ses formes authentiques et simples, en harmonie avec la mentalité de votre peuple. Si pour cela vous devez élaguer des formes et des développements adventices, résultats d’influences diverses provenant de traditions liturgiques et paraliturgiques étrangères à votre tradition arménienne, il est possible que, ce faisant, vous ayez aussi à redresser certaines habitudes populaires. Vous le ferez, j’en suis sûr, avec fermeté et délicatesse, ayant toujours comme but la participation plénière et active de tous aux célébrations afin que, d’un seul coeur et d’une seule voix, dans l’harmonie, Dieu soit glorifié par le Christ que votre sainte liturgie acclame comme «Agneau et Pain céleste, Grand-Prêtre et Victime, car c’est Lui qui donne et c’est Lui qui nous est donné».



4. L’unité et la concorde, dont votre synode est l’instrument à l’intérieur de votre Eglise arménienne catholique, vous les réalisez aussi avec toute la famille catholique en prenant part aux assemblées de la hiérarchie des divers pays du Proche Orient ou aux conférences épiscopales des pays de votre diaspora. L’unité et la concorde sont une exigence primordiale du témoignage que nous devons donner partout, mais dans le Proche Orient d’aujourd’hui, c’est, plus que jamais, une nécessité vitale pour les chrétiens. Je dis bien pour tous les chrétiens, et pas seulement pour les catholiques. Ce n’est que dans une bonne entente constructive qu’ils pourront efficacement contribuer à la réconciliation de tous et au rétablissement de la paix dans le respect mutuel et la justice pour tous.

Béatitude, vous avez votre siège au Liban. L’atroce agonie de cette terre biblique ne vous a pas permis de réunir le synode à Bzommar. Dans la prière, vous portez les souffrances et les angoisses de vos nombreux fidèles qui avaient trouvé refuge dans le pays des cèdres. Que le peuple arménien brille par sa foi et ses oeuvres et apporte sa contribution spécifique è la renaissance du Liban que tous appellent ardemment de leurs voeux!

Vous savez combien je suis moi-même angoissé de voir se prolonger la terrible situation actuelle, combien je désirerais pouvoir contribuer à hâter le retour à la paix dans un Liban où les divers groupes constituant la nation se retrouveraient de nouveau dans une fraternelle collaboration et une saine émulation en vue du bien commun et dans l’amitié avec les pays voisins. Intensifions notre supplication à l’Agneau immolé et debout, au Seigneur de l’histoire, afin que, changeant le coeur des hommes, il réalise ce à quoi nos efforts n’ont pu aboutir jusqu’à présent.



5. Je voudrais évoquer aussi, chers Frères, la grande épreuve qu’a été pour le peuple arménien le tremblement de terre dans la République d’Arménie. Cet événement tragique a été l’occasion d’un grand élan de solidarité chrétienne, signe d’une vraie charité désintéressée. J’ai demandé aussitôt au Caridnal Etchegaray, président du Conseil pontifical «Cor unum», de coordonner l’aide des catholiques et je suis heureux de voir que cette action de secours se poursuit méthodiquement, en claire collaboration avec d’autres organisations chrétiennes et en lien étroit avec le Catholicosat d’Etchmiadzine. Lors de la récente réunion du Comité central du Conseil oecuménique des Eglises, le représentant de Sa Sainteté le Catholicos Vasken Ier a bien voulu dire publiquement sa reconnaissance pour l’aide reçue de l’Eglise catholique par l’intermédiaire de la Caritas internationalis.

Vous avez vous-même, Béatitude, rendu visite à Sa Sainteté le Catholicos Vasken, et l’accueil fraternel que vous avez reçu vous a aidé à prendre une vue plus exacte des besoins immenses de la reconstruction et vous a permis d’assumer des responsabilités précises dans cet immense effort. Je voudrais espérer que cette solidarité, au-delà de ses effets concrets, puisse faire progresser tous les Arméniens vers la pleine communion retrouvée. Durant les siècles d’épreuve, l’Eglise a été à la fois la coeur et l’ossature de la nation.

Son unité doit être un facteur décisif pour l’avènement de jours meilleurs. Je sais, Béatitude, vos relations fraternelles avec le Catholicos d’Antélias, Sa Sainteté Karekine II Sarkissian, que j’ai eu la joie de recevoir à Rome. Je sais aussi qu’un des évêques de votre synode est président de la commission oecuménique de la Conférence épiscopale de Turquie et qu’il entretient des relations fraternelles avec le Patriarche Snork Kaloustian, auquel j’ai rendu visite lors de mon inoubliable voyage à Istanbul. Ce sont, parmi d’autres, autant de signes de l’action de l’Esprit qui rassemble son peuple. Demandons-lui de donner à tous et à chacun d’être attentifs à «ce qu’il dit aux Eglises» [7] et dociles à ses inspirations.



