Discours 1987 - Mardi, 3 novembre 1987




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Laissez-moi vous dire toute la joie que j’éprouve à vous accueillir aujourd’hui, à l’occasion de votre visite « ad limina ». Votre venue à Rome a lieu sous les auspices de la Vierge, en l’Année mariale, et aussi dans le prolongement d’enrichissantes assises synodales, auxquelles le cher Cardinal Thiandoum a apporté tout le zèle et l’expérience pastorale de ses vingt-cinq ans d’épiscopat! Cette rencontre m’offre l’occasion de le remercier de son travail de Rapporteur, comme je remercie également de grand coeur votre porte-parole, Mgr Théodore Adrien Sarr, évêque de Kaolack et président de votre Conférence épiscopale.



2. L’Apôtre Paul nous invite à l’action de grâce: « Chantez à Dieu de tout votre coeur avec reconnaissance » [1]. Avec vous, je rends grâce à Dieu pour le don de la foi. C’est ce don qui nous permet d’oeuvrer en communion de pensée et de coeur, bien qu’éloignés les uns des autres, et c’est ce même don qui nous rassemble fraternellement en ce jour.

Je souhaite que ce pèlerinage quinquennal traditionnel à la tombe des saints Apôtres et votre visite au Saint-Siège vous apportent joie et réconfort.



3. Votre visite me permet de vous dire combien je partage vos espérances et vos soucis de pasteurs de l’Eglise au Sénégal. Il est vrai que les catholiques sont minoritaires dans votre pays. Mais je sais la réelle qualité de leur vie chrétienne, de leur sens évangélique. Par ailleurs, ils se sont acquis la sympathie de beaucoup de leurs compatriotes grâce au climat d’amitié qu’ils ont su créer et au témoignage qu’ils rendent à l’Evangile. Dans un esprit fraternel, ils contribuent activement au développement du pays.

Il est vrai aussi que les progrès de l’évangélisation rencontrent chez vous certaines difficultés: cela demande à toute la communauté catholique une ferme conviction, afin que soit sauvegardée son identité contre toute forme d’idéologie matérialiste, et pour entrer en toute clarté en dialogue fraternel avec ceux qui ne partagent pas la même foi et les mêmes traditions.

Dans la maturation de la foi, la formation des jeunes joue naturellement un rôle de premier plan. Il faut que le système éducatif se développe et progresse, malgré les limites des moyens matériels qui ne devraient pas constituer un obstacle insurmontable. Votre vigilance pastorale fera en sorte que se maintienne toujours, dans ce domaine si important de l’éducation, le souci d’assurer un développement intégral de la personne humaine, inspiré par les valeurs évangéliques et le respect des convictions religieuses de votre pays, sans que cela conduise insensiblement les jeunes chrétiens sur des voies qui les éloigneraient de la fidélité à leurs engagements.



4. Dans plusieurs de ses documents, le Concile a souligné la collaboration qui doit s’établir entre les catholiques et les croyants d’autres appartenances. Dans la déclaration sur l’Eglise et les religions non chrétiennes notamment, le Concile exhorte les croyants « à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté »[2]. Votre lettre pastorale du 29 décembre se plaçait dans cette perspective, lorsque vous appeliez tous vos compatriotes à créer les conditions d’« une vraie paix sociale », en ajoutant: « Travaillons ensemble à ce que tous les croyants du pays respectent scrupuleusement en pratique les droits de Dieu ».



5. Vous partagez votre charge pastorale, d’abord avec les prêtres de vos diocèses. Je vous prie de leur transmettre mon salut affectueux et aussi mon encouragement à une grande qualité de vie sacerdotale, dans un dévouement sincère au Peuple de Dieu, à l’image de Dieu, à l’image du Christ qui s’est fait serviteur.

Les hommes, consciemment ou non, attendent que le prêtre leur parle de Dieu avec conviction et humilité. Dans un monde où beaucoup se laissent prendre à l’attrait des biens matériels, le prêtre, par la parole et par l’exemple d’une vie simple, doit attirer l’attention sur des valeurs plus élevées. En s’identifiant au pauvre de manière à lui apporter l’Evangile libérateur du Christ, il sera aussi un encouragement pour les jeunes que le Christ appelle à tout quitter pour le service de son Eglise.

