Discours 1988 - Jeudi, 10 novembre 1988


MESSAGE DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II À L'OCCASION DU CENTENAIRE DU COLLÈGE PONTIFICAL CANADIEN



Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,

Je suis heureux de pouvoir m’associer à la célébration du centenaire du Collège pontifical canadien à Rome, car cette institution crée un lien durable et précieux entre l’Eglise au Canada et le Siège Apostolique.

Je salue fraternellement les Cardinaux présents, et notamment Monsieur le Cardinal Paul-Emile Léger qui a donné une impulsion marquante à la vie du collège peu après les années difficiles de la guerre, et le Cardinal Edouard Gagnon qui fut recteur par la suite. J’ai plaisir à retrouver ici de nombreux évêques canadiens en cette année où ils accomplissent leur visite «ad limina».

A tous les anciens et aux prêtres qui forment actuellement la communauté du collège, je dis mon cordial salut et mes voeux.

Dans une Eglise locale, il est particulièrement utile que des membres du clergé approfondissent leur intelligence du message chrétien dans le cadre d’études universitaires. Dès l’époque de la fondation de l’Eglise au Canada, les Pasteurs ont eu le souci de donner des moyens de formation de qualité aux prêtres et ils ont développé les institutions universitaires. Je ne puis oublier le rôle que la Compagnie de Saint-Sulpice a joué dans ce domaine. C’est grâce aux Sulpiciens également que vos prédécesseurs ont établi votre maison de Rome, il y a un siècle; toujours animée par les membres de la Compagnie, elle permet à certains prêtres de poursuivre leur formation, en bénéficiant de toutes les ressources que leur offre la Ville éternelle. Depuis l’époque de la fondation, l’enseignement supérieur n’a cessé de se développer au Canada, mais il reste dans l’esprit des universités qu’une partie des étudiants continue à venir ici, pour un autre regard, pour une formation complémentaire.

J’insiste souvent sur le terme de «vérité», car il est la règle d’or pour la recherche intellectuelle chrétienne. Que l’on se spécialise dans les études bibliques, patristiques ou historiques, dans la théologie dogmatique ou la théologie morale, on va toujours à une recherche plus exigeante de la vérité du message révélé, la vérité la plus haute et la plus vitale pour l’homme: la vérité tout entière permet à l’homme de développer les vraies richesses de son être en suivant le chemin des disciples du Christ. Dans un monde où les courants intellectuels divergent et s’affrontent, où les tentations du doute et de la relativisation de la vérité s’insinuent souvent, il est bon que des jeunes prennent les moyens intellectuels les plus rigoureux pour devenir capables d’effectuer les discernements nécessaires, de mener un dialogue utile, dans la foi, avec la culture de notre temps, en mettant leurs compétences au service des différents aspects de la mission de l’Eglise dans leur pays.

… en anglais

From the Vatican, November 11, 1988.

AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA COMMISSION PONTIFICALE «IUSTITIA ET PAX» ET AU COLLOQUE SUR LE THÈME «L'ÉGLISE ET LES DROITS DE L’HOMME»

Mardi 15 novembre 1988


Messieurs les Cardinaux,

Chers Frères dans l’Episcopat,
Mesdames, Messieurs,



1. Au cours du colloque auquel vous participez en ces jours sur le thème «l’Eglise et les Droits de l’Homme», vous avez souhaité rencontrer l’Evêque de Rome. C’est avec plaisir que je vous accueille ici, et je remercie Monsieur le Cardinal Etchegaray d’avoir évoqué l’esprit de ces journées en ouvrant notre entretien. Vos travaux portent sur un sujet que les événements continuent de rendre particulièrement actuel en de nombreuses régions du monde. Comme il s’agit des droits dont le libre exercice conditionne la paix dans le respect de la dignité de la personne humaine, l’Eglise ne cesse d’y être attentive et de contribuer positivement à leur défense. L’existence même de la Commission pontificale «Iustitia et Pax» parmi les dicastères du Saint-Siège en est un signe éloquent. Je tiens à exprimer ma satisfaction pour l’initiative prise par la Commission, et je remercie toutes les personnalités qui ont bien voulu répondre à l’invitation qui leur était adressée et faire bénéficier vos échanges de leur haute qualification et de leur expérience dans les instances internationales directement attachées à la garantie des droits de l’homme. La réunion, aux côtés des membres de la Commission pontificale, de pasteurs, de théologiens, de philosophes, de juristes et de représentants des organismes ecclésiaux spécialisés, venus de différentes régions du monde, donne à votre recherche la largeur de vues que mérite votre thème.



