Discours 1990 - Kigali (Rwanda), Samedi, 8 septembre 1990

AVEC LES JEUNES DANS LE STADE NATIONAL DE «AMAHORO»

Kigali (Rwanda), Samedi, 8 septembre 1990


Chers jeunes,

Muraho neza!
(Bonjour beaucoup!)

1. Merci de l’accueil que vous me réservez suivant la belle tradition de votre cher pays!
Merci à Monseigneur Thaddée Nsengiyumva pour ses paroles de bienvenue!
Merci en particulier à vos porte-parole qui m’ont exprimé ce qui vous tient le plus à coeur.

Yezu akuzwe!
(Que Jésus soit loué!)

2. Vous savez combien je désire prendre contact avec les jeunes des pays que je visite. Au Rwanda, vous représentez plus de la moitié de la population! L’Eglise tient à vous communiquer ce qu’elle a reçu du Christ et qui donne un sens à la vie. Vous tous qui m’écoutez aujourd’hui, vous êtes le Rwanda de demain: Urubyiruko ni mwe Rwanda rw’ejo.

(Jeunesse, vous êtes le Rwanda de demain.)

A en juger par les nombreuses questions que vous m’avez posées, je vois que vous vous êtes préparés à cette rencontre avec sérieux. Je vous en félicite. Je constate que vous avez soif de la vérité, comme vient de le dire l’une d’entre vous.

Evidemment, il ne sera pas possible de répondre à toutes vos questions. Vous découvrirez progressivement les réponses que vous cherchez, avec l’aide de vos amis, de vos aînés et de vos prêtres: ils ont mission de vous accompagner dans votre croissance spirituelle.

3. Je connais vos difficultés: la pauvreté, le manque de terre, le chômage, le racisme et le régionalisme, le libertinage sexuel, les séductions des faux messies... Vous me demandez un message qui vous aide à regarder autour de vous, en vous et en Jésus-Christ. Ce que je voudrais surtout, au cours de cet entretien, c’est vous communiquer le goût de choisir ce qui permet vraiment d’être heureux.

Pour reprendre votre langage, un «Sage» nous enseigne que, dans le but de changer le monde et de le rendre meilleur, il faut commencer par se changer soi-même. Ce «Sage», c’est Jésus-Christ. C’est en son nom que je vous parle. Le Christ est votre ami; il vous aime. Efforcez-vous de le connaître davantage, Lui, et son Evangile. Une des paroles les plus importantes de Jésus que j’aime redire aux jeunes est celle-ci «Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie»[1]. Saint Pierre avait bien compris que Jésus était le seul Maître de sagesse digne d’être écouté et suivi sans réserve: «Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle»[2].

Oui, le Christ trace un chemin qui mène à la vérité dont vous avez soif. Mais pour avancer sur la route, il faut avoir les yeux ouverts, il faut la lumière. Au fond, sur le chemin de la vie, nous sommes tous un peu comme cet aveugle dont nous a parlé l’Evangile. Comme lui, tant qu’on ne voit pas, on est malheureux, on crie, on bouscule tout le monde. C’est pourquoi, lorsque Jésus demande à l’aveugle Bartimée: Qu’est-ce qui ne va pas? «Que veux-tu que je fasse pour toi?», la réponse fuse sans hésitation: «Rabbouni, que je voie!». Et l’Evangile ajoute «Aussitôt l’homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route»[3].

4. Pour prendre la route de la vie, il faut donc voir: et la lumière que Jésus nous donne pour voir et pour le suivre, c’est la foi. Vous avez posé cette question: «Qu’est-ce que la foi?». La foi nous permet de porter sur les êtres et sur le monde le même regard que Dieu. Elle approfondit, elle élargit notre vision et elle nous oriente dans la vie.

La foi, chers amis, est un don de Dieu; vous l’avez reçue au baptême. C’est un trésor; il faut le faire valoir. Il faut vivre du message du Christ. Méditez-le, seuls et en groupes, dans vos mouvements. A l’exemple de Marie, gardez présente dans votre coeur la Parole de Dieu que vous avez entendue. Partagez-la avec d’autres et priez ensemble pour être forts, généreux et persévérants. Déployez vos talents de jeunes dans les assemblées eucharistiques de vos paroisses.