Puissiez-vous aussi, chers Frères, développer la communion fraternelle qui existe entre vous et vos prêtres, pour rendre plus efficace la mission de l’Eglise et donner à tous les chrétiens, et aux non-chrétiens, l’image de l’amour mutuel, signe distinctif des disciples du Christ! Egalement, en restant proches de vos prêtres, vous éviterez qu’ils ne souffrent de l’isolement et que leur santé physique et spirituelle en pâtisse.

Ma pensée va aussi vers ceux et celles qui se préparent à la vie religieuse, active ou contemplative. Vous avez, en effet, entrepris un bel effort dans la pastorale des vocations au cours de ces dernières années, et vous êtes récompensés par une augmentation du nombre des candidats et candidates à la vie consacrée à Dieu. Je souhaite qu’avec l’aide de prêtres, de religieux et de religieuses soucieux du progrès spirituel, ces jeunes préparent un avenir solide pour vos diocèses, sans perdre de vue la dimension universelle de toute vocation ecclésiale.



6. Conscients du rôle que les laïcs ont à jouer dans l’Eglise et dans le monde, vous avez déjà, au début de cette année, invité les fidèles de vos diocèses à se renouveler dans leur mission de baptisés. Parmi eux, j’exprime ma gratitude particulière à tous les catéchistes zélés qui coopèrent généreusement à l’enracinement de l’Evangile dans vos communautés chrétiennes. J’apprécie leur labeur et j’ai pour eux et leurs familles une pensée spéciale.

Dans une lettre pastorale publiée à l’occasion du Synode de cette année, vous avez encouragé les laïcs à être de vrais témoins du Christ dans la vie de tous les jours. Puissent-ils être de plus en plus le sel de la terre pour redonner toute leur saveur aux valeurs humaines, morales et spirituelles!



7. L’Eglise au Sénégal s’est engagée à promouvoir les moyens de communication sociale, et vous encouragez à juste titre les initiatives dans ce domaine. Je vous engage à poursuivre ces efforts fructueux: vous aidez ainsi les fidèles à porter un regard évangélique sur tout ce qui fait la vie de la société.



8. En terminant, je voudrais faire une double exhortation: une exhortation à la cohésion et une exhortation à l’universalité.

Demeurant attachés aux grandes intuitions du Concile Vatican II, nous devons offrir l’exemple de l’unité entre pasteurs et fidèles. « En chaque lieu où se trouve une communauté de fidèles, [les prêtres] rendent, d’une certaine façon, présent l’évêque auquel ils sont associés d’un coeur confiant et généreux, assumant pour leur part ses charges et sa sollicitude, et les mettant en oeuvre dans leur souci quotidien des fidèles »  [3].

Enfin, et c’est ma seconde exhortation, élargissez toujours plus vos relations avec d’autres Eglises particulières. Soyez solidaires de tous les ouvriers de l’Evangile à travers le monde. Soyez même prêts à répondre aux appels qui pourraient vous être lancés: « Vous serez mes témoins... jusqu’aux confins de la terre » [4].

Je prie l’Esprit Saint de vous donner sa lumière et sa force, et, de tout coeur, je vous bénis, ainsi que tous les fidèles de vos diocèses.

1 Col 1,16.
2 Nostra Aetate, NAE 3.
3 Lumen Gentium, LG 28.
4 Ac 1,8.




AUX MEMBRES DU MOUVEMENT EUCHARISTIQUE DES JEUNES

Jeudi, 5 novembre 1987




Chers amis du Mouvement Eucharistique des Jeunes,



Je suis très heureux de vous accueillir ici, vingt-cinq ans après le nouveau départ de votre Mouvement en réponse au message du Pape Jean XXIII, comme vient de le rappeler Monseigneur Georges Rol. Je le remercie de ses paroles, ainsi que les membres de votre équipe nationale qui m’ont présenté le sens de vos activités.

