Discours 1988 - Lundi, 11 juillet 1988


REMERCIEMENT AUX EXÉCUTANTS DE «LE MYSTÈRE DE LA CHARITÉ DE JEANNE D'ARC» PRESENTÉ PAR «LA COMÉDIE FRANÇAISE»

Castel Gandolfo, Jeudi 28 juillet 1988

Monsieur le Maire de Lyon,


à l'issue du beau moment de théâtre que vous m’avez permis de vivre ici, je tiens à vous remercier très chaleureusement de votre généreuse initiative, que j’ai été particulièrement heureux d’accueillir, sensible à l’ardente conviction de Monsieur le Cardinal Decourtray et à l’entremise diligente et éclairée de Monsieur l’Ambassadeur de France près le Saint-Siège.

Je vous remercie, Monsieur le Maire, d’être venu vous-même présenter le spectacle, accompagné de plusieurs de vos collègues et de vos collaborateurs de la Municipalité de Lyon et d’autres hautes personnalités de votre grande cité. En m’offrant cette représentation du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, vous avez désiré marquer votre gratitude pour ma visite pastorale à Lyon voici près de deux ans. Chez vous, j’avais pu évoquer quelques grands saints qui ont fondé l’Eglise des «Trois Gaules», et il m’avait été donné de béatifier le Père Antoine Chevrier. Votre réponse, en quelque sorte, vous la placez sous le patronage de sainte Jeanne d’Arc et de Charles Péguy qui médite avec elle l’essentiel du Mystère chrétien.

Votre geste ne pouvait être mieux inspiré: l’oeuvre que vous nous avez permis de redécouvrir dans son admirable forme théâtrale est une grande oeuvre française, une oeuvre chrétienne qui touche, avec une éloquence saisissante, aux sources de la vocation de Jeanne a la sainteté, dans le contexte de la «grande pitié» qu’est la guerre et du combat spirituel intime de la paroissienne de Domremy si liée au destin de votre pays. Je ne vais pas entreprendre une analyse détaillée des thèmes du «Mystère», je dirai seulement combien me frappe la manière dont Péguy a su rendre comme «présente» la Passion du Seigneur, et aussi son évocation de la présence de Marie, «Reine des Sept Douleurs», comme il dit, à la fois «Reine de Beauté» et «Reine de Miséricorde».

Je présente mes respectueuses félicitations aux artistes qui nous ont conduits au long de cette saisissante méditation scénique. Vous montrez par votre interprétation à quels sommets atteint l’art du théâtre: je vous suis vivement reconnaissant de votre venue et de votre jeu qui a valeur de témoignage. Et j’exprime ma gratitude aux responsables du Théâtre des Célestins et de la Comédie Française qui ont produit ce spectacle; je suis sensible au fait que vous soyez venus personnellement ce soir. Je suis heureux aussi d’adresser un salut particulier aux membres de la famille Péguy présents avec nous.

Nous garderons tous un beau souvenir de cette soirée. Elle ravive pour moi la mémoire de ma rencontre avec le peuple chrétien de Lyon et d’autres régions de France. Que Jeanne de Domremy nous aide à saisir la beauté du Mystère de la Charité et à accueillir la Bénédiction de Dieu!


Août 1988



MESSAGE RADIO DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II À UN GROUPE DE JEUNES PÈLERINS À LOURDES

Solennité de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie


Lundi, 15 août 1988

Chers amis pèlerins de Lourdes,

Loué soit Jésus-Christ!

Ma pensée affectueuse vous rejoint en cette heure: vous, les participants au Pèlerinage national français, vous, les jeunes venus d’Italie, d’Angleterre, d’Irlande, d’Espagne, d’Allemagne, des Flandres, des Pays-Bas, de la Pologne, vous les «marcheurs de Dieu» de tous pays!

Vous venez de charter ensemble la prière à Marie, en portant vos flambeaux dans les rues de la ville et le domaine de la grotte. Vous venez de proclamer ensemble que Jésus, le Fils de Marie, est la lumière sur la route des hommes.

A travers cette liturgie impressionnante c’est une image vraie de l’Eglise que vous donnez au monde: l’image d’un peuple de frères et de soeurs, unis par le baptême, qui chantent leur joie d’avoir trouvé une raison de vivre parce qu’ils se savent aimés de Dieu, et qui voudraient porter la lumière du Christ dans toutes les parties de la terre.

Jeunes qui m’écoutez ce soir, vous êtes à la croisée des chemins. Peut-être, vous demandez-vous: «Avec qui vais-je faire route dans ma vie?». C’est alors qu’il vous revient de dire personnellement au Christ ce que Pierre lui dit un jour, dans un admirable élan de confiance: «Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle» [1].

