Discours 1988 - Strasbourg, Mardi 11 octobre 1988

LORS DE LA VISITE AU PARLEMENT EUROPÉEN

Palais d'Europe - Strasbourg (France), Mardi, 11 octobre 1988

Mr President,
Ladies and Gentlemen,


I

1. … en anglais

2. Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, le Saint-Siège n’a pas cessé d’encourager la construction de l’Europe. Certes, l’Eglise a pour mission de faire connaître à tous les hommes leur salut en Jésus-Christ, quelles que soient les conditions de leur histoire présente, car il n’y a jamais de préalable à cette tâche. Aussi, sans sortir de la compétence qui est la sienne, considère-t-elle comme son devoir d’éclairer et d’accompagner les initiatives développées par les peuples qui vont dans le sens des valeurs et des principes qu’elle se doit de proclamer, attentive aux signes des temps qui invitent à traduire dans les réalités changeantes de l’existence les requêtes permanentes de l’Evangile.

Comment l’Eglise pourrait-elle se désintéresser de la construction de l’Europe, elle qui est implantée depuis des siècles dans les peuples qui la composent et les a un jour portés sur les fonts baptismaux, peuples pour qui la foi chrétienne est et demeure l’un des éléments de leur identité culturelle?



3. L’Europe d’aujourd’hui peut certainement accueillir comme un signe des temps l’état de paix et de coopération définitivement installé entre ses Etats membres, qui pendant des siècles avaient épuisé leurs forces à se faire la guerre et à rechercher l’hégémonie les uns sur les autres.

Signe des temps encore, la sensibilité accrue aux droits de l’homme et à la valeur de la démocratie, dont votre Assemblée est l’expression et veut aussi être le garant. Cette adhésion est d’ailleurs toujours à confirmer pour que prévale en toutes circonstances le respect du droit et de la dignité de la personne humaine.

Signe des temps aussi, croyons-nous, le fait que cette partie de l’Europe, qui a jusqu’ici tant investi dans le domaine de sa coopération économique, soit de plus en plus intensément à la recherche de son âme, et d’un souffle capable d’assurer sa cohésion spirituelle. Sur ce point, me semble-t-il, l’Europe que vous représentez se trouve au seuil d’une nouvelle étape de sa croissance, tant pour elle-même que dans sa relation avec le reste du monde.


4. L’«Acte unique», qui entrera en vigueur à la fin de 1992, va hâter le processus de l’intégration européenne. Une structure politique commune, émanation de la libre volonté des citoyens européens, loin de mettre en péril l’identité des peuples de la Communauté, sera plus à même de garantir plus équitablement les droits, notamment culturels, de toutes ses régions. Ces peuples européens unis n’accepteront pas la domination d’une nation ou d’une culture sur d’autres, mais soutiendront le droit égal pour toutes d’enrichir les autres de leur différence.

Les empires du passé ont tous failli, qui tentaient d’établir leur prépondérance par la force de coercition et la politique d’assimilation. Votre Europe sera celle de la libre association de tous ses peuples et de la mise en commun des multiples richesses de sa diversité.



5. D’autres nations pourront certainement rejoindre celles qui aujourd’hui sont ici représentées. Mon voeu de Pasteur suprême de l’Eglise universelle, venu de l’Europe de l’Est et qui connaît les aspirations des peuples slaves, cet autre «poumon» de notre même patrie européenne, mon voeu est que l’Europe, se donnant souverainement des institutions libres, puisse un jour se déployer aux dimensions que lui ont données la géographie et plus encore l’histoire. Comment ne le souhaiterais-je pas, puisque la culture inspirée par la foi chrétienne a profondément marqué l’histoire de tous les peuples de notre unique Europe, grecs et latins, germaniques et slaves, malgré toutes les vicissitudes et par-delà les systèmes sociaux et les idéologies?



