Discours 1992 - Cathédrale Notre-Dame des Victoires, Dakar, Mercredi 19 février 1992

AVEC LES REPRÉSENTANTS D'AUTRES RELIGIONS

Cathédrale de Ziguinchor (Sénégal), Jeudi, 20 février 1992


Chers amis,

Je suis heureux d’avoir cette occasion de vous rencontrer presque au début de mon bref séjour dans votre pays. J’ai déjà senti au Sénégal combien sa diversité peut être un stimulant à travailler pour l’unité du peuple. La société sénégalaise, en effet, est caractérisée par cette harmonie traditionnelle, la teranga, faite d’accueil et de respect mutuels, de tolérance et de volonté de coopération.

Quelle est la source de cette harmonie? Pour nous, croyants, l’origine de l’unique famille humaine se trouve en Dieu. Nous pouvons attribuer à Dieu bien des noms, sans jamais cerner complètement sa réalité, car elle nous dépasse. Mais nous pouvons reconnaître en Lui le Créateur, Vivificateur, Providence et Destin suprême de l’homme. Suivant les paroles de l’Apôtre Paul, «Dieu qui a fait le monde..., a fait tout le genre humain pour qu’il habite sur toute la face de la terre... afin que (les hommes) cherchent la divinité...; aussi n’est–elle pas loin de chacun de nous»[1]. C’est dire que les êtres humains sont tous appelés à entrer dans la plénitude de la vie, auprès de Dieu, en communion avec ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la rectitude.

L’origine et la destinée divine de l’homme sont les fondements de sa dignité. Personne n’a le droit de mépriser un autre être humain, surtout le plus faible. Il n’y a aucune justification pour la discrimination, sur la base de la race, de la religion, du sexe ou de la situation sociale: chaque personne est à respecter.

Certes, l’homme est faible, porté au mal, et des disputes surgissent. Dans ce cher continent africain, mais aussi dans bien d’autres régions du monde, des luttes sanglantes ont entraîné des souffrances immenses. Ne faut–il pas prendre exemple sur la sagesse africaine, qui enseigne que les parties en cause doivent se rencontrer, se parler, résoudre leurs différends et se réconcilier? Et cela s’applique à la famille, mais aussi à la nation et même aux relations internationales. Les chefs religieux, n’ont-ils pas le devoir d’aider les croyants à s’unir pour construire la paix? Je veux vous assurer que l’Église catholique dans votre pays continuera à oeuvrer pour cette croissance dans l’harmonie.

En terminant, je voudrais vous assurer de ma prière pour vous, pour vos familles, et pour votre pays. Que Dieu vous accorde ses plus abondantes bénédictions!

[1] Ac 17,24-27.


AUX RELIGIEUX DANS LA CATHÉDRALE DE SAINT-ANTOINE-DE-PADOUE

Ziguinchor (Sénégal), Jeudi 20 février 1992


Chers amis,

1. Votre accueil me touche, car il illustre bien les paroles de saint Paul: «Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit»[1]. Je voudrais saluer chacun de vous personnellement et vous dire à tous ma joie de rencontrer à Ziguinchor, les ouvriers de l’Évangile, unis dans le même Esprit.

De tout coeur, je remercie Monseigneur Augustin Sagna, votre Pasteur, de m’avoir présenté avec chaleur votre rassemblement, dans cette cathédrale Saint–Antoine–de–Padoue. Et je suis heureux d’évoquer ici, dans l’action de grâce, l’oeuvre des bâtisseurs de l’Église vivante que furent les générations de missionnaires venus annoncer la Bonne Nouvelle. Et puisque nous sommes proches du Petit Séminaire Saint-Louis, je tiens à partager votre reconnaissance envers le diocèse canadien de Saint-Hyacinthe pour les services que vous ont rendus ses prêtres et ses religieuses.

2. Parmi vous, «il y a diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère en tous»[2]. Dieu vous unit dans le même appel à suivre le Christ et à annoncer le Royaume qu’il a rendu présent. Le Concile Vatican II a bien souligné qu’«avant tout, le Royaume se manifeste dans la personne même du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme, venu “pour servir et donner sa vie en rançon d’une multitude”[3]»[4].