Toi seul, Seigneur, tu nous guides sur les sentiers de la vie.

Beaucoup parmi vous, je le sais, ont l’intention de prier cette nuit avec Marie. Dans ce lieu, où la Vierge s’est faite l’écho de l’appel évangélique à la conversion, je vous renouvelle l’invitation à vous laisser réconcilier avec Dieu. Recevez le sacrement du pardon, que Jésus a confié à l’Eglise comme un don de son amour pour les hommes.

Mettez-vous à l’école de la Vierge: Elle vous fera découvrir votre mission de baptisés dans l’Eglise, comme elle l’a fait pour Bernadette. Elle vous fera découvrir le service que vous êtes appelés à rendre à la famille humaine.

Tous, vous êtes conviés à rendre espoir à l’humanité en la transformant du dedans par la force de l’Evangile. Certains le feront en fondant un foyer chrétien qui deviendra une cellule missionnaire. Certains se sentiront appelés à vivre chastes, pauvres et disponibles dans la vie religieuse pour rayonner les béatitudes. D’autres seront prêts à consacrer leur vie comme diacres ou comme prêtres pour entraîner le Peuple de Dieu dans sa marche.

A chacun et à chacune d’entre vous, la Vierge adresse aujourd’hui la grande recommandation qu’elle a faite à Cana, quand le vin des noces manqua: “Faites tout ce qu’il vous dira”. Pour que votre vie garde un goût de fête, dans le service d’autrui, dynamique et joyeux, cherchez à accomplir ce que demande le Christ, en reprenant vous aussi le «fiat» de Marie: «Je suis la servante du Seigneur».

Chers amis, en la clôture solennelle de l’Année mariale, la Vierge vous redit avec insistance: “Faites tout ce que mon Fils vous dira de faire”. C’est le message même de Lourdes.

Saluts en diverses langues…

[1] Jn 6,68.




AUX ÉVÊQUES DE HAÏTI EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 19 août 1988


Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Soyez les bienvenus dans cette demeure, où j’ai la joie de vous accueillir à l’occasion de votre visite «ad limina». Je remercie vivement Monseigneur François Gayot, Archevêque du Cap Haïtien et Président de la Conférence épiscopale, de l’adresse pleine de sentiments affectueux et confiants qu’il vient de prononcer en votre nom.

La rencontre de ce jour est motivée par un souci pastoral que nous avons en commun, puisque le soin d’annoncer l’Evangile sur toute la terre revient à l’ensemble des pasteurs. Pour reprendre les termes du Concile Vatican II, les évêques «doivent accepter d’entrer en communauté d’effort entre eux avec le successeur de Pierre à qui a été confiée, à titre singulier, la charge de propager le nom chrétien» [1].

Où en est donc dans votre pays, cette propagation du nom chrétien? Où en est l’annonce de l’Evangile du Seigneur, qui est notre premier et plus cher devoir? C’est ce bilan quinquennal que vous êtes venus faire ici et je souhaite de tout coeur que votre séjour à Rome renouvelle les énergies de votre foi afin que, de retour chez vous, vous poursuiviez avec plus de dynamisme encore le ministère qui vous est confié.



2. Depuis 1983, année de mon passage en Haïti et de votre dernier pèlerinage aux tombeaux des Apôtres, bien des événements se sont déroulés dans votre pays. La nation haïtienne a été secouée par une crise profonde, sans qu’aujourd’hui encore on voie distinctement le chemin vers un avenir plus clair, où le respect de la dignité de l’homme et de ses libertés soit partout pleinement assuré.

Tout au long de cette période tourmentée, vous avez été particulièrement actifs pour accompagner votre peuple dans sa quête de liberté et dans sa recherche angoissée d’une vraie démocratie. En pasteurs zélés, sans vous ménager, vous avez multiplié les messages pour le guider sur sa route, spécialement ces toutes dernières années.

Sous le coup des événements, vous vous êtes réunis souvent, au-delà des sessions plénières prévues par les statuts, pour évaluer la situation et pour indiquer aux fidèles des lignes de conduite en conformité avec l’Evangile; vous leur avez exposé également la doctrine sociale de l’Eglise sur tout ce qui concerne leur vie dans ses différentes dimensions: économique, politique et religieuse. Vous les avez aidés à respecter la dignité de chacun, à oeuvrer pour la justice, à développer des relations vraies et à promouvoir la réconciliation.

De cette vaste activité profondément pastorale, je tiens à vous féliciter cordialement. Je mesure l’ampleur de vos difficultés quotidiennes. Je devine et partage vos angoisses. Je vous redis aujourd’hui encore toute ma sollicitude envers l’Eglise qui est en Haïti et je vous assure qu’avec vous j’en porte le souci devant Dieu. Enfin laissez-moi vous renouveler mes encouragements à continuer sur la voie tracée, en pasteurs personnellement responsables de l’annonce de la Parole de Dieu, responsables de la vie spirituelle de tous les baptisés, responsables de l’union de coeur et d’action au niveau du diocèse et de la conférence épiscopale.


