Discours 1988 - Vendredi, 15 janvier 1988


À L'OCCASION DU Xème ANNIVERSAIRE DU FOND INTERNATIONAL POUR LE DÉVELOPPEMENT AGRICOLE

Mardi, 26 janvier 1988


Monsieur le Président,

Monsieur le Président du Conseil des Ministres
de la République italienne,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Délégués et Représentants permanents
des Etats membres,
Mesdames, Messieurs,

1. J’ai accueilli bien volontiers l’invitation que vous m’avez adressée, Monsieur le Président, au nom des Représentants des 142 Etats membres du Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA), à participer à la célébration solennelle marquant le Xème anniversaire de la création de cette Organisation intergouvernementale. L’institution récente du Fonds ne l’a pas empêché d’assumer un rôle important dans le vaste effort de solidarité entrepris par les nations dans cette seconde moitié du XXème siècle. Et votre Organisation occupe une place particulière parmi les institutions internationales qui caractérisent désormais la vie des peuples.

A l’avenir, lorsque l’on évoquera l’époque où nous vivons, peut-être se rappellera-t-on les problèmes et les divergences multiples, ou les trop nombreux conflits, ou encore le développement scientifique et technique saisissant; mais on soulignera aussi que ce temps a été celui de la solidarité internationale, grâce aux efforts déployés pour affronter et résoudre les problèmes posés à l’échelle de l’humanité, et grâce également aux organisations innombrables créées au cours de cette période. On aura beaucoup travaillé dans les domaines de la paix, de la justice, de la coopération économique, culturelle et scientifique, des droits de l’homme, de la santé publique ou de la faim. De tels efforts ne peuvent être vains. Comment seraient-ils oubliés par les générations futures?

2. Le Fonds International pour le Développement Agricole, qui a choisi il y a cinq ans comme siège définitif la ville de Rome, chère au monde entier pour son exceptionnelle richesse de tradition religieuse et humaine, s’intègre dans le système des institutions spécialisées des Nations Unies qui ont précisément pour fin de réunir et d’utiliser des ressources financières en faveur de projets et de programmes concernant l’agriculture et l’alimentation.

Le Saint-Siège, qui attache une particulière importance au développement pacifique et solidaire de la communauté internationale, encouragea dès l’origine le projet d’une institution consacrée spécifiquement au soutien financier des initiatives individuelles ou collectives de coopération dans les régions les plus défavorisées; et il ne manqua pas d’en suivre l’évolution car cette initiative paraissait capable de contribuer dans une large mesure à la lutte contre la faim et la malnutrition.

3. Le grave problème de la faim, qui tourmente aujourd’hui encore tant de régions du monde, ne peut, en effet, être résolu seulement par l’intervention des pays producteurs de denrées alimentaires; une solution efficace ne sera trouvée que si l’on stimule les ressources humaines considérables des travailleurs agricoles, des pêcheurs et des éleveurs, à qui font défaut les moyens économiques et techniques nécessaires. Pour cela, il importe que la répartition des aides, la rétribution du travail productif tienne le plus grand compte des exigences de la justice sociale et favorise la coopération de tous. De fait, nul ne peut lutter seul contre des facteurs écologiques contraignants tels que les conditions atmosphériques défavorables, la sécheresse prolongée, les parasites, ou contre les incroyables dégradations de la terre dues aux interventions humaines inconsidérées ou à l’incurie.

Mais le soutien du Saint-Siège au FIDA est aussi d’ordre moral, car, pour de nombreux pays, cette organisation représente un moyen concret d’assumer leurs responsabilités à l’égard du développement des pays les plus pauvres: on fournit à des catégories entières de travailleurs les moyens de lutter eux-mêmes contre la faim et la malnutrition. Ainsi ces hommes et ces femmes utilisent mieux leurs capacités et affirment leur dignité.

