Discours 1990 - CÉRÉMONIE DE CONGÉ

À L'OCCASION DE LA VISITE OFFICIELLE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU BURKINA-FASO

Palais présidentiel d'Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990




Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Je suis très touché par l’accueil que me réserve le Burkina-Faso et je vous remercie, Monsieur le Président, pour les paroles courtoises que vous venez de m’adresser. Je salue avec déférence les membres du Gouvernement qui vous entourent, les membres du Corps Diplomatique, ainsi que les autres personnalités qui ont bien voulu participer à cette cérémonie.

Depuis 1980, où je n’avais pu passer que quelques heures sur cette terre, je désirais revenir et prendre un nouveau contact avec une nation à laquelle je porte une grande estime, en accomplissant une visite pastorale à l’Eglise catholique, bien vivante dans votre pays. C’est avec une vraie joie que j’ai pu m’unir à la nombreuse communauté rassemblée ce matin au pèlerinage national de Yagma; et il m’est agréable de dire ici ma gratitude fraternelle à Monsieur le Cardinal Zoungrana et aux autres évêques du Burkina pour leur accueil.

2. Votre peuple, Monsieur le Président, a su s’attirer la sympathie et le respect de nombreuses nations dans le monde, je puis en témoigner. Héritier d’une grande histoire, épris de hautes valeurs morales, il a su garder le meilleur de ses traditions, dans un esprit fraternel.

Ces dernières années, votre nation a connu de graves épreuves. Je salue le courage et la dignité de vos compatriotes qui ne se sont pas découragés. Ils ont sans cesse repris, dans un esprit de réconciliation des esprits et des coeurs, les tâches nécessaires à l’amélioration de leurs conditions de vie, dans le domaine économique comme dans les divers secteurs de la vie sociale.

3. Vous savez quelle attention l’Eglise accorde aux nécessités du développement. Il y a dix ans, j’avais lancé un appel à la solidarité de la communauté internationale avec les populations sahéliennes durement touchées par la sécheresse. J’aurai l’occasion, dans la soirée, de m’exprimer à nouveau sur ces préoccupations. Mais, dès maintenant, je tiens à dire les voeux ardents que je forme pour que le peuple burkinabè soit en mesure de poursuivre ses efforts.

Je sais que, avec l’aide des pouvoirs publics, vos compatriotes s’emploient à faire progresser une agriculture qu’ils maîtrisent mieux, malgré les handicaps climatiques dont elle souffre. Et, puisque le développement concerne tout ce qui fait la vie de l’homme, je salue les progrès accomplis pour assurer à votre jeunesse une formation qui lui permette de déployer ses qualités et d’aborder la vie active dans des conditions favorables. J’espère aussi que les familles auront de plus en plus la possibilité de s’épanouir dans le respect de la vie du couple et de la responsabilité des parents, et que le pays sera en mesure de procurer les soins de santé à tous ceux qui en ont besoin et d’assister dignement les personnes handicapées ou les plus défavorisées.

Je souhaite à vos collaborateurs dans ces tâches si lourdes, Monsieur le Président, de mener leur action efficacement grâce à une concertation ouverte à tous les partenaires et avec le désintéressement qui honore les agents de la fonction publique au service du bien commun.

4. Quant aux catholiques, leur foi et leur amour de la patrie se conjuguent pour les encourager à prendre une part active à la vie de leur nation, dans le désir de travailler en bonne entente avec leurs compatriotes qui appartiennent à d’autres communautés religieuses. Ils souhaitent entretenir des relations confiantes avec l’Etat, dans une reconnaissance de la dimension spirituelle de la vie des personnes et de son expression dans les institutions religieuses. De même, le dialogue est utile pour bien situer les oeuvres d’éducation et de formation professionnelle, la participation aux services sanitaires ou aux actions en faveur du développement par lesquelles les membres de l’Eglise désirent se mettre à la disposition de tous.

5. Monsieur le Président, je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs, pour les dispositions prises afin de faciliter la visite pastorale que je viens de commencer au Burkina-Faso. Je suis sensible à la chaleureuse hospitalité qui m’est offerte.