2. Deux anniversaires marquants ont suscité l’initiative de votre colloque. Je suis heureux que vous preniez part à leur célébration en approfondissant leur portée. En effet, le Pape Jean XXIII publiait, il y a vingt-cinq ans, l’encyclique «Pacem in Terris». Et voici quarante ans, l’Organisation des Nations Unies adoptait la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Les deux événements, vous le savez, ont entre eux des rapports réels à plusieurs titres.

Mon prédécesseur Jean XXIII, alors qu’il venait d’ouvrir le deuxième Concile du Vatican, a voulu dire au monde, dans un ultime effort de son zèle pastoral, combien il était urgent de bâtir la paix sur des fondations humaines solides et combien l’Eglise catholique désirait participer à cette tâche concernant toute l’humanité. Il lançait cet appel a un moment où la situation internationale avait connu de vives tensions: le développement des armements nucléaires donnait à certaines crises une gravité ressentie comme une menace dans le monde entier. En même temps, de nombreuses nations accédaient a l’indépendance, la croissance économique paraissait riche de promesses presque sans limites. Et pourtant l’inégalité dans la répartition des biens restait criante. La division entre l’Est et l’Ouest se durcissait. Les esprits étaient partagés entre l’optimisme provoqué par le développement inouï des moyens techniques et économiques et la crainte de voir éclater des conflits catastrophiques, moins de vingt ans après la deuxième guerre mondiale.



3. Par un enseignement clair et convaincant, le Pape disait à tous «les hommes de bonne volonté» qu’il fallait faire la paix, et que l’on ne pouvait y parvenir que dans le respect des droits de l’homme, dans la vérité, la justice, la charité, la liberté. Il accueillait comme un signe positif l’effort d’entente qui avait abouti à la fondation de l’Organisation des Nations Unies et à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Il manifestait l’accord de l’Eglise avec l’essentiel de ce document, qui devait être un véritable pacte en faveur de tous les hommes, en commençant par les plus vulnérables et les plus menacés. Les Nations Unies avaient explicitement déclaré que «la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité» [1]. On avait voulu réagir aux dégradations de l’homme, au mépris de sa liberté et de sa conscience, qui avaient récemment entraîné les pires malheurs.

Jean XXIII, reprenant notamment les grandes inspirations de Léon XIII et les appels des Papes contemporains des deux grands conflits mondiaux, a présenté une remarquable synthèse des fondements et des conditions de la paix qui a reçu un accueil exceptionnel bien au-delà des milieux catholiques. Le Concile Vatican II a poursuivi l’analyse, afin de mieux exprimer les préoccupations et les tâches de l’Eglise dans le monde de ce temps. Les voies ouvertes ainsi permettaient aux chrétiens d’approfondir leur dialogue avec tous ceux qui cherchaient à consolider la paix dans le respect des aspirations essentielles de l’homme.



4. Un quart de siècle après le message de Jean XXIII et celui de Vatican II, si intensément approfondi par Paul VI, votre réflexion sera très utile pour faire le point et éclairer toujours plus vigoureusement un enseignement dont l’Eglise ressent l’urgence. Le Saint-Siège n’a pas manqué de s’exprimer au sujet des droits de l’homme, tant par son magistère propre que dans les enceintes internationales; j’ai eu moi même l’occasion de le faire en de multiples circonstances, comme aux Nations Unies à New York et, il y a quelques semaines, devant la Cour et la Commission européennes des Droits de l’Homme à Strasbourg. L’accueil réservé à la réflexion chrétienne sur les droits de l’homme constitue un signe évident de la place considérable que les Organisations internationales et les Etats accordent à la garantie de ces droits. Mais nous savons bien que beaucoup de chemin reste à parcourir.

Au cours de cette rencontre, nécessairement brève, je n’aborderai pas tous les thèmes que vous développez dans le cadre de vos journées de colloque. Je tiens à souligner cependant, comme en témoigne la diversité des participants réunis ici, le caractère universel des droits de l’homme et leur portée spirituelle. D’un continent à l’autre, d’un milieu culturel à l’autre, on prend conscience de ce bien commun le plus précieux qu’est, au fond, l’homme lui-même. L’être humain est tel parce que capable de liberté; en vertu de la communauté de nature de tous les hommes, chaque société et toutes ensembles peuvent créer les conditions de l’exercice du droit fondamental que nous appelons liberté religieuse. Elles en ont le devoir, car la grandeur de tout homme vient de la prédilection dont Dieu, son Créateur, l’a entouré en le faisant «artisan principal de sa réussite ou de son échec» [2]. L’Eglise considère qu’il relève de sa mission essentielle de proclamer la dignité de l’homme créé à l’image de Dieu, qu’elle sait aimé de Dieu au point d’être sauvé par le Christ. C’est pourquoi les chrétiens doivent travailler sans cesse à mieux mettre en valeur la dignité que l’homme reçoit de son Créateur et unir leurs énergies à celles des autres pour la défendre et la promouvoir.



