Discours 1992






1992

Janvier 1992



À M. HAMED EL ABED, NOUVEL AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE TUNISIENNE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Jeudi, 9 janvier 1992


Monsieur l’Ambassadeur,

Soyez le bienvenu en cette demeure, où j’ai la joie d’accueillir Votre Excellence à l’occasion de la présentation des Lettres qui L’accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République tunisienne près le Saint–Siège.
Je vous remercie vivement des aimables paroles que vous venez de m’adresser. Je suis sensible, en particulier, à votre évocation des efforts du Siège Apostolique en vue de faire prévaloir entre les hommes la paix et la justice. Ainsi que je le déclarais dans mon message pour la XXVe Journée mondiale de la paix, le 1er janvier 1992, les croyants sont particulièrement appelés, en raison de leur foi, «à être des messagers et des bâtisseurs de paix: comme les autres et plus que les autres, ils sont appelés à rechercher, avec humilité et persévérance, les réponses adéquates aux attentes de sécurité et de liberté, de solidarité et de partage, qui rapprochent les hommes, en ce monde devenu en quelque sorte plus petit»[1]. Il m’est agréable de vous entendre renouveler l’engagement du Gouvernement tunisien à promouvoir les mêmes idéaux, pour le bien de tous les membres de la famille humaine.

Votre présence en ces lieux, Monsieur l’Ambassadeur, manifeste l’estime qu’a votre nation pour les valeurs spirituelles; celles–ci, en effet, constituent le plus sûr fondement du développement de relations harmonieuses entre les peuples et pour l’édification d’une société toujours plus digne de l’homme.

Si l’Islam est la religion de l’État tunisien et de la grande majorité de la population, les lois de votre pays, avez–vous fait remarquer, garantissent le libre exercice de tous les cultes. Je vous en exprime ma satisfaction et je forme le voeu que les fidèles de l’Église catholique continuent à pouvoir exercer leurs activités propres, dans un dialogue constructif avec leurs frères et soeurs musulmans, comme aussi avec ceux et celles qui se réclament d’autres traditions spirituelles.

Je saisis l’occasion de cette rencontre pour adresser par votre intermédiaire, Monsieur l’Ambassadeur, un affectueux salut à la petite communauté catholique de Tunisie, héritière d’un passé chrétien prestigieux, qui témoigne généreusement et efficacement de sa foi au sein de la communauté nationale, dans une insertion respectueuse des croyances d’autrui, tissant des liens d’amitié avec les uns et les autres, et s’efforçant ainsi de favoriser la concorde et la bonne entente entre tous. Puissent–ils, dans un esprit de bon voisinage, continuer à apporter leur contribution à la recherche du bien commun! Puissent–ils, en particulier, poursuivre tout ce qui a été entrepris dans le domaine scolaire, en vue de promouvoir encore davantage le progrès culturel et le dialogue avec l’Occident!

En cette circonstance où ma pensée se tourne vers l’ensemble de vos compatriotes, je vous prierais de bien vouloir présenter mes salutations déférentes à Son Excellence Monsieur Zine El Abidine Ben Ali, Président de la République tunisienne. Je vous serais obligé de lui transmettre mes souhaits fervents pour l’heureux accomplissement de sa noble tâche. Je salue également les personnes qui collaborent avec lui dans le gouvernement de la nation et je demande à Dieu de bénir les initiatives entreprises sur la voie du développement, au bénéfice de tout le Peuple tunisien, pour qui, en ce début de l’An nouveau, je forme des voeux de bonheur et de prospérité.

Je me réjouis que votre présence ici, Monsieur l’Ambassadeur, raffermisse les liens existant entre votre pays et le Saint–Siège. Au moment où commence votre mission, je vous adresse mes souhaits sincères. Soyez assuré que vous trouverez toujours un accueil attentif et une compréhension cordiale auprès de mes collaborateurs.

Sur Votre Excellence, sur Monsieur le Président de la République, le Gouvernement et le Peuple tunisiens, j’invoque l’assistance du Très–Haut et l’abondance des bénédictions divines, afin que votre nation poursuive sa marche vers un progrès qui réponde toujours mieux aux aspirations de tous ceux qui vivent sur la terre de Tunisie.

[1] N.1.


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE

Vendredi, 10 janvier 1992


Messieurs les Cardinaux,

Chers amis,

1. Je vous accueille avec joie et vous souhaite la bienvenue, heureux de vous saluer et de vous exprimer ma reconnaissance pour votre dévouement envers l’Église et sa mission d’évangélisation.
Je vous remercie également pour la compétence que vous mettez au service du Saint–Siège, sous la direction du Cardinal Paul Poupard, avec les Cardinaux Eugênio de Araújo Sales et Hyacinthe Thiandoum, du Comité de Présidence, aidé par les collaborateurs et collaboratrices qui assurent à Rome un travail de qualité. Dans quelques mois, le Conseil pontifical pour la Culture, l’un des plus jeunes dicastères de la Curie romaine, célébrera ses dix ans de fondation. Au cours de cette première décennie, vous avez, par vos travaux, témoigné que la culture est un élément constitutif de la vie des communautés chrétiennes, comme de toute société vraiment humaine. Selon les orientations données le 20 mai 1982 dans la Lettre de fondation et confirmées par la Constitution apostolique Pastor Bonus, vous voilà délibérément engagés dans la réflexion et l’action.