3. Quand on considère l’ensemble de vos interventions, on constate que la plupart d’entre elles, inspirées par la conjoncture particulière de ces dernières années, s’inscrivent dans le cadre de la promotion humaine.

Il existe, en effet, des liens profonds entre évangélisation et promotion humaine: comment pourrait-on proclamer le commandement de l’amour fraternel, coeur du message du Christ et signe distinctif des chrétiens, sans promouvoir en même temps la justice et l’authentique croissance de l’homme? Pourrait-on ignorer ce que prescrit l’Evangile en matière de charité envers le prochain qui souffre ou qui est dans le besoin?

Cependant, chers Frères, faites en sorte que tout ce que vous entreprenez demeure dans la ligne spécifiquement religieuse de l’évangélisation et de l’axe qui la soutient: l’avènement progressif du Règne de Dieu.

Cela s’applique, entre autres, à cet important projet d’alphabétisation, la Mission Alpha, qui vous tient à coeur et que vous réalisez avec l’assistance de plusieurs organismes d’autres pays. L’analphabétisme est une sous-alimentation de l’esprit, aussi désastreuse, peut-on dire, que la faim d’aliments; et c’est avec raison que vous luttez contre ce handicap majeur au progrès social et au développement économique. Je sais que vous veillez à ce que la campagne d’alphabétisation échappe aux pièges de l’exploitation à des fins politiques et reste une initiative ordonnée au bien du peuple haïtien.



4. Dans le désir que vous avez de contribuer à l’édification de la société, il est pour vous une préoccupation d’une brûlante actualité: la famille. Si l’on veut bâtir une Haïti prospère, il faut revitaliser le premier noyau de la société qu’est la famille.

Le problème de la pastorale familiale vous interpelle vous aussi, comme les pasteurs de bien d’autres pays. Au regard d’une pratique étendue de l’union libre, le mariage sacramentel reste encore trop rare. En outre, la régulation des naissances par des méthodes artificielles et la pratique de l’avortement semblent se développer.

Aussi, la pastorale familiale est-elle pour vous une tâche prioritaire, en vue de préparer l’avenir de la communauté chrétienne et aussi de la nation. Première structure permettant toute vie sociale, la famille est également une école de la foi, ainsi que l’a rappelé encore le Synode des Evêques, l’an passé: que le foyer chrétien «devienne une véritable “Eglise domestique”, où l’on prie ensemble, où l’on vit le commandement de l’amour de manière exemplaire, où la vie est accueillie, respectée, protégée» [2].



5. A l’approche des célébrations destinées à marquer le demi-millénaire de la découverte du Nouveau Monde et du commencement de son évangélisation, il est opportun de renouveler l’oeuvre jamais achevée de l’évangélisation d’une communauté chrétienne.

C’est d’autant plus nécessaire que les fidèles de votre pays sont encore très marqués par des croyances liées à leurs origines anciennes et qu’ils subissent par ailleurs, surtout depuis quelques années, la pression de plus en plus forte de nombreuses sectes. Pour contrecarrer l’action néfaste de ces mouvements, il faut éclairer la foi et la vie sacramentelle des catholiques. Autrement dit, une catéchèse systématique est à développer pour que le peuple chrétien acquière des connaissances plus solides et surmonte les pièges de la superstition et de la magie. Il s’agit de donner aux laïcs, jeunes et adultes, des moyens de formation pour l’approfondissement de leur vie chrétienne.



6. Pour cela, vous avez besoin d’ouvriers apostoliques. Grâce à Dieu, vous constatez un accroissement du nombre des vocations à la vie sacerdotale. Encouragez les séminaristes à aimer et à servir généreusement le peuple chrétien, surtout lorsqu’il est démuni et éprouvé, comme c’est le cas en Haïti. Qu’ils soient imprégnés de l’esprit des béatitudes pour ouvrir les fidèles à l’espérance chrétienne dont ils ont besoin pour vivre. Qu’ils se préparent à leur futur ministère par une vie disciplinée, dans la simplicité et la joie du détachement. Je vous confie le soin de leur dire mon affection et les espoirs que je mets en eux.



7. Transmettez également mes encouragements à tous vos prêtres, qu’ils soient d’origine haïtienne ou qu’ils viennent d’autres pays. Dites-leur aussi ma reconnaissance pour la foi qu’ils entretiennent et font grandir, souvent dans des conditions pauvres et difficiles.

