Discours 1988 - Lundi, 17 octobre 1988

AUX MEMBRES DE L'ASSOCIATION «PRO PETRI SEDEM»

Mardi, 18 octobre 1988


Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs,

1. Votre visite est pour moi une joie vivement ressentie. Je sais, en effet, que votre démarche est accomplie au nom des deux mille cinq cents adhérents à l’Association “Pro Petri Sede” disséminés à travers la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Et surtout, je mesure l’attachement éclairé et indéfectible des uns et des autres à l’égard du Successeur de Pierre et de son ministère particulier. Avec bien d’autres catholiques, vous comprenez que l’évangélisation du monde contemporain requiert de la part du Siège Apostolique une animation et une coordination intensifiées. Cela se fait à travers les Congrégations romaines bien connues, et les autres organismes nés du Concile Vatican II. Tous ces services doctrinaux, pastoraux, caritatifs, récemment réorganisés par la Constitution “Pastor Bonus” du mois de juin, ont absolument besoin d’être matériellement soutenus par le Peuple de Dieu. C’est ce que “Pro Petri Sede” a le mérite et la joie de faire depuis plus d’un siècle. J’ai, en effet, pris connaissance avec intérêt de vos statuts renouvelés en 1984 et approuvés par les trois Episcopats du Benelux. Quel chemin parcouru depuis la première “Ligue d’anciens Zouaves” fondée à Courtrai en 1871! Et quel élan ininterrompu de générosité!

De tout coeur, je rends grâce au Seigneur pour votre fidèle présence autour du Successeur de Pierre comme pour l’offrande magnifique que vous venez de lui remettre, fruit de la collecte 1987-88. Et dans cette action de grâce, je ne saurais oublier les responsables et les membres qui furent les initiateurs ou les continuateurs de votre oeuvre de solidarité ecclésiale.




À S.E. MONSIEUR GUNNAR SCHACK LARSEN, NOUVEL AMBASSADEUR DU DANEMARK PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Jeudi, 20 octobre 1988



Monsieur l’Ambassadeur,

C’est assurément pour moi une joie de vous accueillir comme Représentant permanent et plénipotentiaire de la Reine Margrethe II auprès du Saint-Siège. Que Votre Excellence veuille bien exprimer à Sa Majesté ma respectueuse gratitude pour les souhaits formulés à mon égard, et ma vive satisfaction pour le choix de votre personne au service de la noble mission dont cette cérémonie marque le commencement.

En ce moment où vous inaugurez votre haute mission auprès du Saint-Siège, je suis heureux de constater, Excellence, que vous l’abordez dans l’esprit qui doit animer toute action diplomatique. Les relations entre les Gouvernements et le Siège Apostolique sont d’autant plus profitables qu’elles reposent sur des conceptions communes du respect intégral de toute personne humaine et de tout peuple. Les faits ont trop souvent montré à quelles conséquences tragiques conduit l’oubli ou le mépris de ce principe sacré. Je suis certain, Monsieur l’Ambassadeur, qu’en parfaite harmonie avec les dirigeants de votre nation, vous oeuvrerez – selon les moyens propres à la diplomatie – à une nouvelle avancée des idéaux qui font la valeur d’une civilisation et le bonheur réel de l’humanité. Tout pays qui s’efforce d’éduquer ses citoyens, à toutes les étapes de leur vie, aux valeurs morales telles que le respect, la tolérance, l’esprit de partage, la fidélité aux engagements, est un pays en croissance véritable. C’est bien ce capital moral, plus encore que la puissance économique, qui est pour une nation une richesse digne d’être transmise aux générations montantes et qui fonde son rayonnement au-delà de ses frontières.

Comment ne serais-je pas sensible aux paroles que Votre Excellence vient de prononcer à propos de l’action persévérante du Saint-Siège dans les domaines du respect des droits de l’homme, de l’instauration d’une justice plus effective, et de la solidarité avec les populations les plus déshéritées? Je sais que vos propos, Monsieur l’Ambassadeur, sont l’écho des convictions qui inspirent votre Gouvernement et le peuple danois.