2. Vous avez progressivement développé une fructueuse collaboration avec divers dicastères de la Curie romaine et plusieurs organismes comme le Comité pontifical des Sciences historiques et l’Académie pontificale des Sciences. Je souhaite que s’intensifie votre collaboration avec les Églises locales, afin de promouvoir les initiatives propres à stimuler l’évangélisation des cultures et l’inculturation de la foi. Votre bulletin «Église et cultures» étend le rayonnement des réalisations de portée internationale, nombreuses et diversifiées, dont vous rendez compte. Vous collaborez avec les Organisations internationales catholiques, avec l’UNESCO et le Conseil de l’Europe. Vous avez participé à de nombreuses manifestations – vous en avez aussi suscité – et vous avez développé une réflexion de qualité sur les moyens de communication sociale, les arts, les éditions, les universités catholiques, le rôle de la femme dans le développement culturel, l’inculturation de la foi en Afrique et en Asie, l’évangélisation de l’Amérique, la construction de la nouvelle Europe.

3. Depuis plusieurs années, une nouvelle Europe est en train de se dessiner, à travers ombres et lumières, joies et douleurs. La chute des murailles idéologiques et policières a provoqué une joie intense et suscité de grandes espérances, mais d’autres murs déjà divisent à nouveau le continent. Aussi, je vous sais gré d’avoir organisé, à ma demande et pour préparer l’Assemblée spéciale pour l’Europe du Synode des Évêques, le Symposium pré–synodal «Christianisme et culture en Europe. Mémoire, conscience, projet». Vous avez aidé les Évêques et, par eux, toute l’Église à raviver notre mémoire chrétienne millénaire et à mieux discerner les fondements culturels de la renaissance d’une Europe spirituellement réunie, où nous voulons être «témoins du Christ qui nous a libérés»[1].

À la veille du troisième millénaire, la mission apostolique de l’Église l’engage à une nouvelle évangélisation où la culture revêt une importance primordiale. Les Pères du récent Synode le soulignaient: le nombre des chrétiens augmente, mais, dans le même temps, s’accentue la pression d’une culture sans ancrage spirituel. La déchristianisation a engendré des sociétés sans référence à Dieu. Le reflux du marxisme–léninisme athée comme système politique totalitaire en Europe est loin de résoudre les drames qu’il a provoqués en trois quarts de siècle. Tous ceux que ce système totalitaire a touchés d’une manière ou d’une autre, ses responsables et ses partisans comme ses opposants les plus irréductibles, sont devenus ses victimes. Ceux qui ont sacrifié à l’utopie communiste leur famille, leurs énergies et leur dignité prennent conscience d’avoir été entraînés dans un mensonge qui a très profondément blessé la nature humaine. Les autres retrouvent une liberté à laquelle ils n’ont pas été préparés et dont l’usage reste hypothétique, car ils vivent dans des conditions politiques, sociales et économiques précaires, et connaissent une situation culturelle confuse, avec le réveil sanglant des antagonismes nationalistes.

En concluant le Symposium pré–synodal, vous demandiez: où et vers qui se dirigeront ceux dont les espérances utopiques viennent de disparaître? Le vide spirituel qui mine la société est d’abord un vide culturel, et c’est la conscience morale, renouvelée par l’Évangile du Christ, qui peut vraiment le combler. Alors seulement, dans la fidélité créatrice à son patrimoine hérité du passé et toujours vivant, l’Europe sera en mesure d’aborder l’avenir avec un projet qui soit une vraie rencontre entre la Parole de Vie et les cultures en quête d’amour et de vérité pour l’homme. Je saisis l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour renouveler à tous ceux qui ont été les artisans de ce Symposium l’expression de ma reconnaissance pour leur coopération aux travaux du Synode.

4. L’année 1992 marque le cinquième centenaire de l’évangélisation de l’Amérique. J’ai tenu particulièrement à ce que la «culture chrétienne» soit l’un des axes majeurs de ce jubilé, où l’Église proposera vraiment l’Évangile du Christ aux hommes dans la mesure où elle s’adressera à chaque homme dans sa culture et où la foi des chrétiens montrera sa capacité de féconder les cultures émergentes, porteuses d’espérance pour l’avenir. L’Amérique latine représente près de la moitié des catholiques du monde. L’enjeu de sa nouvelle évangélisation est étroitement lié à un dialogue renouvelé entre les cultures et la foi. Aussi le Conseil pontifical pour la Culture continuera–t–il à apporter son expérience aux Conférences épiscopales qui le solliciteront en ce sens, avec le CELAM.

5. Le prochain Synode des Évêques pour l’Afrique accordera une place centrale au grand défi de l’implantation de l’Évangile dans les cultures africaines. Déjà les documents préparatoires étudient de près les rapports entre l’évangélisation et l’inculturation. Depuis plus d’un siècle, les missionnaires ont généreusement dépensé leurs énergies et souvent même sacrifié leur propre vie pour que l’Évangile sauveur rejoigne l’Africain au coeur de son être. L’inculturation est un processus lent, qui embrasse toute l’étendue de la vie missionnaire. Et un regard d’ensemble porté sur l’humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service[2]. À la veille de ce Synode, menacées par le syncrétisme et les sectes, les Églises d’Afrique retrouvent un nouvel élan pour annoncer l’Évangile et l’accueillir en fonction de leurs cultures, dans le cadre de la catéchèse, de la formation des prêtres et des catéchistes, de la liturgie et de la vie des communautés chrétiennes. Cela demande du temps: tout processus d’inculturation authentique de la foi est un acte de «tradition», qui doit trouver son inspiration et ses normes dans l’unique Tradition. Il suppose un approfondissement théologique et anthropologique du message de la Rédemption en même temps que le vivant et irremplaçable témoignage de communautés chrétiennes, joyeuses de partager leur fervent amour du Christ.

