Discours 1990 - Archevêché d'Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990

CÉRÉMONIE DE CONGÉ

Aéroport international d'Ouagadougou (Burkina-Faso), Mardi 30 janvier 1990


Monsieur le Président,
Monsieur le Cardinal, chers Frères dans l’épiscopat,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis Burkinabè,

Au moment de quitter le sol de votre patrie, je tiens à vous dire toute ma gratitude pour votre hospitalité généreuse. Merci, Monsieur le Président, d’avoir montré tant d’égards envers ma personne. J’étends ces remerciements à vos collaborateurs, aux membres des services de sécurité, des services techniques, à tous ceux qui ont contribué au bon déroulement de mes diverses rencontres dans la capitale et à Bobo Dioulasso. Je suis sensible aussi au travail attentif accompli par les représentants des médias qui ont permis au plus grand nombre de vos compatriotes d’être associés à ma visite.

Je salue aussi toutes les personnalités qui ont eu la délicatesse de venir m’accompagner jusqu’à l’aéroport.

Cher Cardinal Zoungrana et chers Frères dans l’épiscopat, avec la communauté catholique dont vous êtes les pasteurs, vous m’avez accueilli dans une ferveur et un enthousiasme qui me remplissent de joie et qui me donnent une grande espérance pour la belle Eglise-Famille de Dieu que vous constituez. J’aurais aimé saluer chacun des fidèles. Vous direz à ceux qui n’ont pu venir participer à nos rassemblements de prière l’affection du Pape, spécialement aux malades et aux handicapés, aux prisonniers, aux plus pauvres, aux plus petits. Je garderai dans la mémoire du coeur l’image de vos communautés fraternelles et le souvenir de votre foi généreuse. Que tous, prêtres, religieux, religieuses et laïcs sachent que je resterai proche d’eux dans la prière!

Amis du Burkina-Faso qui appartenez à d’autres traditions religieuses, je vous salue cordialement et je vous renouvelle mes voeux cordiaux.

A tout le pays, je redis mes souhaits pour un développement qui assure à chacun la dignité de sa vie, les moyens de subvenir aux besoins de sa famille, la possibilité d’être formé et de faire fructifier ses qualités. Je souhaite que vous demeuriez toujours dans la paix et la concorde.

Ces voeux, je les adresse en particulier aux responsables du bien commun afin qu’il leur soit donné de réussir dans leurs initiatives au service de leurs compatriotes.

A vous, Monsieur le Président, je renouvelle mes remerciements et je souhaite un heureux accomplissement de votre haute mission.

Que Dieu bénisse le Burkina-Faso!


CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Aéroport International de N’Djaména (Tchad), Mardi 30 janvier 1990




Monsieur le Président,

1. Dieu soit loué d’avoir conduit mes pas au coeur du continent africain, sur le sol tchadien, où je suis heureux de me trouver aujourd’hui!

Je remercie Votre Excellence de ses aimables paroles de bienvenue, qui témoignent de l’hospitalité ancestrale des fils et des filles du Tchad. A travers votre personne, c’est tout le noble peuple tchadien que je souhaite saluer ici en lui disant ma joie de pouvoir accomplir cette visite.

Je voudrais aussi adresser mes salutations déférentes aux personnalités gouvernementales qui ont tenu à participer à cette cérémonie d’accueil et leur dire que je suis sensible aux sentiments de bienveillance que manifeste leur présence en ce lieu.

Au moment de ce premier contact, je souhaite exprimer à tous les Tchadiens l’estime en laquelle je les tiens et l’affection que je leur port. Je sais leur courageuse résistance dans l’adversité et leur détermination à s’engager sur la voie du développement, de l’unité et de la paix, dans la réconciliation nationale. Grâce au dynamisme de sa population, composée de citadins comme de cultivateurs et d’éleveurs, le Tchad fait partie de ces pays qui conservent intactes leurs chances de se relever et d’aller de l’avant.

2. En venant chez vous, je réponds à l’invitation que vous m’avez faite vous-même, Monsieur le Président, ainsi qu’à celle de mes Frères dans l’épiscopat. Je salue cordialement Monseigneur Charles Vandame, Archevêque de N’Djaména, ainsi que les évêques et les personnalités religieuses qui l’entourent.

