Discours 1988 - Strasbourg, Dimanche 9 octobre 1988

RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DE LA COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE

Strasbourg, Dimanche, 9 octobre 1988



Monsieur le Grand Rabbin,
Monsieur le Président du Consistoire Israélite du Bas-Rhin,
Monsieur le Président de la Communauté Israélite de Strasbourg,
Messieurs,



Votre cordial salut et la réflexion spirituelle sur le sens de l’histoire que vous venez de me proposer ne peuvent que m’inspirer à mon tour des souhaits de paix et de prospérité pour vous et pour toute la Communauté israélite.



1. En vous remerciant pour tant de signes d’attention, je voudrais prolonger ces réflexions prenant comme point de départ le verset biblique du prophète Malachie qui est gravé sur votre si belle «Synagogue de la Paix», et que vous avez bien voulu inscrire au coeur de votre adresse: «Ha-lo ‘av ‘Ehad le-Kullà-nu» [1]. «N’avons-nous donc pas tous un seul Père?» Voilà le message de foi et de vérité dont vous êtes les porteurs et les témoins à travers l’histoire, dans la lumière de la Parole et de l’Alliance de Dieu avec Abraham, Isaac, Jacob et toute sa descendance. Un témoignage qui est allé jusqu’au martyre, qui a survécu aux longues ténèbres de l’incompréhension, de l’horrible abîme de la Shoah.



2. Après le Deuxième Concile oecuménique du Vatican, grâce aussi à l’oeuvre de la Commission pour les rapports religieux avec le Judaïsme et du Comité international de liaison entre catholiques et juifs, on a continué – et on continue toujours – à élargir les fondements déjà solides de nos relations fraternelles et à en tirer des conclusions dans le domaine de la coopération à tous niveaux. C’est surtout dans ces institutions que j’encourage le dialogue judéo-chrétien, et je me réjouis avec vous des progrès accomplis grâce à votre participation à cette tâche, avec une estime mutuelle nourrie dans une atmosphère de prière, de conversion, de disponibilité à l’écoute et à l’obéissance à la Parole de Dieu, qui nous appelle à l’amour et au pardon.


3. Oui, par ma voix, l’Eglise catholique, fidèle à ce que le Deuxième Concile oecuménique du Vatican a déclaré, reconnaît la valeur du témoignage religieux de votre peuple, élu de Dieu, comme l’écrit saint Paul: «Du point de vue de l’élection, ils sont aimés, et c’est à cause des pères. Car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables» [2]. Il s’agit d’une élection – comme vous venez de le dire –, en vue de la «sanctification du Nom», pour un service de l’humanité entière. Cette vocation à la sanctification du Nom, vous l’exprimez dans votre prière quotidienne du Qaddish: «Soit magnifié et sanctifié ton grand Nom!». Ou vous la proclamez avec les mots d’Isaïe: «Saint, saint, saint, le Seigneur, le tout-puissant, sa gloire remplit toute la terre!» [3]. Dans les prières de joie ou de pénitence qui sont caractéristiques des fêtes de Rosh ha-Shanah, Kippur et Sukkot que vous avez célébrées il y a quelques jours, vous suppliez et acclamez l’Eternel: «Notre Père, notre Roi, pardonne-nous nos péchés», «Hosha ‘na», «Sauve-nous»!



4. Toutes les Saintes Ecritures – que vous vénérez d’une dévotion profonde comme source de vie – célèbrent le Beau Nom de Dieu, le Père, le Rocher qui a engendré Yeshouroun, «Le Dieu qui t’a mis au monde», comme dit Moïse dans son cantique [4], «Oui, je deviens un père pour Israël», dit le Seigneur par l’oracle de Jérémie, qui dit encore: «Ephraïm est mon fils aîné» [5]; et Isaïe retourne vers lui en disant: «Seigneur, notre père, c’est toi!» [6]. Les Psaumes célèbrent son nom: «Mon Père! mon Dieu! le rocher qui me sauve!» [7]. Dans sa miséricorde, il a aussi révélé son nom qui rappelle son amour maternel, ses entrailles de mère qui a enfanté un fils: «Le Seigneur passa devant Moïse et proclama: le Seigneur, le Seigneur, Dieu miséricordieux et bienveillant» [8].



5. C’est donc par votre prière, par votre histoire et votre expérience de foi, que vous continuez à affirmer l’unité fondamentale de Dieu, sa paternité et sa miséricorde envers tout homme et toute femme, le mystère de son plan de salut universel et les conséquences qui en découlent, selon les principes énoncés par les prophètes, dans l’engagement pour la justice, la paix et les autres valeurs éthiques.