5. En disant cela, ma pensée va vers les hommes, si nombreux encore, dont la conscience n’est pas vraiment libre de s’exprimer, qui adhèrent au fond d’eux-mêmes aux vérités les plus hautes mais se voient empêchés de partager leurs convictions, de les nourrir et de les transmettre librement à leurs enfants, de rendre en commun à Dieu le culte public qu’ils désirent. Je voudrais dire la sollicitude fraternelle du Pape et de toute l’Eglise envers ceux qui souffrent au nom de leur foi jusqu’aux plus graves persécutions. Dans le monde d’aujourd’hui, il est des témoins héroïques de la foi qui nous rappellent, par l’engagement sans réserve de leur personne, le prix de la liberté religieuse. Leur témoignage nous invite à comprendre combien cette liberté des fils de Dieu est essentielle pour que soit sauve leur dignité, qui est avant tout d’ordre spiritual. N’appartient-il pas à tous ceux qui bénéficient de la liberté religieuse de mettre en valeur le caractère primordial de ce droit? Car notre ferme conviction est que, sans cette liberté d’adhérer aux valeurs spirituelles et de les exprimer dans la communauté, la personne humaine elle-même est en péril.



6. Au cours de ces dernières décennies, l’attention accordée aux droits de l’homme s’est heureusement beaucoup développée. On les a mieux précisés. Ils deviennent en quelque sorte un critère majeur pour évaluer la pertinence des décisions de gouvernement ou le bien-fondé des accords entre les nations. Des institutions importantes ont été créées pour garantir les droits des personnes, et aussi les droits des communautés de mieux en mieux reconnus. L’Eglise prend acte volontiers de ce vaste mouvement, tout en sachant que les limites de ses effets demeurent douloureusement ressenties en bien des régions et à l’intérieur même des sociétés que l’on pourrait croire protégées de toute violence faite à la personne.

Des chrétiens nombreux contribuent à la défense des droits de l’homme, souvent regroupés dans des associations désintéressées et efficaces, soutenus par l’enseignement de l’Eglise et par l’impulsion de ses pasteurs. Dans le même esprit, vous avez réservé une part de vos travaux à la pastorale des droits de l’homme. Je tiens à encourager avec vous ceux qui s’engagent dans cette forme de service. Leur réflexion contribue à mieux former jeunes et adultes à une conception équilibrée des droits de l’homme; elle fait apparaître au grand jour les enjeux de la vie sociale et politique. Leur action permet souvent d’apporter un soutien fraternel à des personnes privées de droits vitaux, mettant en oeuvre un amour fraternel évangélique capable de franchir bien des frontières. Ce type d’engagement est aussi favorable à une collaboration oecuménique ainsi qu’à un dialogue constructif entre personnes et groupes qui ne partagent pas la même foi mais qui sont disposés à collaborer pour promouvoir la dignité humaine là où elle est menacée.

Je souhaite que cette pastorale, animée par les évêques et ceux qu’ils délèguent pour cela, mette en oeuvre concrètement, dans la charité, l’enseignement de l’encyclique «Pacem in Terris» et du Concile Vatican II, de même que les principes universellement reconnus à la suite de la Déclaration de 1948. Je forme le voeu qu’il ne s’agisse pas d’actions réservées à des groupes spécialisés, mais d’une préoccupation commune et solidaire de tous.

J’appelle sur vous la Bénédiction de Dieu, et je prie pour les hommes et les femmes du monde qui souffrent des atteintes portées à leur dignité.

[1] Déclaration universelle des Droits de l'Homme, Préambule.
[2] Pauli VI Populorum Progressio, PP 15.





À S.E. M. SÉBASTIAN NTAHUGA, NOUVEL AMBASSADEUR DU BURUNDI PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi, 18 novembre 1988


Monsieur l’Ambassadeur,


C’est avec joie que j’accueille Votre Excellence au Vatican en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République du Burundi près le Saint-Siège.