Le Saint-Siège suit avec le plus grand intérêt les efforts accomplis par de nombreuses nations pour faire avancer, malgré les obstacles, une civilisation vraiment fraternelle, dans le respect effectif de la liberté bien comprise et un meilleur partage des biens. Je suis heureux, à travers votre personne, d’adresser des félicitations au Danemark tout entier qui fait partie des pays consacrant le plus fort pourcentage de leur revenu national à l’aide aux pays en voie de développement.

J’ai eu l’occasion de souligner, lors de ma récente visite aux Institutions européennes à Strasbourg, que les racines chrétiennes des nations du vieux continent constituent une source essentielle pour la conception de l’homme, pour l’épanouissement de la culture et l’orientation de l’action publique. Le Danemark a une ancienne tradition chrétienne, et son apport s’intègre bien dans l’effort que mène l’Europe à la fois pour ressaisir son identité propre et pour donner le meilleur d’elle-même dans ses relations avec toutes les nations.

Ma pensée va particulièrement aujourd’hui à la communauté catholique du Danemark; peu nombreuse, elle ne m’en est pas moins proche. Et c’est un sujet de satisfaction de la savoir en bonne entente avec l’ensemble de vos compatriotes.

Ces tout prochains jours, un événement attirera heureusement l’attention sur le rayonnement chrétien de votre nation, la béatification de Niels Stensen, savant et homme d’Eglise danois qui sera honoré comme un exemple significatif présenté à toute l’Eglise. Vous avez vous-même souligné la portée de cet acte du successeur de Pierre, et je m’en félicite.

Dans votre discours, je relève aussi la mention que vous faites du mouvement oecuménique. Vos compatriotes y sont attachés, comme le Saint-Siège le favorise pour sa part. Je souhaite que le dialogue entre chrétiens des diverses confessions ne cesse de se développer, dans votre pays et ailleurs, dans la claire recherche de la vérité, dans l’estime mutuelle, dans les diverses formes de coopération aujourd’hui possibles sur le chemin de l’unité.

Monsieur l’Ambassadeur, vous avez dit en termes courtois que le Danemark attend avec espérance la visite que je dois y accomplir l’an prochain. Je suis heureux d’avoir bientôt cette occasion d’un contact direct avec les catholiques du Danemark, avec aussi l’ensemble du peuple danois et avec ses dirigeants; je les remercie, en votre personne, d’avoir bien voulu faciliter le projet de ce voyage.

Au seuil de votre mission auprès du Siège Apostolique, je vous souhaite, Excellence, de trouver dans son accomplissement les satisfactions que vous attendez. Vous pouvez être assuré de la disponibilité de mes collaborateurs qui vous accueilleront volontiers et s’efforceront de faciliter votre tâche.

Je vous serai obligé de transmettre à Sa Majesté la Reine Margrethe II les voeux déférents que je forme pour elle-même, pour sa famille et tout le peuple danois. Je confie ces voeux au Seigneur et je le prie de bénir le Danemark.




AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS DE LA FÉDÉRATION MONDIALE DES CITÉS UNIES

Vendredi, 28 octobre 1988


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

1. Je suis heureux de vous accueillir ici, à l’occasion de la Conférence internationale organisée à Rome par la Fédération mondiale des Cités unies et Villes jumelées, sur un thème de grande portée: “La Ville au service de la Paix”.

Votre Président, Monsieur Pierre Maurois, vient de dire l’esprit dans lequel se déroulent vos échanges; je le remercie des aimables paroles qu’il a prononcées, manifestant l’attention que vous accordez à la mission de l’Evêque de Rome. J’adresse un très cordial salut aux Organisateurs de votre conférence, à Monsieur le Président de la Région du Latium, à Madame le Président de la Région de Rome, à Monsieur le Maire de Rome, à tous les délégués des Communautés urbaines venus de nombreuses régions du monde.

2. Je tiens à exprimer d’abord l’estime que m’inspire votre rassemblement, car le sujet qui a retenu votre attention au cours de ces journées a une grande importance. Et je suis sûr que les conclusions de vos débats seront utiles pour le progrès social et civique de vos différents pays.

