Discours 1990 - Kigali (Rwanda), Dimanche, 9 septembre 1990

CÉRÉMONIE DE BIENVENUE

Aéroport international «Grégoire Kayibanda» de Kigali (Rwanda), Vendredi, 7 septembre 1990




Monsieur le Président,

1. Je remercie vivement Votre Excellence de ses paroles de bienvenue, prononcées au nom de toute la nation rwandaise que je suis heureux de saluer en votre personne.

Laissez-moi vous dire ma grande joie de pouvoir aujourd’hui répondre à votre aimable invitation et d’entreprendre enfin cette visite pastorale au «pays des mille collines».

J’adresse mes salutations cordiales aux personnalités gouvernementales qui vous entourent ainsi qu’à Mesdames et Messieurs les Membres du Corps Diplomatique: je suis sensible à leur présence ici pour cette première rencontre.

2. Et maintenant, je me tourne vers mes Frères dans l’épiscopat, que je salue avec grand plaisir: Monseigneur Vincent Nsengiyumva, Archevêque de ce lieu; Monseigneur Joseph Ruzindana, Evêque de Byumba et Président de la Conférence épiscopale du Rwanda, les évêques du pays et ceux des pays voisins venus se joindre aux évêques rwandais pour cette circonstance.

Je suis heureux, chers Frères, de venir chez vous afin de partager sur place le souci de vos Eglises, de rendre grâce à Dieu pour le progrès accompli dans l’annonce de la Bonne Nouvelle au Rwanda, afin aussi de vous encourager dans vos projets d’avenir, à l’approche du centenaire de l’évangélisation du pays.

3. Enfin, je salue de tout coeur le groupe des fidèles venus à ma rencontre. A travers eux, c’est à toute la communauté catholique rwandaise que je dis ma joie d’être arrivé.

Chers Frères et Soeurs, je viens de Rome en pèlerin. Je me réjouis de pouvoir célébrer avec vous la foi baptismale qui nous unit. Sur vos visages, je découvre l’image de Dieu notre Père, qui veut rassembler les hommes en une grande famille.

4. Au seuil de ma visite, ma pensée va d’emblée vers l’ensemble du peuple du Rwanda, et plus particulièrement vers ceux qui souffrent.

Je sais qu’une grave disette alimentaire a frappé récemment une partie du pays et qu’elle a pris, dans certaines régions, des dimensions tragiques. Je recommande à Dieu les victimes qui ont succombé; j’assure de ma sympathie les familles éprouvées; je forme le voeu que soient soulagés au plus vite ceux qui se trouvent dans un dénuement insupportable. Ensemble, nous demanderons au Maítre du ciel et de la terre de donner à chacun sa nourriture quotidienne. Nous lui confierons aussi les efforts et les initiatives des Rwandais et des Rwandaises pour protéger et sauvegarder leur terre. En effet, leur plus riche patrimoine, c’est justement cette terre d’où vient leur subsistance.

5. Catholiques rwandais, je suis très heureux de me trouver dans ce pays africain où l’Evangile a été accueilli avec enthousiasme et où la foi a progressé rapidement. Je sais aussi votre fidélité à l’Eglise et votre attachement au successeur de Pierre. Que Dieu vous bénisse et vous garde!

L’Esprit Saint, après avoir acquis à Jésus-Christ le coeur de tant de Rwandais et de Rwandaises, continue à les favoriser de nombreux donsfoi vivante, liturgies ferventes, amour de la Parole de Dieu, soif de connaítre chez les jeunes, et désir de coopérer avec tous au service du bien commun, dans une bonne entente entre l’Eglise et l’Etat.

Certes, l’annonce de la Bonne Nouvelle doit se poursuivre afin que le message du Christ entre toujours plus profondément dans les coeurs. Les fidèles laícs, qui sont déjà nombreux à assurer des services et des ministères dans les communautés chrétiennes, sont encouragés à parfaire leur formation et à améliorer encore leur collaboration avec leurs pasteurs. Prêtres, religieux et religieuses sont eux-mêmes appelés à se renouveler pour faire face aux défis de l’heure présente, se donnant entièrement au service de l’apostolat, ou rendant un témoignage authentique par leur vie consacrée. Enfin, une lucide inculturation de la foi est souhaitable et sera l’oeuvre de tous afin que les mentalités et les moeurs soient imprégnées par l’Evangile.

Je souhaite ardemment que ma visite soit pour tous les catholiques de ce pays l’occasion d’une prise de conscience encore plus nette de leurs responsabilités personnelles de chrétiens, dans l’Eglise et dans la société rwandaise. Que dans leurs relations quotidiennes, ils vivent généreusement leur foi et rayonnent autour d’eux l’amour du Christ!