Ma visite dans ce pays revêt un caractère pastoral. Comme Evêque de Rome, j’ai reçu la charge de veiller à l’unité de l’Eglise catholique universelle. Aussi, je suis heureux de rencontrer l’Eglise qui est au Tchad pour y exercer mon ministère de successeur de Pierre dans un contact direct avec les baptisés. Je désire affermir mes frères dans la foi reçue des Apôtres, en sorte que, par leur témoignage, la lumière de Jésus-Christ brille toujours mieux au milieu des hommes de ce pays.

L’annonce de l’Evangile au Tchad a été inaugurée par des missionnaires venus d’Europe. Ils sont encore nombreux à poursuivre sur cette terre leur oeuvre de témoignage et de service au nom de Jésus-Christ. Ils ont fondé une communauté catholique qui a déjà montré son propre dynamisme et sa générosité, puisque des fils et des filles du Tchad ont répondu à l’appel du Seigneur pour être religieux, religieuses ou prêtres. L’essor des vocations comme aussi le désir, chez beaucoup de fidèles, d’une formation chrétienne plus solide sont des signes de la vitalité du christianisme dans cette région d’Afrique.

3. En entreprenant ce voyage pastoral, je vais aussi à la rencontre de mes frères et soeurs chrétiens qui appartiennent à d’autres communautés ecclésiales, tout comme je vais à la rencontre des représentants de la religion traditionnelle africaine et des fidèles de l’Islam, qui compte au Tchad un si grand nombre de croyants et de pratiquants. Dès maintenant, je les salue et les assure que je viens ici en homme de dialogue et en messager de paix.

Ce dialogue, je sais qu’il existe déjà au Tchad et permet aux diverses communautés de vivre ensemble pacifiquement. Conscients de l’impératif de la paix pour la nation entière, les Tchadiens veulent préserver et consolider leur unité. Cela veut dire qu’ils sont disposés à s’accepter les uns les autres, dans leurs opinions, leurs personnalités, leurs biens et leurs croyances. Puissent les convictions religieuses de chacun donner une impulsion profonde à la marche de tous vers une unité et une fraternité toujours plus grandes, dans le service du bien commun!

4. L’Eglise catholique, pour sa part, souhaite poursuivre sa contribution au bien de la nation, convaincue qu’un authentique service de l’homme est une manière de vivre l’Evangile. Je sais qu’une des caractéristiques des catholiques au Tchad est leur engagement dans le développement du pays. Devant l’ampleur des problèmes à résoudre, l’Eglise a créé dans chaque diocèse un organisme reconnu par votre gouvernement et spécialisé dans les tâches de secours et de développement, qui requièrent toujours plus de compétence, de continuité et de concertation. Grâce à ces organismes, l’Eglise peut ainsi être présente là où on l’appelle.

A propos des relations que l’Eglise catholique entretient avec les Autorités civiles, qu’il me soit permis de dire combien j’apprécie que la République du Tchad, dans la Constitution qu’elle a récemment adoptée, garantisse les libertés d’opinion, d’expression, de conscience et de culte. Je souhaite que, dans ce climat de liberté, les communautés musulmanes et chrétiennes développent une convivialité toujours plus constructive.

5. Monsieur le Président, je forme le voeu que ma visite pastorale soit utile à votre pays, que je sais résolument tourné vers l’avenir et déterminé à tracer sa propre voie vers un meilleur destin, respectueux du choix des autres peuples et partageant avec eux les valeurs et les principes de justice, d’égalité, de liberté et de paix.

Je vous remercie vivement des dispositions que vous avez prises pour faciliter ma visite et, en vous redisant ma gratitude pour vos souhaits de bienvenue, je prie le Très-Haut de bénir ceux que leurs responsabilités ont mis au service de la nation et d’accorder aussi ses bienfaits les meilleurs à tous les Tchadiens.



RENCONTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AVEC LES PRÊTRES, LES RELIGIEUX ET LES SÉMINARISTES DANS LA CATHÉDRALE DE N’DJAMÉNA

Salle paroissiale «Charles Lwanga» de la cathédrale de N’Djaména (Tchad), Mercredi, 31 janvier 1990




Cher Frères et Soeurs,

1. "Maintenant, je vous appelle mes amies." (Jn 15,15)

N’est-ce pas à vous aussi que le Christ pensait lorsqu’il prononçait ces paroles, avant d’entrer dans sa Passion?