J’ajouterai que le choix de Rome pour votre rencontre de cette année a dû contribuer à votre réflexion: l’histoire de cette Ville, présente par tant de souvenirs visibles, invite à retrouver les origines du christianisme et à prendre conscience de son rôle unique dans la culture en Europe et dans le monde.

L’énoncé même de votre thème, qui comprend la notion de “service”, montre votre conviction qu’il faut stimuler les efforts constants de chacune des communautés civiles pour promouvoir la paix, ce bien irremplaçable de chacun et de tous ensembles. La paix n’est pas seulement un thème de recherche spéculative, c’est un objectif à poursuivre et à réaliser concrètement.

A ce sujet, je ne puis manquer d’évoquer le grand penseur et théologien que fut saint Augustin. Il nous a laissé, dans son traité “La Cité de Dieu”, des pages inoubliables. Il y parle de la Cité des hommes; après avoir défini la paix par la célèbre formule, “la tranquillité de l’ordre”, il affirme: “La paix de la cité est la concorde harmonieuse des habitants quand ils commandent et quand ils obéissent”. Il explique que, dans une telle concorde, l’ordre consiste “avant tout dans le fait de ne nuire à personne, puis de se rendre utile au plus grand nombre possible d’individus”.

Le concept de la paix, analysé à ses racines, se présente dans un cadre global. La paix n’est pas seulement la suppression ou la trêve des armes, que les hommes inventent malheureusement avec une grande ingéniosité pour détruire et pour tuer; elle n’est pas non plus ce qu’on a appelé la “paix froide”, consistant en “la pure coexistence de divers peuples, entretenue par la crainte mutuelle et la désillusion réciproque”. Elle est, au contraire, une convivialité dans la vérité et dans l’amour, capable de jeter des ponts qui unissent les hommes, les cités, les nations, les continents. Elle reflète un état d’esprit constant; elle exprime visiblement ce qui vient du coeur.

3. La paix a des dimensions internationales qui mettent directement en cause la politique étrangère des hommes d’Etat. Mais elle se construit concrètement aussi à partir des rapports humains vécus par les simples citoyens dans leur vie quotidienne. Il appartient à chaque citoyen, en effet, de construire une convivialité positive, pour la promotion de l’homme et le développement social.

Et c’est ainsi que la Ville, en tant que communauté plus restreinte et plus structurée, apparaît, après la famille, comme le cadre approprié de l’éducation active à la paix sans laquelle le bien commun n’est qu’une expression vide de sens. La concorde harmonieuse de la grande communauté nationale est le résultat des efforts coordonnés de chacune des villes.

La ville est donc l’école naturelle de la paix. Cela engage les pouvoirs publics à tenir compte dans leur administration des besoins réels de la communauté urbaine, à éliminer avec courage et compétence les obstacles au bien commun, à exiger des groupes et des individus les collaborations nécessaires.

Tout le monde a conscience des difficultés que connaissent les villes d’aujourd’hui, qui ont pris les dimensions de métropoles ou de mégalopoles, et où il devient toujours plus difficile de maintenir des conditions de vie à la mesure de l’homme. Mais la complexité des problèmes n’est pas une raison suffisante pour abandonner ces objectifs ou tomber dans l’immobilisme.

4. Mesdames, Messieurs, je suis sûr que, souhaitant venir ici, vous désiriez entendre une parole inspirée par la foi et qui vous invite à poursuivre votre tâche avec générosité.

Le principe chrétien selon lequel tout homme est un frère prive de fondements toute idée de conflit. Il incite à l’entente. Il invite à la collaboration, ne serait-ce que pour résoudre les problèmes propres à l’administration civile. Pour assurer le bien de tous, il faut arriver à développer un esprit d’entraide.

En souhaitant que votre travail ait d’heureux résultats, je forme pour chacun de vous, ainsi que pour les villes que vous représentez, des voeux chaleureux, en invoquant la Bénédiction de Dieu.




AUX MEMBRES DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES

Lundi, 31 octobre 1988


Monsieur le Président,
Messieurs les Cardinaux,
Excellences,

1. Je suis heureux de saluer les Membres de l’Académie pontificale des Sciences, à l’occasion de la session plénière où a été traité le thème de la responsabilité de la science. L’importance de cette rencontre est soulignée par la présence des Cardinaux et des Chefs des Missions diplomatiques accréditées auprès du Saint-Siège. Je les remercie de cette marque d’intérêt pour les travaux de l’Académie.

