Discours 1987 - Vendredi, 20 novembre 1987


À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE «COR UNUM»

Samedi, 21 novembre 1987




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis de Cor Unum,

1. C’est une grande joie pour moi de vous recevoir à l' occasion de votre seizième Assemblée plénière et de vous retrouver, cette année encore, fidèles à la mission que vous donne le Pape. Cette fidélité n’est ni statique ni figée; elle est mouvement, progression et développement de la tâche qui a été confiée au Conseil pontifical à sa fondation.

Depuis plusieurs années, j’ai suivi avec une attention particulière les études et les activités que vous avez entreprises pour « sauver » et « réhabiliter la charité évangélique », comme je vous y ai exhortés. Il est clair que, pour vous - et je vous en sais gré -, l’action se nourrit d’un approfondissement théologique; je vous le disais, il y a six ans: « Efforcez-vous de promouvoir toujours davantage la véritable conception de l’Eglise telle que le Christ l’a voulue et la veut... c’est-à-dire une Eglise qui soit une communauté de charité concrète, désintéressée, visant le développement humain et spirituel de tous ».



2. Votre réflexion vous a conduits, dans les années passées, à méditer notamment sur « le pauvre » et « l’amour de préférence pour les pauvres ». En vue de votre présente Assemblée, vous avez choisi comme thème: « Les réfugiés », ceux qui peuvent être considérés, très souvent, comme les pauvres parmi les pauvres. Vous savez combien ces frères et soeurs si éprouvés, dont notre époque voit croître le nombre dans des proportions inquiétantes, me tiennent à coeur. Je le disais aux réfugiés que je visitais avec émotion le 11 mai 1984, au camp de Phanat Nikhom en Thaïlande: « Je veux que vous sachiez que je vous aime. Nous sommes vraiment frères et soeurs, membres de la même famille humaine, fils et filles du même Père qui nous aime. Je veux partager vos souffrances, vos difficultés, votre peine, pour que vous sachiez que quelqu’un vous aime, prend pitié de votre sort et cherche à vous aider à trouver un soulagement, un réconfort et une raison d’espérer » [1]. Oui, je ne cesse de plaider la cause des réfugiés, à travailler à leur défense; aussi je prendrai connaissance de vos réflexions et de vos conclusions avec un grand intérêt, dès que votre Président, le Cardinal Roger Etchegaray, aura pu me les communiquer. Le Groupe de travail, que vous avez réuni l’an dernier sur « les camps de réfugiés au voisinage des frontières », témoigne clairement de votre compétence et du service que vous offrez à l’Eglise et au monde.



3. Les réfugiés, comme tous ceux qui souffrent d’autres formes de pauvreté ou d’injustice, ont des droits sur nous; et le premier de ces droits est que nous leur annoncions et leur prouvions que Dieu les aime d’un amour de préférence. Tous les services que nous pouvons leur rendre, tout notre dévouement pour les accompagner, que sont-ils si nous n’avons pas la Charité? N’oublions jamais ce que nous dit saint Paul: « Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumône, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne sert de rien » [2]. Si nous ne recevions pas aujourd’hui cet appel, comment pourrions-nous proclamer, et d’une manière crédible les Béatitudes?

L’amour est l’âme de toute pastorale sociale et caritative, de la « diaconie de charité » que vous avez pour mission d’encourager et d’harmoniser, de coordonner si nécessaire, en vous mettant au service des Eglises locales pour que se bâtisse une « civilisation de l’amour ».



4. Je sais que vous avez pris part à une rencontre importante entre l’Eglise en Haïti, d’autres Eglises locales et leurs Organisations d’aide au développement, afin de permettre une meilleure connaissance mutuelle, la compréhension des initiatives, la communion dans la charité. Et vous offrez à l’ensemble des Eglises locales d’Amérique latine votre service de réflexion, pour aider à renouveler, dans ce continent, la catéchèse de la charité. En accord avec le CELAM qui a programmé neuf années de préparation à la célébration du cinq-centième anniversaire du début de la première évangélisation, vous vous proposez de vous associer, de quelque manière, au cheminement des trois dernières années - qui sont consacrées à la vertu de charité; je souhaite avec tous les responsables qu’elles soient l’occasion d’un approfondissement, d’une méditation, de rassemblements sur ce thème, afin que la diaconie de la charité en Amérique latine y trouve son inspiration et la deuxième évangélisation son âme.



