Discours 1989 - Castel Gandolfo, Lundi 4 septembre 1989


AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE «JOURNÉES ROMAINES»

Castel Gandolfo, Jeudi 7 septembre 1989


Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,

À l'occasion de vos «Journées romaines», je suis heureux de vous accueillir pour partager un moment vos préoccupations, votre désir d’être les témoins du Seigneur dans vos relations fraternelles quotidiennes avec les fidèles de l’Islam.

Vos situations sont différentes. Certains font partie des Eglises orientales dont nous voudrions tant qu’elles continuent à apporter sans entraves à toute l’Eglise la contribution irremplaçable de leurs traditions propres; depuis de nombreux siècles, ces chrétiens vivent sur les mêmes terres que les Musulmans. D’autres représentent des communautés très minoritaires dans des pays presque entièrement musulmans, où catholiques et membres d’autres confessions chrétiennes ressentent la nécessité d’une collaboration oecuménique intense dans leurs relations avec le monde de l’Islam. D’autres enfin viennent de pays où, au cours des dernières décennies, de nombreux Musulmans émigrés sont venus travailler et vivre.

Vos rencontres sont certainement très utiles pour mettre en commun vos expériences et progresser dans la réflexion, avec l’aide de l’Institut pontifical d’Etudes arabes et islamiques et de plusieurs experts que je remercie de leur apport.

Je ne reprendrai pas ici tous les aspects de vos préoccupations communes. Je voudrais simplement vous encourager dans la mise en oeuvre, au jour le jour, des orientations données par la déclaration conciliaire «Nostra Aetate», à laquelle il faut toujours se référer. Essentiellement, vous vous situez dans une perspective pastorale, celle de la vie et de l’activité courante des communautés chrétiennes, du point de vue des relations avec vos compatriotes et vos frères appartenant à l’Islam. J’évoquerai trois aspects.

Le lieu habituel de vos rencontres, c’est la vie professionnelle, le travail social ou l’activité éducative. C’est d’abord là que les chrétiens ont à se montrer fidèles aux exigences de la foi. Souvent discrète, voire silencieuse, l’adhésion à l’Evangile du Christ n’en doit pas moins marquer les relations humaines avec tous les frères, donner sa profondeur et sa force à la recherche de la justice, de la fraternité. Dans cet esprit, vous vous interrogez sur la possibilité d’arriver à un projet de société commun avec les Musulmans. Cela suppose qu’existe la confiance mutuelle, que l’on s’emploie à faire grandir la confiance. Une bonne entente pour les qualités de la vie en société ne peut être fondée que sur le respect de l’homme, image de Dieu, sur le respect de sa dignité et de ses droits, et aussi sur le service désintéressé de tout homme dans une solidarité concrète.

D’autre part, il est clair – et le fait même de vos rencontres en témoigne – que côtoyer des croyants d’une autre tradition religieuse que la sienne invite à une réflexion sans cesse reprise. Il faut que les chrétiens apprennent à mieux connaître la foi de leurs frères, et fondent ainsi le respect qu’ils lui portent. Et il est souhaitable également que, connaissant bien eux-mêmes la religion de leurs amis, ils puissent aider ceux-ci à prendre une vue toujours plus juste du christianisme. Sans doute est-ce à ce prix que bien des préjugés pourraient être surmontés. Je ne fais que mentionner ce souci; je sais que vous travaillez dans ce sens; en particulier, vous prenez en considération la réflexion menée depuis les origines chrétiennes sur la diversité des traditions religieuses de l’humanité, et les approches renouvelées du dialogue inter-religieux depuis la déclaration du deuxième Concile du Vatican.

Restant dans la perspective pastorale qui vous concerne directement, le troisième aspect que je voulais rappeler, c’est la grande exigence spirituelle que présentent vos diverses situations. Vous ne serez des témoins authentiques de la foi, de l’espérance chrétienne, de l’amour qui vient de Dieu, que par la vie de prière, l’accueil des dons de l’Esprit, la vie liturgique qui exprime les liens réels de la communauté formée par les membres du Corps du Christ. L’appel à être parfaits comme notre Père céleste nous est adressé par l’Evangile dans le contexte même où il nous est demandé d’être des artisans de paix au coeur pur, d’avoir une âme de pauvre, d’être miséricordieux, de ne pas juger nos frères, d’endurer même l’épreuve. Le discours de Jésus sur la montagne est notre charte commune, vous saurez le méditer en fonction de ce que vous vivez.