En formant des voeux pour que votre nation connaisse encore plus de bien-être et de prospérité, dans la paix et la dignité reconnue de tous ses membres, j’ai conscience du chemin qui lui reste à parcourir. Mais je suis sûr que les qualités profondes des Burkinabè leur permettront de faire face avec courage aux défis de ce temps en demeurant fraternellement unis.



AUX FIDÈLES RÉUNIS DEVANT LA CATHÉDRALE

Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990



Chers amis de Ouagadougou,
Chers amis Burkinabè,


Dix ans après ma première visite, je suis heureux d’être de nouveau dans votre pays. Je vous salue tous cordialement. A chacun de vous, je voudrais dire mes voeux pour une vie de bien-être matériel et de joie spirituelle. A ceux qui souffrent dans leur corps ou dans leur coeur, je dis ma sympathie. A tous ceux qui ont de la peine à vivre, je souhaite beaucoup de courage et je les assure qu’ils ne sont pas oubliés dans les autres régions du monde.

J’adresse un salut d’amitié et de respect à ceux d’entre vous qui ne partagent pas la foi de l’Eglise catholique. Je souhaite qu’il y ait toujours des relations fraternelles entre eux et les chrétiens.

Vous qui êtes présents ici, je voudrais vous charger de dire aussi à vos compatriotes qui n’ont pu venir les salutations du Pape. Je pense spécialement à ceux qui sont handicapés, aux malades, aux isolés, aux prisonniers.

Et c’est à vos familles, aux jeunes et à leurs éducateurs, aux cultivateurs et aux travailleurs des services et des usines, à toute la nation burkinabè que je souhaite de connaître plus de prospérité et de demeurer dans la paix.

Que Dieu, le Très-Haut, vous comble de ses bénédictions!


RENCONTRE AVEC LES PRÊTRES, LES RELIGIEUX, LES SÉMINARISTES ET LES CATÉCHISTES

Cathédrale d'Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990



Chers amis,

1. L’évêque de Rome vous adresse à tous un salut très cordial. Je remercie Monseigneur Marius Ouédraogo pour ses paroles de bienvenue et pour sa présentation des participants à cette rencontre. Il a évoqué les orientations qui montrent que vous formez l’Eglise-Famille au Burkina-Faso avec le désir de remplir au mieux votre mission, suivant vos différentes vocations.

Nous nous retrouvons en une période important pour l’Eglise dans ce continent, puisque vous allez bientôt être invités à prendre part à la préparation de l’Assemblée spécial du Synode des Evêques pour l’Afrique, convoquée pour donner à l’évangélisation une impulsion nouvelle.

Heureux de vivre un moment de communion ecclésiale avec vous, je voudrais, pour ma part, méditer à partir de l’Evangile que nous venons d’écouter.

2. Revenus en Galilée, voici les Apôtres en présence de Jésus: le Crucifié s’est relevé d’entre les morts. Le Fils de Dieu fait homme a remis l’homme debout par sa Résurrection. Pour les disciples, la rencontre est impressionnant: ils avaient été témoins de la mission messianique, mais la Passion les avait ensuite dispersés en détruisant leur espérance; l’image du Golgotha était encore dans leur esprit.

«Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes». (Mt 28,17) Certains hésitent devant l’acte de foi, probablement parce qu’ils découvrent maintenant ce qu’exige la présence du Ressuscité: une adhésion radicale de tout l’être.

D’une certaine manière, toute vocation chrétienne vient d’une rencontre avec le Ressuscité et d’un acte de foi qui lui répond. Et vous savez bien qu’il faudra se laisser saisir toujours plus pour que mûrisse une vocation au ministère, à la vie consacrée, à l’apostolat et simplement à la vie de baptisé.

3. Sur la montagne, Jésus prononce cette parole étonnante: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre ». (Mt 28,18) Celui qui avait été rejeté est désormais fait Seigneur. En Lui s’unissent la puissance du Créateur qui fait vivre le monde, et la puissance de la Rédemption qui sauve le monde. Et c’est Lui qui « s’approche » de ses disciples, de vous!

