Discours 1990 - Vendredi, 28 septembre 1990


À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES

Lundi, 29 octobre 1990



Monsieur le Président,
Excellences,

1. C’est avec une joie toute particulière que j’accueille aujourd’hui l’Académie pontificale des Sciences, réunie en session plénière pour étudier le thème: «La science dans le contexte de la culture humaine». J’ai le plaisir d’accueillir douze nouveaux membres au sein de cette Académie, si chère aux Souverains Pontifes et que mon prédécesseur Pie XI appelait le «Sénat scientifique du Saint-Siège». En vous souhaitant personnellement la bienvenue, je vous félicite très cordialement et vous remercie déjà de la collaboration précieuse que vous apportez à l’Académie et de votre contribution à son rayonnement.

Comme vous le savez, Pie XI a véritablement refondé l’Académie pontificale des Sciences en 1936, en lui donnant une impulsion remarquable; et les Papes suivants ont constamment voulu l’encourager. Mon propre sentiment rejoint leurs convictions profondes sur le rôle décisif que la culture et la science sont appelées à jouer à notre époque, et sur la fécondité d’un dialogue confiant entre l’Eglise et la science. Dès lors, c’est mon vif désir que l’Académie continue à se développer selon sa nature propre et selon les exigences de la culture actuelle, où se manifestent avec vivacité les aspirations de l’humanité à la fraternité et à un exercice plus sérieux de la solidarité.

Le thème de votre présente session, «La science dans le contexte de la culture humaine», confirme votre intention d’allier la rigueur scientifique avec la recherche interdisciplinaire, en vue d’accroître encore les services rendus par l’Académie. Cette orientation répond aux attentes du Concile Vatican II qui a prêté une attention toute spéciale à la science, à la recherche et à toutes les dimensions de la culture. Rappelons-nous que ce Concile a adopté un point de vue éclairant sur la culture, comme en témoigne la Constitution pastorale Gaudium et Spes [1]. Cette perspective se révèle très utile pour l’analyse de votre thème. En effet, les dimensions anthropologiques de la culture, mises en évidence par le Concile, intéressent directement vos recherches.

2. La culture se réfère à la croissance de l’être humain, par le développement de ses talents et de ses capacités intellectuelles, morales, spirituelles. Qui ne voit alors la contribution éminente des sciences au progrès de la culture intellectuelle? Non seulement les savants, mais l’ensemble de nos contemporains sont formés à la lumière des merveilleux progrès de la science. Celle-ci a profondément modelé les intelligences et les mentalités de nos contemporains.

Certes, à côté des sciences mathématiques, physiques et naturelles et de leurs applications techniques, il faut reconnaître l’apport considérable des sciences humaines, ainsi que celui des sciences morales et religieuses. L’ensemble de ces disciplines forme progressivement le patrimoine culturel commun.

Le progrès de la science, il faut le reconnaître avec une profonde admiration, ne survient que par un engagement austère et une longue application, fruit d’une ascèse et d’une honnêteté qui font l’honneur du savant véritable. Chaque chercheur se concentre méthodiquement sur la portion du réel qu’il explore selon sa spécialisation. Dans vos disciplines distinctes et vos recherches précises, vos études de spécialistes reconnus contribuent grandement à enrichir la culture moderne par la minutie des analyses comme par les tentatives de synthèse. En parcourant la liste des membres de l’Académie, je note avec plaisir que presque toutes les disciplines scientifiques y sont représentées avec honneur. Pour la première fois se joignent à vous des spécialistes de l’épistémologie. Souhaitons que leur contribution vienne renforcer encore les études épistémologiques que vos Statuts proposent comme l’une des finalités de l’Académie [2].

3. Effectivement, la recherche épistémologique s’impose de plus en plus comme une exigence indissociable de la culture scientifique. Des questions fondamentales sont posées sur le comment et sur le pourquoi de la connaissance scientifique. Alors que les disciplines se spécialisent de plus en plus, elles s’interrogent en même temps sur la signification des connaissances qui s’accumulent, sur les liens du savoir scientifique avec la capacité quasi illimitée de l’intelligence humaine. Dans un premier temps, la culture scientifique s’accroît d’abord par l’addition de multiples études éparses. Peu à peu se constitue une mosaïque du savoir dans un champ déterminé. Cette mosaïque demande à être interprétée et analysée, de manière à répondre aux nouvelles exigences de légitimation rationnelle que pose toute discipline constituée. N’est-ce pas là un signe de maturité pour une science, lorsqu’elle s’interroge sur elle-même et sur ses rapports avec l’ordre plus général de la connaissance?