6. Les nations européennes se sont toutes distinguées dans leur histoire par leur ouverture sur le monde et les échanges vitaux qu’elles ont établis avec les peuples d’autres continents. Nul n’imagine qu’une Europe unie puisse s’enfermer dans son égoïsme. Parlant d’une seule voix, unissant ses forces, elle sera en mesure, plus encore que par le passé, de consacrer ressources et énergies nouvelles a la grande tâche du développement des pays du tiers-monde, spécialement ceux qui entretiennent déjà avec elle des liens traditionnels. La «Convention de Lomé», qui a donné lieu à une coopération institutionnalisée entre des membres de votre Assemblée et des représentants de soixante-six pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, est à bien des égards exemplaire. La coopération européenne sera d’autant plus crédible et fructueuse qu’elle se poursuivra, sans arrière-pensée de domination, avec l’intention d’aider les pays pauvres à prendre en charge leur propre destin.


II

7. Monsieur le Président, le message de l’Eglise concerne Dieu et la destinée ultime de l’homme, questions qui ont au plus haut point imprègne la culture européenne. En vérité, comment pourrions-nous concevoir l’Europe privée de cette dimension transcendante?

Depuis que, sur le sol européen, se sont développés, à l’époque moderne, les courants de pensée qui ont peu à peu écarté Dieu de la compréhension du monde et de l’homme, deux visions opposées alimentent une tension constante entre le point de vue des croyants et celui des tenants d’un humanisme agnostique et parfois même «athée».

Les premiers, considèrent que l’obéissance à Dieu est la source de la vraie liberté, qui n’est jamais liberté arbitraire et sans but, mais liberté pour la vérité et le bien, ces deux grandeurs se situant toujours au-delà de la capacité des hommes de se les approprier complètement.

Sur le plan éthique, cette attitude fondamentale se traduit par l’acceptation de principes et de normes de comportement s’imposant à la raison ou découlant de l’autorité de la Parole de Dieu, dont l’homme, individuellement ou collectivement, ne peut disposer à sa guise, au gré des modes ou de ses intérêts changeants.



8. La deuxième attitude est celle qui, ayant supprimé toute subordination de la créature à Dieu, ou à un ordre transcendant de la vérité et du bien, considère l’homme en lui-même comme le principe et la fin de toutes choses, et la société, avec ses lois, ses normes, ses réalisations, comme son oeuvre absolument souveraine. L’éthique n’a alors d’autre fondement que le consensus social, et la liberté individuelle d’autre frein que celui que la société estime devoir imposer pour la sauvegarde de celle d’autrui.

Chez certains, la liberté civile et politique, jadis conquise par un renversement de l’ordre ancien fondé sur la foi religieuse, est encore conçue comme allant de pair avec la marginalisation, voire la suppression de la religion, dans laquelle on a tendance à voir un système d’aliénation. Pour certains croyants, en sens inverse, une vie conforme à la foi ne serait possible que par un retour à cet ordre ancien, d’ailleurs souvent idéalisé. Ces deux attitudes antagonistes n’apportent pas de solution compatible avec le message chrétien et le génie de l’Europe. Car, lorsque règne la liberté civile et que se trouve pleinement garantie la liberté religieuse, la foi ne peut que gagner en vigueur en relevant le défi que lui adresse l’incroyance, et l’athéisme ne peut que mesurer ses limites devant le défi que lui adresse la foi. Devant cette diversité des points de vue, la fonction la plus élevée de la loi est de garantir également à tous les citoyens le droit de vivre en accord avec leur conscience et de ne pas contredire les normes de l’ordre moral naturel reconnues par la raison.



9. A ce point, il me paraît important de rappeler que c’est dans l’humus du christianisme que l’Europe moderne a puisé le principe – souvent perdu de vue pendant les siècles de «chrétienté» – qui gouverne le plus fondamentalement sa vie publique: je veux dire le principe, proclamé pour la première fois par le Christ, de la distinction de «ce qui est à César» et de «ce qui est à Dieu» [1].

Cette distinction essentielle entre la sphère de l’aménagement du cadre extérieur de la cité terrestre et celle de l’autonomie des personnes s’éclaire à partir de la nature respective de la communauté politique à laquelle appartiennent nécessairement tous les citoyens et de la communauté religieuse à laquelle adhérent librement les croyants.