Le premier but de ma visite pastorale au milieu de vous est de vous confirmer dans la foi et de vous confirmer dans votre engagement missionnaire, chacun selon ses dons. J’ai adressé mon encyclique «Redemptoris Missio» à toute l’Église. Aujourd’hui, je vous renouvelle les mêmes appels. Souvenez–vous que «la foi s’affermit lorsqu’on la donne!». Restez convaincus de «l’urgence de l’évangélisation missionnaire, [parce] qu’elle constitue le premier service que l’Église peut rendre à tout homme et à l’humanité entière»[5]. Gardez vivant en vous l’esprit missionnaire qui a permis de planter ici l’Église. Sans peur, affirmez avec simplicité votre foi dans le Christ, seul Sauveur de l’homme, foi que vous avez reçue comme un don d’en haut, sans mérite de votre part[6]. Cette annonce active se fait dans l’esprit évangélique du dialogue respectueux que vous poursuivez avec vos compatriotes appartenant à d’autres traditions religieuses; mais restez cohérents avec vos convictions, «sans dissimulation ni fermeture, mais dans la vérité, l’humilité, la loyauté, en sachant bien que le dialogue peut être une source d’enrichissement pour chacun»[7]. «Ouvrez les portes au Christ! Son Evangile n’enlève rien à la liberté de l’homme, au respect dû aux cultures, à ce qui est bon en toute religion»[8].

3. Chers amis prêtres, vous avez une responsabilité toute particulière dans la vie et la mission de l’Église. Ordonnés pour participer au sacerdoce de l’Évêque, vous répondez à l’attente de tous en étant pleinement des hommes de Dieu. Votre vocation comporte d’abord un appel à la sainteté personnelle, comme il vous a été dit au cours de l’ordination. Vous avez beaucoup quitté pour suivre le Christ et vous ne serez ses serviteurs fidèles que si vous demeurez avec lui, dans l’intimité de la prière, si vous vivez pleinement vous-mêmes les sacrements de l’Eucharistie et de la pénitence qui rendent fort dans les temps d’épreuve. Que vos charges nombreuses ne vous dispensent pas de nourrir votre vie spirituelle: prenez le temps de l’oraison et de la méditation; revenez sans cesse à la Parole de Dieu, source de toute mission; dans vos retraites annuelles, laissez-vous saisir par l’Esprit pour renouveler votre conversion. Ne négligez pas non plus la formation permanente, pour mieux faire connaître le Christ, pour fortifier le peuple chrétien et le garder dans l’unité de la foi au seul Seigneur. Fondez votre propre parole sur le roc de la Parole de Dieu, reçue à travers la riche Tradition de l’Église. Totalement livrés au Christ, vous serez unis à votre peuple.

Dans la liberté de votre adhésion et de vos promesses au Seigneur, soyez fermement et sereinement fidèles à la chasteté dans le célibat, renonçant au mariage pour mieux servir le Royaume; soyez disponibles et attentifs à tous les chrétiens; soyez des témoins assurés à l’égard des non-chrétiens. Formez autour de vos évêques un presbyterium fraternel. Restez ouverts à une collaboration confiante avec tous ceux qui prennent part à la mission ecclésiale. La communauté a besoin de vous, intendants des mystères de Dieu, pour transmettre les dons sacramentels de grâce. Elle a besoin aussi de vous pour rassembler dans l’unité tous les ouvriers de l’Évangile qui se trouvent à vos côtés.

4. Je suis heureux de savoir que des jeunes plus nombreux se préparent au sacerdoce, et que vous avez pu inaugurer tout récemment votre nouveau grand séminaire de Brin. Pour vous, les séminaristes, ce que je viens de dire aux prêtres doit éclairer votre réponse à l’appel du Seigneur. Pour suivre le Christ, vous devez faire un choix exigeant, unifié par la vie spirituelle et l’étude, renoncer à d’autres voies qui s’ouvraient à vous. Ce choix de Jésus–Christ, vous ne le faites pas pour trouver un abri ou la sécurité dans la condition sacerdotale. Vous devez être des serviteurs à l’image du Christ venu pour servir. Et, en vous attachant au Seigneur et à son Église, vous découvrirez bientôt que, donné tout entier, l’on s’épanouit et l’on entre dans la joie de son Maître.

5. Frères et Soeurs religieux et religieuses, votre vocation est précieuse pour tout le peuple de Dieu. Par vos voeux, vous êtes appelés à rendre devant le monde le témoignage irremplaçable de la simple consécration de vos vies à Dieu, pour attester que Dieu seul peut combler totalement les attentes d’un homme ou d’une femme. L’amour du Seigneur rejaillit alors sur tous ceux qu’Il aime. C’est vrai pour les contemplatifs comme pour les religieux et les religieuses apostoliques, chacun selon le charisme de son institut. Les uns et les autres réservent, dans leurs journées, la première place à la prière. Pour vous en rendre capables, il importe que votre formation spirituelle soit approfondie dès le noviciat, mais aussi que vous preniez le temps et les moyens de renouveler les sources et l’expérience de la prière tout au long de votre vie religieuse. Travail et services multiples en sont alors illuminés.