Permettez-moi de vous redire que vos recherches spécialisées, qui se prolongent dans la réflexion épistémologique sur la signification de la science, sont hautement estimées par l’Eglise. Vos études témoignent de l’effort de la raison humaine pour mieux explorer le réel et découvrir la vérité en toutes ses dimensions. C’est un service nécessaire et urgent. Contre les courants antiscientifiques et irrationnels qui menacent la culture actuelle, les savants eux-mêmes ont à illustrer la validité de la recherche scientifique et sa légitimation éthique et sociale. Défendre la raison est l’exigence prioritaire de toute culture. Les savants ne trouveront pas de meilleure alliée que l’Eglise dans ce combat.

Pour l’Eglise, en effet, rien n’est plus fondamental que de connaître la vérité et de la proclamer. L’avenir de la culture en dépend. C’est ce que je rappelais récemment aux Universités catholiques dans la Constitution apostolique Ex Corde Ecclesiae (1990): «Notre époque a un urgent besoin de cette forme de service désintéressé qui consiste à proclamer le sens de la vérité, valeur fondamentale sans laquelle périssent la liberté, la justice et la dignité de l’homme»[3]. Telle est la mission première de l’Eglise, car elle est la servante de Celui qui s’est proclamé la Voie, la Vérité et la Vie. L’Eglise se fait constamment l’avocate de l’homme, capable d’accueillir toute la vérité. Aussi encourage-t-elle la recherche qui explore tous les ordres de vérités, convaincue que tous convergent pour la gloire de l’unique Créateur, Lui-même Vérité suprême et lumière de tous les hommes, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui et de demain.

4. Ceci nous amène à un autre aspect de la culture considéré par Vatican II: la culture est perçue par nos contemporains comme une réalité sociale et historique. Le monde scientifique dans son ensemble prend vivement conscience qu’il doit se situer critiquement au coeur de l’évolution des cultures à notre époque; car, désormais, nos contemporains interpellent à haute voix les représentants de la science sur leurs responsabilités face aux exigences de la paix, du développement de tous les peuples, de la conservation de la vie humaine et de la nature. Cette conscience nouvelle du grand public en ce qui concerne la responsabilité des savants, constitue un trait caractéristique de la culture moderne. Il y a là une claire indication pour l’Académie pontificale des Sciences.

Je constate avec satisfaction que vous avez déjà nettement orienté vos travaux en ce sens. Sans négliger en rien vos disciplines particulières, vous avez organisé ces derniers temps plusieurs projets qui soulignent les rapports réciproques de la science et de la culture actuelle. Vous avez scruté méthodiquement des problèmes scientifiques et éthiques complexes tels que le développement, la paix, les conséquences de la guerre nucléaire, l’environnement, l’alimentation, la bioéthique, la qualité de la vie, la santé, le sens de la mort, les rapports entre la science et le monde moderne, la responsabilité de la science. Vous avez courageusement entrepris des études sur les expériences scientifiques du passé, et plus particulièrement sur le cas de Galilée, problème que j’ai demandé d’examiner sous tous ses rapports et sans aucune réserve. Toutes ces recherches supposent une compréhension très large des problématiques étudiées, où les aspects empiriques, historiques et épistémologiques rejoignent très souvent une dimension philosophique et théologique. En cela, vous répondez à l’un des objectifs formulés par vos Statuts[4], lorsqu’ils demandent que soient étudiés les problèmes scientifiques et techniques liés au développement humain, et que soient approfondies, grâce à votre contribution propre, les questions morales, sociales et spirituelles.

Comme je vous y encourageais lors de la célébration de votre cinquantième anniversaire, vous avez su élargir le champ de vos recherches, en y associant d’autres organismes du Saint-Siège, tels les dicastères, les universités et les institutions culturelles. Je vous encourage à poursuivre cette collaboration féconde.

5. De tout coeur, j’encourage donc l’Académie pontificale des Sciences à développer son activité dans les deux directions déjà tracées, c’est-à-dire la poursuite d’études spécialisées de qualité et l’ouverture interdisciplinaire des recherches. Ces deux voies devraient porter l’Académie vers un réexamen constant de son action propre, en tenant compte des profondes mutations qui marquent le monde actuel. En particulier, j’attire de nouveau votre attention sur les problèmes urgents que représentent le développement intégral de l’homme et la solidarité fraternelle entre les peuples.