Après le Christ, il n’est plus possible d’idolâtrer la société comme grandeur collective dévoratrice de la personne humaine et de son destin irréductible. La société, l’Etat, le pouvoir politique appartiennent au cadre changeant et toujours perfectible de ce monde. Nul projet de société ne pourra jamais établir le Royaume de Dieu, c’est-à-dire la perfection eschatologique, sur la terre. Les messianismes politiques débouchent le plus souvent sur les pires tyrannies. Les structures que les sociétés se donnent ne valent jamais d’une façon définitive; elles ne peuvent pas non plus procurer par elles-mêmes tous les biens auxquels l’homme aspire. En particulier, elles ne peuvent se substituer à la conscience de l’homme ni à sa quête de la vérité et de l’absolu.

La vie publique, le bon ordre de l’Etat reposent sur la vertu des citoyens, qui invite à subordonner les intérêts individuels au bien commun, à ne se donner et à ne reconnaître pour loi que ce qui est objectivement juste et bon. Déjà les anciens Grecs avaient découvert qu’il n’y a pas de démocratie sans assujettissement de tous à la loi, et pas de loi qui ne soit fondée sur une norme transcendante du vrai et du juste.

Dire qu’il revient à la communauté religieuse, et non à l’Etat, de gérer «ce qui est à Dieu», revient à poser une limite salutaire au pouvoir des hommes, et cette limite est celle du domaine de la conscience, des fins dernières, du sens ultime de l’existence, de l’ouverture sur l’absolu, de la tension vers un achèvement jamais atteint, qui stimule les efforts et inspire les choix justes. Toutes les familles de pensée de notre vieux continent devraient réfléchir à quelles sombres perspectives pourrait conduire l’exclusion de Dieu de la vie publique, de Dieu comme ultime instance de l’éthique et garantie suprême contre tous les abus du pouvoir de l’homme sur l’homme.



10. Notre histoire européenne montre abondamment combien souvent la frontière entre «ce qui est à César» et «ce qui est à Dieu» a été franchie dans les deux sens. La chrétienté latine médiévale – pour ne mentionner qu’elle –, qui pourtant a théoriquement élaboré, en reprenant la grande tradition d’Aristote, la conception naturelle de l’Etat, n’a pas toujours échappé à la tentation intégriste d’exclure de la communauté temporelle ceux qui ne professaient pas la vraie foi. L’intégrisme religieux, sans distinction entre la sphère de la foi et celle de la vie civile, aujourd’hui encore pratiqué sous d’autres cieux, paraît incompatible avec le génie propre de l’Europe tel que l’a façonné le message chrétien.

Mais c’est d’ailleurs que sont venues, en notre temps, les plus grandes menaces, lorsque des idéologies ont absolutisé la société elle-même ou un groupe dominant, au mépris de la personne humaine et de sa liberté. Là où l’homme ne prend plus appui sur une grandeur qui le transcende, il risque de se livrer au pouvoir sans frein de l’arbitraire et des pseudo-absolus qui le détruisent.


  III

11. D’autres continents connaissent aujourd’hui une symbiose plus ou moins profonde entre la foi chrétienne et la culture, qui est pleine de promesse. Mais, depuis bientôt deux millénaires, l’Europe offre un exemple très significatif de la fécondité culturelle du christianisme qui, de par sa nature, ne peut être relégué dans la sphère privée. Le christianisme, en effet, a vocation de profession publique et de présence active dans tous les domaines de la vie. Aussi mon devoir est-il de souligner avec force que si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen – je dis de tout homme européen, croyant ou incroyant – qui serait gravement compromis.



12. En terminant, j’évoquerai trois domaines où il me semble que l’Europe intégrée de demain, ouverte vers l’Est du continent, généreuse envers l’autre hémisphère, devrait reprendre un rôle de phare dans la civilisation mondiale:

– D’abord, réconcilier l’homme avec la création, en veillant à préserver l’intégrité de la nature, sa faune et sa flore, son air et ses fleuves, ses subtiles équilibres, ses ressources limitées, sa beauté qui loue la gloire du Créateur.

