Discours 1990 - Samedi, 13 janvier 1990


VOYAGE APOSTOLIQUE AU CAP VERT, GUINÉE BISSAU, MALI, BURKINA-FASO ET TCHAD


CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Aéroport International de Bamako-Senou (Mali), Dimanche, 28 janvier 1990




Monsieur le Président,

1. Ma joie est grande d’arriver au Mali, au cours de ce sixième voyage africain, et de pouvoir ainsi rendre les deux visites que Votre Excellence m’a faites au Vatican.

Je suis sensible à vos paroles de bienvenue et je vous remercie de votre accueil, dans la tradition du noble peuple malien qui a une réputation de très grande hospitalité.

Je salue avec déférence les autorités gouvernementales présentes à cette cérémonie, ainsi que Messieurs les membres du Corps Diplomatique, qui ont eu l’obligeance de venir à ma rencontre: je leur sais gré de cette marque de courtoisie.

2. Permettez-moi, maintenant, Monsieur le Président, d’adresser mes salutations cordiales à mes Frères dans l’épiscopat: à mon hôte dans la capitale, Monseigneur Luc Sangaré, Archevêque de Bamako, et à Monseigneur Jean-Marie Cissé, Evêque de Sikasso et Président de la Conférence épiscopale du Mali.

Je salue aussi de tout coeur la chère communauté catholique du Mali. J’exprime à ses fidèles le soutien et la communion de leurs frères baptisés du monde entier. Je suis heureux de venir célébrer avec eux la foi qui nous est commune.

Catholiques de ce pays, je viens aussi me joindre à vous pour prolonger notre action de grâce à Dieu qui a permis que l’Evangile soit annoncé ici depuis cent ans. A la suite des Apôtres, en particulier de Pierre dont la mission m’a été confiée, je viens vous affermir dans la foi et vous stimuler dans votre vie chrétienne. Je viens en pèlerin de Notre-Dame du Mali. Bien que Kita ne soit pas sur ma route, je désire confier à la Vierge, spécialement honorée en ce premier sanctuaire édifié sur votre terre par l’Eglise naissante, la prière que lui adressent les fils de l’Eglise à l’intention de tous les Maliens.

A l’occasion de ce voyage pastoral, je souhaite aussi encourager les catholiques dans leur contribution aux entreprises de développement, à travers un service désintéressé. Le pays a besoin des efforts de tous dans la grande bataille contre la faim, la malnutrition et l’analphabétisme, sans parler de cette autre bataille qui vous affronte à la sécheresse et à la désertification.

3. Dès cette première rencontre sur le sol malien, je voudrais, Monsieur le Président, saluer à travers votre personne tous vos compatriotes et leur dire ma joie de venir faire la connaissance des descendants de grands empires africains, aux prestigieuses métropoles, qui témoignent encore aujourd’hui de la riche culture de ce pays.

En venant chez vous, je vais aussi à la rencontre des croyants de diverses religions. Je le fait dans un esprit de dialogue, me réjouissant des rapports harmonieux qui existent ici entre les religions africaines traditionnelles, les communautés musulmanes et les communautés chrétiennes. Je vois dans cette attitude positive une garantie du respect de la dignité et du bien-être de chacun. La foi religieuse, en effet, doit rapprocher les hommes et les conduire à une solidarité plus profonde dans la recherche commune de tout ce qui est noble et bon.

4. Votre vie de tous les jours au Mali comporte une relation authentique à Celui qui est l’Invisible. Les invitations à élever vos coeurs vers le Très-Haut retentissent chaque jour dans vos villes et vos villages. Je souhaite que Dieu continue à occuper la place qui lui revient dans tout coeur humain. Je forme aussi le voeu qu’avec son aide chacun, dans son existence, donne à autrui la part qui lui revient, dans une conscience toujours plus vive que l’homme s’épanouit dans une convivialité généreuse. Et le souci du prochain se fait plus impérieux quand il est dans le besoin ou qu’il connaît la souffrance, comme c’est trop souvent le cas dans les pays du Sahel.