Vous avez votre part dans la mission unique de l’Église, là où vous êtes. Aussi vous est-il demandé de bien harmoniser vos activités entre les divers instituts présents, sous la responsabilité des Pasteurs qui ont soin de tout le peuple de leur territoire. Il vous faut parfois patience et discrétion, mais ces qualités font naturellement partie de votre vocation. Les voeux que vous prononcez devant le Seigneur vous disposent à assurer avec désintéressement de nombreux services pastoraux, éducatifs ou sanitaires, ou encore d’entraide et de promotion humaine. Recevez tous mes encouragements pour votre travail que je sais souvent lourd. Que le Seigneur vous soutienne pour que vous gardiez l’équilibre de votre vie religieuse tout en répondant aux attentes de vos frères et soeurs de l’Église et de l’ensemble de la société.

6. Depuis les débuts de l’évangélisation, et avec le Concile en particulier, la vocation et la mission des laïcs dans l’Église et le monde a pris plus de relief. Il est devenu habituel, au cours de mes voyages, que les laïcs aient une grande place dans mes rencontres avec les «forces vives» des Églises locales. Et c’est heureux, car c’est l’ensemble des baptisés qui composent le peuple de Dieu. Ils ont mieux pris conscience de leur mission et des responsabilités qui en découlent. Ils communiquent leur dynamisme à tout l’organisme ecclésial, par les mouvements spécifiquement laïcs, par les fonctions d’animation qui leur reviennent – et pas seulement pour des suppléances –, par leur prise en charge de maintes tâches nécessaires au soutien de toute la pastorale. Mais, par-dessus tout, les baptisés sont les premiers témoins du don de la foi, en commençant par leur vie conjugale et familiale qui reflète l’amour du Christ pour son Église et prépare les enfants à le découvrir à leur tour.

Dans tous les domaines de la société, amis laïcs, vous restez des baptisés à qui est confiée la mission de rayonner l’amour du Sauveur. Par vous, l’Église «est force dynamique sur le chemin de l’humanité vers le Règne [de Dieu], elle est signe et promotrice des valeurs évangéliques parmi les hommes»[9]. Vous avez l’ambition de transformer le monde, parce que l’Évangile est une force qui accomplit, purifie et transforme. Vous avez la passion de la paix et de l’entente fraternelle, parce que l’Évangile est un message de paix pour tous les hommes que Dieu veut sauver. Dans cet esprit, prenez vos responsabilités, agissez pour le bien commun de votre pays, luttez pour faire triompher l’honnêteté et la vérité, soutenez les plus faibles. Et quand on vous demandera pourquoi vous êtes si ardents à vouloir le bonheur de tous dans une justice généreuse, vous saurez faire comprendre que votre dynamisme est celui de l’espérance, mise en vos coeurs par l’Esprit du Christ[10].

7. Parmi les laïcs, je voudrais adresser une parole particulière aux catéchistes.Dans votre Église, ils jouent un rôle essentiel. Il leur est demandé, en quelque sorte, de réunir en leur personne toutes les missions des laïcs que je viens d’évoquer. Et je sais qu’ils le font avec un dévouement sans limite, en acceptant, avec leurs familles, des conditions de vie précaires pour être chaque jour au service de la communauté. Ils méritent d’être fidèlement aidés à bien accomplir leurs tâches par les prêtres des paroisses et par les responsables diocésains de la pastorale. Chers catéchistes, je vous dis toute l’estime et la reconnaissance de l’Église que vous avez tant contribué à fonder fermement dans votre région. Et je rends grâce à Dieu pour l’oeuvre que vous continuez de réaliser.

8. Chers Frères et Soeurs, je voudrais vous encourager tous à progresser dans la vie fraternelle qui est le signe distinctif des disciples du Seigneur. Après avoir lavé les pieds de ses Apôtres, dans un magnifique geste de service, Jésus leur a dit: «À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres»[11]. Liés par cet amour, introduits par votre baptême dans la vie nouvelle, reprenez avec un enthousiasme nouveau l’annonce missionnaire. Dans l’encyclique sur la mission, je l’ai rappelé: «Cette vie nouvelle est un don de Dieu, et il est demandé à l’homme de l’accueillir et de le développer, s’il veut se réaliser selon sa vocation intégrale en se conformant au Christ»[12]. Ouvriers de l’Évangile, chacun selon sa vocation, continuez d’enraciner ensemble l’Église du Seigneur dans votre terre bien–aimée de Casamance et de tout votre pays. Vous pouvez en être assurés, la petite graine que vous plantez, Dieu en prend soin. Par l’Esprit Saint, il la fait grandir et devenir un bel arbre qui porte des fruits abondants.