Tout donne à croire que l’humanité arrive à un tournant historique. Grâce à la science et à la technique modernes, la communication instantanée entre toutes les parties du monde a permis à la communauté des peuples de mieux se connaître et a éveillé partout un immense désir de liberté et de dignité. Les hommes et les femmes de science auront un rôle de premier plan à jouer dans l’effort commun qui s’impose à nos générations, pour rendre la terre plus habitable, plus fertile et plus fraternelle. La tâche à réaliser peut sembler utopique et engendrer un certain fatalisme. Nous devons réagir vigoureusement contre cette erreur et cette tentation. L’heure est venue, au contraire, de susciter une alliance entre toutes les personnes et tous les groupes de bonne volonté.

Nous devons conjuguer les forces vives de la science et de la religion pour préparer nos contemporains à relever le grand défi du développement intégral, ce qui suppose des compétences et des qualités à la fois intellectuelles et techniques, morales et spirituelles. Votre contribution, hommes et femmes de science, est indispensable et urgente. Je vous invite à explorer cette problématique avec tout votre talent et toute votre énergie. L’Académie pontificale des Sciences pourra, ainsi, j’en suis sûr, donner un témoignage exemplaire face à toute la communauté scientifique.

6. Ce qui est en cause finalement, c’est la signification profonde de votre vocation propre de savants dans la société actuelle. A quoi sert votre science? Comment contribue-t-elle au progrès humain, à la culture entendue au sens le plus haut? En posant cette question, je n’oublie pas la valeur indispensable de la recherche fondamentale. Devant la science moderne qui suscite tant d’admiration, mais qui éveille aussi tant de peurs, l’Eglise s’interroge avec vous et invite les meilleurs esprits à répondre aux questions qui engagent l’avenir de la culture et de l’homme lui-même. Je vous confie à vous aussi ce que je disais récemment aux Universités catholiques: «Ce qui est en jeu, c’est la signification de la recherche scientifique et de la technologie, de la vie en société, de la culture, mais plus profondément encore ce qui est en jeu, c’est la signification même de l’homme»[5].

Ainsi donc, Mesdames et Messieurs, le thème que vous traitez cette année, «La science dans le contexte de la culture humaine», m’apparaît très judicieux et prometteur. Ce n’est pas seulement un choix de circonstance, mais bien un programme qui devra continuer à être exploré méthodiquement. D’ailleurs, vous vous proposez de l’approfondir ultérieurement en collaboration avec le Conseil pontifical pour la Culture, et je vous y encourage vivement.

7. Dès le début de mon pontificat, je déclarais que le dialogue de l’Eglise avec la culture constitue un enjeu décisif pour l’avenir de l’humanité. Plus d’une fois, j’ai redit cette conviction et j’ai fait appel à toutes les institutions de l’Eglise pour que leur action auprès des cultures devienne toujours plus éclairée, vigoureuse et féconde.

Je sais que l’Académie pontificale des Sciences procède à une constante réévaluation de sa mission, dans le respect de sa nature constitutive et de sa spécificité. Vos efforts et vos travaux en ce sens trouveront tout mon appui. Voyez en quoi vos programmes, vos méthodes et vos objectifs pourraient être révisés afin que l’Académie réponde toujours mieux aux besoins et aux aspirations de la culture d’aujourd’hui, ainsi qu’aux voeux réitérés du Saint-Siège. Que cette révision se réalise en lien avec la rénovation analogue qui devra être poursuivie également par toutes les Académies pontificales, dans un esprit à la fois de rigueur scientifique et de collaboration interdisciplinaire.
Après cinquante ans d’éminents services rendus à la communauté scientifique et au Saint-Siège, l’Académie pontificale des Sciences peut regarder l’avenir avec la détermination renouvelée de répondre aux défis culturels d’une époque nouvelle.

C’est le voeu que je formule pour l’Académie et pour chacune de vos personnes, en vous redisant ma vive gratitude et en invoquant sur vous la bénédiction du Dieu Tout-puissant, qui est Vérité et Amour.

[1] Gaudium et Spes, GS 53.
[2] Cf. art. 2.
[3] Ex corde Ecclesiae, 4.
[4] Art. 3.
[5] Ex corde Ecclesiae, 7.