Entretenez avec eux des relations personnelles de qualité afin qu’ils réalisent concrètement que l’évêque n’est pas un responsable lointain mais un père et un frère proche d’eux, partageant avec eux le service du Peuple de Dieu. Qu’il y ait une réelle solidarité entre prêtres et évêques, une convivialité joyeuse dans le presbyterium et une vie spirituelle intense, de telle sorte que chacun apprécie et mette en valeur le don qui lui a été fait le jour de l’ordination sacerdotale. A cette fin, les initiatives de formation permanente que vous pourriez prendre feraient grandir l’esprit d’unité et le dynamisme du presbyterium.



8. Je salue tout spécialement les Religieux et les Religieuses qui représentent en Haïti les trois quart des agents pastoraux dans l'Eglise. Je sais que bon nombre d’entre eux sur le terrain donnent un exemple admirable d’abnégation et de dévouement à la cause du Royaume de Dieu, témoignant de la présence aimante du Seigneur dans une grande proximité avec le peuple des fidèles.

De nouvelles maisons de formation ont été ouvertes et je m’en réjouis. Egalement, j’ai appris avec joie que des vocations autochtones s’éveillent.

J’encourage les Religieux et les Religieuses à poursuivre leur vaste travail dans les divers domaines où ils sont présentement engagés: la catéchèse, la santé, l’éducation, l’accueil, l’action sociale de promotion humaine. Qu’ils gardent l’estime de la vie communautaire: c’est la vie de communauté, en effet, qui donne des assises solides à un institut et permet à chaque membre d’avoir une action efficace auprès des fidèles. On évite ainsi l’écueil de devenir un franc-tireur, on discipline les tendances trop personnelles pour demeurer dans la ligne du charisme du fondateur.

Dans la floraison d’expériences locales de vie consacrée, il vous revient d’accompagner les fondations nouvelles et, plus généralement, d’aider les instituts qui doivent encore clarifier leur situation canonique. Des Vicaires épiscopaux pour les religieux pourraient vous assister dans la tâche qui vous est propre et qui consiste à prendre soin de la vie religieuse dans le diocèse et à l’insérer dans l’ensemble de l’activité pastorale.



9. Enfin, la multiplication des communautés ecclésiales de base requiert davantage de catéchistes et d’animateurs. Vu le contexte social en Haïti, ces communautés semblent providentielles. Elles sont nées comme communautés de foi et constituent des cellules actives dans les paroisses. On peut même dire que les «Ti Kominotés Legliz», ou «communautés ecclésiales de base» sont un vrai motif d’espérance pour l’Eglise en Haïti. Votre tâche est donc de les aider à grandir dans la ligne des principes chrétiens et de faire mûrir les responsables appelés à leur transmettre et à interpréter fidèlement votre pensée et vos directives. La formation intégrale du laïcat, rappelait le dernier Synode des Evêques, doit être aujourd’hui une priorité pastorale.

Le travail considérable qui consiste à éveiller davantage chez les laïcs le sens de leur responsabilité de baptisés vis-à-vis de la société est toujours à poursuivre. II vous faut continuer à les aider pour qu’ils imprègnent de l’Esprit du Christ les domaines de la vie en société, de la famille, du travail et de la recherche de meilleures conditions d’existence.



10. En terminant, je voudrais vous demander de transmettre mon affectueux souvenir à vos populations. Je forme des voeux fervents pour leur bonheur, leur bien-être physique et spirituel, dans la dignité qui sied à des êtres aimés de Dieu et rachetés par le sang précieux du Christ. Je les bénis de tout coeur, particulièrement ceux et celles qui connaissent toutes sortes d’épreuves et beaucoup de souffrances, et ils sont hélas trop nombreux. J’envoie une affectueuse bénédiction également à tous ceux qui collaborent avec vous à l’édification de l’Eglise en Haïti, et j’invoque la force de l’Esprit Saint sur chacune de vos personnes.

[1] Lumen Gentium, LG 23.
[2] Synodi Episc. 1987 Nuntius ad Populum Dei, 7.


Septembre 1988

À S.E. M. JEAN-BERNARD RAIMOND, NOUVEL AMBASSADEUR DE FRANCE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi, 23 septembre 1988


Monsieur l’Ambassadeur,


Je vous remercie vivement des paroles aimables que vous venez de m’adresser au moment d’inaugurer votre mission. En accueillant ici Votre Excellence, je tiens à dire combien j’apprécie que la France soit représentée par un de ses plus éminents diplomates qui a une expérience remarquable de la vie internationale, et qui, j’en ai l’assurance, contribuera à la poursuite des relations confiantes et empreintes d’estime mutuelle qui sont pour la France et le Siège Apostolique une très ancienne tradition.