6. Une tâche urgente vous attend: rétablir les liens distendus et parfois rompus entre les valeurs culturelles de notre temps et leur fondement chrétien permanent. Les changements politiques, les bouleversements économiques et les mutations culturelles de ces dernières années ont largement contribué à une prise de conscience morale, douloureuse et lucide. Après des décennies d’oppression totalitaire, des hommes et des femmes nous en donnent le poignant témoignage: c’est à la conscience morale, gardienne de leur identité profonde, qu’ils doivent leur survie personnelle. Nombreux sont aujourd’hui les jeunes et les moins jeunes des nations industrialisées qui clament, par tous les moyens, leur insatisfaction d’un «avoir» qui étouffe l’«être», alors que tant d’autres manquent d’«avoir» pour pouvoir simplement «être». Partout, les peuples exigent le respect de leur culture et de leur droit à une vie pleinement humaine. C’est aussi par la culture que se vérifiera le mot de Pascal: «L’homme passe l’homme, infiniment».

7. Une situation culturelle nouvelle découle notamment du développement des sciences et des techniques. Conscients de la réflexion renouvelée qu’elle appelle de la part de l’Église, vous avez inspiré un Symposium à Tokyo sur «Science, technologie et valeurs spirituelles. Une approche asiatique de la modernisation», et un autre, au Vatican même, en collaboration avec l’Académie pontificale des Sciences, sur «La science dans le contexte de la culture humaine». La fragmentation des connaissances comme celle de leurs applications techniques rend plus difficile la vision organique et harmonieuse de l’homme dans son unité ontologique. Loin d’être étrangère à la culture scientifique, l’Église se réjouit des découvertes et des applications techniques susceptibles d’améliorer les conditions et la qualité de vie de nos contemporains. Elle rappelle sans se lasser le caractère unique et la dignité de l’être humain contre toute tentation d’abuser du pouvoir que confère la technique. Je souhaite que vous poursuiviez le dialogue inauguré au cours de ces dernières années avec les représentants de la culture scientifique, des sciences exactes et des sciences de l’homme. Les progrès de la science et de la technique appellent une conscience renouvelée et une exigence éthique au coeur de la culture pour la rendre plus humaine et pour que les hommes de toutes les cultures puissent en bénéficier avec équité, dans un effort persévérant de solidarité.

8. Les aspirations fondamentales de l’homme sont porteuses de sens. Elles expriment, de façons variées et parfois confuses, la vocation à «être», inscrite par Dieu dans le coeur de chaque homme. Au milieu des incertitudes et des angoisses de notre temps, votre mission vous appelle à offrir le meilleur de vous–mêmes pour développer une véritable culture de l’espérance, fondée sur la Révélation et le Salut de Jésus–Christ. La liberté n’est pleinement mise en valeur que par l’accueil de la vérité et de l’amour que Dieu porte à tout homme. C’est pour les chrétiens un immense défi: témoigner de l’amour qui est la source et l’accomplissement de toute culture, en Jésus–Christ qui nous a libérés.

9. Humaniser par l’Évangile la société et ses institutions, redonner à la famille, aux villes et aux villages une âme digne de l’homme créé à l’image de Dieu, tel est le défi du XXIe siècle. L’Église peut compter sur les hommes et les femmes de culture pour aider les peuples à retrouver leur mémoire, raviver leur conscience et préparer leur avenir. Le ferment chrétien fécondera et portera à leur épanouissement les cultures vivantes et leurs valeurs. Ainsi le Christ, Voie, Vérité et Vie[3], pénétrera les coeurs et rénovera les cultures, Lui qui «a apporté toute nouveauté en s’apportant Lui–même», comme l’a écrit Irénée de Lyon[4]. C’est dire l’importance de l’éducation et la nécessité d’enseignants qui soient d’authentiques formateurs de la personne. C’est dire aussi la nécessité de chercheurs et de savants chrétiens, dont la capacité scientifique soit reconnue et appréciée, pour donner sens aux découvertes de la science et aux inventions de la technique. Le monde a besoin de prêtres, de religieux, de religieuses et de laïcs sérieusement formés par la connaissance de l’héritage doctrinal de l’Église, riche de son patrimoine culturel bimillénaire, source toujours féconde d’artistes et de poètes, capables d’aider le peuple de Dieu à vivre de l’inépuisable mystère du Christ, célébré dans la beauté, médité dans la prière, incarné dans la sainteté.

10. Messieurs les Cardinaux, chers amis, que cette rencontre avec le successeur de Pierre vous affermisse dans la conscience de votre mission. La culture est de l’homme, par l’homme et pour l’homme. La vocation du Conseil pontifical pour la Culture, votre vocation, en ce tournant du siècle et du millénaire, est de susciter une nouvelle culture de l’amour et de l’espérance inspirée par la vérité qui nous rend libres en Jésus–Christ. Tel est le but de l’inculturation, cette priorité pour la nouvelle évangélisation. L’enracinement de l’Évangile au sein des cultures est une exigence de la mission, comme je l’ai récemment rappelé dans l’encyclique Redemptoris Missio. Soyez–en les authentiques artisans, en communion profonde avec le Saint–Siège et toute l’Église, au sein des Églises locales, sous la conduite de leurs Pasteurs.

Avec mes voeux fervents pour vos personnes et tous ceux qui vous sont chers, je vous assure de ma gratitude et de ma prière pour la fécondité de vos travaux. En gage de mon affection, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction Apostolique.
[1] Cf. Ga 5,1.
[2] Cf. Redemptoris missio, n. RMi 52 et n. RMi 1.
[3] Jn 14,6.
[4] Adv. haer., IV, 34, 1.




DISCOURS DU SAINT PÈRE JEAN-PAUL II AU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi, 11 Janvier 1992


Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Les voeux que votre Doyen, Monsieur l'Ambassadeur Joseph Amichia, vient de m'adresser en votre nom et au nom des gouvernements que vous représentez, m'ont vivement touché. Je vous en remercie cordialement.

Votre présence ici, ce matin, évoque pour moi les réalisations et les espérances des peuples de la terre. La Providence m'a donné la joie de visiter un grand nombre d'entre eux; en cet instant, je revois tous ceux que j'ai pu rencontrer, et les autres sont présents à mon esprit.