– Ensuite, réconcilier l’homme avec son semblable, en s’acceptant les uns les autres entre Européens de diverses traditions culturelles ou familles de pensée, en étant accueillant à l’étranger et au réfugié, en s’ouvrant aux richesses spirituelles des peuples des autres continents.

– Enfin, réconcilier l’homme avec lui-même: oui, travailler à reconstituer une vision intégrée et complète de l’homme et du monde, à l’encontre des cultures du soupçon et de la déshumanisation, une vision où la science, la capacité technique et l’art n’excluent pas mais appellent la foi en Dieu.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, en répondant à votre invitation de m’adresser à votre illustre Assemblée, j’avais devant les yeux les millions d’hommes et de femmes européens que vous représentez. C’est à vous que ceux-ci ont confié la grande tâche de maintenir et de développer les valeurs humaines – culturelles et spirituelles – qui correspondent à l’héritage de l’Europe et qui seront la meilleure sauvegarde de son identité, de sa liberté et de son progrès. Je prie Dieu de vous inspirer et de vous fortifier dans ce grand dessein.

[1] Cfr. Mt 22,21.



CÉRÉMONIE DE CONGÉ

Aéroport international de Mulhouse-Bâle - Strasbourg, Mardi 11 octobre 1988


Monsieur le Premier Ministre,
Excellences, Mesdames, Messieurs.

Au terme de mon voyage apostolique au siège des Institutions européennes établies dans la capitale alsacienne ainsi qu’aux trois diocèses de Strasbourg, Metz et Nancy, le souhaite adresser du fond du coeur une parole de remerciement à toutes les personnes qui, dans l’exercice de leurs hautes fonctions ou par leur collaboration discrète, ont contribué au déroulement de ces journées.

Ces remerciements, le les renouvelle tour particulièrement, à l’adresse de Monsieur le Président de la République française et du Gouvernement que vous dirigez, Monsieur le Premier Ministre. Et j’inclus dans ma gratitude toutes les autorités régionales, départementales et municipales, ainsi que les autorités françaises et helvétiques de cet aéroport international de Mulhouse-Bâle. Monsieur le Premier Ministre, je suis très sensible à votre cordiale déférence qui m’a fourni l’occasion de m’entretenir avec vous.

Une fois encore, je salue le Conseil de l’Europe, avec la Commission et la Cour des droits de l’homme, ainsi que le Parlement Européen. Et je salue la ville de Strasbourg, que son passé a préparée à symboliser l’Europe démocratique, l’Europe réconciliée, l’Europe du dialogue des cultures.

J’ai tenu, pour ma part, à souligner l’importance de Strasbourg également sur le plan ecclésial en élevant ce diocèse à la dignité d’archidiocèse. Il appartient maintenant à cette Eglise locale de jouer toujours mieux son rôle dans la construction spirituelle de l’Europe.

Avec joie et confiance, j’ai pu mesurer l’enthousiasme de la jeunesse européenne et sa disponibilité aux valeurs morales.

Puisse-t-elle recevoir la solide nourriture spirituelle dont elle a besoin! J’ai pu aussi constater la vitalité de la foi dans les communautés d’Alsace et de Lorraine, malgré tous les défis de l’heure et la sécularisation croissante de la vie. J’ai voulu les affermir dans la foi et l’espérance.

Il me plaît de terminer ce voyage ici, en Alsace du Sud. Je viens de quitter Mulhouse, ville carrefour de trois pays européens, centre industriel de la première heure, où s’est développée très tôt la contribution spécifique de l’Alsace au christianisme social. J’y vois un signe de cette Europe qui est consciente de la nécessité d’enraciner les valeurs éthiques dans l’humus fécond de la foi religieuse.

L’Europe n’est pas une entité abstraite, ni seulement un marché ou un espace de libre circulation, c’est avant tout une communauté d’hommes. Il n’y a pas de communauté sans le sentiment d’une communauté de destin. C’est à la poursuite du destin de l’Europe, qui est aussi celui de l’homme, et de la civilisation humaine, que l’Eglise désire apporter sa contribution spécifique.