« Allez donc! De toutes les nations faites des disciples ». (Mt 28,19) Votre Eglise est née de la réponse des Instituts missionnaires à cet appel du Christ. Elle vit aujourd’hui parce que des Burkinabè ont pleinement entendu cet appel à leur tour. Dans la même oeuvre coopèrent des frères venus d’ailleurs avec leurs frères de cette terre. Et les Burkinabè commencent à partir vers d’autres nations pour l’Evangile. Nous rendons grâce pour la générosité de tant d’hommes et de femmes qui donnent le meilleur de leur vie afin de « faire des disciples ».

4. En envoyant les Apôtres en mission, Jésus leur donne une première consigne: « Baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19). Il fait de vous les intendants des mystères de Dieu, il vous investit du pouvoir de transmettre la grâce du salut. Par votre ministère, le Christ s’approche de tout homme, il fait entrer les hommes dans la communion de la vie trinitaire, il les appelle à demeurer dans l’amour qui unit les personnes divines.

Frères et Soeurs, le Christ confie à l’Eglise l’admirable mission de réunir et de réconcilier l’humanité, d’être son instrument pour constituer son Corps unique avec les personnes auxquelles il donne sa vie par sa présence de grâce. Sur cette terre d’Afrique, vous êtes les serviteurs de cette présence de l’Amour sauveur. Les sacrements que célèbre l’Eglise en sont les signes visibles et vrais.

5. Le deuxième consigne de Jésus prolonge la première, car il faut montrer aux disciples les chemins de la fidélité aux engagements que comporte leur baptême: « Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés » (Mt 28,20).

De multiples manières, prêtres, religieux, religieuses, catéchistes ou laïcs engagés, vous êtes appelés à appliquer cette consigne du Seigneur. Garder les commandements, c’est les faire connaître, c’est rendre familier avec la Parole de Celui qui nous révèle la volonté du Père. Je vous encourage dans toutes vos tâches de formation chrétienne, de préparation au baptême et aux autres sacrements, de prédication et d’enseignement, d’animation de communautés, toujours dans le but de rendre véritable l’amitié avec le Seigneur en accordant concrètement sa manière de vivre avec le message de l’Evangile.

Il ne suffit pas, vous le savez, d’instruire avec des mots pour que l’on « garde les commandements » du Seigneur. L’évangélisation entraîne les disciples à mettre en pratique l’amour de Dieu et du prochain ensemble. Suivant vos charismes, vous vous dévouez ainsi non seulement pour assurer les services nécessaires à la constitution de l’Eglise, mais aussi pour soigner les malades, secourir les pauvres, éduquer les jeunes, promouvoir la formation professionnelle, soutenir le développement, aider les familles dans leur sain épanouissement, défendre le droit de l’être humain à la dignité, favoriser l’entente fraternelle de tous. Que le Seigneur vous permette de poursuivre généreusement les actions de solidarité auxquelles vous appelle une charité effective!

6. Chers amis, ma joie d’être au milieu de vous vient de ce que, les uns et les autres, vous acceptez librement de suivre le Christ et de prendre votre part à la mission de l’évangélisation. Pour cela, prêtres, religieux et religieuses, vous avez choisi de renoncer à fonder une famille et vous avez promise une disponibilité entière aux services que l’Eglise vous demande. Les catéchistes et les laïcs engagés donnent aussi beaucoup de leur liberté pour se consacrer à l’apostolat avec désintéressement. Les jeunes baptisés qui m’écoutent auront, eux aussi, à renoncer à des plaisirs faciles, à la crainte d’affirmer leur foi, pour venir prendre leur place active et dynamique dans la communauté des disciples du Christ.

Tous, chaque jour, vous dites à Jésus, du fond du coeur, la parole de Pierre: « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68). Tous, à la suite du Christ, vous dites au Père: « Voici, je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté » (He 10,7 cf. Ps 40,8-9).

Chaque jour, le Seigneur vous dit: « Mon joug est aisé et mon fardeau léger » (Mt 11,30). Le successeur de Pierre vous dit aujourd’hui: courage, portez joyeusement le poids du jour, pour faire grandir ensemble au Burkina-Faso l’Eglise-Famille de Dieu!