6. En commençant ce voyage, je voudrais adresser aussi un salut cordial à nos frères et soeurs chrétiens qui appartiennent à d’autres communautés ecclésiales, et également aux croyants d’autres religions. Je les assure que je viens ici en homme de dialogue et en messager de paix. 7. Monsieur le Président de la République, je vous redis ma gratitude ainsi que tous mes voeux pour vous-même et pour votre cher pays. Aux personnalités ici présentes, j’adresse mes remerciements pour leur accueil chaleureux.

Que Dieu bénisse le Rwanda et le maintienne dans la concorde et la paix, donnant à chacun ce dont il a besoin!



À L'OCCASION DE LA VISITE DE LA CATHÉDRALE DE KIGALI

Kigali (Rwanda), Vendredi, 7 septembre 1990


Chers Frères et Soeurs,

Je suis très heureux de vous saluer dans votre cathédrale, et je remercie Monseigneur Vincent Nsengiyumva, Archevêque de Kigali, de m’y accueillir.

La cathédrale est le premier lieu de rassemblement pour l’Eglise particulière autour de l’Evêque. Elle est un signe et sa présence visible nous rappelle que les baptisés sont invités à former un vaste édifice spirituel. Chaque fidèle est une pierre vivante de cet édifice et son rôle est irremplaçable. Venant au coeur de l’Eglise diocésaine, chacun peut reprendre conscience plus vivement de la contribution attendue de lui pour qu’elle réponde toujours mieux à sa mission.

La cathédrale est un lieu privilégié de communion et de réconciliation dans le Seigneur, grâce à la Parole de Dieu que l’on écoute ensemble et grâce à l’Eucharistie que l’on célèbre ensemble. Ma première prière, alors que je commence ma visite pastorale dans ce pays, est de demander au Seigneur qu’il vous garde tous dans la paix, unis comme les membres d’une même famille.

Je viens de Rome en pèlerin. Je désire vous confirmer dans la foi. Demain, j’aurai la joie d’ordonner de nouveaux prêtres qui seront au service du Peuple de Dieu. Avec eux, vous continuerez à construire l’Eglise au Rwanda, une Eglise toujours plus vivante, pour la gloire de Dieu et le bien de votre patrie!

Mes remerciements vont à toute la cité de Kigali parce que, en allant de l’aéroport à la cathédrale, on a rencontré des foules innombrables de citoyens, de chrétiens qui ont manifesté leur accueil chaleureux. Je consacre ces remerciements à toute la cité et à tout le pays. Parce que c’était une expression et l’attitude du Rwanda, de toute la population du Rwanda à l’égard de cette visite. Et aussi la bénédiction que je vais vous offrir, à tous ici présents, je voudrais bien l’étendre à tous ceux que j’ai rencontrés déjà et à tous ceux qui appartiennent à la grande communauté nationale et surtout à ceux qui appartiennent à la communauté de l’Eglise catholique au Rwanda. Vous voulez bien accepter cette Bénédiction Apostolique.



AU CORPS DIPLOMATIQUE DANS LA NONCIATURE APOSTOLIQUE

Kigali (Rwanda), Vendredi, 7 septembre 1990


Excellences,
Mesdames, Messieurs,

1. Commençant aujourd’hui ma visite pastorale au Rwanda, je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée de rencontrer le Corps Diplomatique et Consulaire, de même que les représentants des Organisations internationales dans cette capitale. Je suis sensible aux paroles de bienvenue qui viennent de m’être adressées en votre nom à tous et je vous en remercie.

Votre présence manifeste la sympathie de la communauté internationale pour le peuple rwandais dont les qualités traditionnelles sont reconnues de tous. Dans un cadre naturel admirable, formant une communauté culturelle soudée par des structures nationales anciennes, s’exprimant dans une langue commune, les Rwandais font preuve d’une capacité d’accueil, d’un sens de la mesure et aussi d’une volonté de progrès qui suscitent une estime largement partagée.

Il est vrai que ce pays a connu en ces dernières décennies bien des tourments et que son développement se heurte durement aux difficultés conjuguées de la conjoncture économique et des conditions naturelles. Encore récemment, la famine a touché certaines régions du pays. L’érosion des sols est préoccupante, alors qu’il s’agit de faire vivre une population dense. L’exploitation des ressources du sous-sol et d’autres productions ne peuvent compenser les déficits agricoles.

2. C’est dire combien la solidarité internationale est nécessaire pour que ce peuple puisse connaître le développement auquel il aspire légitimement. Vous en êtes les témoins compréhensifs et actifs. Votre rôle de représentants de pays voisins, de pays du «nord» développé ou d’institutions mondiales vous conduit à approfondir le sens et la portée de cette solidarité.