A mon tour, je voudrais vous offrir mes souhaits fervents pour votre bonheur personnel et familial, ainsi que pour le succès des tâches importantes qui vous sont confiées. Je n'oublie pas non plus vos gouvernants, ni vos compatriotes: que Dieu leur accorde de pouvoir réaliser leurs aspirations communes, afin que chaque société connaisse plus de justice, plus de bien-être spirituel et matériel, et donc plus de paix! Tels sont mes voeux. Telle est ma prière.

Je suis heureux également de souhaiter la bienvenue aux diplomates qui ont pris leurs fonctions au cours des mois passés, et je me réjouis de voir la famille des peuples toujours plus largement représentée auprès du Saint-Siège. J'en suis d'autant plus satisfait que cette présence diversifiée est le signe, pour beaucoup, d'un retour à la démocratie. Et c'est toujours, pour l'Église catholique, l'occasion de manifester à chaque pays qui veut bien entretenir des relations diplomatiques avec le Siège Apostolique son réel désir d'être aux côtés des nations qui s'engagent sincèrement pour le progrès des peuples.

Monsieur l'Ambassadeur Amichia a présenté avec acuité le panorama des principaux événements de 1991, ainsi que les activités marquantes de l'Église catholique et celles du Saint-Siège. En effet, l'année écoulée a été riche de développements prévisibles, mais aussi de dénouements inattendus.

1991: l'année des guerres

La guerre du Golfe

2. Malheureusement, 1991 aura été une année durant laquelle la guerre a occupé le devant de la scène.

Vous vous en souvenez, la guerre dite « du Golfe » devait éclater quelques jours à peine après notre rencontre du 12 janvier. Elle a laissé derrière elle - comme toutes les guerres - son sinistre cortège de morts, de blessés, de destructions, de rancoeurs et de problèmes non résolus. On ne peut oublier non plus les séquelles du conflit aujourd'hui encore, les populations de l'Irak continuent à souffrir cruellement. Le Saint-Siège a rappelé, vous le savez, les impératifs éthiques qui, en toutes circonstances, doivent prévaloir: le caractère sacré de la personne humaine, de quelque côté qu'elle se trouve; la force du droit; l'importance du dialogue et de la négociation; le respect des pactes internationaux. Ce sont là les seules « armes » qui fassent honneur à l'homme, tel que Dieu le veut!

La guerre en Yougoslavie

3. L'année 1991 s'est encore achevée dans le fracas des armes. Des images bouleversantes nous ont montré des populations civiles littéralement écrasées par les combats qui déchirent la Yougoslavie et surtout la Croatie. Maisons détruites, populations contraintes à l'exode, économie anéantie, églises et hôpitaux systématiquement bombardés: qui ne serait pas révolté par ces actions que la raison réprouve? Mes nombreux appels à la pacification et au dialogue vous sont connus. La position du Saint-Siège sur la reconnaissance des États nouvellement issus de la conjoncture européenne vous est familière. Je me contenterai aujourd'hui de souligner que les peuples ont le droit de choisir leur manière de penser et de vivre ensemble. Il leur appartient de se doter des moyens qui leur permettent de réaliser leurs aspirations légitimes, librement et démocratiquement déterminées. D'ailleurs, la communauté des nations a élaboré des textes et des instruments juridiques qui définissent heureusement les droits et les devoirs de chacun, de même qu'ils prévoient les structures de coopération aptes à harmoniser les nécessaires rapports entre États souverains, tant au niveau régional qu'au niveau international. Ce n'est certainement pas avec des bombes que l'on peut construire l'avenir d'un pays ou d'un continent.

L'Irlande du Nord

4. Nous devons aussi rappeler un autre conflit auquel on semble s'être habitué: je pense ici à l'Irlande du Nord. Depuis des années, la poursuite de la violence contrarie les tentatives de solution politique. Peut-on se résigner à cette plaie qui défigure l'Europe? Aucune cause ne peut justifier que les droits de l'homme, le respect des différences légitimes et l'observance de la loi soient à ce point bafoués sur ce territoire. J'invite toutes les parties à réfléchir devant Dieu sur leurs comportements.

Je me souviens en ce moment des paroles d'un saint « européen » que j'ai récemment canonisé, le Père Raphaël Kalinowski. Alors que la Pologne luttait, au siècle dernier, pour préserver sa dignité et son indépendance nationale, bien que participant lui-même à ce combat, il osa s'écrier: « La patrie a besoin de sueur, non de sang! ». Oui, Excellences, Mesdames, Messieurs, l'Europe a besoin de femmes et d'hommes qui se mettent ensemble au travail pour que la haine et le rejet de l'autre n'aient plus droit de cité sur ce continent qui a donné des saints, modèles d'humanité, sur ce continent qui a su faire jaillir des idées fécondes et exporter des institutions qui font honneur au génie humain.

La Corne de l'Afrique. Le Sri Lanka

5. Outre ces guerres aux dimensions démesurées, d'autres foyers de conflit troublent encore l'existence des peuples de la terre. Ne pouvant les citer tous, je mentionnerai les rivalités ethniques qui marquent la Corne de l'Afrique. Si les Erythréens ont obtenu leur autonomie, d'autres forces centrifuges continuent de miner l'Ethiopie. Dans la Somalie voisine, l'État s'est écroulé et la fragmentation de la société rend pratiquement impossible toute assistance humanitaire. Le système fédéral demeure encore une promesse au Soudan, rendu exsangue par une guerre commencée en 1983. Plus loin de nous encore, le Sri Lanka, lui aussi, n'en finit pas de se débattre entre des offensives et des représailles qui sèment des victimes par milliers.