5. Oui, chers amis, notre humanité se sent désemparée, aux prises avec tant de conflits et d’injustices. Votre rapport annuel évoque ces nombreux défis qui la désorientent. Elle cherche, souvent inconsciemment, une lumière, un pôle vers lequel diriger sa marche.

Disciples du Christ, il nous est donné par grâce de savoir vers qui diriger nos pas: « Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle » [3]. Encouragés par les Béatitudes, prenons la route qui mène au Dieu Amour: elle est jalonnée par toutes les vertus auxquelles la charité donne sens et vie: la justice, condition de la paix, la force pour vaincre nos égoïsmes accapareurs et dominateurs. Toutes les énergies concordent alors dans l’unité et la solidarité parce que, fidèle à son Christ, l’Eglise est Communion. Que le Seigneur vous permette d’accomplir avec joie le service qui vous est demandé! Qu’il vous comble de ses Bénédictions!

[1] Ioannis Pauli PP. II Allocutio in castro pro profugis «Phanat Nikhom» congnominato, in Thailandia habita, 2, die 11 maii 1984: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 1361.
[2] 1Co 13,2-3.
[3] Jn 6,68-69.



Décembre 1987

A SA SAINTETÉ DIMITRIOS Ier, PATRIARCHE OECUMÉNIQUE

Jeudi, 3 décembre 1987




Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur”.

Sainteté,

cette bénédiction du psalmiste me paraît tout à fait appropriée pour exprimer les sentiments qui m’habitent en ce premier jour de votre visite à l’Eglise de Rome et à son évêque.

Vous venez à nous au nom du Seigneur.

Nous vous accueillons au nom du Seigneur.

En lui, nous sommes Frères par la grâce du baptême et du sacerdoce. Cher Frère dans le Seigneur, soyez le bienvenu! Avec un coeur plein de joie, je vous accueille, vous qui venez en pèlerin aux tombeaux des saints apôtres martyrs Pierre et Paul, vous qui, en nous rendant visite, accomplissez le ministère de la charité, de l’unité et de la paix.

Il y a huit ans, j’avais le grand bonheur de pouvoir échanger le baiser de paix avec vous en votre résidence patriarcale du Phanar. L’accueil que vous-même et votre Eglise m’avez réservé alors fut si marqué d’estime et si dense d’affection que j’en garde toujours le souvenir vivant et reconnaissant. Ce souvenir accroît ma joie de vous voir aujourd’hui parmi nous et de pouvoir vous témoigner une égale estime et une pareille affection.

Animés d’une même charité fraternelle, nous prierons ensemble ces jours-ci pour le bien de nos Eglises et pour que notre commun Seigneur leur accorde la grâce d’une parfaite communion dans la foi et l’amour. Nous ne manquerons pas non plus d’intercéder ensemble pour ce monde auquel nous sommes envoyés et que Dieu a aimé au point de donner son Fils unique pour le sauver.

Nous chercherons ensemble à répondre aux exigences de l’heure présente, selon la volonté du Seigneur en nous ouvrant à l’illumination de son Esprit.

Avec la certitude que nous pouvons compter sur l’aide de Dieu afin que votre visite porte des fruits pour sa gloire, je redis à Votre Sainteté, à leurs Eminences les Métropolites qui L’accompagnent, ainsi qu’aux révérends diacres et aux distingués laïcs qui sont venus avec vous: soyez les bienvenus au nom du Seigneur!



DECLARATION COMMUNE DU PAPE JEAN-PAUL II ET DU PATRIARCHE OECUMENIQUE DIMITRIOS Ier


Nous, le Pape Jean-Paul II et le Patriarche oecuménique Dimitrios Ier, nous rendons grâce à Dieu qui nous a donné de nous rencontrer pour prier ensemble et avec les fidèles de l’Eglise de Rome, vénérable par la mémoire des apôtres coryphées Pierre et Paul, et de nous entretenir de la vie de l’Eglise du Christ et de sa mission dans le monde.

Notre rencontre est signe de la fraternité existant entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe. Cette fraternité, qui s’est manifestée en de nombreuses occasions et sous des formes diverses, ne cesse de croître et de porter des fruits pour la gloire de Dieu. Nous éprouvons de nouveau le bonheur d’être ensemble comme des frères. Tout en rendant grâce “au Père des lumières de qui vient tout don parfait”, nous prions et invitons tous les fidèles de l’Eglise catholique et de l’Eglise orthodoxe à intercéder avec nous auprès de Dieu: qu’il achève l’oeuvre qu’il a commencée parmi nous! En faisant nôtres les paroles de saint Paul, nous les exhortons: “ Comblez ma joie en vivant en plein accord ”. Que le coeur de tous se dispose constamment à recevoir l’unité comme un don que le Seigneur fait à son Eglise!

