Discours 1988 - Samedi, 23 avril 1988

À UN GROUPE D'ÉVÊQUES DU ZAÏRE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 30 avril 1988


Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Au terme de nos entretiens particuliers, j’ai la joie de vous accueillir ensemble aujourd’hui, en une réunion fraternelle qui marque l’un des sommets de votre visite “ad limina”. Votre porte-parole, Monseigneur Fataki, Archevêque de Kisangani, vient d’exprimer vos sentiments et il a présenté quelques-unes de vos principales préoccupations pastorales: je l’en remercie vivement.

Avec le document que vous m’avez adressé l’an dernier, et après avoir écouté vos Confrères des trois autres provinces ecclésiastiques, je perçois mieux encore les signes d’espérance et aussi les problèmes de vos diocèses.



2. Dans votre pays, la pastorale des vocations a déjà une longue histoire. Ces dernières années, la croissance rapide du nombre des entrées au séminaire a été pour vous un grand réconfort et un signe prometteur, comme en d’autres jeunes Eglises, Dieu soit loué! Elle vous pose inévitablement certains problèmes: problèmes de discernement, problèmes de formation intellectuelle, morale et spirituelle, problèmes d’encadrement approprié du fait du jeune âge des prêtres zaïrois, problèmes financiers, problèmes d’intégration dans une société en mutation. Au cours de votre prochaine Assemblée plénière, vous avez l’intention, du reste, de faire un examen global de ces questions.

Quel que soit le nombre des candidats au presbytérat, il importe toujours de vérifier les signes d’une authentique vocation tels que l’Eglise les reconnaît. Ils peuvent se ramener à trois: premièrement, une liberté responsable, témoignant déjà d’une certaine maturité; deuxièmement, une aptitude physique et intellectuelle suffisante au ministère apostolique; enfin, une droiture d’intention en ce qui concerne le service de l’Eglise.

Dès le départ, une première sélection est à faire. Il importe, en effet, d’engager dans la préparation au sacerdoce les jeunes hommes qui donnent l’espoir de remplir comme il convient le service pastoral et d’en porter les exigences. Cette sélection, qui sera facilitée par le séjour dans les maisons de propédeutique, doit être rigoureuse: ce ne serait servir ni l’Eglise ni le candidat que d’engager quiconque imprudemment dans la voie difficile du sacerdoce.

Au séminaire, les formateurs ont la mission de contribuer au discernement de la vocation chez le candidat déjà admis. Ils le font en cherchant à percevoir les orientations profondes du sujet, celles qui structurent de façon durable sa personnalité, inspirent sa conduite et ses réactions. Ils ont à aider le candidat à reconnaître lui-même l’appel de Dieu, en lisant avec foi les signes intérieurs de l’Esprit. Ce patient travail conduira à approfondir progressivement le sens du ministère apostolique et de la consécration qu’il implique. Cela demande du temps, de la disponibilité. Cela requiert des pères du séminaire non seulement une expérience spirituelle et pastorale personnelle, mais encore une grande qualité de présence, d’écoute et de dialogue, dans un climat de confiance et de prière.

Comme beaucoup d’autres Conférences épiscopales du continent africain, vous avez bien conscience que la constitution d’équipes de formateurs du clergé est l’une de vos urgences et, dans la ligne de Vatican II, je vous encourage à prendre les dispositions nécessaires pour bien préparer les éducateurs spécialisés dans la formation du clergé. Des prêtres d’autres pays vous apportent là une aide de choix; mais il vous faut également convaincre les prêtres zaïrois – dont beaucoup ont acquis des diplômes universitaires – de l’importance vitale de ce ministère pour l’avenir de l’Eglise au Zaïre.



3. Tandis que, dans certaines Eglises, en Occident surtout, le nombre des prêtres diminue et que le clergé vieillit, dans les Eglises jeunes, comme celle du Zaïre, se constitue un ensemble presbytéral jeune, naturellement imprégné de la culture du pays; et le visage de ces Eglises se dessine de plus en plus clairement, en fonction non seulement des prêtres mais aussi des laïcs, car certains de ceux-ci remplissent souvent des fonctions importantes.

Quel sera ce visage? En réalité, il dépendra beaucoup de la formation donnée dans les séminaires et continuée par la suite: formation unifiée dans la foi, enracinée dans la Tradition de l’Eglise et intégrant les meilleures valeurs de la culture traditionnelle.

Il n’est pas dans mon propos, dans le cadre de cette rencontre de reprendre en détail toutes les questions relatives au clergé zaïrois. Je rappellerai cependant certaines références essentielles, ne serai-ce qu’en vue de l’examen plus approfondi que vous avez l’intention de faire au cours de votre prochaine Assemblée plénière.