6. Avec le plus grand respect pour l’identité religieuse juive, je voudrais aussi souligner que pour nous, chrétiens, l’Eglise, peuple de Dieu et Corps mystique du Christ, est appelée au long de son chemin dans l’histoire à proclamer à tous la Bonne Nouvelle du Salut dans la consolation du Saint-Esprit. Selon l’enseignement du Deuxième Concile du Vatican, elle pourra mieux comprendre son lien avec vous, certes grâce au dialogue fraternel, mais aussi en méditant sur son propre mystère [9]. Or ce mystère s’enracine dans le mystère de la personne de Jésus-Christ, Juif, crucifié et glorifié. Dans sa Lettre aux Ephésiens, saint Paul écrivait: «Ce mystère, Dieu ne l’a pas fait connaître aux hommes des générations passées comme il vient de le révéler maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes: les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus-Christ, par le moyen de l’Evangile» [10]. Auparavant l’Apôtre, en s’adressant «à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome» [11], avait affirmé: «Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu: vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rend esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père!» [12]. C’est pourquoi, nous aussi, nous reconnaissons et célébrons la gloire de Dieu, le Père, Seigneur de ceux qui l’adorent «en esprit et en vérité» [13].



7. La civilisation européenne garde ainsi ses racines profondes près de cette source d’eau vive que sont les Saintes Ecritures: Dieu unique s’y révèle comme notre Père et nous engage, par ses commandements, à lui répondre par l’amour, dans la liberté. A l’aube d’un nouveau millénaire, l’Eglise, en annonçant à l’Europe l’Evangile de Jésus Christ, découvre chaque fois mieux, avec joie, les valeurs communes, soit chrétiennes soit juives, par lesquelles nous nous reconnaissons comme frères et auxquelles se réfèrent l’histoire, la langue, l’art, la culture des peuples et des nations de ce continent.



8. Où pourrions-nous placer notre espérance, pour la partager avec tous ceux qui ont soif d’une consolation fraternelle, d’un message de vie, d’une solidarité durable et sincère? Que pourrions-nous annoncer ensemble pour rendre notre service spirituel à l’Europe, riche de tant de ressources mais en même temps interrogée par les questions du sens à donner à ces ressources dans le contexte du développement mondial? Permettez-moi ici de vous proposer trois considérations:

– que les peuples européens n’oublient pas que nous tirons notre origine d’un Père commun, et que c’est de cette source que vient, pour nous, le devoir d’une responsabilité réciproque et fraternelle qui doit s’étendre avec la même profondeur à l’égard de chaque personne, image de Dieu, et de chaque peuple du monde;

– que nous, chrétiens, nous prenions de plus en plus conscience de la tâche particulière que nous avons à réaliser en coopération avec les juifs, en raison de notre héritage commun qui nous engage à promouvoir la justice et la paix, à nous opposer à toute discrimination, à vivre selon les exigences des Commandements, fidèles à la voix de Dieu, dans le respect de toute créature. Et je souhaite qu’une véritable collaboration au niveau social puisse se développer, dans bien des domaines, selon les principes que j’ai indiqués dans mon encyclique « Sollicitudo Rei Socialis».

– C’est donc en profonde fidélité à la vocation à laquelle le Dieu de la paix et de la justice nous appelle – et avec nous, tous les peuples européens – que je répète à nouveau avec vous la plus ferme condamnation de tout antisémitisme et de tout racisme, qui s opposent aux principes du christianisme, et pour lesquels il n’existe aucune justification dans les cultures qui veulent s’y référer. Pour les mêmes raisons, nous devons écarter tout préjugé religieux que l’histoire nous a montré comme inspiré par des stéréotypes antijuifs, ou contredisant la dignité de chaque personne.

Que Dieu nous confirme dans ces propos et dans la foi, et nous donne sa consolation, comme dit le Psaume:

«Le Seigneur lui-même donne le bonheur, / et notre terre donne sa récolte. / La Justice marche devant lui, / et ses pas tracent le chemin» [14].

[1] Ml 2,10.
[2] Rm 11,28-29, cit. in Lumen Gentium, LG 16.
[3] Is 6,3.
[4] Cfr. Dt 32,18.
[5] Jr 31,9.
[6] Is 64,7.
[7] Ps 89,27.
[8] Ex 34,6.
[9] Nostra Aetate, NAE 4.
[10] Ep 3,5-6.
[11] Rm 1,7.
[12] Ibid. Rm 8,15.
[13] Jn 4,24.
[14] Ps 85,13-14.