Novembre 1990

À LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PHARMACIENS CATHOLIQUES

Samedi, 3 novembre 1990




Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
et chers amis,

1. C’est avec plaisir que je vous accueille ici, vous qui êtes venus célébrer le quarantième anniversaire de la fondation de la Fédération internationale des Pharmaciens catholiques. Je remercie votre Président, le Docteur Edwin Scheer, pour le salut chaleureux qu’il vient de m’adresser, et pour l’expression qu’il a donnée de l’engagement ferme de votre Fédération à répondre aux finalités courageusement tracées par ses fondateurs. Quatre décennies d’activité croissante confirment d’elles-mêmes l’importance et la valeur de votre institution.

2. L’Eglise, vous le savez, considère l’attention portée aux malades comme un aspect privilégié de sa mission. Spécialement attachée au soutien spirituel, elle ne saurait ignorer pour autant la santé du corps. N’a-t-elle pas souvent emprunté votre langage même en parlant de «grâce médicinale», ou bien en désignant les vertus et les valeurs spirituelles comme des «remèdes»?

Le développement extraordinaire de la science et de la pratique médicales, celui de la prise en charge des malades par la société, celui de la médecine préventive entraînent un développement parallèle considérable de la pharmacologie. De ce fait, le pharmacien, qui a toujours été un intermédiaire entre le médecin et le malade, voit s’élargir le champ de sa fonction de médiation. La conscience de vos devoirs vous conduit à réfléchir toujours plus aux dimensions humaines, culturelles, éthiques et spirituelles de votre mission. En effet, le rapport entre le pharmacien et celui qui demande des remèdes va bien au-delà de ses aspects commerciaux, car il requiert une perception aiguë des problèmes personnels de l’intéressé aussi bien que des aspects éthiques fondamentaux des services rendus à la vie et à la dignité de la personne humaine.

3. Comme j’ai eu maintes fois l’occasion de le souligner, les pharmaciens peuvent être sollicités à des fins non thérapeutiques, susceptibles de contrevenir aux lois de la nature, au détriment de la dignité de la personne. Il est donc clair que la distribution des médicaments - de même que leur conception et leur usage - doit être régie par un code moral rigoureux, observé attentivement. Le respect de ce code de comportement suppose la fidélité à certains principes intangibles que la mission des baptisés et le devoir du témoignage chrétien rendent particulièrement actuels.

Tout cela requiert, de la part du pharmacien, une réflexion sans cesse renouvelée. Les formes d’agression envers la vie humaine et envers sa dignité deviennent plus nombreuses, notamment avec le recours à des médicaments, alors que ceux-ci ne doivent jamais être utilisés contre la vie, directement ou subrepticement. C’est pourquoi le pharmacien catholique a le devoir - en accord d’ailleurs avec les principes immuables de l’éthique naturelle inscrits dans la conscience de l’homme - d’être un conseiller attentif de ceux qui se procurent les remèdes, sans parler de l’aide morale qu’il peut apporter à tous ceux qui, en venant acheter un produit, attendent aussi de lui un conseil, une raison d’espérer, une voie à suivre.

4. Dans la distribution des médicaments, le pharmacien ne peut renoncer aux exigences de sa conscience au nom des lois d’airain du marché, ni au nom de législations complaisantes. Le gain, légitime et nécessaire, doit toujours être subordonné au respect de la loi morale et à l’adhésion au magistère de l’Eglise. Dans la société, il faudrait que l’on puisse reconnaître les pharmaciens catholiques, à la fois compétents et témoins fidèles, sans quoi les institutions et les associations qui les regroupent à ce titre perdraient leur raison d’être.

Pour le pharmacien catholique, l’enseignement de l’Eglise sur le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine, depuis sa conception jusqu’à ses derniers moments, est de nature éthique et morale. Il ne peut être soumis aux variations des opinions ou appliqué au gré d’options fluctuantes. Consciente de la nouveauté et de la complexité des problèmes posés par le progrès de la science et des techniques, l’Eglise fait plus souvent entendre sa voix et donne des indications claires aux personnels de santé dont les pharmaciens font partie. Adhérer à cet enseignement représente assurément un devoir difficile à respecter concrètement dans votre travail quotidien, mais il s’agit, pour le pharmacien catholique, d’orientations fondamentales auxquelles il ne peut renoncer.

5. Dans l’exercice de votre profession, vous êtes appelés à vous montrer proches des usagers des médicaments: ils sont pour vous le prochain que vous considérez, à l’image du Bon Samaritain, non seulement en fonction de ses besoins immédiats, mais comme un frère qui demande plus qu’une aide matérielle.