5. Les ouvriers de l’Evangile forment un immense peuple en marche, le Peuple de Dieu, qu’on appelle l’Eglise. Le Christ a confié l’Eglise naissante aux soins d’un groupe de douze personnes: les Apôtres. A leur tête, il a mis l’un d’entre eux: Pierre. Jésus a donné à Pierre une mission particulière de fondation: «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise»[4]. Les chrétiens sont les autres pierres vivantes de cet édifice spirituel. A Pierre, Jésus a promis sa prière pour que sa foi ne défaille pas. Les Apôtres ont pour successeurs aujourd’hui les évêques. Le rôle du Pape, l’Evêque de Rome, correspond précisément au rôle de Pierre dans le collège des Apôtres: il consolide ses frères dans la foi. Je suis venu au Rwanda pour vous affermir dans la foi. Yezu akuzwe! (Que Jésus soit loué!)

Certains d’entre vous se disent troublés dans leur foi par les sectes. Qu’est-ce qui pousse les gens vers les sectes? Parfois, c’est la recherche d’une communauté où l’on se sente bien entouré et bien soutenu. Parfois, c’est la recherche de ministres qui répondent d’une manière très personnelle à ce dont on a besoin. Parfois encore, c’est la recherche d’un enseignement donné avec autorité. Mais c’est précisément dans l’Eglise catholique que se trouvent les réponses à ces attentes. C’est elle qui a reçu du Christ le message du salut. A nous, chers amis, de bien exploiter les richesses qui nous sont confiées!

Attention à respecter la liberté de chacun car la liberté est nécessaire à l’acte de foi. Le vrai dialogue n’est possible qu’avec ceux qui répandent leur message dans le respect de la liberté de conscience de chacun.

6. Ce que le Christ propose à ceux qui veulent marcher à sa suite, vous le trouvez résumé au coeur de l’Evangile, dans la charte des béatitudes[5]. Les béatitudes sont des voies qui conduisent au bonheur. Il en est une que je voudrais souligner car il me semble que les Rwandais et les Rwandaises ont besoin de l’entendre aujourd’hui. C’est celle-ci «Heureux les artisans de paix».Jésus veut dire par là que l’un des chemins du bonheur, c’est de travailler à unir les hommes et à édifier la paix entre eux.

Heureux les artisans de paix! A ce propos, vous avez demandé «Saint-Père, savez-vous que le racisme et le régionalisme font rage au Rwanda et même au sein de l’Eglise? Quel rôle assignez-vous à votre Eglise pour se convertir et dénoncer les injustices?».

Pour répondre à cette question, il faut s’appuyer sur les éléments essentiels de notre foi. Tous les êtres humains sont fils du Père et créés à son image. La paternité de Dieu est universelle et la fraternité entre les hommes est donc également universelle. Nourrir des pensées racistes, c’est contraire au message du Christ, parce que le prochain que Jésus nous demande d’aimer n’est pas seulement l’homme de mon groupe social, de ma religion ou de ma nation: le prochain, c’est tout homme rencontré sur ma route.

Mes Frères les évêques rwandais ont abordé ce sujet dans leur Lettre pastorale: «Le Christ, notre unité». Avec eux, je vous dis: «Vivez dans la charité, respectez-vous les uns les autres, que personne ne méprise son frère sous prétexte qu’il se croit plus favorisé ou meilleur, au contraire accueillons-nous les uns les autres en rendant grâce au Seigneur, qui nous a créés différents pour que nous formions un même corps comme membres complémentaires. Que Dieu nous donne la grâce de nous renouveler en refusant ce qui divise ses enfants! Recherchons partout l’unité: dans les foyers, les écoles, les différentes familles qui nous rassemblent, dans les associations, au travail et dans la pastorale. Prions souvent pour l’unité des Rwandais; que les chrétiens, comme enfants de Dieu, donnent l’exemple de la collaboration et de l’entraide; que Jésus-Christ nous apprenne à rechercher l’unité dans la foi, au travail et dans toute notre vie»[6]!

7. J’en viens maintenant à un autre sujet: celui de l’amour. L’amour est un dynamisme intérieur qui pousse à se donner et entraîne vers une communion des êtres. C’est de cette manière que Dieu aime dans sa vie trinitaire: chaque Personne divine est tout entière tournée vers l’autre et reçoit tout de l’autre dans une parfaite unité.

C’est de cette manière aussi que le Fils de Dieu nous a aimés, au point de se faire homme et de donner sa vie pour nous. «Il n’y a pas de plus grand amour que donner sa vie pour ses amis»[7].