Cette assemblée plénière a lieu à la suite de la semaine d’étude au cours de laquelle deux groupes d’experts venus du monde entier ont débattu d’une part sur “l’agriculture et la qualité de la vie”, et d’autre part sur “la structure et la fonction du cerveau”.

Au sujet de l’agriculture, les experts ont pu établir un large bilan où les aspects scientifiques et techniques du problème rejoignent finalement les aspects éthiques. D’une part, la recherche scientifique a permis un développement considérable de la production alimentaire dans le monde. A l’échelle globale, la production agricole serait aujourd’hui suffisante pour subvenir aux besoins de l’humanité entière. Cette constatation soulève par contraste le problème dramatique de la faim et de la malnutrition dans le monde. Certes, il faut tenir compte des obstacles physiques et matériels, tels que les grandes différences de fertilité suivant les régions. Mais la répartition très inégale des ressources alimentaires n’a pas suscité jusqu’ici une politique d’ensemble, ni des projets assez efficaces pour que la production agricole bénéficie à tous les peuples et à tous les hommes. Encore une fois, nous devons observer que le problème du développement requiert avant tout une volonté politique et une action de nature éthique et culturelle, comme je le disais dans l’encyclique “Sollicitudo Rei Socialis”. La clé de tout développement humain est à trouver dans un effort généreux de solidarité entre tous les groupes et tous les hommes et les femmes de bonne volonté. A bon droit, vous avez souligné que les interventions nécessaires en cette grave question doivent respecter les personnes et leurs traditions propres, c’est-à-dire dépasser le plan strictement économique et technique pour tenir compte des principes de la justice sociale et du développement authentique de la personne humaine.

2. Un second groupe de savants a fait le bilan des études sur le cerveau humain et ses admirables fonctions. Les recherches permettent de mieux connaître aujourd’hui les structures et les processus organiques qui servent de base aux opérations cognitives et affectives de l’être humain. Mais, au-delà de toute observation empirique, apparaît le mystère de l’esprit, irréductible aux supports biologiques mis en oeuvre dans le comportement de l’être intelligent ouvert à la transcendance. Devant ce que l’on connaît maintenant du cerveau, le croyant ne peut oublier les paroles du Livre de la Genèse: “Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant”. En termes anthropomorphiques, l’antique récit de la création évoque bien le lien intime de l’organe et de l’esprit en l’homme. Aussi était-il opportun que des savants confrontent les résultats de leurs études expérimentales avec la réflexion de philosophes et de théologiens sur le rapport entre l’esprit et l’appareil cérébral. Niels Stensen, dans son “Discours sur l’anatomie du cerveau”, avait déjà dit du cerveau qu’il était “le plus beau chef-d’oeuvre de la nature”.

3. Vous avez voulu vous associer à la célébration récente de la béatification de Niels Stensen, ce grand savant qui a cherché, dans toute sa vie et dans toute son oeuvre, à réconcilier les divers ordres de la connaissance qui font la grandeur de l’être humain. Votre Académie, conjointement avec le Danemark, a voulu que le souvenir de cet événement demeure et soit commémoré par une plaque apposée dans ses propres locaux. Je tiens à exprimer à la nation danoise et à l’Académie ma vive gratitude pour ce geste.

4. Aujourd’hui, ayant présent à l’esprit l’itinéraire que parcourut Niels Stensen au long de sa vie, je voudrais y relever quelques éléments qui contribuent à approfondir le sens, la valeur et la responsabilité de la science. Ce savant explora les merveilles de la nature, particulièrement dans les domaines de l’anatomie, de la physiologie et de la géologie. En poursuivant ses études sur les phénomènes naturels, il ne perdait jamais de vue ce qui transcende la nature elle-même et, tout en portant son attention sur l’infiniment petit et sur les données mesurables, il demeurait sans cesse ouvert aux grandeurs qui dépassent toute mesure.

