Discours 1987 - Vendredi 27 mars 1987


AU CONSEIL FÉDÉRAL DU MOUVEMENT INTERNATIONAL EUROPÉEN

Samedi 28 mars 1987




Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,



1. À l'occasion du trentième anniversaire des Traités de Rome, je suis heureux de vous recevoir ici, vous qui représentez le Mouvement International Européen, soit au niveau du Conseil fédéral, du Comité directeur ou du Comité exécutif international, soit au niveau des seize Conseils nationaux, ou encore des clubs européens de région ou de cités. Vous réunissez des organisations politiques de plusieurs tendances, des groupements fédéralistes, professionnels, économiques, des représentants des communes ou des Maisons de l’Europe. Tous, vous cherchez les moyens de préparer l’unité politique, économique et culturelle entre le plus grand nombre possible d’Etats européens, selon une voie démocratique.

Je sais que mes prédécesseurs ont déjà reçu vos délégués avec une vive sympathie. Pie XII assurait vos congressistes de son appui, le 13 juin 1957, alors que venaient d’être signés à Rome le deuxième et le troisième Traités instituant la Communauté Economique Européenne et l’Euratom. Ces initiatives, après celle qui avait trait au charbon et à l’acier, constituaient des pas importants sur le chemin de la “ Communauté européenne ” définie par le traité de Bruxelles en 1965. Elles concernaient alors six Etats de l’Ouest de l’Europe et la réalisation la plus caractéristique fut le marché commun agricole. Paul VI apportait également ses encouragements à votre Conférence le 9 novembre 1963. Depuis lors, la Communauté s’est étendue à neuf pays, puis à dix et tout récemment à douze. L’assemblée parlementaire a pris une importance croissante. J’ai été heureux de visiter moi-même le siège des institutions communautaires à Luxembourg, puis à Bruxelles, en mai 1985. J’ai pu y développer ma pensée sur l’oeuvre entreprise.

2. Si j’évoque ces étapes, c’est pour vous redire l’attention avec laquelle le Saint-Siège n’a cessé de suivre l’évolution de la Communauté européenne. Cette progression des liens entre les pays concernés, qui connaît des obstacles, des lenteurs, parfois quelques coups d’arrêt, est le fruit de débats entre responsables politiques, de ratifications libres au niveau des Etats, mais aussi de la prise de conscience, au niveau des citoyens, d’une nécessaire solidarité. Et, en ce domaine, votre Mouvement Européen a apporté une large contribution. Comment ne pas être sensible à votre volonté tenace de faire progresser la fraternité entre les peuples hier repliés sur eux-mêmes, voire hostiles les uns aux autres, à votre souci de considérer les intérêts communs, les valeurs à promouvoir et à défendre ensemble, à votre engagement de construire une coopération effective et stable, dans le respect des droits et des libertés? Cette solidarité est un idéal que l’Eglise apprécie vivement; elle en encourage la réalisation dans les différentes régions du globe, et elle s’y intéresse particulièrement dans le cas présent, puisque cela concerne des populations proches du Saint-Siège, des nations dont le passé chrétien, le rayonnement culturel et les possibilités actuelles d’influence sont remarquables.



3. Le domaine économique se prêtait en premier lieu à un projet communautaire et il représentait déjà-il représente toujours une tâche difficile, vu les niveaux de vie différents et les intérêts immédiats souvent opposés. La concertation des instances politiques et économiques pour faire face à des problèmes sociaux comme celui du chômage représente aussi une oeuvre importante et urgente. On pense également aux échanges culturels et artistiques, scientifiques, technologiques, qui s’intensifient. On enregistre en même temps un progrès dans la recherche d’instruments juridiques communs: le Parlement européen y travaille. De son côté, parallèlement à la Communauté, le Conseil de l’Europe représente une autre forme de collaboration.

Mais votre perspective s’élargit jusque sur le plan proprement politique.Vous avez en vue une Fédération européenne, formant en quelque sorte les Etats-Unis d’Europe, avec un certain Gouvernement responsable face au Parlement, bien au-delà de l’actuel Conseil des Ministres et de la Commission.

Comme déjà vous le disait Paul VI, il n’appartient pas au Saint-Siège de déterminer les modalités politiques souhaitables de la coopération européenne qui, elle, est nécessaire. Il revient aux hommes politiques, aux experts, de trouver, de proposer démocratiquement à leurs concitoyens et de faire ratifier par les responsables les solutions concrètes et graduelles de ce grand et complexe problème. Le mouvement semble irréversible et peut être bénéfique. Mais à chaque étape, il doit tenir compte des mentalités et des possibilités réelles. L’Europe est composée de nations au passé prestigieux, de cultures qui ont chacune leur originalité et leur valeur. On veillera toujours à les sauvegarder, sans nivellement appauvrissant. De même, sont à garantir les niveaux de responsabilité, les droits des personnes et des sociétés, y compris des minorités, qu’il s’agit d’harmoniser avec le bien commun à l’ensemble des pays de la région en dépassant les intérêts particuliers et les rivalités locales. Ce bien commun est certes une condition de progrès et de force et, en un sens, de survie; le progrès doit être un développement pleinement humain à tous les points de vue. Cela demande sagesse, prudence, maturation, mais aussi ténacité et esprit d’ouverture.



4. L’union doit manifester une ouverture, non seulement entre les partenaires actuels, mais vers les horizons qui les dépassent: vers l’ensemble des pays européens dont les richesses culturelles et les intérêts humains profonds sont complémentaires par delà les clivages actuels, et vers les autres continents. Votre Mouvement lui-même semble envisager la participation de tous les pays européens qui accepteraient d’entrer de façon démocratique dans une Fédération.