À L'OCCASION DU BIMILLÉNAIRE DE LA FONDATION DE STRASBOURG

Dimanche, 9 octobre 1988


Monsieur le Maire,
Chers amis Strasbourgeois,

1. Vous voici à l'étape du bimillénaire de votre ciré, qui devance à peine le bimillénaire de l’histoire chrétienne. Plus de neuf siècles après les voyages en Alsace de mon prédécesseur Léon IX, originaire de cette province, je suis heureux d’être au milieu de vous. Je vous remercie de l’accueil merveilleux que vous me réservez. Et le voudrais dire ma gratitude toute particulière à votre Maire, Monsieur le Sénateur Marcel Rudloff qui, avec la municipalité et toutes les autorités, me reçoit dans cette ville avec une délicatesse et une générosité qui me touchent profondément.

Ainsi, je me sens associé à votre fête familiale.

Deux mille années humaines ont donné à votre cité sa vraie richesse. A chaque génération, toute une expérience se transmet et se renouvelle en même temps. Une ville est comme un corps vivant formé de ses innombrables citoyens, célèbres ou restés anonymes. Un même héritage les unit. Et, à chaque époque, des apports nouveaux sont reçus et assimilés. Ainsi l’antique Argentoratum reçoit le message de l’Evangile et devient chrétienne. Au cours des âges, le confluent de l’Ill et du Rhin voit arriver des peuples venus des quatre points cardinaux. Place forte sur la route du Rhin, Strasbourg mûrit sa vocation de lieu de rencontre entre ceux qui passent; et, en même temps, elle construit sa véritable personnalité, affermie par la mémoire collective qui demeure vivante dans la communauté.

2. Les heures ont passé, joyeuses ou douloureuses, à l’image de votre célèbre horloge qui rythme les jours, avec le passage des porteurs de la Bonne Nouvelle et le passage de la mort. Les jours se succèdent ici au rythme du monde, comme l’horloge accorde l’heure de la cité à l’heure de la planète et des astres.

Les querelles des Empires et des Royaumes n’ont pas épargné votre ville, à toutes les époques. Mais Strasbourg a su demeurer elle-même, comme en témoigne le beau titre de “Ville libre” qu’elle a conquis. Elle projette son âme très haut dans le ciel, en élevant cette cathédrale, signe de sa foi et symbole de son unité.

Votre cathédrale, édifiée avec toute la générosité d’un peuple uni dans l’Eglise, est le témoin de la ferveur des croyants. Elle a connu aussi, on ne peut l’oublier, le temps des divisions entre les chrétiens, parfois même de la négation de la foi.

Ce creuset d’épreuves, au long de l’histoire, fait ressentir plus vivement la soif de l’unité; il prépare à la réconciliation entre peuples, entre frères, dont votre ville est un lieu privilégié et cette cathédrale un puissant symbole.

3. Depuis le serment de Strasbourg, acte de paix entre deux souverains et leurs peuples, prononcé en langue tudesque et en langue romane, vous connaissez la rencontre de deux cultures. On peut admirer la fécondité qui en résulte dans la vie intellectuelle de cette cité, dans l’oeuvre de ses fils qui ont forgé leur propre patrimoine culturel au contact de grands esprits attirés par une atmosphère ouverte et créative. Théologiens, spirituels, poètes, humanistes, orateurs, savants ont su entrer dans les échanges d’idées qui traversaient l’Europe, et ils ont constitué ici une pléiade prestigieuse dont vous êtes légitimement fiers.

A présent, l’Université témoigne de la vitalité constante des études et de la recherche de haut niveau. Parmi les instituts de toutes les disciplines universitaires, la présence des Facultés de théologie marque heureusement l’importance de la culture religieuse dans la vie intellectuelle. Je salue parmi vous les maîtres et les étudiants qui contribuent au prestige de votre cité, à la suite de leurs illustres devanciers.

Parcourant les rues de la ville, déployées autour de la cathédrale, j’ai pu voir aussi quel riche patrimoine artistique vous conservez vivant.

Au Moyen Age, au temps de la Renaissance, aux époques classiques, bâtisseurs et artistes ont donné à Strasbourg une physionomie attachante. Ses monuments et ses demeures reflètent le meilleur d’une culture et d’un art de vivre. Et maintenant, vous continuez à construire, à développer la production artistique, la tradition musicale à laquelle vous tenez. Que tous ceux qui sont à l’oeuvre aient bien conscience de travailler à ce que la ville entière demeure un corps vivant!