Je souhaite ardemment que, partout où ils rencontrent leurs frères, fils de l’Islam, les chrétiens demeurent des hommes tolérants, respectueux, fidèles au Seigneur mort et ressuscité pour tous les hommes. Qu’ils soient, au nom de Celui qui nous a laissé sa paix au moment de livrer sa vie pour le salut de tous, de véritables artisans de paix!

Chers amis, puissent vos travaux vous aider dans vos ministères et vos tâches ecclésiales! Je prie le Seigneur de vous bénir ainsi que vos frères dans les Eglises locales que vous allez rejoindre.


AUX PETITES SOEURS DE JÉSUS À L'OCCASION DU CINQUANTENAIRE DE LA FONDATION DE LEUR FAMILLE RELIGIEUSE

Castel Gandolfo, Lundi, 11 septembre 1989


Chères Petites Soeurs de Jésus,




1. En vous voyant ici, nombreuses et rayonnantes, je pense d’instinct au verset du Psaume 94: «Venez, crions de joie pour le Seigneur. Acclamons notre Rocher, notre salut; allons jusqu’à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le». En toute vérité, vous pouvez ajouter avec le psaume: «C’est le Seigneur qui nous a faits... Il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main». Votre famille religieuse, née dans la pauvreté totale le 8 septembre 1939, me fait également songer à l’une des préfaces des saints: «Père très saint, tu ravives sans cesse les forces de ton Eglise». En effet, à côté des congrégations anciennes, nombreuses et méritantes, les Petites Soeurs de Jésus ont reçu de Dieu la grâce d’inventer une présence nouvelle et originale au monde des pauvres, à la manière de Charles de Foucauld.



2. L’humilité de Frère Charles de Jésus, sans cesse à la recherche de la dernière place, dans un effacement que tous ses disciples s’efforcent de prolonger, ne supporterait pas que je fasse la louange de votre fondation. Pourtant, la vérité et la justice gardent leurs droits. Au nom de l’Eglise, je rends grâce de tout coeur pour la sève évangélique que les premières Petites Soeurs et les deux cent quatre-vingt-neuf fraternités d’aujourd’hui ont fait et font circuler dans les milieux humains les plus démunis ou les plus incompris, comme dans les milieux religieusement défavorisés.

En outre, il est très rare, sans doute unique, de voir une fondatrice participer au jubilé d’or de sa famille religieuse. Dans le respect de sa volonté d’effacement, Petite Soeur Magdeleine de Jésus me permettra de rappeler au moins la formule qui scande ses deux volumes sur la naissance et la croissance d’une initiative qu’elle n’avait pas considérée comme l’embryon d’une congrégation nouvelle, à savoir: «Dieu m’a prise par la main et, aveuglément, j’ai suivi». Le développement des Fraternités tient du prodige. En effet, bien des obstacles se sont opposés à la réalisation de votre rêve saharien. Vous étiez dépourvue de moyens, votre santé était précaire, et vous êtes vite restée seule. Mais vous avez tenu grâce à votre solide caractère lorrain et plus encore avec l’aide évidente du Seigneur. Que de fois avez-vous répété, comme Frère Charles: «Jésus est le Maître de l’impossible»!

Aujourd’hui, sans compter les Petites Soeurs déjà retournées près du Seigneur, «vos enfants» sont au nombre de mille trois cent cinquante dont cent dix-huit jeunes en formation. Elles proviennent d’une soixantaine de nationalités et vivent en soixante-quatre pays. Qui ne connaît les Petites Soeurs de Jésus, si discrètes pourtant? Loin d’étonner, leur vêtement religieux, tout simple – je devrais dire pauvre –, attire les humbles et interpelle sans bruit les possédants. A la suite des Papes Pie XII, Jean XXIII et Paul VI, qui vous témoignèrent tant d’intérêt et de soutien, je rends grâce au Seigneur de vous avoir suscitées pour l’Eglise et le monde de ce temps.



3. Maintenant, il me tient à coeur de souligner et d’encourager vivement quelques aspects essentiels de votre vie religieuse. Dans vos Constitutions, approuvées par la Congrégation compétente le 25 décembre 1988, votre consécration religieuse est définie comme une existence vécue dans la vie ordinaire, suivant l’exemple de Frère Charles qui, lui-même, fut subjugué par le mystère de Bethléem et de Nazareth. Il a en effet approfondi et même vécu ardemment le dialogue filial de Jésus avec son Père au long des années cachées de Nazareth. Chères Petites Soeurs, continuez sur ce même chemin de spiritualité avec résolution et humilité.