Pour lui, la synthèse de la connaissance réunit les données recueillies grâce aux expériences sur la nature et les valeurs qui, bien qu’inaccessibles à l’expérimentation sensible, font partie de la réalité. Stensen était profondément attiré par la beauté de l’univers physique, mais plus encore par les valeurs spirituelles et la noblesse du comportement humain. Il étudiait avec soin les certitudes d’ordre mathématique, mais il était tout autant attiré par d’autres certitudes d’ordre historique, moral et spirituel.

5. La science expérimentale suscite une légitime admiration, et l’Eglise encourage volontiers les recherches des savants qui nous aident à comprendre les énigmes de l’univers physique et biologique. Mais la science expérimentale n’épuise pas toute la connaissance de la réalité. Au-delà du visible et du sensible, il existe une autre dimension du réel, attestée par notre expérience la plus profonde: c’est le monde de l’esprit, des valeurs morales et spirituelles. Au-dessus de tout, il y a l’ordre de la charité, qui nous relie les uns aux autres et à Dieu dont le nom est Amour et Vérité.

Même avec la fragilité de sa condition de créature, l’homme garde en effet l’empreinte de l’unité divine originelle dans laquelle toutes les richesses sont unies sans confusion. Dans le monde sensible, ces richesses semblent dispersées et amoindries, mais elles n’en rappellent pas moins, particulièrement en l’homme, l’image de l’unité véritable du Créateur. Cette image est celle de la Vérité elle-même.

Telles sont les caractéristiques de la synthèse globale qui établit l’unité du savoir et qui inspire, par voie de conséquence, l’unité et la cohérence du comportement. Il s’agit là d’une unité à construire en permanence, en fonction des caractéristiques dynamiques de la vie.

6. Mon prédécesseur, le Pape Pie XI, dans un des premiers discours qu’il adressa à l’Académie pontificale des Sciences après sa reconstitution, développa longuement le thème de la vérité. II disait qu’il est important de concevoir et d’affirmer la vérité, mais qu’il est encore plus important de rappeler que “celui qui fait la vérité vient à la lumière”. Telle est la règle fondamentale de la pensée et de l’action qui transforme toute oeuvre en un reflet visible de la vérité. C’est en s’inspirant de cet idéal que Pie XI nomma, en 1936, les soixante-dix premiers membres de l’Académie rénovée, les ayant invités à en faire partie eu égard à l’importance de leurs études scientifiques originales et à leur haute qualité morale, sans aucune discrimination ethnique et religieuse. C’est ainsi que s’expriment toujours vos Statuts et c’est dans le même esprit que je vous invite à poursuivre vos travaux et vos recherches.

7. Le Pape, aujourd’hui encore, demande à votre Académie de contribuer à “faire la vérité”, c’est-à-dire à rechercher l’unité du savoir dans la solidarité scientifique internationale, dans la solidarité humaine, dans l’ouverture à toutes les valeurs, pour le bien de l’homme.

Certes, comme savants, vous avez à appliquer rigoureusement les règles propres à chacune de vos disciplines pour aboutir à des conclusions valides et vérifiables par tout autre spécialiste dans vos domaines. Mais, tout en respectant les nécessités de l’abstraction méthodologique et l’autonomie de chaque discipline, vous êtes invités à examiner les résultats de vos recherches à la lumière des autres sciences. Tout savant est aujourd’hui appelé à participer à une patiente recomposition des connaissances humaines. Il y va de l’avenir de l’homme et de la culture.

Votre Académie, qui est internationale, présente une caractéristique propre: elle a d’une part le devoir de travailler en lien avec la communauté scientifique internationale et, d’autre part, elle est appelée à collaborer avec les organismes de l’Eglise afin de leur fournir des éléments utiles dans le champ de leurs compétences.

C’est dans cet esprit que je voudrais renouveler aux illustres Membres de l’Académie la requête que je formulais lors de l’audience du cinquantenaire, en les invitant à promouvoir des propositions concrètes pour favoriser à tous les niveaux la collaboration interdisciplinaire. Tout en poursuivant vos programmes spécialisés, il serait utile aussi que vous élaboriez des projets conjoints de recherche, en concertation étroite avec d’autres organismes culturels, scientifiques et universitaires du Saint-Siège. L’Eglise a besoin de vos recherches pour approfondir sa connaissance de l’homme et de l’univers. Elle compte également sur vos études pour affronter les graves problèmes techniques, culturels et spirituels qui touchent à l’avenir de la société humaine. D’avance, je vous remercie de votre apport indispensable à notre approfondissement commun de l’énigme de l’homme et de son destin, dans l’ordre de la création et dans l’ordre du salut.