A vous, Monseigneur l’Archevêque, aux prêtres et aux fidèles de votre grand diocèse, à l’Alsace chrétienne, à tous les hommes de bonne volonté, je confie cette tâche de manifester au reste de l’Europe la pleine cohérence de votre foi avec votre vocation à travailler pour l’édification européenne.

En prenant congé de vous, Monsieur le Premier Ministre, je tiens à vous assurer de mes prières et de mes voeux pour la prospérité de tout le peuple français!

Je prie Dieu de vous accorder à tous sa bénédiction.




AUX ÉVÊQUES DU TCHAD EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi 14 octobre 1988


Chers Frères dans l’épiscopat,


1. Je suis heureux de vous accueillir en ces lieux à l’occasion de votre visite “ad limina”, et je remercie vivement Monseigneur Charles Vandame, président de la Conférence épiscopale du Tchad, de s’être aimablement fait votre porte-parole. En vous saluant de tout coeur, je rejoins aussi par la pensée vos quatre communautés diocésaines de N’Djamena, de Moundou, de Pala et de Sahr, pour lesquelles je forme, dans le ministère qui nous est commun, des voeux fervents d’espérance, de bien-être et de paix.

Puisse ce pèlerinage aux tombeaux des saints Apôtres raviver davantage encore votre propre foi et renouveler votre zèle de pasteurs au service du Peuple de Dieu qui est au Tchad!

Expression visible de ce mouvement vital entre l’Eglise universelle et les Eglises particulières, la visite “ad limina” est une rencontre entre les Evêques d’une Eglise locale et l’Evêque de Rome, chacun ayant sa responsabilité irremplaçable. En fait, l’un et l’autre représentent le “nous” de l’Eglise, et ces visites marquent un moment privilégié de la communion qui détermine si profondément sa nature.

Dans le cadre de la rencontre à Rome des pasteurs, se réalise un échange de ce qui est particulier et de ce qui est universel, chacune des parties apportant aux autres et à l’Eglise entière le bénéfice de ses propres dons.

2. Parmi des dons que vous m’apportez, il y a le témoignage d’attachement des fidèles tchadiens. J’y suis très sensible, d’autant plus que je sais par quelles épreuves la population de votre pays est passée: les deuils et les destructions qu’elle a subis du fait de la guerre, la dégradation du tissu social qui en est résultée, sans parler du lot trop habituel des malheurs dus à la sécheresse chronique, aux invasions de criquets et à la famine.

Néanmoins, aujourd’hui, je rends grâce à Dieu de ce que depuis votre dernière visite, le pays jouit d’un certain calme et d’une paix relative, après les années d’hostilités et de chaos.

A l’occasion de cette rencontre, je voudrais vous adresser des paroles qui soient pour vous et pour vos communautés un encouragement à croire toujours davantage en l’amour de Dieu pour son peuple et en son dessein de paix pour les hommes.

Un premier signe d’espérance, chers Frères, c’est l’unité de votre conférence épiscopale; vous entretenez entre vous des rapports personnels, vous vous concertez pour les initiatives pastorales et vous vous rendez visite malgré les distances considérables et les inconvénients des voyages dans cette partie du monde. Votre conférence active bénéficie de la contribution généreuse que continuent à vous apporter trois de vos prédécesseurs, demeurés engagés sur le terrain, et à qui je rends fraternellement hommage.

Un autre signe d’espérance, c’est votre peuple lui-même, dont les dispositions d’ouverture au bien sont encourageantes et qui fait preuve, par son goût du travail, d’un réel dynamisme.

3. Provenant de ce même peuple tchadien, on constate un accroissement du nombre des vocations sacerdotales et, dans une moindre mesure, un commencement de développement de la vie religieuse.

Le nombre des candidats qui entrent chaque année au séminaire augmente et je m’en réjouis avec vous. Certes, il vous faut observer un discernement judicieux pour vous assurer de la droiture des motivations, et je sais que vous veillez à ce que les critères d’admission restent stricts. En effet, les besoins d’ouvriers pour la moisson sont tellement grands que le risque existe de chercher à avoir des prêtres à tous prix, avec le danger que ce soit au détriment de la qualité du clergé.