En effet, le Christ vous a choisis pour vous associer intimement, en amis, à sa vie de Prêtre, pour le service du Peuple de Dieu, et à sa vie d’Oint du Seigneur, de personne consacrée, en vue de l’imitation du Père, suivant l’invitation qu’il fit dans le discours sur la montagne: « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).

Chers amis du Christ, je vous salue cordialement et je vous dis toute ma joie d’être avec vous ce soir. L’entretien avec mes frères dans le sacerdoce et avec ceux et celles qui sont engagés sur le chemin de la perfection évangélique constitue toujours un moment privilégié dans mes voyages.

2. Je salue d’abord de grand coeur les prêtres, les religieux et religieuses venus d’autres horizons et qui se dévouent encore à l’oeuvre de l’évangélisation de ce pays. Chers frères et soeurs missionnaires, merci pour tout le travail que vous avez accompli et que vous continuez; merci de votre témoignage d’amour, dans la ligne du grand commandement du Seigneur: « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,12-13).

Votre présence au Tchad manifeste l’élan missionnaire de vos communautés chrétiennes d’origine. Elle souligne aussi le sens de la solidarité qui doit animer tous les baptisés dans leur marche vers Dieu. Elle illustre enfin le prix inestimable que vous attachez au don de la foi, à la connaissance du Christ, à l’édification de l’Eglise, conformément à la volonté exprimée par le Seigneur: « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » (Mc 16,15).

Puissiez-vous continuer à faire bénéficier de votre expérience de pionniers ceux et celles qui sont appelés à prendre en main l’avenir de l’Eglise au Tchad, en les aidant à porter le flambeau de la foi!

3. Chers prêtres, parmi les actes de votre ministère sacerdotal, il en est un qui a retenu plus spécialement votre attention depuis plus d’un an, je veux parler du ministère de la réconciliation, auquel vos évêques ont consacré une importante lettre pastorale.

Vous vous êtes attachés à rendre les chrétiens attentifs à leur devoir de se laisser réconcilier eux-mêmes par Dieu, de se réconcilier avec leurs frères et de travailler à la réconciliation des hommes entre eux.

Il s’agit là d’un ministère de grande valeur et de grande actualité pour vous, au Tchad. Dans la pensée de Dieu, l’Eglise est composée de gens réconciliés qui ont été lavés dans le sang du Christ et qui ont reçu l’Esprit de paix. Ce peuple n’existe pas pour lui-même mais pour rassembler et réconcilier les hommes. En demandant le baptême, le chrétien s’engage à remplir la mission que reçoit chaque membre de l’Eglise: être un artisan de paix.

4. La paix intérieure et le rayonnement de l’amour de Dieu, c’est aussi ce que vous cherchez, chers Frères et Soeurs membres des Instituts de vie consacrée, que je salue de tout coeur ici, parce que vous avez choisi de suivre Jésus-Christ et de l’imiter en tout.

Vous avez fait votre entrée dans cette école de sainteté qu’est la vie religieuse, en prenant les voies exigeantes de la chasteté, de la pauvreté et de l’obéissance car elles vous sont apparues dans la droite ligne de l’Evangile.

Vous avez un rôle irremplaçable dans la mission de l’Eglise. En effet, au sein du peuple des baptisés, votre vie rappelle que la vocation chrétienne est de suivre le Christ et de se mettre à son école, en particulière dans le service du prochain. Par le choix et les ruptures qu’elle implique, votre vie témoigne de l’appel des Béatitudes adressé à tout homme.

Un des signes les plus éloquents de la vitalité d’une communauté diocésaine, c’est l’existence en son sein d’une vie religieuse de qualité. Aussi, prenez les moyens d’approfondir votre vie spirituelle: écoute et méditation de la parole de Dieu, prière personnelle et communautaire, participation à l’Eucharistie.

5. Enfin, je me tourne plus spécialement vers vous, chers prêtres issus de cette terre du Tchad et chers séminaristes du grand séminaire « Saint-Luc », qui allez façonner le visage de l’Eglise de l’an 2000.

A l’occasion du centième anniversaire de la fondation de l’oeuvre de Saint-Pierre Apôtre, on s’est posé au Tchad la question: « Prêtre tchadien, quelle est ton identité? ». Laissez-moi poursuivre avec vous la réflexion que vous avez commencée.