6. A travers vous, vénérables Frères, je vois tout le peuple que vous représentez: un peuple qui a été affronté aux souffrances et aux épreuves les plus cruelles. Je ne puis que vous assurer de ma compréhension. Mais, au-delà des événements dont tout Arménien se souvient, il incombe en particulier aux chrétiens d’oeuvrer sans relâche pour que les préjugés, la haine et les ressentiments ne prévalent pas sur les efforts que tant d’hommes de bonne volonté entreprennent en vue d’une réconciliation authentique entre les groupes et les peuples.

La vraie paix dépend du pardon des offenses et de la collaboration de tous pour que plus jamais ne se répètent des tragédies indignes de l’homme.

Tels sont les voeux que je forme pour vous, chers Frères, pour l’Eglise arménienne catholique, pour toute la nation arménienne, pour tous les peuples au milieu desquels vous vivez.

Portez aux prêtres, aux religieux, aux religieuses et aux fidèles de vos communautés le salut affectueux du successeur de Pierre.

Je prie le Seigneur de vous accorder à tous la grâce de sa Bénédiction.


[1] Eusebii Caesariensis Hist. Eccl, V, XXIII, 2-3.
[2] Cfr. XXXIV can. «Apostolorum» dictum.
[3] Cfr. Conc. Nic. I, can. 4.
[4] Ibid. can. 3.
[5] Sacrosanctum Concilium, SC 1 SC 10.
[6] Ibid. SC 41.
[7] Ap 2,7.



Septembre 1989




À UN GROUPE DE PÈLERINS DU SÉNÉGAL

Castel Gandolfo, Lundi 4 septembre 1989


Chers Frères et Soeurs du Sénégal,



Soyez les bienvenus en ces lieux où je vous accueille avec beaucoup de joie à l’occasion de votre pèlerinage en Terre Sainte et à Rome, sous la conduite de Monseigneur Adrien Théodore Sarr, Evêque de Kaolack et Président de la Conférence épiscopale du Sénégal, que je suis heureux de saluer.

J’adresse un salut cordial également à Son Excellence Monsieur André Coulbary, ainsi qu’aux membres des Ambassades du Sénégal, qui l’accompagnent.

Vous venez de visiter le pays de Jésus et vous en avez profité pour vous pénétrer à nouveau de son message, tout en découvrant les sites où il a vécu, prié, prêché, guéri les malades, formé les premiers disciples de son Eglise, et où il est mort en offrant sa vie pour le salut du monde. Vous êtes allés vous recueillir à son tombeau où les femmes ont été les premiers témoins de la Résurrection.

Et vous voici maintenant à Rome, où sont venus les Apôtres Pierre et Paul, où ils ont versé leur sang pour leur maître bien-aimé.

Sur la tombe de Pierre, l’humble pêcheur de Galilée, s’est élevée la grandiose basilique qui est le pôle d’attraction où vient battre plus que jamais le flot incessant des pèlerins, des visiteurs et des touristes.

Et près de la tombe de Pierre se trouve la demeure de son successeur, le Pape. Avec les évêques, successeurs des Apôtres, le Pape a la charge de l’Eglise fondée par Jésus-Christ.

Cette Eglise est ouverte à tous. Quatre notes essentielles, vous le savez, la caractérisent. Elle est une, vivant de la même foi et du même culte rendu à Dieu. Elle est sainte, par son Fondateur, par le don du baptême qui sanctifie tous ses membres et les stimule sur la voie de l’Evangile qu’ils sont appelés à parcourir à la perfection avec l’aide de l’Esprit Saint: «Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait» [1]. Elle est catholique, parce qu’elle est instituée en faveur de tous les peuples, pour l’humanité tout entière. Enfin, elle est apostolique, parce que fondée sur les Apôtres et régie par leurs successeurs, le Pape et les évêques unis au Pape.

Je souhaite que votre pèlerinage à Rome fortifie votre attachement et votre fidélité à l’Eglise. De retour au Sénégal, vous aurez à coeur de continuer à l’édifier, avec vos pasteurs, en apportant votre contribution personnelle, qui est indispensable. Surtout, vous continuerez à répandre autour de vous le message de paix du Christ, dans le respect de l’identité religieuse des personnes avec lesquelles vous vivez.

Dans votre prière à la basilique Saint-Pierre, ne manquez pas de demander au grand Apôtre de vous faire partager sa foi robuste, lui qui disait à Jésus: «Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle» [2].

De grand coeur, je vous bénis ainsi que toutes vos familles et vos amis du Sénégal.

[1] Jn 5,48.
[2] Ibid. Jn 6,68.



Discours 1989 - Samedi, 24 juin 1989