Beaucoup de personnes ont aimé à la manière de Jésus, en donnant leur vie pour leurs amis. Certains le font en choisissant le ministère sacerdotal ou la vie consacrée.Ces états de vie impliquent le renoncement au mariage, mais ils sont motivés avant tout par l’amour.

8. Pour la plupart d’entre vous, l’amour s’épanouira dans la fondation d’une famille. Suivant le projet de Dieu, le mariage est un état de vie stable où l’homme et la femme s’entraident à travers un don réciproque et dans l’unité. Le sacrement donne l’énergie nécessaire pour bâtir un foyer solide, où les enfants trouveront eux aussi l’amour auquel ils ont droit pour se développer harmonieusement. Le mariage est, à l’image de l’amour que Dieu a pour l’Eglise, une alliance qui engage pour la vie, de la même façon que Dieu nous aime sans retour. Tel est le mariage chrétien. Je vous encourage, chers jeunes, à l’estimer, à vous préparer à vos responsabilités d’époux et de parents. Il faut une règle de conduite morale saine pour édifier solidement un foyer chrétien. C’est exigeant. Je vous invite à bien comprendre ces exigences et à ne pas avoir peur de vous engager. Il y va de votre bonheur. Il y va de l’avenir de votre pays.

9. Oserais-je ajouter, il y va de votre santé? Le Rwanda, comme hélas trop de pays africains, doit faire face au fléau du SIDA. Je vous exhorte à témoigner toute votre sympathie, votre aide et votre solidarité à vos frères et à vos soeurs atteints du SIDA, et aux séropositifs qui connaissent l’angoisse. Je vous invite instamment à prier avec moi pour ceux qui sont frappés par cette terrible maladie. J’encourage de tout mon coeur, en leur exprimant mon estime, ceux qui soignent les malades et les soutiennent moralement. J’espère vraiment que les recherches en biologie et en médecine aboutiront bientôt à la découverte d’un remède efficace contre ce mal.

L’épidémie actuelle, vous le savez, est aussi l’occasion pour chacun de s’interroger sur ses comportements sexuels. Il est, en effet, des conduites qui dénaturent le sens même de la sexualité et multiplient les risques de l’épidémie. A tous, je voudrais redire que l’amour humain se vit dans le mariage. La fidélité et la chasteté, qui caractérisent le mariage chrétien, contribuent à renforcer la maîtrise de soi. Elles vont à l’encontre du libertinage sexuel qui, lui, augmente le danger de la contagion du SIDA. Vos efforts pour vivre l’amour humain selon le plan de Dieu, en personnes responsables, contribuent de manière plus juste et plus noble a lutter contre la propagation de l’épidémie. Dieu veut que l’homme soit sain. Il ne l’a pas créé pour donner la mort mais pour transmettre la vie. Il faut que nous soyons résolus à préparer des générations saines. Il est de votre devoir de fortifier votre volonté.

10. Je ne peux vous quitter sans parler aussi de vos inquiétudes d’ordre économique.

Les jeunes générations se demandent avec angoisse si elles trouveront du travail. Votre pays est très peuplé. Certains se disent: la société a-t-elle besoin de moi? Pourrai-je, moi aussi, avoir un emploi adapté qui me permette de vivre?

Laissez-moi vous dire un mot de réconfort et d’encouragement. Avec l’aide de vos pasteurs et de vos éducateurs, mettez sur pied des micro-réalisations, comme le font des jeunes d’autres pays; de votre pays aux mille collines et aux mille problèmes, faites un pays aux mille projets. Groupez-vous et établissez de petites industries, des coopératives à taille humaine; apprenez à mieux produire tout en respectant la terre; aimez le travail manuel, à l’exemple du Christ qui était connu comme le fils du charpentier; employez activement les talents que vous avez reçus; cherchez aussi d’autres horizons; soyez ouverts aux pays amis qui seraient prêts à vous accueillir et à vous offrir un emploi. Surtout, ne perdez pas courage. Mukomere! (Soyez forts!)

11. Permettez-moi de conclure en contemplant avec vous la jeunesse de Jésus. L’évangéliste Luc nous dit: «Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes»[8].

