Discours 1991





1991

Janvier 1991

AU NOUVEL AMBASSADEUR DE NORVÈGE PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S. Exc. MONSIEUR ROALD KNOPH

Jeudi, 10 janvier 1991




C’est une joie pour moi de vous accueillir au Vatican et de recevoir les Lettres qui vous accréditent comme Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi Olav V de Norvège auprès du Saint-Siège.

Particulièrement sensible au message déférent que Sa Majesté vous a chargé de me transmettre, je saurais gré à Votre Excellence de lui exprimer ma vive gratitude et d’y joindre mes voeux les meilleurs pour sa personne, pour la famille royale et pour tout le peuple norvégien. J’ai conservé un excellent souvenir de l’accueil de Sa Majesté le Roi au mois de juin 1989 et des entretiens très positifs que nous eûmes en cette circonstance historique.

Votre Excellence a évoqué en termes chaleureux ma visite pastorale de l’an passé qui a certainement contribué à mettre en lumière - dans l’opinion publique norvégienne et bien au-delà - l’heureuse reprise des relations diplomatiques de votre pays avec le Siège Apostolique de Rome. Et vous avez jugé à propos de souligner que ces liens officiels continuent d’avoir un retentissement appréciable notamment pour une meilleure compréhension entre la confession luthérienne majoritaire, et les communautés catholiques. Vous précisez même que cet esprit de fraternité a permis au catholicisme de recevoir sans difficulté de nouveaux membres parmi vos concitoyens et les familles qui viennent vivre en Norvège.

A côté du respect fondamental de la liberté religieuse, la société norvégienne d’aujourd’hui, enracinée dans sa foi millénaire, s’efforce de maintenir son attachement aux valeurs humaines qui seules permettent à tout homme de se réaliser pleinement et à la société de devenir une communion de personnes. L’égalité des citoyens, fondée sur la dignité inaliénable de tout être humain, doué d’intelligence, de conscience morale et de liberté, est un principe primordial. Par ailleurs, une nation exprime le meilleur d’elle même par une solidarité effective avec les personnes et les peuples défavorisés, affamés ou opprimés par des régimes totalitaires, par le souci de collaborer au maintien ou au rétablissement souvent difficile de la paix entre nations rivales. Enfin, on se rend compte actuellement qu’il est urgent de consacrer de grands efforts à la préservation de l’environnement naturel, oeuvre du Créateur, inconsidérément malmené, pollué, gaspillé au détriment du bonheur et de la santé de l’humanité. Dans ces divers domaines notamment, les objectifs poursuivis par votre Gouvernement rejoignent certaines orientations que le Saint-Siège estime essentielles.

Par son enseignement spécifique et ses institutions propres, comme par les relations diplomatiques qu’il entretient avec de nombreux pays, le Siège Apostolique est profondément soucieux de coopérer au véritable bien des nations. Il est vrai que la mission de l’Eglise est d’ordre spirituel et humanitaire, dans la fidélité à son Fondateur. Pourtant, l’Eglise désire agir aussi au service des peuples du monde: pour annoncer à tous les hommes de bonne volonté la paternité universelle de Dieu, pour les inviter à assumer en même temps leurs responsabilités vis-à-vis d’eux-mêmes, de leur entourage et du monde. Le Saint-Siège, dont la place est reconnue dans la communauté internationale, apprécie de pouvoir dialoguer avec les missions diplomatiques accréditées auprès de lui. Dans le respect total des responsabilités du pouvoir civil légitime, son action contribue à répondre aux interrogations que l’homme se pose, individuellement et collectivement, à toute époque et en tout lieu, sur la nature et la valeur de la personne, sur le sens de l’histoire, sur les fondements du bien moral, sur le mystère du mal. Précisément, à travers les choix socio-économiques qu’ils ont mission de réaliser, les gouvernants et leurs collaborateurs sont souvent conscients de l’absence ou de l’insuffisance de références éthiques capables d’éclairer et de baliser les multiples décisions requises pour un authentique développement de la communauté nationale comme pour le bien de la communauté internationale.

C’est pourquoi le dialogue entre les Etats intéressés et le Saint-Siège peut être réciproquement bénéfique. Votre Excellence n’a pas manqué d’y faire allusion. Pour leur part, la Norvège et le Siège Apostolique continueront de développer leur coopération pour aider le monde contemporain à sortir des impasses de l’égoïsme et de l’hédonisme, du fatalisme et du pessimisme, du racisme et de la violence, du scepticisme sur l’avenir de l’histoire. Tout doit être fait pour affermir une civilisation capable de marcher vers le juste partage des biens, la communion des personnes, l’entraide fraternelle des nations et la paix.

Monsieur l’Ambassadeur, je forme des voeux cordiaux pour l’heureux et fructueux déroulement de votre mission auprès du Saint-Siège. Vous trouverez toujours auprès de mes collaborateurs la compréhension, la confiance et le soutien que vous êtes en droit d’espérer. J’invoque sur votre personne, sur votre mission, sur votre famille et sur la Norvège la protection et l’aide de Dieu.




AU NOUVEL AMBASSADEUR DE DANEMARK PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S. Exc. MONSIEUR ALF CORNELIUS JÖNSSON,

Vendredi, 11 janvier 1991




Monsieur l’Ambassadeur,

1. Depuis l’heureux rétablissement des relations diplomatiques entre le Danemark et le Saint-Siège, vous êtes la troisième personnalité choisie par Sa Majesté la Reine Margrethe II pour représenter ici le Gouvernement et le peuple danois. Il m’est agréable d’accueillir Votre Excellence et de recevoir ses Lettres de créance.