On ne saurait se résoudre à un tel état de choses. Les responsables politiques, très spécialement, ont le grave devoir de favoriser tout ce qui peut mettre un terme aux combats fratricides. Ils doivent faire mûrir le dialogue, promouvoir des projets de société adaptés aux aspirations de ces peuples et accroître l'aide humanitaire indispensable. Fort heureusement, la diplomatie, particulièrement dans sa dimension multilatérale, permet des échanges et des solutions concertées dans un monde toujours plus interdépendant; l'Organisation des Nations unies revêt à cet égard une importance et une signification qui n'échappent à personne. Je souhaite que, après la gestion avisée de Monsieur Javier Pérez de Cuéllar, le nouveau Secrétaire général, Monsieur Boutros BoutrosGhali, puisse, fort de son expérience internationale, continuer à faire de cette Institution irremplaçable un espace privilégié pour la promotion de la paix et la solution négociée des différends.

Regarder vers l'avenir

Les leçons de l'histoire

6. Alors que commence une année nouvelle, une année pleine d'interrogations, chacun de nous est amené à faire le point et à regarder vers l'avenir.

La persistance des conflits et des tensions que je viens d'évoquer engendre un sentiment de tristesse. Tristesse de devoir constater que l'on ne parvient pas toujours à tirer parti des leçons de l'histoire, lointaine ou récente. Car enfin, mettre uniquement sa confiance dans la lutte armée pour faire valoir son point de vue, alléguer des situations héritées du passé pour se dispenser d'ouvrir des chemins nouveaux de compréhension et de justice, détruire systématiquement tout ce qui fait la richesse des sociétés auxquelles on s'oppose, ou encore bafouer ostensiblement le droit et les conventions humanitaires pour mieux dominer l'adversaire, tout cela est régression. La paix et la réconciliation commencent toujours par un regard bienveillant qui respecte en l'autre - personne ou peuple - sa dignité.

Les responsabilités de l'Europe

7. Dans un tel contexte, l'Europe a une responsabilité particulière, en raison même de son haut degré de civilisation. Elle est en marche vers son unité. Elle possède tout un patrimoine juridique et des règles de conduite internationale qui devraient lui permettre de faire face aux incertitudes de l'avenir immédiat avec une certaine assurance.

Les transformations qui ont lieu en Yougoslavie ou bien dans ce qui était jusqu'à ces dernières semaines l'Union Soviétique semblent réclamer la mise en place de nouveaux mécanismes de coopération politique. Il est probable également qu'une plus grande solidarité sera demandée à tous pour venir en aide à des populations toujours plus appauvries et pour éviter que ces évolutions aient lieu sur fond de pénurie.

Sécurité, coopération et sauvegarde de la dimension de l'homme doivent être les piliers sur lesquels reposera l'avenir des peuples. Cela est vrai pour les Républiques Baltes qui ont retrouvé leur indépendance, pour l'Albanie qui est retournée au sein de la grande famille européenne, comme pour la nouvelle réalité qui a succédé à l'Union Soviétique. L'affirmation des particularités nationales pose et posera des problèmes qui devront être résolus avec sagesse pour que tous se sentent sûrs de leur sort, pour qu'ils puissent marcher à leur rythme, qu'ils se voient respectés dans leur spécificité et qu'ils trouvent leur place dans la communauté de destin que devra être l'Europe de demain.

Ce sont des tâches qui concernent tous les Européens. Les murs étant tombés, personne ne peut invoquer le manque d'information sur les conditions de vie de son voisin pour justifier son indifférence: la solidarité au sens le plus large du terme devient désormais le premier des devoirs. Ou les Européens se sauveront ensemble, ou bien ils périront ensemble!

La place et le rôle des chrétiens (problèmes propres aux sociétés occidentales, action humanitaire...)

8. Sur cette route, se trouveront les chrétiens, catholiques, orthodoxes et protestants, appelés à jouer un rôle de premier plan et désireux de tenir la place qui leur revient. Bien des valeurs propres à la modernité ont leur matrice dans le christianisme et, aujourd'hui comme hier, les disciples de Jésus, fidèles à l'enseignement de leur Maître, se doivent d'être le « sel de la terre »[1]. Encore faut-il que la possibilité leur en soit laissée.

On constate, en effet, même dans des pays de tradition chrétienne affirmée, que les Églises ne rencontrent pas toujours aide et compréhension pour leurs projets et leurs réalisations. L'École catholique, par exemple, est parfois plus tolérée que considérée comme un partenaire dans le projet éducatif national. Qui pourrait nier pourtant les services qu'elle rend à la société, ne serait-ce que par sa contribution à la formation de la conscience? Dans les écoles gouvernementales, l'enseignement religieux se voit trop souvent marginalisé. Si l'information est à la fois un droit, un devoir et un bien, nous devons nous féliciter sans doute de l'importance et des performances des moyens de communication sociale. Ils sont un facteur souvent décisif dans la maturité personnelle et sociale de l'homme. Toutefois, il n'est pas rare - et cela est tout à fait regrettable - que l'information religieuse soit réduite au folklore ou que la religion et ses expressions les plus nobles soient tournées en dérision. Qui aujourd'hui penserait l'Europe sans les chrétiens? Ce serait l'amputer d'une de ses dimensions fondatrices, appauvrir sa mémoire et oublier le rôle déterminant joué par les chrétiens dans les changements survenus au Centre et à l'Est de l'Europe en 1989 et en 1990.


J'ai confiance qu'en dépit des difficultés passagères qui affectent le dialogue oecuménique, les grandes familles spirituelles enracinées dans ce « vieux » continent sauront se hisser à la hauteur des tâches historiques qui les attendent pour donner à l'Europe un « supplément d'âme », condition indispensable à son harmonie et à son rayonnement. A cet égard, le rassemblement des jeunes à Czestochowa, en août dernier, et la récente assemblée spéciale du Synode pour l'Europe me remplissent d'espérance.