4. Chers amis Strasbourgeois, votre bimillénaire vous permet de ranimer la mémoire commune, de raviver le souvenir des grands moments de votre passé, de célébrer les hommes et les femmes qui ont laissé leur empreinte dans votre histoire. Je partage votre reconnaissance à l’égard de ceux qui ont bâti la ville et forgé sa personnalité.

Un si riche passé, une expérience si diverse, le souvenir des temps difficiles, tout cela vous crée des devoirs. Vous devez veiller à ce qu’aucun d’entre vous ne reste démuni ou isolé, à l’écart de la prospérité de la cité. Vous avez à vous montrer fidèles à la vocation de Strasbourg, carrefour en Europe, centre actif d’échanges économiques, culturels, spirituels. C’est dans ce sens que je forme des voeux pour votre ville, au coeur de ce continent qui espère fonder son unité sur l’expérience et la vitalité de foyers généreux comme le vôtre.

Ihr Elsässer hàn die Chance, so e Bruck ze sen.
Bliiwe der Bestimmung trejj! Gott beschütze diese Stadt!

Successeur de Pierre venu à votre rencontre aujourd’hui, en union avec votre Archevêque, j’invoque sur Strasbourg le patronage de Notre-Dame, la Vierge radieuse.

J’appelle sur vous tous la grâce du Christ, afin qu’il garde votre ville fidèle et vivante dans la paix.



AUX PARTICIPANTS AU SYNODE DIOCÉSAIN DANS LA CATHÉDRALE DE NANCY

Nancy, Lundi 10 octobre 1988




1. “Vous êtes le Corps du Christ et membres chacun pour sa part”.

Chers Frères et Soeurs,

C’est à tous ceux qui exerçaient leurs ministères et leurs charismes dans la communauté chrétienne de Corinthe que l’Apôtre Paul adressait ces mots. Aujourd’hui, je suis heureux de saluer pareillement Monseigneur Jean Bernard et toute l’Eglise du diocèse de Nancy et Toul qui se réunit autour de lui, représentée par les membres du Synode diocésain. Beaucoup d’autres diocèses de France, presque une vingtaine, ont fait ou font actuellement l’expérience d’un synode un peu semblable: je salue leurs évêques et tous les délégués ici présents, spécialement ceux du diocèse voisin de Saint-Dié. Tout à l’heure, Place Carnot, priant avec l’ensemble du peuple chrétien de cette cité, j’évoquerai davantage les défis et les espoirs du diocèse qui m’accueille; maintenant, je voudrais réfléchir avec vous sur l’intérêt de la démarche synodale, sur sa méthode et ses objectifs, et sur l’articulation de l’Eglise particulière avec l’Eglise universelle.

2. Le Synode diocésain se situe dans la ligne de la coresponsabilité de tous les diocésains autour de l’évêque, comme le Conseil pastoral qui est lui-même un fruit du Concile. Le Code de Droit canonique en a fait une structure primordiale de l’Eglise particulière; contrairement à ce qui existait auparavant, le synode diocésain est ouvert à ses délégués représentant les diverses composantes du diocèse, prêtres, religieux, laïcs; une telle assemblée peut aborder toutes les questions qui concernent le bien de la communauté diocésaine, lorsque les circonstances le suggèrent, au jugement de l’évêque. Comme je le disais au clergé de Rome le 18 février dernier, c’est la grande communauté du peuple de Dieu qui est concernée, avec ses droits, ses devoirs, sa mission, dans une optique pastorale, oecuménique, ouverte sur les besoins spirituals du monde.

Le Synode extraordinaire des Evêques tenu à Rome en 1985 avait souligné certains points majeurs du Concile qui trouvent dans l’expérience du Synode diocésain une application significative: le mystère de l’Eglise peuple de Dieu, la communion de tous les fidèles dans le Corps du Christ, la participation et la coresponsabilité, à tous le degrés, des hommes et des femmes qui constituent l’Eglise, sans préjudice pour l’unité hiérarchique. Le Synode diocésain est vraiment un lieu et un temps forts de la vie de l’Eglise particulière qui la révèle de façon privilégiée.