«Allez donc!». Elle est sûre cette parole de Jésus: « Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).



APPEL DU PAPE JEAN-PAUL II À L’HUMANITÉ

Palais de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)

Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990



Monsieur le Président,
Messieurs les Cardinaux,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Il y a dix ans, comme vient de le rappeler mon cher et vénéré Frère le Cardinal Paul Zoungrana, je foulais pour la première fois le sol de votre beau pays. Ma joie est grande de le retrouver aujourd’hui.

Je salue le Représentant du Chef du l’Etat qui participe à cette rencontre ainsi que toutes les Autorités burkinabè rassemblées autour de lui. Et j’exprime toute mon estime aux personnalités qui représentent ici des pays voisins, des pays amis, des Institutions internationales comme la Commission économique de l’Afrique de l’Ouest qui nous accueille en son siège.

Vous portez, Mesdames et Messieurs, la responsabilité d’orienter la marche de vos peuples dans les domaines politique, économique, social, culturel et religieux. Je prie Dieu de vous donner la force morale, la prudence et le discernement nécessaires pour accomplir vos hautes missions comme un service de la paix et de la justice, non seulement dans ce pays, mais dans toute cette terre du Sahel et sur le continent africain dans son ensemble.

2. En 1980, j’avais lancé au monde un appel solennel en faveur du Sahel, cruellement atteint par la sécheresse et la désertification. Je voulais joindre ma voix à toutes celles qui appelaient à une solidarité généreuse et efficace à l’égard des populations souffrant de la soif et de la faim. Je voulais faire entendre le cri des innocents fauchés par la mort ou menacés de ne pouvoir survivre.

Des efforts considérables avaient déjà été déployés, au cours de la très longue période d’épreuve traversée par les peuples de cette région, afin de leur venir en aide. Et depuis 1980, mon appel a été entendu. Il a suscité de nouveaux élans de solidarité. Les catholiques allemands, en particulier, ont permis de créer en 1984 la Fondation Jean-Paul II pour le Sahel, qui travaille au service de huit pays et dont le Conseil d’administration est établi dans votre capitale.

Je remercie le Cardinal Zoungrana et les membres du Conseil de la Fondation pour leur travail tenace. Et je salue la présence aujourd’hui du Cardinal Roger Etchegaray, Président du Conseil pontifical « Cor Unum », qui exerce d’importantes responsabilités dans la Fondation.

La structure de cet organisme résulte de certaines convictions profondes qu’a l’Eglise face aux problèmes du développement. La collaboration entre le Nord et le Sud permet de vrais partages de ressources entre les plus favorisés et les plus démunis. Mais la conduite effective de l’action sur le terrain revient aux représentants directs des peuples concernés. Est-il besoin de redire que si aide et conseils peuvent venir d’ailleurs, c’est à chaque peuple d’assumer avec clairvoyance son propre développement?

D’autre part, les moyens encore modestes de la Fondation sont consacrés en priorité à « favoriser la formation de personnes qui se mettent au service de leurs pays et de leurs frères, sans aucune discrimination, dans un esprit de promotion humaine intégrale et solidaire pour lutter contre la désertification et ses causes, et pour secourir les victimes de la sécheresse dans les pays du Sahel » (Statuts, art. 3, 1).

3. Mesdames, Messieurs, par leur action conjuguée, les Gouvernements de chaque pays, les Organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales ont beaucoup fait pour que reculent les spectres de la faim et de la soif. Je salue notamment les efforts accomplis par le Comité Inter-Etats pour la Lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS). Les responsables que vous êtes contribuent avec énergie à poursuivre des tâches immenses et difficiles. Car, dans les pays que je visite actuellement, la situation demeure préoccupante, comme en de nombreuses régions du continent africain.

Avoir assez d’eau et de pain, c’est toujours un réel problème pour les populations de la zone sahélienne. Les récoltes des paysans laborieux restent compromises par l’insuffisance et par l’irrégularité des pluies, ainsi que par les déprédateurs. Les équipements manquent pour mettre en valeur les terres, utiliser au mieux l’eau disponible, transporter les produits. On est encore loin de pouvoir assurer à tous une formation de base et l’acquisition des compétences professionnelles nécessaires pour permettre l’accroissement régulier de la production, l’amélioration des conditions de santé, en un mot un développement harmonieux de l’homme lui même.