Vous avez évoqué, Monsieur l’Ambassadeur, des souvenirs personnels auxquels je suis particulièrement sensible. Dans ma patrie, où vous représentiez la France, vous avez manifesté la continuité de la longue amitié qui lie vos compatriotes avec les Polonais; votre participation aux célébrations marquant ma visite de 1982 en témoigne.

A peu de jours d’un nouveau voyage que je dois accomplir dans une région de votre pays, vous faites ressurgir à ma mémoire mes visites pastorales antérieures, la beauté de lieux chargés d’histoire, les moments de ferveur partagée, les rencontres personnelles si précieuses dans leur diversité, ainsi que, je ne puis l’oublier, la très grande obligeance manifestée à mon égard par les plus hautes autorités françaises et leurs collaborateurs.

C’est pour moi une joie, à l’occasion de ma visite aux Institutions européennes à Strasbourg, de retrouver bientôt le peuple de France dans les diocèses d’Alsace et de Lorraine.

La France que vous représentez désormais ici, nation chrétienne parmi les plus anciennes, a été un terrain particulièrement riche que les sources évangéliques sont venues irriguer profondément au cours des siècles. Un incomparable patrimoine s’est formé; et, ici, je ne pense pas seulement aux monuments et aux réussites d’une culture, je pense à l’oeuvre de tant de générations d’hommes qui constitue la vaste et vivante mémoire de votre nation. De même qu’une personnalité se forme à travers l’épreuve, votre nation a connu dans son histoire des souffrances, des conflits, des crises et des divisions; elle a connu aussi l’exaltation que lui procuraient ses réussites et son rayonnement lointain. Lieu d’échanges, terre d’accueil, ce pays a su assimiler et unir ce que lui ont apporté les courants culturels mûris ailleurs. Nous souhaitons que la France, bénéficiant aujourd’hui de ce que lui ont donné ses fils dans son passé, continue à jouer le rôle que beaucoup de peuples du monde n’ont cessé d’apprécier.

Ma pensée se tourne particulièrement vers l’Eglise catholique en France, qui a toujours été un foyer d’initiatives rayonnantes, de hardiesse et de générosité missionnaires, de recherche intellectuelle, de floraison de la sainteté. A Lyon, j’ai pu évoquer les martyrs les plus anciens et, le même jour, inscrire au nombre des bienheureux l’apôtre des milieux populaires que fut Antoine Chevrier au XIX siècle. Comment ne pas rappeler aussi que, tout récemment, j’ai été témoin de la vénération portée par le peuple du Lesotho au bienheureux Joseph Gérard, missionnaire venu de l’Est de la France pour plus de cinquante années d’apostolat inlassable et éclairé? Et, dimanche, j’aurai la joie d’inscrire au nombre des bienheureux le Père Frédéric Janssoone, témoin de l’Evangile en Terre Sainte et au Canada.

Dans votre pays, l’Eglise a été souvent marquée par le déchirement et l’épreuve. Mais aujourd’hui encore se manifeste le courage de ses évêques, des ses prêtres, de ses religieux, de ses laïcs; les uns et les autres prennent leur part de responsabilités dans la vie interne et dans la mission de l’Eglise. Les signes d’espérance et de renouveau ne manquent pas; ici même, je puis les constater par des rencontres très diverses avec vos compatriotes.

Les chrétiens prennent aussi leur part dans la vie de la cité. Bien souvent, ils s’engagent avec générosité dans les efforts que mène votre pays pour que progressent dans le monde le respect de la dignité humaine, une solidarité effective pour le développement et la paix, le sens de l’accueil mutuel entre les peuples. En cela, ils contribuent à promouvoir des valeurs que l’Evangile inspire et que votre peuple tient à défendre.

Vous avez aussi rappelé, Monsieur l’Ambassadeur, la présence à Rome de nombreux Français; ils se sont mis à la disposition de la Curie ou des Institutions académiques pontificales, ou bien ce sont les religieux et les religieuses qui ont une part significative de responsabilité dans la direction des Instituts religieux. Je puis vous assurer que j’ai souvent l’occasion d’apprécier leur compétence et leur dévouement. Et je pense aussi aux séminaristes et aux prêtres qui poursuivent leur formation en cette ville qui constitue un lieu privilégié d’échanges intellectuels et de connaissance mutuelle où l’on peut acquérir une expérience utile de l’universalité de l’Eglise.