Nous disons notre joie et notre satisfaction en constatant les premiers résultats et le déroulement positif du dialogue théologique annoncé lors de notre rencontre au Phanar le 30 novembre 1979. Les documents acceptés par la commission mixte constituent des points de référence importants pour la continuation du dialogue. En effet, ils cherchent à exprimer ce que l’Eglise catholique et 1’Eglise orthodoxe peuvent déjà professer ensemble comme foi commune sur le mystère de l’Eglise et le lien entre la foi et les sacrements. Chacune de nos Eglises ayant reçu et célébrant les mêmes sacrements, elles perçoivent mieux que, lorsque l’unité dans la foi est assurée, une certaine diversité d’expressions, souvent complémentaires, et d’usages propres n’y fait pas obstacle mais enrichit la vie de l’Eglise et la connaissance, toujours imparfaite, du mystère révélé.

Devant ces premiers résultats de l’effort entrepris en commun, dans “ l’obéissance de la foi ”, pour rétablir la pleine communion entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, nous remercions et encourageons les membres de la commission mixte du dialogue théologique. Nous souhaitons que les fidèles en soient informés et puissent ainsi rendre grâce à Dieu, s’unir à la prière du Seigneur: «Que tous soient un», rester vigilants dans l’intercession et grandir ensemble dans la foi et l’espérance. Nous souhaitons aussi que les progrès du dialogue fassent croître catholiques et orthodoxes dans une meilleure connaissance réciproque et une plus grande charité. Par la prédication, la catéchèse, la formation théologique ainsi orientées, le dialogue portera tous ses fruits dans le Peuple de Dieu.

Nous prions l’Esprit du Seigneur qui, à la Pentecôte, a manifesté l’unité dans la diversité des langues, de « nous conduire dans la vérité tout entière » et de faire que soient trouvées des solutions aux difficultés qui empêchent encore la pleine communion qui se manifestera dans la concélébration eucharistique.

Notre rencontre a lieu en cette année du douzième centenaire du deuxième Concile de Nicée qui, préparé par une longue collaboration sans faille entre l’Eglise de Rome et l’Eglise de Constantinople, a fait triompher la foi orthodoxe. Les Eglises d’Orient et d’Occident, durant des siècles, ont célébré ensemble les conciles oecuméniques qui ont proclamé et défendu « la foi transmise aux saints une fois pour toutes », « Appelés à une seule espérance », nous attendons le jour voulu par Dieu où sera célébrée l’unité retrouvée dans la foi et où sera rétablie la pleine communion par une concélébration de l’Eucharistie du Seigneur.

Nous renouvelons devant Dieu notre engagement commun de promouvoir de toutes les manières possibles le dialogue de la charité, suivant l’exemple du Christ nourrissant son Eglise et l’entourant des soins de sa charité. Dans cet esprit, nous rejetons toute forme de prosélytisme, toute attitude qui serait ou pourrait être perçue comme un manque de respect.

Cette charité créatrice nous conduit à collaborer pour la justice et la paix, tant au niveau mondial qu’au niveau régional et local. Elle nous pousse à ne pas limiter cette collaboration, mais à l’ouvrir, au-delà des chrétiens, à tous ceux qui, dans les autres religions, cherchent Dieu, sa justice et sa paix. Elle nous rend disponibles pour collaborer ensemble au bien de l’humanité avec tous les hommes de bonne volonté. En effet, la mission de l’Eglise à l’égard du monde que le Christ vient sauver implique la défense de la dignité de l’homme partout où elle est directement ou indirectement mise en question de multiples manières et, entre autres, par la misère qui empêche une vie décente; par tout ce qui entrave la vie des couples et des familles, bases de toute société; par la limitation de la liberté des personnes et des communautés de vivre et de professer leur foi et de s’épanouir selon leur culture propre; par l’utilisation et le trafic d’êtres humains, en particulier des jeunes, pour l’assouvissement des passions des autres ou en les rendant esclaves de la drogue; par une recherche du plaisir s’affranchissant de tout ordre moral; par la peur qu’engendre l’existence de moyens de nuire gravement à l’intégrité de la création; par des idéologies racistes niant l’égalité fondamentale de tous devant Dieu, idéologies particulièrement inadmissibles pour des chrétiens qui doivent révéler au monde le visage du Christ Sauveur et l’aider ainsi à surmonter ses contradictions, ses tensions et ses angoisses, parce qu’ils croient que Dieu a tant aimé ce monde qu’il a donné son propre Fils pour que tous et toutes soient sauvés par lui et deviennent en lui un seul corps où ils sont membres les uns des autres.