L’Evangile parle d’une puissance de guérison qui émanait de la personne même du Christ; les malades et les infirmes l’abordaient comme celui qui savait guérir les âmes et les corps. C’est dans cet esprit que vous êtes appelés à agir, en vertu de votre profession et de votre foi chrétienne.

Telle était l’inspiration de vos fondateurs, que nous évoquons aujourd’hui avec admiration et avec reconnaissance. Votre association vous aide à prendre une claire conscience de vos devoirs spécifiques. L’Eglise a besoin de votre témoignage qui peut se traduire, entre autres, par votre action en vue d’orienter les pouvoirs publics vers la reconnaissance, dans la législation, du caractère sacré et intangible de la vie et de tout ce qui peut contribuer à améliorer ses conditions physiques, psychologiques et spirituelles.

6. De tout coeur, j’invoque sur votre Fédération, sur vous mêmes et sur vos familles, ainsi que sur votre travail quotidien, le soutien de la Bénédiction de Dieu. Que la Vierge très sainte, Mère de bonté et de sagesse, vous guide sur le chemin de la foi et dans le service que vous rendez à la vie!


À S. Exc. MONSIEUR MASAMI TANIDA, NOUVEL AMBASSADEUR DU JAPON PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Lundi, 5 novembre 1990

Monsieur l’Ambassadeur,


C’est avec joie que j’accueille Votre Excellence au Vatican en qualité d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Japon près le Saint-Siège. Soyez le bienvenu en ces lieux!

Je vous remercie vivement des voeux que vous m’avez transmis de la part de Sa Majesté l’Empereur. Je vous demanderai de bien vouloir Lui adresser, en retour, mes salutations déférentes et Lui exprimer mes sentiments d’estime avec mes souhaits les meilleurs pour sa personne ainsi que pour le peuple japonais.

Le pays que vous représentez ici entretient depuis de longues années déjà des relations cordiales avec le Saint-Siège et je ne doute pas que votre mission, officiellement inaugurée en ce jour, contribuera à resserrer encore davantage les liens d’amitié qui nous unissent.

Vous avez bien voulu, dans votre adresse, souligner les efforts du Siège Apostolique en faveur de l’instauration d’une paix mondiale fondée sur la liberté et la justice, ainsi que ses encouragements à respecter la terre, environnement qui doit être préservé pour les générations futures, et ses appels à favoriser activement et généreusement le développement de toutes les nations. Je vous sais gré d’avoir évoqué en termes très aimables ces diverses initiatives qui cherchent à répondre aux aspirations communes des membres de la grande famille humaine.

Votre présence ici, Monsieur l’Ambassadeur, montre que votre pays apprécie l’activité de l’Eglise catholique dans les différentes parties du monde. En raison de son mandat évangélique, le Saint-Siège est toujours désireux de promouvoir un climat de confiance et de dialogue avec les forces vives de la société. Il souhaite demeurer au service de l’humanité entière et contribuer, sur la base d’un respect mutuel, au progrès des peuples.

Situé au coeur même de la création, l’être humain est d’une noblesse sans égale. Aussi, l’Eglise catholique, qui proclame au monde entier l’oeuvre de rédemption accomplie par le Christ, désire ardemment défendre l’homme, l’amener à prendre conscience de son incomparable dignité et l’encourager à respecter la vie de tout être humain dès sa conception, à rejeter ce qui conduit à son autodestruction. Face au matérialisme ambiant, elle veut, en particulier, offrir aux jeunes générations des raisons de vivre et d’espérer en les aidant à répondre à leurs aspirations au bonheur véritable.

En outre, tout en voulant rester le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine, elle cherche à établir une saine coopération avec la communauté politique pour la juste construction de ce monde. Pour les croyants, elle demande la liberté et la possibilité effective d’élever aussi sur terre le temple de Dieu, considérant que son message sert au progrès en répandant la lumière.

Mon voyage pastoral de 1981 au Japon reste gravé dans ma mémoire; il m’a donné la joie de faire la connaissance de vos compatriotes et m’a permis également de me rendre compte que, dans votre pays, le christianisme constitue un certain point de référence. Vous me permettrez, Monsieur l’Ambassadeur, de saluer cordialement, par votre entremise, les membres de l’Eglise catholique au Japon. Je leur redis mon affectueuse sollicitude et je les encourage à grandir dans leur foi. Je souhaite qu’ils continuent à apporter leur concours, suivant leurs moyens, au progrès de l’ensemble de la vie nationale. Puissent-ils, avec leurs compatriotes, contribuer à l’éducation harmonieuse et intégrale des jeunes générations et être de vrais témoins de la dimension spirituelle de l’homme! Dans une société aussi hautement industrialisée que la vôtre, il est vital qu’il y ait des apôtres de la dignité de l’homme, créé à l’image de Dieu! L’être humain a besoin de relations avec Dieu qui seul peut donner sens à sa vie, combler son espérance et son amour. Sous tous ces aspects, les catholiques entendent apporter leur témoignage évangélique.