Présente sur tous les continents, l’Eglise catholique n’entend pas, vous le savez, traiter directement les problèmes techniques, mais elle se doit d’attirer sans cesse l’attention des responsables et de tous les hommes de bonne volonté sur la nécessité d’arriver à construire une véritable communauté des peuples. Aucun d’eux ne peut être laissé à l’écart. La vie, la santé, l’éducation, la paix sont des biens qui ne doivent être refusés à personne.

Tout peuple a le droit de voir respecter sa dignité, sa culture, le libre exercice de ses responsabilités.

Nous ne nous lasserons pas de redire que l’humanité est foncièrement une, et que la pauvreté et la souffrance d’une trop grande partie de ses membres ne peuvent être ignorées. N’a-t-on pas constaté clairement, ces dernières années, que l’action d’organismes spécialisés, pour indispensable qu’elle soit, ne peut aboutir à l’amélioration des conditions de vie des plus défavorisés sans la participation active des bénéficiaires et le soutien de l’opinion? On commence à mieux se rendre compte, semble-t-il, que la terre est un bien commun qu’il convient de protéger. Mais mesure-t-on assez qu’une existence décente, avec un minimum de sécurité, constitue un droit commun et que c’est un devoir commun de l’assurer à tous sur toutes les terres de la planète?

Vos missions de relations entre les nations et de coopération à l’égard du pays dont vous êtes les hôtes vous amènent à constater l’urgence de la solidarité humaine par-delà les frontières. Puissiez-vous en être des témoins convaincants auprès de vos compatriotes!

3. Mon voyage dans trois pays de cette région d’Afrique attire mon attention sur des préoccupations qui vous sont bien connues et au sujet desquelles j’aimerais encourager les efforts conjoints de partenaires proches les uns des autres.

En premier lieu, je pense aux problèmes qui subsistent à la suite des déplacements de populations intervenus lors d’affrontements douloureux au cours des dernières décennies. Je souhaite de tout coeur que l’on arrive, grâce à un dialogue franc et sincère, à cicatriser les blessures anciennes et à trouver une solution équitable à un problème dont personne n’ignore la complexité. Et j’ai bon espoir que l’aide de pays amis ne manquera pas au Rwanda, notamment pour favoriser l’accueil ou l’établissement de personnes qui n’ont pas encore retrouvé une situation stable, dans un milieu où elles puissent avoir les moyens de vivre en toute quiétude.

D’un autre point de vue, il semble qu’une coopération régionale accentuée serait profitable au développement économique des divers pays. La mise en oeuvre concrète de projets conçus en commun soutiendra l’activité de tous, que ce soit dans les domaines techniques des transports, de la commercialisation des produits de base, du crédit, ou dans des Programmes de recherche scientifique adaptés au nécessaire progrès de la production agricole, à la lutte contre les maladies et à leur prévention, pour ne prendre que des exemples particulièrement urgents.

Vous connaissez bien l’intérêt que porte l’Eglise à tout ce qui touche à la formation des jeunes.

Là encore, je souhaite que les pays de cette région disposent de moyens suffisants pour donner à leurs jeunes non seulement une éducation scolaire de base, mais aussi pour conduire le plus grand nombre possible de leurs fils et de leurs filles au niveau de compétence qui en fera les agents efficaces du développement, et les porteurs d’une culture qui ne demeurera vivante que par l’union féconde du patrimoine ancestral avec les meilleurs apports de l’extérieur.

Dans tous ces domaines, il est clair que la libre circulation des personnes, dans un climat de sécurité et de collaboration, favorisera les progrès espérés. D’autre part, comme le souhaitent les gouvernements de cette région, le concours matériel des nations plus favorisées et les échanges d’informations scientifiques et techniques hâteront des réalisations encore freinées par la pauvreté.

4. A travers ces quelques observations, transparaissent des convictions essentielles pour l’Eglise catholique. Par la coopération et la compréhension mutuelle, les hommes doivent être assurés de voir respecter leurs droits et de jouir de la paix inséparable de la justice. Partenaires égaux en dignité, il est juste qu’ils attendent de leurs frères et soeurs du monde un soutien réel, exempt de toute atteinte à leur spiritualité propre - si présente au coeur des Africains - comme au libre exercice de leurs responsabilités inaliénables, notamment sur le plan familial.