En ces instants pleins de joie et alors que nous faisons l’expérience d’une profonde communion spirituelle que nous désirons partager avec les pasteurs et les fidèles tant d’Orient que d’Occident, nous élevons nos coeurs vers Celui qui est la Tête, le Christ. C’est de lui que le corps tout entier reçoit concorde et cohésion grâce à toutes les articulations qui le desservent selon une activité répartie à la mesure de chacun. Ainsi le corps réalise sa propre croissance. Ainsi, il se construit lui-même dans l’amour.

Que toute gloire soit rendue à Dieu par le Christ dans l’Esprit Saint!

Au Vatican, le 7 décembre 1987.




AUX ÉVÊQUES DU GABON EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Lundi, 7 décembre 1987




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. C’est avec beaucoup de joie que je vous souhaite la bienvenue à Rome, à l’occasion de votre traditionnelle visite « ad limina », la seconde déjà depuis notre rencontre à Libreville, lors de mon voyage au Gabon en février 1982.

Je remercie vivement Monseigneur Makouaka, Evêque de Franceville et Président de la Conférence épiscopale gabonaise, de s’être fait très aimablement votre porte-parole.

En vous adressant mes fraternelles salutations, j’ai naturellement présent à l’esprit les prêtres, les religieux, les religieuses, les catéchistes et tous ceux qui, en assurant divers services, vous assistent dans votre tâche pastorale: je vous prie de leur transmettre mes sentiments de profonde affection et aussi ma gratitude pour la part active et généreuse qu’ils prennent à l’oeuvre commune d’évangélisation.

Vous venez resserrer vos liens de communion avec le collège épiscopal tout entier, à travers la personne de l’Evêque de Rome, et fortifier votre attachement, ainsi que celui des fidèles de vos diocèses, au Successeur de Pierre. Je souhaite de tout coeur que votre pèlerinage aux tombeaux des saints Apôtres et votre visite au Saint-Siège vous apportent joie et réconfort dans votre ministère.



2. Je voudrais avec vous rendre grâce au Seigneur du don de la foi que votre pays a été l’un des premiers à accueillir en Afrique centrale et qui a porté du fruit. Il semble même qu’il y ait aujourd’hui, parmi la jeunesse gabonaise, un regain d’intérêt pour la personne du Christ et pour son message. Cela se remarque au nombre accru des réponses à l’appel de Dieu par l’entrée de jeunes dans la vie religieuse ou sacerdotale. C’est avec joie notamment que j’ai appris que les petits séminaires Saint-Kisito d’Oyem et Saint-Jean de Libreville avaient reçu davantage de candidats, comme aussi le grand séminaire. On peut y voir un motif d’espérance pour l’avenir, en constatant la générosité de jeunes qui ont le courage de tout quitter pour suivre le Christ et réussir ainsi leur vie.



3. Vos rapports quinquennaux m’ont laissé voir où se situent vos préoccupations pastorales et, par conséquent, dans quels domaines vous avez l’intention de porter vos efforts.

Vous souhaitez investir beaucoup dans la formation d’un laïcat gabonais capable de témoigner authentiquement de sa foi. En cela, vous êtes bien dans la ligne tracée par le récent Synode des Evêques qui considère cette tâche comme prioritaire: « Les chrétiens laïcs éprouvent une soif de vie intérieure, de spiritualité, et un désir croissant d’engagement missionnaire et apostolique... La formation intégrale de tous les fidèles, laïcs, religieux et clercs, doit être aujourd’hui une priorité pastorale » [1].

Notre premier devoir de pasteurs, en effet, est de porter la Parole de Dieu aux hommes afin qu’ils deviennent le « peuple fidèle », fortifié par la pratique sacramentelle, engagé dans les activités vitales de l’Eglise, sous la motion de la grâce et de la charité. Les laïcs chrétiens ont une mission spirituelle qu’ils tiennent de leur baptême et de leur confirmation. Leur foi, loin d’être absente de leurs engagements professionnels, doit les encourager à transformer la société selon le plan divin et les appeler à construire un monde favorisant la promotion intégrale de l’homme et son insertion active dans la société.

Je vous exhorte donc à poursuivre l’éducation de la foi de votre peuple par une catéchèse appropriée. De la sorte, les fidèles acquerront la maturité nécessaire qui leur évitera d’être ballottés à tout vent de doctrine et leur permettra d’affronter efficacement le prosélytisme des sectes, actives dans votre pays.