6. Comme tout prêtre, le prêtre tchadien doit apparaître d’abord comme l’homme de la foi, car il a pour mission de la communiquer par l’annonce de la Parole. Il ne peut prêcher l’Evangile de manière convaincante s’il n’en a pas assimilé profondément le message. Il témoigne de la foi par son activité et par toute sa vie. Dans ses contacts pastoraux, il s’efforce de soutenir ses frères dans la foi, de répondre à leurs doutes et de les réconforter dans leurs convictions.

Chaque prêtre doit être préparé à son rôle d’éducateur de la foi pour la communauté chrétienne. C’est pourquoi il faut que, dans les séminaires, la doctrine révélé soit enseignée de façon telle que les jeunes comprennent l’objet de leur foi et répondent à l’appel du Seigneur par une adhésion libre et intériorisée au message évangélique, assimilé dans la prière.

7. Homme de foi, le prêtre est aussi l’homme du sacré, le témoin de l’Invisible, le porte-parole de Dieu révélé en Jésus-Christ. Spontanément religieux, le peuple tchadien est sensible à la dimension religieuse de toute réalité. Qu’il soit chrétien ou musulman, ou bien qu’il suive ses traditions religieuses ancestrales, le Tchadien éprouve estime et respect pour tout homme de Dieu. Le prêtre doit être reconnu comme un homme de Dieu, un homme de prière, qu’on voit prier, qu’on entend prier. Lorsqu’il préside les funérailles, les bénédictions diverses ou les réunions de prière, qu’il le fasse avec dignité, en prenant le temps qu’il faut et en revêtant l’habit qui convient.

8. Le prêtre est donc conduit à nourrir en lui une vie spirituelle de qualité, inspirée par le don de son sacerdoce ministériel. En effet, on peut parler d’une « spiritualité du prêtre diocésain ». Sa prière, son partage, ses efforts de vie sont inspirés par son activité apostolique et celle-ci se nourrit de toute sa vie avec Dieu. On a observé qu’à une période pastorale intense correspond souvent un temps fort de vie spirituelle. Le Concile Vatican II nous a rappelé, du reste, que c’est la « charité envers Dieu et les hommes, qui est l’âme de tout l’apostolat » (Lumen Gentium LG 33).

9. Homme de la foi, homme du sacré, le prêtre est encore l’homme de la communion. C’est lui qui rassemble le Peuple de Dieu et cimente l’union entre ses membres par l’Eucharistie; il se fait l’animateur de la charité fraternelle entre tous.

Dans le travail qui l’attend à la vigne du Seigneur, le prêtre ne peut s’aventurer en solitaire. Il oeuvre avec ses frères dans le sacerdoce. Il collabore avec son évêque. Il s’efforce de créer des liens fraternels avec tous les membres du presbyterium; dans l’équipe presbytérale en particulier, l’amitié spirituelle est stimulante pour le ministère. Et le prêtre rassemble et unit les membres du Peuple de Dieu confié à sa sollicitude pastorale. Souvenez-vous de la devise du regretté Monseigneur Balet, évêque de Moundou: « Je suis parmi vous comme celui qui sert ».

Sur cette base de relations profondes et riches, le célibat prend un sens nouveau: il n’est plus seulement une condition du sacerdoce mais le chemin d’une vraie fécondité, d’une authentique paternité spirituelle, puisque le prêtre donne sa vie pour que les fruits de l’Esprit mûrissent dans le Peuple de Dieu.

10. L’Eglise au Tchad grandit. Elle doit encore enfoncer ses racines en profondeur dans la culture du pays. C’est l’oeuvre qui vous attend et que vos devanciers ont déjà commencée. En respectant avec discernement l’héritage religieux de vos ancêtres, vous avez à révéler le Christ aujourd’hui et à montrer comment il rejoint les aspirations actuelles de votre peuple.

C’est à vous, fils de ce pays, qu’il revient de poursuivre l’enracinement de l’Evangile. Cela exige de vous un sens très sûr de l’Eglise et de sa catholicité telle qu’elle se déploie à travers le temps et en tous les peuples.