Il faut que le monde sache que l’Afrique connaît une profonde pauvreté: les ressources disponibles sont en déclin, la terre devient stérile sur d’immenses surfaces, la malnutrition est chronique pour des dizaines de millions d’êtres humains, la mort emporte trop d’enfants. Est-il possible qu’un tel dénuement ne soit pas ressenti comme une blessure au flanc de l’humanité entière?

4. En ces jours où je parcours plusieurs pays du Sahel, je dois constater la gravité des maux qui blessent tant de peuples d’Afrique. A nouveau, je dois lancer un appel solennel à l’humanité, au nom de l’humanité même. Sur la terre d’Afrique, par millions, des hommes, des femmes, des enfants restent menacés de ne jamais jouir d’une bonne santé, de ne jamais parvenir à vivre dignement de leur travail, de ne jamais recevoir l’éducation qui épanouira leur intelligence, de voir leur environnement devenir hostile et stérile, de perdre la richesse de leur patrimoine ancestral tout en étant privés des apports positifs de la science et de la technique.

Au nom de la justice, l’Evêque de Rome, le successeur de Pierre, adjure ses frères et soeurs en humanité de ne pas mépriser les affamés de ce continent, de ne pas leur dénier le droit universel à la dignité humaine et à la sécurité de la vie.

Comment l’histoire jugerait-elle une génération qui a tous les moyens de nourrir la population de la planète et qui refuserait de le faire dans un aveuglement fratricide?

Quelle paix pourraient espérer des peuples qui ne mettraient pas en pratique le devoir de la solidarité?

Quel désert serait un monde où la misère ne rencontrerait pas l’amour qui donne à vivre?

5. L’appel que je renouvelle aujourd’hui s’adresse aux peuples du monde, spécialement à ceux du Nord qui disposent de plus de ressources humaines et économiques. Des actions généreuses sont déjà menées tant par les pouvoirs publics que par des organisations privées catholiques notamment. Mais si, maintenant, on veut aider l’Afrique à surmonter ses handicaps, un sursaut de l’opinion est plus nécessaire que jamais: la solidarité ne trouvera sa juste mesure que si chacun prend conscience de sa nécessité. Je répète ici ce que j’écrivais dans l’encyclique « Sollicitudo Rei Socialis »: la solidarité ce n’est pas « un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous ». Qui ne voudrait que le monde soit fraternel? La fraternité, pour qu’elle ne reste pas un vain mot, entraîne des obligations.

Une première obligation est celle d’une réflexion sincère: les sociétés « développées » n’ont-elles pas à s’interroger sur le modèle qu’elles présentent au reste du monde, sur les besoins qu’elles ont créés, sur la nature et aussi la provenance des richesses qui leur sont devenues nécessaires?

Un tel examen de conscience devrait convaincre le plus grand nombre de citoyens d’appeler leur dirigeants non seulement à rendre plus intense la solidarité avec les peuples démunis, mais aussi à se garder de toute déviation: il ne s’agit pas, en effet, de ne voir dans les pays les plus pauvres que des clients ou des débiteurs plus ou moins solvables. Ce type d’attitude, consciente ou non, a conduit à trop d’impasses.

Un développement réel ne peut être encouragé efficacement qu’à travers des relations confiantes entre partenaires. On partage plus que des marchandises. On partage aussi le savoir et la recherche scientifique, on respecte les traditions et les richesses propres de chacun, on facilite l’accès aux responsabilités autonomes de ceux qu’on a conseillés pendant un temps. C’est ainsi que le développement peut devenir réellement oeuvre humaine et sociale.

J’appelle les peuples les plus favorisés à reconnaître dans leurs frères d’Afrique la beauté de leurs qualités, leur amour de la vie, leur dignité, leur sens de l’entraide, leur ouverture à la transcendance. Puissent les peuples du Nord montrer autant d’intérêt pour les valeurs de la culture africaine que ceux du Sud en accordent aux apports des pays riches!