4. Dans le même ordre d’idées, le FIDA constitue une institution originale en raison des critères qu’il s’est donnés pour déterminer les contributions financières en fonction des possibilités économiques réelles et du développement de chacun des pays membres, répartis en trois groupes distincts. De même, l’affectation des ressources financières est proportionnée aux possibilités d’utilisation par les pays bénéficiaires. Faces aux pénuries les plus graves ou aux crises aiguës, on prévoit des facilités de crédit et des dons gratuits.

Les objectifs du Fonds, cependant, ne se réduisent pas à l’attribution de crédits ou de dons, mais ils comprennent l’étude de la situation économique mondiale. Nous sommes tous convaincus que, malgré les efforts des Organisations internationales et les résultats déjà acquis, des continents entiers se trouvent devant la nécessité impérieuse d’améliorer les conditions de vie et de travail de centaines de millions de personnes. En décembre 1986, au cours de la Xème session du Conseil des Gouverneurs du FIDA, son Président soulignait le fait qu’en Asie, par exemple, des dizaines de millions de personnes continuent à souffrir de la faim et vivent sans pouvoir espérer une amélioration. En Afrique, le problème de la survie est d’une ampleur catastrophique, et en Amérique Latine une partie importante de la population reste à l’écart du développement, en d’impressionnantes zones de misère. Et ces situations se prolongent malgré une augmentation notable de la production alimentaire mondiale au cours des dernières années.

5. En 1967, mon prédécesseur Paul VI, dans son encyclique sur le développement des peuples, désignait, parmi les fins à poursuivre, “le passage, pour chacun et pour tous, de conditions moins humaines à des conditions plus humaines” de vie; il rappelait les carences matérielles, l’exploitation des travailleurs; il indiquait aussi d’autres objectifs: assurer à tous la possession du nécessaire, vaincre les fléaux sociaux, travailler au service du bien commun.

Face à de tels objectifs, on ne peut s’en remettre aux seules initiatives individuelles ou au libre jeu de la concurrence. Jean XXIII, avait déjà affirmé, dans son encyclique sociale “Mater et Magistra”, la nécessité de programmes concertés pour encourager, stimuler, coordonner l’action des individus et des corps intermédiaires.

6. Désormais, à côté des collaborations bilatérales, les collaborations multilatérales prennent une portée particulière, car elles peuvent faire surmonter les risques de néo-colonialisme ou les craintes d’hégémonies stratégiques, dans des situations où sont privilégiés des intérêts politiques, militaires, économiques ou idéologiques, au détriment des besoins humains des populations.

La liberté, le respect mutuel et le principe de l’égalité, de même que le développement de la coopération internationale, font partie des fins reconnues par les pays membres des Nations Unies. Ces objectifs restent toujours à poursuivre et à défendre; leur réalisation dépend de la vitalité des relations internationales; elle est entravée par les crises; elle est annulée sous les effets de la violence; mais elle progresse dans l’estime et la confiance mutuelles; elle est favorisée par la volonté commune de l’effort; elle bénéficie du climat de détente entre les différents pays.

7. Le Xème anniversaire de l’institution du FIDA, célébré aujourd’hui, fournit une occasion privilégiée de vérifier la tâche accomplie et, en même temps, de poser des jalons pour l’avenir. En effet, le rôle que le Fonds entend jouer sera d’autant plus dynamique qu’on aura réaffirmé la volonté commune de mettre en oeuvre les idéaux déclarés il y a dix ans.

Nous sommes témoins d’un processus de détente internationale, marqué par un premier accord de désarmement effectif conclu entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Soviétique, et nous voulons espérer qu’il s’agit là des prémisses d’un désarmement plus radical. Mais tout cela n’aurait pas de sens si l’on ne parvenait pas à un degré plus grand de coopération économique bénéficiant aux régions les plus défavorisées du monde. Il semble donc logique que les ressources immenses investies dans la constitution d’arsenaux atomiques ou dans l’acquisition d’armes dites conventionnelles soient massivement affectées au développement des pays les plus pauvres.