Vous placez l’Eucharistie au centre de votre Mouvement. Cela signifie que vous progressez, de l’enfance à l’âge adulte, en vous rendant particulièrement attentifs à ce mystère essentiel du Christ, comme « une nourriture qui fortifie ». Vous célébrez l’offrande que le Christ accomplit en livrant sa propre vie pour sauver la multitude de ses frères. Le Concile Vatican II a dit qu’en participant réellement au Corps du Seigneur, « nous sommes élevés à la communion avec lui et entre nous »[1].

Oui, en communion avec le Christ, nous sommes aussi en communion les uns avec les autres. Votre vie d’équipe, vos rassemblements, vos camps d’été sont des occasions privilégiées pour prendre conscience de toute la richesse de la communion de l’Eglise. Accueillez et approfondissez la Parole de Dieu, développez l’union fraternelle entre ceux que le Christ rassemble. Au cours des étapes successives de votre jeunesse, prenez de mieux en mieux votre place dans la vie de l’ensemble de l’Eglise. Il me semble que votre pèlerinage à Rome montre bien votre désir d’ouvrir votre regard et votre coeur sur l’Eglise universelle, bâtie sur le fondement des Apôtres, unis autour du successeur de Pierre, répandue à travers le monde.

Vous venez ici peu de jours après la clôture du Synode qui a réuni des Evêques des cinq continents, pour réfléchir sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et le monde. Vous en recevrez le message. Pour le moment, en cette brève rencontre, je soulignerai seulement deux aspects de votre vie de jeunes chrétiens.

Vos responsables ont exprimé le souci « d’initier les jeunes à une pratique sacramentelle régulière » et de « leur permettre d’entrer plus avant dans ce qu’ils célèbrent ». Vous avez en effet besoin de la nourriture de l’Eucharistie. Célébrer régulièrement le partage du Corps du Christ, unissant l’offrande de vous-mêmes à son sacrifice, joindre votre action de grâce à la sienne, ce sont des conditions majeures de votre persévérance dans la foi. Il y a, dans la messe dominicale surtout, la source vive de l’espérance en vous. Et au temps de la faiblesse et du péché, rentrez en communion par le sacrement de la réconciliation. Lorsque vous vous retrouvez en équipe, soutenez-vous les uns les autres dans la fidélité, et progressez ensemble dans l’expérience de la prière. N’oubliez pas, au jour le jour, de tourner votre regard sur la Mère de Jésus, Marie, qui méditait en son coeur l’heureuse annonce du salut accueillie dans la foi.

Dans cet esprit de prière et de foi, « la célébration vous envoie » en mission, comme vous le dites vous-mêmes. En vivant la grâce de la communion ecclésiale, vous pourrez rassembler vos énergies pour être des témoins du Christ, francs, fermes et inventifs. Autour de vous, trop souvent, vous rencontrez l’indifférence ou le rejet face au message et aux exigences de l’Evangile. Ensemble, soyez courageux et pleins d’espérance! Suivre le Christ sur tous les chemins du monde et bâtir l’Eglise, cela peut paraître difficile, mais c’est possible quand on partage avec ses frères la force de l’amour du Fils de Dieu. Pour répondre à son appel, il faut se charger de sa croix [2]. Mais après la Résurrection le petit groupe des disciples était plein de joie, même quand Jésus était monté vers le Père. Avec eux, avancez dans la joie et gardez dans votre coeur la parole ultime de Jésus: « Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » [3].

Je vous dis cela parce que l’Eglise compte sur la générosité des jeunes: répondez aux appels du Christ, là où vous êtes maintenant, là où vous serez demain: dans votre famille, votre milieu de travail ou, pour certains, dans une vie consacrée au service de Dieu. Dans les rencontres de chaque jour, dans les situations sans cesse nouvelles où vous vous trouvez, sachez être fidèles à votre baptême.

Avec les jeunes du Mouvement eucharistique, je suis heureux d’accueillir un groupe venu de Montpellier en pèlerinage sur les pas des premiers chrétiens. Continuez à méditer la Parole de Dieu, à vivre et faire vivre pleinement la liturgie! Gardez votre enthousiasme entraînant en accomplissant votre mission de chrétiens.