Mesdames et Messieurs, en achevant mon propos, je voudrais renouveler l’expression de ma profonde estime envers ceux qui oeuvrent pour donner aux relations entre les nations le caractère réellement humain qui les rend bénéfiques à l’épanouissement des individus et à la convivialité de tous. En vous offrant mes meilleurs voeux pour l’heureux déroulement de vos missions dans ce pays, j’invoque sur vous-mêmes et sur vos proches la Bénédiction de Dieu.



RADIOMESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PAYSANS DU RWANDA

Kigali (Rwanda), Samedi, 8 septembre 1990


Chers amis, paysans du Rwanda,

1. C’est pour moi une grande joie d’être sur votre belle terre. Je suis venu saluer toute la population et rencontrer les communautés chrétiennes. Et je voudrais m’adresser à tous les habitants de ce pays.

Aujourd’hui, je tiens à dire une parole spéciale aux paysannes et aux paysans, qui constituent la grande majorité de la population. J’aurais souhaité me rendre sur vos collines, visiter vos champs, être accueilli dans vos maisons, mais mon trop court séjour dans votre pays ne me le permet pas.

2. Soyez assurés, chers paysannes et paysans du Rwanda, que je connais votre situation. Vous faites vivre ce pays, vous en êtes la grande force. Grâce à vous, le Rwanda va de l’avant. C’est vous qui êtes les premiers responsables du progrès de votre pays par votre travail et votre production agricole. Soyez félicités pour ce que vous faites! Soyez fiers de ce que vous êtes!

Mais je sais aussi les nombreuses difficultés que vous rencontrez. Votre travail n’est pas facile et vos efforts sont souvent contrariés par des conditions matérielles et économiques défavorables. Vous êtes nombreux à habiter sur des terres de plus en plus réduites. Le sol que vous cultivez s’épuise au fil des années par l’érosion et le manque de fertilisants. Les pluies sont parfois trop abondantes et, à d’autres moments, elles font cruellement défaut. Les maladies peuvent s’attaquer à vos cultures comme à votre bétail. Le prix que vous recevez pour les produits de vos champs n’est pas toujours proportionnel à votre travail et à vos besoins. L’environnement international vous est, lui aussi, défavorable. C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la disette qui a frappé votre pays ces derniers mois. Sachez que le Pape admire votre courage dans la lutte quotidienne que vous menez pour le mieux-être de vos familles et de votre pays.

3. Les problèmes auxquels vous êtes confrontés sont complexes. Il n’y a pas de solution simple. Et pour que votre situation s’améliore, il faut une concertation de tous. Mais c’est à vous d’abord, paysannes et paysans du Rwanda, qu’il revient d’être les acteurs de votre propre développement. Il est important que vous sachiez vous organiser pour faire entendre votre voix, pour exprimer vos attentes. Je sais que dans le Rwanda traditionnel, la solidarité jouait un grand rôle au sein du monde paysan. Maintenant que tous se trouvent à l’étroit, l’entente devient plus difficile. Chacun, arrivé aux limites de ses propres possibilités de subsistance, trouve plus difficile d’aider l’autre. Je vous invite à faire des efforts pour retrouver et intensifier votre solidarité paysanne, pour développer entre vous le sens du partage.

Etre solidaire, c’est s’engager personnellement et avec d’autres pour un projet commun.Ensemble, vous pourrez obtenir que vos droits soient respectés et qu’un plus grand espace de liberté vous soit assuré. Vos terres sont votre première richesse qui vous permet de vivre. Il faut les protéger de la dégradation et de l’usure. Prenez des initiatives concertées pour en améliorer le rendement.

4. Et c’est toute la population rwandaise qui doit être solidaire de votre sort.Il s’agit là d’une question de justice. L’Etat doit vous faciliter l’accès à tous les services publics. Il importe que vous puissiez donner à vos enfants une bonne éducation à l’école, en particulier pour qu’ils acquièrent une compétence professionnelle et pour qu’ils soient prêts à valoriser leurs terres en diversifiant des productions vivrières utiles et rentables. Vous avez droit également aux centres de santé, aux services sociaux, au crédit bancaire, aux services administratifs. Il faut éviter que ne s’accroissent les distances et les inégalités entre la ville et la campagne.

La communauté internationale doit, elle aussi, dans un souci de justice, contribuer au développement du monde paysan. D’abord en assurant l’écoulement des cultures industrielles et en payant un juste prix pour ces cultures qu’elle transforme pour son plus grand profit. Il importe que les projets de développement dans le milieu rural ne soient pas déviés de leurs objectifs et qu’ils soutiennent réellement les paysans dans leurs efforts. La communauté internationale doit demeurer également disponible pour une aide humanitaire dans les moments de difficultés.