Je vous remercie des voeux que vous m’avez transmis de la part de Son Excellence le Major Pierre Buyoya, Président de la République du Burundi. Je vous demanderai de lui adresser, en retour, mes salutations déférentes et cordiales, en l’assurant de ma prière pour sa personne, pour ceux qui collaborent avec lui dans la responsabilité de gouverner la nation burundaise et enfin pour le cher peuple burundais lui-même, à qui j’exprime toute mon affection.

Votre présence en ces lieux, en qualité de diplomate, témoigne de l’ouverture de votre pays aux motivations d’ordre spirituel et religieux: de cela, j’éprouve une vive satisfaction et je ne doute pas que votre mission, officiellement inaugurée ce jour, contribue à resserrer les liens avec le Saint-Siège.

En termes aimables, vous avez évoqué les efforts du Siège Apostolique pour encourager les initiatives répondant aux préoccupations profondes de tout être humain et cherchant à établir entre les hommes plus de liberté, de justice et de paix. Votre pays partage le désir de promouvoir ces mêmes idéaux à travers l’engagement unanime de ses fils et de ses filles, dans le respect de la dignité et des droits de chacun. Je sais les graves difficultés que votre nation a connues dans le passé – et, hélas, récemment encore – mais, je sais aussi que les Burundais et leurs gouvernants sont bien décidés à tout mettre en oeuvre pour les surmonter. Assurément, votre peuple ne manque ni de ressources ni d’énergie morale pour une réconciliation fraternelle et une participation commune de tous les citoyens à l’édification d’un avenir serein. Dans cette oeuvre de longue haleine, vous pouvez compter sur l’encouragement et le soutien de l’Eglise, en particulier du Saint-Siège, ainsi que – je l’espère vivement – sur la sympathie et l’aide de la communauté internationale.

Permettez-moi de saisir l’occasion de cette rencontre pour exprimer, par votre intermédiaire, une pensée particulièrement affectueuse à la communauté catholique du Burundi, jeune encore mais déjà si vigoureuse et si riche de promesses. Sa contribution à l’oeuvre de promotion du développement intégral de votre peuple a été et est encore remarquable. C’est avec une grande satisfaction que j’ai appris les décisions par lesquelles le nouveau gouvernement non seulement a rétabli l’Eglise dans ses droits, dans la pleine liberté de son culte et de son action pastorale, mais encore a repris un dialogue et une collaboration bénéfiques pour le pays. Je n’ai pas besoin de vous redire, Monsieur l’Ambassadeur, que les catholiques burundais sont désireux de se prodiguer en vue du développement national, qu’ils sont prêts à apporter leur coopération constructive, loyale et désintéressée. Sous la conduite de leurs évêques, ils auront à coeur de poursuivre, avec un élan renouvelé, leur contribution à l’unité et au progrès humain harmonieux, très particulièrement dans la solidarité avec ceux qui souffrent et dans la lutte contre la pauvreté. Dans le respect intégral de la vie, ils souhaitent édifier toujours plus solidement les structures familiales, qui demeurent les fondations obligées de la construction d’une nation. Ils s’emploieront avec un soin particulier à former les jeunes générations aux grandes valeurs de justice, de paix et de fraternité, qui ont leurs sources dans l’Evangile.

Puisse le Burundi être de plus en plus – suivant sa sagesse traditionnelle – un pays d’accueil, de dialogue et d’assistance réciproque: un pays qui vit en paix et qui contribue à la paix dans le continent africain et dans la communauté entière des nations!

Au moment où commence votre mission, je vous offre mes meilleurs voeux pour l’heureux accomplissement de votre tâche. Soyez assuré que vous trouverez toujours ici un accueil attentif et une compréhension cordiale.

Sur Votre Excellence, sur Monsieur le Président de la République, le Gouvernement et le peuple du Burundi, j’invoque l’abondance des Bénédictions divines.



AUX ÉVÊQUES DU QUÉBEC EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM »

Vendredi, 18 novembre 1988


Messieurs les Cardinaux,

Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Je suis heureux de vous accueillir tous ensemble, vous qui portez la charge pastorale des diocèses du Québec, au moment de votre visite «ad limina». Notre concélébration eucharistique pour le centenaire du Collège canadien, l’expérience spirituelle de votre pèlerinage aux tombeaux des deux grands Apôtres fondateurs de l’Eglise romaine soulignent la vraie portée de nos entretiens et de vos diverses rencontres d’information et de réflexion avec mes collaborateurs: c’est un temps favorable pour faire le bilan de votre action diocésaine dans un climat de prière et de communion avec l’épiscopat de l’Eglise universelle, présent en quelque sorte dans la personne du successeur de Pierre.