Vous sensibilisez les communautés chrétiennes à l’importante question des vocations, et vous vous efforcez de leur faire découvrir le rôle qu’elles ont à jouer pour leur éclosion ainsi que pour le soutien matériel de ceux qui répondent à l’appel de Dieu. Je souhaite également que vous continuiez à former les prêtres à une vie de simplicité évangélique et à faire en sorte qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, dans la formation donnée, sur le sérieux avec lequel les séminaristes doivent aborder les questions de chasteté dans le célibat.

Enfin, c’est avec joie que j’ai appris que tous vos grands séminaristes seront bientôt accueillis au grand séminaire Saint-Luc de N’Djamena.

4. A la lecture de vos rapports quinquennaux, il semble que deux domaines devraient plus particulièrement retenir votre sollicitude pastorale: la famille et la formation des laïcs.

Comme dans d’autres pays africains, la famille et le mariage connaissent des difficultés. Ce sont des institutions fragilisées à la suite de différents facteurs, tels que l’évolution de la société, le problème de la dot et l’apparition d’un nouveau type de polygamie. Il convient de rappeler les exigences du mariage pour un chrétien, voire de les situer davantage dans la ligne des valeurs du mariage reconnues par les Africains, telles que la fidélité, la fécondité, le respect de la vie, l’éducation des enfants.

Déjà en 1980, vous constatiez, avec les Evêques de Centrafrique et du Congo, qu’il fallait “redonner toute sa place à la famille dans la pastorale”. Laissez-moi vous encourager dans la promotion fidèle de l’enseignement de l’Eglise sur le mariage. Comme partout ailleurs, il faut tendre au Tchad à ce qu’on voie en la famille une communauté d’amour apte, d’une manière unique, à enseigner et à transmettre des valeurs culturelles, ethniques, sociales, spirituelles et religieuses essentielles au développement de l’homme.

5. Le second domaine qui devrait retenir votre attention de pasteurs est celui de la formation des laïcs en vue d’une foi adulte et authentique.

Au Tchad, l’Eglise semble avoir grandi assez vite, sans que, pour autant, le message évangélique ait eu le temps d’être suffisamment assimilé par les baptisés. Aussi, laissez-moi vous inviter à poursuivre l’annonce de la Bonne Nouvelle dans le pays et, en même temps, à donner à tous les fidèles la formation intégrale, perçue comme une priorité pastorale par le Synode des Evêques de l’an passé.

Que les laïcs comprennent de mieux en mieux leur vocation à une vie de sainteté et qu’ils sachent qu’en recevant le baptême, la confirmation et l’Eucharistie, ils s’engagent à suivre le Christ et à lui rendre témoignage dans leur vie quotidienne et professionnelle! Ils feront en sorte que la lumière de l’Evangile éclaire leurs activités séculières, que ce soit la politique, la santé, la culture, la science ou les moyens de communication sociale, et ils découvriront la nécessité de travailler à plus de justice, en cultivant les vertus d’honnêteté et de conscience professionnelle, dans le respect mutuel et dans la paix!

Enfin, pour que les Tchadiens se sentent de plus en plus chez eux dans l’Eglise, il convient d’apporter l’attention pastorale voulue aux traditions religieuses africaines de votre peuple. Beaucoup de chrétiens, surtout dans les moments d’épreuve, sont encore attirés par les pratiques de cette religion traditionnelle; aussi importe-t-il que les messagers de l’Evangile en aient une connaissance appropriée afin de mieux identifier les besoins spirituels fondamentaux des personnes et y apporter une réponse évangélique. Suivant les recommandations du Concile Vatican II, je vous encourage à rechercher de quelle manière les coutumes, le sens de la vie, l’ordre social peuvent s’accorder avec les moeurs que fait connaître la Révélation divine.

6. Parmi les éléments qui caractérisent la mentalité religieuse africaine, on relève la vision spirituelle de la vie et le symbolisme. N’y a-t-il pas là une invitation à développer encore davantage une prière liturgique de qualité, afin de “faire progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles”?