5. L’Evangile est une bonne nouvelle pour tous... et aussi pour le paysan des Mille Collines qui travaille au développement de son pays. Aux yeux de Dieu vous êtes grands, vous êtes importants. Jésus, pendant toute sa vie, a été proche des gens simples. Il s’est mêlé à leur vie. Ses discours et ses paraboles sont marqués par une connaissance familière de la culture de la terre. A l’exemple de Jésus, l’Eglise doit être proche des paysans. Prêtres, religieux, religieuses désirent partager les soucis et les espoirs des paysans, être leurs porte-parole à l’occasion, s’engager à leurs côtés dans certaines activités de développement. Pour les communautés chrétiennes (inama/imiryanyo remezo) qui sont des lieux d’écoute de l’Evangile, de prière et de communion, il est naturel de vivre une solidarité fraternelle avec tous.

En passant près de la paroisse de Kamonyi, je vais bénir une statue de la Vierge Marie, notre Mère à tous. Je la prie pour qu’elle porte auprès de son Fils Jésus les préoccupations et les espoirs de vous tous, chers paysans et paysannes du Rwanda. Que le Seigneur vous bénisse et vous accompagne dans vos labeurs quotidiens! Qu’il garde vivante en vous l’espérance d’un monde meilleur!



À L'OCCASION DE LA VISITE À LA CATHÉDRALE DE KABGAYI

Kabgayi (Rwanda), Samedi, 8 septembre 1990


Chers frères et soeurs,

De tout coeur je vous salue dans cette cathédrale dédiée à la Vierge Immaculée. Je suis heureux de vous rencontrer ici, justement ici. C’est dans l’action de grâces que je suis venu me recueillir ici, sur la tombe des trois premiers évêques missionnaires du Rwanda: Mgr Hirt, Mgr Classe et Mgr Déprimoz ainsi que d’autres pionniers de l’évangélisation du Rwanda.

Remercions le Seigneur pour ces porteurs de la bonne Nouvelle qui a mûri dans la bonne terre vivante du Rwanda. Dans l’Eglise que vous formez aujourd’hui, huit septembre, dans l’Eglise de l’Immaculée, nous fêtons Marie, femme nouvelle modèle de chrétiens qui récapitulent en elle les situations les plus caractéristiques de la condition féminine en tant que Vierge, épouse et mère. Nous la prions pour toutes les femmes Rwandaises, en particulier pour leurs authentiques relations. Qu’elles soient reconnues dans leur dignité, dans leur mission d’épouse et de mère, avec le droit qui leur revient de participer aussi à la vie sociale, dans le progrès de la nation.

Je salue de tout coeur les religieuses ici présentes. Je les invite à se nourrir toujours davantage de la parole du Christ pour se mettre généreusement au service de l’Eglise dans le sillage de Marie. Au-delà de ce lieu a passé cette porte vers les prisonniers de ce pays, vous leur transmettrez aussi ce message.

Chers frères, dans la période difficile que vous traversez, je vous souhaite de trouver les voies d’une claire réconciliation avec Dieu et avec vos frères et soeurs. Tâchez bien de vous aider de cette mère de Dieu qui est toujours fidèle. Qu’elle vous aide à retrouver paisiblement, le moment venu, votre place dans vos familles et dans la société.

Avant de terminer ce bref discours, je voudrais exprimer ma grande joie de trouver dans cette cathédrale l’évêque qui a pendant si longtemps comme missionnaire été votre pasteur, Monseigneur Perraudin. Je l’ai rencontré plusieurs fois. Il reste pour moi un symbole d’un évêque missionnaire. Que Dieu bénisse Monseigneur Perraudin, Archevêque Evêque de Kabgayi. Il est tellement lié, de tout son coeur et de toute son âme avec ce pays, avec cette Eglise, avec ce lieu, avec cette Cathédrale.

A vous tous ici présents je vais donner de tout mon coeur la bénédiction apostolique en invitant les évêques ici présents à se joindre à cette bénédiction apostolique, dans un acte collégial.



À UN GROUPE DE FONCTIONNAIRES DANS LE STADE DE NYAMIRAMBO

Kigali (Rwanda), Samedi, 8 septembre 1990


Mesdames et Messieurs,
intellectuels du Rwanda et serviteurs de la Nation,

1. Soyez vivement remerciés d’avoir organisé cette rencontre. Merci, en particulier, à Monseigneur Ruzindana ainsi qu’à votre représentant pour leurs paroles de bienvenue et leurs présentations. J’apprécie de pouvoir m’adresser à l’ensemble du monde chrétien de la pensée et de la fonction publique, dont l’influence est considérable sur la vie des Rwandais et des Rwandaises.