6. Mesdames, Messieurs, pour faire progresser le développement, la responsabilité de ceux qui ont la charge de diriger les instances politiques, économiques, sociales et culturelles est particulièrement engagée, autant dans les pays du Nord que dans les pays d’Afrique eux-mêmes. Toute autorité publique doit s’exercer comme un authentique service de la population, pour renouveler l’espoir de ceux qui comptent sur la sagesse des responsables. Que les responsables demeurent attentifs aux besoins réels de leurs concitoyens, à leur aspirations profondes, a leur volonté de participer pleinement à leur propre émancipation! Que personne n’ait peur d’un dialogue franc et ouvert avec tous! La justice fait davantage de progrès lorsque existe un esprit d’entente et que chacun donne le meilleur de lui-même.

Vous savez la somme de compétence, de ténacité, de capacité d’organisation et de prévision, de volonté d’agir, qui est nécessaire pour pallier les insuffisances des services publics et des infrastructures, pour assurer à tous vos compatriotes une bonne formation et les soins de santé indispensables, pour améliorer l’emploi, pour maîtriser l’urbanisation.

Il ne m’appartient pas d’entrer dans le détail ni de tracer des programmes. Mais, en évoquant certains aspects des services dont vous avez la charge, je tiens à souligner que, là aussi, le devoir de solidarité s’impose. Par ces tâches de caractère technique, c’est l’homme qu’il faut servir. Dans l’action publique, c’est la qualité morale d’un peuple qu’il faut respecter, en bannissant toute intolérance, toute forme de corruption, de ressentiment et même d’avilissement.

Le développement est fruit de la justice, de la paix, de la solidarité. Cette conception, que l’Eglise propose inlassablement, montre les exigences qui s’imposent à toute personne investie de responsabilités publiques dans le monde. Je vous encourage à agir avec la bonne volonté et le désintéressement qui suscitent la confiance et stimulent la libre coopération de tous.

7. Au cours des âges, vous le savez, les apôtres de l’Evangile ont toujours voulu se mettre au service de l’homme tout entier, en cherchant à répondre à ses aspirations spirituelles et à l’aider à satisfaire ses besoins matériels. Aujourd’hui, en apportant leur contribution au développement intégral de l’homme, les catholiques prennent la relève des pionniers d’autrefois, qui fondaient l’Eglise en même temps qu’ils défrichaient la terre là où c’était nécessaire.

M’adressant à vous dans cet esprit, j’ai voulu témoigner de l’amour du Christ qui brûle en nous pour tout homme, pour l’homme blessé, pour l’homme qui ne cesse d’espérer l’épanouissement de sa personne, pour l’homme qui doit pouvoir compter sur la solidarité de ses frères.

Devant l’immense attente de ce continent, humblement mais avec audace, je demande au monde d’entendre son appel. Et je prie Dieu d’unir tous les membres de la grande famille humaine dans une juste paix, par la puissance de l’amour.



AUX EVÊQUES DU BURKINA-FASO ET DU NIGER

Archevêché d'Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990



Monsieur le Cardinal,

Chers Frères dans l'épiscopat,

1. Au soir de cette belle journée de visite pastorale, je suis heureux de vous retrouver un moment dans une intimité fraternelle. Je vous suis reconnaissant de votre accueil qui témoigne de la vitalité généreuse de toute l'Eglise qui est solidement fondée sur cette terre, dans ce peuple. Merci a Monseigneur Jean-Marie Compaore, votre Président, pur ses paroles si confiantes. Je vous dis a tous ma cordiale sympathie, ma communion profonde dans la prière, dans l'espérance pour les fruits d'un ministère parfois lourd mais fécond, par la grâce de Dieu. J'adresse un salut particulièrement affectueux a mon Frère le Cardinal Paul Zoungrana qui va tout prochainement fêter ses vingt-cinq années de présence dans le Sacre Collège. Avec lui, je rends grâce pour tout ce qu'il a apporte a l'Eglise en Afrique et a l'Eglise universelle qu'il fait bénéficier de sa sagesse et de la profondeur de sa foi.