Membres du Corps du Christ qui m’écoutez, je vous confie à Notre-Dame, Mère de l’Église et Mère des hommes, et je vous bénis de tout coeur.

[1] 1Co 12,4.
[2] Ibid., 1Co 12,6.
[3] Mc 10,45.
[4] Lumen Gentium, LG 5.
[5] Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, RMi 2.
[6] Cfr. ibid. RMi 11.
[7] Ibid. RMi 56.
[8] Ibid. RMi 3.
[9] Ibid. RMi 20.
[10] Cfr. Rm 5,5.
[11] Jn 13,35.
[12] Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, RMi 7.




AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE EPISCOPALE DU SÉNÉGAL, DE LA MAURITANIE, DU CAP-VERT ET DE LA GUINÉE-BISSAU

Poponguine (Sénégal), Vendredi, 21 février 1992


Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Après notre prière à Notre–Dame de la Délivrande avec la foule des pèlerins, il m’est particulièrement agréable d’avoir cette rencontre fraternelle avec vous, pasteurs des diverses familles diocésaines, en ce pavillon tout neuf venu récemment s’insérer dans le complexe du sanctuaire national de Poponguine.

Je remercie cordialement Monseigneur Théodore-Adrien Sarr, Évêque de Kaolack et Président de la Conférence épiscopale, pour son aimable adresse. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Monseigneur Settimio Arturo Ferrazzetta, Évêque de Bissau, maintenant membre de votre Conférence. Celle-ci prend donc une dimension internationale encore plus marquée et je forme les meilleurs voeux pour que votre ministère auprès du peuple de Dieu dans cette partie de l’Afrique en obtienne une vigueur accrue.

Parlant du sens de ma visite dans votre message du 15 août 1991, vous avez eu l’heureuse idée de reprendre cette déclaration de Redemptoris Missio: «J’ai entrepris de parcourir les chemins du monde, pour annoncer l’Évangile, pour confirmer mes frères dans la foi, pour consoler l’Église, pour rencontrer l’homme. Ce sont des voyages de foi. Ce sont des occasions de catéchèse itinérante, d’annonce évangélique dans le prolongement, à toutes les latitudes, de l’Évangile et du magistère apostolique étendus aux sphères planétaires d’aujourd’hui»[1].

Assurément, chers Frères, comme successeur de Pierre dans sa charge pastorale, c’est une grande satisfaction pour moi d’être avec vous et de pratiquer cette catéchèse itinérante sur votre propre sol, tout en faisant, au cours de ces journées, la connaissance de votre terrain de mission.

2. Mais l’annonce de la Bonne Nouvelle est une activité que le Pape n’exerce jamais seul: il agit en communion avec les Évêques qui lui sont unis. «Parmi les charges principales des Évêques – nous rappelle le Concile Vatican II – la prédication de l’Évangile est la première»[2]. En union avec le Pontife romain, ils sont les hérauts de la foi et cherchent à amener au Christ de nouveaux disciples.

En effet, votre parole d’Évêques est attendue: attendue des fidèles qui en ont besoin pour grandir dans la foi; attendue de la société à qui elle est proposée comme lumière pour son développement harmonieux et pour sa recherche d’un progrès toujours plus humain. L’Afrique est désormais reconnue pour elle-même, pour ce qu’elle apporte à l’ensemble du monde: puissiez-vous contribuer à son dynamisme propre, dans une perspective évangélique qui donne à la vie une dimension capable de mobiliser tout l’être. Il s’agit, au fond, d’une mission intérieure, accomplie par l’Afrique pour l’Afrique. Dans la présente conjoncture de mutations profondes, je souhaite que vous poursuiviez avec un élan soutenu votre belle mission, plus que jamais actuelle, de guides spirituels et de prophètes porteurs d’espérance, dans la conviction paisible et profonde que ce monde est toujours aimé de Dieu et qu’avec le Christ la victoire sur toutes les forces du mal est déjà acquise: «Ce qui nous a fait vaincre le monde, c’est notre foi»[3].