Votre coude à coude évangélique avec les gens du voyage, les minorités les moins accessibles, les hommes et les femmes les plus oubliés ou les plus méprisés, avec les milieux marqués par le matérialisme ou même un certain athéisme, ce coude à coude est la part visible de votre chemin vers le Père. Que les pauvres vous conduisent au coeur de Dieu! C’est un grand mystère que le Fils de Dieu, pauvre parmi les pauvres, a dévoilé quand il a dit: «Quiconque m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé» [1]. La voie de votre sanctification passe par vos regards et vos gestes de bonté à l’égard des pauvres. C’est là un don précieux du Seigneur. Ne cessez pas d’en rendre grâce!



4. Vos Constitutions insistent également sur une attitude qui précède et accompagne la charité: le respect de toute personne. À la suite du Christ et de Frère Charles, votre vocation est de reconnaître en toute personne, surtout la plus dédaignée, un être d’espérance, un être appelé – par delà et malgré ses limites, ses péchés et parfois ses crimes – à un avenir tout neuf. Dans l’Evangile, en effet, Jésus ne dit pas: cette femme n’est qu’une pécheresse publique. Il affirme: ses péchés lui sont remis car elle a montré beaucoup d’amour, et sa foi l’a sauvée [2]. Jésus admire la pauvre veuve qui met son obole dans le tronc du Temple et demande que l’on imite son désintéressement [3]. Jésus ne dit pas que l’aveugle de naissance a péché, ni ses parents. Il stupéfie tout le monde en proclamant qu’il fallait qu’en lui les oeuvres de Dieu se manifestent [4]. Quand Judas le trahit, Jésus l’embrasse et lui dit: «Mon ami»[5]. Jamais homme n’a respecté les autres comme cet Homme! Il est le Fils unique de Celui qui fait briller son soleil sur les bons et sur les méchants. Chères Petites Soeurs, devenez toujours plus les humbles témoins du respect de toute personne!


5. Enfin, c’est par votre vie tout entière, comme Frère Charles de Jésus, que vous devez annoncer l’Evangile. Pour vous insérer quotidiennement dans les milieux marqués par la pauvreté, il faut que vous soyez réellement dans l’intimité du Sauveur universel. Chaque jour Dieu vous donne de coopérer à sa création et d’oeuvrer à sa restauration, là même où l’usage perverti de la liberté humaine la défigure. Cette vocation, Charles de Foucauld l’avait prise tout à fait au sérieux lorsqu’il écrivait: «Je veux crier l’Evangile par toute ma vie». Vous brûlez du même zèle apostolique, sans faire de bruit. Par les moyens ordinaires de votre existence journalière, vous permettez aux divers milieux qui vous voient près d’eux et avec eux de lire en direct dans votre vie la Bonne Nouvelle, de découvrir dans ses reflets fidèles le vrai visage de Dieu. Ces moyens ordinaires sont évidemment vos relations de voisinage, les liens contractés au travail, vos démarches de solidarité avec les hommes et les femmes auxquels vous êtes présentes dans leur bonheur ou leurs épreuves, votre disponibilité pour les écouter, les conseiller, dissiper leurs embarras lorsqu'ils font appel à vous, vos moments de prière bien connus d’eux, la célébration simple et amicale des fêtes et des anniversaires, et tant d’autres choses encore. Les gestes les plus modestes peuvent parler de Jésus-Christ. Il y a une certaine façon d’être et d’agir qui est déjà une réponse à l’attente de ceux et celles qui s’interrogent: «Ces Petites Soeurs, qu’ont-elles à nous dire de leur Dieu?».

6. Avec toute l’Eglise, je souhaite que chaque Petite Soeur puise dans la récente préparation au cinquantenaire de la fondation comme dans la célébration de ce jubilé une véritable jeunesse d’âme, faite d’amour passionné du Seigneur Jésus et de ses frères et soeurs marqués par la misère. Votre histoire ne fait que commencer! Que le Seigneur tout-puissant, dans le mystère de sa petitesse à Bethléem et de son enfouissement à Nazareth, suscite pour les années à venir des vocations généreuses dans le monde entier et pour le monde entier, et qu’il vous comble de ses bénédictions!

[1] Lc 9,48.
[2] Cf. ibid. Lc 7,36-50.
[3] Cf. ibid. Lc 21,1-4.
[4] Cf. Jn 9,1-41.
[5] Cf. Mt 26,47-50.