Comme je le disais à Bruxelles aux Communautés européennes, “ les frontières des traités ne sauraient tracer de limites à l’ouverture des hommes et des peuples. Les Européens ne peuvent se résigner à la division de leur continent. Les pays qui, pour des raisons différentes, ne participent pas à vos Institutions ne peuvent être écartés d’un désir fondamental d’unité. Leur contribution spécifique au patrimoine de l’Europe ne peut être ignorée” (Ioannis Pauli PP. II, Allocutio in urbe «Bruxelles» ad Auctoritates Communitatis ab universa Europa habita, 5, die 20 maii 1985: Insegnamenti di Giovanni Poalo II, VIII, 1 (1985) 1585).

Les réunions qui se poursuivent dans le sillage de l’Acte final de la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe représentent, entre autres, un essai de dialogue, d’échanges et de solidarité par-dessus les frontières qui ne sauraient demeurer hermétiques. Il s’agit d’un jalon appréciable qui reste à approfondir et à rendre plus efficace.

Par ailleurs, les Européens ont le devoir de s’intéresser aux autres régions du monde, pas seulement à celles qui rivalisent avec eux sur le plan des richesses matérielles et du progrès technique, mais à toutes celles qui luttent laborieusement pour assurer leur développement, voire leur survie. C’est l’honneur d’une Communauté européenne de nouer avec les pays dits du Sud des liens de solidarité vraie et respectueuse de leurs responsabilités, de leurs traditions et de leurs valeurs. Comment ne pas insister sur cet appel en ce vingtième anniversaire de l’encyclique Populorum Progressio?



5. Enfin et surtout, le Saint-Siège ne peut qu’encourager la concertation des pays européens sur le plan culturel et moral.

Comme il est salutaire de faire progresser l’écoute mutuelle, la compréhension, l’estime réciproque entre les cultures riches et diverses qui marquent vos pays, de travailler à une rencontre des cultures nationales de tout le continent qui formerait l’humus indispensable à une union plus profonde de l’Europe! Mais il y a une urgence, non moins grande, à favoriser un consensus constructif sur les valeurs éthiques qui orientent la société. Qui ne voit, en cette Europe qui a marqué les autres continents de ses conquêtes et de ses conceptions de la civilisation, un certain ébranlement moral et spirituel de l’homme? Or l’Europe ne peut renier ses racines chrétiennes; elle est invitée à les redécouvrir, à en vivre, à en témoigner. C’est le meilleur service qu’elle puisse rendre à l’humanité. Elle y trouvera ce qui a forgé son identité, marqué la plus grande part de son histoire, ce qui caractérise encore sa culture au-delà des contestations. Car il importe de bien fonder, et de promouvoir dans les comportements et dans les institutions le sens de la vie humaine, le respect de la vie à toutes les étapes de l’existence, l’importance des relations familiales dans une union stable et généreuse, le respect des droits fondamentaux de la personne, le sens des libertés fondamentales, y compris de la liberté de conscience et de pratique religieuse, l’accueil des travailleurs et des immigrés, la possibilité de dépasser les repliements sur soi égotistes, l’esprit de conciliation et de collaboration, la recherche d’une justice authentique, inséparable de la charité, les bases d’une civilisation de l’amour, l’acceptation d’une fin transcendante qui donne un sens à la vie et à la mort.

Témoin, après l’Apôtre Pierre et avec tous mes frères chrétiens, de ces valeurs humaines et évangéliques, je souhaite qu’elles inspirent les générations nouvelles, pour leur plus grand bien. Et je vous encourage vivement, dans cet esprit, à préparer une Europe plus unie, plus fraternelle, plus humaine. C’est une oeuvre passionnante, et de longue haleine. Je prie Dieu de rendre fructueux vos efforts sérieux et loyaux et de bénir vos personnes, vos familles, vos nations.



Mai 1987

AUX PÈLERINS CANADIENS, FRANÇAIS ET ITALIENS

Salle des Bénédictions - Lundi 11 mai 1987



Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat, Chers amis,



1. Je suis heureux de vous rencontrer au lendemain de la béatification d’un évêque et d’un prêtre qui sont des témoins privilégiés dans l’histoire de l’Eglise de vos deux pays. Les circonstances qui vous rassemblent évoquent d’ailleurs les liens anciens de la Normandie avec la Nouvelle France.

A côté du Cardinal Vachon, et des autres évêques du Canada présents aujourd’hui, je salue spécialement le successeur de Louis-Zéphirin Moreau, Monseigneur Louis-de-Gonzague Langevin, avec vous tous, pèlerins venus du Québec et d’autres provinces. Et je voudrais dire ma sympathie aux religieux et aux religieuses des Instituts présents à Saint-Hyacinthe.

Lorsque l’Eglise prononce une béatification, elle semble porter son regard vers le passé. C’est la grande vitalité de l’Eglise en votre pays du Canada qui nous est rappelée, dans sa croissance rapide au siècle dernier. C’est une figure de pionnier qui est présentée parmi tous ceux qui ont jalonné votre histoire.

Mais votre présence aujourd’hui ici, au centre de l’Eglise, manifeste que vous poursuivez la tâche, que vous continuez à vivre, maintenant, en membres du même corps ecclésial. Prenant appui sur vos devanciers, vous recevez la même mission. Naturellement, le quatrième évêque de Saint-Hyacinthe est pour ses successeurs, au Canada et ailleurs, un modèle de Pasteur entièrement donné au soin de son troupeau.

En vous recevant ce matin, vous les nombreux pèlerins de son diocèse et de tout le Canada, je voudrais insister sur la vocation de tout le peuple chrétien autour de son évêque. Car le ministère épiscopal n’a pas d’autre raison d’être que de rassembler et de stimuler les membres de l’Eglise dans leur complémentarité. Lorsque l’on considère l’action de Monseigneur Moreau, on voit qu’il a été un responsable attentif à tous les besoins de la communauté, et qu’il a su rendre son diocèse solidaire non seulement de ses voisins, mais aussi de toute l’Eglise en communion avec le successeur de Pierre.