Je voudrais d’abord rendre grâce à Dieu pour le dynamisme et la vitalité de vos communautés. La croissance rapide du Peuple de Dieu chez vous, l’expérience de la foi, le sens communautaire sont des motifs de joie, d’espérance et de confiance.

Je rends ici un vibrant hommage aux générations de missionnaires qui ont courageusement travaillé pour jeter les semences du christianisme. Ils ont contribué à votre découverte de Jésus-Christ et à votre prise de conscience de la lumière que l’Evangile projette sur l’homme.

2. A l’approche du centenaire de l’évangélisation de votre pays, il est normal de vouloir faire un bilan. Et il convient de remercier Dieu pour les dons reçus qui ont porté les fruits que nous constatons autour de nous: le peuple chrétien existe; il est vivant, bien disposé et généreux. Par ailleurs, malgré les épreuves que vous avez connues, vous bénéficiez depuis un certain temps de la paix civile. Il y a une bonne entente entre le Gouvernement et l’Eglise. En outre, votre nation est respectée dans le monde international. Mais c’est encore une jeune nation où l’on s’efforce de promouvoir le sens du bien commun et un service de la patrie honnête et désintéressé.

L’Eglise aussi est jeune. Elle est appelée à se développer, à prendre toutes ses responsabilités, à donner son témoignage spécifique, dans le respect des personnes.

Au Rwanda, on peut dire que bon nombre de chrétiens sont parvenus à trouver une harmonie entre leur foi et leur façon rwandaise de voir et de faire les choses. Il s’est produit, en quelque sorte, une inculturation spontanée. Certes, il vous appartient de poursuivre l’intime transformation de vos valeurs culturelles authentiques par leur intégration dans le christianisme. Ainsi, pour le dire autrement, le christianisme s’enracinera plus profondément dans votre culture.

Ce sera aussi, à l’échelle du continent africain, un des objectifs de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques, dont la préparation est en cours. Je vous encourage à entrer dans ce grand mouvement synodal qui intéresse chacun et chacune d’entre vous. Que vos réflexions et vos expériences, rassemblées et confrontées, parviennent aux évêques délégués à cette Assemblée synodale afin qu’ils puissent cerner mieux encore les voies de l’Eglise pour l’accomplissement de sa mission dans les pays africains.

3. Un nouveau souffle doit donc être donné à l’oeuvre jamais achevée de l’évangélisation, et il importe que les forces vives de l’Eglise - dont vous faites partie - aient à coeur d’acquérir une connaissance profonde de l’Evangile. L’étude du message du Christ apportera à votre vie davantage d’unité et vous donnera une plus grande sérénité.

Chers frères et soeurs, efforcez-vous d’arriver à l’unité intérieure de votre personnalité, de telle sorte qu’il n’y ait pas de décalage et de rupture entre votre vie de chrétiens et votre vie de citoyens. Il ne devrait pas y avoir deux vies parallèles: d’un côté, la vie que l’on nomme «spirituelle» et, de l’autre, celle que l’on appelle «temporelle», c’est-à-dire la vie de famille, le travail, les rapports sociaux, l’engagement politique, les activités culturelles.

Le Concile Vatican II a expressément exhorté «les chrétiens, citoyens de l’une et l’autre cité, à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l’esprit de l’Evangile»[1]. Et encore «Le laïc, qui est tout ensemble membre du Peuple de Dieu et de la cité des hommes, n’a qu’une conscience chrétienne. Celle-ci doit le guider sans cesse dans les deux domaines»[2].

4. Dans l’exhortation «Christifideles Laici», que je vous invite à méditer, trois idées-force ont été développées; elles précisent les traits de votre vocation de laïcs.

L’Eglise est un mystère, elle se relie au mystère unique de Dieu: elle est appelée à vivre la communion même de Dieu. C’est à l’intérieur de cette communion ecclésiale que se révèle l’identité des fidèles laïcs: une identité conférée par le baptême, qui trouve son prolongement dans la confirmation et son épanouissement dans l’Eucharistie, les sacrements de l’initiation chrétienne. La dignité baptismale, commune à tous ceux qui ont reçu ce sacrement, fonde leur égalité. Les intellectuels ne forment pas une classe à part au point de vue ecclésial. Leur formation appropriée les aide à se mettre généreusement au service de la communauté chrétienne, leur intelligence étant éclairée par les dons spirituels reçus.

La vocation baptismale laïque s’exprime particulièrement par son caractère séculier, qui est à comprendre dans son sens théologique, à savoir participation à l’oeuvre de la création et à la libération de l’influence du péché. Les laïcs sont appelés à la sainteté dans le monde, une sainteté qui passe par l’orientation évangélique de leur action pour la sanctification du monde.