Puisse ma visite pastorale, motivée par l’amour du Christ et par son Evangile de paix, contribuer à l’essor des forces spirituelles que habitent les coeurs de tous les Maliens! Que les appels à regarder vers le ciel amènent à ne pas céder à la tentation de ne rechercher que le bien-être matériel ou une place enviable dans la société.

En respectant toujours mieux l’éminente dignité de l’être humain et sa vocation à la transcendance, puissent les Maliens développer le meilleur d’eux-mêmes et rester fidèles aux grands héritages de la nation!

Je vous remercie, Monsieur le Président, des dispositions que vous avez prises pour faciliter ma visite et l’exercice de mon ministère. Je vous sais gré, encore une fois, de votre accueil chaleureux et je prie le Très-Haut de répandre ses bienfaits sur tout le pays!


AVEC LES PRÊTRES, LES RELIGIEUX, LES SÉMINARISTES ET LES LAÏCS

Cathédrale du Sacré Coeur de Jésus à Bamako (Mali), Dimanche, 28 janvier 1990




Chers Frères et Soeurs,

1. «Mon commandement, le voici: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» (Jn 15,12-13).

Le Christ a traduit en actes ce qu’il a enseigné. Sur la croix, il a lui-même versé son sang pour nous et pour la multitude des hommes. Il nous a aimés « jusqu’au bout » (Jn 13,2). Les Apôtres et les martyrs l’ont imité dans ce témoignage, comme aussi les saints de tous les temps qui ont fait le don de leur vie par leur fidélité quotidienne aux engagements de leur baptême.

C’est en quelque sorte par un sacrifice de ce genre qu’a été préparée l’évangélisation du Mali, avant la fondation de la mission de Kita par les Pères spiritains. Deux caravanes de Pères Blancs étaient parties successivement des rives de la Méditerranée, en 1876 et en 1881, pour ce qu’on appelait alors « le Soudan ». Ces pionniers de la foi furent massacrés, lors de la traversée du Sahara, et leur sang est devenu, pour reprendre la célèbre formule, une « semence de chrétiens ».

En 1988, vous avez célébré le centenaire de l’évangélisation du Mali et vous avez rendu grâce à Dieu pour le don de la foi accordé à votre pays. Je suis heureux d’être venu prolonger cette action de grâce avec les catholiques du Mali et j’éprouve une grande joie à inaugurer ici avec vous mes rencontres de la communauté ecclésiale. Je vous salue de tout coeur, évêques, prêtres, religieux, religieuses, grands séminaristes, novices, catéchistes de tous les diocèses, forces vives de l’Eglise dans cet immense pays.

En cent ans, la petite communauté chrétienne originelle, tel le grain de sénevé de l’Evangile, est devenue un arbre qui plonge ses racines dans le sol malien et porte du fruit. Le rayonnement des catholiques aujourd’hui est un signe de la présence du Royaume de Dieu sur cette terre.

Avec vous, je rends hommage aux ouvriers de la première heure, venus d’autres pays, et je les remercie d’avoir donné leur vie par amour pour leurs frères africains.

2. Après avoir accueilli la Bonne Nouvelle, les Maliens sont maintenant appelés à l’annoncer à leur tour.

«C’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit et que votre fruit demeure» (Jn 15,16). C’est donc le Seigneur qui choisit, dès le baptême où vous avez été marqués du sceau de l’Esprit Saint. La vocation sacerdotale ou religieuse prolonge pour certains l’appel baptismal. Par l’offrande de votre vie, vous répondez au choix que fait le Seigneur.

3. Non seulement Dieu choisit, mais il a un projet pour ses amis. « Maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15,16). Il s’agit de proclamer la révélation faite par le Fils. En tant que disciples du Christ, vous êtes les porteurs du message du salut. Votre vie, votre prière, vos services, votre action ont pour but de faire briller la lumière du Sauveur dans le monde. Vos communautés, vos personnes consacrées sont elles-mêmes des signes qui, par la grâce de Dieu, permettent à ceux et celles que vous côtoyez chaque jour de découvrir Celui qui vous a appelés.

Vous n’accomplissez pas votre oeuvre propre, vos réalisez le projet du Père qui se sert de votre coeur, de votre esprit, de votre bouche, de vos mains. Proclamez sans cesse la Parole! Donnez à vos compatriotes une présentation vivante de l’Evangile dans une catéchèse adaptée au degré de foi de chacun!