A vous tous, chers amis, je souhaite une vraie croissance. Puissiez-vous intégrer tout ce qui est vrai, bon et beau! Puissiez-vous grandir en sagesse à travers les amitiés qui s’établissent en cette étape de votre vie! Que Notre-Dame, notre Mère à tous, vous aide dans votre croissance et dans votre marche sur le chemin de la vie!

De grand coeur, au nom de Dieu, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.

[1] Jn 14,6.
[2] Ibid. Jn 6,69.
[3] Mc 10,46-52.
[4] Mt 16,18.
[5] Cfr. Mt 5,1-12.
[6] Le Christ, notre unité, 1ère partie, conclusion, p. 27.
[7] Jn 15,13.
[8] Lc 2,52.





AVEC LES REPRÉSENTANTS DES COMMUNAUTÉS NON-CATHOLIQUES ET D'AUTRES RELIGIONS

Kigali (Rwanda), Dimanche 9 septembre 1990

Chers amis,

1. À l’occasion de ma visite pastorale en ce pays, je suis heureux de pouvoir vous rencontrer et je vous remercie de vos paroles de bienvenue. Je vous salue en vous appelant amis car l’amitié est certainement la réalité qui donne sa signification à notre rencontre. L’amitié s’exprime par le respect et la confiance en l’autre, par le désir de donner et de recevoir et d’être authentiquement soi-même devant les autres. A travers vous, je rencontre tous les croyants du Rwanda qui, dans la vie quotidienne, tissent des liens d’amitié.

2. Je m’adresse tout d’abord à vous, amis chrétiens. Vous savez comment l’évangéliste saint Jean nous fait connaître le nouveau rapport que Jésus a instauré entre Lui et les Apôtres qu’il avait choisis: «Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis»[1]. Nous qui avons reçu l’héritage transmis par les Apôtres, nous sommes ensemble amis du Christ parce qu’il nous a fait connaître tout ce qu’il a appris de son Père[2]. L’amitié que notre Seigneur a pour chacun d’entre nous a été scellée de façon définitive au jour de notre baptême quand nous avons été incorporés à Lui. Il existe ainsi entre nous une communion, certes encore incomplète, mais réelle et profonde, grâce au lien sacramentel du baptême. Notre amitié est donc encore bien plus qu’une expression de bonne volonté, elle est l’effet de l’amour même de Dieu «qui a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné»[3].

C’est dans la lumière de cette extraordinaire réalité que nos relations doivent se développer pour que nous puissions être toujours plus fidèles à la volonté du Christ sur son Eglise et à notre mission dans le monde. Il est donc évident que nous sommes appelés à grandir dans la confiance mutuelle et à être pleins de respect les uns à l’égard des autres, aussi bien entre les personnes qu’entre les communautés, car nous avons reçu la même Parole de Dieu que nous devons laisser pénétrer dans nos vies et que nous devons rendre accessible à nos frères. Il est heureux que vous ayez pu, ensemble, donner aux Rwandais une traduction commune du Nouveau Testament. Je souhaite que, par la grâce de Dieu, avec vos frères catholiques, vous puissiez témoigner de plus en plus ensemble de l’Evangile du Christ et servir avec désintéressement votre chère nation du Rwanda.

Par une initiative prise en commun, vous contribuez de manière active et généreuse aux services de santé de votre pays. Je salue volontiers cet ensemble de réalisations du «BUFMAR» qui répondent à des besoins réels de vos compatriotes, dans un esprit de charité inventive et efficace. J’encourage les croyants à poursuivre de telles collaborations qui nous rapprochent de la fidélité aux exigences évangéliques.

3. Dignes représentants des autres religions, à vous aussi j’adresse mes salutations en cette heureuse occasion. Votre présence ici est un signe du respect mutuel et de la volonté de compréhension et de collaboration qui doivent caractériser toute société bien ordonnée. Il y a quelques années déjà, lors de la Journée mondiale de Prière pour la Paix, à Assise, le rassemblement de chrétiens et de représentants d’autres religions semblait «une préfiguration de ce que Dieu voudrait que soit le cours de l’histoire de l’humanité: une route fraternelle sur laquelle nous nous accompagnons les uns les autres vers la fin transcendante qu’il établit pour nous»[4]. Ici, dans ce pays des Mille Collines, où les montagnes nous invitent à élever notre regard vers le Très-Haut, le Maître de tout, prions-Le afin qu’Il nous donne la force de marcher ensemble sur cette route!