Dans votre adresse imprégnée de respectueuse courtoisie, vous avez justement souligné le caractère confiant des bons rapports qui existent entre votre pays et le Siège Apostolique. Je puis vous assurer, Monsieur l’Ambassadeur, que ma visite effectuée au Danemark dans les premiers jours de juin 1989 a renforcé en moi ce sentiment. Comment oublierais-je le très aimable accueil de Sa Majesté la Reine Margrethe II au Palais de Fredensborg? Je serais reconnaissant à Votre Excellence de présenter à Sa Majesté l’expression de ma déférente considération et de mes souhaits renouvelés pour l’heureux accomplissement de sa haute charge.

2. Il me plaît encore d’évoquer la célébration eucharistique dans le parc des Bénédictines de Copenhague, le service de prière dans la magnifique cathédrale de Roskilde, suivi d’une rencontre fraternelle avec les Evêques luthériens en la résidence du Révérend Ole Bertelsen, l’assemblée oecuménique au Palais Moltke, la réunion du Corps Diplomatique à la Nonciature. Tous ces moments forts de mon séjour au Danemark ont favorisé une nouvelle et réciproque ouverture des esprits et des coeurs, dont je continue de rendre grâce à Dieu.

Avec satisfaction, j’ai pu constater que l’Eglise catholique, présente au Danemark par une communauté modeste mais bien vivante, trouve aisément sa place dans la nation. Et je puis vous assurer qu’en effet le désir des catholiques est d’apporter, dans la mesure de leurs possibilités, leur contribution à l’épanouissement social et spirituel de leurs compatriotes.

3. Vous avez évoqué par ailleurs, Excellence, l’engagement et les efforts du Saint-Siège pour la paix dans le monde. C’est là l’une des préoccupations essentielles qui animent nos dialogues et notre action dans la vie internationale. Le message qui nous inspire est un message de paix, d’une paix fondée sur ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, d’une paix qui ne peut être consolidée que par le respect mutuel et l’entraide de tous les peuples de la terre, avec la reconnaissance explicite des droits transcendants de la personne humaine.

Le Saint-Siège se réjouit de ce que le Danemark poursuive des objectifs humanitaires, notamment par un engagement généreux en faveur des peuples les plus pauvres dans le monde. Votre nation se montre ainsi fidèle à sa tradition chrétienne. C’est pour moi un sujet de satisfaction de savoir qu’à maintes reprises, les représentants du Danemark dans les instances internationales ont exprimé des vues proches de celles des délégués du Saint-Siège, contribuant activement à favoriser un climat de réconciliation et de coopération constructive pour le bien commun.

Il importe aujourd’hui que tous les pays, quelle que soit leur puissance, unissent leurs efforts, non seulement pour aplanir les différends qui surgissent, mais aussi pour assurer au plus grand nombre une qualité de vie cohérente avec les principes éthiques d’un humanisme plénier qui, à nos yeux, correspond au dessein de Dieu sur le monde.

4. Au terme de cet entretien, je voudrais encore vous assurer, Monsieur l’Ambassadeur, que j’apprécie vivement les généreuses dispositions qui vous animent au seuil de la haute mission que vous allez remplir au nom de Sa Majesté la Reine de Danemark et du Gouvernement danois. Au Saint-Siège, vous trouverez toujours un accueil bienveillant et cordial auprès de mes proches collaborateurs, chaque fois que vous souhaiterez les rencontrer.

En formant les meilleurs voeux pour le plein succès de votre mission, comme pour le bonheur et la prospérité de votre cher pays, j’invoque, sur votre personne, Monsieur l’Ambassadeur, et sur ceux qui vous sont spécialement chers, ainsi que sur toute la nation que vous représentez, les Bénédictions divines.




AUX PARTICIPANTS À UN CONGRÈS ORGANISÉ PAR L'UNION DES JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS

Vendredi, 11 janvier 1991


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,



1. Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion du colloque international qui vous réunit à Rome, à l’invitation de l’Union des Juristes Catholiques Italiens et sous le patronage de l’Union Internationale des Juristes Catholiques, avec la participation de plusieurs personnalités de la Curie Romaine.

Vous avez choisi pour thème un sujet fondamental: «Droit naturel et droits de l’homme à l’aube du XXIème siècle». Je me félicite de voir des spécialistes catholiques hautement qualifiés prendre le temps de clarifier ensemble des notions de première importance, qui intéressent directement la conception chrétienne de l’homme et de ses droits, aujourd’hui comme hier.

Dans le cadre d’une audience nécessairement brève, je m’en tiendrai à quelques observations inspirées par le programme même de vos travaux. On constate d’emblée que vous unissez opportunément vos recherches sur le droit naturel comme fondement universel pour tous les domaines du droit et un examen des valeurs et des principes qui inspirent la régulation par le droit de la vie sociale à l’échelle des Etats et de la communauté internationale.



2. A notre époque, il est évident pour tous que la «famille humaine» souffre de nombreuses violations du droit, d’atteintes répétées à la dignité de la personne, d’une répartition très inégale des ressources de toutes sortes, de conflits qui déchirent trop de peuples. Et en même temps, la conscience de former une vaste communauté fondée sur l’égale dignité des personnes, la soif de justice et de paix pour l’humanité entière entraînent des progrès, limités encore mais réels, vers une réconciliation et une unité que l’on peut envisager comme accessibles et non plus comme des utopies.

En un mot, il s’agit de construire, et sur des bases solides, une unité harmonieuse. On pense aussitôt à la reconnaissance «universelle» des droits de l’homme. Mais, pour assurer la démarche, il est d’un grand intérêt que l’on mette en lumière le droit naturel, dont on pourrait dire qu’il est la vérité du droit.