Ce que j’ai eu l’occasion de dire récemment au Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, je voudrais le réaffirmer ici: le processus de paix et de détente internationale requiert la justice, la sauvegarde des droits des personnes et des peuples, le développement. C’est pourquoi le slogan lancé par Paul VI il y a vingt ans reste valable: “Le développement est le nouveau nom de la paix”. Il montre dans quel sens doivent se diriger les efforts de tous au cours des années qui viennent.

De cette tribune, en présence des Représentants distingués des nombreux Etats membres du Fonds, je voudrais adresser un appel à tous les Gouvernements, afin que chacun, suivant ses possibilités politiques et économiques, collabore à cette oeuvre majeure: donner à la paix le nom du développement. Un développement qui respecte les rythmes de croissance et les valeurs de tout peuple et de toute culture. Un développement qui signifie la victoire sur les maladies endémiques, la victoire sur les formes de pauvretés qui blessent l’humanité, la victoire sur la faim, “l’urgence des urgences”. Un développement qui soit vraiment à la mesure de l’homme et de sa dignité.

Ne plus voir des populations entières mourir parce qu’elles manquent du nécessaire, ce n’est pas une utopie, c’est une espérance. Nous sommes responsables de sa réalisation. Il faut oser renoncer à d’excessives dépenses militaires pour consacrer le maximum de ressources à la coopération économique, sociale, agricole, sanitaire, culturelle, scientifique. Le développement dépend de la possibilité qu’auront les travailleurs, spécialement les plus marginalisés, de s’associer pour une coopération productive, pour commercialiser les fruits de leur labeur. Elle dépend de la manière dont nous placerons avant la recherche du profit le respect de l’égale dignité de toute la famille humaine, afin que l’homme ne soit pas considéré comme un instrument ni les peuples les plus pauvres comme de simples fournisseurs de matières premières. Le respect que nous aurons pour l’humanité, aujourd’hui humiliée par la carence et la misère, ne sera sincère que si les sociétés les plus développées aident concrètement le développement des plus déshéritées.

Il est toutefois nécessaire que la générosité des pays les plus riches ne diminue pas; qu’une confiance nouvelle naisse entre les pays les plus développés et ceux qui sont en voie de développement: que l’on renonce à toute tentation hégémonique; que les administrations concernées fassent preuve d’une parfaite rigueur dans l’usage des financements et des crédits; que l’on ait la volonté réelle d’obtenir un développement social et humain des peuples.

8. Dans cette perspective, l’Eglise désire apporter son soutien et sa contribution à ceux qui se font les promoteurs du progrès de la justice sociale et de l’amélioration de la vie économique internationale. L’Eglise, dans ce domaine, ne propose pas des solutions théoriques ou techniques. Cependant, elle tient à rappeler que toutes les solutions retenues doivent être bien adaptées aux situations concrètes qu’elles concernent. C’est précisément pour respecter ce critère qu’en 1984, lors de la création de la Fondation pour le Sahel, j’ai estimé essentiel que les Eglises locales étudient et administrent les projets de développement prévus dans une région si durement éprouvée par les calamités naturelles. Elles participent ainsi, dans la complémentarité, aux efforts des populations, en donnant la priorité à la formation des Africains eux-mêmes afin de les rendre plus à même de lutter contre la sécheresse et la désertification progressive. Bien que modeste et récente, l’initiative commence à porter des fruits; l’espérance est rendue à des communautés qui redeviennent responsables de l’avenir de leur terre. Je souhaite que votre Organisation, dont le but est de favoriser le développement international, ne se contente pas d’attribuer les moyens financiers dont elle est dotée, mais qu’en même temps elle donne confiance à toutes les populations éprouvées par d’interminables souffrances.