[1] Jn 15,15.
[2] Cfr. ibid Jn 15,15.
[3] Cfr. Rm 5,5.
[4] Ioannis Pauli PP. II Allocutio Assisii, occasione oblata sollemnis precationis pro pace, adstantibus Christifidelibus, Fratibus seiunctis necnon Religionum non christianarum asseclis, 5, die 27 oct. 1986: Insegnamenti di Giovanni Paolo III, IX, 2 (1986) 1262.



AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU RWANDA

Kigali (Rwanda), Dimanche, 9 septembre 1990


Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Après avoir rencontré l’ensemble du Peuple de Dieu, au cours de mon périple rwandais, il m’est particulièrement agréable de me trouver maintenant avec vous, pasteurs de ce cher Peuple, qui vous dévouez de toutes vos forces à son service.

Je remercie vivement Monseigneur Joseph Ruzindana, Evêque de Byumba et Président de la Conférence épiscopale du Rwanda, de son message cordial. J’ai été sensible aux sentiments d’affection et d’attachement qui m’ont été exprimés et je rends grâce à Dieu d’avoir pu vous témoigner, à mon tour, ma sollicitude pastorale en venant chez vous. Je suis très heureux de pouvoir apprécier sur place votre labeur épiscopal et je suis sûr que les moments passés ensemble dans une célébration intense et joyeuse de la foi contribueront à renforcer encore nos liens et à stimuler votre propre zèle.

2. Au seuil du troisième millénaire de la Rédemption, le Rwanda fêtera le centenaire de son évangélisation. C’est pour vous une grande date. Vous êtes, à juste titre, fiers de l’implantation vigoureuse de l’Eglise dans votre pays et cela suscite en vos coeurs un élan de gratitude envers Celui de qui vient tout don excellent.

En rendant grâce pour ce qui a été accompli, vous êtes aussi résolus à poursuivre, dans le sillage de vos devanciers, l’évangélisation en profondeur de votre patrie.

Evangéliser, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux humains pour les transformer du dedans: l’Eglise appelle les personnes à la conversion du coeur et demande que chacun agisse dans la société, guidé par une conscience que renouvelle et fortifie la rencontre du Sauveur.

3. Dans ce processus, il conviendra de mener une réflexion approfondie sur l’inculturation qui constitue un élément indispensable et urgent de l’évangélisation. Le rôle que joue cette inculturation dans la mission de l’Eglise a été clairement défini par les documents du Concile Vatican II et plusieurs exhortations apostoliques promulguées au cours des deux dernières décennies. Le décret Ad Gentes en a souligné l’importance en ces termes: « La parole de Dieu est une semence: quand cette semence prend racine dans une bonne terre fertilisée par la rosée divine, elle y puise des sucs nourriciers, les transforme, les assimile en sa propre substance et, de cette manière, arrive à produire un jour des fruits abondants. Et de ce fait, à l’imitation de ce qui s’est passé pour le Verbe Incarné, les jeunes Eglises enracinées dans le Christ et construites sur le fondement des Apôtres assument pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage[1]. Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse et à leur culture, à leurs arts et à leurs connaissances scientifiques, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur et ordonner comme il faut la vie chrétienne »[2]. Des études théologiques rigoureuses seront nécessaires pour apprécier coutumes, traditions, sagesse, sciences et arts en vue de faire entrer tout ce qui est vrai, beau et bon de cet héritage dans l’« admirable échange » de l’Incarnation du Christ.

4. La mobilisation de toutes vos forces vives en vue d’une évangélisation renouvelée s’inscrit dans le cadre d’une autre mobilisation, plus générale, celle de toutes les Eglises particulières de ce continent, dans le but de préparer l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques. Chers Frères, je vous invite à sensibiliser vos familles diocésaines à la préparation de cette Assemblée afin que, grâce à leurs prières et à leur participation à la réflexion commune, le visage de l’Eglise en Afrique, et au Rwanda en particulier, corresponde toujours mieux au dessein du Christ et que son action salvatrice soit encore plus reconnue.

5. L’engagement de tous, pasteurs et fidèles, dans la préparation de ces deux grands événements à venir, le Synode des Evêques pour le continent et le centenaire au Rwanda, devrait avoir pour heureux effet, entre autres, de renforcer au sein de vos communautés cette unité dont vous avez tant besoin.