Aux prêtres, il revient en particulier de refaire l’acte d’offrande du Christ à la Cène, de communiquer son pardon aux pécheurs, de prolonger ses gestes de soulagement envers les malades et ceux qui souffrent.

Vous collaborez à l’oeuvre du Père en cherchant à faire sa volonté. Cela vous donne une grande paix et une grande assurance, car vous apportez votre concours à quelqu’un qui a déjà remporté la victoire par son Fils ressuscité, même si son Royaume n’est pas toujours visible à nos yeux.

4. Pour porter du fruit, suivant le commandement du Seigneur, il faut veiller à demeurer avec Celui qui vous a choisis: « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour» (Jn 15,9). Cela veut dire qu’il faut prendre les moyens de vivre une union profonde au Seigneur: la prière quotidienne entretient l’intimité avec Dieu ainsi que l’écoute attentive de la parole qui nourrit la connaissance du Christ et renouvelle le dynamisme des engagements apostoliques.

Demeurer avec Celui qui vous a choisis, cela veut dire aussi: persévérance dans le célibat, qui est signe d’une disponibilité totale au Seigneur et à autrui; persévérance dans un certain état de pauvreté pour investir pleinement dans les valeurs du Royaume, à l’exemple de nos pères dans la foi; persévérance enfin dans l’obéissance qui traduit notre volonté de servir Dieu avec l’aide fraternelle des membres de la communauté ecclésiale, en particulier des supérieurs qui vous guident.

5. Au cours de l’année du centenaire, vous vous êtes remis ensemble en présence du Christ. Vous vous êtes efforcés de raffermir la foi et l’amour fraternel. « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 15,17). Je forme le voeu que les communautés ecclésiales du Mali, sous l’impulsion des agents pastoraux, donnent de plus en plus l’exemple d’une vie chaleureuse et fraternelle, en accord avec les aspirations les plus authentiques de l’homme africain.

Vous y parviendrez en étant vous-mêmes le « sel de la terre » et la « lumière du monde » (Mt 5, 13, 14). Vous le serez par ce que vous êtes, par votre parole, par votre fidélité à l’amour du Christ. Vous le serez en manifestant la primauté de Dieu dans votre vie, par la prière et la méditation, comme dans le dialogue avec vos frères et soeurs en qui vous savez retrouver l’image de Dieu.

Sans imposer votre foi, dans le respect des autres, vivez pleinement la spécificité chrétienne afin qu’elle apparaisse dans la trame de la vie communautaire.

«Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu; vous êtes donc chargés d’annoncer les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière» (1P 2,9).

6. L’édification de l’Eglise sur le continent africain va connaître un nouveau souffle, grâce a l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, que j’ai annoncée, l’an dernier, en la fête de l’Epiphanie du Seigneur. C’est mon voeu, en effet, que l’Eglise en Afrique soit une réelle Epiphanie, une authentique manifestation du Seigneur pour les peuples de toute culture qui y vivent, afin qu’ils marchent vers la lumière du Christ.

Vous qui constituez les forces vives de l’Eglise au Mali, je vous encourage à entrer de tout votre coeur dans ce grand mouvement synodal qui intéresse chacun et chacune d’entre vous. D’abord, portez cette importante intention dans votre prière, dans votre méditation de la Parole de Dieu à l’école de Notre-Dame. Que vos réflexions, vos expériences rassemblées et confrontées parviennent aux évêques délégués à cette Assemblée spéciale afin qu’ils puissent cerner mieux encore les voies de l’Eglise pour l’accomplissement de sa mission évangélisatrice aujourd’hui sur votre continent.

L’Assemblée spéciale sera une occasion providentielle pour préciser les objectifs vers lesquels l’Eglise tendra sur le continent africain. Nous prierons ensemble pour son succès: « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera » (Jn 15,16).