Entre la France et le Saint-Siège, vous avez souligné la proximité des points de vue en de nombreux domaines de la vie internationale. Dans un monde mobile, où évoluent autant les situations des Etats que les modes de vie des peuples, le Saint-Siège cherche à rappeler sans cesse les fondements du bien commun qui tiennent à la nature même de l’homme. En union avec les Pasteurs des Eglises locales, il désire manifester, face aux appels qu’il perçoit, la nécessité de respecter les valeurs et les droits encore trop souvent compromis. Cela s’applique à la solution de situations dramatiques comme celles que vous avez mentionnées, affectant des peuples qui me sont très proches, et pour lesquelles votre pays et le Saint-Siège s’accordent à favoriser la paix, tout en agissant chacun en fonction de sa compétence et de sa mission propres. Ce sont des préoccupations du même ordre qui amènent le Siège Apostolique à prendre position face aux grands problèmes tels que l’endettement dont vous avez vous-même relevé la gravité.

Dans ce sens aussi, vous le savez, le Saint-Siège appuie l’action des Organisations internationales, à la mesure de ses possibilités spécifiques. Car la raison d’être de ces institutions est précisément d’assurer la paix, la sécurité et la liberté, de favoriser toutes les formes utiles de coopération pour le bien de tous.

Les relations diplomatiques établies par le Siège Apostolique avec de nombreux pays traduisent son désir constant d’être attentif à la vie de tous les peuples, à leurs épreuves comme à leurs réussites. Cette forme de contacts offre au Saint-Siège des occasions très appréciables de dialogue et de réflexion commune. Je suis heureux de la disponibilité que vous montrez à prendre part à ces échanges au nom de votre pays.

Monsieur l’Ambassadeur, je vous saurais gré d’exprimer à Son Excellence Monsieur le Président de la République française ma gratitude pour l’intérêt – dont vous vous êtes fait l’interprète – qu’il porte aux relations de son pays avec le Saint-Siège, et de lui faire part des voeux que je forme pour l’exercice de sa haute charge.

En vous souhaitant, Excellence, un heureux accomplissement de votre mission, je puis vous assurer que le Saint-Siège s’emploiera à vous donner l’appui que vous pourrez désirer, dans l’esprit des relations cordiales qui le lient à votre pays.



AUX ÉVÊQUES DU CAMEROUN EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 30 septembre 1988

Cher Monsieur le Cardinal,

Chers Frères dans l’épiscopat,



1. Au terme des rencontres individuelles que j’ai eues avec vous, je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui tous ensemble, réunis autour de votre président, l’Archevêque de Garoua, récemment entré dans le collège des Cardinaux. Je le remercie vivement pour les paroles très aimables qu’il vient de m’adresser en votre nom.

La visite «ad limina», que les évêques du monde entier accomplissent périodiquement, manifeste l’union des Eglises locales avec l’Eglise de Rome. En venant ainsi vous entretenir avec le Successeur de Pierre et ses collaborateurs dans les divers dicastères de la Curie Romaine, vous exprimez d’une manière tangible les liens qui nous unissent dans la grande famille des baptisés. Egalement, vous apportez au Pape le témoignage d’attachement des fidèles de votre pays: j’y suis d’autant plus sensible que je garde bien vivants dans la mémoire de mon coeur les temps forts que nous avons vécus en 1985 dans chacune de vos provinces de Yaoundé, de Garoua, de Bamenda et de Douala.

Puisse votre pèlerinage à la tombe des saints Apôtres raviver encore davantage votre foi et vous amener à redire au Seigneur, à la suite de Pierre et avec le même élan: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» [1]! C’est avec une profonde affection que je désire vous confirmer dans cette foi et dans votre mission de pasteurs du Peuple de Dieu au Cameroun, pour l’oeuvre qui nous est commune de l’évangélisation du monde.



2. Dans deux ans, le Cameroun va célébrer le centenaire de l’arrivée des premiers missionnaires, les Pères Pallottins allemands, et vous avez commencé à préparer ce grand anniversaire. A l’occasion de cet événement commémoratif, vous proposez de promouvoir l’accueil et l’approfondissement du message du Christ par un «renouvellement des coeurs à la lumière de l’Evangile», pour reprendre les termes de Monsieur le Cardinal Tumi.

L’Eglise, en effet, a un constant besoin de s’évangéliser elle-même pour continuer à être évangélisatrice. Aussi importe-t-il que la foi des Camerounais devienne encore plus personnelle, plus adulte et plus engagée, en vue d’un dynamisme missionnaire renouvelé, et également pour faire face au matérialisme grandissant dans l’environnement social, pour résister aux propositions des sectes et des sorciers, pour ne pas céder, là où les conditions économiques s’y prêtent, à l’attrait immodéré du gain, qui constitue un obstacle à toute vie chrétienne vraiment sérieuse.