Enfin, l’homme a besoin de paix. Celle-ci n’est pas quelque chose de statique mais un dynamisme qui implique un effort de la part de chacun. «Bienheureux les artisans de paix»[1], a dit le Christ. Puissions-nous ensemble triompher du mal multiforme qui entraîne l’homme sur les voies de la haine, de la guerre et de la destruction! Puissions-nous être les messagers de l’universalité, les constructeurs de l’entente sereine entre les peuples, les promoteurs d’un monde plus harmonieux! De ces nobles idéaux, le Japon d’aujourd’hui s’est fait le défenseur dans le cercle des nations, plus particulièrement en Extrême-Orient et dans le Pacifique. Je souhaite que les initiatives de vos compatriotes au service du bien commun de l’humanité portent des fruits toujours plus abondants.

Au moment où commence votre mission, Monsieur l’Ambassadeur, je vous offre mes voeux fervents pour l’heureux accomplissement de votre tâche. Soyez assuré que vous trouverez ici un accueil attentif et une compréhension cordiale.

Sur Votre Excellence, sur Sa Majesté l’Empereur, le Gouvernement et le peuple du Japon, j’invoque l’abondance des Bénédictions divines.

[1] Mt 5,9.



À UN GROUPE DE MÉDECINS FRANÇAIS RESPONSABLES DES PÈLERINAGES À LOURDES

Vendredi, 9 novembre 1990




Mesdames,
Messieurs,

Votre pèlerinage à Rome me donne l’occasion d’accueillir en vous des fidèles de Notre-Dame de Lourdes. Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue, en remerciant votre Président pour les paroles qu’il vient de m’adresser au nom de votre Association de médecins responsables des pèlerinages de malades à Lourdes.

Chaque année, vous le savez, je tiens à célébrer la fête de Notre-Dame de Lourdes avec les malades rassemblés à Saint-Pierre, car je ne puis oublier qu’au bord du Gave ils sont les privilégiés de la tendresse maternelle de Marie.

Aussi est-ce tout naturellement que je me sens en sympathie avec les médecins qui accompagnent les malades auprès de la Vierge de Lourdes.

Votre rôle auprès de ceux qui tiennent à venir confier leurs souffrances à la Mère du Sauveur vous situe au coeur du mystère humain, dans ce qu’il a de plus déconcertant, mais vous en êtes témoins, dans ce qu’il a de plus noble aussi. Dans l’épreuve et le dépouillement, il est donné à beaucoup de personnes malades et handicapées d’accéder à une grandeur secrète et à une qualité de vie qui, osons le dire, nous émerveillent, alors même que tout paraît les tourmenter et les affaiblir.

Proches d’hommes et de femmes confrontés à la souffrance, et appelés à une expérience spirituelle singulière, vous êtes placés par vocation de médecins comme à la jonction des deux commandements de l’amour il s’agit de répondre à l’amour de Dieu par un amour qui demeure fidèle malgré la présence obscure du mal, et il s’agit de vivre concrètement l’amour fraternel, à la suite du Christ qui révèle cette fidélité de l’amour du Créateur par le don salvifique de tout son être. Sur ces deux plans, la richesse de votre expérience réside dans un véritable échange: vous apportez aux malades réconfort et soins, ils répondent en vous faisant partager leur recherche de Dieu et la qualité de leur rapport aux autres.

Bien sûr, aucun de nous ne voudrait dire qu’une telle communion est toujours vécue sans ombres. Devant le mystère de la souffrance, on reste souvent désemparé, tenté par la révolte, inquiet de l’insuffisance de ce que peut obtenir l’art médical, arrêté par la difficulté de communier dans l’espérance. Mais alors que l’itinéraire d’une telle vie peut sembler long et obscur, le pèlerinage est lumière. La grâce de Lourdes, c’est la proximité de Marie, c’est la simplicité de son appel à la conversion du coeur, c’est la présence presque sensible de son amour de compassion. Par la méditation maternelle de la Mère du Christ, le mystère de la Rédemption, l’amour transformant manifesté par son Fils, sont rendus plus proches.