9. Monsieur le Président, dans mon intervention j’ai voulu rappeler les objectifs et l’esprit de l’action menée par l’Organisation que vous présidez, et proposer quelques critères essentiels pour le travail important que doit accomplir le Fonds International pour le Développement Agricole.

J’ai l’assurance que grâce à son expérience d’une décennie, le FIDA ne manquera pas de donner à son action une impulsion nouvelle, dans la claire conscience des objectifs humanitaires et sociaux impliqués par sa finalité propre. Et cette activité serait impossible sans les contributions financières et techniques des pays qui y participent. Je voudrais donc saisir cette occasion pour exprimer toute mon estime aux Gouvernements qui ne manquent pas, et qui ne manqueront pas, d’apporter leur contribution généreuse.

La responsabilité du développement humain des régions les plus démunies, en particulier de celles qui essaient d’arriver à une capacité de production alimentaire suffisante, c’est la responsabilité de tous.

Aucun d’entre nous ne peut s’en estimer dégagé tant qu’il existe des hommes et des femmes qui manquent du nécessaire. Le FIDA, dans ces conditions, pourra réellement être un signe vivant de la volonté commune de donner à la convivialité humaine un avenir et une espérance plus assurés.

Je souhaite, Monsieur le Président, que l’activité déployée par votre Organisation dans cet esprit connaisse d’heureux résultats au cours des années à venir. Et je demande au Très Haut de bénir vos efforts au service de l’homme.

                  

Février 1988



À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU SECRÉTARIAT POUR L'UNITÉ DES CHRÉTIENS

Vendredi, 5 février 1988


  Frères et Fils très chers dans le Christ,



1. L’âme remplie de joie, je remercie le Cardinal Jean Willebrands pour les paroles par lesquelles il a bien voulu me présenter le travail de la session plénière du Secrétariat pour l’unité des chrétiens.

Je voudrais surtout remercier de tout coeur ceux qui, venus de diverses parties du monde et ayant quitté leurs occupations, ont mis à la disposition de l’Eglise catholique tout entière leur expérience, leur compétence, leur sollicitude pour l’avancement de la pleine unité de tous les chrétiens. En effet, cet engagement commun, qui est une des priorités de l’action pastorale de notre temps, est requis directement par la volonté du Christ sur son Eglise, à savoir qu’elle soit signe et instrument de l’unité de tout le genre humain (cf. Jn 17,21 Lumen Gentium LG 1). Le nouveau Code de Droit Canonique s’y réfère explicitement: “Il appartient en premier lieu au Collège des Evêques tout entier et au Siège Apostolique d’encourager et de diriger chez les catholiques le mouvement oecuménique dont le but est de rétablir l’unité entre tous les chrétiens, unité que l’Eglise est tenue de promouvoir de par la volonté du Christ” (CIC 755, § 1). Or, la mise en oeuvre d’un tel engagement, en raison de son ampleur, pour qu’il puisse avoir des effets dans la réalité, exige l’apport de compétences multiples et la connaissance exacte des situations locales variables.

Je vous suis donc profondément reconnaissant pour la réflexion commune que vous avez accomplie, à la lumière des impératifs évangéliques et dans la confrontation fraternelle et loyale des opinions des uns et des autres, pour trouver et formuler des orientations fondées en doctrine, répondant aux problèmes actuels et ouverts sur l’avenir.



2. Les rapports sur les activités les plus importantes réalisées par le Secrétariat pour l’Unité, depuis la dernière session plénière, vous ont permis d’avoir une vue d’ensemble de la situation oecuménique présente, avec ses résultats positifs, avec ses problèmes et ses difficultés. Il s’agit en fait d’un vaste tour d’horizon qui englobe les relations avec les Eglises d’Orient tout autant que celles avec les Eglises et Communautés ecclésiales d’Occident. Ces relations comprennent des aspects communs, c’est certain, mais aussi des aspects spécifiques et différents puisqu’il s’agit de sujets théologiques, de questions d’ordre historique et culturel, de situations sociologiques et politiques, d’attitudes psychologiques et d’implications pastorales: ce qui compose un panorama très varié. Dans ce contexte, une connaissance précise des problèmes, et la ferme espérance qui ne déçoit pas ceux qui travaillent pour le Royaume de Dieu dans l’obéissance à la volonté du Seigneur, offrent la possibilité de trouver des voies nouvelles et appropriées pour résoudre les questions héritées de l’histoire et qui divisent encore les chrétiens.