Ce thème de l’inculturation entrera parmi les sujets abordés par l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques. Je recommande ces importantes assises à votre prière et je vous invite à prendre une part active à la préparation de ce grand événement, en y présentant vos expériences, vos réflexions et vos espoirs. Vous contribuerez ainsi au renouvellement de la mission évangélique de l’Eglise en Afrique, à l’aube du troisième millénaire.

11. Que Notre-Dame, à qui j’ai eu la joie de confier le Tchad au terme de la célébration mariale de N’Djaména, vous aide à devenir des prêtres, des religieux e des religieuses selon le coeur du Christ, pour la gloire de Dieu et le salut du monde!

De grand coeur, je vous bénis, chers Frères et Soeurs, et je vous encourage à être pour votre pays des messagers d’espérance.


AUX EVÊQUES DE L'ARCHIDIOCÈSE DE N’DJAMÉNA

N’Djaména (Tchad), Mercredi 31 janvier 1990




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Je suis heureux d’être avec vous ce soir, au terme d’une journée bien remplie. En me rendant à Moundou et à Sarh aujourd’hui, j’ai pu prendre contact sur le terrain avec vos communautés diocésaines et j’en rends grâces à Dieu. De retour à la capitale, j’ai eu la joie de rencontrer le clergé, les religieux, les religieuses et les séminaristes de l’archidiocèse de N’Djaména.

Dans la simplicité de cette réunion familière, je voudrais d’abord vous remercier de m’avoir invité chez vous. Vous m’avez ainsi permis de vous rendre la visite que vous m’aviez faite en octobre 1988, visite « ad limina » à laquelle avait pris part le cher Monseigneur Balet, vers qui vont ma pensée et ma prière en ce moment.

Vous m’avez aussi donné l’occasion de connaître votre propre terre, votre environnement et vos conditions de travail apostolique.

La rencontre de votre peuple avec le Pape a été bien préparée: vous avez su nourrir sa prière et stimuler sa réflexion sur l’exhortation apostolique post-synodale « Christifideles Laici ».

2. Dans le prolongement des initiatives suscitées par votre lettre pastorale sur le sacrement du pardon et de la réconciliation, continuez à encourager les baptisés à s’engager résolument pour la cause de la paix et de l’unité, afin que l’Eglise au Tchad apparaisse de plus en plus comme un signe d’espérance pour le pays.

Les candidats au sacerdoce du grand séminaire « Saint-Luc » sont eux aussi un signe d’espérance pour l’avenir. Certes, vous avez grand besoin de prêtres puisque, durant de longs mois, vos communautés sont privées de sacrements. L’augmentation du nombre de ceux qui entrent chaque année au séminaire est de bon augure. Je sais que vous pouvez aussi compter sur l’aide de vos catéchistes zélés, sur lesquels les premiers missionnaires ont fondé, à juste titre, tant d’espoir.

Poursuivez la formation des laïcs afin qu’ils deviennent toujours davantage «lumière du monde» et «sel de la terre»: vous édifierez ainsi l’Eglise sur de solides fondations, dans la ligne du dernier Synode des évêques qui avait recommandé, parmi les priorités pastorales, la catéchèse de tous les fidèles, depuis la première initiation jusqu’à la maturité adulte.

3. Mon pèlerinage dans vos diocèses aura aussi pour effet de mieux faire connaître hors de vos frontières la vivante et généreuse Eglise qui est au Tchad, de susciter de nouveaux échanges entre Eglises de divers continents et ainsi - j’en forme le voeu - d’éveiller la générosité d’autres diocèses qui se sentiront davantage appelés à vous aider par l’envoi de personnes ou par leurs dons matériels.

4. Cette visite pastorale s’inscrit fort heureusement dans le cadre de la préparation de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique, que j’ai convoquée en la fête de l’Epiphanie de l’an passé, en réponse à tant de voeux exprimés en terre africaine. La réflexion commune des délégués de l’épiscopat donnera un élan nouveau à l’Eglise sur ce continent pour sa mission évangélisatrice, à la veille de l’an 2000.