Je vous encourage tous, aumôniers, responsables et jeunes, à approfondir sans cesse la communion offerte par le Christ aux membres de son Corpus. Et je vous bénis, en invoquant sur vous « la grâce et la paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ »[4].

[1] Lumen Gentium, LG 7.
[2] Cfr. Mt 16,24.
[3] Lc 24,52 Mt 28,20.
[4] Ph 1,2.




AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS DE L’OEUVRE «AIDE À L'ÉGLISE EN DÉTRESSE»

Vendredi, 6 novembre 1987




Chers Congressistes de 1’“ Aide à l’Eglise en Détresse ”,



1. En cette année du XLe anniversaire de l’oeuvre audacieusement lancée par le Père Werenfried van Straaten et maintenant dirigée par le Père Roger Vekemans - que je salue l’un et l’autre très cordialement-, je partage à la fois votre bonheur d’avoir fait beaucoup pour les Eglises en détresse et votre tristesse d’avoir été empêchés de faire davantage. Mais je voudrais surtout qu’en ces premiers instants de notre rencontre, nous rendions grâce à Dieu. C’est Lui qui a fait de vous ses instruments de charité. C’est Lui qui a ouvert le coeur de centaines de milliers de chrétiens aux détresses de leurs frères et soeurs, victimes de ségrégation sociale, de persécutions religieuses, de contraintes à l’exode.



2. Il me semble toujours à propos de replacer une époque comme la nôtre dans le cadre des deux mille ans d’histoire de l’Eglise. Est-il une période où les disciples du Christ n’aient pas connu, ici ou là, les soupçons, les arrestations, les interrogatoires, la prison, la mort à cause de leur appartenance au Christ et à son Eglise? Et cette longue histoire, remplie de lumière et d’événements affligeants, nous révèle que les communautés chrétiennes en possession de leur liberté sont allées au secours des Eglises perturbées ou même entravées dans leur développement. Nous savons tous que l’Apôtre Paul et ses premières fondations [1] avaient en quelque sorte lancé, les premiers, l’aide aux Eglises en détresse. Vous êtes dans le sillage de l’Eglise primitive, en apportant votre aide aux Eglises en difficulté à travers le monde. En prenant connaissance de votre rapport, j’ai été émerveillé de constater que votre oeuvre se portait au secours religieux de cent-quinze pays. Soyez, chers congressistes, ainsi que les très nombreux adhérents de l’Aide à l’Eglise en détresse, chaleureusement félicités. Avec d’autres mouvements caritatifs ou simplement humanitaires, également très dignes d’admiration, vous assurez un service original et fondamental de la personne humaine lorsqu’elle est dépouillée de son droit inaliénable à la liberté religieuse ou menacée de l’être. Votre oeuvre est essentiellement pastorale.



3. En cette brève rencontre, je tiens à préciser mes encouragements sur divers points, qui sont d’ailleurs l’objet de vos préoccupations. En veillant toujours avec soin à l’objectivité des faits, continuez d’informer les pays libres sur le plan religieux sur ces régions du monde où, tout en prétendant garantir la liberté de conscience, on réduit au minimum sinon à rien l’exercice concret de la liberté religieuse. Je souhaite que votre revue, déjà très répandue, soit encore mieux connue du monde libre et révèle l’anomalie inacceptable de tant d’églises fermées et parfois détruites, de séminaires supprimés ou réduits à recevoir un nombre insignifiant de candidats au sacerdoce, l’anomalie de la suppression des manuels et de l’enseignement catéchétique, de l’interdiction des mouvements de formation et d’apostolat... Les pays libres mesurent mal les coups ainsi portés à la vitalité de l’Eglise, mais également au respect des droits; de l’homme à la recherche religieuse et à des relations personnelles et communautaires avec Dieu.



4. C’est peut-être sur ce plan que vous pourriez, en liaison confiante et continue avec la hiérarchie catholique locale, situer votre aide pastorale sur le terrain du respect sacré des consciences et des croyances. Faut-il désespérer de faire progressivement admettre que les croyants, respectés dans leurs convictions de foi, sont naturellement des citoyens portés à aimer leur pays et à servir la cause du bien commun? Soutenir ainsi les chrétiens requiert de votre part beaucoup de prudence, de préparation, de sérénité, de foi, d’espérance. Mais aider les Eglises en détresse ne signifie-t-il pas aussi chercher à assouplir les conditions discriminatoires qui accablent tant de communautés ecclésiales?