Faire confiance à l'homme. Les signes d'espérance

Conférence de Paix de Madrid (relations avec l'Islam)

9. On ne peut, en effet, désespérer de l'homme! Il faut faire confiance à sa bonne volonté, à sa créativité. En tout premier lieu, parce que, « fait à l'image de Dieu »[2], il est capable d'aimer. En second lieu, parce qu'il possède l'énergie du bien que l'on n'apprécie peut-être pas à sa juste valeur. Les divers organismes internationaux, y compris les organisations catholiques, témoignent bien de cette volonté de fraternité effective. Leur travail pour l'allégement des souffrances ainsi que pour la promotion de l'esprit de tolérance et de service contribue à l'harmonisation des rapports humains et à la solution des problèmes les plus urgents. Grâce à eux, beaucoup retrouvent joie et espérance. Le Saint-Siège, pour sa part, suit avec intérêt toutes ces activités, grâce en particulier à quelques-uns de ses organismes qui, l'an passé, ont été présents sur bien des « fronts » humanitaires. J'évoquerai ici, entre autres, l'action du Conseil pontifical « Justice et Paix », celle du Conseil pontifical « Cor Unum » et du Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé.

Si nous considérons l'action menée dans le domaine diplomatique, nous apercevons, là aussi, des signes prometteurs. Je pense, par exemple, à la rencontre de Madrid de l'automne dernier durant laquelle, pour la première fois, Arabes et Israéliens se sont assis autour d'une même table et ont accepté de parler de sujets qui, jusqu'alors, étaient considérés comme interdits. La persévérance d'hommes éclairés et désireux de travailler pour la paix a permis de mettre en marche un mécanisme de dialogue et de négociations qui donnera aux peuples de la région - en particulier aux plus démunis, comme les Palestiniens et les Libanais - de regarder l'avenir avec plus de confiance. C'est toute la communauté internationale qui devrait se mobiliser pour accompagner ces peuples du Proche-Orient sur les chemins escarpés de la paix. Quelle bénédiction si cette Terre Sainte, où Dieu a parlé et que Jésus a foulée, pouvait devenir le lieu privilégié de la rencontre et de la prière des peuples, si la Ville sainte de Jérusalem pouvait être signe et instrument de paix et de réconciliation!

Là encore, les croyants ont à accomplir une mission de première importance. Oubliant le passé et regardant vers l'avenir, ils sont appelés au repentir, ils sont appelés à réviser leurs comportements et à retrouver leur condition de frères à cause du Dieu unique qui les aime et les invite à collaborer à son projet sur l'humanité. Le dialogue entre Juifs, Chrétiens et Musulmans me semble une priorité. En se connaissant mieux, en s'appréciant mutuellement et en vivant, dans le respect des consciences, les multiples aspects de leur religion, ils seront, dans cette région du monde et ailleurs, des « artisans de paix ». Comme je l'écrivais dans mon Message à l'occasion de la XXVe Journée mondiale de la Paix, « une vie religieuse, si elle est authentiquement vécue, ne peut pas ne pas produire des fruits de paix et de fraternité, car il est dans la nature de la religion de promouvoir un lien toujours plus étroit avec la divinité et de favoriser un rapport toujours plus solidaire entre les hommes »[3].

Hélas, je sais aussi combien ce compagnonnage entre croyants est ardu. Que d'appels parviennent au Saint-Siège pour déplorer des situations où les chrétiens, en particulier, sont l'objet de discriminations criantes et injustifiables, que ce soit au Moyen-Orient ou en Afrique! Il est des pays, par exemple, où la religion musulmane est majoritaire et où les chrétiens, aujourd'hui encore, n'ont même pas la possibilité d'avoir un seul lieu de culte à leur disposition. Dans d'autres cas, il ne leur est pas possible de participer à la vie politique du pays comme des citoyens à part entière. Dans d'autres cas encore, on leur conseille tout simplement de partir. J'en appelle à tous les dirigeants des pays qui ont fait l'expérience bénéfique du dialogue inter-religieux pour qu'ils abordent ce problème avec sérieux et réalisme. Il y va du respect de la conscience de la personne humaine, de la paix civile et de la crédibilité des conventions internationales.

Progrès en Asie (Corée, Cambodge, Chine, Vietnam)
Le cas du Timor Oriental

10. Si nous portons notre regard vers l'Asie, nous constatons l'émergence d'une identité régionale qui s'affirme de plus en plus, en particulier grâce à l'action persévérante des organisations régionales qui favorisent la coopération et l'amitié entre des civilisations et des peuples souvent très divers. Ainsi, au cours des mois passés, des gestes politiques courageux ont pu être posés: les deux Corées se sont rapprochées et un accord est intervenu au Cambodge, permettant aux factions en présence de commencer ensemble un chemin que des pays amis désintéressés les aident à tracer.

Deux autres pays ont aussi retenu l'attention de l'opinion. La vaste Chine qui a été très présente sur la scène mondiale. Souhaitons que puisse s'établir avec elle une féconde coopération internationale. Le Saint-Siège regarde avec sympathie ce vaste pays de haute culture et aux ressources humaines et naturelles hors du commun. Il s'efforce aussi de suivre la vie de la petite communauté catholique qui y réside. Le Pape encourage ses fils chinois à continuer à vivre leur foi dans la fidélité à l'Évangile et à l'Église du Christ. Il les exhorte à servir leur patrie et leurs frères avec générosité, comme ils l'ont toujours fait.


Une parole aussi pour le cher Vietnam, dont les efforts en vue d'une ouverture économique sont à soutenir. Là encore se trouve une communauté catholique, dont la vigueur Apostolique est digne d'éloge. Le Saint-Siège souhaite ardemment que s'intensifie le dialogue entrepris avec les Autorités civiles et que soient ainsi affermis la situation et le rayonnement de cette Église locale, si solidaire des aspirations du pays.