Le droit naturel, vous le savez mieux que quiconque, ne donne pas au législateur des normes particulières, lesquelles restent à parfaire sans cesse. Il ne prétend pas constituer par lui-même un code de comportement social éternel et délié de tout rapport avec l’histoire. Mais il demande que, dans les divers domaines de l’existence, la dignité humaine soit assurée. Plutôt que d’exercer un contrôle sur le droit positif, le droit naturel tend à s’exprimer concrètement en lui et à le vivifier. C’est pourquoi il demeure valide, là même où les plus honteuses violations blessent l’homme, comme en témoignent le courage et la grandeur de tant de héros que les pires tyrannies n’ont jamais pu avilir.



3. Les drames vécus par les dernières générations ont entraîné, par une saine réaction, la reconnaissance plus large des droits humains. Ceux-ci entrent dans la conscience de chacun; ils sont mieux perçus comme universels, naturels, inviolables, en somme comme le bien commun de l’humanité. A cet égard, la tâche des juristes d’aujourd’hui ne consiste pas seulement à coopérer à la promotion et à la défense de ces droits, mais aussi à en rendre raison de manière convaincante en établissant leurs fondements. Il revient aux juristes, notamment, de démasquer les tentations, qui peuvent se manifester encore, de ne voir dans les droits de l’homme que des options, sans autre garantie qu’un consensus philanthropique assez vague ou qu’une volonté politique aléatoire.

La réflexion sur le droit naturel se rapproche d’autant plus de son but qu’elle arrive à reconnaître en l’homme sa qualité de personne. Sur ce point, la foi nous apporte une lumière décisive, puisqu’elle nous apprend que l’homme est appelé et élevé par Dieu son Créateur à la condition de fils. La Bonne Nouvelle annoncée par le Christ signifie la fin d’une captivité: les liens qui enfermaient l’homme dans ses refus d’aimer et de communier sont brisés. Par l’acte suprême de l’amour que Dieu a accompli en son Fils, l’homme est rétabli dans sa dignité et dans sa capacité d’aimer et de communier. Ouverts à cette perspective majeure sur la destinée ultime de la personne humaine, vous serez mieux à même de reconnaître et de définir, sur la route, les jalons qu’y pose le droit.



4. Mesdames, Messieurs, c’est dans cet esprit que je voudrais vous encourager dans vos travaux de ces jours, comme dans vos multiples missions juridiques. Vous serez guidés au cours de vos réflexions par l’Esprit du Dieu de justice. «Justice et paix s’embrassent», dit le psalmiste[1]. Au terme du deuxième millénaire, je vous souhaite, à vous Juristes catholiques, d’aider la famille humaine à se rapprocher de cet objectif, en devenant plus solidaire et en prenant une plus vive conscience de sa vocation.

De grand coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique et je prie le Seigneur de vous garder au long du chemin, avec la grandeur de sa justice, la douceur de sa miséricorde et la force de son amour.


[1] Ps 85,11 (84), 11.






AUX MEMBRES DU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE À L'OCCASION DE L'ÉCHANGE TRADITIONNEL DES VOEUX DE NOUVEL AN

Samedi, 12 janvier 1991



Excellences,
Mesdames, Messieurs,



1. L'échange traditionnel des voeux, à l'aube de l'année nouvelle, me donne l'agréable occasion de vous rencontrer et de resserrer ainsi les liens entre le Pape et les Représentants des Nations qui désirent entretenir des relations diplomatiques ou officielles avec le Saint-Siège.

Les paroles de votre Doyen, Monsieur l'Ambassadeur Joseph Amichia, m'ont vivement touché. Je vous remercie de ces souhaits délicatement exprimés, comme de votre compréhension amicale à l'égard de l'action menée par le Saint-Siège en faveur de relations internationales toujours plus inspirées par les valeurs suprêmes du bien, de la vérité et de la justice.



Viva soddisfazione per la presenza di ambasciatori di Paesi che hanno ritrovato la libertà

2. Cette année, nous avons la joie d'avoir parmi nous les Ambassadeurs de pays qui ont récemment retrouvé la liberté, après un long « hiver », et dont les peuples découvrent ou retrouvent les règles de la vie démocratique et du pluralisme. Il m'est particulièrement agréable de souhaiter la bienvenue aux Ambassadeurs de Pologne, de Hongrie et de la République Fédérative ??hèque et Slovaque, en attendant d'accueillir bientôt le Représentant de la Roumanie, ainsi que celui de la Bulgarie, pays qui, pour la première fois de son histoire, a désiré entretenir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.

J'éprouve également une vive satisfaction à saluer ici le Représentant de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques dont le Gouvernement a voulu instaurer des relations officielles avec le Siège Apostolique. Je désire encore mentionner la présence du Représentant personnel du Président des Etats-Unis Mexicains et souhaiter cordialement la bienvenue aux Chefs de Mission et à leurs collaborateurs récemment accrédités. Avec vos familles, vous formez tous une véritable « communauté » qui reflète la riche diversité des peuples de la terre au milieu desquels l'Église s'efforce de porter son témoignage de foi, d'espérance et de charité.

Parce que le Christ, depuis le jour de Noël, s'est uni à tout homme, l'Église à son tour partage sa sollicitude pour chacun. Voilà pourquoi le Pape, qui préside à la communion ecclésiale, se veut au service des hommes quels qu'ils soient, quelles que soient leurs convictions, et il ne peut demeurer indifférent à leur bonheur ni aux menaces qui pèsent sur eux.



Un’Europa riconciliata può dare un messaggio di speranza al mondo
3. Comme le rappelait si justement votre Doyen, le monde vient de vivre une année particulièrement fertile en événements singuliers. L'Europe entière a senti passer le vent régénérateur de la liberté, une liberté conquise, au prix de durs sacrifices, par des peuples qui mesurent aujourd'hui à quel point l'idéal incarné par l'État de droit est exigeant.