Dans ce labeur d’approfondissement de la foi, les écoles catholiques, qui jouissent d’une grande estime au Gabon, demeurent des oeuvres clé. Dans le passé, elles ont contribué à former l’élite de votre pays et d’autres pays africains. Puissent-elles maintenir l’esprit chrétien parmi les générations qui les fréquentent et aider les jeunes à bien comprendre le contenu de la foi et à l’exprimer dans le langage de leur culture!



4. A la base de la vie du « peuple fidèle », il y a la famille et le mariage chrétiens. Vous mesurez le long chemin à parcourir pour affermir cet élément fondamental dans les structures sociales. C’est une des missions du laïcat d’évangéliser la société familiale, de permettre à ceux qui la composent, époux et enfants, de tendre vers l’idéal que recherche la communauté entière des chrétiens. Dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio, je relevais: « La famille chrétienne, en effet, est la première communauté appelée à annoncer l’Evangile à la personne humaine en développement et à conduire cette dernière, par une éducation et une catéchèse progressives, à sa pleine maturité humaine et chrétienne » [2].

Le Synode des Evêques a rappelé, une fois encore, le rôle irremplaçable de la famille dans la pédagogie de la foi, souhaitant que celle-ci « devienne une véritable "Eglise domestique" où l’on prie ensemble, où l’on vit le commandement de l’amour de manière exemplaire, où la vie est accueillie, respectée, protégée » [3].

Dans la pastorale des couples, que vous animez et que vous encouragez, la participation active de foyers déjà chrétiennement engagés vous sera précieuse. C’est à travers un réseau de familles où l’Evangile est mis en pratique que se transmettent les valeurs morales et spirituelles auxquelles la jeunesse gabonaise redevient plus sensible.



5. Parmi vos préoccupations majeures, j’ai relevé également la question des vocations. Celles-ci ne sont pas encore assez nombreuses, malgré les signes prometteurs auxquels j’ai déjà fait allusion.

L’Eglise au Gabon doit de plus en plus reposer sur la responsabilité des Gabonais, tout en demeurant ouverte à l’entraide fraternelle d’agents apostoliques venus d’autres pays, et ouverte aussi, dès maintenant, à l’envoi en mission des Gabonais eux-mêmes, auxquels des diocèses à l’étranger pourraient faire appel.

L’éveil et la persévérance des vocations sacerdotales et religieuses continuent donc, à juste titre, de retenir toute votre attention. A cet égard, il est bon de noter que l’exemple de ceux qui sont dans le sacerdoce et le désir, pour des jeunes, de s’y engager sont liés. Aussi est-il important que ces jeunes aient sous leur regard le spectacle de prêtres heureux dans leur sacerdoce, entretenant avec leur évêque une relation personnelle de qualité. Chaque prêtre doit pouvoir faire l’expérience que l’évêque n’est pas un responsable lointain mais un pasteur proche de ceux qui, les premiers, partagent avec lui le service des fidèles. Une réelle solidarité entre prêtres et évêques, une convivialité joyeuse et dynamique constituent pour les jeunes un encouragement important à percevoir les appels que le Seigneur leur adresse.



6. Chers Frères dans l’épiscopat, je prie Dieu pour que ces considérations, offertes à votre réflexion lors de votre visite, vous affermissent dans votre foi, vous renouvellent dans votre espérance et vous confirment dans l’amour que Dieu vous porte et qu’il porte à votre peuple.

Que le Seigneur fasse fructifier le beau travail que vous accomplissez avec zèle! Confions-le ensemble à la Vierge Marie, Reine des Apôtres, vers qui nos regards se font encore plus suppliants en l’Année mariale. De grand coeur, je vous bénis, ainsi que vos collaborateurs et tous les fidèles de vos diocèses.

[1] Synodi Episcoporum 1987 Nuntius ad Populum Dei, 12, die 29 oct. 1987.
[2] Ioannis Pauli PP. II Familiaris Consortio, FC 2.
[3] Synodi Episcoporum 1987 Nuntius ad Populum Dei, 7, die 29 oct. 1987.