Évoquant le sort de ces immenses populations, on ne peut oublier les hommes et les femmes qui sont peut-être les plus démunis et les plus exposés aux précarités de toutes sortes: les expatriés ou les réfugiés. Pensons, par exemple, au drame que vivent ceux d'entre eux qui se trouvent dans les camps de Hong Kong, de Thaïlande, de Malaisie et d'autres pays, ou bien ceux qui sont rapatriés par la force. A cet égard, tout en réaffirmant que ces personnes ont les mêmes droits que les autres hommes, il convient d'insister sur le devoir pour la communauté internationale d'assumer ses responsabilités pour leur accueil et, en même temps, de favoriser dans les pays d'origine des conditions socio-politiques qui leur permettent de vivre dans la liberté, la dignité et la justice.

Je ne voudrais pas achever de porter ce bref regard sur l'Asie sans évoquer un foyer persistant de tension: le Timor Oriental que j'ai eu la grande joie de visiter. Comme je l'ai rappelé en plusieurs circonstances, un dialogue persévérant s'impose afin que toutes les composantes de la réalité timorienne jettent les bases d'une vie politique et sociale en harmonie avec les aspirations de la population. Le Saint-Siège, pour sa part, n'a négligé aucune occasion, tant sur le plan ecclésial que sur le plan diplomatique, d'inviter ceux qui ont une responsabilité et se préoccupent du bien-être de ce territoire à oeuvrer pour mettre fin à ces différends qui n'ont que trop duré.

L'Afrique en marche vers la démocratisation: sur les chemins de la paix (Afrique du Sud, Angola, Mozambique, Érythrée).

11. Nous devons faire halte maintenant en Afrique où souffle le vent de la démocratisation. Un fait semble s'imposer, et il représente un immense progrès: ceux qui travaillent à l'avènement de nouvelles sociétés s'efforcent surtout d'affermir la liberté d'expression, la liberté d'association, la possibilité de prendre des initiatives. Il s'agit là d'une évolution à encourager tant du point de vue de l'assistance politique que de l'assistance économique ou technique. Comme je l'écrivais dans l'encyclique Centesimus Annus, il faut « abandonner la mentalité qui considère les autres - personnes et peuples - presque comme un fardeau, comme d'ennuyeux importuns qui prétendent consommer ce que d'autres ont produit. Les pauvres revendiquent le droit d'avoir leur part des biens matériels et de mettre à profit leur capacité de travail afin de créer un monde plus juste et plus prospère pour tous »[4].

D'autres signes positifs sont à signaler sur ce continent. L'Afrique du Sud, par exemple, ne se laisse pas abattre par les difficultés pour poursuivre sa transition vers une société sans « apartheid ». L'Angola fait ses premiers pas de nation indépendante et le Mozambique semble s'être engagé dans un processus de paix. Tout cela a pu être réalisé grâce à la ténacité des acteurs nationaux, mais également grâce à la médiation et à l'assistance de pays amis. C'est un bel exemple de solidarité internationale que l'on aimerait voir appliqué à d'autres foyers de tensions gravement préoccupants.

Affrontée à des situations précaires (Rwanda, Burundi, Zaïre, Tchad, Togo, Liberia, Madagascar)

12. Car l'évolution heureuse que je signalais en Afrique est loin de se retrouver dans tous les pays. Comment oublier les rivalités ethniques qui troublent le Rwanda, ou le Burundi, pays qui a pourtant entrepris un chemin de réconciliation nationale? J'en appelle à la communauté internationale pour que ces populations ne soient point laissées à elles-mêmes. Le Zaïre est sous les feux de l'actualité. La décomposition des structures étatiques n'y facilite guère l'élaboration d'un projet de société qui réponde aux aspirations de la majorité. Malheureusement aussi, les populations du Tchad connaissent depuis ces dernières semaines des troubles qui menacent une paix civile déjà précaire. Par ailleurs, les hésitations de la démocratie au Togo sont préoccupantes, et tout devrait être mis en oeuvre pour éviter des affrontements dévastateurs. Le Liberia continue, de son côté, à se débattre dans une guerre civile qui a non seulement détruit toute l'infrastructure du pays mais également contraint de nombreuses personnes à l'exode. Madagascar, où depuis de longs mois une profonde crise politique, sociale et économique semble tenir tout un peuple en otage, paraît encore aujourd'hui aux prises avec des péripéties préoccupantes. Que les populations de tous ces pays, déjà éprouvées par tant de calamités naturelles, par une histoire tourmentée et une pauvreté endémique, ne soient pas abandonnées! C'est le cri qu'en leur nom, je lance aujourd'hui à toute la communauté internationale!

Des notes d'optimisme

13. Et pour quitter le continent africain sur une note un peu plus optimiste, je voudrais revenir à un petit peuple qui, après trente années de guerre, vient de goûter ses premiers mois de paix: je parle de l'Érythrée. Les fruits de la pacification y ont, il est vrai, un goût encore amer, si l'on songe aux orphelins, à la pénurie alimentaire et à l'ampleur de la tâche de reconstruction. Mais, avec le retour de la paix et l'appui de bons amis, tout devient possible. Qu'à ces populations ne manquent pas non plus l'aide et la compréhension! Bien évidemment, l'Éthiopie voisine ne saurait être négligée. Il faudrait qu'elle puisse assumer institutionnellement la diversité des peuples qui la composent.

L'Afrique bouge, donc elle vit. Ses populations sont de plus en plus conscientes de leur dignité, mieux informées aussi. Elles ont droit à notre sollicitude. Elles l'attendent. L'Église catholique accomplit sur ce continent, vous le savez, une oeuvre patiente et persévérante, souvent inconnue de l'opinion publique. Elle est le fait de missionnaires exemplaires, au détachement et à l'abnégation admirables, qui souvent paient de leur vie leur engagement Apostolique. Il me plaît ici, devant cet auditoire, de leur rendre hommage et de les encourager dans leur témoignage de foi et de charité qui fait honneur à l'Église entière.