La liturgie, en effet, fortifie les énergies des baptisés et, à l’école de l’Esprit Saint, elle forme ces vrais adorateurs que cherche le Père. A travers une liturgie dignement célébrée, selon la discipline de l’Eglise, le peuple chrétien renouvelle son dynamisme. Continuez, chers Frères, en qualité de grands prêtres des communautés de fidèles qui vous sont confiées, à entraîner dans la prière ceux dont vous avez la charge: d’abord, les prêtres, à qui il vous faut assurer le ressourcement spirituel nécessaire; les religieux et les religieuses, qui ont d’autant plus besoin de votre sollicitude que la vie consacrée en est encore à ses débuts dans vos diocèses; enfin, les chrétiens laïcs, qui manifestent le désir d’une formation chrétienne plus solide en vue d’une meilleur engagement missionnaire.

7. En ce qui concerne le dialogue avec les non-catholiques, je vous encourage à poursuivre vos efforts tendant à faire vivre chrétiens et musulmans dans la meilleure harmonie. Je souhaite qu’il y ait une collaboration réelle au service de la cité, dans la bienveillance et la compréhension mutuelles.

Que vos oeuvres catholiques demeurent des lieux de rencontre, de découverte de l’autre, afin que soit favorisée la paix dans la nation et que le Tchad, qui a fait la triste expérience de la guerre, soit à son tour un artisan de paix déterminé!

8. Je suis heureux de constater que les relations entre l’Eglise et l’Etat font des progrès, comme en témoigne, entre autres, le statut des “Ecoles catholiques associées”, qui permet une collaboration positive dans le domaine important de l’éducation. La jeunesse a particulièrement souffert de la guerre: aussi le souci de son éducation demeure-t-il une priorité pour donner de bonnes assises à la société tchadienne de demain.

“Une des caractéristiques de l’Eglise du Tchad, relevait Monseigneur Vandame, est son très fort engagement dans les tâches de développement”. Je me réjouis de la contribution effective qu’apportent les catholiques au service de leurs concitoyens, notamment dans le domaine agricole et celui de la santé, et je vous encourage sur cette voie afin que les conséquences désastreuses de la guerre civile finissent par être surmontées.

9. En vous assurant que je demeure proche de vos efforts pastoraux, je prie Dieu de vous confirmer dans la foi et je bénis de grand coeur vos personnes, tous ceux qui collaborent avec vous en chacun de vos diocèses, et le peuple tchadien tout entier.




À S.E. MONSIEUR FERDINANDO V. DE WILDE, NOUVEL AMBASSADEUR DE BELGIQUE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi, 17 octobre 1988


Monsieur l’Ambassadeur,

Vous accueillir pour la première fois au titre de la noble mission que Sa Majesté Baudouin Ier vous a récemment confiée auprès du Siège Apostolique de Rome me procure une joie particulière. Je saurais gré à Votre Excellence d’exprimer ma satisfaction et ma gratitude à Sa Majesté pour la désignation de votre personne, et de présenter mes respectueuses salutations à la Reine Fabiola. Leur attachement commun au Siège de Pierre est très profond: à tant de reprises, j’en ai été le témoin ému et heureux.

Aujourd’hui, Monsieur l’Ambassadeur, vous prenez donc rang parmi les personnalités distinguées – et je pense naturellement à votre prédécesseur immédiat, le Baron Paternotte de la Vaillée – qui constituent la lignée des Ambassadeurs de Belgique auprès du Saint-Siège. Daignez agréer mes vifs compliments et mes voeux les plus cordiaux. A travers votre personne, j’ai le sentiment d’accueillir Sa Majesté le Roi des Belges et son Gouvernement, mais également ce bon peuple de Belgique apprécié en plusieurs occasions et plus profondément au cours de ma visite pastorale de mai 1985. Mes nombreuses rencontres avec les principaux groupes de la population beige ont laissé un excellent souvenir dans ma mémoire et une grande espérance dans les ressources morales et spirituelles de votre nation. Je vous remercie d’en faire état dans votre aimable adresse.