Octobre 1989



VOYAGE APOSTOLIQUE EN EXTRÊME ORIENT ET À MAURICE


CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Aéroport «Sir Seewoosagur Rangoolam» de Plaisance (Maurice), Samedi 14 octobre 1989




Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Cardinal,
Messieurs les membres du Gouvernement,
cher Peuple de Maurice,

1. Je suis très heureux d’être arrivé dans votre île, l’«Etoile et la clé de la mer des Indes», que je désirais connaître depuis longtemps. Je rends grâce à Dieu qui me donne aujourd’hui la grande joie d’être parmi vous.

Comme l’ai coutume de le faire en mettant le pied sur un territoire que je visite pour la première fois, je me suis agenouillé et j’ai posé mes lèvres sur le sol de votre pays, en signe de respect pour cette terre où vivent les hommes et les femmes de l’«Arc-en-ciel mauricien»: mon geste voudrait rejoindre l’amour que vous portez à votre patrie.

Je vous remercie vivement, Monsieur le Premier Ministre, des paroles très aimables que vous venez de m’adresser et je suis très sensible à la cordialité de votre accueil. Avec déférence, je salue les personnalités venues à ma rencontre; et à tous les habitants de la nation qu’elles représentent, je dis ma chaleureuse sympathie.

2. C’est en messager de l’Evangile que j’entreprends cette visite et je souhaite ardemment que ma venue soit pour tous les Mauriciens, en train d’approfondir leur unité nationale, une occasion de se rassembler encore davantage, dans un même élan, autour des valeurs communes chères au coeur de chacun et de chacune: la justice, la fraternité, la solidarité et le respect mutuel.

3. Exprimant les sentiments de l’ensemble de la famille mauricienne, certains d’entre vous m’ont fait connaître à l’avance, en vue de cette rencontre, les joies et les peines des hommes et des femmes de ce pays: je viens les partager.

Entre autres motifs de satisfaction, les Mauriciens aiment l’atmosphère de liberté que le régime démocratique de ce pays favorise: liberté religieuse, liberté de conscience, et liberté d’opinion. Ils apprécient également le fait que, grâce à un développement économique rapide, ils ne soient plus angoissés par le chômage et soient parvenus près du plein emploi qui favorise la stabilité et la paix sociales.

Des initiatives en faveur de l’édification de familles solides, dans un respect de la vie digne d’éloge, ont donné à Maurice un rayonnement international dans le domaine de l’action familiale, vitale pour l’avenir.

Toutes ces joies, fruits de vos efforts, je les partage de grand coeur avec vous.

Ainsi qu’un grand nombre de nations aujourd’hui, l’Ile Maurice a son lot de difficultés d’ordre socio-économique, dont certaines sont les contrecoups de l’essor industriel, entravant les aspirations du peuple mauricien à vivre en profondeur une vraie fraternité. Je souhaite que tous les Mauriciens s’emploient à surmonter les obstacles à un progrès authentiquement humain, aussi bien pour aider les plus défavorisés que pour réagir aux fléaux de notre époque qui mettent en cause les valeurs morales et compromettent la dignité de la personne, l’équité et la convivialité.

4. Par sa situation au carrefour de l’Orient et de l’Occident, l’Ile Maurice a la vocation de faire la synthèse des meilleures valeurs de l’Est et de l’Ouest, avec l’engagement des grandes religions, dont les membres, dans ce pays, entretiennent des relations cordiales. Je forme le voeu que votre société n’hésite pas à rejeter certaines idoles comme le matérialisme ou l’hédonisme, et, au contraire, qu’elle garde l’estime de la force morale qui libère et pacifie, et qu’elle continue à cultiver la tolérance, la patience et la modération.

Sur la lancée de ce qui a été entrepris et réalisé dans le passé, que tous les Mauriciens continuent à se reconnaître et à s’accepter dans leurs cultures, leurs croyances, leurs races et leurs langues, pour donner l’image d’une société à la convivialité paisible, préfigurant en quelque sorte à son échelle une communauté internationale qui soit une patrie pour tous les peuples. A cette fin, Maurice a son rôle propre à jouer, en particulier sur le plan régional, comme l’indiquent les récentes décisions de la Commission de l’Océan Indien. Elle est appelée à contribuer au resserrement des liens entre les îles de cette partie du monde et à regarder avec elles au-delà, de sorte que le dialogue Nord-Sud ne soit pas l’exclusivité de l’Europe.