L'Amérique Latine: processus de paix en Amérique Centrale, mais aussi Haïti et Cuba.

14. Notre dernière étape nous amène enfin vers l'Amérique Latine qui, en cette année 1992, célébrera le cinquième centenaire de l'épopée de Christophe Colomb vers les Amériques. Ce sera aussi l'anniversaire de la première évangélisation. J'aurai moi-même, si Dieu le veut, la joie de présider l'assemblée générale de l'Épiscopat latino-américain à Saint-Domingue, en octobre prochain. Ces terres ont été fécondées par l'Évangile, et mes visites pastorales m'ont permis de constater que ces communautés vivent une foi profonde et qu'elles sont animées par la volonté de témoigner du Christ en toutes circonstances et dans toutes les situations.

Là non plus, les aspects positifs ne manquent guère. La démocratisation a fait son chemin. Les pays de la région disposent désormais de gouvernements élus et les groupes armés, à l'exception du Pérou, ont déposé leurs armes ou en négocient le dépôt. Je pense au Salvador, au Guatemala et à la Colombie. De nombreux projets existent pour la mise en oeuvre de programmes qui fassent droit à la spécificité culturelle indienne ou noire. En outre, l'intégration économique, avec le vaste mouvement de solidarité régionale et internationale qu'elle suppose, fait aussi son chemin. Tout cela démontre qu'il est possible de passer de la confrontation à la coopération.

Il faudrait que cela soit contagieux, car il y a tout de même des zones d'ombre. Je pense, en particulier, à Haïti, où tout un peuple se trouve aux prises avec la pauvreté, victime d'une logique implacable de violence et de haine qui ne lui permet pas d'exprimer ses aspirations à la paix et à la démocratie. Là encore, je souhaite que la Communauté internationale s'emploie surtout à aider les Haïtiens à être eux-mêmes les artisans de leur avenir. Je n'oublie pas non plus Cuba, encore trop isolée. Le Saint-Siège souhaite que ses habitants connaissent, avec des conditions d'existence plus prospères, la joie de pouvoir édifier une société où chacun se sente toujours plus partenaire d'un projet commun, librement consenti. D'autres problèmes plus généraux affectent certains pays, comme, par exemple, la culture et le commerce de la drogue dans les pays andins, ou la lutte armée subversive qui désagrège la vie politique et sociale du Pérou, n'épargnant même pas l'Église. La pauvreté et la dette extérieure sont aussi des écueils sérieux à un développement serein et constant.

Un Continent marqué par l'Évangile et sa logique, ce qui devrait aider dans la solution de problèmes concrets

15. Toutes ces sociétés, imprégnées de tradition chrétienne, possèdent fort heureusement des ressources morales et humaines que l'on ne doit jamais négliger mais au contraire faire fructifier. L'Église catholique est bien consciente de sa mission dans ce « continent de l'espoir », et ses fidèles sont au premier rang des forces vives des pays qui le composent. Ils s'efforcent d'être des témoins du Christ. J'ai eu le privilège de le constater, lors de mon récent voyage Apostolique au Brésil. Les catholiques apportent à l'évolution de cette immense nation, aux énormes possibilités, la contribution de leur engagement dans le renouveau politique et social si nécessaire pour parvenir à plus de justice et à un meilleur développement. En cette année où diverses manifestations d'envergure marqueront les célébrations du cinq-centième anniversaire de la première évangélisation, ils sont appelés, en profonde union avec leurs Pasteurs, à intensifier leur engagement pour le renouvellement de la société, pour le développement intégral de l'homme et la sauvegarde des valeurs familiales que certaines législations s'emploient malheureusement à affaiblir.

Seuls l'écoute attentive de l'autre, la prise en compte de ses besoins et le respect du droit sont les moyens civilisés qui permettent de surmonter les intérêts égoïstes et de s'ouvrir aux nécessités de l'ensemble. Je pense, par exemple, à l'urgence d'une meilleure et plus sereine collaboration entre l'Équateur et le Pérou. J'encourage vivement les responsables de ces pays, si profondément marqués par le message de paix et de charité de l'Évangile, à éviter tout ce qui serait susceptible d'envenimer les divergences et à s'engager courageusement dans la voie du dialogue clarificateur et des contacts prévus. La rencontre des Présidents équatorien et péruvien, qui a lieu ces jours-ci à Quito, représente une étape significative. Je prie Dieu d'affermir leurs intentions et d'éclairer leurs échanges.

Paix aux hommes que Dieu aime et visite!

16. Excellences, Mesdames, Messieurs, nous voici parvenus au terme de notre rencontre. Nous avons évoqué les enjeux et les espérances du monde d'aujourd'hui dont chacun de nous, à la place que Dieu lui a assignée, est responsable. Au cours des mois qui viennent, nous allons essayer ensemble de contribuer au bien temporel et spirituel des hommes et des sociétés. Je demande à Dieu de nous donner sagesse, prévoyance et compassion, afin qu'aucune misère ne nous laisse insensibles, aucune injustice indifférents, aucune division résignés!

Les chrétiens ravivent leur foi et leur espérance à la source du mystère inépuisable de Noël que l'on pourrait résumer en un mot: la Paix! Paix aux hommes que Dieu aime et visite! Qu'Il vous accompagne tout au long des prochains mois et qu'Il vous bénisse ainsi que tous ceux qui vous sont chers!


[1] Mt 5,13.
[2] Cf. Gn 1,16.
[3] N. 2.
[4] N. CA 28.



Discours 1992