7. La parole de Jésus, en conclusion de l’Evangile que nous avons écouté, nous rappelle un trait essentiel: « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 15,17). C’est la marque distinctive de ceux qui suivent le Christ. C’est l’appel à la sainteté présenté d’une façon concrète. Les religieux y répondent par l’observance des voeux qui les amène à écarter ce qui pourrait faire obstacle à une plus grande capacité d’aimer. Les prêtres, à travers les sacrements de l’Eucharistie et de la réconciliation principalement, cimentent la charité et l’unité entre les membres du Peuple de Dieu. Tous les agents pastoraux, à leur propre niveau d’engagement ecclésial, sont au service de la communion fraternelle. Ils donnent ainsi une image attrayante et joyeuse de la communauté des disciples du Christ.

Je vous encourage à développer l’harmonie entre vous, à travers l’abnégation quotidienne qui pousse à aimer autrui et à lui venir en aide: « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13).

Enfin, que dans vos vies il y ait une unité réelle entre le dire et le faire. Ainsi vos communautés religieuses ou paroissiales seront crédibles et vous édifierez sur le roc l’Eglise qui est au Mali.

Que Notre-Dame de Kita vous aide à poursuivre la mission dans la confiance et dans la joie!


AUX ÉVÊQUES DU MALI À L’ARCHIÉPISCOPAT DE BAMAKO

Bamako (Mali), Dimanche 28 janvier 1990




Chers Frères dans l’épiscopat,

«Nous rendons grâce à Dieu à cause de vous tous... Nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus-Christ, en présence de Dieu notre Père».

1. Ces paroles de l’Apôtre saint Paul expriment bien ce que je ressens à l’occasion de cette visite pastorale au Mali. Vous représentez, certes, la plus petite des communautés de croyants du pays, vivant dans une société dont les critères de pensée et d’action, les mentalités et les comportements collectifs sont davantage ceux des religions du terroir et de l’Islam, mais vous êtes un Peuple de foi, qui sème le goût de Dieu dans le monde.

Vous êtes un Peuple de réconciliation, qui ouvre avec patience les chemins de dialogue fraternel et de paix.

Vous êtes un Peuple de partage et d’espérance, qui jette les germes de la solidarité et de l’espoir au coeur des sociétés humaines.

C’est bien ainsi, en effet, que m’apparaît votre Eglise, que je visite avec beaucoup de joie et, ajouterai-je, avec fierté, considérant le beau travail qui a été réalisé jusqu’à ce jour: en cent ans, vous avez pris racine, vous avez vaincu bien des résistances, vous avez réussi à croître sur un sol difficile.

2. Après les célébrations de l’année du centenaire de l’évangélisation, vous poursuivez avec un dynamisme renouvelé la mission reçue du Christ: « Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création ». Vous continuez à bâtir l’Eglise en faisant prendre conscience aux baptisés du projet que Dieu a sur chacun d’eux: ils sont les pierres vivantes de l’édifice spirituel. Vous développez aussi en eux le sens de la co-responsabilité. Laissez-moi vous encourager à donner une formation approfondie aux fidèles de vos diocèses, suivant le voeu exprimé au dernier Synode des évêques sur la vocation et la mission des laïcs, afin que l’Eglise au Mali soit de plus en plus rayonnante. Que les catholiques soient lumière, sel et levain pour faire éclore les richesses spirituelles du peuple malien!

Entre autres choses, je souhaite avec vous que s’implante à l’avenir la vie contemplative dans votre pays, afin que moines et moniales donnent, par leur vie de prière, de silence et d’offrande totale de soi, le témoignage de la primauté, de la grandeur et de l’amour de Dieu. Par le rayonnement de leur présence, ils disposeront bien des coeurs à s’ouvrir au message de l’Evangile. Par leur supplication, ils obtiendront du Seigneur l’envoi d’ouvriers plus nombreux pour la moisson qui est abondante.

3. Dans votre vie ecclésiale au Mali, où les catholiques sont une petite minorité, le dialogue religieux se trouve au premier plan. Je sais qu’il existe ici un climat d’entente entre les diverses familles de croyants, et j’en rends grâce à Dieu.

Ce thème du dialogue fera l’objet, avec d’autres, des réflexions de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, que j’ai convoquée, l’an passé, en la fête de l’Epiphanie du Seigneur. Je vous invite, chers Frères, à entrer dans le grand mouvement de préparation de cet événement et à y intéresser l’ensemble de vos familles diocésaines. L’Eglise au Mali devra y faire entendre sa voix par ses délégués; n’a-t-elle pas, précisément dans le domaine du dialogue religieux, une expérience à partager?