L’Assemblée examinera les voies et les moyens pour les Africains de mieux mettre en pratique les paroles du Seigneur ressuscité à ses disciples: « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins » (Ac 1,8). «Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création» (Mc 16,15). Et: «De toutes les nations, faites des disciples» (Mt 28,19)

L’annonce de l’Evangile à tous les peuples de la terre ne peut se faire sans la rencontre de la Bonne Nouvelle avec les cultures, rencontre qui entraîne la transformation des valeurs authentiques de ces cultures par leur intégration dans le christianisme. En vue de l’enracinement toujours plus profond de l’Eglise dans la terre d’Afrique, il conviendra, selon les critères de discernement donnés par le Concile Vatican II, de mettre en évidence ces éléments des traditions qui permettent le mieux de « confesser la gloire du Créateur, de mettre en valeur la grâce du Sauveur et d’ordonner comme il faut la vie chrétienne » (Cfr. Ad Gentes AGD 22).

L’événement fondateur de la Pentecôte nous rappelle d’une manière exemplaire que tous les peuples de la terre sont invités à proclamer « les merveilles de Dieu », dans la pluralité e la diversité des langues. L’inculturation, ou processus par lequel la foi chrétienne s’incarne dans les cultures, est donc inhérente à l’annonce de l’Evangile. Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme (Cfr. Gaudium et Spes GS 22), aussi peut-on dire qu’aucune valeur humaine authentique n’est étrangère au Christ ni exclue de l’inculturation. Une réflexion théologique rigoureuse et structurée sera nécessaire pour apprécier coutumes, traditions, sagesse, science, arts et disciplines des peuples et faire entrer tout ce qui est vrai, beau et bien de cet héritage dans l’« admirable échange » de l’Incarnation du Christ.

Cette réflexion est d’autant plus nécessaire lorsque ces coutumes et ces traditions se présentent aujourd’hui dans le cadre de religions ou de systèmes qui leur ont imprimé un caractère spécial. C’est ici que le dialogue interreligieux, surtout entre chrétiens et musulmans, prend toute sa valeur: comment les uns et les autres entendent-ils accueillir, promouvoir et transformer les richesses du passé pour mieux répondre aux défis d’une modernité qu’il faut bien assumer en vue d’un meilleur développement matériel, intellectuel et spirituel?

Chers Frères dans l’épiscopat, je vous invite à mobiliser vos familles diocésaines pour préparer cette assemblée du Synode afin que, grâce à leurs prières et à leur participation à la réflexion générale, le visage de l’Eglise en Afrique corresponde toujours mieux au dessein du Christ et et que son action salvatrice soit encore plus reconnue.

5. Les célébrations en terre tchadienne de notre foi commune nous auront permis de resserrer les liens de communion entre nous; nous aurons grandi dans l’amour du Christ et du prochain. Dieu soit béni!

A la suite de cette visite, vous serez encore plus présents dans ma prière. Croyez bien que je garde dans mon coeur le souvenir des populations tchadiennes et des populations des autres pays visités en ce sixième voyage africain: elles ont des titres particuliers à l’affection et à la sollicitude du Pape!

6. Que Notre-Dame, à qui nous avons consacré le Tchad, veille sur ce peuple en sa tendresse maternelle et qu’elle le soutienne dans sa marche vers Dieu! Qu’elle vous assiste vous aussi et qu’elle remplisse d’espérance et de joie vos coeurs de pasteurs!

Je vous bénis cordialement ainsi que tous ceux qui collaborent avec vous en chacun de vos diocèses et tous vos frères du Tchad.

Février 1990


APPEL DU PAPE JEAN-PAUL II AUX MEMBRES DU CORPS DIPLOMATIQUE

Centre d'étude et de formation pour le développement (CEFOD) de N’Djamena (Tchad), Jeudi 1er février 1990




Excellences, Mesdames, Messieurs,

1. Au terme de ma visite pastorale dans plusieurs pays d’Afrique, je suis heureux d’avoir l’occasion de m’entretenir avec les membres du Corps Diplomatique accrédité auprès de la République du Tchad, ainsi qu’avec les représentants de plusieurs Organisations internationales. Je salue chacun d’entre vous et je vous remercie de votre présence à cette rencontre.

L’expérience de mes voyages et les nombreux contacts que je puis avoir à Rome m’incitent à vous faire part de quelques réflexions sur des questions dont vous vous préoccupez chaque jour. La paix est assurément notre premier souci. Nous avons la satisfaction de voir le pays qui nous accueille progresser dans la consolidation de la paix et travailler à relever les ruines matérielles laissées par un long conflit, mais aussi à réconcilier les hommes en profondeur. Nous saluons ces efforts, et nous encourageons tous ceux qui les animent pour le bien commun.