En considérant tout ce qui a été réalisé parmi les chrétiens, avec la grâce de Dieu, pour le rétablissement de la pleine unité, soit à travers le dialogue théologique, soit par des relations de fraternité, nous sommes poussés à redoubler d’efforts à l’intérieur de l’Eglise catholique et avec les autres chrétiens en vue de progresser vers un accord dans la foi. Le Seigneur a béni les débuts de ce mouvement; il nous a aidés jusqu’à maintenant en créant une situation tout à fait nouvelle dans les relations entre chrétiens; il nous accordera encore son appui, j’en suis sûr, pour achever son dessein.



3. Vous avez étudié particulièrement, au cours de cette session, le projet d’une nouvelle édition du Directoire oecuménique.

Le deuxième Concile du Vatican avait demandé que les orientations pour la pratique de l’oecuménisme soient rassemblées dans un Directoire en vue de l’application des principes du Décret sur l’oecuménisme et des autres documents conciliaires ayant une incidence oecuménique.

Le Directoire, paru en deux parties, en 1967 et 1970, a rendu précieux services pour orienter, coordonner et développer l’effort oecuménique.

Depuis sa promulgation, d’autres documenta ont traité directement ou indirectement des problèmes oecuméniques, tels que le Motu Proprio “Matrimonia Mixta” (1970), l’Instruction sur des cas particuliers d’admission d’autres chrétiens à l’Eucharistie dans l’Eglise catholique (1972), le document sur la collaboration oecuménique aux niveaux national, régional et local (1975), la constitution apostolique “Sapientia Christiana” sur les universités et les facultés ecclésiastiques (1979), l’exhortation apostolique “Catechesi Tradendae” (1979) et d’autres encore; de plus, le Code de Droit Canonique de 1983 a créé une situation nouvelle.

Tout cela exigeait une rédaction du Directoire qui tint compte de l’ensemble, de sorte que la tâche pastorale de la promotion organique de l’unité en soit facilitée et menée de façon cohérente.

La première partie du Directoire oecuménique avait déjà donné comme orientation de porter une attention constante à l’évolution de la situation oecuménique. De même, les nouvelles directives auront pour but d’aider à la promotion de l’unité “sans mettre un obstacle quelconque aux voies de la Providence et sans préjuger des impulsions futures de l’Esprit Saint” (Unitatis Redintegratio UR 24). On pourrait dire plus: le nouveau Directoire devrait lui-même être un moyen d’approfondir et de faire progresser de façon ordonnée la situation oecuménique.

Je souhaite donc que le travail que vous avez accompli en cette semaine de session plénière constitue le fondement doctrinal solide et l’orientation pastorale appropriée pour que ce nouveau projet puisse trouver sans tarder sa formulation définitive et qu’il soit bientôt promulgué.

L’ampleur du mouvement oecuménique, la multiplication des documents de dialogue, l’urgence ressentie d’une plus grande participation de tout le Peuple de Dieu à ce mouvement, et par conséquent la nécessité d’une information doctrinale exacte en vue d’un engagement juste, tout cela demande que l’on donne, sans tarder, des orientations mises a jour.



4. Lorsque vous retournerez chez vous, dans vos Eglises locales, à vos engagements pastoraux, vous porterez certainement avec vous un écho des réflexions de ces jours destinées à approfondir la sollicitude et la préoccupation concrète pour le rétablissement de la pleine unité.