Le dialogue est, en effet, une composante de la mission d’évangélisation et un moyen nécessaire pour l’accomplir. On ne peut pas proclamer l’Evangile sans dialoguer avec foi et amour avec ceux à qui la Bonne Nouvelle est portée.

Du reste, en Afrique, le pluralisme religieux, qui caractérise souvent le milieu national, ethnique, voire familial, incite à développer un esprit de dialogue pour prévenir conflits et discordes. Il arrive, d’ailleurs, que l’Eglise catholique sur votre continent soit appelée à prendre l’initiative dans ce domaine délicat et difficile.

Le dialogue religieux concerne, en premier lieu, nos frères dans la foi chrétienne. L’Afrique a hérité des divisions des Eglises plus anciennes, et elle connaît aussi la multiplication de sectes nouvelles. Sans se décourager, il faut rechercher l’unité « afin que le monde croie ». Vous avez un patrimoine culturel commun et un sens religieux inné qui peuvent faciliter le dialogue. La collaboration entre l’Eglise catholique et diverses communautés ecclésiales a déjà porté des fruits, en divers points de l’Afrique, par exemple pour la traduction de la Bible, pour la présence chrétienne dans les médias, pour la promotion de la justice et de la paix. Ces actions menées ensemble renforcent la compréhension mutuelle, condition pour un échange franc et sans équivoque sur le contenu de la foi et le sens de l’Eglise. Ici, comme dans les autres parties du monde, le dialogue oecuménique est un devoir. Suivez la voie jalonnée par le Concile Vatican II, et suppliez le Seigneur de rassembler ses enfants dans l’unité.

4. Le dialogue embrasse aussi l’ensemble des musulmans qui sont, en Afrique, d’importants partenaires, en raison des multiples dimensions de leur Islam et des profondes racines que celui-ci a plantées en de nombreux peuples africains. A partir du monothéisme d’Abraham, auquel ils se réfèrent volontiers, les musulmans sont porteurs de valeurs religieuses authentiques, qu’il nous faut savoir reconnaître et respecter. Certes, le dialogue avec eux n’est pas toujours aisé, ni souhaité par tous, et l’on trouve parfois difficilement un langage commun et des interlocuteurs représentatifs. C’est ici que la générosité chrétienne doit savoir être réaliste et courageuse, tout à la fois. Qui plus est, on est parfois placé, dans certains pays, devant de fortes réticences à respecter le principe de réciprocité dans la reconnaissance des droits des uns et des autres à la liberté de conscience et de culte. Le dialogue a aussi vocation à être interpellation exigeante dans la recherche de la justice.

Dans la conviction que la charité du Christ peut surmonter tous les obstacles, il convient donc de créer une atmosphère susceptible de préserver pour tous la liberté d’adhésion à la foi dans des choix clairs, et les chances d’une collaboration fructueuse et paisible pour le bien commun.

5. Dans le dialogue avec ceux qui restent attachés à la religion traditionnelle africaine, on encouragera une attention bienveillante aux valeurs qu’ils professent, pour y reconnaître avec discernement ce qui peut demeurer partie intégrante du bien commun. Souvent la collaboration sera possible et bénéfique pour le service de la société. Et, conservant une part précieuse de l’héritage traditionnel, les chrétiens pourront témoigner clairement de leur propre foi en Jésus-Christ, dans un dialogue naturellement fraternel.

6. A tous vos diocésains, vous redirez mes encouragements à prendre part, selon la vocation de chacun, à l’avènement du Royaume de Dieu au Mali, en Afrique et dans le monde. Qu’ils se stimulent les uns les autres dans la charité du Christ, sous votre vigilance pastorale!

Un certain nombre de vos fidèles auraient sans doute désiré rencontrer le Pape en cette occasion unique de sa venue dans leur pays et ne l’ont pas pu car ils sont disséminés sur votre immense territoire. Transmettez-leur ma Bénédiction et assurez-les de ma prière. Je voudrais surtout que vous exprimiez mon affection aux malades, aux handicapés, aux personnes âgées, aux prisonniers.