5. Enfin, je souhaite que votre noble et délicat travail, essentiellement pastoral et non politique, se déroule non seulement en harmonie avec les Evêques des pays concernés, je le disais à l’instant, mais, chaque fois que la chose est souhaitable, de concert avec les OEuvres pontificales missionnaires et d’autres organismes de secours. Je pense aux « Caritas » et à bien d’autres groupes qui cherchent à promouvoir le développement de toute personne humaine et de populations entières. Dans l’Eglise du Seigneur, la diversité des activités pastorales, caritatives, humanitaires est légitime, admirable même. Leur complémentarité est nécessaire. L’unité et la force de l’action ecclésiale découlent de cette volonté de coopération fraternelle entre tous les baptisés dans les divers pays du monde.

Au terme de cet entretien familial, j’invoque avec ferveur sur le Père Werenfried van Straaten et le Père Roger Vekemans, sur leurs collaborateurs immédiats, sur les participants à cette Assemblée du quarantième anniversaire, sur tous les bienfaiteurs de l’Aide à l’Eglise en détresse, de nouvelles et abondantes grâces de sagesse et de force divines, et la protection toute spéciale de la Vierge Marie, Mère du Christ et Mère de l’Eglise.

[1] Cfr. 1Co 16,1-5 Ga 2,10.






AUX ÉVÊQUES DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 7 novembre 1987




Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Je remercie vivement Monseigneur Joachim N' Dayen qui vient d’exprimer, au nom de toute la Conférence épiscopale Centrafricaine, les sentiments de communion qui unissent vos Eglises particulières au Siège de Rome.

Je redis mes voeux cordiaux à chacun d’entre vous, spécialement aux deux nouveaux Pasteurs appelés récemment à la plénitude du sacerdoce, Monseigneur Jérôme Martin, pour le diocèse de Berberati qui lui était déjà familier, et Monseigneur Edouard Mathos, auxiliaire de Bossangoa.

Au cours de mon voyage pastoral en Afrique en août 1985, je tenais beaucoup à m’arrêter, même brièvement, à Bangui. J’étais sensible aux épreuves que votre pays avait connues, à l’isolement dont il pouvait souffrir, aux espérances que l’Eglise y nourrissait, au travail apostolique qu’elle avait entrepris. Je tenais à vous manifester l’estime et les encouragements du successeur de Pierre. Et je garde un heureux souvenir de cette étape et de la belle célébration eucharistique qui a réuni le peuple de Dieu à Bangui. Il vous appartient de prolonger, avec les prêtres et les fidèles, les fruits de cette visite.

Aujourd’hui, c’est vous qui venez à Rome et me donnez l’occasion de vous accueillir avec joie. Il est bon d’effectuer ensemble ce pèlerinage. En effet, en dehors des assemblées plénières de votre Conférence, vous demeurez assez éloignés les uns des autres, avec des moyens de communication difficiles et un ministère absorbant. Il est réconfortant aussi pour vous de visiter le tombeau des Apôtres Pierre et Paul, de raviver votre communion avec tout le Collège des évêques, en la personne de son premier responsable.



2. Dans cinq ans, vous célébrerez, dans l’action de grâce, le centenaire de la première évangélisation sur les bords de l’Oubangui. Cette Eglise est née à cause du zèle missionnaire de pionniers courageux, venus d’Europe, impatients de partager avec les habitants de votre pays la Bonne Nouvelle du Salut qu’ils avaient eux-mêmes reçue. Ils mettaient leur espérance dans l’Esprit Saint qui était à l’oeuvre dans leur ministère. Les fruits ont été nombreux. A côté d’autres frères chrétiens, vos six diocèses comportent des communautés catholiques importantes par leur nombre et par leur rayonnement. Beaucoup de ceux qui exercent des responsabilités dans le pays ont bénéficié de la formation humaine et chrétienne que l’Eglise leur a permise.