Le Sommet des Chefs d'État ou de Gouvernement des trente-quatre pays participant à la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), tenu récemment à Paris, a donné l'image éloquente d'une Europe réconciliée avec elle-même. Des élections ont permis aux peuples de l'Europe centrale et orientale de s'exprimer. L'Allemagne a retrouvé son unité territoriale et politique. Les négociations sur les désarmements le de se sont accélérées. Dans la plupart des instances européennes, on ressent la nécessité de « structurer » les formes de collaboration déjà existantes. Bref, nous voyons naître sous nos yeux une « Europe renouvelée », comme en témoignent les déclarations des participants à la rencontre de Paris que je viens de mentionner: « L'ère de la confrontation et de la division en Europe est révolue. Nous déclarons que nos relations seront fondées désormais sur le respect et la coopération... Il nous appartient aujourd'hui de réaliser les espérances et les attentes que nos peuples ont nourries pendant des décennies: un engagement indéfectible en faveur de la démocratie fondée sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales; la prospérité par la liberté économique et par la justice sociale; et une sécurité égale pour tous » [1].

Nous devons remercier les citoyens et les dirigeants qui, par leur foi en l'homme et leur persévérance, sont parvenus à ces résultats, dans le droit fil des grandes traditions de l'Europe. Mais permettez-moi, Excellences, Mesdames, Messieurs, d'élever avant tout mon action de grâ?? vers le « Maître de l'Histoire ». Celui de qui nous tenons « la vie, l'existence et l'être » [2], qui a voulu, peut-être pour la première fois, une transformation en profondeur de l'Europe qui ne soit pas l'issue d'une guerre.

Ces « temps nouveaux » advenus, chaque pays d'Europe est appelé à mettre en oeuvre ce que l'évolution politique a permis: un engagement résolu en faveur de la démocratie, le respect effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la prospérité par la liberté économique et la justice sociale, une sécurité égale pour chaque nation.

En Europe de l'Ouest, ces buts ont déjà été plus ou moins atteints, mais les citoyens de cette partie du continent semblent caractérisés par une certaine absence d'idéal. Au dix-neuvième siècle, de nombreux Européens ont placé leur confiance dans la raison, la science et l'argent. Au début de notre siècle, une idéologie a essayé de démontrer que l'État incarnait à lui seul la vérité scientifique de l'histoire et pouvait donc imposer les valeurs à croire. Ces dernières décennies, on a cru que l'industrialisation et la production, en élevant le niveau de vie, contribueraient à assurer définitivement le bonheur. Aujourd'hui, les jeunes générations se rendent compte que « l'homme ne vit pas seulement de pain »[3]. Elles sont en quête de « sens »: les responsables des sociétés ont le grave devoir non seulement d'entendre leur voix, mais encore de répondre leurs aspirations. Trop souvent les sociétés occidentales se livrent aux modes et à l'éphémère et, en un certain sens, se déshumanisent. Il faut que les femmes et les hommes des sociétés nanties se mettent en face des défis du monde de demain; ils ont à poser des fondations solides pour leurs constructions. Qu'ils réapprennent à faire silence, à méditer, à prier! C'est là, vous le pressentez, que les croyants, et les chrétiens en particulier, ont à dire quelque chose de spécifique. Ils devraient toujours mieux se faire entendre, faire entendre leur différence, pour apporter aux projets des sociétés dont ils sont membres le « supplément d'âme » que beaucoup cherchent avidement, parfois sans en avoir clairement conscience.

Les pays du centre et de l'est de l'Europe sont, à leur manière, en proie aux mêmes difficultés. Il ne suffit pas de rejeter le monopole d'un parti, il faut aussi avoir des raisons de vivre et de travailler pour bâtir quelque chose. Des élections ont eu lieu dans ces pays, mais parfois les programmes des candidats n'étaient peut-être pas assez explicites sur les actions à mettre en oeuvre en priorité. Dans ces pays, dont le tissu moral et social a été profondément lacéré, il faut que la famille et l'école redeviennent les lieux de formation de la conscience; il faut redonner le goût du travail bien fait parce qu'il sert au bien commun.

Face à toutes ces tâches, un devoir s'impose: la solidarité européenne. Rien ne serait plus dommageable à l'équilibre de l'Europe — on doit même dire au maintien de la paix du continent — qu'une nouvelle dualité: l'Europe des riches opposée à l'Europe des pauvres; les régions modernes opposées aux régions arriérées. La coopération technique et culturelle doit aller de pair avec des projets économiques communs. Cela suppose que les pays européens, habitués à penser et à produire librement, aient une certaine compréhension vis-à-vis de partenaires qui, malheureusement, ont été contraints pendant plus d'un demi-siècle à subir les contraintes de systèmes où la créativité et l'initiative étaient tenues pour subversives.

[1] « Charte de Paris ».
[2] Ac 17,28.
[3] Lc 4,4.


Preoccupazione per la situazione di Albania e Lituania

Nous suivons avec préoccupation, ces jours-ci, l'évolution politique de certains pays de l'Europe centrale et orientale, sans oublier l'Albanie. Il y a dans toutes ces sociétés une fermentation et des attentes qui s'affirment avec vigueur. Je pense aux Pays Baltes, et plus spécialement à la chère Lituanie. Alors que le continent européen s'efforce de retrouver sa mesure, il est primordial que, dans la solidarité de tous, ces nations soient aidées à demeurer fidèles à leurs traditions et à leur patrimoine, et que, dans le dialogue et la négociation, on parvienne à des solutions nouvelles qui ouvrent des portes et abolissent les préjugés.



Il 1991 deve essere l’anno della solidarietà

Si 1990 a été l'année de la liberté, 1991 devrait être l'année de la solidarité!

Mais l'Europe ne peut pas ne s'occuper que d'elle-même. Ella doit se tourner résolument vers le reste du monde, en particulier vers les pays les plus démunis ou les plus éprouvés: l'Europe de 1990 a montré qu'il était possible de changer la physionomie des sociétés sans coup férir; une Europe réconciliée est en mesure de donner aujourd'hui un message d'espérance.