Que Dieu vous garde dans sa joie et dans sa paix! Qu’il permette au Mali de réaliser une heureuse croissance! Qu’il assiste ses dirigeants! Qu’il inspire chaque Malien dans sa propre conscience afin que ce soit toujours le bien qui l’emporte dans son action et qu’ainsi la justice et la fraternité imprègnent la vie sociale du pays!

Je confie à Notre-Dame du Mali les voeux fervents que je forme pour vous et, de grande coeur, je vous bénis, ainsi que vos collaborateurs et tous les fidèles de votre cher pays.


AUX JEUNES DANS LE PALAIS DE LA CULTURE DE BAMAKO

Bamako (Mali), Dimanche 28 janvier 1990


Chers jeunes,


1. Dieu soit béni qui me donne la joie d’être avec vous ce soir!

Je suis sensible à votre accueil chaleureux et je remercie votre porte-parole pour son aimable mot de bienvenue.

Je vous salue tous cordialement: jeunes catholiques, jeunes musulmans et jeunes d’autres confessions religieuses, qui êtes venus à cette rencontre.

Vous représentez, sur le plan humain, une importante fraction de la population de votre pays. Vous êtes les bras valides du Mali, sa relève assurée. Il est important, pour l’avenir de la nation, qui est votre avenir, que vous soyez motivés par un idéal généreux.

Tous, nous sommes membres de l’unique famille humaine. Nous vivons dans le même monde. Nous aimons la vie, surtout vous, les jeunes. Aimer la vie, c’est déjà pressentir que nous la recevons de Dieu et que nous ne pouvons pas être heureux sans Lui. C’est ce que disait saint Augustin, le grand évêque d’Afrique du Nord: « Tu es grand, Seigneur, et infiniment digne de louange... Tu nous as faits pour toi et notre coeur est sans repos tant qu’il ne repose en toi ».

Je suis venu vous inviter à ouvrir les yeux sur les richesses insondables de la vie que Dieu nous donne. Si nous écoutons sa parole, si nous le suivons, si nous découvrons la grandeur de l’amour dont il aime tous les hommes et toutes les femmes de tous les âges, alors nous saurons que la vie vaut la peine d’être vécue, et aussi d’être donnée!

2. Lorsque la Bible raconte la création du monde et de l’homme, elle nous montre que l’être humain possède une dignité unique et une valeur souveraine: « Dieu dit: " Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance "... Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1,26-27).

Il nous faut donc respecter, aimer et aider tout être humain parce qu’il est une créature de Dieu, et qu’il a une relation privilégiée avec Celui qui lui a tout donné. Qu’il en soit, dans un certain sens, l’image fidèle ou le représentant attitré, il est toujours un « signe » qui mène à Dieu. Ses droits sont l’expression de la volonté de Dieu et l’existence de la nature humaine telle que Dieu l’a créée.

Créature de Dieu, l’homme est donc radicalement marqué d’une dépendance. Cette dépendance mortifie peut-être son orgueil, mais s’il la reconnaît et l’accepte librement, elle l’enracine dans une existence pleine de sens, elle le tourne vers un horizon où seront abolies toutes les limites, sans autre angoisse ici-bas que celle de ne pas aimer assez.

Musulmans et chrétiens ont certes des motifs et des moyens différents pour réaliser cet idéal. Pour les uns, l’homme est appelé à être un parfait représentant de Dieu, sur terre, en y témoignant, pour le service de tous, de ce que signifient ces Très Beaux Noms: miséricorde et compréhension, pardon et réconciliation. Pour les autres, l’expression « créé à l’image de Dieu » dévoile un mystère encore plus profond car, pour eux, il existe entre l’homme et Dieu une relation de communion qu’ils osent appeler une relation filiale. L’homme est ainsi invité à devenir vraiment fils de Dieu dans un partage de vie et d’amour. Ce mystère nous est pleinement révélé par Jésus-Christ, lui qui sait « tout ce qu’il y a en l’homme » (Jn 2,25).

Si telle est la dignité de l’homme, chers amis, il importe que vous, les jeunes, ne vous laissez pas agresser et tromper par les marchands d’idéologies et de bonheurs illusoires. Ayez l’audace de leur résister: vous méritez ce qu’il y a de meilleur pour votre vie! Ouvrez vos coeurs au Dieu de sagesse et de miséricorde qui vous offre la plénitude de la vie, dès ici-bas, et plus tard, dans l’au-delà.