La mission du prêtre de Jésus-Christ est avant tout une mission de salut. De fait, le prêtre est ordonné pour faire connaître le Christ et son message; pour mettre ses frères en relation vivante avec Dieu par les sacrements de la foi; pour édifier et guider l’ensemble de ceux qui sont devenus disciples du Christ par le baptême.

En lien avec son évêque, le prêtre a la responsabilité essentielle du ministère de la Parole. Il l’exerce en annonçant lui-même le message du salut dans l’homélie, pendant les célébrations qu’il préside; en formant et en assistant ceux qui collaborent avec lui dans ce ministère; en coordonnant et en suivant les activités et les oeuvres mises en place à cet effet, afin que la Parole de Dieu soit enseignée comme il se doit: car il est le garant de l’integrité de la doctrine.

A côté des prêtres, qui sont avec les diacres les premiers collaborateurs des évêques et les premiers apôtres de l’évangélisation, des laïcs s’engagent de toutes leurs forces dans l’action apostolique et sont amenés à assumer des charges qui comptent dans la communauté. Il importe de les préparer à exercer leur rôle avec compétence, avec un profond sens ecclésial, en communion étroite avec la hiérarchie responsable.

Dans ce but, et pour leur propre ministère, les prêtres seront encouragés à poursuivre un travail intellectuel sérieux. Ils veilleront à développer en eux-mêmes et chez leurs collaborateurs le sens de la responsabilité commune. En outre, ils s’efforceront de reconnaître, discerner, animer et harmoniser les dons et charismes contribuant à l’édification de l’Eglise. Ils seront souvent conduits à faire preuve d’humilité et d’abnégation, dans un esprit de franche collaboration: ce sera le signe qu’ils auront perçu leur ministère pour ce qu’il doit être, à savoir un service désintéressé du Peuple de Dieu, que leur champ d’apostolat soit la ville ou la brousse, dans les conditions de pauvreté que connaissent les fidèles.

Pour vous chers Frères dans l’épiscopat, je vous invite à demeurer très attentifs à la vie des prêtres et à leur procurer, entre autres, le ressourcement spirituel dont ils ont constamment besoin pour accomplir leur mission avec fidélité. Certains d’entre vous déplorent dans le clergé une trop grande préoccupation du profit personnel, du confort, du pouvoir, et un laisser-aller dans la conduite morale. Les prêtres, nous rappelait le Concile, n’ont pas à se modeler sur le monde présent, mais à l’interpeller au nom de l’Evangile.

Une vie spirituelle de qualité est nécessaire pour fair face aux exigences de l’état sacerdotal chez les prêtres séculiers comme chez les religieux: le célibat, signe de notre consécration totale au Royaume de Dieu; la pauvreté, qui est participation à la vie du Christ pauvre et à la condition des pauvres; l’obéissance à l’évêque, qui exprime la volonté de service; l’ascèse que requiert un ministère quotidiennement recommencé. L’expérience d’une vie communautaire fraternelle, la prière liturgique et personnelle approfondie, contribuent au tonus de cette vie spirituelle.

Je voudrais enfin rendre hommage avec vous aux missionnaires venus d’autres contrées, ces pionniers de la foi, généralement religieux et religieuses: ils ont permis à l’Eglise au Zaïre d’être cette force spirituelle reconnue comme telle aujourd’hui et dont l’influence se fait sentir au-delà des frontières de votre pays. Ces premiers évangélisateurs, et ceux qui maintenant continuent leur oeuvre, méritent la reconnaissance de tous pour leur vie de dévouement désintéressé. Et leur exemple ne manque pas d’inspirer les apôtres d’aujourd’hui.



4. En ce qui concerne la vie consacrée, elle s’est pratiquement toujours trouvée au coeur de l’Eglise au Zaïre et elle a connu un essor considérable.

Aujourd’hui, un nombre croissant de jeunes Zaïrois et Zaïroises répondent à l’appel à la vie religieuse, soit dans les Instituts internationaux, soit dans des Instituts de droit diocésain, très liés à la culture zaïroise. Ils sont affrontés à des problèmes voisins de ceux concernant le clergé: discernement des vocations, formation appropriée des candidats et candidates, pénurie du personnel d’encadrement, problèmes de subsistance matérielle.

Il vous appartient de veiller à ce que la vie religieuse s’y épanouisse de façon authentique et viable, avec tout ce qui la caractérise essentiellement, sous la responsabilité de Supérieurs solidement formés.