3. Après une période d’évangélisation féconde dans un contexte de dépendance politique de vos pays, l’Afrique noire est entrée dans une étape nouvelle, l’évangélisation dans le contexte de l’indépendance de vos patries. Au début, les agents de l’évangélisation furent des missionnaires venus de l’étranger, qui surent s’entourer d’apôtres locaux. Aujourd’hui, l’Afrique a encore besoin, de toute évidence, du concours de missionnaires venus d’ailleurs, qui travaillent en étroite collaboration avec les religieux et les prêtres diocésains autochtones.

Dans son appel solennel, si souvent évoqué, à l’Église d’Afrique pour qu’elle assume l’oeuvre de son évangélisation, Paul VI déclarait en 1969 à Kampala: «Vous, Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires. L’Église du Christ est vraiment implantée sur cette terre bénie... Vous devez poursuivre la construction de l’Église sur ce continent»[4].

L’obligation pour l’Église d’Afrique d’être missionnaire en son propre sein et d’évangéliser le continent implique la coopération entre les Églises particulières dans le contexte de chaque pays africain, entre les différentes nations du continent et aussi d’autres continents. C’est ainsi que l’Afrique s’intègre pleinement dans l’activité missionnaire.

4. Pour rendre effective cette coopération missionnaire, il est nécessaire d’en faire prendre profondément conscience aux prêtres diocésains et aux grands séminaristes, de leur faire acquérir de solides convictions à cet égard, afin qu’ils considèrent le devoir missionnaire comme une composante essentielle de la vie et du ministère du prêtre diocésain. Suivant l’enseignement du Concile Vatican II, les prêtres locaux «doivent se montrer prêts, et à l’occasion s’offrir d’un coeur ardent à l’évêque pour entreprendre le travail missionnaire dans les régions éloignées et délaissées de leur propre diocèse ou en d’autres diocèses»[5].

5. Tout aussi importants sont l’éveil et la formation de la préoccupation missionnaire chez les religieux et les fidèles. «Du même zèle doivent brûler les religieux et les religieuses, et de même les laïcs à l’égard de leurs concitoyens, de ceux surtout qui sont plus pauvres»[6]. La paroisse dans son ensemble a besoin de cultiver un tel souci, car autrement elle risque de le perdre de vue et de n’avoir d’autre horizon que les besoins des seuls baptisés.

Le christianisme, vous le savez, s’est étendu en maints endroits grâce à l’école. Partout, elle a contribué à la promotion humaine et sociale de beaucoup d’Africains, qui ont eu la liberté d’entrer ou non dans l’Église catholique. Dans de nombreux pays, le niveau politique, économique ou culturel actuel serait tout différent sans la contribution des écoles catholiques, hier comme aujourd’hui. Ayez à coeur de soutenir les oeuvres scolaires ainsi que l’activité médicale et sanitaire, oeuvre de compassion par excellence, qui a joué sur votre continent un rôle aussi considérable que l’école.

Orientez-vous également vers l’auto-suffisance financière. Que le clergé n’ait pas à porter seul la charge de rechercher l’argent et de le gérer! Puissent les communautés chrétiennes, dans leur attachement pour leurs pasteurs, les soutenir par un salaire honnête, rendant ceux-ci comptables devant elles de leur temps et de leur mode de vie!

6. L’évangélisation étant essentiellement un acte, un processus de communication avec un ou des tiers, elle ne se conçoit plus aujourd’hui sans l’utilisation méthodique et compétente des moyens de communication sociale. C’est un sujet auquel vous êtes sensibles et, lors de votre visite ad limina de novembre 1987, je vous ai encouragés à poursuivre les initiatives que vous avez entreprises dans ce domaine. Ce thème, que l’on ne peut restreindre aux dimensions d’un pays, sera abordé à l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques. La préparation de ces assises avance et témoigne d’un engagement encourageant des paroisses, des écoles, des communautés de brousse et d’autres groupes encore. Je saisis cette occasion pour féliciter et remercier les pasteurs et les fidèles du continent africain qui se dévouent généreusement au service de cette importante initiative.

Il importe donc, à «l’ère de la communication» comme on aime appeler notre époque, de faire percevoir l’enjeu de la communication aujourd’hui, à la fois comme fait social de profonde influence sur la culture, la vision du monde et de l’homme, et aussi comme moyen pour l’annonce et l’approfondissement du message chrétien en rejoignant les hommes dans leur diversité et leurs aspirations essentielles.