5. Au moment de commencer ma visite pastorale auprès des fidèles catholiques, je voudrais les féliciter pour la vitalité de leur Eglise, pour leur esprit de dialogue et pour leurs initiatives sociales qui vont dans le sens du respect de la personne humaine.

Je suis heureux, chers Frères et Soeurs de l’Eglise catholique, de venir célébrer avec vous la foi de notre baptême et d’exercer ici même mon ministère de successeur de Pierre, en affermissant dans vos coeurs les dons précieux que Dieu nous a faits.

Je souhaite que ma visite soit un stimulant pour votre vie ecclésiale et qu’elle vous renouvelle dans vos responsabilités personnelles de chrétiens envers votre pays bien-aimé. Je souhaite également qu’elle vous encourage à vivre d’une manière plus intense le partage et la solidarité entre les Eglises locales de l’Océan Indien. Au demeurant, les missionnaires partis de Maurice pour oeuvrer à travers le monde ne témoignent-ils pas de l’éveil du diocèse de Port-Louis aux besoins de l’Eglise universelle?

Monsieur le Premier Ministre, je vous remercie à nouveau de votre cordial message de bienvenue. Je vous exprime toute mon estime et je vous offre tous mes voeux pour la chère nation mauricienne ainsi que pour ceux qui ont la charge du bien commun. Puissent les Mauriciens de toutes confessions et religions, en affermissant encore leur unité nationale dans le respect de leur riche diversité, apporter à l’ensemble de la communauté internationale leur note de tolérance, de compassion, de liberté, de sens communautaire et de paix intérieure!



AUX REPRÉSENTANTS DES CONFESSIONS RELIGIEUSES

Palais du Gouverneur Général à Le Réduit (Maurice), Samedi 14 octobre 1989



Chers amis,




Je suis heureux de me trouver parmi vous, fils et filles de cette belle île. Vous représentez des communautés religieuses chrétiennes, hindoues, musulmanes, dans un pays qui donne au monde l’exemple d’une société où les habitants de traditions spirituelles différentes vivent en paix les uns avec les autres, dans la compréhension et le respect mutuels, pour le bonheur de tous.

Le message que je vous apporte est celui de la paix. Dans le sillage du Christ qui saluait ses disciples en disant: «La paix soit avec vous» [1], je vous dis: «Paix, shanti, salam»!

Le Christ a prié le Père pour que tous ses disciples forment une famille unie. Chrétiens d’aujourd’hui, nous devons poursuivre dans la clarté nos efforts pour nous rapprocher de l’unité tant désirée Nous serons ainsi des témoins plus crédibles de l’Evangile, de son message de salut et de paix. Je souhaite que se poursuive le labeur oecuménique entrepris entre les communautés chrétiennes de Maurice, dans un accueil sincère de la Parole de Dieu, une collaboration active de la charité, une prière instante. Puissent tous les baptisés se laisser pénétrer par la sagesse de Dieu et dire enfin ensemble au Seigneur de gloire: «Par ta lumière, nous voyons la lumière» [2].

La paix ne peut se construire qu’à partir de coeurs qui sont pacifiés. C’est pourquoi, aux membres de la communauté hindoue il m’est agréable d’exprimer l’estime que je porte à leur préoccupation pour la paix intérieure et pour la paix dans le monde, fondée non seulement sur des considérations d’ordre purement mécanique ou de politique matérialiste, mais sur la purification, l’abnégation, l’amour et la sympathie envers tous.

Le Coran aussi, dans sa description du juste, reconnaît la valeur de cette paix intérieure: «O toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée» [3]. Et pour nous, chrétiens, cette paix est le fruit de l’amour de Dieu, répandu dans nos coeurs.

Dans notre monde, qui connaît tant d’injustices, tant d’inégalités, la paix ressemble à une fleur fragile. Mais je voudrais réaffirmer ma conviction exprimée lors de ma visite au Raj Ghat dédié à la mémoire de l’illustre Mahatma Gandhi: «Avec l’aide de Dieu, la construction d’un monde meilleur, dans la paix et la justice, est à la portée des êtres humains» [4]. Je voudrais aussi rappeler ces mots du Mahatma: «La loi de l’amour gouverne le monde... la vérité triomphe du mensonge. L’amour l’emporte sur la haine» [5].

Que le Seigneur donne à tous les habitants de cette île de continuer à vivre ensemble en harmonie et dans la paix! Voilà mon souhait et ma prière.