Présent sur la terre d’Afrique, alors que je suis témoin des qualités admirables de ses peuples, je ne puis m’empêcher d’évoquer aussi les conflits qui les meurtrissent en plusieurs régions de ce continent. Il est des sources de souffrances qui paraissent sans fin. Je pense à l’Ethiopie, au Soudan, à d’autres peuples en butte à la discrimination raciale, à d’autres que des rivalités ethniques endémiques conduisent parfois à des affrontements violents.

Il est vrai que toutes les parties du monde connaissent des foyers de guerre. Des changements se produisent, des signes positifs apparaissent aussi. J’ai eu l’occasion récemment de m’exprimer sur ces sujets. Mais, parce que aucune souffrance humaine ne peut nous voir résignés, je tenais à dire hautement à la communauté internationale que la solidarité entre les peuples n’a pas de frontières; que les grandes transformations en cours en Europe de l’Est ne doivent pas détourner l’attention du Sud, et du continent africain en particulier.

2. On doit constater que, bien souvent, l’origine des ruptures de la paix n’apparaît pas clairement. Il faudrait que les responsables locaux et également tous ceux qui exercent une influence dans les rapports entre les nations aient le courage de la lucidité. Quel sont les enjeux des affrontements! Qui les attise? Quels droits sont mis en cause?

Il faudrait que l’on sache comprendre ce que des minorités veulent défendre au prix de leur vie même: leurs traditions, leur culture, leurs convictions, leur dignité devant des pouvoirs qui les tolèrent mal et refusent leur légitimité. Il faudrait aussi avoir le courage de mettre en lumière le rôle exercé par toutes les parties, à commencer par les plus puissantes qui ont la maîtrise de l’économie, des aides militaires, des alliances.

Il appartient aux responsables politiques et aux diplomates d’entendre les appels qui s’adressent à la communauté internationale. Il faudrait même que l’on arrive à reconnaître les erreurs, les abus de puissance, les injustices, l’exploitation dont on a pu être la cause, parce qu’il est plus important de servir le progrès de la paix pour le bien de peuples entiers que de défendre son propre prestige. On y parviendrait davantage si l’on avait toujours comme premier objectif le respect des droits et de la dignité de tout homme.

L’Organisation des Nations Unies et diverses instances régionales ont déjà accompli dans ce sens des efforts qu’il faut saluer. On est parvenu à adopter des textes importants, comme la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples. Vous savez combien il est nécessaire cependant de réduire la distance entre le dire et le faire pour appliquer sans réticence les textes. Arrivera-t-on à ce que les Etats de droit s’accordent pour former une Communauté qui renonce à toute exception du droit? Saura-t-on développer des procédures d’arbitrage pour résoudre les litiges en honorant les droits de toutes les Parties?

J’ajouterai encore que les séquelles tragiques des conflits ne peuvent laisser l’ensemble de l’humanité dans l’indifférence. L’image qui s’impose d’abord à mes yeux est celle de milliers de réfugiés qui désespèrent de trouver une terre d’accueil, de rebâtir leur existence et leurs familles. Le problème dépasse le champ d’action des Organisations spécialisées, quelque généreuses que soient leurs interventions. Il s’agit d’hommes qui doivent rencontrer partout des frères en humanité! Et, au-delà des conditions spécifiques des réfugiés, c’est tout le problème de l’émigration qu’il faudrait aborder avec le respect dû à tant de personnes rendues vulnérables par leur déracinement.

3. Pour favoriser la paix, chacun reconnaît l’importance de la coopération économique; c’est l’aspect le plus apparent du soutien efficace qu’attendent les nations en voie de développement. J’ai déjà évoqué cette question à Ouagadougou il y a quelques jours. Devant vous, j’aimerais saluer les efforts positifs accomplis, tels ceux qui ont abouti à la nouvelle Convention de Lomé signée récemment, telles les dispositions prises pour alléger le fardeau de la dette des pays les plus démunis, ou bien de nombreux accords avec les organismes financiers internationaux et de pays à pays.