8. Avant de terminer, je désire saluer très spécialement Monsieur le Professeur Carlos Chagas qui, au terme de seize années de présidence, quitte des responsabilités auxquelles il a fait face avec tant de distinction, de générosité et de désintéressement. Je tiens à lui rendre un hommage tout particulier, en prenant acte de l’oeuvre considérable accomplie sous sa conduite. Grâce à lui, l’Académie a connu un développement important quant au nombre de ses membres et à la diversité des pays d’où ils viennent: on peut maintenant parler d’une représentativité universelle. Sous son impulsion, l’Académie est devenue le centre d’une continuelle activité, prenant contact avec les autres Académies et avec les savants de nombreux pays, abordant des thèmes importants dans le domaine des sciences historiques, par exemple les études sur Galilée et Albert Einstein, dans le domaine des sciences fondamentales, ainsi les recherches sur la cosmologie, l’astronomie, les micro-sciences, la structure de la matière, l’origine de la vie, les processus biologiques, ou encore dans le domaine des sciences appliquées aux problèmes du monde moderne, notamment en ce qui concerne la paix et le désarmement. On peut dire que les préoccupations importantes de notre monde actuel n’ont pas échappé à son attention. Aujourd’hui, le Saint-Siège remercie Monsieur le Professeur Chagas, pour la vitalité qu’il a su communiquer à l’Académie, pour le rayonnement qu’il lui a donné, pour son action très appréciée grâce à laquelle l’Eglise est devenue beaucoup plus présente au monde de la science. Et je lui sais gré moi-même de bien vouloir continuer à la faire bénéficier de ses hautes compétences.

J’ai appelé Monsieur le Professeur Giovanni Battista Marini-Bettolo à prendre la succession du Professeur Chagas. II a collaboré activement aux travaux de l’Académie depuis plus de vingt ans; dans ses nouvelles responsabilités, je lui souhaite un travail fructueux. Je suis sûr qu’il poursuivra, avec l’aide des Membres de l’Académie, l’oeuvre entreprise par ses prédécesseurs.

En renouvelant l’expression de mon estime pour les travaux de l’Académie et de ma gratitude pour le service qu’elle rend au Saint-Siège, j’invoque sur vous la Bénédiction de Dieu.



                                   Novembre 1988





À LA COMMUNAUTÉ DE TRAVAIL DES ÉGLISES CHRÉTIENNES EN SUISSE

Jeudi, 10 novembre 1988

Chers Frères et Soeurs,




1. Bénis soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ: son Esprit d’amour qui conduit vers la vérité tout entière [1] nous a donné de nous rencontrer et de nous aider les uns les autres pour accomplir sa volonté!

Votre visite à Rome, avec les temps de prière, d’étude et de rencontres fraternelles qu’elle a comportés, a été significative sur plus d’un point. S’inscrivant dans la suite de notre rencontre à Kehrsatz le 14 juin 1984, elle s’est déroulée dans l’esprit qui préside aux engagements de la Communauté de travail des Eglises chrétiennes en Suisse, c’est-à-dire: accepter de s’interroger les uns les autres sur la fidélité à servir la Vérité suprême qui nous a été révélée dans le Seigneur Jésus lui-même.

Vos réunions de travail avec plusieurs organismes de la Curie romaine seront, je l’espère, utiles pour votre mission oecuménique. Je suis certain qu’elles ont contribué aussi à aider mes proches collaborateurs, membres de ces organismes, dans la mission qui est la leur. Je vous remercie d’être venus réfléchir avec eux, car ils sont tous engagés, «par le fait même d’être des collaborateurs du Pape, au service de l’unité de l’Eglise qui incombe d’une manière unique à l’évêque de Rome» [2]. Je vous exprime aussi ma joie et ma reconnaissance pour ces instants de prière et de dialogue que nous vivons ensemble.