America Latina: il futuro è nella famiglia
4. Ma pensée se tourne à présent vers l'Amérique Latine. Ce vaste continent présente une certaine unité qui, cependant, dissimule mal de profondes disparités entre les grands ensembles qui la composent. Bien des peuples y connaissent la pauvreté; ses prodigieuses richesses naturelles sont encore loin d'être judicieusement exploitées et équitablement réparties. En outre, on ne peut que déplorer les ravages que toutes sortes de violences et le commerce de la drogue opèrent dans certaines sociétés, jusqu'à en ébranler les assises mêmes. Je pense, en particulier, aux assassinats, aux enlèvements ou aux disparitions de personnes innocentes. Il faut d'urgence trouver des solutions aux graves problèmes sociaux et économiques qui entraînent la marginalisation d'une large partie de la population de ces pays. Tout doit commencer par la reconstitution ou par la sauvegarde des valeurs de la famille, noyau de toute société digne de ce nom. L'Église catholique, vous le savez, en est vivement préoccupée et s'efforce de se mettre au service de toutes les familles.



America Centrale: Cooperazione tra le Nazioni vicine

J'ai présent à l'esprit, en particulier, les pays de l'Amérique Centrale où le processus de démocratisation et de pacification n'avance que très lentement, malgré des efforts louables. La dynamique des Accords d'Esquipulas, l'initiative d'un Parlement centre-américain et la déclaration d'Antigua créant une communauté économique régionale sont de bons exemples de cette coopération entre nations voisines dont je parlais dans l'encyclique « Sollicitudo Rei Socialis » [4].

Des tentatives de dialogue entre gouvernements et guérilla existent aussi, en particulier au Guatemala et au Salvador, mais malheureusement, comme de tristes événements récents l'ont confirmé, les innocents restent encore les premières victimes de ces luttes fratricides.

Certes, d'autres obstacles ne manquent pas, car les oligarchies de toutes sortes entravent la voie de la normalisation. Mais le temps est venu pour que tous se donnent la main et construisent ensemble des nations où les « petits » soient entendus et respectés dans leurs légitimes aspirations. La vie politique n'a d'autre raison d'être que le bien des citoyens: ils ont des droits qu'il faut respecter sans exception.

Non loin de cette région, un peuple déjà si éprouvé connaît depuis quelques jours une situation dramatique: je veux parler de la nation haïtienne. Désordres, assassinats, vengeances et violences de tout genre ont accompli leur oeuvre de mort. Je ne puis m'abstenir d'évoquer ici la destruction du siège de la Nonciature Apostolique à Port-au-Prince et surtout le traitement réservé à mon Représentant, bafoué dans sa dignité, ainsi qu'à son collaborateur, gravement blessé. Il s'agit là de violences qui, en tout cas, ne favorisent pas la stabilité politique et sociale souhaitée par la population. L'attaque subie par l'ancienne cathédrale et par le Siège de la Conférence épiscopale choquent non seulement les catholiques mais aussi tous les hommes de bonne volonté.

[4] Ioannis Pauli PP. II Sollicitudo Rei Socialis, SRS 45.


Asia: l’intolleranza religiosa è una minaccia per la pace

5. Si nous portons notre regard vers l'Asie, nous devons déplorer, cette année encore, que des problèmes restent sans solution. Je n'en citerai que quelques-uns.

Le Cambodge. Les négociations se poursuivent, il est vrai, mais avec des hauts et des bas. Il faut espérer que la volonté de chercher le bien de ce peuple, accablé par tant d'années d'épreuves cruelles, prévaudra sur les intérêts de parti ou l'aspiration au pouvoir. Comment ne pas rappeler que la force ne résout jamais définitivement un différend? Le Saint-Siège souhaite donc que l'on trouve une solution honorable et respectueuse des exigences du peuple cambodgien, avec l'aide de la communauté internationale, si possible même, comme le suggèrent certains, grâce à la coopération directe de l'Organisation des Nations Unies.

La situation en Afghanistan demeure précaire. Les populations, dont une grande partie a dû quitter ses foyers, souffrent et vivent dans l'incertitude du lendemain. Là encore, j'invite les grandes puissances, qui traditionnellement se sont intéressées au sort de ce pays, à mettre tout en oeuvre pour que les négociations ne s'enlisent pas et pour que, surtout, les solutions pacifiques aient la priorité sur le recours à la force.

Le Vietnam occupe aussi une place spéciale dans mes préoccupations. Une délégation officielle du Saint-Siège s'est rendue pour la première fois depuis de nombreuses années dans ce pays pour y aborder avec les autorités gouvernementales certains problèmes concernent la vie de l'Eglise locale et des questions d'intérêt commun. Le climat positif des échanges est sans doute un signe de la volonté du Gouvernement d'assurer aux citoyens de ce noble pays la liberté religieuse à laquelle ils aspirent et d'occuper à nouveau sur la scène internationale la place qui lui revient. J'espère que ne lui manquera pas le soutien de tous ceux qui, de par le monde, admirent le courage et la ténacité d'un peuple qui s'efforce de reconstruire sa patrie au prix d'immenses sacrifices.

Je voudrais encore souhaiter la réconciliation et la paix pour le Sri Lanka, où la guerre civile continue de faire de nombreuses victimes. Les différences ethniques et communautaires ne devraient jamais être un facteur d'opposition mais plutôt une richesse à partager!

A toutes les difficultés d'ordre politique ou économique qui affectent les populations de ces régions s'ajoute un problème que je ne puis passer sous silence: les conditions peu favorables parfois réservées aux communautés chrétiennes.