L’unité entre vous, il faut y tendre coûte que coûte. Je sais que c’est une de vos grandes préoccupations pastorales et que vous oeuvrez pour la promouvoir, comme en témoigne le substantiel document « Le Christ, notre unité », que vous avez publié à l’adresse de vos familles diocésaines.

Assurément, c’est avec le dynamisme transfigurant de la foi chrétienne que vous arriverez à déraciner les préjugés ethniques, les séquelles de mentalité féodale, comme aussi les séquelles de mentalité servile. Comme le dit le Christ: « C’est du dedans, du coeur de l’homme, que sortent les pensées perverses »[3]. Travaillez sans cesse à la conversion du coeur, afin que chaque Rwandais comprenne que le prochain que Jésus demande d’aimer, ce n’est pas seulement l’homme du même groupe social, c’est tout homme rencontré sur la route. Il s’agit donc de purifier notre regard sur les autres. C’est une entreprise qui dure toute la vie. Pour la mener à bien, appuyez-vous sur la force du message de l’Evangile. Méditez ces paroles du Christ: « Quand vous dites oui, que ce soit un oui, quand vous dites non, que ce soit un non. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais »[4]. Elles vous aideront à écarter toute ambiguïté, qui ferait obstacle à l’unité entre tous les êtres humains et qui serait source de discorde entre les personnes.

Il convient naturellement que l’exemple de l’unité parte d’en haut afin que ce soit un encouragement pour le clergé, les religieux et les fidèles à animer ensemble la vie de l’Eglise, et pour toutes les populations à unir leurs efforts, aux niveaux social, économique et politique, pour le bien de la nation tout entière.

En vue d’une action oecuménique encore plus profitable, dans le contexte rwandais, je vous encourage à approfondir le patrimoine qui nous est commun avec les autres communautés chrétiennes dans des échanges où la spécificité catholique demeure clairement présente. Enfin, vis-à-vis des frères et soeurs qui professent d’autres religions, nous voulons, dans le respect de leurs croyances, poursuivre à la fois le dialogue et la proclamation de l’Evangile.

6. Dans la première lettre de saint Pierre, la mission des évêques est ainsi décrite: « Soyez les bergers du troupeau de Dieu qui vous est confié; veillez sur lui... sans commander en maîtres, mais en devenant les modèles du troupeau »[5]. Le berger a la charge de rassembler et de guider. L’évêque a aussi mission de rassembler et de guider. Il le fait quand il préside l’Eucharistie, sacrement qui édifie l’Eglise. Il le fait quand il envoie les baptisés dans le monde accomplir leur mission de témoins de l’Evangile.

L’autorité que vous exercez en votre qualité d’évêques est celle d’un père, qui cherche à aimer, à comprendre et, pour cela, se fait proche de ses collaborateurs et de son peuple; un père qui se soucie d’être accueillant, notamment pour ses prêtres, connaissant leurs souhaits et leurs besoins, comme le bon pasteur de l’Evangile connaît chacune de ses brebis. Il revient à l’évêque de conseiller, d’encourager, d’aider avec bonté et simplicité de coeur ceux qui ont des responsabilités afin qu’ils les assument pour le bien de l’Eglise.

Votre sollicitude s’étend d’une manière particulière aux religieux et aux religieuses, qui ont offert leur vie au Seigneur pour le service de l’Eglise par les voeux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Pour que les personnes consacrées donnent le meilleur d’elles-mêmes dans le service ecclésial, avez à coeur de les aider et de les encourager à vivre en parfaite harmonie selon leur charisme propre. La fécondité de leur témoignage est fonction de leur fidélité à leur état de vie. Il vous appartient de promouvoir la vie religieuse comme telle, c’est-à-dire comme école de sainteté, et de favoriser la compréhension et la bonne entente entre les diverses familles religieuses, ainsi qu’entre elles et le clergé.

L’accompagnement des vocations doit faire l’objet d’une sollicitude toute particulière de votre part. Grâce à Dieu, les jeunes répondent en grand nombre à l’appel divin et ils font preuve de beaucoup de générosité. J’apprécie l’effort considérable que vous faites pour le soutien des jeunes qui s’interrogent sur leur vocation, en leur offrant la vie de communauté dans vos petits séminaires. Je comprends que ce soit pour vous une charge lourde, dont les fruits n’apparaissent pas toujours clairement à brève échéance, mais j’approuve d’autant plus votre persévérance. En espérant qu’un soutien extérieur ne vous sera pas refusé, je vous encourage à veiller sur ces institutions qui, bien souvent, ont fait leurs preuves. Quant aux grands séminaristes, suivez leurs itinéraires avec attention. Avec vos prêtres, sachez vous montrer proches d’eux. N’hésitez pas à faire les sacrifices nécessaires pour leur procurer les éducateurs dont ils ont besoin pour bien se préparer au sacerdoce à travers un développement spirituel soutenu et l’acquisition d’une bonne culture.