5. Les fidèles laïcs, en raison de leur dignité baptismale, sont dans l’Eglise des sujets actifs et responsables. Le lieu de leur participation est l’Eglise particulière, concrètement d’abord la paroisse. Celle-ci est une communauté de foi, une communauté eucharistique, une communauté structurée. L’engagement apostolique dans la paroisse doit tendre à l’approfondissement de la communion ecclésiale de ses membres et au développement de leur apostolat missionnaire.

A vous, chers frères et soeurs dans la foi, de jouer le rôle qui vous revient dans l’évangélisation, dans l’animation de la communauté ecclésiale et aussi dans sa gestion pratique.

6. Vous êtes co-responsables dans la mission de l’Eglise. L’Evangile est à annoncer et à vivre, pour promouvoir la dignité de la personne, aider les hommes et les femmes qu’unit une même communauté de destin à vivre en membres solidaires de toute la société, dans l’amour et la paix.

Votre premier espace d’engagement social, c’est la famille. La santé de la société s’enracine dans la famille. Il est important pour le pays que sa jeunesse soit vigoureuse et laborieuse, dévouée au bien commun et animée d’idéal. Or, c’est dans la famille que l’être humain se pénètre des dispositions fondamentales qui déterminent son comportement d’adulte. Les parents, les premiers, éveillent le sens civique des enfants; la première participation à la vie nationale se fait dans la famille.

Les fidèles doivent aussi participer à la «politique», c’est-à-dire à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative et culturelle qui a pour but de promouvoir le bien commun. Que les valeurs chrétiennes soient présentes, par vous, au coeur des grands débats qui mettent en cause l’avenir du pays!

7. Il s’agit donc pour vous, chers frères et soeurs, d’acquérir plus de maturité, de mieux vivre votre vocation personnelle, afin de porter toujours plus de fruit. «Ce qui fait la gloire de mon père, c’est que vous donniez beaucoup de fruit: ainsi, vous serez pour moi des disciples»[3].

Dans les années qui ont suivi le Concile, des initiatives ont été prises pour offrir aux fidèles rwandais des moyens de se former afin de mieux remplir leur mission de baptisés. Je sais que des programmes d’approfondissement chrétien sont organisés; je vous encourage à y prendre part.

8. Avant de conclure, je voudrais vous dire un mot de la solidarité. Parce que vous avez reçu davantage et parce que vous avez plus de poids que d’autres, vous devez vous sentir encore plus responsables vis-à-vis de vos frères et soeurs moins favorisés et pratiquer une solidarité active à l’intérieur de votre société.

La solidarité vous aidera à voir l’autre non comme un instrument mais comme un «semblable», que l’on doit faire participer au banquet de la vie, auquel tous les hommes sont également invités. Elle stimulera votre action pour faire face aux défis que connaît votre société.

En toute justice, vous aurez à prendre des mesures en vue d’éloigner les fléaux de la famine et de la grande pauvreté, en vue de mettre en valeur votre terre dans les meilleures conditions, en vue d’assurer au plus grand nombre une formation générale et professionnelle satisfaisante, en vue de développer les services sanitaires notamment face au péril du SIDA. En disant cela, je sais que je n’évoque que certaines des tâches où votre compétence est requise. A travers tout le service public dont vous avez la charge, vous devez mettre en oeuvre la solidarité active et généreuse qui permettra à la communauté rwandaise de surmonter ses difficultés et de s’épanouir.

9. En cette fête de la Nativité de la Vierge Marie, qui marque pour le monde l’aurore du salut, je demande à notre Mère à tous de veiller sur ses enfants du Rwanda et de vous aider particulièrement, vous les cadres du pays, à mettre vos talents au service de tous vos compatriotes.
De grand coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.

Je dois encore ajouter quelques mots, surtout pour les questions qui ont été posées. Je pense que mon discours contient, au moins en principe, la réponse. Evidemment, ici, ce n’est pas, disons, une soirée d’étude, où l’on pouvait étudier en détails les différents problèmes.

Je dois souligner qu’évidemment pour les intellectuels il y a des exigences, des défis majeurs à cause de leur qualité de l’observation et de ces dons qu’ils ont reçus. Les autres n’ont pas reçu le don de cette formation intellectuelle. En même temps, cette position d’un intellectuel catholique pose des exigences, une exigence d’approfondir toute la doctrine de l’Eglise. Toute la doctrine de l’Eglise en principe est aussi dans la perspective de la réalisation, de l’application pratique à la vie.