L’option prioritaire que vous soulignez, à propos de la vie consacrée, est l’implantation de l’Eglise particulière. Faisant vôtre le voeu de Vatican II, vous estimez, à juste titre, qu’“une communauté chrétienne doit dès le début être constituée de telle manière qu’elle puisse, dans la mesure du possible, pourvoir elle-même à ses besoins”[1].

L’état religieux ne se situe pas entre la condition du clerc et celle du laïc, mais il relève de l’une et de l’autre, comme un don spécial pour toute l’Eglise[2]. Il est une manière propre de participer à la nature “sacramentelle” du Peuple de Dieu, en offrant au monde un témoignage visible du mystère du Christ. D’où un style particulier de sanctification et d’apostolat, un “charisme” qui crée une tradition déterminée, avec l’autonomie nécessaire, sans négliger une insertion spéciale dans la vie de l’Eglise locale. Imprégnés des richesses de leur propre patrimoine, les religieux et les religieuses s’efforcent de les exprimer et de les transmettre selon le génie et le caractère de leur pays ou du pays où ils vivent. Ils apportent donc une contribution précieuse et nécessaire à l’enracinement de l’Eglise particulière, tout en maintenant la communion avec l’Eglise universelle.

Avec vos encouragements, ils continueront à développer le zèle missionnaire indispensable à toute communauté ecclésiale. Une Eglise particulière, en effet, ne peut garder son dynamisme si elle ne prend pas une part concrète à la mission universelle reçue du Christ qui envoie ses messagers jusqu’aux confins de la terre.



5. En prenant connaissance de vos problèmes pastoraux, d’après votre document de base, j’ai relevé avec satisfaction que “la communauté catholique du Zaïre peut déjà prendre en charge, pour une très grande part, la vie matérielle de l’Eglise de ce pays”.

Plus encore, cette recherche d’autosuffisance économique que fait l’Eglise, vous voulez la situer dans le cadre de la promotion sociale du peuple zaïrois. Il est nécessaire en effet que l’Eglise montre ici l’exemple. Son désintéressement et sa transparence dans la gestion de ses propres affaires constituent un témoignage important, en manifestant qu’elle recherche avant tout le progrès spirituel des personnes. Elle veut mettre l’accent sur un style de vie simple, qui élimine les besoins superflus, avec un souci de plus grande justice entre les hommes.

Je vous encourage à poursuivre ces efforts en vue d’un type de développement vraiment humain, que la récente encyclique sur la question sociale s’est attachée à analyser et à promouvoir. Puissiez-vous demeurer les apôtres de cet esprit de pauvreté évangélique, qui conduit plus facilement à la solidarité et au partage, deux objectifs prioritaires aujourd’hui!



6. Dans votre pays, comme sur l’ensemble du continent africain, on voit un grand nombre de jeunes se tourner aujourd’hui vers l’Eglise, à la recherche de valeurs spirituelles sur lesquelles ils voudraient bâtir un avenir solide. Il y a auprès de la jeunesse de notre temps un magnifique apostolat qui s’offre à vous-mêmes et aux prêtres, aux religieux et religieuses, aux laïcs éducateurs de leurs frères. Mobilisez vos apôtres pour que les jeunes s’ouvrent au message chrétien, pour fortifier en eux les valeurs morales de droiture de coeur, de respect des autres, d’esprit de service et de persévérance dans l’effort. Enseignez-leur que le changement technique du monde ne conduit pas à lui seul au progrès, s’il n’est accompagné d’un développement de la valeur morale des personnes. Dites-leur bien que l’Eglise, loin d’être une secte née hier, est un grand courant de vie qui vient du Christ, par les Apôtres et leurs successeurs dont vous êtes. Qu’ils approfondissent leur foi, à la mesure de leur culture, en priant, en méditant la Bible et en participant aux sacrements, surtout à l’Eucharistie dominicale!



7. Je vous demanderai de transmettre mes encouragements chaleureux à ces jeunes de votre pays. Je vous charge aussi de saluer cordialement de ma part les nombreux catéchistes qui se dévouent quotidiennement sur le terrain. Exprimez aux religieux et aux religieuses ma gratitude et mes souhaits de joyeuse persévérance dans le don au Seigneur. Enfin, dites mon affection à tous les prêtres, aux séminaristes et à leurs formateurs: je les porte spécialement dans ma prière.

Que tous renouvellent leur engagement à être d’authentiques témoins du Christ, en suivant l’exemple d’Anwarite, la première Bienheureuse du Zaïre, dont le rayonnement fortifie dans la foi ses frères et soeurs d’Afrique!