[1] Jn 10,19.
[2] Ps 36,10 (35), 10.
[3] Sourate 89, 27-28.
[4] Ioannis Pauli PP. II Allocutio Delii, prope monumentum Gandhi vulgo «Raj Ghat» cognominatum, 3, die 1 febr. 1986: Insegnamenti di Gioavnni Paolo II, IX, 1 (1986) 248.
[5] Mahatma Gandhi, Young India, 23 oct. 1924.



AVEC LES JEUNES AU STADE DE ROSE HILL

Rose Hill (Maurice), Dimanche 15 octobre 1989


I

Les préjugés raciaux sont un blasphème

contre le Créateur.

Nous devons rendre pure notre vision des autres

Dis-nous comment construire la vraie unité dans notre Ile Maurice multi-raciale?


Chers jeunes,



1. Merci de votre accueil. Merci à votre Evêque, le Cardinal Margéot. Merci à tous ceux qui out préparé notre rencontre avec beaucoup de sérieux: je l’ai vu dans le dossier que vous m’avez envoyé.

Avant de répondre à votre première question, laissez-moi vous dire, en quelques mots, quelle est ma mission, puisque vous en avez exprimé le désir.

Lorsque le Christ proclame la Bonne Nouvelle, il dit que le Royaume de Dieu est là.En effet, ce Royaume paraît dans un peuple qui s’appelle l’Eglise.

Le Seigneur a confié l’Eglise à un groupe stable: les Apôtres, et il a mis à leur tête l’un d’entre eux: Pierre. Et Jésus a confié à Pierre la mission d’être un Roc pour l’Eglise. Il lui a promis sa prière pour que sa foi ne défaille pas.

Les Apôtres ont pour successeurs aujourd’hui les évêques, et le rôle du Pape dans l’Eglise est calqué sur celui de Pierre dans le groupe des Apôtres. Comme Pierre, le Pape est appelé à être un Roc, à consolider ses frères dans la foi. C’est pour cela que le Pape visite ses frères à travers le monde.

Vous voulez aussi savoir ce qui habite mon coeur?

Essentiellement deux choses: l’amour du Christ et l’amour du prochain.

Avant de confier son Eglise à Pierre, Jésus lui a posé trois fois la même question, comme pour tester ses capacités de pasteur: «Est-ce que tu m’aimes?» et Pierre a répondu: «Seigneur, tu sais tout: tu sais bien que je t’aime» [1]. Alors, Jésus lui dit: «Sois le berger de mes brebis». Comme Pierre, c’est d’abord le Christ que je veux aimer.

Ensuite, c’est l’homme. Dans quel sens? Pourquoi? Parce que rien ne saurait égaler l’homme en dignité, parce que «l’homme qui veut se comprendre lui-même jusqu’au fond... doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s’approcher du Christ» [2]. Voilà le deuxième amour que le Christ attend. Voilà, en même temps, ma mission et celle de toute l’Eglise: faire tout pour que les hommes puissent s’approcher du Christ.



2. Et maintenant, j’en arrive à votre première question: «Comment construire la vraie unité dans une Ile Maurice multiraciale?».

Je vous dirai, comme Jésus, qu’il est important d’avoir «un oeil clair». «La lampe du corps, c’est l’oeil. Donc, si ton oeil est vraiment clair, ton corps tout entier sera dans la lumière» [3].

Dans le domaine de l’unité du genre humain, avoir «un oeil clair», c’est être bien convaincu de l’égale dignité de toute race. «Pour qui croit en Dieu, disait mon prédécesseur Paul VI, tous les êtres humains, même les moins favorisés, sont les fils du Père universel qui les a créés à son image et guide leurs destinées avec un amour prévenant.

Paternité de Dieu signifie fraternité entre les hommes: c’est un point fort de l’universalisme chrétien, un point commun aussi avec d’autres grandes religions et un axiome de la plus haute sagesse humaine de tous les temps, celle qui a le culte de la dignité de l’homme» [4].

Le préjugé raciste qui blasphème le Créateur ne peut être combattu qu’à sa racine: le coeur de l’homme. Comme le dit Jésus: «C’est du dedans, du coeur de l’homme, que sortent les pensées perverses» [5]. Nourrir des pensées racistes va contre le message du Christ, parce que le prochain que Jésus me demande d’aimer n’est pas seulement l’homme de mon clan, de mon milieu, de ma religion ou de ma nation: le prochain, c’est tout homme rencontré sur ma route.