Les dons de la grâce, Marie aide à les accueillir: combien d’êtres ne conduit-elle pas à connaître le pardon de Dieu, la réconciliation que Lui seul peut opérer, la paix intérieure?

Parfois, un signe vient attester la guérison de l’être. Vous avez la mission de le reconnaître, de dissiper ce qui peut être illusion, de constater ce qui pourra être reconnu par l’Eglise comme un effet de la puissance miséricordieuse de Dieu. Vos compétences vous préparent à demeurer circonspects, car la prudence s’impose. Mais l’étude médicale scrupuleuse des cas les plus manifestes est indispensable pour permettre le discernement spirituel des Pasteurs. Voici deux ans, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet lors d’un colloque réunissant auprès de la Congrégation pour les Causes des Saints les membres de la Commission internationale de Lourdes. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de saluer parmi vous le nouveau directeur du Bureau des Constatations de Lourdes et de souligner l’utilité de sa mission.

Mesdames et Messieurs, le cadre de cette rencontre ne me permet qu’un bref entretien. Je voudrais simplement conclure en vous encourageant à poursuivre votre réflexion et votre prière communes dans votre Association.

Approfondissez ensemble le sens de l’apostolat spécifique que vous prolongez, au-delà des temps de présence à Lourdes, par des liens spirituels et amicaux durables avec les pèlerins malades.

De tout coeur, je confie votre mission à Notre-Dame de Lourdes. Avec vous, j’invoque son intercession secourable pour vos malades. Et, pour vous soutenir, ainsi que vos confrères et vos proches, au long de vos routes, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.



À L'OCCASION DU IVe CONGRÈS MONDIAL DE LA PASTORALE DU TOURISME

Samedi, 17 novembre 1990




Chers Frères dans l’épiscopat,
Mesdames, Messieurs,
chers amis,

1. Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion du IVe Congrès mondial de Pastorale du Tourisme. Je salue avec plaisir les évêques promoteurs, les prêtres et les laïcs engagés dans cette pastorale, ainsi que les professionnels qui ont bien voulu faire bénéficier vos réflexions de leur compétence. Et j’adresse un salut particulier aux observateurs des autres communautés chrétiennes, présents avec vous, parce que, en divers lieux, des initiatives oecuméniques contribuent au témoignage évangélique auprès de l’homme dans ses loisirs comme auprès de l’homme au travail.

Que le Saint-Siège s’intéresse aux réalités des loisirs et du tourisme, l’existence même du Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement l’atteste. En effet, la Constitution apostolique Pastor Bonus lui donne notamment comme mission de s’employer «à ce que les voyages entrepris pour des motifs de piété, d’étude ou de détente favorisent la formation morale et religieuse des fidèles»[1].

2. L’Eglise ne peut ignorer ce nouvel aspect de la vie des hommes qui se développe, surtout dans les pays industrialisés, c’est-à-dire le «temps libre» dont une part importante est consacrée au tourisme. A juste titre, vous avez voulu faire porter vos travaux sur ce temps «libéré», souvent qualifié de «temps pour vivre».

La consistance du temps vient de l’usage que l’homme en fait. Pour beaucoup, le temps désormais libre prend subjectivement plus d’importance que le temps consacré au travail. Aussi faut-il être attentif à l’usage de ce temps. Très vite, des activités devenues presque nécessaires, des conformismes aussi, voire la tentation de «suivre ses penchants mauvais»[2], peuvent créer de nouveaux asservissements et empêcher l’épanouissement des personnes.

Ainsi, l’objet d’une pastorale du temps libre consiste à aider les hommes précisément à faire un bon usage de cette liberté. On se souvient du repos du Créateur, le septième jour, au terme de l’oeuvre qui était bonne. On doit retrouver, dans le rythme de vie, la portée de ce repos, la découverte gratuite des merveilles de la création, et la relation personnelle avec le Créateur qui se révèle à nous et nous rassemble. Le temps libre est à la fois un temps de salut et un temps à sauver afin qu’il soit disponible pour le plein épanouissement de la vie personnelle et familiale, libre aussi pour le service de la communauté humaine par les engagements qu’il permet de prendre dans la vie associative, caritative, politique, pour le service multiforme des frères et de l’Eglise. Temps de contemplation joyeuse de l’oeuvre de Dieu, d’action de grâce pour les fruits de la terre et pour ceux du travail des hommes, temps de communion et de paix entre frères unis dans leur commune vocation de fils de Dieu créateur et sauveur.