Autour de l’évêque s’ordonnent aussi bien l’action évangélisatrice que les services de la charité; avec lui, prêtres, hommes et femmes puisent dans la Parole de Dieu, dans l’enseignement de l’Eglise l’inspiration de leur vie quotidienne, de leurs tâches dans la société, l’authenticité de leur réponse aux appels du Seigneur. Je souhaite que l’exemple du Bienheureux Louis-Zéphirin Moreau invite les chrétiens d’aujourd’hui à témoigner du Christ vivant devant ceux qui hésitent ou sont devenus indifférents, pour former une nouvelle génération de croyants convaincus, pour incarner les valeurs chrétiennes dans la société en répondant a des appels souvent inexprimés mais réels. Cela ne sera possible qu’en puisant dans la prière et les sacrements la force qui vient du Christ; nous n’oublions pas la devise que votre grand évêque avait empruntés à saint Paul: “ Je puis tout en Celui qui me fortifie ”.



2. Je voudrais adresser maintenant mon plus cordial salut aux pèlerins du diocèse de Bayeux et Lisieux et particulièrement à leur évêque Monseigneur Jean Badré, et aussi aux Soeurs du Bon-Sauveur et à tous ceux qui les accompagnent. Vous êtes venus par fidélité au Bienheureux Pierre-François Jamet, dont le zèle sacerdotal et la charité ont laissé un vif souvenir en Normandie et en bien d’autres lieux. En tenant compte des différences par rapport aux conditions de son époque, ce prêtre peut être aujourd’hui un guide.

Il est bon que des jeunes soient venus nombreux. Ils montrent bien qu’une béatification nous oriente vers l’avenir. Pierre-François Jamet a aimé tous les jeunes. Il s’est donné pleinement pour aider ceux qui souffraient de handicaps qui les isolaient à trouver leur juste place dans la société. Mobilisant les ressources de l’intelligence et du coeur, avec les Soeurs du Bon-Sauveur, il est parvenu aux réussites d’un éducateur remarquable.

Ce qu’il a fait au début du siècle dernier, nous aimerions que beaucoup s’en inspirent à présent. Comme l’Abbé Jamet, nous voudrions que tous ceux qui souffrent encore des mêmes limites rencontrent des frères pour leur tendre la main et les amener à prendre eux-mêmes en charge leur vie. Vous, les jeunes venus ici, le Pape vous dit que le monde compte sur chacun de vous: prenez courageusement la route, même quand elle est dure ou vous paraît incertaine! Soyez, à l’image du Père Jamet, des novateurs, des hommes et des femmes généreux, des croyants qui savent que le chemin peut être celui de la croix, mais qu’il conduit au salut de l’humanité sauvée par le Christ ressuscité, d’une humanité où soit respectée la vocation de chaque personne, aussi fragile qu’elle soit, parce que chacun est appelé à partager fraternellement l’amour qui vient de Dieu.

Les Soeurs du Bon-Sauveur honorent l’Abbé Jamet comme leur second fondateur. Ceux qui les accompagnent savent bien quelle générosité héroïque elles ont montré aux époques difficiles que leur Congrégation a traversées: elles se sont toujours soucié en premier lieu des malades, des pauvres qu’elles prenaient en charge, des jeunes qu’elles éduquaient. Sous l’impulsion de l’Abbé Jamet, elles ont trouvé de nouvelles manières de servir. Je voudrais chaleureusement les encourager aujourd’hui, alors qu’elles travaillent en France, dans d’autres pays d’Europe comme l’Italie, à Madagascar aussi. J’espère que des jeunes les rejoindront, comprenant avec elles le lien profond qu’il y a entre l’expérience spirituelle de la vie consacrée et le partage actif de l’amour dans une oeuvre utile et compétente.

A cette audience, il m’est agréable de saluer aussi le Recteur et les Universitaires de Caen qui se souviennent de l’Abbé Jamet: ils honorent dans l’ancien Recteur un homme qui, dans les conditions de son époque, a su unir en sa personne le goût du savoir, une conception très haute de la formation, un grand don de l’accueil et de la communication, un sens complet de l’homme. Il désirait préparer les étudiants à agir positivement dans la société. Il veillait à ce que l’on développe la dimension spirituelle de la vie. Je souhaite que, dans la vie universitaire d’aujourd’hui, l’essentiel des qualités du Bienheureux Pierre-François Jamet inspire maîtres et étudiants.



3. L’occasion nous a été donnée d’évoquer les hautes figures d’un évêque et d’un prêtre. Je sais qu’aujourd’hui la charge du ministère peut être éprouvante. Je connais chez mes frères dans l’épiscopat leur hantise d’évangéliser, d’aider à vivre et à pratiquer la foi dans une société éclatée, où l’indifférence religieuse s’accroît. Je sais le zèle pastoral des évêques qui sont ministres de l’unité, chargés de mettre en oeuvre les orientations doctrinales et pastorales de tout le Magistère, notamment celles du Concile Vatican II. Les récents visites “ ad limina ” ont été l’occasion de manifester une communion vraie et profonde de l’Evêque de Rome avec l’ensemble des Evêques de France. Je tiens à le souligner. Et je prie le Seigneur d’aider tous les chrétiens à demeurer unis autour des successeurs des Apôtres. La Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium n’a-t-elle pas précisé que “ les fidèles... doivent adhérer à l’évêque comme l’Eglise adhère à Jésus-Christ et Jésus-Christ au Père, afin que toutes les choses concordent par le moyen de l’unité et fructifient pour la gloire de Dieu ”?