Il s’agit donc de purifier notre regard sur les autres. C’est une entreprise qui dure toute la vie: c’est un aspect de la conversion du coeur, c’est le prix à payer pour éliminer progressivement le communalisme.



3. Jeunes Mauriciens, de races et de cultures différentes, vous vous côtoyez de plus en plus dans le monde du travail ou des loisirs: si vous préparez une société plus tolérante encore, vous réaliserez le projet de Dieu sur la famille humaine. Vous contribuerez à éliminer pour l’avenir les incompréhensions et les souffrances qui accompagnent trop souvent les mariages mixtes. Vous encouragerez une saine ouverture et vous éviterez l’épreuve insoutenable de la marginalisation pour certains d’entre vous.

Bref, chers amis, avec l’aide de vos pasteurs et de vos guides religieux développez en vous une spiritualité profonde pour construire sur du solide. L’Eglise ne cesse d’appeler à la réconciliation et à l’unité. Entendez cet appel qui vient du Christ, acceptez de changer vos propres mentalités, soyez vraiment fraternels. Voilà le prix à payer pour que votre rêve devienne réalité, pour que les changements de structures ne restent pas lettre morte. Chaque jour, apprenez à pardonner, apprenez à aimer!


II

Le dialogue avec les parents est le moyen

le plus naturel offert aux jeunes

pour conquérir leur liberté

Dis-nous comment travailler au dialogue dans nos familles quand le fossé se creuse entre parents et enfants?




4. Au fond, votre question est positive. Elle témoigne de l’importance que vous attachez à la communication avec les aînés.

Sans nos parents, sans nos prédécesseurs, nous ne serions rien. C’est à leur amour, à leur dévouement et à leur travail que nous devons la vie qui est le premier des dons. Nous leur devons aussi notre patrie. Pour vous, c’est l’Ile Maurice, et je sais que vous aimez votre île et que vous êtes fiers d’être Mauriciens. Et vous avez raison.

En approchant de l’âge adulte, le jeune acquiert de l’autonomie par rapport à sa famille; il se produit des heurts et des conflits: c’est naturel. L’accession à l’autonomie passe par des crises de croissance, qui ont pour effet de bien situer les partenaires, parents et enfants, et de les encourager à se reconnaître mutuellement. Chacun a ses responsabilités.



5. Aux parents, il revient de créer l’atmosphère familiale qui favorise le développement harmonieux de la vie affective et de la personnalité des enfants. Ils leur donnent l’amour dont ils ont besoin; ils leur consacrent le temps de l’écoute; ils leur montrent qu’ils comprennent leur recherche de bonheur. Les parents catholiques ne veulent pas imposer à leurs enfants de reproduire idéalement ce qu’ils ont vécu, mais ils veulent favoriser la rencontre de la génération montante avec le Christ.

Dans les circonstances qui changent vite en ce moment, le dialogue entre parents et enfants devient de plus en plus difficile. Je sais qu’à l’Ile Maurice des mouvements organisent des rencontres spécialement étudiées pour permettre aux jeunes de découvrir leurs propres responsabilités, de partager entre eux et de rencontrer en vérité leurs parents, de savoir participer à la vie de famille activement et de ne pas passer tout son temps au dehors. Je vous encourage à prendre le temps nécessaire pour vous former au dialogue; cela vous sera utile dans la vie, au-delà même du cercle familial. Aujourd’hui, en particulier dans les sociétés affectées par la modernité, nous sommes davantage conscients que certaines situations exaspèrent les relations entre parents et enfants, notamment les conditions d’habitat, de travail ou de chômage, de santé physique, mentale ou morale. C’est pourquoi il faut travailler à l’humanisation des conditions de vie de toutes les familles. En réalité, le dialogue entre parents et enfants est l’affaire de tous les membres de la société. Ce dialogue n’est pas une fin en soi, mais c’est le moyen le plus naturel offert à un adolescent pour conquérir sa liberté, dans la ligne du sillon tracé par les aînés.



6. Ce que je souhaite pour tous les jeunes de Maurice, c’est qu’ils apprennent à devenir libres et responsables. Il faut qu’ils puissent connaître les vrais chemins du bonheur afin de faire leurs choix en toute connaissance de cause. Pour atteindre ce but, vous ne pouvez pas vous passer du dialogue avec les aînés, car vos parents, vos grands-parents ont acquis une expérience et une sagesse dont il serait maladroit de ne pas bénéficier.