2. La mission oecuménique des chrétiens et des chrétiennes de Suisse est tout à fait particulière à cause de l’histoire religieuse de votre pays. Quand on évoque l’histoire du christianisme, les noms de vos grandes villes apparaissent à certaines époques comme ceux de lieux de mésentente, de séparation et de défiance: Genève, Zurich, Berne, Bâle, Neuchâtel. C’est votre mission commune d’en faire des lieux de réunion, de confiance et d’espérance pour le rayonnement de l’Evangile et la joie de ceux qui y vivent. Je sais que de nombreuses réalisations locales vont dans ce sens et je demande au Seigneur qu’il vous accorde la grâce de la persévérance, malgré les difficultés anciennes qui ne sont pas encore surmontées et les difficultés nouvelles qui peuvent surgir.

A Kehrsatz, j’avais manifesté l’espoir que les catholiques et les réformés de Suisse soient un jour en mesure d’écrire ensemble l’histoire de l’époque de leurs séparations «époque troublée et complexe», et de l’écrire «avec l’objectivité que donne une profonde charité fraternelle» [3]. Je sais qu’on a commencé de réfléchir à ce projet et j’espère que l’on pourra s’acheminer vers sa réalisation.



3. Au cours de votre visite, vous travaux avec les organismes de la Curie romaine n’ont pas porté seulement sur des préoccupations centrées sur la vie interne des Eglises ou du mouvement oecuménique. Des chrétiens qui se replieraient sur eux-mêmes ne seraient plus fidèles à leur mission. Nous avons reçu la grâce de la foi pour témoigner de l’amour de Dieu envers tous les hommes. Vous avez parlé des droits de l’homme et de l’horrible drame de la torture. L’endettement des pays du tiers monde et l’urgence de l’engagement oecuménique pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création ont fait l’objet de vos échanges parce qu’il y va de l’avenir du monde et de la crédibilité des chrétiens. Lorsque, dans un pays, s’intensifient et se développent les relations et les échanges avec les autres nations, au-delà des frontières politiques et en refusant d’être guidé par les seuls intérêts économiques, alors la paix se construit. En Suisse, des organismes de toutes sortes y travaillent, à différents niveaux, et je pense notamment aux institutions internationales qui ont leur siège à Genève. Les chrétiens suisses ont une responsabilité particulière pour appuyer ensemble ces efforts en faveur de la paix au niveau local et international.



4. Considérant les situations plus spécifiquement ecclésiales, vous voulez être attentifs aux communautés minoritaires qui risquent de ne pas toujours pouvoir faire entendre leur voix, soit dans la nation, soit dans la collaboration oecuménique, parce que d’autres sont davantage présentes en raison du grand nombre de leurs membres et des moyens dont elles disposent. Ce risque est réel partout dans le monde. Pourtant, l’importance d’une Eglise ne se mesure pas au nombre de ses fidèles, mais à la vigueur de leur vie de foi. Dans la recherche de l’unité et dans le témoignage commun, chaque Eglise ou communauté ecclésiale doit pouvoir être reçue avec les caractéristiques de sa spiritualité, de son expérience missionnaire et de sa manière d’exprimer le mystère de sa foi. Puisque j’ai relevé ce point dans vos préoccupations, permettez-moi d’exprimer le souhait que l’Eglise orthodoxe présente en Suisse puisse un jour, elle aussi, collaborer avec vous en devenant membre de votre communauté de travail.