Avec vous, je pense avec reconnaissance aux congrégations missionnaires. Leurs membres n’ont cessé d’oeuvrer pour implanter l’Eglise, pour stimuler les chrétiens centrafricains à devenir eux-mêmes des évangélisateurs; on peut citer entre autres les Spiritains, les Capucins, les Comboniens, les Maristes, auxquels s’ajoutent des prêtres Fidei Donum. Je sais aussi la contribution précieuse qu’apportent aujourd’hui nombre de missionnaires laïcs volontaires. Je m’en réjouis et je souhaite avec vous qu’ils poursuivent leur entraide toujours nécessaire.

Ils ne perdent évidemment pas de vue que les Centrafricains doivent de plus en plus prendre en charge leur Eglise. Après Monseigneur Joachim N’Dayen, qui exerce depuis longtemps un rôle de premier plan dans la Conférence épiscopale et dans le pays, nous avons été heureux de pouvoir nommer un second évêque centrafricain, Monseigneur Edouard Mathos. Nous souhaitons que le nombre de prêtres originaires de vos diocèses augmente, afin qu’ils prennent une part plus grande dans le ministère pastoral et dans l’évangélisation. En étroite collaboration avec les laïcs, ils pourront favoriser toujours mieux l’accueil du message évangélique dans un langage qui rejoint le meilleur de la sagesse séculaire de votre région.



3. Le Synode qui vient de s’achever à Rome est de nature à encourager l’apostolat multiforme des laïcs qui s’est bien développé chez vous, surtout depuis une trentaine d’années. Les assises de 1982 en étaient une illustration.

Ces chrétiens peuvent être le ferment évangélique de la société où ils forment de petits groupes bien insérés dans le village ou le quartier urbain et reliés à la paroisse.

Soucieux de ne pas séparer la foi et la vie, un bon nombre de laïcs s’engagent activement dans la communauté humaine. De manière concrète, ils travaillent pour que chacun puisse disposer d’une alimentation qui convienne, de soins de santé, de formation scolaire et technique, d’un emploi et de conditions de vie en amélioration. Ces efforts sont bien dans la ligne de ce que le Synode énonçait récemment: « Le modèle de sainteté des laïcs doit intégrer la dimension sociale et la transformation de la société selon le plan divin » [1]. En félicitant l’Eglise de sa contribution à la promotion du bien commun dans la République Centrafricaine, j’invite les catholiques à être toujours plus présents dans la vie publique, afin de contribuer, pour leur part, à l’authentique progrès de la personne humaine suivant l’esprit de l’Evangile.

En effet, par l’éducation chrétienne des consciences, il s’agit de promouvoir le sens de la justice, de la vérité, de l’honnêteté, du service désintéressé. Par son enseignement sur la foi et les moeurs, par les mouvements chrétiens, l’Eglise est en mesure d’apporter une aide efficace pour la réflexion et l’action. Nous pensons aux beaux efforts déployés à cet égard par la Jeunesse Etudiante Chrétienne, la Jeunesse Agricole Chrétienne, le scoutisme, les mouvements Coeurs Vaillants, Ames Vaillantes, la Légion de Marie, les équipes enseignantes...

Notre souci de pasteurs est de procurer la meilleure formation aux chrétiens et notamment à leurs cadres: un approfondissement de la foi, à la lumière de l’Evangile et de la doctrine de l’Eglise, une vie de prière sans laquelle l’action deviendrait activisme social ou pure philanthropie, une participation fréquente et bien préparée aux sacrements.



4. Dans le même temps, les services d’Eglise auxquels les laïcs bien formés ont leur part doivent être assurés. A cet égard les catéchistes ou d’autres responsables continuent d’avoir un rôle important, pour la formation des catéchumènes, pour l’accompagnement spirituel des jeunes, et le soutien de la prière des communautés. Vous avez mis à leur disposition, dans chaque diocèse, de remarquables centres de formation.

Cela ne doit pas faire oublier le devoir d’annoncer explicitement l’Evangile à tant de vos compatriotes qui ne le connaissent pas encore. La mission n’a rien perdu de son urgence. Il importe de développer ce sens missionnaire chez les baptisés.