7. La formation des fidèles laïcs compte aussi parmi les priorités de votre ministère et doit trouver sa place dans les programmes d’action pastorale.

Les catholiques rwandais ont soif de connaître leur foi. C’est tout à leur crédit. Pour mieux assumer leurs devoirs de chrétiens dans le monde, ils ont besoin d’approfondir ce qu’ils ont reçu pendant leurs jeunes années de formation. Il importe de les préparer à rendre compte devant tous ceux qui le demandent de l’espérance qui est en eux, pour reprendre les termes de saint Pierre[6]. C’est d’autant plus indispensable que les sectes jettent le trouble dans les croyances des catholiques, spécialement lorsque leur connaissance de la foi est réduite. Une solide formation, donnée avec confiance en la grâce divine et avec fidélité au Christ et à son Evangile, garantira la sauvegarde de la foi en eux, la fortifiera et fera des fidèles laïcs des missionnaires convaincus et engagés.

8. Dans le cadre de la formation d’un laïcat capable de prendre ses responsabilités, il est un ministère auquel il convient de prêter une attention spéciale: la pastorale de l’élite du pays dont j’ai rencontré hier de nombreux représentants.

Dans la mesure du possible, rendez disponibles des prêtres compétents pour accompagner les personnes cultivées dans l’approfondissement de leur foi. Invitez ces chrétiens formés à s’engager activement dans la vie de leur paroisse. Encouragez-les à apporter les valeurs évangéliques au coeur des grands débats mettant en cause l’avenir du Rwanda, comme aussi dans leur vie professionnelle quotidienne, que ce soit dans les domaines de l’éducation, de l’administration, de l’information ou de la santé. Il sera bon de les aider à discerner la portée de leurs responsabilités dans la sphère des réalités temporelles, selon l’esprit du Concile Vatican II qui demande « que l’on distingue nettement entre les actions que les fidèles, isolément ou en groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par la conscience chrétienne, et les actions qu’ils mènent au nom de l’Eglise, en union avec leurs pasteurs ». Car « l’Eglise, qui... ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique..., est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine »[7].

9. Je voudrais aussi vous dire que je partage vos inquiétudes devant les difficultés graves que connaît votre peuple.

Je pense au fléau du sida qui appelle de la part des chrétiens un double effort, dont j’ai plusieurs fois parlé déjà: rester proches des malades, sans discrimination, avec une charité inspirée par celle du Christ, avec toutes les ressources disponibles pour les assister efficacement; l’autre effort vise à éclairer jeunes et adultes sur les valeurs morales qui, souvent, sont en cause dans la transmission de cette maladie; il faut les appeler à une manière de vivre digne et fidèle aux préceptes évangéliques, afin de ne compromettre ni leur propre vie, ni celle du prochain.

Dans un autre domaine, je sais que votre agriculture est un « problème brûlant », pour reprendre vos propres termes. Dans certains endroits, la famine a sévi; et, pour continuer à nourrir une population nombreuse, il faut lutter contre la dégradation des sols.

Les Rwandais peinent à faire face à de tels problèmes; les moyens matériels sont onéreux; les formations spécialisées encore difficiles d’accès.

Je renouvelle le voeu qu’une solidarité internationale compréhensive se développe pour vous venir en aide.

Et je souhaite que les Rwandais et les Rwandaises continuent à faire face courageusement aux difficultés de ce temps, avec le dynamisme de l’espérance et avec la confiance en Dieu qui aime les hommes. Que l’Eglise investisse sa grande force morale pour stimuler en chacun le souci du bien-être physique et spirituel de son frère! Enfin que, tous ensemble, nous fassions monter vers le Seigneur nos supplications pour qu’il vienne à notre secours!

Avec vous, je prie le Maître du ciel et de la terre et je lui demande de nous libérer des tristesses présentes. Avec vous je supplie Notre Dame d’accorder à tous les Rwandais et à toutes les Rwandaises, en Mère très aimante, la santé de l’âme et du corps.