Le Concile Vatican II nous a laissé une richesse fondamentale, richesse énorme, évidemment cette richesse est préparée d’une façon universelle, pour l’Eglise universelle. Maintenant, c’est la force propre de chaque Eglise particulière ou locale, disons par nations, de faire une lecture propre de cette richesse de ces documents. On peut dire que Vatican II nous a préparés, avec ses documents, avec sa doctrine, à entrer dans le troisième millénaire. Et c’est le programme pratique de l’Eglise de se préparer partout, cela dit aussi au Rwanda. C’est la tâche spécifique des évêques, des pasteurs, des spécialistes, aussi des spécialistes laïcs, de faire connaissance, de réaliser cette actuation de la richesse universelle que nous trouvons dans les documents dans le Magistère de Vatican. Evidemment toujours en cherchant les racines qui vont jusqu’à la Parole de Dieu, dans la Révélation, jusqu’à la Révélation entière, à l’Ecriture Sainte. Alors il faut chercher que vous intellectuels, et j’entends intellectuels aussi le clergé, aussi le Pape, vous êtes obligés d’étudier ces sources de notre sagesse chrétienne.

L’étudiant catholique aime spécialement la parole de Dieu. C’est la parole de Dieu. Ceux qui ont su étudier comme ça, ce sont les saints de Dieu. Ceux qui ont pu réaliser, promouvoir le règne de Dieu sur cette terre. Ce sont ceux-là. Votre porte-parole a désiré des saints canonisés pour le Rwanda. C’est mon désir aussi, mon grand désir. Non seulement un désir, mais aussi mon espérance.

Il n’y a pas de monopole de béatification, de canonisation, il y a seulement maturation. Evidemment que les Eglises qui existent depuis deux mille ans y sont premières malgré beaucoup de défauts de la société. Des personnes sont plus mûres dans cette préparation à la sainteté, mais d’autre coté je suis convaincu que la sainteté existe parmi ceux qui se trouvent ici parmi vous, parmi votre peuple rwandais, parmi vos mariages, vos familles, je suis convaincu. Un des désirs que je porte en mon coeur est de pouvoir béatifier ou canoniser le plus tôt possible, il y a un grand besoin, canoniser un couple.

Canoniser un couple appartient au passé, au premier siècle de la chrétienté de l’Eglise, ça appartient aussi au moyen âge mais nous nous inspirons au modèle contemporain. Alors tout ce que je dois vous souhaiter, je dois vous souhaiter que ces couples canonisés viennent du Rwanda. Et ce serait le plus vite possible, ce serait un signe de la maturité de votre Eglise, maturité spirituelle de votre Eglise. Les difficultés qu’on rencontre dans la vie pratique existent partout. Parce que c’est notre condition humaine et sans doute aussi de ceux qui sont béatifiés et canonisés. C’est la chose propre à notre vie. Je pense à la vie pratique pour un christianisme pratiqué chaque jour. C’est exactement la tâche principale, de savoir résoudre ces problèmes difficiles, résoudre ces problèmes dans sa propre vie, pour un christianisme pratiqué chaque jour, et pour voir comment aider les autres. Il y a parmi les citations nombreuses de Vatican II une citation que je pourrais peut-être vous reproduire, pas tout à fait par coeur, c’est une citation qui contient un des principaux sujets de ce Concile et du christianisme à travers les siècles l’homme est l’unique créature que Dieu a voulue pour lui-même.

Cet homme, la personne humaine ne se réalise autrement qu’en faisant un don désintéressé aux autres. Je vous souhaite à tous très chers frères, de pouvoir réfléchir sur cette anthropologie, cette grande parole sur l’homme, la personne humaine qui a le pouvoir de le mettre en pratique dans la belle vie rwandaise. Merci.

Je profite de l’occasion de reprendre la parole que j’ai eue l’occasion de dire après mon discours. Je disais que la parole de Dieu il faut l’écouter, l’approfondir à genoux. Je voudrais le dire encore avec une grande suavité «à genoux». Parce qu’il s’agit, mes chers amis, il s’agit de dialoguer avec notre Père qui est au ciel, qui a révélé à nous dans son fils sa paternité. Ce sont des mystères et nous tous, chacun de nous, parfois les plus pauvres ont mesure supérieure. Nous sommes en premier introduits, incarnés dans ce grand mystère de la bonté éternelle de la miséricorde et même parmi nous il faut maintenir cette confiance. Et encore un remerciement spécial pour les choeurs qui ont chanté et tous ceux qui ont contribué à la préparation et à la réussite de cette rencontre. Que Dieu vous bénisse!

[1] Gaudium et Spes, GS 43.
[2] Apostolicam Actuositatem, AA 5.
[3] Jn 15,8.




Discours 1990 - Kigali (Rwanda), Dimanche, 9 septembre 1990