En l’Année mariale, je confie à la Vierge les voeux fervents que je forme pour vos communautés diocésaines. Je vous bénis de grand coeur ainsi que tous les fidèles de vos Provinces.


[1] Ad Gentes, AGD 15.
[2] Cfr. Lumen Gentium, LG 43; Mutuae Relationes, die 14 maii 1978.



Mai 1988




AUX PARTICIPANTS AU SYMPOSIUM SUR LE CHRISTIANISME SLAVO-BYZANTIN

Jeudi, 5 mai 1988


Mesdames, Messieurs,

1. J’adresse mon salut le plus cordial à tous les participants au colloque international réuni à Rome sur le thème des origines et du développement, dans la longue durée, du christianisme slavo-byzantin, depuis le baptême de la Rus’ de Kiev en 988 jusqu’au XVIIème siècle. Deux institutions romaines organisent le colloque, l’“Institut historique italien pour le Moyen-Age” et l’“Institut polonais de culture chrétienne”. De nombreux savants participent à vos débats, dont un groupe d’éminents historiens représentant des pays spécialement concernés par la tradition slavo-byzantine. Ils rejoignent des érudits de plusieurs autres pays d’Europe et d’Amérique, dans une collaboration étroite entre historiens de différentes nationalités et confessions, particulièrement importante pour une compréhension approfondie du patrimoine spirituel et culturel européen. Et je suis d’autant plus heureux de vous accueillir que j’ai moi-même évoqué cet héritage commun en différentes occasions, et j’ai marqué solennellement la participation de l’Eglise aux fêtes du millénaire de l’événement de Kiev.

Mesdames et Messieurs, je désire exprimer aujourd’hui mon espoir de voir votre rencontre – ainsi que bien d’autres initiatives analogues organisées à l’occasion du millénaire du baptême de la Rus’ – contribuer concrètement à faire progresser non seulement la connaissance scientifique des racines chrétiennes de l’Europe, mais aussi la reconstruction de son unité culturelle.

2. A l’origine du christianisme slavo-byzantin se trouve la célèbre mission des saints Cyrille et Méthode, qui avaient gagné la compréhension et l’appui de mes prédécesseurs au IXème siècle. Le baptême du prince Vladimir en 988 constitua une étape très importante dans le développement du christianisme sur le continent européen. Au XIème siècle, avec Iaroslav le Sage, fils de Vladimir, le christianisme slave s’affirma, ce qui devait revêtir une grande importance jusqu’à nos jours. L’oeuvre de Vladimir et de Iaroslav avait été accomplie avant la division entre l’Orient et l’Occident. C’est une réalité qu’il nous faut garder présente à l’esprit, alors qu’aujourd’hui la question de l’unité est devenue particulièrement urgente.

3. Le baptême de saint Vladimir et de la Rus’ de Kiev, il y a mille ans, est considéré à juste titre aujourd’hui comme un immense don de Dieu à tous les Slaves orientaux, à commencer par les peuples ukrainien et biélorusse. Même après la séparation de l’Eglise de Constantinople, ces deux peuples considéraient l’Eglise de Rome comme l’unique mère de toute la famille chrétienne. C’est pourquoi Isidore, Métropolite de Kiev et de toute la Rus’, n’a pas dévié des plus anciennes traditions de son Eglise lorsqu’en 1439, au Concile oecuménique de Florence, il signa le décret d’union entre l’Eglise grecque et l’Eglise latine.

Le souvenir de cette heureuse union ne disparut pas dans les années qui suivirent, ni l’effort pour rétablir le lien d’unité avec l’Eglise de Rome. L’heureux acte d’union a été conclu à Brest Litovsk en 1596. La joie de l’Eglise de Rome quand elle put embrasser les Ukrainiens et les Biélorusses paraît clairement dans la Lettre apostolique «Benedictus sit Pastor» de mon prédécesseur le Pape Clément VIII.

4. Ce don merveilleux du baptême, de la foi elle-même, l’Eglise de Kiev, mère du peuple ukrainien et du peuple biélorusse, le garda jalousement. Les confesseurs et les martyrs payèrent le prix de cette fidélité; parmi eux resplendit la figure de saint Josaphat.

En 1905 les Ukrainiens et les Biélorusses retrouvèrent une certaine liberté dans l’empire des tsars, tandis que dans les régions restées hors de cet empire, l’Eglise catholique ukrainienne jouit de sa liberté jusqu’aux événements connus d’après la dernière guerre. L’Eglise orthodoxe en Ukraine, elle aussi, s’efforçait de s’organiser et de vivre ou de survivre. En 1925, l’Eglise autocéphale ukrainienne, comme on sait, comptait des évêques et des prêtres nombreux, de nombreuses paroisses avec plusieurs millions de fidèles.