4. Chers amis, je souhaite que votre pèlerinage soit pour vous une expérience profonde dans la foi, une expérience authentique de la communion dans l’Eglise. Les Bienheureux Louis-Zéphirin Moreau et Pierre-François Jamet nous donnent l’exemple de vies unifiées par un accueil sans réserve de l’appel de Dieu, et développant alors des dons très personnels au service des hommes. Qu’ils vous inspirent dans vos propres vies d’évêques, de prêtres, de religieux et de religieuses, d’hommes et de femmes laïcs! Que le Seigneur vous comble de sa grâce! De tout coeur, je le prie de vous bénir.

Ai pellegrini italiani …

AUX SUPÉRIEURS GÉNÉRALES DES RELIGIEUSES RÉUNIES POUR UNE RENCONTRE INTERNATIONALE

Jeudi 14 mai 1987



Chères Soeurs,



1. J’éprouve satisfaction à recevoir aujourd’hui des représentantes aussi qualifiées de la vie consacrée. Vous venez de nombreux pays, de cultures diverses, apportant les préoccupations et les espoirs de vos soeurs et des peuples parmi lesquels vos instituts accomplissent leur apostolat.

Le premier sentiment qui s’élève de mon coeur et dans le coeur de l’Eglise est celui d’une vive reconnaissance envers Dieu. La vie religieuse est, en effet, partie intégrante de l’Eglise qui bénéficie tout entière de ce charisme de la vie consacrée. Par vos personnes, la gratitude de l’Eglise atteint toutes vos communautés.

Votre principale responsabilité de supérieures générales vous fait assumer dans la vie quotidienne la fonction maternelle d’animation spirituelle de tant d’âmes consacrées. C’est là le rôle primordial de votre service: nul ne peut vous remplacer dans l’accomplissement de cette mission qui vous invite à être attentives et pleines d’affection pour les personnes qui vous sont confiées.


2. Vous la remplirez d’autant mieux que vous serez vous-mêmes imprégnées d’esprit filial. N’êtes-vous pas avant tout filles de Dieu, vivant chaque jour dans une joie spirituelle et un abandon confiant à la bonté du Père céleste? Vous êtes aussi filles de vos fondateurs et de vos fondatrices, reflétant dans la réalité actuelle les traits caractéristiques de leur physionomie spirituelle particulière. Vous êtes filles de vos communautés qui vous ont engendrées à la vie religieuse et vous soutiennent quotidiennement dans votre sanctification personnelle.

Vous êtes également comme des soeurs pour nos contemporains dont vous partagez les souffrances et les espérances. Vous voulez cheminer avec eux à la lumière du message évangélique. Vous êtes précisément rassemblées à Rome pour étudier en profondeur quelles formes doit revêtir la mission prophétique de la vie religieuse dans l’Eglise et le monde.



3. Il me semble opportun de vous confier quelques réflexions en rapport avec le thème de votre étude sur des directives rappelées par le Concile et répétées à diverses reprises par mes prédécesseurs.

L’Evangile doit s’incarner à chaque époque dans les situations concrètes, dans les vicissitudes des peuples et des cultures, tout en transcendant les embûches d’éventuelles théories unilatérales ou arbitraires, auxquelles est toujours exposé un processus de croissance.

Attentives aux besoins de nos contemporains, vous êtes bien conscientes des maux dont souffre la société dans vos différents pays. Ici la misère, la faim, les menaces endémiques sur la santé. Là le chômage, la tentation de la drogue, la souffrance des marginaux de toutes sortes, des nouveaux pauvres. Parfois un esclavage politique ou économique, un manque de liberté, des atteintes diverses à la dignité des personnes. Vous êtes à bon droit sensibles aux drames qui atteignent la vie des familles. De tout cela, les responsables de la société civile se soucient généralement, et beaucoup d’efforts sont tentés pour y porter remède. Mais il est d’autres misères dont vous êtes très conscientes: les désordres moraux, le relativisme qui atteint les consciences, l’indifférence religieuse, voire l’incroyance, qui s’étalent en certains milieux.

La constatation de ces maux, en même temps qu’elle stimule la réaction de tous les croyants, trouve dans vos instituts des forces plus vives, plus courageuses, plus disponibles pour les dénoncer, en faire prendre conscience, et surtout pour contribuer à y porter remède. L’étude que vous avez entreprise, avec l’aide d’experts, a pour but de discerner les formes et les méthodes d’action les plus adaptées à l’état de consécration auquel vous appartenez.



4. C’est en effet votre rôle de faire apprécier et de renforcer le sens, la dignité et la puissance créatrice, irremplaçable, de la vie intérieure. La dimension contemplative de la vie consacrée doit trouver son espace vital dans vos familles de vie active, pour dépasser l’horizontalisme d’un apostolat mal compris. Si la nécessaire solidarité avec le prochain ne jaillit pas d’une vie contemplative animée par l’amour de Dieu, nourrie de recueillement et de participation à l’agonie rédemptrice du Christ, elle risque de rester stérile, ou de ne pas apporter aux autres le salut qu’ils sont en droit d’attendre. Quand une personne réalise pleinement une vraie relation verticale avec Dieu, comme ce fut le cas de vos fondateurs et de vos fondatrices, un rapport nouveau se manifeste aussi dans ses relations horizontales.



5. Dans cette perspective, la religieuse fait le choix des pauvres, non pas comme un choix exclusif de classe, mais comme une option évangélique, c’est-à-dire avec l’attention même du Christ pour tous les pauvres, qui est amour préférentiel.