Votre Assemblée des Evêques du Québec a préparé cette visite «ad limina» en rédigeant un ample rapport qui évoque votre activité au cours de ces cinq dernières années, vos préoccupations et vos projets. Je remercie Monseigneur Jean-Marie Fortier, votre Président, de me l’avoir présenté. Vous abordez de nombreux sujets, vous montrez le travail suivi et bien organisé de vos différents comités: cela témoigne de l’intensité de votre collaboration entre vous et avec des responsables spécialisés et des experts. Votre Assemblée apporte ainsi à chaque évêque un précieux concours, afin de répondre le mieux possible aux attentes et aux besoins du peuple de Dieu.

Je ne reprendrai pas toutes les questions traitées par ce rapport. D’ailleurs j’ai eu l’occasion d’en aborder certaines avec vos confrères des autres régions du Canada ces temps derniers. Je m’en tiendrai à quelques points dont vous soulignez vous-mêmes l’importance.

2. L’analyse que vous faites de la situation de la société dans votre pays vous donne de sérieux motifs d’inquiétude. Vous constatez, avec l’éclatement des structures anciennes, que beaucoup de vos compatriotes semblent manquer d’espérance en leur avenir et que cette société profondément transformée ressent sa vulnérabilité, ne connaît plus ses raisons de vivre. Il y a là de véritables défis pour l’Eglise qui avait joué un si grand rôle dans votre province. Vous montrez que vous êtes prêts à tenir compte des évolutions qui ont déstabilisé beaucoup de chrétiens. Je vous encourage à faire face, à engager toutes les ressources humaines de vos communautés pour aider vos frères et soeurs à retrouver le sens des valeurs positives, de la solidarité fraternelle, d’une réponse généreuse aux exigences de l’Evangile qui mette en oeuvre la vertu d’espérance et la force de la charité. Les incertitudes d’un monde désorienté doivent nous amener à témoigner avec vigueur d’une Bonne Nouvelle qui concerne tous les hommes et les femmes dans ce qu’ils ont de plus vital.

3. Pour répondre à ces exigences de la mission de l’Eglise, vous vous préoccupez en premier lieu de l’éducation de la foi. Et je relève que, face à un pluralisme qui s’instaure en milieu éducatif, vous avez pris des dispositions nouvelles pour la préparation des jeunes aux sacrements de l’initiation chrétienne. II revient aux communautés paroissiales de conduire les enfants à leur première confession, à la confirmation, à la première communion les parents, les pasteurs et les agents de pastorale, ainsi que les éducateurs, sont associés afin de permettre aux plus jeunes membres du corps ecclésial d’aborder ces étapes majeures de leur vie chrétienne dans les conditions d’une véritable expérience de la foi, d’accueillir le don de Dieu au milieu de leurs proches. Je partage votre satisfaction devant la mobilisation de beaucoup d’adultes au service des enfants, devant la prise de conscience par les communautés de leur rôle d’éveil de la foi à travers la célébration bien vécue des sacrements de l’initiation. On ne peut qu’encourager les personnes qui ont fait pour cela un effort de formation et que ce service des jeunes a amenées à renouveler leur propre foi.

Cela n’a pas diminué pour autant l’intérêt que vous portez à l’instruction religieuse et à l’animation pastorale en milieu scolaire, tout au long de la formation dans les différents types d’enseignement. Il s’agit là d’un engagement essentiel de la part de tous les chrétiens qui ont un rôle éducatif, sans se décharger sur des spécialistes isolés. Vous bénéficiez de conditions relativement favorables pour conduire une pastorale scolaire active. Je ne saurais trop vous inciter à y accorder toute votre attention, notamment pour aider les jeunes à former leur conception de la vie en intégrant dans un tout unifié les données des disciplines profanes et le message chrétien, les sciences humaines avec l’éthique chrétienne, le bagage pour la réussite sociale avec le sens du service de l’autre, le développement de la personnalité avec la solidarité la plus large et la plus désintéressée. Un tel objectif ne peut être atteint que grâce au développement d’une pastorale très active à laquelle les jeunes participent, eux-mêmes témoins des valeurs évangéliques les uns vis-à-vis des autres.