Le long chemin qui reste à parcourir pour parvenir à de meilleurs équilibres vous est connu; beaucoup d’entre vous travaillent à faire avancer une coopération bénéfique. Je désire simplement insister, une fois encore, sur les conséquences humaines des accords économiques, sur la nécessité de la concertation, sur le respect des responsabilités exercées par les dirigeants et les travailleurs des zones moins favorisées, ainsi que sur l’attention que l’on doit aux valeurs traditionnelles et à la civilisation des partenaires.

La solidarité internationale doit encore intensifier la coopération en faveur des pays défavorisés. L’opinion mondiale comprend mieux à présent l’urgence de la protection de l’environnement. Est-elle prête à fournir l’effort nécessaire? Est-elle prête aussi à prendre tout autant au sérieux les besoins des peuples pauvres pour leur santé, pour la formation des jeunes, pour l’information et la communication, pour le développement des infrastructures et des services, pour faire avancer la recherche scientifique dans les domaines spécifiques de ce continent, pour permettre aux institutions scientifiques et techniques africaines d’avoir libre accès aux connaissances et aux savoir-faire acquis ailleurs?

Pour illustrer mon propos d’un exemple concret, on me permettra d’évoquer la convention signée l’an dernier par le Cameroun et le Saint-Siège en vue de la constitution d’un centre universitaire, l’Institut catholique de Yaoundé. Il s’agit là d’une coopération culturelle à laquelle participent aussi d’autres pays africains.

Comme je l’ai écrit dans un document solennel, «la solidarité nous aide à voir l’ "autre" - personne, peuple, nation -... comme notre "semblable", une "aide" (cf. Gn 2,18 Gn 2,20), que l’on doit faire participer, à parité avec nous, au banquet de la vie auquel tous les hommes sont également invités par Dieu» (Sollicitudo rei socialis, 39).

4. Lorsque l’on considère la coopération internationale pour la paix et particulièrement pour le développement, ce sont fréquemment les relations entre le Nord et le Sud qui sont présentées. J’aimerais cependant souligner le grand bénéfice que les nations africaines peuvent retirer d’une collaboration plus intense entre elles, du Sud avec le Sud.

La diversité des ressources et des situations - ne serait-ce qu’entre pays « enclavés » et pays ouvertes sur la mer - devrait inciter les Etats à mieux organiser leurs échanges et leur complémentarité. La géographie même le suggère, dans les grands bassins fluviaux, pour la production d’énergie, pour les moyens de transport. Et lorsqu’il s’agit de la circulation des personnes, des investissements nécessaires à la formation et à la recherche, de la complémentarité des productions agricoles et industrielles, l’entente entre les hommes ne peut plus se heurter à des frontières auxquelles d’ailleurs leurs ancêtres ne s’arrêtaient guère.

Il faut souhaiter que les Organisations africaines, continentales ou régionales, deviennent sans cesse plus actives, afin d’être de véritables instruments de promotion de la paix et du développement au profit de tous leurs membres. La mise en oeuvre de projets communs concrets les aidera, d’ailleurs, à élaborer des positions communes dans les débats parfois difficiles qu’entraîne la conjoncture internationale.

Pour sa part, l’Eglise en Afrique a pris l’habitude de la concertation régionale et continentale. Comme vous le savez, tous les catholiques sont actuellement invités à une réflexion approfondie sur tous les aspects de la mission ecclésiale, afin de préparer l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour l’Afrique qui sera une large consultation à l’échelle de toute cette partie du monde.

5. Mesdames, Messieurs, je voudrais achever ce rapide tour d’horizon en formulant des voeux fervents pour tous les Africains.

Je souhaite que la paix progresse, que chaque être humain ait la chance de s’épanouir, de se former, de fonder une famille et d’élever ses enfants, d’exercer un travail utile, de garder les plus belles de ses traditions et la générosité que nous reconnaissons dans son héritage.

Que l’action des dirigeants et la collaboration internationale aident les Africains à recevoir le meilleur de ce qui peut leur être apporté sans que jamais personne ne soit méprisé, corrompu ou blessé au fond de son être!

J’exprime toute mon estime à la nation dont nous sommes les hôtes, et à celles que vous représentez.

Je demande à Dieu de donner à tous les peuples d’Afrique la force de l’espérance.






Discours 1990 - Archevêché d'Ouagadougou (Burkina-Faso), Lundi, 29 janvier 1990