L’Église devra faire une évaluation des moyens traditionnels et modernes de communication sociale dont elle dispose en Afrique, pour s’engager ensuite dans la formation des communicateurs chrétiens, clercs et laïcs, afin qu’ils soient capables d’être d’authentiques témoins du message évangélique; leur compétence professionnelle rendra crédible leur témoignage.

7. Votre pays, qui est en quelque sorte une porte océane de l’Afrique noire, se trouve au carrefour des cultures arabes, européennes et négro-africaines. C’est dire aussi combien vous tient à coeur la rencontre des cultures avec l’Évangile, autre thème de la future assemblée synodale.

Comme dans l’Église naissante, le problème de l’inculturation s’est posé lorsque les peuples évangélisés prenaient, à un moment ou à un autre, conscience de leur identité culturelle. Le Concile Vatican II explique ainsi la rencontre de la Parole de Dieu avec les diverses cultures des peuples de la terre: «À l’instar de l’économie de l’Incarnation, les jeunes Églises enracinées dans le Christ et construites sur le fondement des Apôtres assument pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage. Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur, et ordonner comme il le faut la vie chrétienne»[7].

Avec ce triple critère de discernement pour l’assomption des valeurs nouvelles, à savoir: aptitude à glorifier Dieu, à mettre en évidence la grâce et à dûment ordonner la vie des baptisés, le Concile invite les Conférences épiscopales d’une même aire socio-culturelle à conjuguer leurs efforts.

L’inculturation apparaît comme le grand défi pour l’Église catholique en Afrique à la veille du troisième millénaire. Les enjeux en sont la pénétration et l’enracinement de l’Évangile, l’approfondissement de la foi et le rayonnement de la vie chrétienne sur tout le continent.

Ces enjeux sont entre vos mains. À partir de la sève authentiquement chrétienne reçue d’En Haut, il s’agit de produire des fruits authentiquement africains, en union avec l’Église universelle.

8. Enfin, pour l’Église en Afrique, le dialogue inter-religieux est particulièrement important et nécessaire à l’évangélisation. Le pluralisme religieux, en effet, affecte souvent le milieu national, ethnique et parfois même familial. Seul un authentique esprit de dialogue chez tous ceux qui sont concernés peut empêcher que de telles différences deviennent causes de conflit et de discorde.

Il convient de s’intéresser avant tout au dialogue de la vie et des oeuvres, en particulier des oeuvres de «miséricorde» recommandées par l’Évangile. Vous pourrez vous inspirer en ce domaine du document «Dialogue et annonce», publié en mai 1991 par le Conseil pontifical pour le Dialogue inter-religieux et la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples.

9. En conclusion, chers Frères, je vous renouvelle mes encouragements à offrir généreusement le trésor de l’Évangile aux populations du Sénégal, de la Mauritanie, du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau. Je sais que je peux compter sur votre courage de pasteurs pour conduire vos frères et soeurs d’Afrique vers la plénitude de la vie et répondre aux aspirations de leurs coeurs. En vous recommandant à Notre-Dame de la Délivrande de Poponguine, je vous renouvelle de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.


[1] N. RMi 63.
[2] Lumen Gentium, LG 25.
[3] 1Jn 5,4.
[4] Allocution au Symposium des Évêques d'Afrique, 1.
[5] Ad Gentes, AGD 20.
[6] Cf. ibid. AGD 20
[7] Cf. ibid., AGD 22.



AUX REPRÉSENTANTS DU CORPS DIPLOMATIQUE À LA NONCIATURE APOSTOLIQUE

Dakar (Sénégal), Vendredi, 21 février 1992


Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Au cours des visites pastorales qu’il m’est donné d’accomplir, j’apprécie les rencontres avec les membres du Corps Diplomatique dont la présence dans la capitale manifeste les liens d’une nation avec la communauté mondiale. Je remercie vivement votre Doyen pour les paroles qu’il vient de prononcer: il a bien montré l’attention que vous portez à différents aspects de la mission de l’Église et, notamment, à son action en faveur du développement et de la paix.

A Dakar en ce jour, je suis heureux de vous accueillir, en un pays qui, dans la tradition de sa longue histoire, tient une place notable dans cette partie du continent africain et dont les dirigeants participent activement à la vie internationale.

Le Saint–Siège, vous le savez, entretient volontiers des relations diplomatiques avec les pays qui le désirent; en fonction de la mission spécifique de l’Église catholique, il apporte sa contribution au dialogue qui ne cesse de s’intensifier entre les gouvernements à travers toute la planète.