C’est pourquoi l’Eglise souligne que le renouveau spirituel doit toujours avoir le rôle principal, même dans les activités d’apostolat (Perfectae Caritatis PC 2). Rappelez-vous ce que dit le décret Perfectae Caritatis: “Il faut que les membres de chaque institut, cherchant Dieu par-dessus tout et uniquement, unissent la contemplation, qui les fait adhérer à Lui par la pensée et par le coeur, à l’amour apostolique par lequel ils s’efforcent de s’associer à l’oeuvre de la Rédemption et d’étendre le Royaume de Dieu” (Ibid. PC PC 5).



6. Votre présence est un signe éloquent de la richesse et de la variété des charismes par lesquels l’Esprit Saint enrichit l’Eglise, suscitant des familles religieuses nombreuses et variées pour répondre aux multiples exigences du peuple de Dieu. Il n’existe aucune nécessité spirituelle ou matérielle vers laquelle vos fondateurs et vous-mêmes ne vous soyez orientés, selon une bonne lecture des signes des temps. Maintenez, faites refleurir, affermissez les choix des fondateurs! Dans les pressantes nécessités actuelles, votre service apostolique doit se concrétiser selon la finalité spécifique de votre institut; il pourra adopter aussi de nouvelles formes qui soient compatibles avec le charisme de fondation, dans la ligne de la tradition la plus sûre et la plus saine, en harmonie avec les intentions pour lesquelles l’Eglise a approuvé votre institut.

Ce serait un zèle plutôt équivoque, celui qui vous porterait à occuper le champ apostolique d’autrui sous prétexte de besoins exceptionnels. On rencontre parfois aujourd’hui un préjugé selon lequel on devrait faire fi des “ différences ” qui constituent et distinguent entre eux les instituts religieux. Chaque institut doit être soucieux de maintenir sa “ physionomie ” propre, le caractère spécial de sa propre raison d’être qui a exercé un attrait, qui a suscité des vocations, des aptitudes particulières, a donné un témoignage public appréciable. Il est naïf et présomptueux de croire que, finalement, chaque institut doit être identique à tous les autres en pratiquant un amour général de Dieu et du prochain. Celui qui penserait ainsi négligerait un aspect essentiel du Corps mystique: l’hétérogénéité de sa constitution, le pluralisme des modèles dans lesquels se manifeste la vitalité de l’Esprit qui l’anime, la perfection transcendante humaine et divine du Christ, son Chef, qui ne peut être imitée que selon les ressources innombrables de l’âme animée par la grâce (Perfectae Caritatis PC 2).



7. En ce qui concerne le thème spécifique, objet de l’étude de ces journées, il me semble utile encore de souligner l’importance de la charité surnaturelle qui est le trait spécifique des chrétiens.

L’histoire sociale de l’Eglise a toujours été riche en réalisations. L’Eglise a protégé l’enfance, éduqué la jeunesse; elle a assisté les malades, les vieillards, les exilés, les prisonniers, revendiquant les droits des catégories les plus humiliées contre toute forme d’oppression et d’exploitation.

Mais la justice qu’elle a promue a toujours été animée par la charité du Christ. Le Verbe s’est incarné surtout pour racheter le monde du péché, la pire de toutes les injustices. Il a fondé l’Eglise d’abord pour sauver les personnes en les faisant bénéficier de sa passion rédemptrice.

Dans cette perspective théologique, le secret d’un véritable prophétisme réside dans la cohérence existentielle de la religieuse avec le témoignage qu’elle donne. Elle ne se contente pas de reprendre à son compte la contestation et la condamnation des injustices, mais elle présente sa propre vie comme un message humble, silencieux, animé de l’amour le plus pur et certainement efficace.

Aux religieux et aux religieuses, il appartient d’être dans le monde “ ce qu’est l’âme pour le corps ”, comme la lettre à Diognète le disait des premiers chrétiens (Lumen Gentium LG 38). Ils doivent demeurer comme des pèlerins à travers les choses qui se corrompent, dans l’attente de l’incorruptibilité des cieux. Leur pèlerinage est comme une annonce incessante du Règne en voie de réalisation, parce que Celui qui a vaincu le monde l’a promis.

Ainsi, la profession religieuse peut réaliser un “ prophétisme ” qui, dans les oeuvres mêmes du service social poussé jusqu’à l’héroïsme, ne peut être comparé à l’action purement circonscrite dans un présent inévitablement éphémère.

La personne consacrée doit être un signe d’espérance levé sur ce monde: l’espérance d’un monde meilleur, purifié, renouvelé, transparent de la lumière et de l’amour de Dieu, comme nous l’attendons dans le monde à venir, mais possible et inauguré dès aujourd’hui.



8. Dans la réalisation de votre mission apostolique, vous avez pour modèle la figure de Marie à laquelle nous avons voulu dédier une année à l’approche du troisième millénaire.

Dans son hymne de louange à Dieu, le “Magnificat”, on retrouve les échos de la tradition prophétique du peuple élu. Ce chant reflète le monde intérieur de la Vierge de Nazareth; il révèle non seulement le secret de son rapport avec Dieu - tout marqué par la confiance et la reconnaissance filiale -, mais également son attitude envers le monde des hommes où sont exaltés les humbles, les pauvres, les simples.

Je souhaite avec vous que toutes vos soeurs puissent ainsi regarder Marie. Puissent-elles découvrir toujours plus profondément en elle le modèle de leur consécration à Dieu, et en même temps celui de leur engagement apostolique au service de leurs frères. En priant l’Esprit Saint d’animer vos vies comme il l’a fait en Marie, je vous donne de tout coeur, à vous et à vos familles religieuses, une particulière Bénédiction.