La célébration solennelle du Millénaire devrait donc être une occasion de joie commune pour tous les fils et filles de saint Vladimir et de sainte Olga, dans la pleine liberté religieuse, liberté de conscience et de profession de la foi. Cette liberté religieuse est un droit plénier pour les peuples de l’ancienne Rus’ de Kiev – peuples ukrainien, biélorusse et russe – baptisés dans les eaux salutaires du Dniepr, alors que dans la foi au Christ l’Eglise demeurait une et indivise.

5. Toutes les différences que, fidèle à la vérité, l’historien ne peut minimiser, ne doivent pas nous faire oublier les racines du christianisme slavo-byzantin, celles du christianisme en général. Les valeurs fondamentales, dont vous constatez la présence dans la «longue durée» comme le souligne le titre de votre symposium, revêtent de nos jours une importance particulière pour les chrétiens et pour tous les Européens, bien au-delà du cadre slavo-byzantin.

Mesdames et Messieurs, bien qu’elles soient limitées à une certaine période de l’histoire, vos recherches scientifiques sur la portée du baptême de la Rus’ de Kiev n’en ont pas moins une grande importance pour l’avenir. Elles nous montrent que nous venons tous du même tronc commun, de l’Eglise universelle indivise, pour laquelle priait le Seigneur. Elles nous démontrent aussi que la véritable grande culture de l’Europe orientale et centrale a des racines chrétiennes et qu’elle demeure un facteur essentiel pour l’unité entre les peuples.

6. Les valeurs et l’anthropologie chrétiennes inspirent l’art, tout le patrimoine culturel, et plus généralement la vie de l’homme dans ses dimensions individuelles, sociales et économiques. Plus les héritiers de la tradition chrétienne orientale et occidentale se tourneront vers le Christ, plus sera proche le temps d’une paix véritable en Europe.

En souhaitant le plein succès de vos travaux dans cet esprit, je prie Dieu de vous combler de ses dons et de vous bénir.



À UN GROUPE DE PARLEMENTAIRES EUROPÉENS

Jeudi, 26 mai 1988

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion de la session que tient à Rome la Commission de l’énergie, de la recherche et de la technologie du Parlement européen.

Dans le champ très large de vos compétences, vous êtes appelés à traiter des questions qui intéressent directement l’Eglise, car elles touchent à l’être même de l’homme, à son pouvoir de procréation. Les recherches menées dans les domaines de la biologie humaine, certaines pratiques, parfois développées sans en mesurer suffisamment les implications d’ordre étique, ne manquent pas de susciter la réflexion des responsables politiques que vous êtes.

La brièveté nécessaire de notre rencontre ne me permet pas d’entrer plus avant dans l’analyse de ces préoccupations. Mais vous savez que le Saint-Siège a tenu récemment à préciser les positions de l’Eglise, en particulier sur le respect de la vie humaine à son origine. Il est à souhaiter que les jugements et les actes des responsables dans la société tiennent compte des exigences d’ordre moral et spirituel qu’il est du devoir des chrétiens de manifester et de défendre.

Par ailleurs, je voudrais souligner encore qu’il est important de voir les problèmes de l’énergie, de la recherche scientifique et de la technologie abordés au niveau de la communauté des pays que représente votre Parlement. Car de telles questions ne peuvent plus être traitées de manière satisfaisante en dehors d’une large collaboration internationale.

Mesdames, Messieurs, je forme des voeux pour que vos travaux connaissent un réel succès. Et, en attendant de vous rendre visite à Strasbourg, je vous remercie d’être venus ici. Je prie Dieu de vous combler de ses dons.



Juin 1988


À LA VIème ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA FAMILLE

Vendredi, 10 juin 1988


Monsieur le Cardinal,

chers Frères dans l’Episcopat,
chers amis,

1. Je suis heureux de vous accueillir ici en ces jours où vous êtes réunis en Assemblée plénière. Je salue tous les membres, en particulier ceux qui prennent part pour la première fois aux travaux du Conseil pontifical pour la famille, et qui assument ainsi une forme nouvelle de responsabilité pour la pastorale familiale.

Vous avez choisi pour thème central de vos réflexions “la famille dans la mission des laïcs”, avec une référence spéciale à une “civilisation de la vie”. Ce thème établit un lien entre le dernier Synode des Evêques et celui de 1980 sur la famille. Je voudrais, pour ma part, souligner l’importance de la famille dans la société civile aussi bien que dans l’Eglise, la famille que les laïcs constituent et défendent, la famille responsable de l’évangélisation des générations nouvelles.