Venu pour la huitième fois en terre d’Afrique, je voudrais vous faire part des réflexions que m’inspirent l’hospitalité du Sénégal et l’éclairage du message évangélique sur la situation humaine de ce continent. C’est sur l’urgence et l’ampleur de la solidarité de la communauté internationale que je voudrais réfléchir avec vous.

2. La préoccupation la plus immédiate, quand on considère la situation actuelle de l’Afrique, est évidemment la paix. De rudes conflits, de véritables guerres se prolongent dans de nombreuses contrées. Ces situations sont connues de vous, mais je ne puis manquer d’évoquer ici la dure condition où se trouve le Liberia tout proche. Les pays qui composent la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest s’emploient à obtenir un apaisement. Nous espérons que ces efforts permettront d’épargner à un peuple déjà gravement éprouvé de nouvelles souffrances, l’épuisement de ses forces et la destruction de son économie.

La plupart des affrontements meurtriers dont nous sommes des témoins impuissants apparaissent internes aux nations. Il est souvent difficile pour d’autres États d’assurer un arbitrage tout en respectant l’indépendance des pays concernés. Mais les États voisins ne doivent-ils pas accueillir des réfugiés, contrôler l’évolution de groupes armés, arrêter les fournitures d’armes ou empêcher leur transit? C’est là une première forme de solidarité pour construire la paix, d’autant plus durable qu’elle sera décidée par le plus grand nombre de partenaires.

Cependant, je voudrais insister sur un autre aspect, sans doute moins facile à saisir concrètement, mais non moins important. Face aux conflits et aux souffrances qu’ils entraînent, aucune action diplomatique ou politique n’aura d’efficacité réelle si elle ne traduit en actes l’aspiration des hommes à une solidarité que n’arrêtent pas les frontières. Les responsabilités confiées aux dirigeants ont pour seule raison d’être le service de leurs peuples. Agir pour la paix, c’est une mission profondément humaine. La noblesse de la politique et de la diplomatie est de se situer à ce niveau de motivation, pour surmonter les tentations d’indifférence ou de repli sur soi, pour vaincre les forces destructrices, pour travailler à de véritables réconciliations, pour construire une société solidaire.

3. Sous des formes diverses, tensions et conflits résultent souvent d’atteintes aux droits de l’homme. Quand le simple droit à la vie est menacé, quand le minimum de moyens matériels fait défaut, quand les aspirations légitimes à la vie de famille, à l’éducation et au travail restent insatisfaites, une société ne peut vivre en paix. L’organisation de la société a pour but premier de répondre à ces exigences. Les définitions juridiques des droits n’ont de valeur que si elles sont fondées sur le respect de l’être humain, sujet de droits. La dignité des peuples suppose que leurs justes aspirations, leurs traditions, ou leurs croyances puissent s’exprimer librement.

Dans une société respectueuse des droits de chacun, les responsabilités sont partagées, les rapports sociaux permettent les initiatives et les associations constructives. La liberté de conscience s’accomplit réellement dans la liberté de vivre en commun sa religion. Les uns et les autres ont devant eux les mêmes chances et le même avenir ouvert.

Mesdames, Messieurs, si je rappelle ces simples principes, c’est parce qu’ils me semblent éclairer le vaste mouvement démocratique que nous voyons s’étendre dans le monde actuellement, et très particulièrement en Afrique. Les initiatives et leur mise en oeuvre relèvent de chaque nation. Mais il est clair que le soutien de la communauté internationale peut et doit favoriser le progrès de l’état de droit et de la démocratie. Puis-je rappeler ici les efforts poursuivis dans ce sens en Europe, où la Conférence pour la sécurité et la coopération a reconnu que ses fins essentielles étaient conditionnées par le respect des droits humains et de la justice sociale dans les États appelés à s’entraider?

Pour prendre un autre exemple, je pense également au séminaire que le Bureau international du Travail va tenir dans quelques jours à Dakar sur l’abolition du travail des enfants. C’est bien le signe que maintes questions préoccupantes doivent être abordées dans le cadre d’une collaboration déterminée des forces vives de toutes les nations.

Il n’est pas vain de réfléchir à ce qu’implique la vie démocratique. En un temps de changements profonds du monde, j’ai tenu à présenter, dans un document solennel, l’analyse que fait l’Église de cet aspect majeur de la vie des nations: «Une démocratie authentique n’est possible que dans un État de droit et sur la base d’une conception correcte de la personne humaine. Elle requiert la réalisation des conditions nécessaires pour la promotion des personnes, par l’éducation et la formation à un vrai idéal, et aussi l’épanouissement de la “personnalité” de la société, par la création de structures de participation et de coresponsabilité»[1].