AUX ÉVÊQUES DE MADAGASCAR EN VISITE: «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi 21 mai 1987


Cher Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Je remercie votre Président des sentiments de communion qu’il vient de m’exprimer en évoquant quelques problèmes clés de la vie de l’Eglise et de la société à Madagascar. De ceux-ci j’ai pris également une connaissance attentive dans le rapport qu’il m’a fait parvenir et dans les diverses relations quinquennales, préparées avec soin par les Pasteurs des Eglises particulières et qui sont l’objet d’une étude attentive de la part du Dicastère missionnaire compétent.

A vous tous, je dis ma joie de vous voir à Rome, auprès de la tombe des Apôtres Pierre et Paul. C’est de leur ardente foi au Christ Jésus, de leur sens de l’Eglise que nous avons hérité, les uns et les autres. C’est dans leur sillage que nous situons notre ministère de successeurs des Apôtres, avec le même courage pour professer la foi, édifier l’Eglise et introduire dans la société où Dieu nous place le levain de l’Evangile. Nous prions ensemble à cette intention: c’est le but primordial de votre visite “ ad limina ”. Et vous échangez avec le successeur de Pierre et ses collaborateurs de la Curie sur les enjeux de votre mission en lien avec l’Eglise universelle d’aujourd’hui.

Je me réjouis également à la pensée de vous rencontrer chez vous, lorsque Dieu me permettra de répondre à votre aimable invitation.



2. Ce mois de mai et l’approche de l’ouverture de l’Année mariale nous invitent à regarder la première servante du Seigneur, Marie, la figure de l’Eglise. Au moment de sa Visitation, où elle est louée pour sa foi, elle pense avant tout à rendre grâce au Seigneur qui a fait en elle de grandes choses. Avant de scruter les exigences des lourdes tâches qui vous sont confiées, il vous faut, vous aussi, prendre d’abord conscience des grâces dont a bénéficié le peuple malgache. Son âme était déjà marquée d’une grande sagesse ancestrale qui l’orientait vers Dieu et lui donnait un sens profond de la solidarité humaine. A la Bonne Nouvelle de l’Evangile qui leur a été proposée, beaucoup de Malgaches ont volontiers adhéré; et l’évangélisation a déjà produit des fruits nombreux dans tout le pays. La fidélité chrétienne a résisté aux difficultés diverses, parfois avec le courage du martyre. L’Eglise a été implantée avec ses évêques, ses prêtres, ses religieux malgaches. Victoire Rasoamanarivo, que nous espérons béatifier, est un remarquable témoignage de la progression des laïcs dans la sainteté. Aujourd’hui, vous estimez que l’Eglise jouit d’une grande liberté pour prêcher l’Evangile. Et en tout cas, elle représente une grande espérance pour le renouveau moral de la société, cependant que son oeuvre caritative, sociale et éducative est sollicitée et appréciée. Voilà des motifs de confiance et d’action de grâce. Mais le plus fondamental, c’est que l’Esprit du Seigneur travaille avec vous, à la mesure même de la disponibilité des croyants.



3. Et certes, la mission à accomplir est immense, aussi bien pour l’expansion de l’Eglise, la consolidation et l’approfondissement de la foi que pour la contribution des chrétiens au redressement national.

Oui, l’évangélisation commencée doit se poursuivre. Qui ne désirerait faire connaître à ses frères l’Amour de Dieu tel qu’il nous a été révélé en Jésus-Christ, sans mérite de notre part, et proposer à leur libre adhésion, en dehors de tout esprit sectaire, les moyens de salut et de Vie que le Christ a confiés à son Eglise?

Je pense à la région des Hauts Plateaux où beaucoup de Malgaches ont accueilli la foi et forment des communautés chrétiennes vivantes. Je souhaite que celles-ci rayonnent leur bonheur de croire auprès des catéchumènes ou de ceux qui sont encore étrangers au christianisme. Je souhaite surtout que la foi, reçue, pour l’essentiel, des missionnaires puis des pasteurs malgaches, irrigue la vie quotidienne, la culture, les moeurs familiales et sociales des baptisés. Vous avez souligné l’enjeu de l’inculturation. J’en avais longuement parlé à Yaoundé le 13 août 1985, devant le monde intellectuel et les étudiants (Ioannis Pauli PP. II, Allocutio in urbe Iaundensi ad homines cultura excultos Universitatis alumnosque habita 7.8.9, die 13 aug. 1985: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 2 (1985) 369-373). On peut parler à ce propos d’une nouvelle évangélisation, qui est désormais entre vos mains; elle vise à produire, à partir de la sève authentiquement chrétienne reçue d’En Haut, des fruits authentiquement malgaches, en union avec les autres Eglises particulières du continent africain et avec l’Eglise universelle. Il y a en effet un donné théologique commun qui est le chemin obligé d’un approfondissement ultérieur dans les diverses cultures, et le critère de moeurs marquées par l’originalité chrétienne.

Le problème de l’inculturation qui se pose en effet pour Madagascar, comme pour l’Afrique et ailleurs, est de veiller à ce que les valeurs culturelles locales n’estompent pas le message de la foi et de la morale tel qu’il est enseigné par l’Eglise catholique et que les premières générations ont su accueillir dans sa radicalité évangélique. Qu’il suffise d’évoquer par exemple les valeurs de la chasteté, du mariage sacrement, de la famille chrétienne.

Mais je pense aussi que la première évangélisation a encore un large champ devant elle, en particulier dans les régions côtières. Certains soulignent la lenteur de cette évangélisation. Vous parlez souvent, dans vos rapports diocésains, des “ sympathisants catholiques ” pour lesquels vous cherchez des moyens vraiment missionnaires d’approche et d’annonce qui, avec l’aide de Dieu, déblaient le chemin vers la foi et vers le catéchuménat. Certains notent la nécessité d’une approche missionnaire dans les villages.