Au Synode des Evêques, l’an passé, il a été déclaré que «la formation intégrale de tous les fidèles, laïcs, religieux et clercs, doit être aujourd’hui une priorité pastorale»[2]. Dans la perspective des célébrations du centenaire, laissez-moi vous encourager, chers Frères, à répondre à ce voeu des Pères synodaux, en exhortant les fidèles camerounais à accueillir généreusement la Parole de Dieu avec ses exigences et à participer d’une manière toujours plus éclairée et plus responsable aux sacrements de la foi. Je vous invite notamment à assurer la formation continue des animateurs pastoraux: cela pourrait être réalisé dans le cadre d’une collaboration interdiocésaine, en faisant appel éventuellement à une aide extérieure.

Vous me permettrez d’attirer encore l’attention sur deux domaines de l’évangélisation qui, à la lecture de vos rapports quinquennaux, m’ont semblé devoir s’imposer à votre sollicitude pastorale: la famille et l’univers culturel.

Vous le reconnaissez vous-mêmes: avec l’assainissement du milieu familial, bien d’autres question trouveraient leurs solutions. Soyez bien convaincus que tout le bon grain que vous aurez patiemment semé dans la terre profonde des réalités familiales portera des fruits durables de justice, de bonheur et de prospérité pour la communauté chrétienne et pour la nation entière.

En ce qui concerne l’univers culturel africain, où l’on observe un certain retour d’usages préchrétiens, faites en sorte que le levain de l’Evangile y pénètre pour purifier et élever les coutumes, voire provoquer le rejet des rites qui seraient contraires à l’épanouissement de la vie et à la dignité de la personne humaine. Comme l’a dit le Concile Vatican II: «La Bonne Nouvelle du Christ rénove constamment la vie et la culture de l’homme déchu... Par les richesses d’en-haut, elle féconde comme de l’intérieur les qualités spirituelles et les dons propres à chaque peuple et à chaque âge, elle les fortifie, les parfait et les restaure dans le Christ. Ainsi l’Eglise, en remplissant sa propre mission, concourt déjà, par là même, à l’oeuvre civilisatrice et elle y pousse» [3]. Enfin, en développant dans le coeur des fidèles la foi en un Dieu qui aime les hommes et veut leur bonheur, vous bannirez peu à peu les peurs et les angoisses qui paralysent parfois votre peuple, dont une vision symbolique du monde, largement répandue, ne favorise pas toujours une appréhension rationnelle de la réalité.



3. Evangéliser, c’est-à-dire annoncer la foi, la nourrir, la soutenir, l’approfondir, lui permettre de porter ses fruits grâce à une catéchèse appropriée: tout cela requiert des ouvriers apostoliques en nombre suffisant.

Je suis heureux de constater que le nombre des prêtres autochtones est en augmentation depuis quelques années et que ceux-ci s’ouvrent de plus en plus à la dimension missionnaire et universelle de l’Eglise. Plusieurs membres du clergé des diocèses du Sud exercent leur ministère, suivant la formule «Fidei Donum», dans la province ecclésiastique de Garoua, certains occupant les fonctions de recteur ou professeur dans des séminaires. Je vous encourage à continuer cette péréquation dans un esprit d’ouverture évangélique: en agissant ainsi, vous développerez une habitude et un goût de l’entraide qui renforceront les liens entre les diocèses au sein de la Conférence épiscopale.

Egalement, je souhaite que vous poursuiviez la mise en place des structures facilitant la vie spirituelle et temporelle des prêtres, afin de leur procurer le ressourcement périodique dont ils ont besoin, de leur assurer les moyens de mener une vie matérielle décente et de favoriser une saine convivialité entre les membres d’un même presbyterium.

Puissent les prêtres, vos premiers collaborateurs, persévérer dans l’enseignement clair de la Parole de Dieu, avec une foi ardente et dans un engagement personnel! Une des choses les plus importantes que Dieu nous demande aujourd’hui, c’est la prédication: dire ce qu’est la vérité, et la proclamer avec amour, miséricorde et sollicitude pastorale.

Enfin, en tant que ministres des sacrements, en particulier du baptême, de l’Eucharistie et de la réconciliation, puissent-ils mettre toujours davantage les hommes en contact avec la tendresse de Dieu et leur faire découvrir progressivement le plan d’amour du Père sur l’ensemble de la famille humaine!



4. J’ai noté les efforts que la plupart des diocèses ont entrepris dans le cadre d’une pastorale des vocations, considérée à bon droit comme «prioritaire». Vous mobilisez les familles, les paroisses, les écoles, les mouvements. Vous organisez des camps diocésains et des récollections, suscitant ainsi dans les coeurs des jeunes le désir de suivre Jésus. Cette campagne a donné du fruit. C’est pour vous, et pour le successeur de Pierre, une grande joie et un motif d’espérance de voir en maints diocèses camerounais croître le nombre de demandes d’entrée au séminaire. Tout en me réjouissant avec vous de cette augmentation, je forme le voeu que vous gardiez le souci de l’authenticité et de la qualité de vie chez les aspirants au sacerdoce. Procurez aux séminaristes les éducateurs compétents qui leur assurent une formation unifiée dans la foi, enracinée dans là Tradition de l’Eglise et intégrant avec discernement les valeurs de la culture africaine afin de préparer de vrais pasteurs et apôtres de Jésus-Christ.