2. En réfléchissant sur la vocation et sur la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde, la dernière Assemblée du Synode des Evêques a approfondi l’enseignement du Concile Vatican II et examiné les expériences ecclésiales vécues au cours de ces deux dernières décennies. Deux aspects importants de la vocation des laïcs on été mis en relief: l’appartenance active et responsable du laïc à la mission commune de l’Eglise, et l’appel personnel à la sainteté qui s’adresse à chacun.

Beaucoup a été fait pendant ces années pour faire connaître les enseignements conciliaires; il faudra continuer à les étudier et faire en sorte que tous les fidèles prennent clairement conscience des aspects essentiels de leur vocation. Notre configuration avec le Christ – le fait que nous avons été baptisés et que nous sommes tous fils de Dieu – est le fondement commun de la diversité des fonctions qui reviennent aux membres du Peuple de Dieu sous l’influence de l’Esprit Saint. La mission des laïcs ne s’exerce pas seulement à l’intérieur des structures ecclésiales. Les fidèles laïcs, sel de la terre et lumière du monde, contribuent à “transfigurer l’existence tout entière par le dynamisme de la grâce et de la liberté”.

La famille est un domaine privilégié où les laïcs chrétiens doivent “chercher le règne de Dieu à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu”, La famille est la source naturelle d’où jaillit une culture de la vie, le centre où convergent toutes les valeurs qui la protègent et le noyau social fondamental de toute civilisation au service de la vie.

3. Du fait que la famille est la cellule primordiale de la société et de l’Eglise, tous les chrétiens participent d’une façon ou d’une autre à cette institution. De plus, le sacrement du mariage sanctifie le don conjugal mutuel des chrétiens et les confirme dans leur rôle propre de pères et de mères. Ce sont là des réalités créées que le Magistère de l’Eglise a la mission d’éclairer à la lumière de la révélation chrétienne. Cet exercice du Magistère, dans un domaine aussi important pour la vie de la société et de l’Eglise du Christ elle-même, constitue un souci pastoral constant des évêques. La place que le Concile Vatican II a reconnue au mariage et à la famille en témoigne. Pour la période suivante, il convient de rappeler ce qu’ont été pour l’Eglise la réflexion du Synode de 1980 et la doctrine exposée dans l’exhortation apostolique “Familiaris Consortio”. Une attention particulière est à accorder à l’encyclique “Humanae Vitae” de Paul VI dont on célèbre le vingtième anniversaire et qui a constitué et continue de constituer un oui résolu à la vie, un oui au Créateur, un accueil positif des lois qu’Il a données à l’homme pour transmettre et protéger la vie.

4. Mais le mariage et la famille ne sont pas des institutions exclusivement chrétiennes; ils appartiennent à l’héritage que Dieu a donné à l’humanité: “Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa”. Ces réalités naturelles ont été constituées et structurées selon des lois et des valeurs telles que, loin de limiter et de gêner la liberté des hommes, elles permettent le progrès personnel et social.

Conscients de ce que le sacrement de mariage élève et sanctifie ces réalités de la nature, les chrétiens doivent apprécier et reconnaître les valeurs qui sont à la base du grand mystère de l’amour conjugal. En effet, comme le rappelle le Concile Vatican II: “Tout ce qui compose l’ordre temporel: les biens de la vie et de la famille, la culture, les réalités économiques..., n’ont pas seulement valeur de moyen par rapport à la fin dernière de l’homme. Ils possèdent aussi une valeur propre, mise en eux par Dieu lui-même”. Les biens de la vie et de la famille sont donc l’une des composantes de l’ordre temporel que les fidèles laïcs doivent non seulement défendre, mais aussi promouvoir et développer, en union avec tous les autres hommes de bonne volonté. La société elle-même bénéficie de telles actions.

Ces biens appartiennent à l’ordre même de la création; aussi, par nature, le coeur de l’homme devrait les rechercher et s’y épanouir. Cependant l’orgueil, l’égoïsme et tout le désordre introduit par le péché empêchent souvent de découvrir, et surtout d’admettre et d’observer les lois morales qui garantissent ces biens. Or le chrétien les perçoit à la lumière de la révélation et la grâce l’aide à s’y conformer.

5. Dans ce sens, les laïcs chrétiens peuvent accomplir un apostolat de préparation évangélique. Mettant leurs compétences au service des valeurs mises en évidence par le Magistère, ils contribuent à mieux les faire reconnaître par les personnes et dans les groupes sociaux. Leur action visera à faire respecter ces valeurs essentielles afin qu’elles soient affermies par les institutions mêmes qui gouvernent les peuples.