L’approfondissement de la foi n’est évidemment pas que l’affaire des enfants et des jeunes. Les adultes baptisés ne prendront toute leur part dans la vie de l’Eglise que s’ils ont un souci de réflexion et de formation permanente. Aussi est-ce une de vos tâches de prévoir, au bénéfice des adultes de tous milieux, des possibilités adaptées de progresser dans l’intelligence de la foi, afin qu’ils soient capables de ne pas céder aux tentations de l’indifférence, afin qu’ils accordent leur foi avec leur vie de tous les jours, afin qu’ils assument leur rôle dans l’éveil de la foi des enfants, afin qu’ils soient des témoins crédibles de la foi dont ils ont reçu le don. Dans ce but, il convient de favoriser, entre autres, les groupes de réflexion, l’effort de formation dans le cadre des mouvements, les haltes spirituelles de récollection ou de retraite. Et il faut savoir laisser aux animateurs compétents la disponibilité nécessaire et les aider pour leur propre ressourcement intellectuel et spirituel.

4. Dans l’évolution de la vie ecclésiale au Québec, ces dernières années, vous soulignez ce que vous appelez un «virage communautaire». D’une attitude trop souvent passive des laïques dans une Eglise dont toute la charge institutionnelle reposait sur les clercs, on passe à une coresponsabilité comprise comme un facteur essentiel. Les baptisés participent d’une manière de plus en plus responsable à l’activité de leur paroisse et de groupes divers.

Dans bien des cas, la diminution du nombre des prêtres a renforcé cette tendance, mais il s’agit plus profondément pour les laïques, hommes et femmes, de répondre en vérité à leur vocation propre.

On ne peut que se féliciter d’une telle évolution qui correspond bien à la mise en oeuvre des dons de l’Esprit par les membres différents du même Corps, comme les écrits apostoliques la présentent: le Corps du Christ ne peut vivre pleinement que grâce à l’action de tous ses membres. L’exercice de la coresponsabilité suppose non seulement un équilibre entre prêtres, religieux et religieuses, agents de pastorale et laïcs, mais aussi une collaboration qui respecte la mission de chacun. Prochainement je donnerai, pour toute l’Eglise, les orientations qui résultent du récent Synode sur la mission des laïcs.

Vous avez vous-mêmes ressenti le besoin de définir les responsabilités et aussi d’améliorer la préparation de chacun afin qu’il remplisse son rôle avec joie, sans craindre aucunement d’être dépossédé, car sa place dans la structure essentielle de l’Eglise est respectée. Je pense en particulier aux prêtres: qu’ils ne se sentent pas confinés à des fonctions sacramentelles qui ne seraient pas considérées comme centrales, qui seraient dissociées de leur vocation à porter la Parole de Dieu, à rassembler et présider la communauté, à être les premiers responsables de la mission! Même si un tel excès est rarement soutenu, une difficulté peut exister pour certains prêtres, notamment pour ceux qui ont été formés dans des perspectives différentes: comment remplir leur rôle de promoteurs de la coresponsabilité en pleine harmonie avec le caractère sacerdotal que leur confère l’ordination? Il relève de votre sollicitude d’évêques de veiller à ce qu’aucun n’éprouve de malaise, à ce que tous bénéficient du soutien fraternel et du ressourcement spécifique dont ils ont besoin. Je sais que vous réfléchissez à ces questions et que vous veillez à ce que les membres du presbyterium puissent assurer leur ministère dans un bon équilibre personnel.

Aux côtés des prêtres, les agents de pastorale, hommes et femmes, ont pris une place de plus en plus considérable. Parmi eux, les diacres permanents méritent une mention spéciale, et il convient de saluer le précieux service qu’ils rendent par leur dévouement et grâce à la formation qu’ils ont acquise. Le nombre augmente des laïques dont vous reconnaissez les compétences, que vous avez souvent officiellement institués comme responsables d’enseignement, de préparation aux sacrements, d’animation de la communauté ou d’autres tâches encore. Pour l’ensemble des agents de pastorale, je retiens deux de vos préoccupations: d’une part, vous profitez de l’expérience acquise pour mieux organiser leur préparation, définir les besoins auxquels les programmes de formation doivent répondre sur les plans théologique, spirituel, pastoral et humain. D’autre part, vous cherchez à mieux intégrer les itinéraires personnels de ces hommes et de ces femmes dans la vie du diocèse et des communautés locales. Je vous encourage à poursuivre les travaux entrepris dans ce sens, par respect des personnes qui donnent beaucoup à l’Eglise, et qui ne doivent pas connaître de frustrations, autant que dans l’intérêt même de la coresponsabilité à laquelle ils sont appelés à participer.