2. Tout naturellement, vous confiez au successeur de Pierre vos préoccupations et vos espoirs de pasteurs d'une Eglise jeune, d'une Eglise qui grandit, d'une Eglise qui voudrait servir toujours mieux ses frères dans un pays pauvre matériellement, mais humainement riche de la générosité et de la vitalité de son peuple. Vos soucis, je les partage et je les porte dans ma prière. Et je puis vous dire que l'«Eglise-Famille» que vous animez au Burkina-Faso et au Niger a sa place dans la communion d'amour qui unit toute la famille de l'Eglise dans le monde entier.

Au cours de notre entretien, je ne reviendrai pas sur tous les aspects de votre mission et de ses difficultés. Je voudrais surtout, a travers vous, encourager l'ensemble des bâtisseurs de l'Eglise ici. Je pense aux prêtres et aux séminaristes, si proches de vous, pour lesquels vous montrez une grande sollicitude et qui collaborent avec zèle a l 'oeuvre pastorale; le clergé autochtone, en mesure d'assurer a lui seul le ministère dans certains de vos diocèses, et les missionnaires qui continuent le service fécond inaugure au début de ce siècle. Je remercie le Seigneur d'avoir donne au Burkina-Faso la grâce d'un épanouissement considérable de la vie religieuse, contemplative et apostolique. Sans la prière constante et les multiples services des hommes et des femmes consacres, l'Eglise ne pourrait accomplir pleinement sa tache ni donner dans toute sa force le témoignage du don de Dieu qui comble l'âme de l'homme. Les catéchistes, hommes et femmes, souvent en foyer, sont de fidèles serviteurs de la Parole de Dieu. Proches de leurs frères et partageant immédiatement leurs préoccupations, ils préparent les nombreuses communautés à recevoir la grâce des sacrements, à entendre le rayonnement de l'amour qui vient de Dieu, à progresser dans l'unité fraternelle et le service des petits et des pauvres. Pour leur disponibilité, beau fruit de la semence évangélique jetée en cette terre, je rends grâce.

3. Dans les paroisses et les aumôneries, avec les mouvements et les oeuvres ecclésiales, la communauté chrétienne mûrit dans la foi; elle a aussi sa place dans la vie nationale en y pratiquant un sens de la solidarité que nourrit et renforce la vocation des disciples du Christ à servir en imitant leur Maître. Sous votre conduite de pasteurs, l'Eglise participe en toute indépendance a l'édification de la demeure commune. Vous saurez éclairer la démarche des chrétiens en leur présentant, en particulier, les grandes orientations de la doctrine sociale de l'Eglise et l'ensemble de l'éclairage que donne la morale évangélique. C'est ainsi, dans le respect de tous, que les chrétiens ont à coeur de promouvoir la justice et les droits de la personne humaine, en collaboration étroite avec tous leurs concitoyens, hommes et femmes de bonne volonté, qu'ils soient attachés aux traditions religieuses ancestrales ou bien musulmans fidèles à leur Islam. Tous peuvent partager avec nous des valeurs communes qui garantissent à l'homme sa dignité, à la famille sa grandeur et à la société sa solidarité. Les droits de l'homme ne sont-ils pas un patrimoine commun à tous les croyants?

4. Notre rencontre a lieu au moment où les pasteurs de tout ce continent vont être invités à mettre en route la préparation active de l'Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l'Afrique. Je suis heureux d'en parler avec vous un instant, car cet événement sera une grâce. Par la réflexion et dans la prière de tous ses membres, l'Eglise en Afrique est appelée a approfondir le sens de sa «mission d'évangélisation dans la perspective de l'an 2000». Qu'une telle assemblée puisse avoir lieu, c'est un signe éloquent de la maturité a laquelle ces jeunes Eglises parviennent désormais. Que prêtres, religieux, religieuses et laïcs contribuent ensemble à éclairer la route de l'Eglise dans cette partie du monde, c'est un motif de confiance dans la présence de l'Esprit Saint au coeur des baptisés.