5. Parmi les réalités dont nous portons tous le souci, il y a la participation à l’Eucharistie et les mariages mixtes. En ce qui concerne le repas du Seigneur, nos positions ne se rejoignent pas encore, et malgré toutes les difficultés et souffrances qui en résultent pour la vie des communautés, nous ne pouvons pas agir comme si cette divergence, qui touche à un point essentiel de la foi, n’existait pas. Dans notre foi catholique, c’est par fidélité à ce que les Apôtres nous ont transmis comme venant du Christ que nous considérons qu’une célébration commune de l’Eucharistie suppose l’unité dans la foi et qu’elle est étroitement liée aussi à ce que nous croyons du rôle propre et du statut ecclésiologique des ministères ordonnés. Je disais récemment aux protestants que je rencontrais à Strasbourg: «Comme catholiques, nous ne voulons pas laisser croire que l’impossibilité actuelle d’une commune participation à l’Eucharistie soit une simple question de discipline ecclésiastique qui peut être résolue différemment suivant les personnes et les circonstances»[4]. L’Eucharistie et les ministères de l’Eglise doivent donc continuer de faire l’objet d’un dialogue théologique; nous espérons tous que la grâce de Dieu se servira de ce dialogue et qu’avec notre prière et la conversion de nos coeurs, elle nous permettra d’accomplir un jour, tous ensembles, ce que nous catholiques, nous croyons encore impossible aujourd’hui.



6. Les mariages mixtes sont de plus en plus nombreux en Suisse, et cette réalité est une de vos importantes préoccupations communes. Le ministère pastoral spécifique dont les couples mixtes ont besoin nécessite une collaboration régulière, efficace et confiante des Eglises. Les familles qui doivent supporter au coeur même de leur vie les conséquences douloureuses de nos séparations, mais aussi l’espérance et l’amour qui déjà nous rapprochent, ces familles-là ont droit à une attention prioritaire. J’imagine à quel point il peut être difficile et délicat, pour ceux qui sont chargés d’un ministère pastoral, de présenter le visage à la fois exigeant et maternel de l’Eglise à des fiancés qui appartiennent à deux confessions différentes et qui, trop souvent, n’ont que des contacts très occasionnels avec elles. Ne faudrait-il pas éviter de dire trop hâtivement qu’un mariage mixte est une «chance pour l’oecuménisme», quand on constate que beaucoup de foyers concernés vivent ensuite dans l’indifférence religieuse, pour des raisons d’ailleurs très diverses? Comment soutenir en vérité les époux qui désirent l’un et l’autre rester fidèles à leur Eglise respective, éduquer leurs enfants dans la foi et apporter leur contribution au mouvement oecuménique, quand les situations de ces couples sont si variées, leur environnement paroissial parfois trop faible et un témoignage évangélique exigeant si difficile dans une nation tranquille, riche et prospère? Ce sont des questions que vous vous posez souvent. Vous aimez à définir la communauté de travail des Eglises chrétiennes comme une «communion provisoire en croissance». De cette communion devrait surgir, sinon des solutions définitives, du moins des réponses dynamisantes à ces questions pastorales, réponses élaborées et mises en oeuvre dans une collaboration commune, persévérante, audacieuse et confiante.



7. Chers Frères et Soeurs, vous allez rejoindre vos communautés en Suisse. Vous allez partager avec elles les espoirs qu’ont fait naître en vous les contacts que vous avez eus à Rome. Vous allez aussi exprimer peut-être votre déception ou votre insatisfaction sur tel ou tel point du contenu de vos échanges. Quoiqu’il en soit des résultats immédiats, je suis convaincu qu’il y a eu progrès oecuménique, car je partage pleinement la certitude que vous avez exprimée à la fin de votre déclaration commune du 6 mai 1986: «Il y a progrès oecuménique quand les coeurs se tournent ensemble vers Dieu, notre Père à tous, quand, dans l’amour de Jésus-Christ, des frères et de soeurs encore séparés se tournent les uns vers les autres et quand enfin on met son attente dans la promesse des dons de l’Esprit, qui atteste la fidélité de Dieu».

[1] Cfr. Jn 16,13.
[2] Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Patres Cardinales Romanaeque Curiae Prelatos et Officiales coram admissos, 4, die 28 iun. 1985: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 1 (1985) 1991.
[3] Eiusdem Allocutio in pago vulgo «Kehrsatz», apud Bernam, ad homines adscitos in Consilium Communicatum seiunctarum Helvetiae, 2, die 14 iun. 1984: Insegnamenti di Giovanni Poalo II, VII, 1 (1984) 1749.
[4] Eiusdem Allocutio Strasbourgi, ad oecumenicam celebrationem in Ecclesia S. Thomae habita, 4, die 9 oct. 1988: vide supra, p. 1135.



Discours 1988 - Lundi, 17 octobre 1988