Votre rapport observe aussi que le renouvellement de la vie des communautés chrétiennes grâce à la coresponsabilité que je viens d’évoquer s’accompagne trop souvent d’une tentation de repli sur soi, d’une certaine timidité pour l’évangélisation. Au «virage communautaire» ne répond pas toujours un égal «virage missionnaire», dites-vous. Cette remarque importante de votre part amène à lancer un appel à retrouver le dynamisme missionnaire des fondateurs de vos Eglises locales. Les chrétiens du Québec ne peuvent pas oublier l’ardeur et l’audace de ceux qui ont bâti l’Eglise sur leur terre et grâce auxquels ils ont reçu le baptême. Qu’ils n’en restent pas à une action limitée au cadre restreint et protégé de leurs regroupements! Qu’ils soient des évangélisateurs courageux, prêts à un témoignage qu’en fait le monde attend, même s’il paraît s’éloigner des voies de Dieu!

5. Il est encore deux points que je voudrais aborder plus brièvement, sans pour autant leur attacher moins d’importance. En premier lieu, et dans le prolongement de ce que je viens de dire, il y a votre désir de développer au Québec le dialogue de la foi avec la culture. Vous êtes très conscients du chemin à parcourir pour que la voix chrétienne soit entendue dans une culture qui a beaucoup changé récemment. C’est sans doute une tâche difficile à préciser et à organiser. Mais elle est essentielle. Comment imaginer que, dans une société qui a des racines chrétiennes si vigoureuses, la même sève ne contribue pas à faire mûrir de nouveaux fruits? Par l’étude à tous les niveaux, par l’action dans les médias, pour la formation dont nous avons parlé, les chrétiens doivent contribuer de manière essentielle à formuler, dans le langage d’aujourd’hui, la vraie portée des aspirations de l’homme et de sa grandeur, à promouvoir les valeurs qui s’attachent au respect de la création et aux qualités d’une société fraternelle et solidaire des plus pauvres. Que tous se sentent concernés: il ne s’agit pas d’une question d’ordre seulement intellectuel; chaque homme et chaque femme aspire à la vérité entière à toutes les étapes de sa vie et dans ce qui imprègne sa culture.

6. En dernier lieux, je voudrais vous encourager à développer votre pastorale de la famille. Vous vous faites l’écho des souffrances de trop de vos compatriotes meurtris par les échecs et les séparations dans leurs foyers. Vous savez aussi quelles joies et quel rayonnement connaissent les familles qui épanouissent la grâce de leur union en se montrant fidèles à l’amour qui est don de Dieu au plus intime de l’être. Que les chrétiens aient le courage de défendre la valeur positive de l’indissolubilité du mariage! Qu’ils respectent la vie dès sa conception! Qu’ils aient assez de confiance et d’espérance pour accueillir des vies nouvelles dans leurs foyers, pour réagir au refus de l’enfant qui compromet l’avenir de tout un peuple! Sans se montrer agressifs, mais avec fermeté et conviction raisonnée, ils ont à défendre la dignité et les droits des familles dans la société. Vous n’êtes pas les seuls porte-parole des familles, mais votre rôle de pasteurs est considérable pour les aider à prendre conscience de leurs devoirs et pour appuyer leur légitime désir d’être reconnues et soutenues.

7. Chers Frères dans l’épiscopat, votre mission est souvent difficile. J’aimerais que vous trouviez dans notre rencontre, dans notre commune prière, non seulement un encouragement pour vos efforts, mais une confirmation de votre mission apostolique et l’assurance que la force de l’Esprit de Jésus-Christ ne vous fera pas défaut. Je vous demande de porter mon salut très cordial aux prêtres, aux diacres, aux religieux, aux religieuses, aux agents de pastorale, hommes et femmes, à tous les fidèles de vos diocèses. Avec vous, je prie pour qu’ils soient heureux de répondre ensemble à l’appel du Seigneur. Je demande pour eux l’intercession de la Mère du Christ et des saints du Canada. Et j’invoque sur tous la Bénédiction de Dieu.


AUX PARTICIPANT À UN «COLLOQUE» ORGANISÉ PAR LA CONGRÉGATION POUR LES CAUSES DES SAINTS

Samedi, 19 novembre 1988


Monsieur le Cardinal,

Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,

1. Je suis heureux, en vous recevant ici, de vous remercier pour la recherche interdisciplinaire qui vous réunit à Rome. Un tel travail est un témoignage de foi en la puissance et en la providence de Dieu.

La présence de l’Evêque de Tarbes et Lourdes, Moseigneur Jean Sahuquet – avec son prédécesseur Monseigneur Henri Donze – me rappelle heureusement le pèlerinage à la grotte de Massabielle que j’ai pu faire moi-même pour la fête de l’Assomption en 1983, m’unissant ainsi aux foules qui prient intensément l’Immaculée Conception, la Mère du Sauveur, dans une expérience spirituelle souvent décisive pour leur vie.