D’autres Malgaches ont déjà adhéré à l’Evangile dans des communautés autres que l’Eglise catholique. Le Concile Vatican II a tracé les voies d’un oecuménisme authentique, respectueux à la fois de la recherche de la pleine vérité et des personnes qui professent leur foi. Cet oecuménisme est peut-être encore difficile à vivre, surtout dans les foyers mixtes; il ne doit céder ni à un relativisme léger qui nivellerait des convictions de conscience, ni évidemment à une concurrence agressive. L’Esprit Saint fera trouver à ceux qui le prient les voies d’un réel progrès oecuménique, dans le respect, dans l’amour qui vient de Dieu, dans la recherche sincère de la pleine communion voulue par le Seigneur entre ses disciples. Je sais que vous êtes soucieux d’une telle attitude, comme le montre votre participation respectueuse à la commémoration des premiers martyrs malgaches.

Par ailleurs, les chrétiens, dans l’amour qu’ils nourrissent pour tous leurs compatriotes et pour la nation, doivent apporter une coopération de qualité à l’oeuvre de redressement moral et de progrès social qui est particulièrement urgente et sur laquelle je vais revenir à propos des laïcs.



4. Annoncer la foi, avec l’appel à la conversion qu’elle implique, la nourrir et la soutenir, l’approfondir, lui permettre de porter ses fruits, en indiquant les exigences éthiques qu’elle entraîne dans les différentes situations, tout cela demande l’adoption courageuse de moyens pastoraux adéquats. C’est l’objet de vos réunions et assemblées que vous tenez régulièrement.

Vous ne négligez pas d’instruire votre peuple chrétien, de lui montrer le chemin. Je pense par exemple à vos Lettres pastorales intitulées “ Vous êtes le sel de la terre ”, “ Convertissez-vous et croyez à l’Evangile ”.

La formation commence dès le jeune âge, au moment où se développent l’esprit et le coeur. Les écoles catholiques sont appelées à faire tout leur possible pour l’assurer, par une catéchèse de qualité et par tout un climat chrétien soutenant le projet éducatif. Il faut sensibiliser les familles catholiques à l’école catholique afin qu’elles la soutiennent auprès de l’Etat, lequel ne manquera pas de tenir compte des désirs des parents catholiques et de les apprécier. Mais votre souci est aussi d’assurer une présence chrétienne auprès des écoles de l’Etat, de manière à proposer aux élèves qui le veulent les moyens de former leur conscience à la lumière de la foi, et de vivre celle-ci dans des actions concrètes. La préparation des catéchistes et des cadres éducatifs revêt ici toute son importance. Les jeunes sont très nombreux. Des tensions, surtout chez les étudiants, montrent leur desarroi, leur inquiétude de l’avenir, peut-être un vide des consciences, parfois un risque de manipulation, un besoin en tout cas de retrouver le sens de la vie. C’est un grave enjeu pour l’Eglise. C’est un enjeu pour toute la nation malgache.

Vous ressentez aussi le besoin d’assurer une formation permanente spirituelle et intellectuelle pour les adultes, les prêtres, les religieux et religieuses, les laïcs chargés de responsabilités dans l’Eglise et dans la société. C’est d’autant plus nécessaire que les questions sont en partie nouvelles, dans un monde évoluant entre des coutumes ancestrales qui n’ont plus le même impact sur la société, et des courants modernes parfois ambigus et déstabilisants. Sans une formation approfondie, sans une communauté ecclésiale vivante et forte, certains baptisés seraient facilement tentés d’abandon, de syncrétisme, de refuge dans des sectes.



5. Pour ce qui est des prêtres, je suis heureux de constater votre souci de préparer la relève dont l’Eglise a absolument besoin. En certains endroits, ils sont trop peu nombreux, et les prêtres expatriés se font aussi plus rares.

J’ai noté les efforts que la plupart des diocèses ont entrepris dans le cadre d’une pastorale des vocations, considérée à bon droit comme “ prioritaire ”. Vous faites prier régulièrement les fidèles à cette intention, parfois chaque dimanche; vous suscitez leur participation financière à la prise en charge des séminaristes.

C’est pour vous, et pour le successeur de Pierre, une grande joie et un motif d’espérance de voir, en maints diocèses malgaches, croître le nombre de demandes d’entrée au séminaire, à tel point que vous avez projeté de décentraliser le séminaire d’Ambatoroka, et de créer des centres de formation à la prêtrise en d’autres régions. Ce sont des questions dont vous continuerez à étudier les modalités et les exigences avec la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples. Il n’échappe à personne en effet que ces séminaires doivent pouvoir assurer une préparation adéquate, sur le plan intellectuel comme sur le plan pastoral, alliée à une solide formation à la vie intérieure. Il faut absolument disposer, plus encore que de bâtiments, de personnel très compétent, pour enseigner, guider et accompagner avec discernement ces futurs pasteurs. Et vous êtes bien conscients aussi que des critères de sélection sont nécessaires au départ, concernant les motivations, les capacités et l’acceptation des exigences morales et spirituelles de la vie ecclésiastique.

Nul doute que la qualité des petits séminaires aidera beaucoup cette préparation, dans la mesure où ils maintiendront leur identité en assurant une orientation spécifique pour les candidats au grand séminaire.



6. Je devrais m’étendre tout autant sur la vie et la préparation des religieux et des religieuses malgaches. J’ai noté dans un rapport une expression qui m’a réjoui: la présence bénie des religieuses dans l’oeuvre d’évangélisation. En effet, je suis très heureux de savoir l’essor de la vie religieuse à Madagascar, active et aussi contemplative. Vous porterez à ces frères et à ces soeurs les encouragements du Pape.