3. Le Code de Droit Canonique donne les normes qui guident le fonctionnement du Synode diocésain. A l’intérieur de ce cadre, la pratique peut varier et les expériences, encore récentes, pourront enrichir cette institution. Les synodes actuels requièrent une certaine durée: le vôtre est commencé depuis trois ans, et s’achemine vers deux célébrations majeures l’an prochain. Il doit s’entourer de garanties de travail sérieux, s’assurer des représentations équitables, procéder avec prudence selon des étapes bien précises de consultations, d’enquêtes, d’écoutes réciproques, de discussions, d’approfondissement, enfin d’orientations pastorales et de décisions dont la promulgation revient à l’évêque, car les votes sont consultatifs. Il est important qu’il aboutisse à un acte qui engage la communauté. Mais son intérêt réside aussi dans la dynamique qu’il crée et entretient. Il est comme une halte sur le chemin que doit parcourir l’Eglise particulière, pour vérifier les expériences faites, redéfinir les priorités apostoliques et reprendre ensemble le chemin dans une perspective missionnaire. La démarche synodale sera d’autant plus réussie que le peuple chrétien demeurera actif, en tenant compte des points de repère fermement tracés.

4. Une autre richesse du Synode diocésain est la confrontation d’expériences diverses et la complémentarité des rôles et des ministères dans l’Eglise. Les laïcs, hommes et femmes jeunes et adultes, sont appelés à mettre pleinement en oeuvre ce à quoi les habilitent leur baptême et leur confirmation, pour travailler du dedans à la sanctification du monde et prendre part à la mission évangélisatrice de l’Eglise. Ils peuvent mieux comprendre le caractère spécifique du ministère sacerdotal qui traduit le rôle du Christ-Tête, source de toute grâce et rassembleur du troupeau. Les religieux et les religieuses rappellent à un titre spécial la disponibilité foncière et la liberté nécessaires au Royaume, sa dimension transcendante et eschatologique. Entre tous s’établit une sorte de partenariat dont la richesse est faite de tous ces apports et dont la force vient de leur articulation nécessaire au ministère ordonné du Pasteur du diocèse et de ses coopérateurs. Puisse cette coresponsabilité exprimer toujours mieux le mystère de communion de l’Eglise, qui a sa source profonde dans les sacrements du baptême, de l’Eucharistie et de l’Ordre, dans la Parole de Dieu, dans l’amour du Père, la grâce du Christ, le don de l’Esprit Saint.

5. Précisément – et Monseigneur Bernard l’a bien souligné –, le synode est avant tout une grande réunion de croyants, de croyants responsables, et non pas un forum acceptant toutes sortes d’opinions ou de discussions. Les membres du synode doivent d’abord prendre en compte la foi, la Révélation, le mystère de l’Eglise. Ils doivent approfondir ou retrouver leur identité chrétienne. Et pour cela, puiser aux sources: la Parole de Dieu, l’enseignement du Magistère, spécialement l’apport du dernier Concile. Ce Concile avait mis au premier plan de ses travaux la réflexion sur l’Eglise, qui a abouti à la Constitution dogmatique “Lumen Gentium”. Le synode dont j’avais pris l’initiative à Cracovie lorsque j’en étais l’Archevêque avait pour principal objectif de mieux assimiler et appliquer le Concile. Je suis heureux de savoir que, durant les six mois qui viennent, le diocèse de Nancy va mettre en oeuvre une catéchèse sur l’Eglise. Un tel approfondissement de la foi comporte étude, échanges, enseignements; il requiert aussi tout un climat de prière. Un synode est une célébration qui s’ouvre par une grande profession de foi. Il s’agit, en somme, d’écouter ce que l’Esprit dit à l’Eglise, de le faire avec Marie, Mère de l’Eglise. “Enracinés dans la foi”, vous serez pleins d’espérance devant les défis du monde.

6. De ces prémisses sur la nature du synode diocésain dérivent sa méthode et ses objectifs concrets.

Avec le regard de la foi, vous avez à coeur de scruter la vie réelle des personnes et des groupes dans le diocèse, pour mieux déterminer les efforts d’évangélisation. Ce qui vous frappe d’abord, ce sont les conditions de vie de vos compatriotes et, dans bien des cas, les détresses humaines qu’elles entraînent. Vous soulignez notamment les situations dramatiques créées par le chômage et le sous-emploi. L’Evangile fait aux chrétiens un devoir pressant d’être attentifs et solidaires devant toutes les formes de pauvreté.

D’autres aspects, plus positifs, marquent la vie de votre région et constituent aussi des défis pour l’évangélisation, comme la venue de nombreux immigrés qui doivent pouvoir compter sur un accueil fraternel. Le développement des études universitaires et de la recherche scientifique, l’essor des technologies avancées invitent les chrétiens à approfondir le message évangélique en dialogue avec la culture contemporaine.

7. Si les bouleversements sociaux ont de profondes répercussions spirituelles, ils ne sont pas directement la cause de la déchristianisation. Celle-ci vient plutôt d’un manque de vigueur spirituelle, de formation à la foi.