Souvent objet d'ostracisme de la part des adeptes des grandes religions traditionnelles, les chrétiens ont aussi à subir la méfiance et les contraintes des autorités. Je pense à certaines Églises particulières qui sont empêchées de professer pleinement leur foi au grand jour et de communiquer régulièrement avec le Pape et le Siège Apostolique, comme c'est le cas pour les catholiques de la Chine continentale. Je pense à ces fidèles qui sont en butte à des discriminations dans leur travail ou dans la société parce qu'ils n'appartiennent pas à la religion majoritaire; aux difficultés rencontrées quand il est nécessaire d'avoir recours à des missionnaires pour satisfaire aux besoins spirituels des fidèles. Il y a là des violations souvent subtiles, mais bien réelles, de droits humains élémentaires et, en tout premier lieu, de celui de professer sa foi, seul ou avec d'autres, salon les règles de sa propre famille religieuse. Je veux espérer, Excellences, Mesdames, Messieurs, que vous saurez comprendre mes préoccupations à cet égard. Comme je le soulignais dans mon récent Message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix, l'intolérance est une menace pour la paix. Il ne peut y avoir de concorde et de coopération entre les peuples, si les hommes ne sont pas libres de penser et de croire, dans la fidélité à leur conscience, et bien évidemment dans le respect des règles de droit qui garantissent dans chaque société le bien commun et l'harmonie sociale.



Africa: l’imperioso dovere della solidarietà
6. Le continent africain doit également retenir notre attention. En plus des situations économiques dramatiques qui affectent la quasi-totalité de ses populations, il est lui aussi en proie à la violence: comment pourrions-nous oublier que plus d'une dizaine de conflits le déchirent encore aujourd'hui?

La guerre absorbe en Ethiopie une grande partie des ressources financières nationales et provoque l'exode d'un grand nombre de réfugiés. La famine menace les régions du nord, en particulier 1'Érythrée et le Tigré, ravagés par les combats et interdits aux organisations d'aide humanitaire par les fronts de libération. L'ouverture récente du port de Massawa est à accueillir avec espoir, dans la mesure où cela devrait permettre l'acheminement de secours de première urgence vers des populations aux limites de la survie. Après trente années de guerre, le moment est venu d'instaurer une trêve pour favoriser le dialogue et pour que l'on puisse trouver une formule de convivialité entre les diverses composantes de la société éthiopienne.

Le Soudan n'est pas mieux partagé. Là encore la population, victime de combats, des crises écologiques et de l'effondrement de l'économie, semble être l'otage d'un conflit interne qui n'a duré que trop longtemps. Les chrétiens de ce pays font part de leur angoisse au Saint-Siège. Vivant dans la crainte du lendemain, désireux de se voir acceptés et reconnus dans leur spécificité religieuse, ils demandent que leur voix soit entendue, que leurs missionnaires puissent accomplir normalement leur apostolat si estimé et si nécessaire aux communautés, que les secours et l'aide des Organisations humanitaires leur parviennent sans entraves.

Le Mozambique, qui a souvent été au centre de nos préoccupations, semble avoir pris le chemin de la pacification. Le Gouvernement et l'opposition armée sont parvenus, avec l'aide de pays amis et d'organisations désintéressées, à un premier accord partial. Il devrait aboutir, nous le souhaitons vivement, à un cessez-le-feu définitif. Ainsi sera-t-il possible pour cette jeune nation de se reconstruire matériellement et spirituellement, de se donner une constitution et des institutions permettant à tous les citoyens de se sentir respectés dans leurs convictions et donc de regarder l'avenir avec plus de confiance.

Nous devons nous réjouir également pour les pourparlers directs qui semblent progresser entre les parties en conflit en Angola. L'engagement de pays comme les Etats-Unis d'Amérique et l'Union Soviétique peut influencer positivement l'évolution politique de ce pays littéralement déchiré par des luttes qui ont divisé les familles, anéanti les structures économiques et infligé de cruelles épreuves à l'Église catholique qui continue à les subir.

Enfin, le renouvellement institutionnel en cours en Afrique du Sud est prometteur pour la stabilité même de cette vaste région du continent. La légalisation des partis d'opposition, l'élargissement de leurs « leaders » après de trop longues années de réclusion; les rencontres multiples entre responsables gouvernementaux et autres constituent des germes de réconciliation et de fraternité, peut-être encore fragiles, mais qui sont à protéger et à faire grandir. Il ne faudrait surtout pas que des épisodes de violence, comme ceux qui ont semé la mort tout récemment encore, engendrent le désespoir chez ceux qui aspirent depuis tant d'années à l'avènement d'un pays enfin réconcilié.

Le Saint-Siège a conscience en outre que bien des pays d'Afrique sont encore marqués par des rivalités ethniques. Je pense en particulier au Rwanda et au Burundi, dont les évêques, dans un récent communiqué commun, ont opportunément rappelé que les différences ethniques doivent non pas isoler mais enrichir, car tous les hommes sont fils d'un même Père.

Nous ne saurions oublier la Somalie où les populations connaissent ces jours-ci des luttes meurtrières. Que Dieu les inspire, afin que tous s'efforcent de faire prévaloir la réconciliation sur l'affrontement armé. Nous ne saurions oublier non plus le cher Liberia dont les populations connaissent des souffrances indicibles. Il est temps que les Libériens retrouvent la confiance mutuelle et que la communauté des nations les aide à éviter ce qui serait un véritable naufrage pour un pays autrefois pacifique et tolérant.

Je voudrais attirer votre attention, Excellences, Mesdames, Messieurs, sur l'avenir du continent africain, riche de ressources humaines, mais qui souffre de très graves déficiences: une famine qui menace à nouveau des millions d'hommes, le chômage, le grand nombre des réfugiés, les maladies dont la plus meurtrière est sans doute le SIDA. Comme je le disais en septembre dernier, à l'occasion de ma rencontre avec le Corps Diplomatique au Burundi, bien des pays africains ont le sentiment d'être sous-estimés par des nations qui ne les aident qu'en fonction de leurs propres intérêts. Je crois que l'impérieux devoir de la solidarité envers les plus démunis suppose que l'on intensifie une coopération qui soit avant tout une « rencontre » entre des peuples, au-delà du pur échange de biens et de la recherche de profits, même légitimes. Evidemment, comme je le rappelais lors de ce même voyage apostolique en Afrique, toute coopération de ce type suppose la participation libre, intelligente et responsable des bénéficiaires eux-mêmes, avec l'appui efficace des Organisations régionales qui ont à coordonner des intérêts complémentaires.