5. Au service de la formation ou de l’animation des laïcs, le ministère sacerdotal est évidemment primordial. Dites aux prêtres de vos diocèses mes affectueux encouragements, sans oublier ceux qui, en provenance d’autres pays, oeuvrent à leurs côtés. Puissent-ils apprécier toujours davantage la grâce de leur sacerdoce et la beauté de leur mission pour le salut de leurs frères et soeurs! Puissent-ils y consacrer toutes leurs forces, leur temps et leur coeur! Ils seront alors en mesure de susciter un don semblable chez les jeunes appelés à venir se joindre à eux. Puissent-ils vivre dans une estime réciproque et une fraternelle concertation par-delà les clivages d’origine et les différences de méthodes apostoliques!

Qu’ils trouvent toujours en leur Evêque un Père attentif aux efforts et aux difficultés de chacun, un Veilleur soucieux de la fidélité des uns et autres à enseigner la foi et à célébrer les sacrements comme le veut l’Eglise, un Pasteur chargé de rassembler dans la communion et d’entraîner dans le zèle apostolique!



6. Pour la formation des grands séminaristes, vous êtes heureux maintenant de disposer d’un séminaire philosophique à Bangui, en attendant peut-être son développement. Je vous souhaite de trouver, non seulement les ressources nécessaires, mais surtout le personnel enseignant et éducatif adéquat: la préparation des futurs prêtres doit figurer dans les efforts prioritaires. Elle conditionne l'avenir.

Vous vous êtes également beaucoup interrogés sur les conditions des vocations à la vie consacrée, chez les jeunes filles notamment. A la suite de cette sorte de révision de vie courageuse, j’espère que les éducateurs de ces vocations et les jeunes arriveront à dépasser les obstacles signalés et à accepter la formation exigeante qui correspond à la grâce de l’appel du Seigneur. Vous avez d’ailleurs relevé bien des éléments positifs. Un plus grand nombre de religieuses serait une bénédiction pour votre pays. Des réalisations comme celles des Petites Soeurs du Coeur de Jésus figurent parmi les signes prometteurs.



7. L’éveil et la persévérance des vocations sacerdotales et religieuses sont rendus difficiles lorsque les jeunes en général sont dans le désarroi face aux tentations de toutes sortes qui menacent leurs convictions. Il faut souvent raviver les énergies défaillantes devant l’apathie ou le laisser-aller ambiants, et surtout devant un avenir professionnel très incertain. Vous êtes bien conscients du drame des jeunes, que j’avais évoqué à Bangui. La famille, l’encadrement traditionnel et l’école n’arrivent malheureusement plus suffisamment à donner des raisons de vivre. Et le manque d’enseignement religieux régulier à l’école crée un vide spirituel. Les mouvements d’action catholique ne remplacent pas un enseignement de la foi ouvert à tous. Il faut inventer des moyens de former et de soutenir les jeunes chrétiens pour leur redonner l’espérance.



8. Chez vous, comme dans tous les pays d’Afrique, la pastorale familiale est un objectif à la fois difficile et primordial. Les Associations de foyers chrétiens apportent un stimulant précieux. Je sais le souci que vous avez, comme Pasteurs, d’aider les futurs époux ou les couples à vaincre les obstacles de certaines coutumes ou de certains courants modernes, à se préparer librement à accueillir la grâce du sacrement de mariage pour un don total, exclusif et fécond. Le récent Synode a souligné encore la place hors pair de la famille, « véritable Eglise domestique, où l’on prie ensemble, où l’on vit de façon exemplaire le commandement de l’amour et où la vie est accueillie, respectée et protégée » [2].



9. Tous sont appelés à la sainteté, clercs, religieux, laïcs. C’est également un des leitmotive de cette Assemblée synodale. Il faut que nous, Pasteurs, nous ayons cette ambition de la sainteté pour tout le peuple qui nous est confié. L’authentique promotion des hommes et des femmes s’accomplit dans cette sainteté qui imprègne la vie de tous les jours, à l’exemple de la Vierge Marie, qui a su se conformer à la volonté de Dieu dans la perfection de la foi et de la charité.