Vous rejoignant dans la prière, je demande au Seigneur de vous bénir, ainsi que tous ceux qui collaborent avec vous dans le service de l’unité.


À UN GROUPE D'ÉTUDIANTS DU CAMEROUN

Samedi, 13 février 1988


  Chers étudiants,



Je suis heureux de vous accueillir en ces lieux à l’occasion de la semaine culturelle organisée par l’Association des Etudiants camerounais en Italie, au moment où votre pays célèbre la fête nationale de la jeunesse. Les journées de rencontres et d’échanges que vous avez vécues vous ont permis d’étudier les problèmes difficiles liés à votre condition d’étudiants étrangers dans un pays d’accueil. Elles vous auront permis aussi de resserrer les liens d’amitié entre vous et de faire mieux connaître autour de vous votre patrimoine culturel.

La culture, parce qu’elle met l’accent sur la qualité de l’homme plus que sur la quantité de son avoir, est importante pour l’identité d’un peuple et doit être gardée et enrichie. Une tâche essentielle de ceux qui accèdent à la culture est l’éducation; c’est donc un grand rôle que vous serez appelés à jouer auprès de vos compatriotes pour les aider à bien saisir le mystère de l’homme, son langage, son être et sa destinée.

Je vous encourage à poursuivre votre formation universitaire et professionnelle pour mieux servir vos frères et soeurs camerounais, avec une prédilection pour les plus démunis, ainsi que l’Eglise aime à le redire. Puissiez-vous contribuer au développement de tout ce qui fait un homme cultivé: les qualités du coeur en même temps que l’esprit critique, le goût du travail et de la discipline de vie, l’estime de la vérité dans la droiture de conscience et le sens de la solidarité universelle.

Je prie Dieu de vous donner courage et joie dans votre magnifique responsabilité, et de tout coeur je vous bénis.


                                    Mars 1988




À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU SECRÉTARIAT POUR LES NON-CROYANTS

Samedi, 5 mars 1988


Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,



1. JE SUIS HEUREUX de vous accueillir à l’occasion de l’Assemblée plénière du Secrétariat pour les Non-croyants, réunie sous la Présidence du Cardinal Paul Poupard, avec pour thème de réflexion: «Idéologies, mentalités et foi chrétienne».

Vous avez choisi ce thème pour cerner de plus près le phénomène complexe de l’athéisme, de la non-croyance et de l’indifférence religieuse, et déceler les facteurs qui y poussent l’homme contemporain.



2. Si les idéologies, nées des combats sociaux et des utopies athées du XIXème siècle, manifestent encore de la vigueur dans certaines régions du monde, elles tendent cependant à stagner ou à s’affaiblir, même là où elles jouissent d’une position officielle. Par contre, une vague de sécularisation s’est étendue à travers le monde. Elle se manifeste dans les sociétés de consommation par l’hédonisme, le pragmatisme et la recherche de l’efficacité, sans égards pour les normes éthiques, par la méconnaissance du caractère sacré de la vie. Tout ceci conduit trop souvent au relativisme moral et à l’indifférence religieuse. En substance, comme le montrent bien vos enquêtes, on peut dire qu’il y a moins d’athées déclarés, mais beaucoup de non-croyants, beaucoup de personnes qui vivent comme si Dieu n’existait pas et qui se situent en dehors de la problématique foi - non-croyance, Dieu ayant comme disparu de leur horizon existentiel.

Par ailleurs, un nouveau type de mentalité néo-scientiste apparaît, qui tend à restreindre le jeu de la raison à la seule rationalité scientifique. Dans cette perspective réductrice, le reste de l’activité humaine ne relèverait dès lors que du sentiment. Aussi, l’acte de foi ne serait qu’une option gratuite, non fondée en raison. La structure raisonnable de l’acte de foi est ainsi dévalorisée comme un mode de connaissance symbolique non pertinent, dans l’optique d’une rationalité qui se pense comme la seule attitude d’esprit rigoureusement «scientifique».