Popolo palestinese, Libano, Gerusalemme “Città della pace”
7. Enfin, pour achever ce tour d'horizon de la scène internationale, nous devons nous arrêter quelque peu sur une région plus proche de nous, le Moyen-Orient, où s'est levée un jour l'Etoile de la Paix.

Ces terres chargées d'histoire, berceau de trois grandes religions monothéistes, devraient être des lieux où le respect de la dignité de l'homme, créature de Dieu, la réconciliation et la paix s'imposent comme des évidences. Hélas, le dialogue entre les familles spirituelles y laisse souvent à désirer. Les chrétiens minoritaires, par exemple, y sont dans certain cas tout au plus tolérés. Quelquefois on leur interdit d'avoir leurs propres lieux de culte, voire de se rassembler pour des célébrations publiques. Même le symbole de la Croix est proscrit. Il s'agit là de violations flagrantes des droits fondamentaux de l'homme et des lois internationales. Dans un monde comme le nôtre, où il est rare que la population d'un pays appartienne à une seule ethnie ou à une unique religion, il est primordial pour la paix interne et internationale que le respect de la conscience de chacun soit un principe absolu. Le Saint-Siège attend l'engagement de toute la communauté internationale pour que cessent ces cas de discrimination religieuse qui blessent l'humanité tout entière et qui sont en réalité un sérieux obstacle à la poursuite du dialogue inter-religieux ainsi qu'à la fraternelle collaboration en vue d'une société authentiquement humaine, et donc pacifique.

Et que dire, toujours dans cette même région du Moyen-Orient, de la présence d'armes de guerre et de soldats dans des proportions proprement terrifiantes?

Car, aux conflits qui depuis trop d'années plongent les populations dans le désespoir et l'incertitude — je pense à celles de la Terre Sainte et du Liban —, s'est ajoutée il y a quelques mois ce que l'on appelle « la crise du Golfe ».

En réalité nous nous trouvons face à des situations qui exigent des décisions politiques rapides et la création d'un climat de véritable confiance mutuelle. Depuis des décennies, le peuple palestinien est gravement éprouvé et injustement traité: en témoignent les centaines de milliers de réfugiés dispersés dans la région et dans d'autres parties du monde, de même que la situation des habitants de la Cisjordanie et de Gaza. Il s'agit d'un peuple qui demande à être écouté, même si l'on doit reconnaître que certains groupes palestiniens ont choisi pour se faire entendre des méthodes inacceptables et condamnables. Mais, par ailleurs, force est de constater que trop souvent il a été répondu négativement aux propositions provenant de diverses instances et qui auraient pu permettre au moins d'amorcer un processus de dialogue en vue de garantir également à l'Est d'Israël les justes conditions de sa sécurité et au peuple palestinien ses droits incontestables.

De plus, en Terre Sainte, se trouve la Ville de Jérusalem qui continue être occasion de conflit et de discorde entre croyants. Jérusalem, la « Sainte », la « Cité de la Paix »...

Tout près de là, le Liban est disloqué. Il a agonisé des années durant sous les yeux du monde, sans que l'on ait toujours voulu l'aider surmonter ses problèmes internes et à se libérer des éléments et des puissances externes qui voulaient se servir de lui à leurs propres fins. Il est temps que toutes les forces armées non-libanaises s'engagent évacuer le territoire national et que les Libanais soient en mesure de choisir les formes de leur vivre-ensemble dans la fidélité à leur histoire et dans la continuité avec leur patrimoine de pluralisme culturel et religieux.

La zone du Golfe, enfin, se trouve depuis le mois d'août en état de siège et on a bien vu que, quand un pays viole les règles les plus élémentaires du droit international, c'est toute la coexistence entre les nations qui est remise en cause. On ne peut accepter que la loi des plus forts soit brutalement imposée aux plus faibles. Un des grands progrès du développement de ce droit international a été justement d'établir que tous les pays sont égaux en dignité et en droit.

Il est heureux que l'Organisation des Nations Unies ait été l'instance internationale qui s'est rapidement imposée pour la gestion de cette grave crise. On ne saurait s'en étonner, si l'on se souvient que le Préambule et l'article premier de la Charte de San Francisco lui assignent comme priorité la volonté de « préserver les générations futures du fléau de la guerre » et de « réprimer tout acte d'agression ».

C'est pourquoi, fidèles à ce patrimoine et conscients des risques — je dirai même de la tragique aventure — que représenterait une guerre dans le Golfe, les vrais amis de la paix savent que l'heure est plus que jamais au dialogue, à la négociation, à la prééminence de la loi internationale. Oui, la paix est encore possible; la guerre serait le déclin de l'humanité tout entière.

Excellences, Mesdames, Messieurs, je désire que vous sachiez ma profonde préoccupation face à la situation qui s'est créée dans cette zone du Moyen-Orient. Je l'ai exprimée à plusieurs reprises et, hier encore, en adressant un télégramme au Secrétaire Général des Nations Unies. D'une part, on a assisté à l'invasion armée d'un pays et une violation brutale de la loi internationale, telle qu'elle est définie par l'ONU et par la loi morale; ce sont là des faits inacceptables. D'autre part, alors que la concentration massive d'hommes et d'armes qui s'en est suivie avait pour but de mettre un terme à ce qu'il faut bien qualifier d'agression, il ne fait pas de doute que, si elle devait aboutir à une action militaire même limitée, les opérations seraient particulièrement meurtrières, sans compter les conséquences écologiques, politiques, économiques et stratégiques, dont peut-être nous ne mesurons pas encore toute la gravité et toute la portée. Enfin, laissant intactes les causes profondes de la violence dans cette partie du monde, la paix obtenue par les armes ne pourrait que préparer de nouvelles violences.