Je n’oublie pas pour autant les vaillants religieux et religieuses venus d’autres pays. Je souhaite avec vous que, sous votre responsabilité, ils continuent d’apporter un témoignage et une aide spécialisée qui demeurent très appréciables, et ils constituent aussi un lien toujours précieux avec l’Eglise universelle.



7. L’approche du Synode des évêques sur l’apostolat des laïcs nous remet en face de toute la contribution des baptisés à la vie des communautés chrétiennes et à la vie sociale. Vous avez à coeur de la promouvoir depuis longtemps à Madagascar, et certains rapports diocésains souhaitent que les hommes s’y engagent aussi bien que les femmes. Le Synode aidera à mieux cerner la nature de la vocation des laïcs, l’ampleur de leur mission, les conditions de leur formation spirituelle, doctrinale, pastorale.

La vie familiale est un domaine capital, et vous évoquez souvent les difficultés qui demeurent pour que les époux baptisés s’engagent plus nombreux dans une union indissoluble, exclusive et féconde, indispensable à la réception du sacrement de mariage, lequel permet aux époux fidèles de recevoir dignement l’Eucharistie dont ils ont un si grand besoin. L’inculturation de la foi chrétienne en terre malgache ne pourra pas dispenser de ces exigences; mais elle pourra peut-être permettre une préparation plus adaptée aux mentalités, bénéficiant de ce que certaines coutumes comportent de positif. Cela demande une étude sérieuse et prudente, une pastorale concertée avec d’autres Eglises particulières et avec le Saint-Siège et surtout un effort accru dans le cadre de la préparation au mariage, pour sensibiliser les consciences à la grandeur, à la beauté spirituelle, à l’épanouissement humain que représente le mariage selon l’Evangile. Cette meilleure compréhension du sacrement de mariage, dans la catéchèse sur le mariage et la famille, avec l’exemple et le soutien des foyers chrétiens, devrait permettre à davantage de baptisés de surmonter la crainte de recevoir le sacrement de mariage et d’en assumer les obligations. Comment douter que le Christ ne donne la grâce de répondre à ses appels?



8. Dans le domaine de la formation des consciences, je pense aussi, bien sûr, à tout ce qui touche la vie individuelle et sociale. Votre rapport décrit la situation humaine très grave que connaît actuellement Madagascar.

Non seulement il y a une carence d’aliments, de riz, parfois même la famine, que les intempéries ou les cyclones aggravent périodiquement. Sur ce point, des chrétiens font preuve d’une belle solidarité dans le cadre de la Caritas Madagascar (Bureau de liaison d’action sociale et caritative) en lien avec la Caritas Internationalis; leur assistance aux affamés, aux sans-logis, aux enfants, aux lépreux, demeure admirable.

Mais il y a le problème lancinant de l’endettement, du chômage, où l’on souhaite une compréhension et une aide internationale.

On parle surtout d’une grave détérioration du climat moral social, qui favorise le “ chacun pour soi ”, l’opulence de certains face à la misère de la majorité, le manque de conscience professionnelle et de motivations pour le bien commun, la corruption largement pratiquée, la méfiance, l’insécurité, la tendance à la drogue, au vol, aux règlements de compte, à la violence, le manque du respect de la vie. On mesure la gravité de cet état de choses pour l’avenir du pays qui ne saura faire l’économie d’un patient redressement moral, à tous les échelons. Là, l’Eglise est appelée à apporter la contribution que lui permet son éthique de service, de justice, de vérité, d’amour, de pardon, d’espérance. Non pas qu’elle doive assumer directement un rôle politique, qui n’est pas celui des clercs et qui revient aux Autorités légalement investies de cette responsabilité, à charge pour elles d’y associer les citoyens sur les choix librement débattus. Mais l’Eglise peut beaucoup pour éclairer et former les consciences, donner des raisons de vivre et d’agir, éduquer la jeunesse, donner l’exemple du partage, inviter les laïcs à s’engager au service de la communauté politique. J’ai en mémoire votre Lettre pastorale: “ Le pouvoir au service de la cité ”. Les responsables du bien commun n’ont rien à craindre de cette participation morale de l’Eglise; et le peuple malgache semble mettre à ce sujet beaucoup d’espérance en elle. C’est une oeuvre délicate, difficile, désintéressée. Je prie le Seigneur de guider dans cette voie Pasteurs et fidèles.



9. Chers frères dans l’épiscopat, vous êtes à un moment crucial de l’histoire de la Grande Ile. A la lourde responsabilité qui pèse sur vos épaules, je sais que vous saurez associer largement vos prêtres, les religieux, les catéchistes, les militants d’action catholique, les divers mouvements. A chacun de vous revient la charge de guider l’ensemble de la pastorale; personne ne peut l’assumer à votre place.

Mais, sur un certain nombre de points, pour mieux incarner le message chrétien, des échanges et une concertation seront utiles avec vos confrères du continent africain, quelle que soit la forme de collaboration qui sera retenue comme opportune. Et, au-delà de ce continent, l’Eglise universelle garantit continuellement l’authenticité du progrès chrétien, en harmonie avec la Tradition vivante de l’Eglise. Celle-ci maintient l’originalité du sel et du levain évangéliques, avec la doctrine et la discipline ecclésiastique communes à tous; elle permet de discerner les meilleures conditions de la marche en avant, avec la prudence et l’audace qui conviennent. N’est-ce pas la raison d’être de votre réunion autour du successeur de Pierre, principe et fondement de l’unité de toutes les Eglises?

En vous assurant que je demeure proche de vos efforts pastoraux, je prie Dieu de fortifier en vous le zèle, la paix et l’espérance, et je bénis de grand coeur vos personnes, tous ceux qui collaborent avec vous, chacun de vos diocèses et le peuple malgache tout entier.




Discours 1987 - Vendredi 27 mars 1987