C’est pour moi une joie de saluer les membres du Comité médical international de Lourdes, ainsi que des théologiens et des canonistes et le Conseil médical de la Congrégation pour les Causes des Saints. Je tiens à remercier spécialement ceux qui ont pris l’initiative de cette rencontre qui pourra être d’une réelle utilité pour l’Eglise.

2. L’objet de votre colloque est la constatation de faits ou de guérisons extraordinaires, inexplicables selon les critères scientifiques et donc ouverts à la possibilité d’une intervention divine. Dons le coeur et l’esprit d’hommes soumis aux épreuves les plus douloureuses et les plus désespérées, de tels faits peuvent manifester l’aide toute-puissante de Dieu, en des moments où il est leur seul secours, leur seule espérance, leur seule consolation.

Les guérisons, les dons extraordinaires, sont nombreux. Tous ne sont pas connus, moins souvent encore constatés dans le cadre d’une expertise sérieuse et reconnus ensuite authentiques par l’Eglise. Mais ces signes peuvent être des rappels, des messages qui montrent que Dieu est Amour. Ils ont opéré bien des conversions, ils ont stimulé bien des personnes à vivre un don de soi plus sincère et généreux, dans la discrétion le plus souvent.

3. Lorsqu’ils sont constatés dans des conditions rigoureuses, puis reconnus officiellement par l’autorité ecclésiale, de tels faits sont comme un sceau divin qui confirme la sainteté d’un serviteur de Dieu dont l’intercession a été invoquée, un signe de Dieu qui suscite et légitime le culte qu’on lui rend et donne une caution à l’enseignement que comportent sa vie, son témoignage et son action.

Pour les causes des saints, les miracles ont une signification très forte: ils font, en quelque sorte, entendre la «voix de Dieu» dans le discernement de l’Eglise en vue de la béatification ou de la canonisation d’un serviteur de Dieu. Ils éclairent et confirment le jugement qui engage l’autorité de Pierre et de l’Eglise. C’est dire l’importance des faits que vous étudiez.

4. A Lourdes, c’est la médiation de Marie qui est invoquée pour obtenir la faveur de la guérison. Lorsqu’elle est accordée, ce n’en est pas moins un signe de Dieu même, un don fait par le Fils de Dieu, Fils de Marie, grâce de miséricorde qui a sa source dans le Père. L’Esprit consolateur atteste dans la joie la présence de l’amour divin, comme il témoigne de la puissante intercession de Marie. Chaque guérison inexplicable médicalement, dûment constatée à Lourdes, puis reconnue comme miracle par l’autorité ecclésiale compétente, comporte un message, une invitation à une vie chrétienne plus fervente, un éclairage sur le rôle de Marie, Vierge Immaculée, Mère de l’Eglise et Reine de la Paix.

Pour ceux qui ont la charge pastorale des sanctuaires de Lourdes, une attention spéciale aux miracles est une responsabilité et une mission. Depuis longtemps, le concours des médecins a été précieux pour aider au discernement, selon leur propre niveau de compétence. Au fur et à mesure des progrès de la science, on comprend mieux certains faits; mais il reste que de nombreuses guérisons constituent une réalité qui n’a son explication que dans l’ordre de la foi, que l’examen scientifique le plus rigoureux ne peut nier a priori et qu’il doit donc respecter, précisément dans son ordre.

5. Il semble que l’on constate aujourd’hui que la pédagogie divine éclaire les hommes par des interventions plus spirituelles et plus intime, et que les faits d’incidence corporelle deviennent plus rares. Il reste que Dieu accorde toujours des dons inattendus et profonds, répondant à l’imploration faits dans la foi et la charité, dans la confiance en la force de son amour plus grand que tout.

Votre recherche commune prendra en considération les interventions divines constatables, dans le contexte scientifique que suppose et exige leur examen, mais aussi à la lumière de la foi en la toute-puissance de la miséricorde divine.

C’est à cette lumière révélée que se situe votre recherche et qu’il convient d’apprécier les travaux dont vous avez reçu la mission. Je vous encourage à les poursuivre avec les exigences de votre science et aussi dans le respect de la grandeur de Dieu saint et fort.

J’invoque sur vous l’aide de Dieu et je vous donne à tous, ainsi qu’à vos proches, à vos amis et à vos collaborateurs, ma Bénédiction Apostolique.



Discours 1988 - Jeudi, 10 novembre 1988