Il vous faut donc scruter avec soin les faits de la vie ecclésiale et comprendre leurs causes: ceux où l’on dénote une indifférence religieuse, une baisse de la foi, de la pratique religieuse, de la prière, des valeurs morales, des vocations: ceux aussi qui révèlent des dynamismes spirituels nouveaux, des chances.

Au sujet des comportements éthiques, le Concile Vatican II fournit une précieuse grille de lecture et d’analyse dans la constitution “Gaudium et Spes”. D’importants secteurs de la vie humaine y sont examinés au regard du dessein de Dieu: l’amour conjugal, le mariage, la famille; la promotion de la culture; la dignité du travail et la participation à la vie économico-sociale; les responsabilités concernant le bien commun dans l’activité politique, les problèmes d’échanges internationaux, de justice et de paix. Il s’agit en effet de bâtir, avec Dieu Créateur, un monde nouveau.

8. Un synode ne saurait en rester à l’analyse des situations. Il doit préparer une conversion des mentalités, des cultures, par l’impact de la Bonne Nouvelle. Vous devez donc chercher surtout les moyens de mieux annoncer l’Evangile et de l’incarner dans les situations concrètes de la vie. Cet Evangile devra apparaître à tous, croyants et mal-croyants, comme une Bonne Nouvelle, une manifestation de l’amour de notre Dieu, qui a envoyé son Fils pour sauver le monde, non pour condamner, pour redonner espérance à ceux qui sont pauvres, opprimés, découragés, aveugles sur le sens de leur vie, prisonniers de leur fragilité ou de leur péché. Cet amour a évidemment ses exigences. La rénovation selon les béatitudes inclut humilité, pureté, soif de justice, partage, paix, pardon, charité, recherche de la volonté de Dieu et du salut offert par Dieu.

9. Il n’y a ni conversion des mentalités ni renouveau chrétien des structures sans conversion personnelle. Un synode cherche les moyens pastoraux d’appeler à cette conversion; il prend en considération le langage susceptible de toucher les coeurs, la place unique de la prière et des sacrements, spécialement du sacrement de la réconciliation. II prévoit l’accompagnement patient des chrétiens plus passifs ou peu pratiquants.

Il n’oublie pas ceux qui sont loins, indifférents, ou même hostiles, afin qu’ils bénéficient d’une présence missionnaire et d’un témoignage qui les interpelle, dans le respect de leur conscience. Le synode doit être aussi un appel aux ouvriers pour la moisson. Vous êtes “l’Eglise que Dieu envoie”.

10. Vous garderez à l’esprit un aspect capital: votre lien avec l’Eglise universelle. En effet, une Eglise particulière ne peut jamais être une communauté fermée sur elle-même. Elle représente, ou mieux, elle incarne l’Eglise universelle: “Les Eglises particulières sont formées à l’image de l’Eglise universelle, c’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Eglise catholique une et unique”. C’est un honneur et une responsabilité. Certes, vous avez vos problèmes spécifiques; et il vous faut donc imaginer et réaliser votre chemin pastoral. Mais vous prenez place dans une grande Tradition qui remonte aux Apôtres; nous n’inventons pas le chemin aujourd’hui. Votre identité catholique tient à vos particularités; mais elle dépend en même temps de votre conformité à l’Eglise universelle, une et identique pour tout ce qui concerne la foi, les normes des moeurs, la discipline commune à l’ensemble de l’Eglise. Les Eglises locales doivent toujours et partout s’en inspirer, les faire leurs et inscrire leurs projets dans cette unité substantielle. Chaque Eglise particulière fait corps avec son évêque, responsable de l’unité et de la fidélité de cette portion d’Eglise et de son lien avec l’Eglise universelle. Et toutes les Eglises particulières font corps ensemble, avec leurs évêques, autour du successeur de Pierre. Tel est le service que le Seigneur m’a confié et que je recommande à votre prière: affermir mes frères dans la foi et les aider à vivre dans la communion de l’Eglise, Corps du Christ.

11. Cette communion est à la fois obéissance, échange, participation, solidarité. L’Eglise universelle inspire et soutient votre action, et vous, vous la faites bénéficier de votre témoignage, de votre vitalité et de votre entraide. Votre réflexion synodale doit vous engager à vivre au rythme des grands projets missionnaires des autres communautés chrétiennes dans le monde, ouverts à leurs richesses complémentaires et à leurs besoins matériels et spirituels. C’est ce qu’avaient bien compris les missionnaires issus de chez vous, notamment le bienheureux Père Gérard. Un synode est une relance missionnaire.