3. Cette vision, qui a été assez généralisée dans les milieux scientifiques et qui imprègne largement la mentalité populaire influencée par les médias, tend cependant à perdre de son assurance. Car les désenchantés du progrès technologique sont de plus en plus nombreux. L’action de l’homme sur la nature ne risque-t-elle pas de provoquer, à une fréquence accélérée, des catastrophes écologiques comme celles que les médias ont fait connaître ces dernières années? Pour ne rien dire du danger d’une conflagration thermonucléaire, et des risques menaçants de manipulations génétiques.



4. Devant ces interrogations angoissées, qui remettent en cause les postulats de la mentalité scientifique et technologique, de nouveaux espaces de dialogue s’ouvrent entre l’Eglise et ce que d’aucuns appellent déjà la postmodernité. En raison de son expérience incomparable, de son message universel, de sa sagesse millénaire puisée aux sources de la révélation, l’Eglise est de plus en plus appelée à proposer, au nom de l’anthropologie qui lui est propre, sa vision intégrale de l’homme, personne libre et responsable à l’image et à la ressemblance de Dieu. Elle s’efforce d’éclairer les initiatives multiples qui naissent de la conscience inquiète de nos contemporains en faveur de la paix, du respect de la nature, du développement intégral et solidaire, des droits de l’homme. Elle s’efforce de donner une âme aux changements culturels dans les domaines de la pensée, de la création artistique et de la recherche scientifique. Face aux mutations d’un monde bouleversé par une révolution scientifique et technique sans précédent, devant l’incroyance et l’immanentisme anthropologique qui en sont souvent, de fait, les conséquences, l’Eglise ne cesse d’ouvrir les perspectives de la transcendance. Par là, elle sert les véritables valeurs et empêche que le progrès technologique ne se retourne contre l’homme.

C’est tout l’intérêt de vos rencontres avec les non-croyants, dans l’esprit du Concile Vatican II [1], pour discuter avec eux sur ce qu’est vraiment l’homme, sur ce qu’est son véritable bien, sur les exigences d’un authentique progrès humain, sur les conditions de sa vie personnelle et sociale en harmonie avec sa nature profonde. Vous l’avez fait vous-même à Ljubljana et à Budapest. Vous le ferez ailleurs, à l’avenir.



5. Quant à l’athéisme, à la non-croyance et à l’indifférence religieuse, l’Eglise a pris une conscience plus vive de ce drame majeur de notre temps et du défi qu’il représente. Mais vos recherches, si elles montrent sans complaisance la montée de l’athéisme pratique, avec le sentiment de solitude et d’angoisse qui souvent l’accompagne, révèlent également la permanence du besoin religieux chez l’homme et sa résurgence là même où cette dimension fondamentale de l’existence semblait définitivement recouverte et comme ensevelie sous les soucis envahissants d’une vie toute matérielle.



6. Au coeur même des sociétés les plus sécularisées, surgit une nouvelle génération de croyants, assoiffée de repères éthiques et de valeurs religieuses permanentes, cherchant des formes nouvelles pour l’expression de la foi: petites communautés et grands rassemblements, célébrations festives, pèlerinages, formation biblique et théologique solide, groupes de prière et de réflexion.

Ces hommes et ces femmes, rassemblés par l’amour du Christ, apportent jour après jour le vivant témoignage que chaque être humain, quelle que soit sa situation, est personnellement aimé de Dieu, personnellement appelé à partager sa vie. C’est cela le dialogue de la vie des croyants avec les non-croyants. Et ce dialogue est vital.