5. Dans vos rapports quinquennaux, j’ai relevé également l’engagement important des religieuses dans la pastorale diocésaine.

Les religieux et les religieuses sont, en raison de leur consécration, intimement liés à la mission du Christ. Comme lui, les personnes consacrées sont appelées à servir: cherchant à être totalement pris par l’amour du Père, elles se veulent aussi entièrement livrées à l’oeuvre de salut du Fils. Cela est vrai de toutes les formes de vie religieuse. La vie du cloître a sa propre fécondité apostolique cachée: en effet, tout en voulant vivre assidûment dans le monastère, moines et moniales proclament au monde que Dieu existe et qu’il est amour, et ils exercent au nom du peuple des baptisés le ministère de la prière ecclésiale publique. Quant aux religieux voués à l’apostolat sur le terrain, ils continuent l’oeuvre salvifique du Christ à travers les services concrets pour lesquels ils sont mandatés par l’Eglise, qui a approuvé leurs constitutions. Je souhaite avec vous que, sous votre responsabilité, religieux et religieuses autochtones développent leur contribution spécifique à l’édification du Corps du Christ, en harmonieuse collaboration avec ceux et celles qui, venus d’autres pays, témoignent, par leur présence active toujours très appréciée, de la communion avec l’Eglise universelle.



6. Pour l’accomplissement de sa mission évangélisatrice, l’Eglise a toujours privilégié l’école catholique. Au Cameroun, comme dans d’autres pays d’Afrique, on reconnaît unanimement le rôle que celle ci a joué et joue encore pour la formation des masses et des élites, en conduisant la personne à la maturité humaine, en lui enseignant non seulement à maîtriser un savoir mais à réaliser son être de fils ou fille de Dieu.

Puisse l’école catholique au Cameroun, avec au besoin l’aide d’enseignants expérimentés venus d’ailleurs, garder son dynamisme, son sérieux disciplinaire, sa tenue morale, et puisse-t-elle continuer à inculquer aux jeunes ce qui est tellement important dans le monde du travail d’aujourd’hui: une conscience professionnelle rigoureuse! Enfin, pour surmonter les difficultés particulières auxquelles se heurte l’enseignement catholique, je vous encourage à poursuivre avec les pouvoirs publics un dialogue que le climat de paix sociale ne peut que rendre fécond.

En ce qui concerne le projet d’Institut Catholique bilingue de Yaoundé, qui vous tient à coeur, je me réjouis de savoir que l’élaboration des statuts progresse grâce au travail conjugué des instances camerounaises et romaines.



7. J’ai relevé avec satisfaction que les relations entre Protestants et Catholiques sont cordiales et positives. En vue d’une action oecuménique encore plus profitable, je vous encourage à approfondir le patrimoine qui nous est commun avec les autres communautés ecclésiales et à clarifier, dans le contexte camerounais, la spécificité catholique.

En outre, étant donné la position en quelque sorte “stratégique” du Cameroun entre les pays subsahariens où l’Islam est actif et les pays d’Afrique centrale ouverts au christianisme, vous me permettrez de réaffirmer brièvement l’attitude de l’Eglise catholique vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas notre foi. Tout en exprimant notre respect envers les frères et soeurs qui professent d’autres religions, nous voulons poursuivre à la fois le dialogue et la proclamation de l’Evangile. Il ne peut être question de choisir l’un et d’ignorer l’autre.

8. En terminant, je voudrais vous confier le soin de transmettre mes salutations cordiales et mes encouragements aux prêtres de vos diocèses respectifs, aux religieux et aux religieuses, aux enseignants catholiques, aux responsables des Mouvements d’action catholique, aux catéchistes, dont la collaboration régulière vous est si précieuse et à qui je rends hommage. Enfin, c’est a tous les fidèles camerounais que je vous demande de porter le salut affectueux du Pape. Que les forces vives de l’Eglise, à la veille des célébrations du centenaire de l’évangélisation du pays, s’engagent à nouveau à témoigner authentiquement de la Bonne Nouvelle!

Je vous bénis de grand coeur ainsi que chacune de vos communautés diocésaines au Cameroun.


[1] Mt 16,16.
[2] Synodi Episc. 1987 Nuntius ad Populum Dei, 12.
[3] Gaudium et Spes, GS 58 § 4.


Octobre 1988


Discours 1988 - Lundi, 11 juillet 1988