Voilà mes voeux pour votre Synode, chers délégués de Nancy et des autres diocèses, et voilà ma prière. Vous avez été choisis, mais vous êtes là pour mieux faire participer au synode le plus grand nombre de vos frères et soeurs du diocèse. Que le Seigneur bénisse votre démarche ecclésiale! Que Notre-Dame du Bon Secours vous garde unis à l’écoute de l’Esprit Saint! Et que l’Esprit Saint affermisse votre espérance!


RENCONTRE AVEC LES RELIGIEUX DE L'ALSACE AU SANCTUAIRE DU MONT SAINT-ODILE

Strasbourg, Mardi 11 octobre 1988


Chers Frères et Soeurs,



1. «Maintenant nous sommes tous là devant Dieu» [1].

C’est avec beaucoup de joie que le vous rencontre sur ce Mont Saint-Odile, haut lieu de la prière et de la charité, site prestigieux de l’Alsace, qui a vu arriver au long des siècles tant de visiteurs et de pèlerins, saisis par la beauté unique de son panorama grandiose, et intérieurement régénérés par son atmosphère spirituelle tonifiante.

Comment ne pas éprouver une forte sensation de liberté, d’ouverture et d’épanouissement devant cet immense horizon? Comment ne pas ressentir un appel à rencontrer Dieu dans le silence du coeur là où Odile, les grandes Abbesses qui lui ont succédé et tant de religieuses ont fait l’expérience de sa présence familière? La vérité et la beauté de la sagesse, elles ont voulu les proposer au plus grand nombre, comme en témoigne l’oeuvre célèbre d’Herrade de Landsberg, le Hortus deliciarum.

Je rends grâce au Seigneur d’être venu ici aujourd’hui prendre souffle avec vous et je remercie la Providence d’avoir mis mes pas dans ceux de mon lointain prédécesseur, saint Léon IX, originaire de cette province, à qui il fut donné de consacrer ce mont splendide.

Je vous salue tous cordialement.

Je vous salue, moniales des communautés contemplatives d’Alsace, religieuses engagées dans le monde scolaire, dans le monde de la santé, dans les paroisses et les missions.

Je vous salue, prêtres diocésains ou religieux.

Je vous salue, laïcs adorateurs qui vous relayez jour et nuit pour une prière ininterrompue depuis presque trois quarts de siècle.

Je vous salue, habitants des paroisses voisines.



2. Le livre des Actes des Apôtres, dont on vient de nous lire un passage, rapporte les commencements de l’Eglise, avec la fraîcheur et le dynamisme qui marquent les oeuvres naissantes.

Vous aussi, Soeurs et Frères qui appartenez à des Instituts religieux, vous avez pris avec ferveur la suite du Christ et, à l’exemple des protagonistes de la première évangélisation du monde, vous continuez à centrer votre regard sur la personne du Seigneur ressuscité, chemin, vérité et vie pour tout homme. Comme les Apôtres Pierre et Paul, comme le diacre Philippe, vous annoncez Jésus et vous proclamez qu’il est vivant. Vous le faites par le témoignage de votre vie de prière contemplative, par vos activités paroissiales, par votre dévouement auprès des malades et des personnes handicapées, par votre ministère d’enseignants chrétiens auprès des jeunes à qui vous inculquez une vision chrétienne du monde. Dans votre mouvance, les adorateurs qui prient jour et nuit sur ce mont témoignent eux aussi que Jésus est Seigneur et qu’à Lui appartiennent la louange et la gloire.

Dans le sillage de l’Apôtre Pierre, vous dites, à votre manière, «ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean: Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force» [2].

Je rends grâce au Seigneur pour la fécondité de l’oeuvre évangélisatrice des fils et des filles d’Alsace, dont le rayonnement va bien au-delà des frontières du continent européen et s’étend à de nombreux diocèses partout dans le monde. Je vous encourage à poursuivre cette proclamation de la Bonne Nouvelle avec la même sereine détermination que l’Apôtre Paul, dont il est dit au verset final des Actes: «Il annonçait le règne de Dieu et il enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ avec une assurance totale et sans entraves» [3].

3. Cette assurance totale est le don que le Christ a fait à son Eglise, le jour de Pâques, lorsque, se manifestant aux disciples réunis dans le Cénacle, il déclara: «La paix soit avec vous! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie» [4].