7. Pour l’homme moderne, qui souvent ne croit plus à la vie après la mort, enveloppé qu’il est dans la fumée d’idéologies terrestres et réduisant ses désirs au visible et au tangible, ces chrétiens sont le vivant témoignage et la preuve expérimentale de l’amour et de l’espérance qui se sont manifestés en Jésus Christ mort et ressuscité. Cet amour et cette espérance doivent être inscrits dans le coeur et dans la vie quotidienne des chrétiens qui, dans leur diversité, ont à mettre en pratique le message libérateur des Béatitudes. Ce sont les communautés chrétiennes vivantes, les laïcs, les religieux et les religieuses, avec les prêtres autour de leurs évêques, qui parlent d’une manière crédible à l’homme sécularisé d’aujourd’hui d’une autre lumière que celle de l’éclat des choses visibles, d’une autre joie que celle du bonheur terrestre. Dans ce monde de nihilisme, de solitude et de frustration, le témoignage des Béatitudes est extrêmement important: à travers l’expérience fraternelle d’aujourd’hui, il ouvre à l’espérance d’une autre vie, à l’affirmation d’un avenir sans limites: la terre nouvelle et les cieux nouveaux où «de mort il n’y en aura plus; de pleur, de cri et de peine il n’y aura plus, car l’ancien monde s’en est allé... Et l’homme de désir reçoit l’eau de la vie, gratuitement» [2].



8. Frères et amis, membres et consulteurs du Secrétariat pour les non-croyants, sans oublier les collaborateurs du Secrétariat à San Callisto, je vous remercie du travail difficile que vous faites. Il est nécessaire aujourd’hui pour l’Eglise. Continuez d’explorer cette réalité complexe, impressionnante et mouvante qu’est l’athéisme contemporain sous toutes ses formes et dans toutes ses expressions. C’est une oeuvre de clarification intellectuelle et de sensibilisation pastorale. L’Assemblée plénière vous permet de mieux connaître des préoccupations de l’Eglise dans les divers milieux culturels où elle doit faire face à la non-croyance. Vous êtes amenés à rapprocher des expériences multiples de dialogue. Je souhaite que ces échanges soient un stimulant pour tous et permettent au Secrétariat de mieux accomplir sa mission de coordination et d’initiative.

Poursuivez votre dialogue avec les non-croyants et avec ceux qui se présentent souvent sous les apparences de l’indifférence. Ayez devant les yeux et dans le coeur ce que j’affirmais dans l’encyclique «Dominum et Vivificantem» [3]. Un drame se joue en chaque homme: ou il accueille Dieu ou il le rejette, cédant aux instigations du «père du mensonge». L’athéisme, dans le coeur de l’homme, n’est pas d’abord l’effet d’une théorie plus ou moins captieuse, l’athéisme est un choix. Un choix dans l’intime de la conscience à tel ou tel moment de la vie. Qui dira comment celui qui se dit indifférent a pu être amené à se désintéresser du sens de sa vie et du mystère de sa mort? Je pense avec angoisse à ces millions d’hommes et de femmes, et avec espérance au dialogue persévérant des chrétiens avec eux.

Chers amis, notre foi chrétienne nous montre en chaque homme un frère, quelles que soient les convictions qu’il professe, un homme que Dieu appelle par son nom et qu’il invite à vivre de sa vie, un homme à qui, de toutes manières, Dieu ne cesse d’offrir son amour. C’est dire le caractère sérieux, dramatique, du dialogue avec le non-croyant. Que le Seigneur vous permette d’accomplir cette tâche difficile et nécessaire et d’aider les membres de l’Eglise qui y sont engagés. En cette Année mariale, je confie cette grave préoccupation à la Vierge Marie, «celle qui a cru» [4].

Et je vous donne ma Bénédiction Apostolique.


[1] Cfr. Gaudium et Spes, GS 12.
[2] Cfr. Ap 21,4 et Ap 22,17.
[3] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Dominum et Vivificantem, DEV 56-57.
[4] Lc 1,45.



Discours 1988 - Vendredi, 15 janvier 1988