3. La population malienne, dans sa grande majorité, est croyante. C’est là un atout de taille qui devrait aller de pair avec un sens moral élevé et une conception de la vie où l’on ne recherche pas uniquement le bien-être matériel.

Aussi importants, en effet, que soient les problèmes économiques, l’homme ne vit pas seulement de pain: il a besoin d’une vie spirituelle. C’est elle qui donne sens au développement, orienté vers le bien de l’homme, de tout l’homme et de tous les hommes. Vous êtes les héritiers d’une longue tradition de culture. Dans le sillage de vos devanciers, il vous faut vous former, non seulement pour trouver un travail et servir votre pays, mais aussi pour apprendre à connaître le monde que Dieu nous a donné, pour le comprendre, en découvrir le sens, dans le goût et le respect de la vérité, ainsi que de vos traditions religieuses respectives.

Retrouvez aussi les valeurs fondamentales qui caractérisent votre société: la probité, le sens de l’humain, le sens de l’équité, la solidarité, le respect d’autrui, le sens de l’honneur. Efforcez-vous de vous en inspirer au jour le jour.

4. L’année du centenaire de l’évangélisation du Mali a permis aux chrétiens de se ressourcer pour mieux suivre le Christ. Chers jeunes catholiques, continuez à approfondir votre foi. Vous disposez d’un trésor, d’une perle de grand prix: le Christ, qu’on découvre par l’Evangile dans la communauté ecclésiale, Lui qui nous a dit: « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », (Jn 14,6)... Attachez-vous à sa personne. Laissez-vous guider par son Esprit, qui donne lumière et force. Prenez le temps de réfléchir à son message et de méditer la Bible, avec vos pasteurs, dans les groupes paroissiaux, par la prière et la célébration des sacrements. L’Evangile est une grande force spirituelle. C’est un levain et lorsqu’il est mêlé à la pâte, il finit par la faire lever tout entière.

Sachez que vous avez votre place dans l’Eglise, aux côtés de vos aînés. Efforcez-vous d’apporter la contribution qu’on attend de vous dans l’édification de communautés paroissiales vivantes. Je vous exhorte à participer activement aux célébrations liturgiques. Bien formés dans la foi, puissiez-vous entraîner les enfants et devenir vous-mêmes apôtres parmi vos camarades car vous avez, vous aussi, à porter la Bonne Nouvelle à vos frères! Jésus a posé son regard sur vous et il vous aime. Il invite même certains d’entre vous à le suivre d’une façon plus étroite, soit dans la vie sacerdotale, soit dans la vie religieuse. En effet, il en est parmi vous qui sont appelés à se joindre aux prêtres - pas encore assez nombreux dans ce pays immense - afin de poursuivre l’annonce de l’Evangile. D’autres, garçons et filles, sont appelés à vivre leur baptême dans la vie religieuse et à répondre de cette manière radicale à l’appel du Christ à la sainteté.

5. Enfin, chers jeunes, vous êtes tous invités à la solidarité dans le travail. La collaboration fraternelle redouble l’efficacité dans le travail. Un oeuvre réalisée en commun fait naître aussi un climat de confiance qui permet à chacun de s’épanouir. Ne vous laissez pas entraîner aux tendances trop répandues de l’égoïsme facile et du chacun pour soi. C’est d’ailleurs à l’opposé des meilleures traditions de vos peuples. Sachez donner au travail professionnel, auquel vous vous préparez ou que vous avez déjà commencé, toute la dimension d’un service utile à la communauté.

On parle beaucoup de développer la communication sociale. Vous y travaillerez positivement si, pour commencer, vous êtes prêts à dialoguer, à comprendre l’autre, à ne pas recevoir passivement les informations ou les images qui vous arrivent. Par l’échange entre vous, vous allez vous entraîner à édifier une civilisation fondée sur l’amour, sans aucune frontière de nation, d’ethnie ou de religion.
Soyez dignes de votre vocation d’hommes et de femmes pour mieux correspondre à ce que Dieu attend de vous, Lui qui vous a créés et veut vous conduire à votre perfection!