A UN GROUPE D'ÉVÊQUES FRANÇAIS DE LA RÉGION APOSTOLIQUE «PROVENCE-MÉDITERRANÉE»

Lundi, 14 décembre 1987



Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Le président de votre région apostolique Provence-Méditerranée, Monseigneur Jean Cadilhac, vient d’exprimer tout le sens de votre visite « ad limina » en évoquant la vie de vos diocèses; je l’en remercie vivement. Je suis heureux de vous accueillir ensemble, au terme de nos entretiens particuliers. Vous êtes venus aux tombeaux de Pierre et de Paul: qu’ils soutiennent votre action de pasteurs par leur intercession! J’espère que nos rencontres, ainsi que les échanges que vous avez dans les divers Dicastères de la Curie, vous encourageront à porter votre charge pastorale avec une ardeur renouvelée, en lien fraternel avec le successeur de Pierre et avec l’Eglise universelle.

Vous avez souligné ce qui est source d’action de grâce dans votre ministère, sans minimiser les difficultés qu’il faut affronter. Avec vous, je rends grâce pour la vitalité des communautés dont vous êtes les pasteurs. Dans cet esprit, je vous demande d’apporter à vos collaborateurs immédiats, à l’ensemble des prêtres de vos diocèses et aux diacres permanents mon salut cordial et mes encouragements à poursuivre leur tâche dont je sais bien qu’elle est lourde. Vous direz aux religieux et aux religieuses, contemplatifs et apostoliques, l’estime affectueuse du Pape pour leur fidélité à leur consécration au Seigneur et à tant de formes de service de leurs frères. Par vous, je voudrais exprimer particulièrement la gratitude de l’Eglise aux laïcs qui acceptent des responsabilités et des services essentiels; et je souhaite à tous les baptisés de vos diocèses de renouveler leur adhésion à la Bonne Nouvelle du salut et de prendre toujours plus activement leur place, aussi humble soit-elle, parmi les membres vivants du Corps du Christ.



2. La visite « ad limina » est pour vous l’occasion d’un bilan. Vous montrez dans vos rapports l’attention que portent les pasteurs à toute la vie d’une vaste région, à une population nombreuse et diversifiée. Une situation géographique et un cadre naturel exceptionnels dans une atmosphère chaleureuse attirent beaucoup de nouveaux résidents, sans compter les millions de touristes et d’hôtes temporaires. Malgré un renouvellement sensible des activités, les problèmes d’ordre économique et social sont considérables. Ces difficultés d’un monde en partie déstabilisé sont pour les communautés chrétiennes de nouveaux défis.

Vos préoccupations nombreuses rejoignent celles qu’exprimaient, au début de cette année, vos confrères des autres régions de France. Avec eux, j’ai développé plusieurs sujets touchant directement à la vitalité de l’Eglise présente dans la société, notamment par les paroisses, les mouvements, les familles. J’ai évoqué l’importance de la pastorale des sacrements, à commencer par le rassemblement eucharistique dominical, celle de la formation chrétienne des jeunes et des adultes particulièrement dans le domaine éthique, celle de l’accueil et de l’évangélisation des baptisés non pratiquants. Vous vous rappelez aussi notre méditation sur le sacerdoce et la vocation lors de mon pèlerinage à Ars, ainsi que d’autres points abordés au cours de ce voyage pastoral. Sans revenir sur tout cela, je vous propose une réflexion sur différentes formes de la mission que le Christ confie à toute son Eglise.



3. Lorsque vous analysez la situation des hommes et des femmes auprès desquels le Seigneur vous envoie porter son message de salut, vous constatez la crise intellectuelle, spirituelle et morale que traverse une société désorientée: le sens de la vie et de la dignité de la personne est cherché au milieu d’une confusion des valeurs qui peut conduire jusqu’au désespoir. A cause de l’incertitude qui marque plus ou moins fortement nos contemporains, il est urgent de répondre à leurs attentes souvent informulées.

Que les communautés chrétiennes prennent conscience de leur mission! Et que d’abord elles redécouvrent plus vivement la force d’espérance que porte l’Evangile! Alors que sur les routes de la vie des hommes tâtonnent, souffrent et tombent, il faut que la Parole de vérité leur soit transmise. Les disciples du Christ, unis et motivés par un amour fraternel, doivent entendre les questions, les appels qui surgissent autour d’eux. Et, parce qu’ils n’ont de richesse que ce qu’ils ont reçu, ils ont l’audace d’interroger à leur tour ceux qui s’égarent ou qui égarent leurs semblables sur les voies sans issue d’un individualisme fermé ou de l’indifférence aux valeurs essentielles.