Il Diritto Internazionale garantisce i deboli dall’arbitrio dei forti
8. Il existe en effet une corrélation entre la force, le droit et les valeurs dont la société internationale ne peut faire l'économie.

Les Etats redécouvrent aujourd'hui, en particulier grâce aux diverses structures de coopération internationale qui les unissent, que le droit international ne constitue pas une sorte de prolongement de leur souveraineté illimitée, ni une protection de leurs seuls intérêts ou même de leurs entreprises hégémoniques. Il est en vérité un code de conduite pour la famille humaine dans son ensemble.

Le droit des gens, ancêtre du droit international, a pris forme au long des siècles en élaborant et en codifiant des principes universels qui sont antérieurs et supérieurs au droit interne des Etats et qui ont recueilli le consensus des acteurs de la vie internationale. Le Saint-Siège se plait à voir dans ces principes une expression de l'ordre voulu par le Créateur. Citons, pour mémoire, l'égale dignité de tous les peuples, leur droit à l'existence culturelle, la protection juridique de leur identité nationale et religieuse, le rejet de la guerre comme moyen normal de règlement des conflits, le devoir de contribuer au bien commun de l'humanité. Ainsi, les Etats en sont venus à la conviction qu'il était nécessaire, pour leur sécurité mutuelle et la sauvegarde du climat de confiance, que la communauté des nations se dotât de règles universelles de convivialité applicables en toutes circonstances. Ces règles constituent non seulement une référence indispensable à une activité internationale harmonieuse, mais également un précieux patrimoine à préserver et à développer. Sans cela, c'est la loi de la jungle qui finirait par s'imposer, avec des conséquences aisément prévisibles.

Permettez-moi, à ce propos, Excellences, Mesdames, Messieurs, d'exprimer le souhait que les règles du droit international soient de plus en plus efficacement assorties de dispositions contraignantes propres en garantir l'application. Et dans le domaine de l'application des lois internationales, le principe inspirateur doit être celui de la justice et de l'équité. Le recours à la force pour une juste cause ne serait admissible que si ce recours était proportionnel au résultat que l'on veut obtenir et si l'on pesait les conséquences que des actions militaires, rendues toujours plus dévastatrices par la technologie moderne, auraient pour la survie des populations et de la planète elle-même. Les « exigences d'humanité »[5] nous demandent aujourd'hui d'aller résolument vers l'absolue proscription de la guerre et de cultiver la paix comme un bien suprême, auquel tous les programmes et toutes les stratégies doivent être subordonnés. Comment ne pas faire retentir ici cette admonition du Concile Vatican II, dans sa constitution « Gaudium et Spes »: « La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou militaires. Et ce n'est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient, par le fait même, licite entre parties adverses »[6]. Le droit international est le moyen privilégié pour la construction d'un monde plus humain et plus pacifique. C'est lui qui permet la protection du faible contre l'arbitraire du fort. Le progrès de la civilisation humaine se mesure souvent au progrès du droit grâce auquel peut se réaliser la libre association des grandes puissances et des autres dans l'entreprise commune qu'est la coopération entre les nations.

[5] « Déclaration de St. Petersbourg, 1868 »; La Haye 1907, Covention IV.
[6] Gaudium et Spes, GS 79.


Di fronte a Dio disarmato dobbiamo lasciar cadere tutte le nostre armi
9. Excellences, Mesdames, Messieurs, parvenus au terme de notre rencontre, je voudrais vous renouveler les voeux fervents que je forme pour les peuples que vous représentez, pour les ?utorités qui vous ont mandatés, pour vos familles et vos collaborateurs.

Nous vivons une époque où les signes de progrès et d'espérance ne manquent pas. Elle est aussi marquée par des échecs et des périls qui interpellent tous les hommes de bonne volonté.

Comment ne pas mentionner ici le fossé qui continue de séparer les peuples riches des peuples pauvres? Les écarts qui s'accentuent et la frustration de millions de nos frères sans perspective d'avenir constituent non seulement un déséquilibre mais aussi une menace pour la paix. Dans ce contexte, l'ensemble de la communauté internationale se doit d'entreprendre des transformations économiques et sociales pour maîtriser en particulier le problème de la dette extérieure des pays les plus dépourvus face aux exigences qui s'imposent à eux. C'est la recherche du bien commun qui doit guider les efforts de tous, dans un esprit de solidarité. L'argent ne saurait être le critère principal des comportements. Que tous s'efforcent de redonner confiance aux personnes et aux nations les plus démunies!

Chacun à notre place, cette place que la Providence de Dieu nous a assignée, nous avons à changer le monde, selon nos possibilités, et à relever l'un de sas plus vieux défis, celui de la paix.

Il y a quelques jours, les chrétiens ont attendu et célébré une lumière. Elle a rayonné d'une étable où reposait un tout petit enfant, la Lumière du monde!

Face à ce Dieu offert à l'homme, face à ce Dieu désarmé, nous devons laisser tomber nos armes. Il nous invite à nous mettre au service les uns des autres et à redécouvrir que l'homme n'est jamais si grand que lorsqu'il permet à l'autre — personne ou peuple — de grandir.

Ouvrez, à travers cette histoire dont vous êtes à un titre particulier les acteurs, la porte de l'espérance!

Tel est mon voeu; telle est ma prière!

Que le Dieu de la Paix vous accompagne tout au long de l'année qui commence!








Discours 1991