3. Dans le cadre de l’animation chrétienne du temps libre, «temps pour vivre», nous ne pouvons pas négliger le vaste domaine du tourisme sur lequel vous réfléchissez au cours de votre congrès. Chaque année voit augmenter le flux de ceux qui vont à la rencontre d’un ailleurs dont ils attendent une détente, un renouvellement, un enrichissement. Et par millions se comptent ceux qui travaillent au service des loisirs des touristes. Les uns et les autres ont droit à l’attention pastorale de l’Eglise.

Maintes fois le Saint-Siège a reconnu le vif intérêt du tourisme pour la rencontre entre les hommes, l’enrichissement culturel, le développement d’une connaissance mutuelle qui en font un facteur de paix entre des peuples de moins en moins «étrangers» les uns aux autres. Même les excès insupportables de certaines formes de voyages, justement dénoncés, ne condamnent pas le tourisme.

On ne peut que saluer les efforts des organisations internationales pour juguler les effets négatifs d’un développement mal contrôlé de cette industrie en expansion. En effet, la Création ne saurait être mise au pillage; les traditions et les cultures des peuples ne sauraient être méprisées; l’homme, la femme et même l’enfant ne sauraient être utilisés comme des objets, au prix de leur inaliénable dignité.

L’ensemble des Pasteurs concernés, ceux des pays d’où partent les voyageurs comme ceux des pays qui les accueillent, ont la responsabilité d’éclairer les chrétiens sur les processus complexes de l’industrie du tourisme et sur leurs répercussions écologiques, économiques, sociologiques et morales. Le goût pour les voyages, quand il est maîtrisé, peut être un élément significatif de coopération et de solidarité avec des peuples qui en retirent des profits utiles de natures diverses. Le voyage attentif et respectueux des uns et l’hospitalité ouverte des autres peuvent transformer de simples visites touristiques en authentiques «visitations».

4. Encore faut-il que le voyageur ait un regard éveille et, pour tout dire, «bienveillant», un regard éduqué qui sache voir le bien, qui goûte la beauté, qui saisisse le vrai autant dans les plus hautes oeuvres de l’art que dans la vie quotidienne des populations rencontrées. Comme le dit votre Directoire de pastorale, «ordinairement, le tourisme traduit la formation spirituelle de celui qui le pratique»[3]. On pourrait ajouter qu’il aide à la formation spirituelle de celui qui le pratique.

C’est bien ce que vous cherchez à réaliser par l’accueil organisé dans les sanctuaires qui sont les «pierres de la mémoire» de l’Eglise. Vous coopérez à la formation du regard qui est aussi un éveil de l’âme aux réalités de l’esprit, en aidant les visiteurs à remonter jusqu’aux sources de la foi qui a fait surgir ces édifices, et en rendant visible l’Eglise de pierres vivantes que forment les communautés chrétiennes.

5. Pour les chrétiens, il est aussi une forme particulière du voyage et du tourisme qui consiste à prendre la route des pèlerinages, des chemins parcourus pour aller vers Dieu. Il est bon que le peuple chrétien éprouve en quelque sorte physiquement qu’il est «nomade» sur cette terre, qu’il peut partir, se rendre libre pour rechercher «les réalités d’en haut»[4]. Je sais que le premier congrès mondial de pastorale des Sanctuaires et des Pèlerinages est en préparation; il manifestera le prix que l’Eglise attache à ces routes vers Dieu et à ces hauts lieux de l’expérience spirituelle.

6. Ce congrès achevé, votre travail pastoral va reprendre. Fixez les yeux sur le diacre Philippe[5]. L’Esprit lui ordonne d’aller sur une route déserte à la rencontre d’un haut fonctionnaire d’Ethiopie. Il parle avec cet homme, écoute ses questions, explique, commente longuement. Il lui annonce «la bonne nouvelle de Jésus», le conduit jusqu’au baptême avant que l’Esprit l’emporte sur un autre chemin. Philippe peut être un modèle pour votre pastorale par son attention qui éveille les fidèles à la vie fraternelle, à la possibilité de l’annonce de l’Evangile même dans la fugacité de rencontres imprévues. Je vous souhaite de poursuivre votre chemin dans la joie.

En recommandant au Seigneur vos travaux, je vous bénis de tout coeur, vous-mêmes et tous vos collaborateurs.

[1] Art. .
[2] Cf. Ep 4,22.
[3] N. 21.
[4] Col 3,1.
[5] Cf. Ac 8,26-40.




Discours 1990 - Vendredi, 28 septembre 1990