Oui, il s’agit d’évangéliser d’abord ce monde où l’on vit. Trop souvent, semble-t-il, les chrétiens ne se sentent pas responsables personnellement de cette mission majeure, en laissant la charge au clergé ou à quelques « apôtres » laïcs qu’on admire sans les suivre. Une telle attitude va à l’encontre de la nature même de l’Eglise où tous les membres du Corps ont à manifester, par la vitalité de leur groupe, le dynamisme de l’Evangile et la présence du Christ dans notre histoire. Les mouvements ecclésiaux ont senti que la mission des chrétiens s’exerce dans la famille, dans l’éducation, dans les milieux professionnels, dans les lieux de résidence. Vos rapports soulignent leur activité, et aussi la nécessité de stimuler les chrétiens à prendre part plus nombreux et de manière plus déterminée, plus courageuse, oserai-je dire, au témoignage de la foi. Il vous revient, vous le savez bien, d’accueillir et d’approuver les initiatives nouvelles, de favoriser les moyens de formation continue des chrétiens et la diffusion plus large d’une parole chrétienne, notamment par les moyens de communication sociale dont vous pouvez disposer. L’action des responsables de tous niveaux est nécessaire, mais, faut-il le redire, chaque chrétien doit se sentir lui-même appelé à rendre compte de l’espérance qui est en lui [1], en commun avec ses frères.



4. Faire face aux multiples soucis de l’évangélisation dans sa propre région, cela représente déjà une lourde tâche. Cependant, une Eglise particulière ne peut garder son dynamisme sans prendre une part concrète à la mission dans toutes les parties du monde. Vous appartenez à un pays qui a une grande tradition missionnaire. La générosité apostolique de la France s’est manifestée avec éclat au cours des siècles par le départ de nombreux missionnaires sur tous les continents et la fondation d’Instituts dont le rayonnement s’est largement étendu. Il ne faudrait pas que les chrétiens de France en viennent à ignorer cette grande tradition et négligent de la faire connaître aux générations plus jeunes. Mais surtout, il faudrait qu’en France l’Eglise garde sa générosité dans les conditions maintenant différentes de l’activité missionnaire.

Je sais qu’actuellement les évêques français déploient beaucoup d’efforts pour entretenir les liens nombreux établis avec les jeunes Eglises par ceux qui y ont apporté l’Evangile. Chez vous, les Instituts missionnaires ont souvent des communautés qui peuvent informer les fidèles de leur expérience. Dans les jeunes Eglises, leur rôle a évolué, compte tenu du transfert des responsabilités aux hiérarchies locales. Ils sont conduits à un dépouillement spirituel exigeant, pour servir une pastorale dont ils n’ont plus l’entière initiative. Cependant ils conservent leur vocation première, celle d’implanter l’Eglise là où le Christ n’est pas connu, celle d’élargir les frontières et de permettre aux nouvelles Eglises de vivre elles-mêmes toute l’ampleur de la mission universelle grâce à la vocation de jeunes acceptant tous les risques d’un engagement total à la suite du Seigneur.

A l’action originale des Instituts à vocation missionnaire au sens strict, s’est ajoutée une coopération aux formes multiples. Les OEuvres Pontificales Missionnaires, dont j’évoquais à Lyon la fondation, demeurent un moyen essentiel, non seulement de répartition de dons indispensables à la survie de bien des communautés démunies, mais aussi d’éveil et de dynamisation de la coopération missionnaire. Votre pays a su recevoir aussi l’appel de « Fidei Donum », la plupart des diocèses et des congrégations diocésaines ont compris que, malgré leur pauvreté réelle, le départ de certains de leurs membres ne leur portait pas préjudice mais ajoutait une dimension nouvelle à leur action. L’appel de « Fidei Donum » à été largement entendu également par des laïcs. Ils apportent, même pour une durée limitée, une compétence technique mais plus encore le témoignage d’hommes et de femmes dont la foi est assez forte et humble pour percevoir ce que vivent les chrétiens du lieu où ils arrivent afin de partager ce que l’Esprit leur a permis de connaître et de vivre. De tels échanges sont bénéfiques et nous renvoient directement aux Lettres de saint Paul, lui qui insistait sur l’indispensable relation entre Eglises, dans l’unité du Corps du Christ.

D’autres initiatives contribuent heureusement à maintenir ouvert l’esprit missionnaire. Je pense à vos propres rencontres avec les évêques des jeunes Eglises, et je souhaite que vous en rendiez compte aux chrétiens de vos diocèses, afin que vos échanges deviennent le bien de tous. D’autre part, vos communautés gardent des liens vivants avec les missionnaires qui en sont originaires. Ils accueillent aussi les chrétiens venus de pays éloignés, pour leurs études ou pour leur travail: il est bon de ne pas laisser isolés ces étrangers qui sont des frères et qui, à leur tour, ont beaucoup à apporter sur le vieux continent.