Chers Frères, c’est de grand coeur que je vous bénis ainsi que chacune de vos communautés diocésaines.

[1] Cf. Ps 2,8.
[2] Ad Gentes, AGD 22.
[3] Mc 7,21.
[4] Mt 5,37.
[5] 1P 5,2-3.
[6] Cf. Ibid 1P 3,15.
[7] Gaudium et Spes, GS 76.



CÉRÉMONIE DE CONGÉ

Aéroport international «Grégoire Kayibanda» de Kigali, Dimanche 9 septembre 1990


Monsieur le Président,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis rwandais,

1. Au moment où prend fin mon voyage pastoral au Pays des Mille Collines, je souhaite remercier du fond du coeur toutes les personnes qui ont contribué à l’heureux déroulement de cette visite.

Merci, Monsieur le Président, des égards que vous m’avez témoignés et de la chaleureuse hospitalité que j’ai reçue. J’étends ces remerciements aux membres du Gouvernement, aux personnes des services de sécurité et à tous ceux qui m’ont permis, grâce à l’exercice attentionné de leurs fonctions, de prendre avec le peuple du Rwanda les contacts directs que je désirais avoir avec lui.

Je salue cordialement Mesdames et Messieurs les membres du Corps Diplomatique ainsi que les personnalités qui ont eu la délicatesse de venir jusqu’ici pour me dire adieu.

2. Chers Frères dans l’épiscopat, avec la communauté catholique dont vous êtes les pasteurs, vous m’avez accueilli dans un enthousiasme qui m’a rempli de joie. Soyez vivement remerciés de l’attachement que vous m’avez manifesté. Les moments de fervente célébration de notre foi commune, que nous avons vécus ensemble ces jours derniers, contribueront à resserrer encore les liens qui existent entre vos communautés et le successeur de Pierre.

Je garde en mémoire les événements qui ont marqué toutes ces belles journées: entre autres, la splendide Eucharistie d’hier avec les ordinations pleines de promesses pour l’avenir de l’Eglise, la vivante rencontre avec la jeunesse rwandaise au stade « Amahoro » ainsi que l’émouvante cérémonie de ce matin au cours de laquelle nous avons recommandé au Seigneur toutes vos familles.

A ceux et celles qui n’ont pu participer à ces divers rassemblements, en particulier aux malades, aux personnes handicapées, aux plus pauvres et aux plus éloignés, ne manquez pas de transmettre le salut affectueux du Pape.

Catholiques rwandais, vous êtes une Eglise jeune et vigoureuse. Puissiez-vous progresser dans votre découverte et dans votre connaissance de la foi! Renforcez vos liens fraternels d’unité et de communion ecclésiale!

Vous êtes en marche vers le centenaire de l’évangélisation du pays soyez toujours davantage d’authentiques témoins de cet Evangile que vous avez reçu et que vous devez transmettre à votre tour! Soyez les signes de la présence aimante de notre Dieu qui est un Dieu de paix. Avec Lui, coopérez à son grand dessein qui est de rassembler tous les hommes en une famille où l’on s’aime et où l’on s’entraide, pour une même communauté de destin.

3. A toute la nation rwandaise, je renouvelle mes voeux les plus cordiaux pour un avenir de prospérité dans la concorde, à travers la poursuite d’un développement qui assure à chacun la dignité de sa vie et les moyens de subvenir aux besoins de sa famille. Je crois savoir que vos récoltes s’annoncent plus abondantes qu’à la saison dernière. Je m’en réjouis et je forme le voeu que tout le monde dans ce cher pays puisse manger à sa faim!

Sous la conduite des responsables du bien commun, et avec le concours compréhensif, fraternel et solidaire des peuples voisins, que les Rwandais et les Rwandaises surmontent courageusement les difficultés actuelles et relèvent les défis de leur croissance et de leur progrès!

Que chacun, en suivant sa propre conscience, recherche ce qui est juste, dans le respect des droits d’autrui! Que chacun ait la possibilité de faire fructifier ses talents!

A vous, Monsieur le Président, je renouvelle mes remerciements et je souhaite un heureux accomplissement de votre haute mission.

Que Dieu bénisse le Rwanda!




Discours 1990 - Kigali (Rwanda), Samedi, 8 septembre 1990