Je suis convaincu que la solidarité entre les nations sera d’autant plus constructive qu’elle s’inspirera clairement d’une telle conception de la vie commune appliquée sans discriminations à toute la famille humaine.

4. Mesdames, Messieurs, il est clair que nous ne pouvons en rester à l’analyse des principes, tout essentiels qu’ils soient. La communauté internationale se doit de faire face aux problèmes quotidiens des populations. Pour sa part, l’Église ne cesse d’affirmer que la solidarité du monde entier est au service du développement intégral de l’homme. Je me suis souvent exprimé sur ce sujet, mais je crois devoir y revenir aujourd’hui devant les Représentants de nombreux pays de tous les continents.

La première évidence – mais est–elle assez perçue dans le monde? – est que l’on ne peut se résigner à voir la famine menacer encore et toujours des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sur cette terre. La malnutrition reste dramatiquement répandue, avec ses séquelles sur la santé. L’entraide s’exerce, mais non sans lenteurs ni entraves. Il faut agir, et agir davantage.

Au-delà de ces situations d’urgence, sachons comprendre les aspirations des populations de l’Afrique qui veulent réaliser leur développement dans des conditions politiques et économiques favorables. Il importe de les aider à accroître leurs productions et l’ensemble de leur activité économique, à préserver leurs ressources naturelles, à développer les infrastructures. Tout cela suppose des coopérations régionales, aujourd’hui encore insuffisantes, et une bonne intégration dans les échanges mondiaux.

Cependant, on se rend compte de plus en plus qu’il ne faut pas se contenter d’évaluer des besoins ou d’organiser des marchés. Il ne suffit pas de réduire une dette ou d’apporter de nouveaux crédits. La réalité humaine ne se laisse pas enfermer dans des chiffres. Je ne me lasserai pas de répéter que la vraie solidarité pour le développement suppose le partenariat entre les personnes et entre les communautés, le soutien de leurs initiatives, la mise en valeur de leurs qualités propres et de leur héritage culturel.

En somme, ce partenariat constitue lui-même une communauté qui doit être à l’oeuvre et qui met en commun plus que des ressources ou du savoir. Elle doit partager un même respect des peuples et un même amour de l’homme.

5. Lors de mon premier voyage en Afrique, frappé par les drames vécus dans le Sahel, j’avais lancé un appel à la solidarité depuis Ouagadougou. Dix ans plus tard, revenu dans le même lieu, je l’avais solennellement renouvelé au cours d’une rencontre avec de nombreux artisans généreux du développement. Aujourd’hui encore, devant vous, j’ai le devoir d’élever ma voix et d’interpeller la famille humaine, au nom de ses membres les plus démunis.

En ce temps où l’on s’émerveille de voir abolies les distances, à l’heure où les informations sont transmises instantanément partout, on constate avec tristesse qu’entre les peuples subsistent d’autres distances immenses: tragiques disparités de l’espérance de vie et des moyens disponibles pour l’éducation ou la santé, différences profondes dans la jouissance des libertés, en fait reconnaissance très inégale de la dignité humaine! Alors que tous devraient se rapprocher, quel poids pèse sur des frères et des soeurs quand on les désigne comme «étrangers», «réfugiés», «immigrés»!

Les biens de la terre, les biens de l’intelligence et du coeur, quel usage en faisons-nous? Le Christ nous dit: «Où est votre trésor, là aussi sera votre coeur»[2]. Tant de trésors nous sont confiés; pouvons-nous par égoïsme les retenir? Comment pouvons-nous ignorer qu’ils sont des biens communs, des biens pour la vie de l’unique humanité?

Il est temps que la famille humaine prenne conscience de ses vrais devoirs: que l’homme se mette au service de l’homme, qu’il engage tous ses talents et toutes ses ressources spirituelles et matérielles pour les causes de la paix, du droit, du bien-vivre de tous les hommes qui sont en vérité ses frères!

Excellences, Mesdames, Messieurs, je vous confie cet appel avec gravité, car vous représentez des peuples qui sont appelés à resserrer leurs liens mutuels d’un bout du monde à l’autre. En mission dans un pays riche des qualités de ses habitants, mais pauvre de moyens matériels, vous êtes aux premiers postes du combat pour la solidarité humaine.

Que le Très–Haut vous assiste dans votre tâche!


[1] Encyclique Centesimus annus, CA 46.
[2] Lc 12,34.





Discours 1992 - Cathédrale Notre-Dame des Victoires, Dakar, Mercredi 19 février 1992