Je mentionnerai encore la présence dans vos diocèses de groupes d’émigrés non chrétiens, parmi lesquels beaucoup ont une foi religieuse vivante. Il importe d’inviter ceux qui les côtoient journellement à mieux connaître leurs traditions et, là où c’est possible, à ouvrir un dialogue inter-religieux, dans la clarté nécessaire pour éviter toute équivoque, dans la liberté spirituelle des uns et des autres, dans le respect mutuel de la dignité des personnes.



5. Au cours de votre récente Assemblée plénière à Lourdes, vous avez à juste titre mis en rapport les diverses formes de la solidarité à laquelle sont appelés les chrétiens. L’annonce de l’Evangile, l’aide au développement, le partage avec les pauvres représentent des niveaux distincts d’une oeuvre unique. Vos diocésains seront utilement encouragés dans leur générosité spirituelle, apostolique et matérielle, en prenant part aux réflexions qui préparent un plan de solidarité pour l’Eglise en France.

Vos rapports relèvent la persistance et l’aggravation de la pauvreté au milieu d’une société relativement aisée, ou même riche. La marginalisation d’un grand nombre d’hommes et de femmes sur qui s’abattent les fléaux du chômage, du manque de formation, de la précarité du logement ne peut être regardée par aucun chrétien comme un mal inévitable conduisant presque fatalement à toutes les perversions. Un sens élémentaire de la fraternité impose d’agir: l’action individuelle garde sa valeur irremplaçable, mais beaucoup doit être accompli en réunissant les moyens et les compétences, ce que font vos organismes spécialisés. Je sais que leur souci de l’efficacité pratique va de pair avec une conception très humaine de la dignité de ceux qui ont besoin d’être aidés.

Comme je l’ai dit à propos de l’évangélisation, les charges de la solidarité avec le prochain immédiat ne font pas oublier une ouverture universelle aux besoins des milliards d’êtres humains moins favorisés. A vingt années de l’encyclique Populorum Progressio, c’est une satisfaction de voir beaucoup de chrétiens de vos diocèses apporter une contribution généreuse au développement intégral de l’homme. Alors que nous vivons dans « une civilisation de solidarité mondiale », suivant le mot de Paul VI, la responsabilité morale ne peut s’arrêter aux frontières, car c’est toujours l’homme qui en est le sujet.

Vous poursuivez un effort de concertation et d’organisation. Il est en effet désirable que l’amour préférentiel des pauvres, ici et ailleurs, se traduise en initiatives réfléchies et coordonnées le mieux possible. Pour sa part, le Saint-Siège a confié au Conseil pontifical « Cor Unum » la mission de favoriser les contacts et l’harmonisation des initiatives. Vous-mêmes, vous approfondissez votre collaboration avec les Eglises locales, en véritables partenaires, tant pour les aides d’urgence nécessaires que pour une coopération à plus long terme.

Ces efforts seront rendus plus fructueux par une réflexion renouvelée sur les fondements doctrinaux et spirituels du devoir de solidarité. Dans ce domaine, les recherches doivent aboutir à une motivation plus vive du peuple chrétien: qu’il mesure mieux les exigences de l’amour des pauvres auxquels le Christ marque sa préférence et avec lesquels il s’identifie. On comprend alors qu’une véritable communion ecclésiale implique toutes les formes de solidarité que nous avons évoquées et qu’ainsi les chrétiens contribuent à faire avancer, dans un monde souvent dur pour les plus démunis et les plus faibles, le sens des droits de tout homme à être respecté comme fils de Dieu.



6. Chers Frères dans l’épiscopat, votre visite achève le cycle de celles des évêques de France. Les uns et les autres, vous avez donné un vif écho aux besoins spirituels de vos compatriotes et témoigné de l’activité des communautés chrétiennes. Répondant à votre confiance, en communion profonde avec vous, je renouvelle à tous mes encouragements, et particulièrement aux diocèses du littoral méditerranéen, de Provence, du Languedoc et de Corse. Que la Mère du Seigneur vous aide à poursuivre le pèlerinage de la foi! Que l’Esprit Saint fasse mûrir en vous tous ses dons, l’amour de Dieu et des autres, une espérance audacieuse! Et que Dieu vous bénisse ainsi que vos diocésains!

[1] Cfr. 1P 3,15.

Discours 1987 - Vendredi, 20 novembre 1987