Chers Frères dans l’épiscopat, que le Seigneur fasse fructifier le labeur pastoral que vous accomplissez dans ce sens, avec les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs de vos diocèses! Pour ma part, je vous bénis de grand coeur ainsi que ceux et celles qui coopèrent avec vous dans le service de l’Evangile.

[1] Synodi Episcoporum 1987 Nuntius ad Populum Dei, 4.
[2] Synodi Episcoporum 1987 Nuntius ad Populum Dei, 7.




AU CHAPITRE GÉNÉRAL DES SOEURS DE LA SAINTE-FAMILLE

Vendredi, 20 novembre 1987




Mes Chères Soeurs,

Je suis heureux de pouvoir accueillir aujourd’hui les membres de votre Chapitre général, au terme des travaux menés à Rome ces deux derniers mois. Vous représentez ici les communautés des Soeurs de la Sainte-Famille de Bordeaux réparties en quatre continents dans une vingtaine de pays; votre caractère international se reflète bien dans la diversité d’origine de celles que vous avez chargées du Gouvernement général de votre Congrégation. Je souhaite aux nouvelles responsables de se mettre au service de leurs Soeurs dans la joie, assurées que l’aide du Seigneur ne leur fera pas défaut dans leur tâche.

Vos assises se sont déroulées au moment même où le Synode des Evêques menait une vaste réflexion sur la mission des laïcs. Ne peut-on voir dans cette coïncidence comme un signe? Dans l’Eglise, il importe que les uns et les autres prennent une claire conscience de tout ce qu’implique leur vocation propre. En ce qui vous concerne, approfondissant sans cesse les intuitions de votre fondateur au siècle dernier, l’Abbé Noailles, vous avez à donner à votre identité religieuse une expression qui présente clairement sa spécificité. Le monde chrétien attend des religieuses consacrées non seulement les nombreux services apostoliques auxquels elles se dévouent, mais aussi le témoignage du don d’elles-mêmes à Dieu dans la vie communautaire fraternelle. La fidélité aux voeux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, vécue dans la simplicité de la vie communautaire, constitue toujours, au regard des contemporains, un signe évangélique de grande importance.

A juste titre, vous accordez à la vie de prière une place primordiale. Je sais que quelques-unes s’y consacrent entièrement dans la vie contemplative. Que leur présence soit un encouragement à toutes les Soeurs de la Sainte-Famille à puiser dans leur intimité avec Jésus, Marie et Joseph l’ardeur de la foi, mûrie grâce à l’accueil fidèle de tous les dons du salut, la force de l’espérance qui se traduira dans l’audace apostolique, la générosité de la charité qui reconnaît en toute personne humaine un être aimé de Dieu.

Le travail de votre Chapitre général a fait avancer la révision et la mise à jour de vos Constitutions. En collaboration avec la Congrégation pour les Religieux, qui examinera leur rédaction, j’espère que vous pourrez disposer bientôt de la base indispensable au développement harmonieux de votre Institut, afin qu’il poursuive et étende sa participation à la mission ecclésiale, aussi bien au sein des jeunes Eglises où vous assurez une présence missionnaire importante, qu’en des pays de tradition chrétienne plus ancienne où l’évangélisation doit être sans cesse renouvelée.

Auprès des jeunes, des adultes ou des personnes âgées, auprès des malades ou des bien portants, auprès des pauvres démunis des moyens matériels de vivre et auprès des pauvres de coeur, puissiez-vous apporter sans cesse, par votre vie religieuse et par vos activités apostoliques, le partage de l’amour qui fut vécu dans le foyer de Nazareth par le Fils de Dieu fait homme, par sa Mère très sainte, qui méditait en son coeur l’annonce du salut, par Joseph “qui était un homme juste” et qui, en l’accueillant parmi nous, “l’appela du nom de Jésus” [1].

En vous offrant ces voeux fervents, je vous donne, ainsi qu’à toutes vos Soeurs et aux amis de votre Institut, ma Bénédiction Apostolique.

[1] Cfr. Mt 2,19 Mt 2,25.




Discours 1987 - Mardi, 3 novembre 1987