Cette paix du Christ, nous avons mission de l’offrir au monde qui en éprouve un pressant besoin et qui l’attend particulièrement des personnes consacrées. Vous donnez, en effet, le témoignage d’une vraie vie personnelle, ce qui est le désir de tout être humain et devient de plus en plus difficile dans une société grégaire. Vous donnez également le témoignage d’une vie pacifiée, qui attire les personnes en quête d’une existence ordonnée, unifiée et stabilisée par la foi. On découvre chez vous la joie, le don de soi, l’obéissance, la liberté et l’art de bien user des choses d’ici-bas, qui font de vos familles religieuses autant de petites sociétés où prédomine l’esprit de l’Evangile avec la paix profonde résultant de la pratique des Béatitudes.



4. Cette paix intérieure, don du Christ ressuscité, est en même temps une conquête que vous faites en prenant pour y parvenir les voies exigeantes de la chasteté, de la pauvreté et de l’obéissance. Ce qui rend «évangéliques» ces manières de vivre, c’est que vous les choisissez précisément pour marcher à la suite du Christ.

Le choix que vous avez fait du célibat et de la chasteté parfaite est indissociable de la foi en la vie éternelle. Dans un monde qui a du mal à croire en la résurrection des morts, vous proclamez que la plénitude de la vie nous est donnée au delà du passage de la mort et que cette vie-ci n’en est que le prélude. Saint Augustin ne voyait-il pas dans le célibat consacré une sorte de méditation perpétuelle sur la vie éternelle, alors que l’on vit encore dans un corps périssable?

Nous le constatons: la richesse émousse la sensibilité au message du Christ. Jésus n’avait-il pas annoncé les difficultés pour les riches à entrer dans le Royaume des cieux? Par la simplicité voulue de votre mode de vie, qui vous fait opérer un certain renoncement aux biens éphémères qui fascinent nos contemporains, vous rappelez le détachement nécessaire à tout chrétien afin de pouvoir investir pleinement dans les valeurs évangéliques de l’amour de Dieu et du prochain.

Enfin, au prix du renoncement à la volonté propre, l’obéissance développe en vous cette attitude d’accueil qui fait écouter en allant à la rencontre de quelqu’un ou écouter celui qui vient à notre rencontre. Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme considère que faire ainsi la volonté de Dieu n’est nullement frustrant mais bien au contraire épanouissant.

En prenant les chemins des voeux, qui mènent à la paix pascale, vous avez conscience de participer à la croix du Christ, voie obligée vers la Résurrection.



5. A la communauté chrétienne, vous offrez des modèles de vie qui emportent son adhésion secrète. Les chrétiens ont besoin de la fidélité de vos Instituts pour être fidèles eux-mêmes. Ils ont besoin de votre large fraternité et de votre capacité d’accueil pour rester fraternels et accueillants à leur tour. Ils ont besoin de l’exemple de votre amour, à l’intérieur et à l’extérieur de votre Institut, pour vaincre les barrières de l’incompréhension. Ils ont besoin de votre exemple de consécration aux valeurs du Royaume de Dieu pour éviter les dangers du matérialisme pratique. Ils ont besoin de votre perspective d’universalité ecclésiale pour demeurer ouverts à la dimension du monde.



6. Chers Frères et Soeurs, vous représentez pour l’Eglise et pour le monde des forces vives considérables. Vous êtes les témoins de la prière. Vous annoncez l’Evangile et vous mettez les hommes en contact avec Dieu par les sacrements. Vous soutenez le ministère du prêtre en paroisse. Vous remplissez une tâche éducative, sanitaire, sociale, qui correspond tellement bien à la charité ecclésiale! Vous accompagnez les fidèles dans la catéchèse, les mouvements, les oeuvres missionnaires. Vous faites cela avec beaucoup de disponibilité, et c’est cette disposition foncière d’ouverture à l’amour de Dieu qui vous rend utiles. Aidés par les voeux, qui creusent encore davantage en vous la possibilité d’accueil, vous devenez de plus en plus capaces Dei, ce qui est la vocation même de l’homme.



7. Enfin, au coeur de votre vie, il y a l’Eucharistie, adorée jour et nuit sur ce mont. C’est elle qui nourrit votre prière et votre action. Vous y trouvez la force de votre vie consacrée. Vous y reconnaissez l’assurance de la présence réellement transformante du Christ ressuscité, qui est avec nous jusqu’à la fin du monde.

Je lui confie de tout coeur, par l’intermédiaire de Notre-Dame, chacun et chacune d’entre vous ainsi que toutes vos communautés, et je vous bénis, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

[1] Ac 10,31.
[2] Ac 10,37-38.
[3] Ibid. Ac 28,31.
[4] Jn 20,21.




Discours 1988 - Strasbourg, Dimanche 9 octobre 1988