De toutes vos forces, préparez l’avènement d’un monde où Dieu ait la première place et où les hommes qu’il aime s’entraident comme des frères!

Que Dieu, auteur de la justice et de la paix, vous accorde la joie véritable, l’amour authentique et la fraternité durable! Qu’il vous comble de ses dons à jamais!



CÉRÉMONIE DE CONGÉ




Monsieur le Président,

1. Au moment où je m’apprête à quitter le Mali pour visiter d’autres pays africains, j’exprime mes vifs remerciements a Votre Excellence ainsi qu’aux autres Autorités du pays pour l’accueil chaleureux qui m’a été réservé. Je salue avec respect et de grand coeur les personnalités venues à cette cérémonie d’adieu.

La journée d’hier a été bien remplie et je vous sais gré d’avoir veillé à son bon déroulement.

2. Je suis venu au Mali pour exercer mon ministère de successeur de Pierre auprès de mes Frères et Soeurs de l’Eglise catholique qui est dans ce pays. Je remercie en particulier Monseigneur Luc Sangaré et les autres évêques pour leur hospitalité e l’organisation de ma visite. Les communautés chrétiennes s’étaient préparées activement à cette rencontre. J’ai été témoin du travail apostolique accompli ici et de tout l’engagement actuel des baptisés.

C’est avec joie que je me suis imprégné du climat de dialogue et de saine convivialité qui règne entre les membres des différentes religions et dont les échos m’étaient déjà parvenus à Rome, à l’occasion de la visite de mes Frères dans l’épiscopat.

Laissez-moi vous encourager sur la voie du dialogue entre croyants, afin que les Maliens de toutes confessions se connaissent et s’apprécient toujours davantage, se respectent et s’aiment comme fils et filles de Dieu qui aime toute la famille humaine.

3. Alors que l’on vient de fêter le premier centenaire de l’évangélisation du Mali, j’exhorte à nouveau les catholiques à approfondir le message qu’ils ont reçu afin que le Christ vienne transfigurer progressivement les valeurs naturelles précieuses de l’âme malienne. Que la communauté chrétienne s’affermisse et regarde vers l’avenir avec la foi et le dynamisme qui ont caractérisé les premiers apôtres et les premiers chrétiens du pays! Au nom de la foi en Jésus-Christ, que chacun s’engage sur tous les chantiers où se joue le devenir du pays, pour relever les défis de la justice, de la paix, de la vérité et de l’amour, mots d’ordre de l’Evangile!

4. A tout le peuple malien, j’offre les voeux fervents pour sa marche déterminée vers le progrès, dans la lutte contre les effets mortels des sécheresses sur les populations, les cheptels et l’agriculture. Puisse-t-il assurer son autosuffisance alimentaire, réussir la maîtrise de l’eau et combattre efficacement la désertification!

Le Mali dispose d’un héritage historique prestigieux. Sur une terre admirable, sa population unie est un atout puissant de stabilité sociale et un ciment pour l’unité nationale. Il dispose également de cadres compétents, auxquels je souhaite de remplir avec ténacité leur engagement personnel au service de tous.

5. Enfin, je forme le voeu que les Maliens aient vraiment confiance en eux-mêmes et qu’ils prennent résolument leur avenir en mains. Qu’ils se fassent confiance les uns aux autres, et qu’ils ne perdent pas de vue que l’homme doit être l’origine et le terme de tout développement économique et social!

6. Avant de vous quitter, je demande à Dieu de vous garder dans sa joie et dans sa paix. J’ai une pensée affectueuse et une bénédiction particulière pour ceux qui souffrent dans vos familles, comme dans toutes les familles de la zone sahélienne. Je vous confie tous à la tendresse de Notre-Dame du Mali.

Que le Très-Haut permette au Mali de réaliser une heureuse croissance! Qu’il assiste ses dirigeants! Qu’il inspire chaque Malien et chaque Malienne dans sa propre conscience afin que ce soient le bien, la justice, la fraternité et la paix qui l’emportent toujours!

Au revoir. Et que Dieu soit loué!




Discours 1990 - Samedi, 13 janvier 1990