La Belgique d’aujourd’hui, née à l’indépendance en 1830, est un peuple jeune dans le vaste concert d’une Europe en recherche d’unité, d’un nouveau souffle. Les très vieilles origines ethnographiques de votre pays, ses développements socio-économiques remarquables au Moyen-Age, à l’époque de la Renaissance, en notre temps, son patrimoine artistique de grande envergure et de grande qualité, sa culture générale marquée par une évangélisation précoce, sont autant de racines solides qui donnent aujourd’hui à la Belgique une physionomie originale et la rendent capable d’apporter beaucoup à l’Europe, au monde, et j’ajoute: à l’Eglise.

C’est ce noble pays que Votre Excellence aura désormais l’honneur et la charge de représenter ici, afin que les liens solidement établis entre votre Gouvernement et le Siège Apostolique perdurent pour le plus grand bien des deux parties contractantes. Dans le respect total des compétences, ces relations constantes et cordiales ont contribué au dynamisme manifesté par la Belgique dans son attachement concret aux valeurs d’une civilisation inspirée par le christianisme. Vous l’avez souligné dans le discours que vous m’adressiez tout à l’heure. J’ai aussi la conviction que ces liens diplomatiques ont favorisé la merveilleuse épopée missionnaire de l’Eglise qui est en Belgique à travers le monde. Cette vitalité du peuple beige a fait dire que le monde était partout en Belgique et que la Belgique était partout dans le monde.

Monsieur l’Ambassadeur, la haute mission que vous inaugurez en ce jour sera assurément différente des fonctions diplomatiques que vous avez exercées jusqu’à présent. Vous êtes accrédité auprès du Siège Apostolique de Rome, autour duquel s’articulent tous les diocèses catholiques de l’univers. Vous serez le témoin direct de l’activité d’une Eglise qui a reçu mission d’être «la lumière du monde et le sel de la terre», tout en faisant partie de la communauté humaine, comme le soulignait mon Prédécesseur, le Pape Jean XXIII, particulièrement dans les encycliques «Mater et Magistra» et «Pacem in Terris». C’est pourquoi – sans nullement se substituer aux Gouvernements responsables – l’Eglise se doit d’apporter des éclairages fondamentaux et originaux sur l’homme, sur la société, sur le sens de l’histoire. Loin de vivre en ghetto, elle veut contribuer à l’humanisation croissante de la famille humaine. Cette vision est celle de la Constitution du Concile Vatican II sur l’Eglise dans le monde de ce temps. De ce document conciliaire se dégage une anthropologie chrétienne qui vise à éduquer les chrétiens – et plus largement les hommes et les femmes de bonne volonté – à devenir fraternels. Sans monopoliser l’aménagement du monde, l’Eglise, selon les moyens dont elle dispose, s’efforce en effet de promouvoir sans relâche les bases d’une humanité digne de ce nom et conforme au plan de Dieu. Elle prône les valeurs morales que sont le respect de la vie comme la dignité de toute personne et de tout peuple, les chemins du dialogue pour régler les tensions ou les conflits, le partage équitable des biens, la priorité donnée aux plus pauvres, la liberté religieuse indispensable à la paix sociale.

Au moment où vous commencez votre mission, je me réjouis, Monsieur l’Ambassadeur, de vous entendre affirmer que vous vous engagez totalement sur la voie des bonnes relations diplomatiques entre la Belgique et le Saint-Siège. Sachez que vous trouverez toujours ici l’accueil, les informations, le soutien que vous êtes en droit d’espérer. En écho aux voeux délicats que vous m’avez exprimés à l’occasion du dixième anniversaire de mon élection au Siège de Pierre, je vous redis mes souhaits les plus fervents pour l’accomplissement fructueux de votre nouvelle mission. Mes voeux s’étendent à votre séjour romain. Puisse-t-il vous procurer des joies nombreuses sur le plan de la vie ecclésiale, de la culture, des relations humaines! J’invoque sur votre personne et sur vos collaborateurs à l’Ambassade de Belgique, comme sur votre foyer et sur votre cher pays, les plus abondantes Bénédictions du Seigneur.




Discours 1988 - Strasbourg, Mardi 11 octobre 1988