Je conclurai sur l’exhortation équilibrée de saint Paul: «Vous, les enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur, c’est cela qui est juste... Et vous, les parents, ne poussez pas à bout vos enfants, mais élevez-les en leur donnant une éducation et des avertissements inspirés par le Seigneur» [6].



III

Soyez clairvoyants: l’amour est un dynamisme

qui pousse à se donner

et qui entraîne vers la communion des êtres

Dis-nous comment découvrir la valeur de l’amour dans un monde où les moeurs se dégradent?




7. Au début de notre rencontre, je vous disais, à la suite de Jésus, combien il importe d’avoir «un oeil clair». C’est peut-être sur cette question brûlante de l’amour qu’il est le plus nécessaire d’y voir clair. Attention, chers amis, à ne pas confondre amour et sexualité. Dans une vie d’homme et de femme, il peut y avoir beaucoup d’amour au-delà des relations sexuelles, comme il peut y avoir aussi des relations sexuelles sans amour.

L’amour est un dynamisme intérieur qui pousse à se donner et entraîne vers une communion des êtres. C’est ainsi que le Fils de Dieu nous a aimés au point de se faire homme, de partager notre condition, de donner sa vie pour nous et de prolonger sa présence et le don de lui-même dans l’Eucharistie: «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» [7]. Beaucoup ont aimé à la manière de Jésus, en donnant leur vie pour leurs amis. Certains l’on fait en choisissant de renoncer au mariage, comme les prêtres, les religieux, les religieuses, les personnes consacrées... A Maurice, le Seigneur appelle certains parmi vous à aimer de cette façon-là.

Tous, chers amis, sachez garder «un oeil clair», une conscience éveillée et responsable. Ne vous laissez pas tromper par des images de l’amour qui sont fausses: certaines vidéocassettes, qui se répandent, présentent les relations de l’homme et de la femme en caricaturant l’amour. La prostitution qui sévit aussi dans votre pays est typique de la rupture désastreuse entre les relations sexuelles et l’amour.



8. Pour la plupart, c’est dans le mariage que s’épanouit véritablement l’amour. Pour rendre heureux, il n’y a rien de plus beau que l’union fidèle de toute la vie. Dieu ne veut pas ces contrefaçons de l’amour que l’on ne devrait pas oser présenter comme normales dans l’existence. Il veut que l’homme et la femme forment un couple stable, lié par un amour à l’image de l’amour qui est la vie même de Dieu: les trois Personnes qui forment la «famille» trinitaire sont sans cesse tournées l’une vers l’autre dans un don réciproque total et dans une parfaite unité. Le sacrement de mariage donne aux conjoints la grâce nécessaire pour vivre leur don réciproque dans une alliance que nul tribunal humain ne peut dissoudre.

Le mariage donne toute sa dimension à l’amour humain, en ouvrant la communauté de l’homme et de la femme au don heureux de la vie aux enfants, prolongé par les années d’éducation, dans la stabilité et la sécurité.



9. Je vous encourage, chers jeunes, à comprendre le sérieux de vos responsabilités dans l’amour. Si vous ne les prenez pas dans ce domaine, vous risquez le laisser-aller général. Vous préparez votre avenir, préparez-vous à réussir votre amour!

Dans une société où les slogans publicitaires répètent sans cesse les mots «instantané», «immédiatement», et où l’on veut avoir «tout, tout de suite», notez bien qu’il faut du temps pour édifier la relation interpersonnelle du mari et de la femme, et que le test de l’amour est l’engagement durable.Le modèle, c’est Dieu fidèle malgré nos infidélités, qui va jusqu’à dire, par le prophète Isaïe: «Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant?... Même si elle pouvait l’oublier, moi, je ne t’oublierai pas» [8]. La fidélité est une composante de l’amour, et d’abord de l’amour conjugal: Saint Paul l’a comparé à l’amour indéfectible du Christ pour son Eglise.

Laissez-moi conclure ce chapitre en reprenant les termes du Cardinal Margéot, dans sa dernière lettre pastorale sur la famille: «Puisque c’est dans la famille que chacun de nous est façonné dans sa personnalité et trouve les ressorts de son épanouissement humain..., c’est vers la famille que nous devons nous tourner en priorité si nous voulons que l’Ile Maurice connaisse un développement équilibré» [9].




Discours 1989 - Castel Gandolfo, Lundi 4 septembre 1989