Le témoignage de vie familiale menée par les époux chrétiens peut constituer un apport précieux, faisant comprendre, dans la société tout entière, ce qu’est véritablement la famille, “son être et son agir, en tant que communauté intime de vie et d’amour”. La richesse de la communion des personnes, dans leur fidélité, fera mieux comprendre que le divorce et l’instabilité du don de soi sont en réalité des germes de mort, alors que le lien personnel indissoluble est source de vie.

Les mentalités contraires à la vie, à son accueil et à sa transmission, conduisent à des actes tels que l’avortement, la stérilisation ou la contraception. Cela entraîne une vision déformée du mariage; cela limite le sens du don mutuel entre les époux. “La raison ultime de telles mentalités est l’absence, dans le coeur des hommes, de Dieu dont seul l’amour est plus fort que toutes les peurs possibles du monde et peut les vaincre”. Lorsque l’enfant n’est pas vu comme un don de Dieu, lorsque l’amour conjugal devient comme un repliement égoïste sur soi-même, lorsque les lois du mariage sont considérées comme une entrave insupportable, lorsque les pouvoirs civils ne soutiennent pas la famille dans sa structure et ses besoins, alors promouvoir une civilisation authentique de la vie devient particulièrement nécessaire. Ce sont les laïcs, hommes et femmes de toutes générations, qui peuvent faire découvrir autour d’eux les valeurs et les richesses que renferment les exigences humaines, par un apostolat quotidien commençant par l’éducation.

“La famille est la première école... de la vie sociale... La communion et la participation vécues chaque jour au foyer, dans les moments de joie ou de difficulté, représentent la pédagogie la plus concrète et la plus efficace en vue de l’insertion active, responsable et féconde des enfants dans le cadre plus large de la société”.

6. A travers vous, chers amis, je m’adresse à tous les époux chrétiens. Faites comprendre la signification sociale de votre vocation d’époux et de parente chrétiens! Votre activité n’appartient pas à un domaine étranger au bien de la société tout entière. Le respect de la vie, le souci de la formation humaine et chrétienne, les vertus d’honnêteté, de modération et d’hospitalité, l’éducation à la chasteté et au contrôle de soi, la capacité d’aimer en dépassant son propre égoïsme, l’attention aux personnes âgées et aux malades, tout cela fait partie d’un ensemble de valeurs dont les hommes ont besoin pour vivre leur pleine dignité.

J’encourage donc tous les groupes qui, fidèles au Magistère de l’Eglise, aident les époux chrétiens à affermir leur spiritualité et à développer leur apostolat.

Favoriser la famille pour qu’elle réponde pleinement à sa vocation, c’est un souci apostolique commun à tous les chrétiens. Chacun doit être attentif à ce qui éclaire ou renforce les valeurs du mariage, de la paternité et de la maternité. Au carrefour des générations, la famille prend une dimension missionnaire particulière dans l’Eglise. Vivante et solide, elle est un lieu primordial pour une plus large diffusion de l’Evangile et la construction du Royaume de Dieu dans le monde actuel.

7. Je forme les meilleurs voeux pour vos travaux, pour l’ensemble de votre action, en lien avec tous ceux qui ont la charge de la pastorale familiale dans les Eglises particulières. Et je demande au Seigneur de vous combler de ses Bénédictions ainsi que les familles au service desquelles vous vous dévouez.





À S.E. M. SELCUK KORKUD, NOUVEL AMBASSADEUR DE TURQUIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi, 13 juin 1988


Monsieur l’Ambassadeur,


En ces premiers moments de la haute mission que Monsieur le Président de la République de Turquie vient de vous confier auprès du Saint-Siège, je suis heureux de vous recevoir. Le contenu de votre adresse témoigne des sentiments nobles dans lesquels vous vous disposez à remplir vos fonctions. Je vous remercie vivement de vos paroles, et je vous saurais gré d’exprimer à Son Excellence Monsieur Kenan Evren ma cordiale gratitude pour les salutations et les voeux qu’il vous a confié le soin de me transmettre.