Cher Frères, demandons ensemble au Christ Sauveur de pénétrer de la Lumière tous ses disciples en Afrique, au moment ou ils s'apprêtent a franchir une étape décisive sur la route de l'Evangile!

5. Dix ans après ma première visite a Ouagadougou, je viens de renouveler l'appel angoisse que j'avais lance au monde pour que cette région ne soit pas laissée seule devant les graves difficultés de son développement. Je sais que vos communautés diocésaines ne restent pas inactives, non seulement par votre participation a la Fondation pour le Sahel que préside le Cardinal Zoungrana, mais aussi par les initiatives prises par votre Bureau d'Etudes et de Liaison et par la Car?tas. Vous avez la responsabilité de coordonner harmonieusement ces activités, relayées par plusieurs organismes, et, surtout, par de très nombreux animateurs locaux de la vie rurale, par les éducateurs et par tous ceux qui luttent ensemble pour améliorer les conditions de leur existence. En vue de la prochaine Assemblée du Synode pour l'Afrique, un des thèmes de réflexion proposes est précisément de cerner les fondements théologiques de notre action pour l'homme. En effet, pour les chrétiens, la recherche du développement et l'action en faveur de la justice et la paix, ne peuvent pas être séparées de l 'évangélisation. L'évangélisation implique l'amour du prochain, tel qu'il est, avec la faim et la soif qu'il éprouve dans son corps, dans son intelligence, dans s?n coeur.

6. Le Christ, quand il soulageait la souffrance, manifestait son amour de l'homme. Bon Samaritain, Jésus redressait, libérait, rendait a la vie l'être guéri de la maladie, en même temps qu'il l'ouvrait a la foi, le rendait a l'espérance et l'appelait a rentrer dans la communauté fraternelle par la grâce du pardon et de la conversion. Et il a fait de l'amour mutuel le signe de reconnaissance de ses disciples: ils ne peuvent affirmer leur amour de Dieu s'ils refusent l'amour du prochain, comme le dit saint Jean.

L'Eglise doit méditer sans cesse les paroles et les actes du Seigneur et le témoignage des Apôtres si elle veut préparer les voies du Royaume de Dieu où la Création est assumée et transfigurée par la Rédemption. A partir de ces fondements essentiels peut s'élaborer, pour notre temps, une conception vraiment chrétienne du développement.

On ne le redira jamais assez, c'est l'homme lui-même qui est le vrai sujet du développement. Le Pape Paul VI l'avait dit avec force lorsqu'il exposait la succession des conditions plus humaines auxquelles il faut que tous puissent accéder, «la montée de la misère vers la possession du nécessaire, la victoire sur les fléaux sociaux, l'amplification des connaissances, l'acquisition de la culture..., la reconnaissance par l'homme des valeurs suprêmes, et de Dieu qui en est fa source et le terme». (Paul VI Populorum Progressio PP 21) Ce sont des jalons sur un chemin que doit prendre aujourd'hui l'homme africain. Les efforts que vous déployez pour assurer à vos frères une formation générale, professionnelle et spirituelle vont dans cette direction indispensable. Je souhaite que vous puissiez les amplifier avec de plus en plus de succès.

7. Je sais, cher Frères, que les actions pour le développement de tout l'homme burkinabè et nigérien sont primordiaux dans votre pastorale. J'espère que l'Assemblée spéciale du Synode permettra de les stimuler et de les approfondir selon l'Evangile, en même temps que les autres aspects majeurs de la mission ecclésiale, objet de ses réflexions. A l'approche du troisième millénaire de l'ère chrétienne, les taches qui se présentent a l'Afrique, a l'Eglise en Afrique, sont immenses. Je sais que l'on peut compter sur la clairvoyance et le courage des pasteurs et des fideles pour entrainer leurs frères, vers la plénitude de vie a laquelle ils aspirent. Par votre dynamisme apostolique, vous serez ensemble, pour le monde entier, des témoins de l'humanité fidele a la vocation des fils de Dieu. Que la Bénédiction divine vous soutienne sur votre route!





Discours 1990 - CÉRÉMONIE DE CONGÉ