En vous accueillant, Excellence, comme Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire accrédité auprès du Saint-Siège, je souhaite de tout coeur que votre mission, à la suite de vos distingués prédécesseurs, contribue non seulement au maintien des bonnes relations auxquelles vous faisiez allusion tout à l’heure entre le Siège Apostolique de Rome et votre Gouvernement, mais qu’elle apporte une pierre nouvelle et de qualité à l’édifice jamais achevé de ces relations bilatérales. Nous savons tous que l’art diplomatique, pour être capable de promouvoir le bien général et particulier des populations concernées, exige la recherche permanente de la vérité, la loyauté et la continuité du dialogue, afin d’aboutir à l’amélioration de situations toujours perfectibles, a fortiori à la dissipation de malentendus voire au règlement de situations conflictuelles. Tout diplomate, quelle que soit la tradition religieuse et culturelle dont il se réclame ne peut être qu’un homme de dialogue, d’espérance et de paix. Il oeuvre essentiellement pour la paix, précieuse et fragile, indispensable au bonheur de tout homme et de toute nation.

A l’instant, j’éprouvais une réelle satisfaction en vous entendant souligner combien votre Gouvernement et votre Nation demeuraient attachés aux valeurs humaines de tolérance et de respect, qui excluent toute discrimination raciale ou religieuse. Vous mettiez également en relief les efforts de votre pays pour coopérer à la sécurité du monde, souvent compromise par les conflits et les méthodes de terreur que nous condamnons. Cette coopération est également orientée vers les peuples les plus démunis. Et vous aviez l’obligeance, Monsieur l’Ambassadeur, de reconnaître, pour vous en réjouir, que le Saint-Siège et son premier Responsable déploient une activité considérable et désintéressée afin de défendre et de promouvoir les droits de l’homme, la justice, la morale, la paix internationale. J’ai été sensible à votre témoignage, d’autant plus que j’ai la certitude que Votre Excellence continuera Elle-même avec ardeur et discrétion sa mission de paix dans tous les domaines où ses interventions diplomatiques s’avéreront utiles et même nécessaires.

Permettez-moi, Monsieur l’Ambassadeur, d’évoquer un domaine qui me tient spécialement à coeur, et dont j’entretiens fréquemment les diplomates accrédités auprès du Saint-Siège: je veux dire la liberté religieuse. Car le respect de cette liberté est un des fondements importants de la paix. Le 1er janvier dernier, à l’occasion de la traditionnelle Journée de la Paix instaurée par le Pape Paul VI, j’ai voulu en faire le thème d’un Message destiné à tous les Responsables de Gouvernement. En effet, lorsque l’on considère les événements qui se déroulent dans le monde, on doit constater que, quarante ans après la Déclaration universelle des Droits de l’homme, des millions de personnes, en de nombreuses régions de l’univers, subissent les conséquences de législations répressives, parfois de persécutions, plus souvent de pratiques subtiles de discrimination. Cet état de choses constitue une lourde hypothèque pour la paix. Certes, dans votre pays, les catholiques sont tout à fait minoritaires. Précisément, Monsieur l’Ambassadeur, votre Gouvernement, constatant que ces minorités chrétiennes se soumettent aux lois légitimes de votre Nation, s’honore et s’honorera toujours en assurant leur liberté religieuse. Ces catholiques de différents rites sont heureux de vivre sur votre sol dans la mesure où ils disposent de lieux et de locaux suffisants pour approfondir et célébrer la foi qu’ils ont reçue et qu’ils ont le droit sacré de transmettre à leurs enfants. Tout Etat, et plus encore lorsqu’il a pris l’initiative de nouer des relations diplomatiques avec le Siège Apostolique de Rome, se distingue hautement en montrant une claire attitude d’équité à l’égard des croyants qui ont légitimement fait le choix de leur religion. J’ai confiance, Monsieur l’Ambassadeur, que votre mission apportera, pour sa part, aux communautés mentionnées le bonheur de vivre en paix sur une terre dont l’accueil en 1979 est gravé dans ma mémoire, sur une terre que le Pape Paul VI a également visitée et où le Pape Jean XXIII a déployé son zèle et sa bonté alors qu’il était Délégué Apostolique à Ankara.

En vous remerciant de nouveau pour vos paroles pleines de déférence et d’espérance, je vous souhaite, Excellence, de connaître de nombreuses satisfactions morales et spirituelles tout au long de votre haute mission auprès du Saint-Siège. Est-il nécessaire d’ajouter, Monsieur l’Ambassadeur, que l’accueil, la compréhension et le soutien que vous attendez légitimement du Siège Apostolique vous seront toujours assurés? Veuillez avoir l’obligeance d’exprimer cette même assurance à Monsieur le Président de la République de Turquie, Son Excellence Monsieur Kenan Evren, avec l’hommage de ma très haute considération et de mes souhaits de prospérité et de paix pour toute la Nation turque. Sur votre personne et sur votre mission, comme sur les personnes qui vous sont chères, j’invoque la lumière, la force et la protection du Dieu Tout-Puissant.




Discours 1988 - Samedi, 23 avril 1988